1 « Alors, quoique ses cheveux grisonnent, Idoménée, en exhortant les Grecs, bondit parmi les Troyens, qu’il frappe de terreur, car, il tue Otryonée de Cabèse, qui, récemment attiré par la nouvelle de la guerre, a demandé Cassandre, la plus belle des filles de Priam. » (Homère, Iliade, XIII, 363 ; Œuvres Complètes, traduction de P. Giguet, Paris, Hachette, 1863).
2 « Elle n’est ni un augure, qui induit scientifiquement l’avenir des signes extérieurs à l’image de son frère Hélénos, ni une sibylle, qui en un lieu précis balbutie quelques mots intelligibles, inspirée par Apollon. Elle est les deux à la fois », écrit R. Racine dans son article « Cassandre », P. Brunel (dir.), Dictionnaire des mythes féminins, Monaco, Éditions du Rocher, 2002, p. 336-343, p. 338.
3 « Comme Cassandre est une figure de la parole et non de l’action, il en résulte qu’elle est généralement attachée en tant qu’observatrice et commentatrice à d’autres figures mythiques telles qu’Hécube et Priam, Troïlus et Cressida, Énée, Polyxène et Achille, Ajax, Clytemnestre et Agamemnon, en somme aux personnages qui appartiennent au cycle troyen. » (Ibid.)
4 En effet, après s’être parjurée auprès d’Apollon qui échange son consentement amoureux contre ses dons prophétiques, elle est violée dans le temple d’Athéna par Ajax le Locrien, temple dans lequel elle avait tenté vainement de se réfugier. Enfin, elle est livrée à Agamemnon, dont elle devient la concubine, et sera finalement assassinée par Clytemnestre. Si elle ne s’oppose pas toujours clairement au pouvoir en place, elle reste toutefois toujours exposée à l’action de celui-ci contre elle, qu’il soit représenté par la divinité ou par les vainqueurs.
5 Dans l’Agamemnon d’Eschyle, Cassandre prédit non seulement la mort d’Agamemnon aux vers 1007-1012 mais également le parricide d’Oreste : « un rejeton tueur de mère, vengeur de père, / banni, errant loin de sa terre en étranger » (Agamemnon, 1282 ; Eschyle, L’Orestie, traduction de D. Loayza, Paris, Flammarion, coll. « GF », 2001). Chez Euripide, dans Les Troyennes, Cassandre fait à sa mère le récit mantique des errements d’Ulysse : « Le malheureux, il ne sait pas quelles épreuves l’attendent » (Les Troyennes, 431 ; Euripide, Théâtre complet I, traduction de L. Villard, C. Nancy et C. Mauduit, Paris, Flammarion, coll. « GF », 2000), permettant ainsi au poète dramatique de rappeler au public certains éléments de l’Odyssée.
6 Cf. P. Auraix-Jonchière, L’Unité impossible. Essai sur la mythologie de Barbey d’Aurevilly, Saint-Genouph, Librairie Nizet, 1997.
7 En effet, Vellini semble subir le joug d’une double filiation : elle est tout à la fois la fille naturelle de la Duchesse Cadaval-Aveiro et l’enfant symbolique d’une bohémienne que sa mère enceinte a rencontrée sur le parvis d’une église. Vellini, en héritant du miroir « magique » offert à sa mère par cette diseuse de bonne aventure, se voit conférer certains des attributs de la bohémienne : physique proche des stéréotypes du genre, goût pour l’errance géographique et sociale, pouvoirs magiques supposés, séduction paradoxale (cf. C. Bricault, « Vellini en bohémienne, une incarnation poétique de l’errance en littérature », P. Auraix-Jonchière et G. Loubinoux (dir.), La Bohémienne figure poétique de l’errance au xviie et au xixe siècles, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, coll. « Révolutions et Romantismes », 2006, p. 111-124). Ce miroir magique qui lui permet d’espionner Ryno de Marigny – l’amant avec lequel elle a fait un pacte de sang qui les empêchent l’un et l’autre de se quitter – rappelle les liens forts que les bohémiens entretiennent avec la mantique dans l’imaginaire collectif. Le miroir, cet élément traditionnel de l’art de prédire, fascine beaucoup Barbey ; celui-ci le réutilise dans L’Ensorcelée, où il devient un élément important de l’intrigue puisque c’est par son entremise que Thomas Le Hardouey, le mari de Jeanne, l’ensorcelée éponyme, voit la passion que son épouse voue à La Croix-Jugan, le prêtre chouan dont l’histoire nous est racontée.
8 Les bergers sont les antagonistes principaux de L’Ensorcelée. Dans le conte-cadre, ils sont soupçonnés d’avoir jeté un sort à la Blanche, la jument de Maître Tainnebouy, le guide du narrateur. Cet accident immobilise les deux comparses au mitan de la nuit, au milieu de la lande du Lessay, réputée dangereuse et inquiétante, où ils entendent sonner distinctement et sans raison les cloches de l’ancienne abbaye de Blanchelande. Maître Tainnebouy explique alors à son compagnon la genèse de cette messe des morts. Fervent royaliste et chouan redoutable, le prêtre Jéhoël la Croix-Jugan décide de se suicider après sa défaite contre les Bleus. Il survit et est recueilli par une vieille femme pieuse qui le soigne. Défiguré par des soldats républicains de passage lorsqu’il était encore convalescent, il revient après plusieurs années à Blanchelande et croise le chemin de Jeanne de Feuardent, mésalliée à Thomas Le Hardouey. Intriguée par ce prêtre repentant devenu monstrueux, elle tombe rapidement et fiévreusement amoureuse de lui, conformément à la malédiction que lui a jetée l’un des bergers, rabroué par son mari. De plus en plus éprise, Jeanne erre et manque à ses devoirs au point d’alerter son époux. Ce dernier, croisant les fameux bergers, découvre la vérité par leur entremise. Ils lui montrent Jeanne et Jéhoël cuisant son cœur sanglant. Cette vision le rend fou tandis que, désemparée, Jeanne finit par se suicider. La Croix-Jugan, indifférent à ce qui n’est pas sa cause, finira par être assassiné en plein office et sera condamné à ne jamais trouver le repos éternel.
9 Clotilde Mauduit dite la Clotte est une vieille fileuse et une ancienne courtisane. Parce qu’elle a connu les parents de Jeanne, elle porte à la jeune femme une immense affection et apparaît pour elle comme un substitut maternel. Son « statut » ancien lui ayant permis d’avoir accès au château infernal de Haut-Mesnil, elle connaît également Jéhoël. C’est elle qui raconte à Jeanne le destin malheureux de Dlaïde Malgy, rendue folle d’amour par l’indifférent prêtre, prédisant ainsi la destinée de sa protégée. Il est très difficile de statuer – et le narrateur ne le fait jamais – sur ce qui provoque véritablement la folie de Jeanne : les histoires coupables de la Clotte, qui alimentent la nostalgie de la jeune femme, ou la malédiction des bergers ? Toujours est-il que, soupçonnée de sorcellerie, Clotilde sera lynchée lors de l’enterrement de Jeanne de Feuardent par une population furieuse.
10 Par leur miroir magique, les bergers peuvent montrer une réalité métaphorique. La Clotte, par sa connaissance du passé, prédit le présent. De plus et surtout, elle apparaît comme une figuration des Moires. Son prénom, abréviation de Clotilde, rappelle la Moire Clotho. Elle partage avec cette dernière la fonction de fileuse.
11 La référence précise sera donnée infra, n. 13.
12 Le Rompu hante censément la lande où Néel de Néhou et la Malgaigne se rencontrent. Pour avertir Néel des dangers de son incrédulité, la Malgaigne lui raconte l’histoire de ce fameux Rompu qu’elle a connu dans sa jeunesse. La Malgaigne, alors jeune fileuse au service de l’auberge à Travers, décide, à la prière de la fille de l’aubergiste, Désirée, de prédire le sort du jeune soldat inconnu mais séduisant dont cette dernière est éprise. La fileuse voit dans les lignes de sa main son futur crime et sa mort. Incrédule et fanfaron, le jeune homme se moque de la jeune prophétesse. Deux ans plus tard, jour pour jour, la prophétie s’accomplit. Il assassine pour une ténébreuse histoire d’argent un camarade et s’enfuit. Il sera retrouvé et pendu. Sa maîtresse convainc la Malgaigne d’assister avec elle à l’exécution du jeune soldat. Pour donner l’exemple, la chose faite, le corps du Rompu doit rester exposé sans sacrements. Malgré l’interdiction, Désirée persuade la Malgaigne de donner une sépulture décente à l’assassin. De nuit, elles le détachent et l’enterrent. Malgré l’eau bénite versée par Désirée sur sa sépulture improvisée, le Rompu restera condamné à errer. La Malgaigne le verra très régulièrement sans que ce dernier daigne lui adresser la parole. Les similitudes entre le mythe d’Antigone et cet épisode accusent le caractère « antique » de la Malgaigne, qui semble à bien des égards synthétiser différentes grandes figures de la tragédie et de l’épopée.
13 J. Barbey d’Aurevilly, Un prêtre marié (Œuvres Complètes, t. 1, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1964), p. 971.
14 Eschyle, Agamemnon, v. 1212.
15 « J’y vois du sang ! fus-je poussée à dire. […] Mais du sang mal versé, repris-je. J’y vois de l’eau aussi, de l’eau qui coule dessus, s’y mêle et ne peut l’effacer […] c’est cette eau qui vous tuera […] Ce n’est pas de l’eau de mer non plus, fis-je : c’est de l’eau douce, douce mais cruelle. Il n’en faudra pas bien des gouttes pour vous tuer, monsieur le soldat ! » (J. Barbey d’Aurevilly, Un prêtre marié, op. cit., p. 974).
16 Ibid.
17 « En voyant ce verre d’eau qui reluisait au soleil et que l’abbé Neufmesnil n’avait demandé que pour abréger le supplice du condamné – car on assure que les rompus, dès qu’ils boivent une goutte d’eau, expirent – sans doute que la Travers eut la même idée qui me prit au chignon, car, toute hagarde sur la croupe de son cheval et collée au sergent, elle me montra cette eau qui brillait : “Tu le lui avais bien dit”, fit-elle. » (ibid., p. 977).
18 Ibid., p. 907.
19 Ibid., p. 974.
20 Ibid.
21 Ibid., p. 971.
22 « Avant dix ans, avant cinq ans peut-être – dit-elle avec mélancolie –, il n’y aura plus un seul arbre debout de ces hautes futaies ! une seule pierre sur pierre de ce château qui avait été bâti à chaux et à sable par les aïeux de ces Du Quesnay dispersés ! Rien ne sera plus dans ce coin de pays, comme nous le voyons ce soir ; rien, si ce n’est l’étang, trop profond pour qu’on le dessèche, où le mendiant qui passe viendra laver longtemps encore le bout de son bâton fangeux ! » (ibid., p. 970).
23 Sénèque, Agamemnon, 741-742 (Théâtre complet I, traduction de F. Dupont, Paris, Imprimerie Nationale, coll. « Le Spectateur français », 1990).
24 Eschyle, Agamemnon, 1208.
25 Euripide, Les Troyennes, 451.
26 J. Barbey d’Aurevilly, Un prêtre marié, op. cit., p. 1057.
27 « Vieux cygne des fiords lointains, avec ses cheveux blancs comme la neige, elle avait, sous ses traits plutôt durcis que flétris par les ans, les restes glacés de cette beauté flave des filles de la Norvège qui versaient la cervoise écumante dans ces belles coupes d’ivoire humain, creusées dans les crânes des ennemis. Ses grands traits, vierges des passions qui calcinent les visages des hommes, avaient une placidité toute-puissante. » (ibid., p. 959).
28 Il serait assez long, au point de pouvoir faire l’objet d’une étude à part entière, de détailler tous les éléments qui peuvent incliner à voir dans la Malgaigne une créature royale et majestueuse. Ainsi, je citerai seulement : « Ce jour-là – comme toujours, du reste – le costume de la Malgaigne était des plus simples ; mais elle le relevait par la manière presque majestueuse dont elle savait le porter. ». (J. Barbey d’Aurevilly, Un prêtre marié, op. cit., p. 959)
29 « La Malgaigne était pauvre – mais, comme Néel l’avait dit, elle n’était pas mendiante. Elle avait toujours vécu du travail de ses mains, et, pleine de cœur, quoiqu’elle fût sur le bord de sa fosse, elle travaillait encore. » (ibid., p. 960).
30 Ibid., p. 1128.
31 Je pense surtout à la relecture et à la réécriture qu’en a faites Christa Wolf dans Cassandre, les Prémisses et le Récit, Paris, Stock, coll. « Bibliothèque cosmopolite », 1994.
32 J. Barbey d’Aurevilly, Un prêtre marié, op. cit., p. 905.
33 « Cette tradition ne présente pas, comme c’est le cas pour l’histoire d’Agamemnon ou celle d’Hélène, un caractère de parfaite unité. Cassandre apparaît tantôt comme l’amante d’Apollon, tantôt comme la victime d’Ajax, tantôt comme la captive d’Agamemnon. Parfois un poète joint deux des données : les trois ne se trouvent gère réunis. Cela s’explique du reste parfaitement, car chacun de ces épisodes n’a sa valeur tragique que s’il se rapporte à une jeune vierge. » (J. Davreux, La Légende de la prophétesse Cassandre, Paris, Droz, 1942, p. IX).
34 J. Barbey d’Aurevilly, Un prêtre marié, op. cit., p. 959.
35 Eschyle, Agamemnon, 1254.
36 « Considérée comme une voix signifiante – ayant besoin d’être interprétée pour que son sens soit évident – plutôt que comme la détentrice d’un savoir raisonné, d’un logos, Cassandre est une figure dont la fonction oraculaire apparaît étroitement liée à la condition féminine : pour ne pas dire que cette condition détermine entièrement son rôle prophétique. » (A. Iriarte, « Le Chant interdit de la clairvoyance », M. Goudot (dir.), Cassandre, Paris, Autrement, coll. « Figures mythiques », 1999, p. 42-64, p. 50).
37 La voix de Cassandre est présentée chez Eschyle et chez Sénèque tantôt comme murmurante tantôt comme « criée ». La Cassandre d’Eschyle entre en scène en « hurlant » (« Pourquoi hurler au nom de Loxias ? », Agamemnon, 1074). Elle-même constate : « c’est bien la mienne que je crie, ma souffrance que je répands » et le chœur répète « tu cries » (ibid., 1135-1136 et 1141). Chez Sénèque, son discours est présenté par le chœur comme un « murmure indistinct » ou « un frémissement ». (Agamemnon, v. 710-719). Même si la Cassandre de Sénèque apparaît moins effrayante que pathétique, le procédé reste assez similaire. En effet, ces variations vocales figurent le délire de Cassandre dont le discours irrationnel se distingue de la norme à la fois par la matière et par la manière. Le cri comme le gémissement relève moins d’un logos que d’un discours barbare, car il dénote tout à la fois l’absence de maîtrise et la violence des sentiments.
38 Cassandre, par sa qualité de barbare, apparaît dès l’abord comme peu compréhensible : elle est animalisée et s’exprime autant par son corps (chez Euripide, dans sa danse bacchique) que par la parole, ce qui donne à son discours un caractère désorganisé. Toutefois, le caractère « barbare » de Cassandre reste à nuancer : si elle apparaît de prime abord comme incompréhensible, elle devient de plus en plus claire. Dans l’Agamemnon d’Eschyle notamment, la progression est frappante. Clytemnestre décide très rapidement de cesser d’interagir avec elle : « Non, je ne veux pas m’abaisser à perdre un mot de plus » (Agamemnon, 1068). Elle semble tout d’abord « animalisée ». Le coryphée signale : « Elle se comporte comme une bête que l’on vient de capturer » (ibid., 1063). Lui et la princesse en transe ne semblent pas pleinement interagir. Le coryphée répète qu’il ne saisit pas tout à fait ce que la Princesse prédit : « Je ne saisis pas cet oracle » (ibid., 1106), « Je n’ai toujours pas compris » (ibid., 1113), pour finir par s’inquiéter de « ses paroles trop claires » (ibid., 1162).
39 Chez Eschyle, le chœur désigne les prophètes comme « des divins chanteurs aux milles paroles » (Eschyle, Agamemnon, 1134). L’association de Cassandre au chant reste constante et immédiate puisque Clytemnestre craint implicitement que le « futur » discours de la prisonnière ressemble à celui de l’hirondelle. Cette comparaison apparemment anodine met en parallèle, dès le début, le mythe de Cassandre et celui de Philomèle et de Procné. Par ce parrainage monstrueux, le chant de Cassandre se fait moins douloureux que forcé : « te force à chanter ta souffrance » « tu cries le chant » (ibid., 1141). On retrouve la même analogie chez Sénèque. Le chœur des femmes de Troie présente le désespoir de Cassandre, à nul pareil, entouré d’un réseau de mythes aviaires dont celui de Procné et Philomèle (Agamemnon, 670-685 bis). Chez Euripide, on retrouve ce même motif du chant puisque Cassandre « [chante effectivement des prophéties] » (Les Troyennes, 408). Cassandre elle-même présente son propre délire comme un chant. Elle dit : « Je ne veux pas laisser chanter en moi / La muse qui se voue à célébrer le mal. » (ibid., 384-385). L’acte de danser, comme celui de chanter, relève de cette folie bacchique de Cassandre.
40 La version du mythe qui nous est la plus familière est celle, latine, d’Ovide dans les Métamorphoses (VI, 412-445). Elle possède bien des points de convergence avec celle de Sophocle dans sa pièce partiellement perdue Térée, qui fournit les mythèmes les plus emblématiques du mythe : le viol, la langue coupée, le message tissé, le meurtre d’Itys par sa mère, la supercherie de Procné qui donne son fils à manger à Térée et la métamorphose finale. Pour plus de précisions, cf. J. Jouanna, Sophocle, Paris, Fayard, 2007.
41 F. Létoublon, « Le Rossignol, l’Hirondelle et l’Araignée. Comparaison, métaphore et métamorphose. » Europe, 904-905 (« Mythe et Mythologie »), 2004, p. 73-102.
42 Eschyle, Agamemnon, 1050.
43 Ibid., 1140-1145.
44 F. Létoublon, « Le Rossignol, l’Hirondelle et l’Araignée », art. cit., p. 79.
45 Ibid., p. 95.
46 « Car ils nous disent, n’est-ce pas ? les poètes, que c’est à des sources de miel, dans certains jardins et vallons des muses qu’ils butinent les vers pour nous les apporter […] et ils disent vrai : c’est une chose légère que le poète, ailée, sacrée, il n’est en état de créer qu’inspiré par un dieu, hors de lui et n’ayant plus sa raison ; tant qu’il garde cette faculté, tout être humain est incapable de faire œuvre poétique et de chanter des oracles » (Platon, Ion, 534 a-b, traduction de L. Méridier, Paris, Gallimard, 1992).
47 Agamemnon, notamment v. 710-719.
48 Respectivement dans Un prêtre marié et dans Une histoire sans nom. Calixte est décrite comme névrosée. Elle tombe périodiquement dans une catalepsie qui est associée à sa culpabilité. Lasthénie, violée lors d’une crise de somnambulisme par un prêtre de passage, fait un déni de grossesse. Le sentiment de sa faute allié à son incompréhension la pousse à se planter des aiguilles dans la poitrine. Elle finira par en mourir.
49 Respectivement aux pages suivantes et de manière non exhaustive : « folle » p. 953, 961, 965, 980, 1058, 1065, 1067 ; « enthousiasme » p. 953 et 1058 ; « exaltée » p. 957, 969 et 970 ; « inspirée » p. 980. (J. Barbey d’Aurevilly, Un prêtre marié, op. cit.)
50 Eschyle, Agamemnon, 1069.
51 J. Barbey d’Aurevilly, Un prêtre marié, op. cit., p. 958.
52 « De rares connaisseurs auxquels il s’était révélé disaient qu’il y avait en lui un robuste génie de conteur et de poète, un de ces grands talents genuine qui renouvellent, d’une source inespérée, les littératures défaillantes – mais il ne l’avait pas attesté, du moins au regard de la foule, dans une de ces œuvres qui font taire les doutes menteurs ou les incrédulités de l’envie. » (ibid., p. 878).
53 Ibid., p. 879.
54 Ibid., p. 884.
55 Ibid., p. 902.
56 Julie la Gamasse est une vieille mendiante contrefaite qui est également attachée à la lande. D’une repoussante laideur, elle est connue pour avoir mené, plus jeune, une vie dissolue et infâme. Elle insulte par deux fois Sombreval. Elle est la première dans le roman à faire peser le soupçon de l’inceste sur la relation de l’ancien prêtre et de sa fille. Sombreval la tuera pour la faire taire.
57 « Femme et vierge, étrangère et barbare : plus que n’importe laquelle de ses sœurs mythologiques, Cassandre convoque l’image de l’Autre », écrit M. Goudot, « Le motif dans le tapis pourpre », M. Goudot (dir.), Cassandre, op. cit., p. 7-15, p. 19.
58 « Je tiens à révéler tout de suite que les deux voies conduisent au même résultat, à savoir que l’inquiétante étrangeté est cette variété particulière de l’effrayant qui remonte au depuis longtemps connu, depuis longtemps familier. » (S. Freud, L’Inquiétante étrangeté et autres essais, traduction de B. Féron, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1985, p. 215).
59 H. Celdran Johannessen, Prophètes, Sorcières, Rumeurs. La Violence dans trois romans de Barbey d’Aurevilly (1808-1889), Amsterdam, Rodopi, coll. « Faux-Titre », 2008.
60 J. Barbey d’Aurevilly, Un prêtre marié, op. cit., p. 1057.
61 Ibid., p. 958, 1127 et 1058.
62 J. Giraudoux, La guerre de Troie n’aura pas lieu, Paris, Le Livre de poche, coll. « Classiques », 1972.
63 J. Laude, Le Dict de Cassandre, Paris, Fata Morgana, 1982.
64 Eschyle, Agamemnon, 1295.
65 « Or, un jour de certaine année, pendant les vacances, où elle s’était montrée plus acharnée que jamais contre les livres et les études de Jeannotin, comme elle l’appelait par mignonnerie, par manière de caresse, ils allèrent tous deux rôder du côté du mont de Taillepied, qui n’était pas loin de leurs chaumières ; et toujours elle le harcelant à propos de ses livreries, et lui s’échauffant contre ses reproches, il s’impatienta tout à fait, le bouillant jeune homme ! et, poussé à l’extrême, il finit par la mettre au défi, puisqu’elle en voyait si long et que d’aucuns la croyaient sorcière, de lui dire, une bonne fois pour toutes, ce qui arriverait de ses goûts d’apprendre et de son avenir. » (J. Barbey d’Aurevilly, Un prêtre marié, op. cit., p. 906).
66 Sur la rumeur, voir H. Celdran Johannessen, Prophète, Sorcières, Rumeurs, op. cit.
67 « Ces deux Noirs croyaient que Calixte mourait à chaque fois qu’elle tombait évanouie et qu’elle ressuscitait par la magie de Sombreval » (J. Barbey d’Aurevilly, Un prêtre marié, op. cit., p. 1119).
68 Ibid., p. 1059.
69 Ibid., p. 957 et 1048.
70 « Elle ne put, à ce qu’il paraît, résister à ce défi […] sans y répondre, et elle dit à Jean d’aller chercher de l’eau plein son écuelle, à la première mare qu’il rencontrerait au bas du mont, tandis qu’elle chercherait des herbes dont elle avait besoin pour son charme. » (ibid., p. 906-907).
71 Ibid., p. 1128.
72 « Elle était religieuse et même régulière dans ses dévotions » (ibid., p. 958).
73 Ibid., p. 904.
74 Ce glissement religieux est d’autant plus surprenant que Barbey, fervent admirateur de Joseph de Maistre, fait profession de détester le jansénisme (et a fortiori le protestantisme). L’hérésie latente qui court derrière les paroles de la Malgaigne est à plusieurs reprises soulignée aussi bien par Néel que par l’abbé Méautis sans que pour autant la trajectoire des personnages détrompe les dires de la prophétesse.
75 « Nous autres femmes, nous gardons toujours une faiblesse pour l’homme qui nous fait connaître la vie… et il a p’t-être été pour toi c’ti là, la Malgaigne ? Et pourqué pas ? Il était bien capable de tout, c’t’abbé Sombreval. » (ibid., p. 1072).
76 Ibid., p. 962.
77 Ibid., p. 968.
78 « Vers ce temps-là, on vit dans le ciel, raconte-t-on, des signes effrayants, des météores de forme étrange, qui ressemblaient à d’immenses astres contrefaits, titubant, dans le ciel incendié, sous l’ivresse de la colère de Dieu qu’ils annonçaient. » (ibid., p. 891).
79 M. Bertrand, Pour un tombeau de poète. Prose et Poésie dans l’œuvre de Barbey d’Aurevilly, Paris, Classiques Garnier, coll. « Études romantiques et dix-neuviémistes », 2012, p. 509.
80 Aucun ne réussit tout à fait à incarner jusqu’au bout les promesses des héros dont ils sont les ombres et dont le destin tragique et épique semble vampiriser toutes leurs actions : Calixte ne réussit pas à sauver l’âme de son père ; Néel tombe amoureux, ne peut se faire aimer et, par deux fois, la mort qu’il appelle se refuse à lui ; Sombreval échoue à sauver Calixte.
81 « Lui [Sombreval], il avait TUÉ DIEU, autant que l’homme, cette méchante petite bête de deux jours, peut tuer l’Éternel – en le reniant ! C’était un ancien prêtre – un prêtre marié ! » (J. Barbey d’Aurevilly, Un prêtre marié, op. cit., p. 887).
82 « Jean, lui dit-elle d’un air étrange, prends garde à toi ! prends garde ! Tu joues avec ta perte. Va-t-en de cet étang et n’y rentre plus… La mort y couve pour toi… » (ibid., p. 963).
83 A. Iriarte montre que ce qu’Apollon retire à Cassandre est précisément ce peithos, cet art de persuader. Elle continue en écrivant : « Parole révélatrice des crimes passés et à venir, dans la famille des Atrides, le chant de Cassandre est sans doute peu enchanteur. » (« Le chant interdit de la clairvoyance », art. cit., p. 46).
84 J. Barbey d’Aurevilly, Un prêtre marié, op. cit., p. 980.
85 Ibid., p. 904.
86 Le destin d’Œdipe est fortement influencé par le caractère particulièrement ambigu des oracles qui lui sont délivrés. L’oracle de Delphes, qu’Œdipe consulte après avoir été traité de bâtard, prédit son futur parricide et son inceste sans lui révéler l’identité véritable de ses parents. Il fuit donc Corinthe et se précipite à Thèbes où il tue son père biologique. Après avoir délivré la ville de la menace du Sphinx, il remporte la main de la reine Jocaste, sa mère ne sachant pas qu’il vient ainsi de réaliser la prophétie qu’il voulait fuir.
87 La thèse de M. Bertrand interroge – et met en lumière – l’importance de la poésie dans l’œuvre de Barbey d’Aurevilly. L’épopée que se veut Un prêtre marié – présentée comme un « chant perdu », etc. – est désenchantée. « De fait, l’introduction du Prêtre marié est un prologue et non un prélude : le chant est perdu et la prose du roman apparaît bien comme une “autre voix” qui se déploie “en contre-chant, en contrepoint” du poème épique disparu, qu’elle contrefait de façon plus ou moins heureuse. » (Pour un tombeau de poète, op. cit., p. 508).
88 J. Barbey d’Aurevilly, Un prêtre marié, op. cit., p. 879.
89 Ibid., p. 953.
90 « Sombreval, lui, sut pourquoi ce changement de costume et de tenue, dans une femme qui fixait plus l’attention que les châtelaines du pays dans leurs châtellenies. » (ibid., p. 1064).
91 Jeanne et Hermangarde de Marigny, la rivale angélique de Vellini, sont toutes les deux averties de leur destin par un récit apparemment anodin. Hermangarde se voit raconter par le père Griffon, un ancien pêcheur, l’histoire de la Blanche Caroline. Blonde et frêle jeune fille qui hante encore les côtes, cette dernière a été ensablée vivante par le capitaine du navire sur lequel elle vivait. Confondue avec le fantôme de la fillette dont elle emprunte la pâle beauté, la femme de Ryno sera également emmurée dans son propre silence. Dans L’Ensorcelée, le récit que fait la Clotte à Jeanne sera également sans effet et elle ne tirera aucune des leçons de cette Dlaïde rendue folle d’amour par Jéhoël. Jeanne persistera dans son erreur et dans ses errements au point de se suicider.
92 Pour cette question, cf. P. Auraix-Jonchière, « Splendeur et misère de la magicienne chez Barbey d’Aurevilly. », S. Bernard-Griffiths et J. Guichardet (dir.), Image de la magie, Fées, Enchanteurs et Merveilleux dans l’imaginaire du xixe siècle, Paris, Les Belles Lettres, 1993, p. 88-114.
93 J. Barbey d’Aurevilly, Un prêtre marié, op. cit., p. 960.
94 Le mythe d’Arachné apparaît en effet, peut-être plus encore que celui de Procné, comme une métaphore de l’acte poétique. Arachné, une merveilleuse tisseuse, est louée par tous mais refuse d’être jugée moins talentueuse qu’Athéna. Pour prouver sa valeur, elle décide de mettre au défi la déesse. Courroucée, cette dernière se dissimule sous les traits d’une vieille femme pour juger autant du travail que de la réalité des propos orgueilleux de sa rivale. Agacée de son arrogance persistante, Athéna révèle qui elle est et décide de relever le défi lancé par Arachné. Elle se met à tisser la splendeur des dieux tandis que l’humaine tisseuse préfère s’atteler à leurs faiblesses. Envieuse du triomphe de la jeune femme, Athéna arrache sa toile et la transforme en araignée (Ovide, Métamorphoses, VI, 1-145).
95 J. Barbey d’Aurevilly, Un prêtre marié, op. cit., p. 965.