1 Article paru dans Management Avenir, 2010, numéro 35. Nous remercions la rédaction de cette revue de nous avoir autorisés à le reprendre dans le cadre du présent ouvrage.
2 Ainsi, la communication « Finance et Ethique : que nous apprend la crise financière dite des « subprimes » ? » au Workshop ISEG sur « Finance et Éthique : l’oxymore en question », Paris, 20.11.08 ; le forum 2009 du club recherche de l’IFA sur le thème « Gestion des risques et gouvernance d’entreprise », Paris, 14.05.09 ; la 8e conférence internationale de gouvernance (CIG 2009), Florence, 19.06.09 ; le séminaire estival 2009 de la SFM « En quoi la crise financière et économique mondiale nous amène à reconsidérer la recherche et l’enseignement en gestion ? », Lyon, 07.07.09.
3 Ainsi, le « Réseau international de recherche sur les organisations et le développement durable » (RIODD), le « Corporate Governance and Sustainabiliyt Research Group » (CGSRG), le collectif « Finance and Sustainability » (FAS 2010) qui s’est réuni périodiquement sur l’année 2009-2010, avec un track dédié au congrès mondial de l’IFSAM sur « Justice and Sustainability in the Global Economy », Paris, 09.07.10.
4 Parfois dénommée « finance classique », ou « finance institutionnelle », voire « folklore » (par Jensen qui n’hésite pas à déconsidérer ses contradicteurs cf. infra).
5 À de menues exceptions près (ex : modifications de l’objet d’étude liées aux conditions de laboratoire).
6 Ce concept de « prophétie auto-réalisatrice » (Self-Fullfilling Prophecy) avait été pointé, en sociologie, depuis longtemps, notamment par le grand sociologue /épistémologue américain R. K. Merton (1948). Sur le débat autour de ce concept, voir Berger et Luchmann (1966) et, pour une critique récente Hacking (2001).
NB Ne pas confondre ce Robert K. Merton (1910-2003), professeur de sociologie à Columbia, avec son fils Robert C. Merton (1944-…), professeur de finance au MIT (puis à Harvard), bien connu en finance pour avoir, parallèlement à F. Black et M. Scholes, mis au point la théorie des options, avancée importante de la finance scientifique, ce qui leur valu le prix de la banque de Suède dit « Nobel Économie » en 1997. Pour la petite histoire de la finance scientifique, lors de la remise du Nobel, R.C. Merton avait conclu son discours de présentation par une citation vantant le fonds d’investissement LTCM qu’il avait créé avec Scholes et d’autres chercheurs renommés, comme formant « The best finance faculty in the World » (cf. discours in site www.nobelprize.org). C’était moins d’un an avant la déconfiture spectaculaire de ce fonds qui a amené les autorités de tutelle à une intervention dite « de place » pour éviter un risque systémique. Bis repetita…
7 La également cette spécificité des SHS n’est pas sans risque : le chercheur pouvant passer de la posture « j’y crois parce que c’est vrai » à celle « c’est vrai parce que j’y crois » ! La limite est celle de la vieille méthode Coué… ou, pour employer une expression plus adéquate, le passage d’une posture fondée sur la Raison et l’expérience à une posture fondée sur la Révélation et l’affirmation, avec le risque d’enfermement dans un monde « enchanté » (au sens de M. Gauchet, 1985).
8 Selon l’expression de F. Lobez (échange avec l’auteur).
9 « Let Y be a random variable, i. e. a variable whose value is decided by chance » (Markowitz, 1952).
10 Ainsi le manuel de R. Goffin pose, en début d’ouvrage « une somme est risquée si cette somme est une variable aléatoire dont on connaît la distribution de probabilité » (Goffin, 1998 : 13).
11 Cf., parmi de nombreux manuels et ouvrages, l’un des plus achevé est celui de J. Tirole (2006).
12 Il est significatif que lors de la seconde édition de l’« Encyclopédie de la gestion », la finance de marché s’en est détachée, donnant lieu à une « Encyclopédie des marchés financiers ».
13 Nous employons à dessein cette expression fréquente chez M.C. Jensen et les zélateurs de la finance moderne qui ont coutume d’asséner leur auto-proclamation de la scientificité de leur approche, par opposition aux autres. M. C Jensen ne déteste pas la polémique ; à plusieurs reprises, il n’a pas hésité à dénigrer ses contradicteurs et, en revanche, à s’autoproclamer défenseur de « la Science » ! Ainsi, sur la question des OPA (Jensen 1984), il avait opposé la « science » (lui) au « folklore » (les autres). De même, son argumentaire sur le « marché du contrôle des firmes » (Jensen & Ruback, 1983) constituait « the scientific evidence » Dans sa critique de l’approche « parties prenantes » (Jensen, 2001) il va plus loin. Ainsi, caricaturant Freeman, il élargit le cercle des stakeholders aux « terrorists, blackmailers and thieves ». Pour lui, l’approche multi-variée requise par la conception « parties prenantes » ne vaut rien « Multiples Objectives is no Objective ». En revanche, sa position – maximiser la valeur de marché – est assise sur une longue tradition académique, donc elle est vraie « Two hundred years of work in economics and finance implies that… social welfare is maximized when each firm in an economy maximizes its total market value ».
14 « Un des impensés du débat sur les modèles financiers tourne autour de leur impact sur le réel. En fait ce n’est pas un impensé, c’est même théorisé par un sociologue écossais Donald MacKenzie, notamment dans son ouvrage “an engine, not a camera” où il fait l’histoire de la théorie financière à la Markowitz. Il montre comment Markowitz et Modigliani-Miller ont fait prendre à la théorie financière un tournant résolument anti institutionnel et mathématique, très marqué par l’épistémologie de Friedmann. Il montre comment ces nouveaux théoriciens de la finance ont été portés par le développement très rapide des marchés financiers qui créait une demande de formules d’évaluation. Mais, plus fondamentalement, sa démonstration montre que les modèles ont façonné la réalité des marchés financiers (d’où son titre : “un moteur, pas un appareil photo”, voilà ce que la théorie a été). » H. Rainelli-Le Montagner (2009 ; correspondance avec l’auteur).
15 « Les modèles de gestion de portefeuilles, et plus encore les modèles de prix des options, ne sont pas seulement des modèles qui donnent une représentation du marché. Ils sont normatifs et performatifs. Ils indiquent ce qu’il faut faire sur ce marché et construisent cette réalité de marché » (M. Amatte, commentaire à l’exposé de N. EL Karoui, 2009).
16 Même les tenants du calcul probabiliste en conviennent : « Dans les marchés financiers… on s’intéresse de près à ces évènements rares. La crise financière relance l’intérêt pour ces questions » (El Karoui, 2009). L’image classique est souvent donnée de la dinde bien nourrie tous les jours et sacrifiée une fois dans l’année – lors du « Thanksgiving Day ». Pour cet animal, la VaR est excellente au seuil de 99 % ! On pourrait prendre des exemples comparables avec les parachutes de secours, les airbags…, tous les éléments à faible probabilité mais aux conséquences qui peuvent être dramatiques. Cf. les « cygnes noirs » dont parle Thaleb (2009), relayant les critiques apportées depuis longtemps par Mandelbrot (1997).
17 Ainsi le montant des positions sur les CDS – credit default swaps – s’élevait en 2008 à 50 trillions US$, soit l’équivalent du PIB mondial – dont 17 trillions pour la seule banque JP Morgan.
18 La mise en faillite de Lehman Brothers a constitué le contre-exemple justifiant a contrario la règle ; les observateurs s’accordant pour dire que les autorités de tutelle auraient dû intervenir à l’instar de ce qu’elles avaient fait quelques années avant pour le fonds LTMC ou les caisses d’épargne américaines.
19 C’est même un métier (de certains consultants, notamment en fiscalité) de rechercher ces « effets d’aubaines » qui permettent à leurs clients, ici de bénéficier d’un avantage, là d’échapper à une contrainte (ex : impôt) sans relation directe avec l’esprit qui a présidé à l’établissement de la mesure concernée.
20 Le degré de variété du système de contrôle doit être au moins égal à celui du système contrôlé cf. Asby W.R. (1958), Mesarovic M.D. et al. (1970).
21 Cependant, des chercheurs, bien avant la crise actuelle, avaient attiré l’attention sur les problèmes posés. On mentionnera en France M. Aglietta, H. Bourguinat et E. Briys, F. Morin, A. Orléan, O. Pastre, Hors France, citons l’Observatoire de la Finance (Genève - CH) et sa revue Finance et bien commun (P. H. Dembinski), aux USA les travaux de P. Jorion, de Shiller, de Taleb… (cf. Bibliographie).
22 Cf. le chapitre sur « Asset-Backed Securities » dans le traité de J. Lederman (1987), ainsi que le chapitre « Titrisation : analyse économique et financière » de Y. Simon et D. Lautier (2009).
23 Plus précisément, dans la galaxie des ABS, les titres adossés à des crédits hypothécaires immobiliers, dont font partie les crédits subprimes, constituent une catégorie dite RMBS (Residential Mortgage Backed Securities).
24 On donnera comme exemple l’injonction récemment émise par un collègue d’une grande université parisienne « Il est temps que l’industrie financière utilise des modélisations aussi éprouvées que celles mises au point dans d’autres industries sensibles comme l’industrie nucléaire ou celle du médicament » (colloque sur la refondation de la finance, Paris, 27.11.09).
25 « J’ai appelé paradigmes, les découvertes scientifiques universellement reconnues qui, pour un temps, fournissent à une communauté de chercheurs des problèmes types et des solutions » (Kuhn, 1983 : 11).
26 « Du coup la défense de la finance mathématique selon laquelle elle n’a aucune responsabilité dans les bulles doit être nuancée. Il est tout à fait vrai qu’il y a eu des bulles avant la finance mathématique. Mais il est vrai aussi que les dérivés ont historiquement joué à plusieurs reprises un rôle trouble. Or la théorie financière mathématique est la matrice qui a permis, au moins dans une certaine mesure, l’explosion récente des innovations financières, autrement dit de nouveaux dérivés. » Rainelli-Le Montagner H. (2009), correspondance avec l’auteur.
27 Ainsi le couplage École Polytechnique-Master de « Probabilités et Finance » de Paris 6 (Mme El Karoui) constitue le parcours de formation de référence des opérateurs de marché, cursus prisé par les gestionnaires de fonds, tant en France qu’à l’international.
28 Pour renvoyer à une note citée supra, la formation des financiers aurait à apprendre autant de R. K. Merton, 1948 (The Self-Fullfilling Prophecy) que de R. C. Merton, 1973 (Theory of rational option pricing). On ne peut exclure que le père ait donné une leçon de psychologie à son Nobel de fils après la faillite du fonds LTCM en 1998.