1 Je rappelle pour mémoire que ces armes lui ont été forgées par Héphaïstos.
2 C’est ce que fait par exemple C. A. Trypanis, Greek Poetry from Homer to Seferis, Londres - Boston, Faber and Faber, 1981 ; la position de L. Canfora, dans Storia della Letteratura greca, Rome - Bari, Laterza, 1986, est plus nuancée ; il rappelle que l’on proposait aussi les noms de Leschès ou d’Homère pour ce poème.
3 Trypanis cite comme auteurs auxquels on l’a attribuée Leschès de Mytilène ou Pyrrha, Thestorides de Phocée, Cynaethon et Diodore d’Érythrée. Nous ne connaissons de ces textes que les résumés qu’en a faits Proclos dans sa Chrestomathie (A. Severyns, Recherches sur la Chrestomathie de Proclos, Paris, Les Belles Lettres, 1963). Aethiopis, 191-203 : « Achille met en fuite les Troyens et comme il se précipite dans la ville, il tombe sous les coups de Pâris, aidé par Apollon. Autour du cadavre s’engage une lutte acharnée. Ajax, fils de Télamon, le tire de la mêlée et le porte jusqu’aux nefs, tandis qu’Ulysse, en arrière-garde, repousse les Troyens. Ensuite les Grecs enterrent Antiloque et exposent le cadavre d’Achille. Thétis, venue avec les Muses et ses sœurs, fait la déploration de son fils. Après quoi, Thétis dérobe son fils au bûcher funèbre et le transporte dans l’Île Blanche. Les Achéens lui élèvent un tertre et instituent des jeux funèbres en son honneur. Et au sujet des armes d’Achille survient une dispute qui oppose Ulysse et Ajax. » (καὶ περὶ τῶν Ἀχιλλέως ὅπλων Ὀδυσσεῖ καὶ Αἴαντι στάσις ἐμπίπτει) Cetera Ilias Parva, 204-210 : « Vient ensuite la Petite Iliade en quatre livres, par Leschès de Mytilène, dont voici le contenu. A lieu le jugement pour l’octroi des armes d’Achille. Ulysse les obtient par la volonté d’Athéna, tandis qu’Ajax en perd la raison, ravage le butin des Achéens et se suicide. » (Ἡ τῶν ὅπλων κρίσις γίνεται καὶ Ὁδυσσευς κατὰ βούλησιν Ἀθηνᾶς λαμβάνει, Αἴας δ᾽ ἐμμανὴς γενόμενος τήν τε λείαν τῶν Ἀχαιῶν λυμαίνεται καὶ ἑαυτὸν ἀναιρεῖ.)
4 Homère, Iliade, VII, 211 (édition de P. Mazon, Paris, Les Belles Lettres, « CUF », 1987).
5 Ibid., 219-220.
6 Homère, Odyssée, XI, 467-470 (édition de V. Bérard, Paris, Les Belles Lettres, « CUF », 1987). On retrouve le même vers formulaire à plusieurs reprises (par exemple Odyssée, XXIV, 17-18).
7 Sophocle, Ajax, 89-96 (édition d’A. Dain avec la traduction de P. Mazon, Paris, Les Belles Lettres, « CUF », 2009 [1958]).
8 Ibid., 545-549 et 556-557.
9 Ajax n’est jamais vaincu, mais pas toujours vainqueur. Au chant VII de l’Iliade, le combat avec Hector s’achève sans vainqueur ; au chant XXIII, face à Ulysse, Ajax est loin de l’emporter.
10 Posthomerica, III, 228-232 (édition de F. Vian, Paris, Les Belles Lettres, « CUF », 1966).
11 Dictys est censé avoir participé au siège de Troie, mais son œuvre date probablement du ier s. ; nous n’en connaissons qu’un fragment et une traduction latine datée entre le iie et le ive s.
12 Éphéméride, II, 27 (je suivrai ici la traduction de G. Fry dans Récits inédits sur la guerre de Troie, Paris, Les Belles Lettres, coll. « La roue à livres », 1998).
13 Cette opposition s’inspire de celle qu’a utilisée J. Starobinski, Trois fureurs, Paris, Gallimard, 1974, p. 23, qui comparait, lui, les épithètes monotropos et polytropos, dans un contexte assez différent, monotropos qualifiant chez lui l’homme « d’une seule vertu ».
14 Par une ironie étrange de la tragédie, la mise en scène du suicide chez Sophocle suppose des contorsions compliquées, liées à son invulnérabilité. En effet, si la localisation du point vulnérable varie d’un auteur à l’autre (l’aisselle, le plus souvent), le luxe de précautions qu’Ajax prend chez Sophocle (v. 815-822) pour mourir sans souffrir suffit à indiquer que l’opération n’est pas aisée.
15 Le mot désigne la renommée, la gloire que le héros homérique vient chercher sur le champ de bataille, et que le poète lui procurera en chantant ses exploits.
16 Sophocle, Ajax, 419-426.
17 Homère, Iliade, VII, 206.
18 Ibid., 211-215.
19 Le Messager rapporte les propos d’Ajax tenus devant la déesse : « comme la divine Athéna l’invitait à tourner son bras meurtrier du côté de l’ennemi, il lui fait cette réponse effrayante, inouïe : “Va assister, maîtresse, les autres Argiens, ce n’est pas où je suis que le front craquera.” » (Sophocle, Ajax, 771-775).
20 On appelle ainsi le jugement pour l’octroi des armes d’Achille. La formule figure dans la Petite Iliade.
21 Sophocle, Ajax, 7-10.
22 Ibid., 25-28.
23 Ibid., 41.
24 Ibid., 43.
25 ῥαχίζων, ibid., 56. Le verbe signifie d’abord « briser l’échine dorsale » (ῥάχις) et se dit particulièrement du sacrificateur avec sa victime. Traduire ici à l’aide du verbe « assommer » fait perdre ce que le mot en grec peut avoir d’ironique, puisqu’il transforme la scène en un simulacre de sacrifice. Traduire « dont il va brisant l’échine à la ronde » éviterait, nous semble-t-il, cet inconvénient.
26 Ibid., 51-56 et 66 ; περιφανῆ νόσον, 66. L’épithète signifie que cette démence « brille partout à la ronde ». C’est ce qui va convaincre Ajax qu’il est devenu la cible d’un rire universel et le poussera à se suicider.
27 Ibid., 101-102 et 105-106.
28 Ibid., 114-115.
29 Tout au long de notre épisode, le rôle joué par Ulysse est d’une complexité surprenante : ici, il se montre plus sage et tolérant que la déesse vis-à-vis de son rival juré, comme au dénouement, quand il fait pencher la balance vers l’octroi d’une sépulture à ce même Ajax.
30 Dans son Éphéméride, II, 18, Dictys de Crète affirmait qu’Ajax, après avoir tué Teuthras, roi de Phrygie, s’était emparé de Tecmessa, fille du roi. Cf. G. Fry, Récits inédits sur la guerre de Troie, op. cit. Dans une note, G. Fry précise ceci : « Homère (Iliade, 1, 138) prête une concubine anonyme à Ajax. Sophocle (Ajax, 324) nous apprend qu’il s’agit précisément de Tecmessa (cf. aussi 2, 19), fille de Teleutas, et non de Teuthras. La confusion vient de ce que les deux rois ont des noms qui font paronomase, et règnent presque dans la même région : Teuthras, le père adoptif de Télèphe, a régné sur la Mysie, immédiatement au sud de la Phrygie. Selon Sophocle (Ajax, 510) Ajax ne l’aurait pas tué » (ibid., p. 127).
31 Sophocle, Ajax, 214-220.
32 Ibid., 260-262.
33 Chez Quintus, pas de Tecmesse ; c’est au milieu des bêtes qu’il a massacrées qu’Ajax retrouve ses esprits, comprend seul le désastre (Posthomerica, 456-459).
34 Sophocle, Ajax, 317-320. On remarquera les échos euphoniques d’une séquence comme ἐξῴμωξεν οἰμωγὰς λυγράς.
35 Ibid., 326.
36 Ibid., 321-325.
37 Ibid., 401-402.
38 Je rejoins sur ce point les analyses formulées par J. Starobinski, Trois fureurs, op. cit., p. 42-43. On trouve chez A. Machin une analyse très fine de la culpabilité d’Ajax chez Sophocle, qui met, elle, l’accent sur la différence de traitement entre le début et la fin de la tragédie, qui réhabilite partiellement le héros. Voir Cohérence et Continuité dans le théâtre de Sophocle, Québec, S. Fleury, 1982. J. C. Kamerbeek, plus radicalement, croit à une injustice fomentée par les Atrides ; voir The Plays of Sophocles. Commentaries, part I, Leyde, Brill, 1963.
39 Sur l’orientation péjorative du mot κόμπος, P. Chantraine donne comme définition : « un “bruit retentissant”, dit chez Hom. des pas de danseurs (Od. 8, 380) […] ; d’où “bruit, jactance, vantardise” (Hdt., Th., trag., Ar.) », Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, Klincksieck, 1990.
40 Sophocle, Ajax, 762-769.
41 Ibid., 770-777.
42 On trouve l’indication dans l’article suivant : J. Svenbro, « Un suicide théologiquement correct. Sur l’Ajax de Sophocle », Études littéraires, 33 (1), 2001, p. 113-127, p. 114. P. Mazon, lui, attribue ce détail à la légende même du héros : « La légende racontait qu’Ajax avait effacé de son bouclier la figure d’Athéna. » (Sophocle, Ajax, 775, n. 3).
43 M. David-Jougneau, « Ulysse médiateur ou comment sortir de la logique de la vengeance », Droit et Société, 29, 1995, p. 11-24, p. 13. Sept siècles après Sophocle, Quintus évoquera à sa façon le moment crucial où Ajax hésite sur le contenu de sa vengeance : « Mais Ajax a si grand courroux contre les Argiens qu’il en oublie dans sa baraque la nourriture douce comme miel et qu’il résiste à l’étreinte du sommeil. Furieux, il revêt son armure ; il prend son glaive aigu, tout en roulant mille pensers ; va-t-il brûler les nefs et massacrer tous les Argiens ? Se contentera-t-il, avec son glaive lourd de sanglots, de mettre en pièces sans retard Ulysse le fourbe ? Tels sont ses desseins. » (Posthomerica, V, 352-359).
44 M. David-Jougneau, « Ulysse médiateur », art. cit., p. 12.
45 Sophocle, Ajax, 434-440.
46 Homère, Odyssée, XI, 544-547.
47 Notice des Posthomerica, II, p. 7-8.
48 W. T. Allen, Homeri Opera, t. V (Oxford, Clarendon Press, 1908), Ilias Parva, II, schol. Aristophanis Eq. 1056, p. 129 (traduction personnelle).
49 Ibid., p. 130.
50 On mentionnera surtout la version de Quintus, qui développe une indication figurant dans l’Odyssée, selon laquelle Thétis, mère d’Achille, déclare que les armes de son fils, qu’Héphaïstos en personne a forgées pour lui, reviendront à « celui qui sauva sa dépouille et se montra le meilleur des Achéens. » (Posthomerica, V, 125-127)
51 On remarquera que dans le dialogue des deux jeunes Troyennes, le ton de la seconde, qui défend Ulysse, est plus posé, utilise le questionnement et l’humour, comme pour figurer par là une différence entre les deux héros.
52 Sophocle, Ajax, 293 : Γύναι, γυναιξὶ κόσμον ἡ σιγὴ φέρει.
53 Ibid., 296-297.
54 Ibid., 301-304.
55 J. Starobinski, Trois fureurs, op. cit., p. 44, n. 1. Zenobius, au début du iie siècle, écrivait sur ce point : « Le rire d’Ajax (Αἰάντειος γέλως) ; au sujet de ceux qui rient d’une façon démente. Ajax, en effet, frappé de démence et de folie à cause de la préférence accordée à Ulysse pour l’attribution des armes d’Achille, s’élança armé d’une épée sur les Grecs et s’étant dirigé vers leurs troupeaux, égaré par la volonté des dieux, les massacra comme si ceux-ci étaient des Achéens. Alors, après s’être emparé des deux plus grands béliers comme s’il avait enchaîné Agamemnon et Ménélas, il les fouetta et se moqua d’eux dans sa démence. Plus tard, ayant recouvré sa raison, il se suicida. » (Centuria I, 43, dans le Corpus Paroemiographorum Graecorum, édition d’E. L. Leutsch et F. G. Schneidewin, t. I, Hildesheim, Olms, 1958 ; traduction personnelle). Dans Le Rire et les Larmes dans la littérature grecque, d’Homère à Platon, Paris, Les Belles Lettres, 1990, D. Arnould consacre un chapitre au « rire dément ». On y trouve (p. 229) cette remarque intéressante sur celui d’Ajax : « Maladie envoyée par une divinité, cette folie d’Ajax se déroule en trois temps scandés par le rire de triomphe et l’insulte (cf. v. 303), l’atonie d’après la crise (v. 311), quand le héros comprend mais se réfugie dans une sorte d’absence, puis les larmes et les souhaits de mort qui caractérisent le retour à la raison (v. 317 sq.). »
56 Sophocle, Ajax, 436.
57 Ibid., 372-376.
58 Ibid., 364-367.
59 Ibid., 380-382.
60 Ibid., 121-124.
61 Ibid., 462-465. P. Mazon ajoute en note qu’« après la prise de Troie, pour prix de sa vaillance, Télamon avait reçu d’Héraclès Hésioné, la propre fille de Laomédon et la sœur de Priam. ».
62 Ibid., 442-446.
63 La formule figure dans la Petite Iliade attribuée à Leschès, retranscrite dans la Chrestomathie : ῾Η τῶν ὅπλων κρίσις γίγνεται, « a lieu le jugement pour l’octroi des armes d’Achille » (A. Severyns, Recherches sur la Chrestomathie de Proclos, op. cit., p. 89).
64 Les travaux sur cette question ne manquent pas. Outre l’article de M. David-Jougneau cité plus haut (« Ulysse médiateur », art. cit.), on mentionnera J.-P. Vernant et P. Vidal-Naquet, La Grèce ancienne, t. 3, Paris, Seuil, 1992, p. 94 sq. (« Ajax ou la mort du héros ») ; M. Durand, La Compétition en Grèce antique, Paris, L’Harmattan, 1999, et Ajax fils de Télamon. Le Roc et la Fêlure, Paris, L’Harmattan, 2011.
65 Ajax, rappelons-le, va se suicider en se laissant tomber sur le glaive que lui a offert Hector – à l’issue d’un combat sans vainqueur –, qu’il a préalablement planté en terre pointe en haut.
66 Sophocle, Ajax, 654-660.
67 J. Park Poe, Genre and Meaning in Sophocles’Ajax, Francfort, Athenäum, 1987, p. 17, n. 21. L’auteur renvoie, parmi d’autres, aux travaux de L. Massa Positano, L’Unità dell’Aiace di Sofocle, Naples, Libreria scientifica editrice, 1946, p. 64-65 ; M. Sicherl, « Die Tragik des Aias », Hermes, 98, 1970, p. 14-37, en particulier p. 29-31 ; M. Simpson, « Sophocles’ Ajax : His Madness and Transformation », Arethusa, 2, 1969, p. 88-103, en particulier p. 88-89 ; W. Schadewaldt, « Aias und Antigone », Neue Wege zur Antike, 8, 1929, p. 61-109, en particulier p. 76-77 et 79-80 ; K. Reinhardt, Sophokles, Francfort, V. Klostermann, 1947, en particulier p. 32-33 et 36-37.
68 C’est la thèse défendue par J. Svenbro, « Un suicide théologiquement correct », art. cit., p. 118-122.
69 Pindare, Isthmiques, VI, 46-48 (édition d’A. Puech, Paris, Les Belles Lettres, « CUF », 1961). Des scholies sur l’Ajax de Sophocle apportent la preuve qu’Eschyle avait introduit ce récit dans ses Thrassaï, dont il ne reste quasiment rien.
70 Homère, Iliade, VII, 302.
71 Sophocle, Ajax, 837-840.
72 Ibid., 862-863.
73 Trois fureurs, op. cit. p. 60.
74 P. Mazon, dans la notice qui précède sa traduction du texte de Sophocle (p. 4), dit ceci : « Le lecteur moderne s’étonne au premier abord de ce prolongement inattendu d’un drame qu’il jugeait fini avec la mort d’Ajax. Il a peine à accorder à la question des funérailles l’intérêt qu’y pouvait trouver un public antique. » Dans un article essentiel, consacré au débat final sur la sépulture à accorder à Ajax, F. Blaise souligne avec clarté toute l’ambiguïté d’un dénouement qui voit Ajax obtenir d’Ulysse la restitution d’une gloire qui « contredit tout ce pour quoi Ajax s’est battu » (« Une polémique tragique : le second volet de l’Ajax de Sophocle », REG, 112, 1999, p. 383-408, p. 407).
75 Sophocle, Ajax, 1239-1247 et 1250-1254.