Introduction de la troisième partie
p. 281-284
Texte intégral
« Le radicalisme et l’honnêteté de sa pensée conviennent précisément à ces lecteurs non disposés à devenir ses adeptes. »
Mazzimo Montinari1
1Pas plus que Nietzsche, dans ses « critiques » des philosophies antérieures à la sienne, n’a cherché à « réfuter » ces dernières – ce qui eût été en partager les présupposés rationalistes et trahir son perspectivisme propre – nous n’envisagerons l’impossible gageure de tenter une réfutation de sa philosophie morale : « qu’ai-je à faire de réfutations ? » (GM, A-P, § 4, p. 218). Nous chercherons plutôt à le « questionner », en partant de présupposés autres que les siens tout en entretenant avec sa généalogie un dialogue argumenté, car on ne « réfute » pas Nietzsche, pas plus qu’on ne « réfute » Héraclite ou Spinoza dont Nietzsche a revendiqué l’héritage. Ce dernier, en vertu de son perspectivisme philosophique affirmé, déjoue toute perspective de réfutation extérieure. C’est du dedans seulement de sa perspective qu’un philosophe pourrait être « critiqué », non « réfuté », estime Nietzsche. Quant à sortir de sa perspective pour la « réfuter », cela ne serait possible que si, par un postulat arbitraire, on pouvait l’assimiler à un discours « objectif », ce qui signifie « idéaliste », de type scientifique ou démonstratif vis-à-vis duquel la critique elle-même effacerait son caractère perspectiviste. Méconnaître le caractère « optique » de toute pensée philosophique pour la réfuter « savamment » constituerait alors, dans les termes du généalogiste, une « idiotie savante ». Par exemple, « que l’on ait combattu le christianisme comme une philosophie, ce fut bien là le sommet de la stupidité des lettrés. Les notions de ‘‘vrai’’ et de ‘‘faux’’ n’ont, ce me semble, aucun sens en optique » (CW, Epilogue, p. 54). Cependant, c’est après s’être interrogé d’abord sur les conditions de la « connaissance » philosophique, dans une généalogie des types de savoir, qu’il nous a fait comprendre la volonté de puissance comme origine de toute perspective, de toute interprétation de caractère optique. Le renversement de perspectives auquel nous convie souvent Nietzsche, le fameux Versuch, est par là même autorisé à son égard : « il nous invite, écrit à ce propos M. Montinari, à nous poser des questions radicales, il prétend à une discussion radicale avec nos pensées, il nous aide à nous libérer de la tartuferie morale... mais aussi à le contredire résolument »2.
2La question devient : comment philosopher avec Nietzsche (avec son perspectivisme en général) contre Nietzsche (contre sa perspective singulière) ? Nous pensons que le meilleur moyen de procéder à ces mises en questions ne consiste pas seulement à questionner Nietzsche à partir de perspectives morales postérieures à la sienne et polémiquement engagées contre elle, mais tout autant, et d’abord, à engager ce « renversement de perspectives » auquel nous a convié sa Généalogie, à partir d’auteurs et de perspectives morales d’interprétations dont il a lui-même inversé les positions, tout en les reconnaissant comme les plus « puissantes ».
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