2 Concernant l’histoire éditoriale des Euvres en rime, dont la publication débuta durant l’été 1572 et fut surveillée de près par Baïf, voir J.-A. de Baïf, Œuvres complètes, I, Euvres en rime. Première partie, Neuf Livres des Poemes, Édition critique avec introduction, variantes et notes sous la direction de Jean Vignes, H. Champion, Paris, 2002, p. 51-72.
3 Je n’entends pas ici débattre des différences existant entre imitation et adaptation, j’emploie simplement le terme d’« imitation » au sens large de traduction personnalisée ou d’adaptation à partir d’un texte ou d’une idée d’autrui : dans ces deux cas, c’est le processus d’innutrition, d’appropriation qui demeure, à mes yeux, essentiel.
4 Les Jeux et les Poèmes constituent des ensembles de même niveau ; la section des Églogues, elle, fait partie des Jeux, mais je n’utiliserai pas de guillemets dans ce cas précis pour éviter la confusion avec un poème particulier, tel que « Atalante » au sixième livre des Poèmes.
5 À l’exception d’un article de M. Quainton qui traite notamment des sources de « Vie des chams », de l’« Hymne de la Paix » et de « A Henry Estienne » : M. Quainton, « Some sources and techniques of source adaptation in the poetry of Jean-Antoine de Baïf », Forum for Modern Language Studies 7, 1971, p. 374-397.
6 Il me semble que l’affirmation de David Scott Wilson-Okamura concernant Virgile et la représentation qu’un poète se fait de Virgile peut s’appliquer à tout modèle imité en général : « The important thing, for understanding poetry based on Virgil, is the idea of Virgil in the mind of the poet imitating him: not what Virgil wrote, necessarily, but what Virgil seemed to intend, to that poet. » (D. S. Wilson-Okamura, Virgil in the Renaissance, Cambridge Univ. Press, Cambridge, 2010, p. 3, section « Method »).
7 En tout cas, il est clair d’emblée que le divertissement proposé par le texte baïfien suppose toujours un lectorat idéalement familier du texte des Métamorphoses et des Bucoliques (pour commencer…).
8 Voir A. Moss, Poetry and fable: studies in mythological narrative in sixteenth-century France, Cambridge Univ. Press, London-New York-Melbourne, 1984, p. 168-169 : l’auteure semble pencher pour l’édition aldine.
9 Ovide, Metamorphoses, recognovit brevique adnotatione critica instruxit R. J. Tarrant, Oxford Univ. Press, Oxford, 2004, version du texte comparée avec trois autres conservées à la Bibliothèque Nationale de France, comportant le commentaire de Regius et datant respectivement de 1497, 1526 et 1540. Les variantes relevées ne s’avérant jamais significatives pour l’interprétation, je me suis référée exclusivement à l’édition moderne, plus accessible au lecteur d’aujourd’hui.
10 On peut se demander si Baïf a composé ses Églogues en s’inspirant de la traduction des Bucoliques par Guillaume Michel de Tours, publiée pour la première fois en 1516 (bien qu’elle semblât déjà aux yeux des contemporains de Baïf s’éloigner fortement du texte latin original), ou encore en gardant sous la main les commentaires que donnèrent Servius, Donat, Philippe Beroalde ou encore Josse Bade des Bucoliques.
11 Virgile, Bucoliques, traduction d’E. de Saint-Denis, introduction et notes de J.-P. Néraudau, les Belles Lettres, Paris, 1997 ; Théocrite, Idylles I-IX, texte établi et traduit par Ph.-Ern. Legrand, revu par Françoise Frazier, introduction et notes par Françoise Frazier, les Belles Lettres, Paris, 2009.
12 J.-A. de Baïf, Œuvres complètes. Euvres en rime. Édition critique avec introduction, variantes et notes sous la direction de Jean Vignes, H. Champion, Paris, 2002-… (neuf tomes sont prévus). Cette édition s’inscrit dans le cadre d’un nouvel engouement de la part des chercheurs pour l’œuvre de Baïf, engouement qui grandit depuis le début des années 90, notamment sous l’impulsion bienveillante de Jean Vignes.
13 J.-A. de Baïf, Euvres en rime de Jan Antoine de Baïf, secrétaire de la chambre du Roy, 5 volumes, avec une notice biographique et des notes par Charles Marty-Laveaux, A. Lemerre, Paris, 1881-1890.
14 Parler de genre est problématique pour la période qui nous intéresse, comme le souligne G. Mathieu-Castellani, (« La notion de genre », dans G. Demerson (dir.), La notion de genre à la Renaissance, Slatkine, Genève, 1984, p. 17-34), mais Baïf semble respecter certaines règles propres à celui de l’églogue que J. Vignes distingue dans son article : « Normes et contradictions d’un genre : Les Églogues de J.-A. de Baïf », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance 48.3, 1986, p. 701-721.
15 Pour une définition du poème chez Baïf, voir E. Vinestock, Poétique et pratique dans les « Poèmes » de Jean-Antoine de Baïf, H. Champion, Paris, 2006, p. 19-23.
16 Ce sont les pièces [2] du deuxième et troisième livres des Poèmes, p. 161 sq. et p. 222 sq. dans l’édition de J. Vignes (2002).
17 Dans le Premier des météores, on remarque que le poète a traduit quelques vers tirés des Géorgiques, mais ils ne sont qu’une poignée et ne constituent pas une imitation évidente : Aristote et Pline sont le plus largement convoqués.
18 Voir M. Augé-Chiquet, La vie, les idées et l’œuvre de Jean-Antoine de Baïf, Fac-sim. de l’éd. de Paris, 1909, Slatkine reprints, Genève, 1969², p. 254 : l’auteur qualifie ainsi l’églogue IX.
19 E. Vinestock, « Ovid Metamorphosed: Ovidian Techniques Transposed in Baïf’s “L’Hippocrene” », Renaissance studies. Journal of the Society for Renaissance Studies 13.1, 1999, p. 63-72.
20 Voir aussi sur ce point l’article extrêmement riche et stimulant de J. Braybrook qui distingue paradiégèse, parenthèse et paralepse dans la narration baïfienne : J. Braybrook, « Obliquity in Baïf’s Mythological Poems », Romance Quarterly, n° 33, 1986, p. 139-156, notamment p. 140.
21 Excepté pour Navagero qui ne figure pas dans cette généalogie littéraire établie par Baïf.
22 Concernant l’éducation de Baïf, voir M. Augé-Chiquet op. cit., p. 1 sq., p. 44 sq. ; J. Vignes, « Jean Dorat et Jean-Antoine de Baïf », dans C. de Buzon et J.-E. Girot (dir.), Jean Dorat, poète humaniste de la Renaissance. Actes du Colloque international, Limoges, 6-8 juin 2001, Droz, Genève, 2007, p. 19-46.
23 Voir E. Vinestock, art. cit. p. 64 et l’introduction au tome I (Poèmes) de l’édition de J. Vignes p. 90 ; M. Augé-Chiquet étudie les églogues dans la section intitulée « Alexandrinisme », op. cit., p. 248-255.
24 A. Hulubei, L’églogue en France au XVIe siècle : époque des Valois, 1515-1589, Droz, Paris, 1938, p. 49-52 ; Répertoire des églogues en France au XVIe siècle (époque des Valois, 1515-1589), Droz, Paris, 1939.
25 Dans « À Pierre de Ronsard », pièce [50] du premier livre des Amours de Méline, v. 26, p. 224, Baïf renvoie à Virgile en tant qu’auteur de l’Énéide, mais dans le cadre d’une recusatio de forme traditionnelle ; dans la pièce [73] des Amours de Francine, v. 13, t. II, p. 303, Virgile est couplé avec Homère. On trouve une seule fois « Maron », le cognomen de Virgile sous sa forme francisée, dans « À Iaques Peletier », v. 21 sq., p. 408-409, t. IV, M.-L., pour parler de la gloire qui s’attache au poète épique de son vivant.
26 « Titire » seul est employé, le nom de Virgile n’apparaît jamais dans les Jeux.
27 Mais il arrive parfois qu’il soit difficile de savoir si Baïf renvoie tout de même à Virgile ou à son personnage.
28 Cela est dû, certes, aux genres dans lesquels Baïf compose : s’il avait ajouté, dans son recueil, un long poème épique, ce relevé eût été sans doute différent. Néanmoins, les faits sont là.
29 « A Ian Vatel », [13], v. 85, p. 302.
30 Voir « A Henry Estienne », v. 67 sq., t. IV, M.-L., p. 419. Si l’auteur fait aussi référence ici à la composition des Géorgiques, la périphrase qui précède (et qui est le sujet du verbe d’action) semble témoigner, dans l’esprit de Baïf, d’une identification primordiale et fondamentale de Virgile au poète des Bucoliques ; en tous les cas, l’absence d’allusion au poème épique virgilien dans ce contexte est remarquable, presque choquante (et sans doute volontaire).
31 Ainsi, chez Baïf, tout se passe comme si l’« épopée miniature », l’epyllion, avait dépassé la véritable épopée : en tant qu’auteur épique, Virgile est tombé dans l’oubli, tandis que les epyllia ovidiens, pour Baïf, sont dignes du souvenir.
32 Ovide, Mét. X, 578-580, traduction personnelle pour ce court extrait.
33 Voir « Atalante », Poèmes, VI, [6], v. 30-33. Je remercie ici Jean-Christophe Jolivet d’avoir attiré mon attention sur le fait que la répétition de l’adjectif était également très prisée d’Ovide et caractéristique de son style. En s’écartant du texte ovidien mais en répétant l’adjectif à cet endroit précis, Baïf devient donc presque plus ovidien qu’Ovide lui-même !
34 Ovide, Mét. X, v. 595-596, traduction de G. Lafaye, Ovide. Les Métamorphoses, CUF, Paris, 1965, tome II, p. 141-142.
35 Comme le précise J. Vignes dans son édition, p. 841, note des v. 57-60. Voir pour ce passage « Atalante », Poèmes, VI, [6], v. 55-60.
36 Voir E. Vinestock, art. cit., p. 63.
37 Ovide, Mét. VIII, 211 sq.
38 Id., Art d’aimer II, 77-78.
39 Elle est désignée d’ailleurs comme « [l]a bonne guide » de Persée, alors que Dédale est justement plusieurs fois qualifié de dux (guide) d’Icare dans les Métamorphoses (v. 208 ou v. 224 qui rappellent fortement les v. 58 et 84 de l’Art d’aimer) ; la comparaison comique de Persée / Icare à un oisillon craintif vient également de l’Art d’aimer (II, 65 sq.) et/ou des Métamorphoses d’Ovide (Mét. VIII, 213-214).
40 Preuve du lien qui unit les deux textes ovidiens, la toponymie y est quasiment similaire : cf. Ovide, Mét. VIII, 220-222 et A. A. II, 79-82.
41 Aucun chercheur n’est encore parvenu à prouver de façon ferme et définitive que Baïf n’avait imité Théocrite dans ses Églogues qu’à partir de 1555, tant la datation de ces pièces pastorales reste délicate. Ce qui est certain, c’est que Théocrite fut l’un des premiers auteurs que Baïf traduisit : on a retrouvé la traduction d’un epyllion théocritéen de sa plume datant de 1549, c’est-à-dire, de l’extrême commencement de sa carrière poétique (Baïf n’avait alors que dix-sept ans !), voir J. Vignes, Jean-Antoine de Baïf, Rome-Paris, 1999, p. 37.
42 Baïf renvoie sans doute ici à son poème intitulé « Le Premier des Meteores » : voir l’édition de J. Vignes, t. I, [2], p. 110-136.
43 Sur l’image de la « Roue de Virgile » inspirée des commentaires d’Aelius Donat, voir E. Curtius, La littérature européenne et le moyen âge latin. Traduit de l’allemand par Jean Bréjoux, Paris, PUF, 1956, p. 324 ; A. Hulubei, « Virgile en France au XVIe siècle. Éditions, traductions, imitation », Revue du Seizième Siècle 18, 1931, p. 4.
44 Voir l’édition disponible sur le site Gallica : J. Sannazaro, Opera omnia latine scripta, nuper edita, in aedibus haeredum Aldi Manutii et Andreae Asulani soceri, Venise, 1535 (vue 63/210 à 66/210 ; p. 31² à 33).
45 En outre, plusieurs passages de cette églogue II sont totalement créés par Baïf, qui se joint à ce premier cortège de poètes pastoraux : en ce sens, l’adaptation devient véritablement polyphonique tout en s’enrichissant. Elle renouvelle le texte initial qui à chaque réécriture grandit.
46 Concernant l’identité véritable de « Janet », voir A. Hulubei, L’églogue en France au XVIe siècle : époque des Valois, 1515-1589, op. cit., p. 344 ; J. Vignes dans l’article sur Jean Dorat, art. cit., p. 25-26.
47 Andreae Naugerii Patricii Veneti Orationes Duae, Carminaque Nonnulla, Venise, Joannes Tacuinus, 1530 ; pour M. Flaminio, on pourra consulter l’édition des Carmina, testo e note a cura di Massimo Scorsone, San Mauro, Ed. Res, 1993.
48 Une édition des Idylles avait été exclusivement établie et publiée pour les élèves du Collège en question : A. Hulubei, op. cit., p. 338-339.
49 Églogues VIII, XII, XIV, XVIII, XIX.
50 Je reprends ici le résultat du travail de repérage d’Alice Hulubei, op. cit., p. 394-395.
51 La polyphonie règne aussi entre les recueils d’églogues eux-mêmes, puisque l’on sait que Baïf, Belleau, mais aussi Ronsard ont communiqué sur le genre pastoral et sur leurs propres créations par églogues interposées ; les premières églogues des poètes de la Pléiade sont nées également des dialogues qui ont animé le cercle de Poitiers : voir M. Augé-Chiquet, op. cit., p. 248-250 et A. Hulubei, op. cit., p. 257 sq.
52 Ronsard a lui aussi traité ce thème dans son « Cyclope amoureux », en 1560, sans doute en concurrence avec Baïf.
53 Ovide, Mét. XIII, 738-899. Nous nuançons ici le premier relevé effectué au début de cet article : l’imitation d’Ovide ne se restreint pas à la section des Poèmes, elle s’étend aussi à cette églogue VIII et, à l’évidence, à d’autres textes dont nous n’avons pas encore trouvé la source.
54 Voir cependant J. Farrell, « Dialogue of Genres in Ovid’s “Lovesong of Polyphemus” (Metamorphoses 13.719-897) », American Journal of Philology 113, 1992, p. 237-268, pour la manière dont le genre pastoral, via l’imitation de Théocrite, Idylle XI, s’intègre au dialogue des genres ou au « chant polyphonique de Polyphème » dans l’épisode des Métamorphoses (en particulier, voir p. 237 et n. 12 pour la fréquence du paysage pastoral dans le poème ; p. 246 pour l’exagération des motifs pastoraux dans l’épisode ovidien, et p. 245 sur l’humour d’Ovide dans l’épisode et en général). Je remercie S. Clément-Tarantino d’avoir attiré mon attention sur ce point.
55 La reprise du texte ovidien est longue : v. 10 à 30 !
56 Théocrite, Idylles VI, 34-38 : Polyphème se vante notamment de la blancheur de ses dents, éclatantes comme le marbre de Paros, détail d’emblée grotesque chez Théocrite ; Corydon aussi mire son reflet dans l’eau marine (Virgile, Buc. II, 25-26) mais chez Baïf, la référence au texte de Virgile est indirecte.
57 Ovide, Mét. XIII, 784, l’expression étant soulignée, là encore à dessein, par la position de centum en fin d’hexamètre, Ovide écrit sumptaque harundinibus compacta est fistula centum, « et il saisit une syrinx composée de cent roseaux », il s’agit des vers 45-46 chez Baïf.
58 Ovide, Mét. XIII, 785-786.
59 Théocrite, Idylles XI, 54-55.
60 Les voix de Théocrite, Virgile et Ovide s’y rejoignent, notamment pour chanter la taille des troupeaux du géant. Chez Virgile, Corydon avait mille brebis, c’est-à-dire rigoureusement le nombre fixé par Théocrite (v. 34). Ovide, lui, déroge à la règle du décompte et raille avec beaucoup d’humour ses prédécesseurs en plaçant cette remarque dans la bouche du Cyclope : « Si tu m’en demandais le nombre, je ne saurais te le dire : il n’y a que le pauvre pour compter ses brebis ». Le pauvre pasteur peut aussi désigner, de façon très peu voilée, le pauvre poète qui a oublié que la meilleure hyperbole est celle qui renvoie aux effectifs indénombrables. Baïf, quant à lui, reprécise le nombre de bêtes en utilisant l’anaphore « Mille troupeaux… » (v. 125 et 128).
61 Je remercie Franck Baetens de m’avoir suggéré également que le divertissement du lecteur pouvait aussi reposer, à cet endroit précis, sur un véritable pastiche parodique du style ovidien ; même si les intentions du poète renaissant ne peuvent être clairement démêlées (simple imitation humoristique ? ironie ?), cette interprétation est bien entendu envisageable, d’autant que nous nous trouvons dans un contexte manifeste de jeu avec les modèles et de réécriture, tels qu’ils avaient déjà cours dans l’Antiquité (cf. la correction de ses prédécesseurs par Ovide, mentionnée dans la note précédente).
62 L’églogue IX est d’ailleurs la seule à mêler une idylle de Bion, deux églogues de Virgile et deux métamorphoses ovidiennes dans le même poème.