La notion de « signifiance » et la transformation de l’herméneutique
p. 49-65
Note de l’éditeur
Traduit de l’allemand par Christophe Martin.
Texte intégral
1. Introduction
1Le fait incontestable qu’un même texte puisse sans cesse faire l’objet d’interprétations très disparates, toujours nouvelles et différentes, amène les uns à y voir un terrain pour montrer la fertilité des sciences humaines ou l’historicité inévitable de l’interprétation, tandis que d’autres, comme E.D. Hirsch, considèrent la confusion des interprètes comme une « Babel des interprétations » qui discrédite ces disciplines en tant que sciences et doit pour cette raison être dépassé.1 Umberto Eco a d’abord soutenu l’une, puis l’autre tendance. Dans ses exposés sur l’œuvre d’art ouverte, ce dernier a clairement montré que le récepteur d’une œuvre est sans cesse amené dans l’art d’aujourd’hui à combler des cases vides à l’aide de son imagination et à générer du sens2. Mais lorsque s’installa l’habitude qui consistait à voir dans chaque lecture de texte – Eco s’appuie ici sur Lichtenberg – une sorte de pique-nique où l’auteur n’apporte que les saladiers et le lecteur le menu, il souligna que l’arbitraire de l’interprétation se voit toujours imposer des limites par le texte même3. A l’opposé de la thèse de Gadamer du « toujours comprendre autrement » et de la conception de Derrida d’un sens qui continuellement s’échappe et dérive, les récents retours à l’herméneutique des Lumières4 sont autant de tentatives de fixer un contenu sémantique immuable des énoncés et ainsi de garantir à l’interprétation le statut de démarche scientifique.
2. L’emphase dans l’ancienne herméneutique
2L’herméneutique ancienne connaissait déjà un domaine dans lequel il s’avérait difficile de trouver un sens clairement délimité et univoque : il s’agit de « l’emphase », c’est-à-dire – comme on le traduisit en allemand à l’époque – « l’accentuation » [Nachdruck] de l’affirmation. Notion et problématique de l’emphasis furent reprises de la rhétorique antique par l’herméneutique, et les thèses développées par Johann Martin Chladenius sur l’accentuation dans sa théorie de l’interprétation de 1742 font encore autant partie de la rhétorique que de l’herméneutique. Les exemples qu’il prend montrent clairement de quoi il est question : si l’on dit que « la peste est l’un des plus grands maux », la phrase est dépourvue de toute accentuation ; mais si l’on dit de la peste qu’elle est « l’une des pires calamités publiques », alors nous sommes en présence d’une phrase accentuée et emphatique. On observe la même différence entre les expressions « les ennemis se livrent bataille » et « entre les ennemis la bataille fait rage »5. Il incombe donc à un auteur de choisir les mots justes et appropriés pour que l’accentuation soit bien comprise du lecteur. Chacun doit pour cela avoir connaissance de la véritable signification des mots, à l’instar de la différence évoquée entre « se livrer bataille » et « (la bataille) faire rage ». Chladenius attire donc notre attention sur le fait que les signes langagiers ont chacun une tonalité propre fondée sur leurs dénotations (significations) et leurs connotations (associations). Chladenius estime que pour obtenir une accentuation juste et appropriée, on peut tirer profit tout particulièrement de la métaphore, ou expression imagée. Elle devient nécessaire quand la langue ne dispose d’aucun mot courant ou approprié, ou quand l’expression de l’accentuation recherchée nécessite un trop grand nombre de mots6. La métaphore a donc le pouvoir de « dégager l’essentiel » d’un état des choses et ce faisant, Chladenius justifie déjà l’expression imagée comme « expression prégnantes », comme Georg Misch le fera aussi très clairement beaucoup plus tard. D’après Chladenius cependant, de nouvelles expressions imagées apportent souvent au lecteur des difficultés de compréhension. Ce dernier peut rester extérieur à leur sens, de telle manière qu’il peut considérer ces métaphores comme vides ou insignifiantes, ou au contraire leur prêter une profondeur à laquelle l’auteur n’avait pas pensé lui-même7. Pour cette raison, l’herméneutique de Chladenius se donne pour tâche de fournir des règles à celui qui doit comprendre et interpréter un texte, et il nous conseille d’envisager à chaque fois le contexte et la manière de penser de l’auteur, de rechercher des parallèles et de former des hypothèses ; la probabilité de bien comprendre le sens d’un passage sera d’autant plus grande s’il est bien replacé dans son contexte.
3Dans l’exégèse biblique tout particulièrement, l’hermeneutica sacra, la compréhension de l’emphase ou de l’accentuation était de la plus haute importance car il était finalement question ici de la parole divine, et les querelles théologique furent le plus souvent avant tout des querelles d’exégètes. Faut-il voir ou ne pas voir dans « l’amour de Dieu » (Romains – 5,5) également l’amour que l’on porte à Dieu ? Est-il question ici de l’amour que Dieu a suscité entre les hommes ?8 Si l’on prend en compte l’inspiration verbale, on est tenté de ne voir nulle part des répétitions et de découvrir partout un sens nouveau et, si possible, profond. La théologie rationaliste des Lumières en revanche était plutôt encline par nature à ne lire dans les Ecritures que le sens que la raison jugeait acceptable, en conséquence de quoi le sens entendu et sous-entendu s’en trouvaient réduits, et l’on crut voir de nombreuses répétitions dans le canon biblique. Dans ce contexte, on comprend aisément que dans ses leçons sur l’herméneutique dispensées à des étudiants en théologie, Schleiermacher ait pu dire que les nouveaux interprètes découvrent une quantité de tautologies et de synonymes là où les anciens ne voyaient qu’emphase et sens profond – il importe, toujours selon lui, de ne pas trop surinterpréter ni de sous-interpréter les textes bibliques9. Comment dès lors trouver le juste milieu, et comment décider du champ sémantique dans lequel une expression est employée ? Ici, Schleiermacher suit la direction préconisée par Chladenius pour l’interprétation des textes profanes : l’interprétation d’un passage doit être en harmonie avec le contexte, avec la « tonalité d’ensemble » de la chose à interpréter, et elle doit prendre en compte l’état de la langue à un moment donné ; en effet, l’Ancien Testament a dû désigner dans une langue plus ancienne de nouvelles nuances, ce qui explique sa propension aux élargissements de sens et à l’emphase10. Toutefois, il est quasiment impossible de trouver des règles générales susceptibles de délimiter le champ sémantique. Dans ce face à face entre une pratique d’interprétation ancienne qui tente de discerner la part de profondeur que le Saint Esprit adjoint à chaque terme de la Bible, et le rationalisme théologique des Lumières dont l’interprétation de la Bible est limitée par une grille de lecture propre, celle de la raison, Schleiermacher souhaite explorer ce que les textes bibliques peuvent dire d’eux-mêmes, et pour cela il pose comme condition que la profusion des interprétations possibles doit être limitée par la situation historique de chaque auteur. Que la « tonalité d’ensemble » susdite doive être ramenée selon Schleiermacher à chaque auteur constitue précisément l’intention principale de l’interprétation « technique » ou « psychologique ». Même si d’après Schleiermacher on parvient à limiter le champ d’interprétation de l’emphase, l’interprétation peut alors devenir une entreprise ouverte et infinie, c’est à dire quand « l’emploi d’un terme emphatique permet d’exprimer toutes les significations secondaires qu’il peut susciter »11.
3. La signifiance en esthétique et en critique
4Schleiermacher cessa de traduire l’ancienne notion rhétorique d’emphasis par « accentuation » (Nachdruck), il lui préféra le terme de « signifiance » (Bedeutsamkeit), qui était encore assez nouveau à l’époque dans la langue allemande. Ce terme permettait à la fois de désigner l’importance et la forte influence qu’une chose pouvait avoir sur une autre, tout en préservant l’abondance des significations indéterminées. C’est sous cette dernière acception que ce terme fut utilisé principalement dans la philosophie de l’art à partir de 1800. Friedrich Schlegel considérait tout particulièrement la poésie romantique comme « signifiante »12 car son contenu n’est pas limité – comme chez les Anciens – à une mythologie préexistante. Dans le domaine musical, Schleiermacher voyait déjà dans la note pure et isolée une « signifiance » car elle indiquait selon lui une concordance mystérieuse de l’esprit artistique et de la nature.13 Schopenhauer découvrit dans la peinture historique une « signifiance intérieure » car il s’y manifestait à ses yeux une profonde compréhension de l’idée d’humanité14. La différence entre ces formulations et les commentaires plus anciens autour de l’emphase réside dans le fait que la signifiance ne sera plus uniquement déduite de l’intention consciente d’un auteur, mais que ce sera désormais le philosophe de l’art qui par tâtonnements tentera de dire dans quelle mesure et pourquoi une chose est signifiante. C’est avec cette nouvelle conception de l’art que ce mot s’est donc imposé. Dans la pure musique instrumentale, on ne trouvait plus d’affects précis, qu’ils fussent désignés ou exprimés, mais elle n’en était pas pour autant un jeu vide de contenu avec des notes – elle était signifiante, ce qui veut dire qu’elle possède un contenu qui se laisse difficilement saisir et exprimer par les mots. Kant lui-même avait posé les jalons de cette conception de l’art : en disant qu’une « idée esthétique » place l’imagination dans un champ libre et qu’elle donne beaucoup à penser sans pour autant que son contenu se laisse dire par des notions, n’annonçait-il pas la fin d’une interprétation artistique exhaustive ? Et quand on lit chez Kant que c’est la nature qui prescrit ses règles au génie, l’œuvre d’art pouvait-elle encore s’expliquer comme seule intention consciente de l’artiste ?15
5Si la théorie de l’art en arrive à considérer que les chef d’œuvres ne trouvent plus leur fondement dans la technique et dans la maîtrise des règles, mais au contraire dans les facultés du génie, lesquelles offrent peu de prise à une approche rationnelle, alors cela signifie pour l’interprétation de l’art que toute interprétation est en droit et a même le devoir d’aller au-delà de l’horizon intentionnel de l’auteur, et aussi qu’aucune interprétation ne sera plus en mesure de dire complètement par les mots le contenu d’une œuvre d’art. Cette tendance s’observe déjà et surtout dans les notes sur l’herméneutique de Friedrich Schlegel. Que des textes puissent en dire davantage que ce que leur auteur a l’intention de leur faire dire avait entraîné Chladenius dans des contradictions. D’un côté, il affirmait en effet que des écrits sont « incompréhensibles » à partir du moment où ils expriment plus que la pensée de l’auteur, puisque comprendre, c’est percevoir la pensée d’autrui, l’« entendre ». Mais dans le même temps, il déclarait avec insistance que ces mêmes textes sont productifs, et il posait qu’une compréhension parfaite allait de pair avec l’exposition de toutes les implications ainsi que des conséquences déductibles de ce qui est écrit16. Pour Friedrich Schlegel, ce sont là deux tâches que tout interprète se doit de faire coïncider. Selon lui, il s’agit dans un premier temps de comprendre un auteur aussi bien qu’il s’est compris lui-même, puis de le comprendre mieux que lui-même17 : et qu’une interprétation en dise plus que ce que l’auteur voulait dire lui-même sera dès lors un fait reconnu par tous. Dans le domaine de la critique d’art précisément – auquel Schlegel voue le plus grand intérêt – l’accent s’est déplacé vers la seconde de ces tâches, vers le mieux-comprendre. Cela ne signifie pas que l’interprète doit être supérieur à l’auteur, qu’il a la capacité et la mission de mieux comprendre la « chose », mais qu’il apporte sans cesse de nouveaux éclaircissements sur le contenu sémantique des chef d’œuvres qu’il analyse, et ce y compris dans les cas où le sens n’apparaissait peut-être pas clairement aux auteurs eux-mêmes. Des œuvres comme celles de Lessing peuvent et doivent, selon Schlegel, être l’objet d’un questionnement sans cesse renouvelé car l’esprit de Lessing serait à l’en croire absolument « inépuisable »18. Schlegel n’emploie pas dans ce contexte la notion de signifiance, mais il prête aux œuvres d’art exactement les attributions que cette notion véhicule. Et ce qui est nouveau ici réside dans la richesse du sens dont aucune interprétation n’est en mesure de faire le tour et qui laisse toujours davantage pressentir les choses qu’elle ne les dit vraiment. Certes, cette « insondabilité » des grandes œuvres s’explique par le caractère « inépuisable » de la « vie intérieure propre » du génie19, mais Schlegel n’en tire pas de règles pour l’interprétation. D’une manière générale, Schlegel n’a manifestement pas cherché à imposer des limites à l’interprétation ; il s’inquiétait plutôt de ce que l’on puisse se contenter trop vite d’une interprétation acquise d’un seul coup et couper court à tout autre effort de compréhension. « C’est pourquoi à l’affirmation courante selon laquelle tout aurait déjà été dit […], nous nous devons dans ce genre d’affaire de rétorquer par l’affirmation opposée : « rien n’a encore véritablement été dit » ; pourquoi penser en effet qu’il ne serait plus nécessaire de dire plus, ni possible de dire mieux ? »20 A l’instar du Saint Esprit qui, dans la tradition théologique, avait donné à chaque phrase de la Bible un sens profond, l’esprit artistique engendre selon Schlegel, par le biais des génies, des œuvres qu’aucun interprète ne peut sonder dans leur profondeur. Mais tandis que cette herméneutique théologique se mouvait dans le cadre d’une dogmatique que l’exégète n’était pas autorisé à remettre en cause, mais au contraire ne pouvait toujours que confirmer, Schlegel restreint son champ d’investigation à une réflexion provisoire sur la philosophie de l’art qui ne peut pas lui mettre de bornes. Conséquence de la pensée de Schlegel, la signifiance ou la non-signifiance d’une œuvre est fonction de la richesse des interprétations qu’elle autorise ou même qu’elle provoque.
4. Histoire
6Que le sens d’un texte puisse aller au-delà des intentions de son auteur avait mis l’herméneutique de Chladenius en difficulté, mais pour Schlegel et son époque, c’était déjà devenu un cas normal, en tout cas dans le domaine des grandes œuvres d’art. Il s’ensuit que si le génie est maintenant au centre de la critique d’art et fait son admiration, il perd de son droit de regard sur l’interprétation de ses œuvres puisqu’on abandonne la condition selon laquelle le sens est entièrement voulu et visé par l’auteur et que ce sont désormais essentiellement les interprètes qui statuent sur leur signifiance. Au XIXe siècle on voit apparaître deux domaines dans lesquels la signifiance se retrouve coupée de l’intention des auteurs et où c’est même l’interprète qui la rend visible, quand il ne la constitue pas carrément lui-même. L’histoire est le premier de ces domaines. Déjà quand Schlegel attribuait de la signifiance à la poésie romantique dans son ensemble, on peut dire qu’il pensait à la rigueur à l’esprit de la nouvelle époque, mais pas au génie individuel. A plus forte raison, la signifiance d’événements historiques ne pouvait plus être imputée à des acteurs responsables. D’après J.G. Droysen, c’est l’historien qui par son travail fait ressortir la signifiance des faits historiques. « Plus l’historien […] pense en termes de faits, plus il sera à même de raconter ; car cette démarche lui permettra de donner à chaque fait qu’il cite en exemple tout le poids de sa signifiance, l’accentuation d’un moment essentiel pris dans la chaîne des événements ».21 Les termes employés par Droysen nous montrent qu’il associe lui aussi à cette notion les vieux enseignements sur l’emphase et l’accentuation, et si cette affinité s’impose à lui, c’est parce que pour l’historien aussi – à l’instar du philologue – la signifiance d’un événement ne peut résulter que du contexte. Mais cela ne doit pas nous faire perdre de vue la différence fondamentale qui existe entre interprétation philologique et interprétation historique : la démarche philologique ou herméneutique qui cherche à circonscrire le champ sémantique d’une expression employée dans un texte devait selon Schleiermacher être fonction de la tonalité d’ensemble du texte, de l’intention de l’auteur et du stade d’évolution de la langue. Les faits historiques en revanche, qui selon Droysen voient littéralement le jour grâce au travail de reconstruction des sources par l’historien, n’ont pas d’auteur et ne peuvent pas être ramenés à des intentions précises, tout au plus à une multitude d’actes de volonté qui se croisent les uns les autres.22 Ensuite, l’histoire n’a jamais été et ne sera jamais un texte achevé dont on pourrait évoquer la « tonalité d’ensemble », car chaque fait historique est toujours suivi de développements qui en élargissent sans cesse la portée et permettent de l’interpréter à chaque fois d’un nouveau point de vue. Certes, un historien peut s’interroger sur la manière dont un traité de paix ou une déclaration de guerre ont été perçus à leur époque. Mais c’est l’historien lui-même qui fixe après coup la signifiance de ces événements ; c’est pourquoi Droysen dit que c’est l’analyse historique qui « donne » aux faits une accentuation correspondante. Pour autant, Droysen n’exprime pas encore l’idée – qui sera soutenue plus tard par Theodor Lessing – que l’historiographie consiste à « donner du sens à l’insensé » et que l’historien projette du sens et de la signification dans un théâtre d’événements qui ne font pas sens.23 Droysen a encore plutôt la conviction qu’au sein même de la marche de l’histoire se développe et se construit une tradition du sens dans laquelle il voit même se réaliser des événements résulte uniquement du travail de l’historien, ce qui explique qu’il distingue l’interprétation historique de l’interprétation philologique. S’il a employé le terme de signifiance, c’est que l’historien n’est jamais en mesure de dire toutes les conséquences d’un événement et qu’il doit composer avec le fait que de futurs historiens, s’appuyant sur de nouveaux points de vue, découvriront peut-être d’autres significations ; il en résulte que la signification de faits n’est jamais établie de manière définitive.
7L’herméneutique théologique ancienne était déjà capable d’attribuer une « accentuation » à toute une série d’événements, et donc d’opérer une distinction entre l’« emphasis verbalis » et l’« emphasis realis ». Les événements relatés dans la Bible étaient effectivement lus comme prémonition d’événements futurs, et l’histoire sacrée révélée dans les Ecritures apportait ensuite la preuve de leur bien-fondé. Mais les sciences historiques et, avec elles, Droysen, n’étaient pas en mesure de poser les conditions d’un cadre aussi rigide car pour le XIXe siècle, même les philosophies de l’histoire telles que celle de Hegel étaient dogmatiques et, partant, obsolètes. C’est pourquoi la signifiance des événements n’a jamais pu être fixée de manière ferme et définitive. Cependant, la méthode élaborée par Droysen pour l’interprétation historique offre encore à l’historien des lignes de conduite susceptibles de l’aider à déterminer la signification d’événements, et sa théorie des « puissances morales » – des leçons sur les civilisations et les institutions24 – trace au moins les modèles dans lesquels une chose peut se révéler signifiante du point de vue historique, ce qui met à la disposition de l’historien des points de vue et des grilles de lecture.
8Plus tard, dans son livre intitulé Analytical Philosophy of History paru en 1965, Arthur Danto a placé l’émergence de la signifiance (significance) des événements au centre de ses recherches. Toutefois, il ne livre plus de méthode, mais explique la signifiance par les différentes échelles et conditions posées par les historiens. Selon lui, nous sommes en présence d’une « signifiance pragmatique » quand un événement présente un intérêt moral, d’une « signifiance théorique » quand une théorie historique générale, par exemple le Marxisme, se retrouve confirmée ou problématisée par un fait, d’une « signifiance par conséquence » quand un événement est suivi de conséquences importantes, et d’une « signifiance éclairante » quand un contexte historique supposé se révèle juste ou erroné suite à de nouvelles découvertes.25 Dans tous les cas cités précédemment, la signifiance ne semble résulter que des suppositions des historiens. Mais le livre de Danto met en avant une idée qui ne trouve pas d’appellation appropriée parmi ces quatre formes : l’historien envisage constamment selon lui les événements du passé en fonction des événements ultérieurs, si bien que chaque événement se retrouve analysé à la lumière de son épilogue dans l’histoire. C’est pourquoi un événement ne peut se voir appliquer une description définitive puisqu’il faudrait connaître pour cela toute l’histoire ultérieure et donc l’avenir.26 Danto nous fait comprendre que toute description historique n’est qu’une interprétation provisoire et que les interprétations dans leur diversité – et partant : la signifiance des événements – trouvent leur fondement non seulement dans les prémisses scientifiques des historiens, mais aussi dans la marche de l’histoire elle-même.
5. Sciences humaines et philosophie de la vie
9La philosophie de la vie de Dilthey essaie en revanche de montrer comment et pourquoi une chose peut prendre de la signifiance pour un être humain. Beaucoup de choses ayant été écrites sur les exposés que Dilthey a consacrés à cette question, je me contenterai de résumer : la vie humaine s’accomplit dans le temps, c’est à dire que des moments isolés s’assemblent, par le biais de la réflexion, pour former l’unité d’une chose vécue. A leur tour, les choses vécues viennent s’ajouter au tout de la vie passée. Prises une par une, ces choses ont chacune une signifiance différente en fonction de la relation qu’elles entretiennent avec le tout. Car « la signifiance consiste à déterminer ce que signifie une partie pour le tout ».27 Toutefois, puisque la vie n’est pas une chose achevée, qu’il s’agisse de l’individu ou de l’espèce, la signifiance de la chose vécue n’est pas établie elle non plus, et sa signification n’est à chaque fois qu’une « conjecture ». Certes, des choses vécues dans notre passé peuvent agir sur le présent et se révéler signifiantes pour la planification de l’avenir, mais à l’inverse, leur souvenir, ce qu’elles signifient pour nous, peut également se modifier si les objectifs ne sont plus les mêmes. Parce que la vie humaine, dans sa durée, se situe dans un rapport à soi, les choses vécues lui apparaissent toujours d’une manière ou d’une autre comme signifiantes. C’est pourquoi la signification (ou la signifiance) n’est pas chez Dilthey qu’un simple mot qui revient fréquemment, mais une « catégorie de la vie », à savoir une catégorie essentielle, et même : la catégorie la plus vaste.28 Sans une telle manifestation de la signifiance, la vie humaine n’aurait pas conscience d’elle-même.
10On a pris l’habitude de classer ces réflexions dans le domaine de l’herméneutique. Mais Dilthey pour sa part ne l’a pas fait. Comme Schleiermacher, il entendait par « herméneutique » la théorie et la méthode d’interprétation des textes. Il n’a fait qu’affirmer l’existence d’une analogie entre ce qui détermine la signification des mots et des choses vécues : c’est dans les deux cas l’aspect « déterminant – non déterminant » par rapport à un tout – et celui-ci dans son rapport à celui-là – qui est le facteur principal de détermination. Mais en même temps, il a clairement souligné qu’il existe une différence entre comprendre une chose vécue et saisir le sens d’un mot29, et c’est une évidence : la chose vécue ne se compose pas de signes, et elle ne trouve sa signification qu’en fonction de sa relation au tout, et non en fonction d’une réalité qui lui serait extérieure, elle est elle-même « réalité ». Elle n’est pas non plus l’expression d’autres sujets, mais au contraire elle est dans son contenu originel élément même de la vie subjective. Cette dernière n’est pas non plus un tout, comme le serait un texte, elle possède dans sa durée un avenir ouvert. Elle n’est pas faite de langue, elle s’interprète et s’articule au moyen de la langue. Pour cette raison, s’il a pu esquisser un procédé pour l’interprétation de texte, Dilthey s’est bien gardé d’élaborer une méthode pour l’interprétation de la vie. Certes, dans l’interprétation de la vie s’opère toujours une compréhension et un « accomplissement » d’événements antérieurs, mais à ma connaissance, Dilthey ne dit nulle part que la vie propre soit « reconstruite » comme un texte, et pour finir elle est constamment soumise aux changements qui résultent de nouveaux projets. Dans un premier temps, la philosophie de la vie ne nous dit donc rien sur l’interprétation relative aux sciences humaines, elle explique simplement la naissance de ses objets d’analyse : biographies, poésies, récits historiques, mais aussi mythes, religions et visions du monde traitent de diverses manières de la signifiance telle qu’elle apparaît au sein de la vie, et en fournissent une interprétation à leur manière.
11Si l’on fait ressortir ces pensées à l’« herméneutique », cette dernière devient alors une théorie selon laquelle on met en évidence, à travers la compréhension de soi de l’homme et l’interprétation de la vie propre, les sources de la culture, mais sans pouvoir ni vouloir donner de règles à cette compréhension. Toutefois, Dilthey a développé sa philosophie de la vie justement comme fondement des sciences humaines, ce qui explique qu’il fonde en même temps l’interprétation de ces mêmes sciences humaines : c’est parce qu’il est envisagé lui-même comme acteur d’une vie humaine en train de s’accomplir et qu’il fait l’expérience de la signifiance que l’interprète est capable de comprendre les formes d’expression culturelles que sont la narration et la poésie. La « vie » – et pas seulement la « pensée » – est porteuse à la fois de production et de réception. C’est pourquoi il est permis de voir dans cette philosophie de la vie également une « herméneutique philosophique » qui cherche à élucider les conditions de la compréhension. Dilthey a lui-même esquissé cette notion d’herméneutique encore nouvelle à l’époque en notant que pour l’heure, l’herméneutique devait trouver son point de rattachement à la théorie de la connaissance.30 Cette herméneutique nouvelle, philosophique, n’essaie plus de donner des conseils sur la possible sous-interprétation ou surinter-prétation d’un texte ; elle essaie de montrer comment un auteur juge du bien-fondé de ce qu’il expose et pourquoi un interprète peut à son tour le suivre dans sa démarche.
12Toutefois, Dilthey n’a pas, à ma connaissance, manifesté d’intérêt pour le vieux problème de la compréhension de l’emphase. Pour autant, la signifiance de textes – et tout particulièrement d’œuvres d’art – trouve un nouvel éclairage et une redéfinition par le biais de la philosophie de la vie : parce que dans les formes langagières on ne trouve pas que l’expression de l’entendement discursif, mais aussi l’expression de la vie dans sa totalité et dans son aspect insondable, les textes ont à côté de leur signification déterminée une signifiance indéterminée. De moindre importance dans les traités scientifiques, cette dimension devient dominante dans les œuvres d’art. Cela explique que la compréhension de textes littéraires en particulier ne soit pas une seule forme d’induction, mais un « accomplissement après coup », et il y a dans la compréhension de tels objets de langue quelque chose qui relève de l’« irrationnel », un élément intuitif qui échappe à toute méthode logique.31
13Georg Misch a repris les thèses de Dilthey en voyant dans l’interprétation de la signifiance l’élément central de tout travail relatif aux sciences humaines. Pour Misch, que la signifiance qui résulte de l’expérience soit une œuvre d’art, un événement politique ou un personnage ne présente pas de différence essentielle. Car dans tous les cas la compréhension se fait dans et par l’interprétation, laquelle doit recourir à une langue évocatrice et concise pour être capable d’exprimer à chaque fois la part déterminée – indéterminée du sens. Pour cette raison, la « logique herméneutique » de Misch est essentiellement une théorie de la langue en tant qu’outil d’interprétation, et non une théorie de la reconstruction du sens de signes ou symboles donnés.32 Certes, Misch pense lui aussi que les sciences humaines doivent continuer à se demander ce qu’un auteur veut dire dans son texte, mais il fait passer cette question au second plan au profit d’une autre question : comment comprendre et interpréter de manière appropriée ce qui dans l’expérience nous apparaît manifestement comme signifiant ? Mais ce faisant, il risque d’aboutir à un nivellement de ce qui distingue les sciences humaines, qui procèdent avec méthode, de la poésie et du mythe. Il observe que dans les deux domaines la signifiance est interprétée dans une langue non discursive et concise, ce qui explique que la langue des sciences exactes n’est pas toujours seule garante de vérité. Si convaincante soit cette thèse, la conception de Misch soulève de nouvelles questions auxquelles il n’a pas, de mon point de vue, apporté de réponses satisfaisantes : l’interprétation d’expériences vécues signifiantes est-elle, par analogie à l’interprétation de textes philosophiques, artistiques ou religieux, une révélation du sens ? Selon ses prémisses, une argumentation scientifique dans le domaine de l’interprétation de textes est-elle possible ? La langue concise de l’interprète ne peut-elle être comprise qu’à partir du moment où elle sera traduite à son tour avec concision dans une nouvelle langue ? A la différence de Dilthey, Misch ne semble plus voir en tout cas de procédé méthodique pour l’explication de texte. Même s’il exige de l’« objectivité » de la part des sciences humaines,33 il ne cite pour les interpréter aucune caractéristique nouvelle, il reprend celles qui s’appliquent à l’interprétation de la vie. Et de la même façon dans Être et temps, Heidegger n’opère manifestement pas de distinction entre l’interprétation du « dasein » et l’interprétation de texte.34. Si le concept de signifiance pouvait renvoyer chez Misch à des contenus très différents, Heidegger a encore davantage généralisé le concept dans son analytique du Dasein. Par là, il n’oppose pas l’important de l’insignifiant, mais caractérise « la structure du monde » où nous ne rencontrons pas des objets étrangers, mais où tout a sa « place » pour nous et renvoie toujours d’une façon particulière à autre chose35. La relation à un sens plus profond est ici abandonnée, car la signifiance de l’étant se montre par exemple en ce qu’il se présente comme un « outil », comme un moyen pour une fin. Le mot de « signifiance » nomme ainsi chez Heidegger – tout comme « totalité », « mondanéité », « temporalité » etc. – un trait fondamental de l’être-là et de son monde.
6. Résultats
14Si l’on fait un tour d’horizon de l’évolution de la réflexion herméneutique en gardant la signifiance comme fil conducteur, il s’avère que l’on a d’abord placé l’auteur au centre de l’intérêt en cherchant à édicter des règles d’interprétation ; par la suite, c’est le texte qui est passé au premier plan mais il s’est retrouvé dépossédé de toute ligne de conduite méthodique pour être appréhendé. On a d’abord cherché à explorer quelle signifiance un auteur prêtait à un mot, mais ensuite, quelles signifiances le lecteur pouvait découvrir dans un texte. Simultanément, l’objet d’étude a glissé de la compréhension vers l’interprétation : si pour Chladenius – et cela reste valable pour Schleiermacher et pour son disciple August Boeckh – l’interprétation se concentre encore essentiellement sur l’articulation du sens d’un texte et sur sa transmission à autrui,36 pour Misch en revanche, la compréhension résulte, dans un mouvement commun avec l’articulation langagière, de l’interprétation elle-même. Ainsi, l’interprétation acquiert presque autant d’importance que le texte : ce n’est qu’à travers elle que le texte fait sens. Mais comme les interprètes manient tous une langue différente, cela ouvre la voie à la « Babel des interprétations » dont il a été question au début, chose que Misch ne voulait aucunement.
Mettre à l’écart, voire refouler, l’auteur est de mon point de vue aussi peu convaincant que vouloir ignorer le fait que des textes peuvent contenir davantage que ce que leurs auteurs veulent leur faire dire. Mais parce qu’il fallait prendre en compte les deux perspectives, tant Schlegel que Schleiermacher ont de bon droit réclamé que l’on essaie de comprendre l’auteur d’abord aussi bien, puis ensuite mieux que lui-même.37 Concentré sur l’interprétation de textes théologiques et philosophiques, Schleiermacher avait placé au centre de son herméneutique le premier terme de cette formule, et ses remarques sur la compréhension des tournures emphatiques servent l’idée selon laquelle il faut comprendre l’auteur comme il se comprend lui-même et comme il veut être compris des autres. Schlegel en revanche, parce qu’il a surtout analysé des œuvres littéraires, a justement cherché dans ses écrits critiques à satisfaire le second terme de cette célèbre formule. Les efforts qu’il déploie pour saisir et évaluer la signifiance, et donc le contenu sémantique d’œuvres d’art, vont toujours au-delà de l’intention de l’auteur, et c’est pourquoi il qualifie sa démarche de « critique ».38 Mais nous pouvons considérer comme acquis que tous deux – Schleiermacher comme Schlegel – ont cherché à comprendre aussi bien la signifiance d’expressions voulue par l’auteur que la signifiance en partie involontaire de son œuvre.
15Si dans la critique schlegelienne, révélation du sens et jugement étaient étroitement liés, August Boeckh a par la suite séparé plus clairement ces deux perspectives de l’interprétation en « herméneutique » et en « critique » : selon lui, il convient de faire une distinction entre la question du sens du texte et celle de son rapport aux éléments extérieurs (contexte, critères de jugement, situation de l’interprète etc.), et ce, même si les deux se conditionnent mutuellement. Cette distinction à laquelle Dilthey lui-même était attaché, au moins en théorie,39 a été ensuite jugée inapplicable par Gadamer. En effet, il semble parfois difficile de dire si ce qu’un lecteur décrypte dans un texte fait ou ne fait pas partie du sens visé. E.D. Hirsch a toutefois proposé une solution : dans le champ des « implications » d’un texte – et ce sont ces implications qui font sa signifiance, son sens difficile à délimiter – il serait possible selon lui de faire la part des choses entre celles qui relèvent de l’intention claire de l’auteur et celles qui se laissent voir simplement dans l’horizon des lecteurs.40 Si l’on peut dire que ce domaine des implications est une zone floue dans laquelle il est difficile de dire si la signifiance était ou non bien visée par l’auteur, on peut cependant se demander – et en cela Boeckh a raison – d’une part, quelle signification un auteur a voulu exprimer, et d’autre part quelle signification peut prendre un texte en regard du questionnement de l’interprète. Cette différenciation devrait permettre dans de nombreux cas de voir plus clair dans la Babel des interprétations parce qu’il n’y a pas de confusion possible entre deux questions distinctes et les réponses que l’on peut leur apporter. Cela rend plus claires les conclusions des interprètes, ce qui ne veut pas dire, bien entendu, que les interprétations doivent toujours aboutir aux mêmes résultats et aux mêmes conclusions.
16Ensuite, il ne paraît pas inutile d’opérer une distinction plus nette entre la signifiance comme portée et la signifiance comme richesse de sens. Dans le domaine de l’interprétation de l’histoire et de la vie, il n’a donc pas été possible de discerner un auteur ou un acteur qui aurait fixé un sens des événements ou des choses vécues. Et quand Droysen et Dilthey parlent de « signifiance », ils pensent avant tout à la portée et à l’efficience, à savoir qu’un certain processus a entraîné un changement et a été suivi d’effets majeurs et de conséquences importantes pour la postérité. Et que les effets en question soient certes importants mais impossibles à mesurer avec exactitude constitue justement la « signifiance ». Toutefois, les événements et les choses vécues ne font sens que grâce à la réflexion intellectuelle qu’on leur applique, grâce à l’interprétation. A titre d’exemple, c’est par l’historiographie que le déclin de Pompéi trouve le « sens » qui en fait une tragédie.
17En revanche, Schlegel, mais aussi tout particulièrement Misch, entendent par la notion de signifiance la richesse de sens impossible à délimiter nettement, celle qui est notamment perceptible dans les œuvres d’art qui incitent à des interprétations sans cesse renouvelées. Personne ne songera à nier l’existence d’une telle richesse de sens, ni d’ailleurs le fait qu’il y a dans le domaine des textes et des œuvres d’art bel et bien une signifiance, comprise comme effet important et influence forte. Les recherches menées sur l’histoire de la réception et des effets ne font d’ailleurs rien d’autre qu’éclairer cette influence, et donc la signifiance des œuvres. En ce sens, tout ce que Droysen et Dilthey ont pu dire respectivement de l’histoire et de la vie est également valable pour l’interprétation des textes : leur importance et leur effet sont mis en lumière par l’interprétation. Reste à savoir toutefois si cette richesse de sens qui leur est spécifique est le fait de la pensée de l’interprète ou des œuvres elles-mêmes. On peut poser la question autrement : les œuvres d’art – tout comme les événements historiques – ne sont-elles signifiantes qu’en contexte et par l’effet qu’elles produisent ? Ou bien le sont-elles en elles-mêmes ? Schlegel, et après lui Misch, se prononcèrent clairement en faveur de la seconde réponse, et ce faisant, on se doit de suivre Droysen dans la distinction nette qu’il opère entre l’interprétation historique et philologique, ainsi que Dilthey qui en fait de même entre l’interprétation de la vie et l’interprétation de textes. Car ce n’est effectivement pas la même chose que d’interpréter le destin tragique d’un peuple et interpréter une tragédie. L’une des difficultés de l’herméneutique de Gadamer réside justement dans l’identification totale qu’il opère de temps en temps entre l’interprétation du monde ou de la nature, et l’interprétation de texte.41
Notes de bas de page
1 Hirsc (1972).
2 Eco (1962).
3 Eco (1990), Eco (1992).
4 Bühler (éd.) (1994). Petrus (1997).
5 Chladenius (1742), § 114.
6 Chladenius (1742), § 121.
7 Chladenius (1742), § 120.
8 Zedler (1749), 394.
9 Scleiermacer (21974), 68, 100, 101.
10 Scleiermacer (21974), 68.
11 Scleiermacer (21974), 100.
12 Sclegel (1958-), « Philosophisce Fragmente », vol. 18, 217, no 271.
13 Scleiermacer (1931), 182, 185.
14 Scopenhauer (1911), 271 (Die Welt als Wille und Vorstellung, lib. 3, § 48).
15 Kant (1790), §§ 49, 46.
16 Chladenius (1742), §§ 157, 164-166, 585, 674. Voir Scholtz (2002 a), 17-33, v. 20-22.
17 Schlegel (1958-), vol. 2, 241, no 401. Cf. vol. 16, 168, no 992.
18 Schlegel (1958-), vol. 2, 100-101. Cf. vol. 16, 141, no 671: « Toutes les œuvres classiques ne sont jamais entièrement comprises, c’est pourquoi elles doivent éternellement être à nouveau critiquées et interprétées. »
19 Sclegel (1958-), vol. 2, 14.
20 Sclegel (1958-), vol. 2, 100-101.
21 Droysen (1977), 232-233.
22 Droysen (1977), 114-115.
23 LLessssiinngg, ((41927).
24 LLessssiinngg, ((41927), 290-362.
25 Danto (1965), 132-139
26 Danto (1965), 142.
27 Dilthey (1911), 238-239.
28 Dilthey (1911), 232.
29 Dilthey (1911), 234-235.
30 Dilthey (1911), 218. Cf. Scholtz (1992/1993), 93-119.
31 Cf. Dilthey (1911), 218.
32 Misc (1994).
33 Misc (1994), 568.
34 Misc (1994), § 17.
35 Pour Heidegger, la première compréhension est compréhension de « l’être-là » et par là aussi du « monde ». Les interprétations scientifiques en philologie et en histoire en sont dérivées. Heidegger (1960), § 32. Comme Heidegger ne distingue par ailleurs jamais la compréhension d’une ‘outil’ par exemple de la compréhension des expressions linguistiques, on en retire l’impression qu’il n’y a pas là pour lui de différence de principe.
36 Schleiermacher (1974), 31, 55. Boeckh (1966), 80.
37 Schlegel, note 16. Schleiermacher (1974), 56, 87-88, 138. – H. Nüsse et E. Behler ont soutenu que chez Schlegel – à la différence de Schleiermacher – comprendre mieux serait le premier et le plus facile, alors que comprendre l’auteur tel qu’il s’est compris lui-même serait le plus difficile et la seconde étape, Nüsse (1962), 92, 95 ; Behler (1987), 146-160. Car pour Schlegel, il n’y a « rien n’est plus difficile que de reconstruire, de percevoir et de caractériser la pensée d’autrui jusque dans les singularités les plus fines de sa totalité » (Schlegel (1958-), vol. 3, 60 ; traduit dans Schlegel (2005), 101). Si Schlegel voit dans le mieux comprendre la tâche propre de la critique (Schlegel (1958-), vol. 16, 168, no 992), à savoir dans le déploiement de la plénitude de significations d’une œuvre, comment cette tâche pourrait être la plus simple et la première ? Et comment cette conception de Nüsse et de Behler s’accorde-t-elle avec le fragment de Schlegel, où il écrit : « La question de savoir ce que veut l’auteur peut être résolue, celle de savoir ce qu’est l’œuvre aucunement » (Schlegel (1958-), vol. 18, 318, no 1515) ? Il me semble que les expressions contradictoires de Schlegel peuvent être accordées ainsi : S’il s’agit de la compréhension d’œuvres philosophiques, surtout de celles qui ne sont pas claires comme la Critique de la raison pure de Kant, la compréhension la plus raffinée et la plus difficile réside en ce qu’il faut reconstruire la confusion même de l’auteur. Mais quand il s’agit de comprendre des poèmes classiques, donc des productions du génie poétique, la compréhension propre et difficile est le ‘mieux comprendre’ qui explicite les œuvres et par là révèle leur obscurité et leur incompréhensibilité. Jure Zovko a indiqué en particulier ce dernier point (Zovko (1990), 151-162). A la différence de Behler, Zovko pense que Schlegel a pris en compte la création inconsciente du génie bien plus que Schleiermacher (ibid., 166).
C’est convaincant, car les„ œuvres poétiques «, avec leur„ excédent de signification « (Schlegel (1958-), vol. 2, 140) sont des productions du génie. Certes, Schleiermacher rapporte dans son discours académique le mieux comprendre à la seule production artistique (Schleiermacher (21974), 138), mais dans son cours d’herméneutique de 1819 il renvoie à un domaine plus vaste : il voit dans l’interpretandum « un infini du passé et du futur » (ibid., 83-84), c’est-à-dire qu’il s’efforce d’interpréter le texte dans le plus vaste contexte de l’histoire, précisément parce qu’interpréter est une « tâche infinie » (ibid.). Je ne suis donc pas convaincu qu’il y ait une différence majeure dans la compréhension de la célèbre formule du mieux comprendre par Schlegel et Schleiermacher. Schlegel pose simplement, selon le contexte et l’intention critique, d’autres accents. Pour tous les deux, la tâche de la compréhension est aussi bien de reconstruire l’individualité d’un texte depuis sa genèse que de compléter ce qui vient du texte sans que l’auteur en soit conscient, qu’il s’agisse d’incohérences, d’un sens caché ou de sa place dans l’histoire de la littérature et de la langue.
38 Frischmann (2001), 83-111.
39 Dilthey (1894), 262.
40 Hirsch (1967/1972), chap. 2.
41 Gadamer (21965), 432.
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