Le « syllogisme pratique » ou Comment la pensée meut le corps
p. 9-26
Texte intégral
« ...pour accompagner dignement la voix qui a dit ce jour-là, et tous les autres jours jusqu’au silence de la fin, des paroles qui se ressemblaient :
– Il faut soigner cet enfant... Ne peut-on sauver cette femme ? Est-ce que ces gens ont à manger chez eux ? Je ne peux pourtant pas tuer cette bête... »
Colette (La Maison de Claudine)
1Au livre VI de l’EN, Aristote écrit que l’on peut caractériser le principe du choix (προαίρεσις) ou bien comme « une intelligence qui désire », ou bien comme « un désir réfléchi », et, ajoute-t-il, « le principe qui est de cette sorte est un homme » : ἢ ὀρεκτικὸς νοῦς ἡ προαίρεσις ἢ ὂρεξις διανοητική, καὶ ἡ τοιαύτη ἀρχὴ ἂνθρωπος1. Dans cet énoncé, « homme » est en position de prédicat, (non pas : « l’homme est un principe de cette sorte », mais : « un tel principe est un homme »), de sorte que nous avons ici la définition aristotélicienne de l’homme. L’homme est principe de ses actions, et il l’est parce qu’il est à la fois un être désirant et un être intelligent. Un bon choix suppose un ensemble de pensées (un λόγος) qui soit vrai, et un désir « droit », l’un et l’autre portant sur le même objet. Mais de quelle façon une activité intellectuelle et une attitude émotionnelle peuvent-elles porter sur le même objet, et comment se combinent-elles pour être le principe d’un acte unique ? Aristote doit donc proposer un modèle de cette activité, qui puisse rendre compte d’une façon plausible des conduites humaines, et qui d’autre part soit cohérent avec la théorie plus générale du comportement animal qu’il expose au livre III du DA ainsi que dans le DMA, où il pose la question en ces termes :
« Quel mode de pensée fait que l’on agit (ou, le cas échéant, s’abstient d’agir) et que l’on accomplit un mouvement (ou, le cas échéant, reste immobile) ? » (πῶς δὲ νοῶν ὁτὲ µὲν πράττει ὁτὲ δ’ οὐ πράττει, καὶ κινεῖται, ὁτὲ δ’ οὐ κινεῖται ;2).
2Je construis πῶς δὲ νοῶν comme un seul groupe en apposition, signifiant littéralement : « pensant de quelle façon ? » ; et je suppose que les alternatives ὁτὲ µὲν... ὁτὲ δὲ... sont là pour tenir compte du fait que, dans certains cas, l’abstention (ne pas agir, ne pas bouger), résulte d’un choix et doit être traitée de la même façon que la décision d’agir. Pierre Louis traduit autrement : « Comment se fait-il que l’être pensant tantôt agisse et tantôt n’agisse pas, tantôt se meuve et tantôt ne se meuve pas ? ». M. Nussbaum et la Revised Oxford Translation adoptent en substance la même solution3. Dans cette interprétation, il semble que ce qui est en question, c’est le caractère spontané, et apparemment imprévisible, de l’activité animale. Ce n’est pas impossible ; mais alors on s’explique mal le participe νοῶν, qui voudrait dire qu’il est surprenant que l’animal n’agisse pas constamment alors qu’il pense. Comme le montre la suite, l’objet de la discussion n’est pas de comprendre pourquoi un sujet n’agit pas constamment, mais plutôt de proposer une reconstitution de ses pensées qui explique son choix et son action (ou, le cas échéant, son inaction). Les situations concrètes que l’on peut observer font apparaître des facteurs assez divers tels que la « pensée intermédiaire »4 (διάvοια), image (φάvτασµα), choix, délibération, désir ; mais tout cela est ramené en fin de compte à un seul couple de termes : la pensée (νοῦς) et le désir. La pensée ne fait pas partie des données du problème, mais elle est le problème lui-même. Ce qui est recherché, ce n’est pas une explication physiologique, voire mécanique, de l’effectuation des mouvements, mais un modèle dans lequel les causes déterminantes du mouvement animal sont représentées sous la forme de pensées. C’est pourquoi j’ai choisi de rendre par l’impersonnel « on » les troisièmes personnes πράττει, κινεῖται (alors que le masculin νοῶν impose en principe que la référence soit à un être humain), parce que je fais l’hypothèse que la pensée qui est prêtée ici au sujet agissant a pour fonction de révéler une structure qui est particulièrement reconnaissable chez l’être humain, mais partagée par les autres animaux. Dans la suite du passage, Aristote mentionne « les actions que nous accomplissons sans calculer (ὅσα µὴ λογισάµενοι πράττοµεν) »5, et le développement de la première partie du chapitre 7 est résumé en ces termes : « c’est donc de cette façon que les animaux tendent vers le mouvement et l’action », où le neutre τὰ ζῷα contraste avec le masculin νοῶν de la première phrase. La théorie doit donc rendre compte à la fois de l’homogénéité des conduites intentionnelles et réfléchies des êtres humains, par rapport aux comportements animaux en général, et de leur spécificité (la situation est approximativement la même dans le DA, III, 9-11). On peut être tenté de se représenter cette relation en disant que l’analyse réfléchie des situations et la délibération sont des moyens plus raffinés et plus efficaces mis en œuvre par l’être humain pour atteindre les mêmes buts (survie, bien-être et plaisir) que les autres animaux recherchent de façon plus immédiate. Dans l’exposé du comportement animal et humain qui va suivre, j’ai adopté, conformément à une habitude de la pensée moderne, un ordre que l’on pourrait dire « évolutionniste » : partant du modèle élémentaire de l’automate, je passerai à l’activité animale, puis à l’action humaine. Mais il est significatif qu’Aristote procède à l’inverse : le chapitre 7 du DMA part de l’analyse du mode de pensée qui suscite le mouvement local – le modèle du syllogisme –, puis il présente le modèle mécanique des automates. Pour lui, l’acte précède la puissance, et c’est le mouvement animal qui peut apparaître comme une forme appauvrie ou simplifiée de la conduite humaine ; de sorte qu’il est légitime de partir de la pensée pour rendre compte des formes plus simples et non réfléchies de l’activité finalisée.
3Le mouvement local de l’animal pose deux problèmes intéressants et liés entre eux, celui de sa spontanéité et celui de son orientation vers des objets particuliers et extérieurs. Le mouvement local de l’animal n’est pas le simple prolongement ou la transformation d’un mouvement reçu, comme c’est nécessairement le cas pour les corps inertes, de sorte qu’il apparaît comme la cause de son propre mouvement. D’autre part, en tant que processus naturel, c’est un mouvement finalisé ; mais il est discontinu, fait de séquences finies dont chacune est orientée vers un but, généralement un objet6 (mais aussi bien un lieu, etc.) qui en général peut occuper n’importe quelle position dans le monde, ou dans l’environnement de l’animal, et qui, à l’instant d’après, pourra sembler dénué de toute valeur pour lui. On prendra la mesure de l’originalité du mouvement local de l’animal, et de la difficulté des problèmes d’explication qui se posent à son sujet, si on le compare aux autres formes du mouvement naturel, que ce soit le mouvement naturel des corps inertes, qui est constamment dirigé vers le même terme (son lieu naturel), ou même les autres changements naturels qui affectent l’animal : sa génération et sa croissance sont orientées vers une fin qui n’est autre que la forme propre à son espèce ; et il en va de même, parmi les altérations, de celles qui peuvent être dites « naturelles » (par exemple l’instruction tend à parfaire la nature de l’homme).
4La spontanéité du mouvement animal est discutée dans deux passages du livre VIII de la Physique, en relation avec le problème de l’origine du mouvement cosmique : on peut en effet considérer qu’une âme est une source absolue de mouvement, et par conséquent le mouvement de l’animal peut être proposé comme un modèle pour concevoir le premier moteur de l’univers (comme une âme), avec cette double conséquence, gênante pour Aristote, qu’il existerait des objets capables de se mouvoir par eux-mêmes, et que le mouvement dans le monde ne serait pas éternel. De fait, il semble bien que l’animal soit doué de la capacité de se mettre de lui-même en mouvement : « alors qu’il est d’abord au repos, il se met ensuite en marche, sans qu’aucun facteur extérieur, croit-on, l’ait mis en mouvement »7. Mais, ajoute Aristote, il n’en est rien : en effet, si l’animal semble commencer de lui-même un mouvement local, ce mouvement est lui-même produit par d’autres formes du mouvement (ou du « changement », κίνησις), qui sont internes et entièrement soustraites à la volonté, voire à l’expérience, du sujet ; et celles-ci à leur tour s’expliquent en définitive par l’action de l’environnement8. D’autre part, le mouvement local de l’animal n’est pas continuel ; il suppose donc des conditions déterminées, liées cette fois aux facultés qu’Aristote regroupe sous le terme général de « fonctions de discernement », c’est-à-dire la perception et les facultés intellectuelles.
5L’animal, considéré du point de vue des fonctions de locomotion, est une machine, c’est-à-dire un système de contraintes matérielles qui transmettent, transforment et déterminent le mouvement. Dans le DMA9, Aristote le compare à un automate dont la structure est telle qu’une modification minime d’une partie produit un mouvement remarquable de l’ensemble (« comme lorsque le gouvernail est déplacé imperceptiblement, le changement de direction de la proue est très sensible »10), et qu’une impulsion quelconque donne naissance à un mouvement de forme bien déterminée : il donne l’exemple de « petits chars », des jouets aux roues inégales qui, lorsqu’on les pousse, tourneront systématiquement du côté de la roue la plus petite. L’animal est un mécanisme du même genre, mais plus complexe, dans la mesure où la forme et la dimension relative de ses parties sont susceptibles de changer, d’abord sous l’effet de causes physiques telles que le chaud et le froid (701b 13-16), mais aussi des sensations, ainsi que des « images » (ϕαντασίαι) et des « représentations » (ἒννοιαι), car les sensations sont, au sens propre du mot, des mouvements (des altérations) et les images et représentations « ont la puissance des choses » qu’elles représentent (701b 16-23).
6Les animaux ordinaires sont orientés à chaque instant par leur appétit dominant, ou par la perception de l’objet le plus saillant ; mais un animal doué du langage et de la conscience du temps est amené à confronter différents mobiles11 et à arbitrer entre eux, selon un processus qu’Aristote, se souvenant peut-être ici du Protagoras12, décrit comme la réduction des divers mobiles à une mesure unique afin de les comparer, et de « réduire plusieurs représentations à une seule »13. Ici la pensée se montre capable de déclencher et d’orienter la conduite, donc de mouvoir le corps.
7Le modèle élaboré par Aristote pour expliquer la formation d’une telle pensée, et plus généralement pour rendre compte du mouvement des animaux, est exposé principalement dans le traité qui porte ce titre, mais aussi à la fin du livre III du DA ; on en rencontre aussi des mentions dans les Éthiques, où il est utilisé pour formuler des problème particuliers (par exemple celui de l’acrasie ou « faiblesse de la volonté ») ; Aristote s’y réfère très brièvement et au moyen de terme techniques très précis, comme à un élément de doctrine qui devait être familier à ses auditeurs. Un élément important de ce modèle, et certainement celui qui a été le plus remarqué et le plus discuté par les commentateurs, est la comparaison entre l’explication psychologique du mouvement animal et la structure du syllogisme : c’est ce que l’on a pris l’habitude d’appeler le « syllogisme pratique », selon une désignation qui ne se trouve pas dans les textes d’Aristote14. On peut cependant la conserver sans inconvénient, à condition de garder à l’esprit qu’il s’agit d’un modèle de l’activité animale en général et non pas de la délibération humaine.
8Nous aurons donc à nous demander (1) si le « syllogisme pratique » est vraiment un syllogisme, c’est-à-dire si c’est une inférence, et une inférence déductive ; et (2) s’il fournit une représentation plausible de l’action animale et humaine. Précisons ce point : on recherche ici un modèle général qui distingue et coordonne les différents éléments qui doivent se retrouver dans l’explication de chaque action finalisée d’un animal. J’ajouterai que la comparaison avec le syllogisme n’est pas, à mes yeux, le tout de la doctrine, mais seulement sa partie centrale. Pour disposer d’une représentation complète du mouvement animal, on doit y ajouter :
une explication physique du mouvement : Aristote en esquisse les grandes lignes dans la seconde partie du chapitre 7 du DMA ; cet aspect n’est pas essentiel à ses yeux (il abandonne l’élaboration du détail aux spécialistes), mais il juge indispensable d’indiquer à la fois la possibilité d’une telle explication et la continuité entre celle-ci et l’explication psychologique ;
enfin, une théorie de la formation du désir (ὂρεξις). Sous ce terme, Aristote désigne le facteur spécifique du comportement moteur, dont le statut psychologique – du moins chez l’être humain – est délicat. Il ne se laisse identifier ni rattacher à aucune des fonctions ni des « parties » de l’âme, et représente précisément l’unité fonctionnelle d’un ensemble de tendances hétérogènes. La constitution du désir est discutée en détail dans le DA (III, chapitres 9 et 10) sous la forme d’une aporie particulièrement complexe et raffinée. Il s’agit de déterminer quelle est la faculté qui produit le mouvement local de l’animal15. Elle ne peut pas être assimilée aux facultés nutritive et sensitive, puisque beaucoup d’animaux imparfaits possèdent ces facultés sans être capables d’un mouvement local spontané et orienté16. Mais on ne peut pas davantage l’identifier aux facultés du raisonnement (τὸ λογιστικόν) ou de l’intelligence (ὁ καλουµένος νοῦς). L’intelligence peut en effet être purement spéculative, sans considérer aucune action ; ou encore elle les considère de façon neutre, sans commander au sujet de poursuivre ou de fuir quelque objet que ce soit. Enfin, alors même que les facultés intellectuelles nous recommandent de poursuivre ceci ou de fuir cela, il arrive fréquemment – dans les cas « d’acrasie » ou faiblesse de la volonté – que nous ne suivions pas leurs préceptes, mais un appétit17. Mais on ne peut pas dire pour autant que le principe du mouvement s’identifie à l’appétit, puisqu’il existe des personnes tempérantes, qui sont capables de se conformer à l’intelligence alors même qu’elles éprouvent des désirs et des appétits18. On ne peut même pas dire qu’il y a deux principes distincts, le désir et l’intelligence : ils n’agissent ni séparément (puisque le désir peut mouvoir sans l’intelligence, mais non pas celle-ci sans le désir), ni ensemble (puisque l’intelligence est toujours infaillible, alors que le désir peut se tromper). L’utilisation des deux exemples opposés de l’intempérant et du tempérant pour construire l’aporie, suggère que l’orexis, du moins quand il s’agit de l’homme, ne doit pas être conçue comme une faculté naturelle. Pour les autres animaux, le désir peut se réduire à l’appétit ; mais pour l’être humain il est à chaque instant le résultat de la confrontation de tendances d’origines diverses. Aristote écrit que « la faculté de désirer, en tant que faculté de désirer, est sans doute une par l’espèce »19. La précision : « en tant que faculté de désirer » a son importance : elle indique que l’objet considéré, bien qu’il possède une certaine unité et une certaine signification théorique, n’existe cependant pas par soi, mais plutôt qu’il est ce qu’il est « en étant quelque chose d’autre » (ἕτερόν τι ὄν), de la même façon que « l’étant » qui est l’objet de l’ontologie, ou les objets mathématiques. L’unité que possède la faculté de désirer « unité spécifique » ou « formelle » (εἴδει), pourrait sans doute être assez bien décrite, dans le vocabulaire d’aujourd’hui, en parlant d’unité « fonctionnelle » : la cohérence et même l’existence de l’activité humaine exigent que nous puissions ainsi réduire la diversité de nos tendances à une seule, de quelque façon que cela se fasse : au hasard, comme chez l’intempérant, qui est prêt à rouler en tous sens ainsi qu’une balle20, ou sous la conduite d’une disposition permanente telle que les vertus ou les vices.
9On trouve dans le corpus aristotélicien au moins huit exemples de « syllogisme pratique », ainsi que deux formulations générales :
10Formules générales :
1. DA III 11, 434a 17-19 :
Un homme d’une certaine sorte doit accomplir une action d’une certaine sorte
Cette action est de cette sorte-ci
Je suis moi-même de cette sorte-là
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[la conclusion n’est pas mentionnée]
2. EN VI 13, 1144a 31-33 :
La fin et le meilleur sont de cette sorte (« quoi que ce soit ; on peut admettre n’importe quel exemple pour les besoins de l’argument »)
[la mineure et la conclusion ne sont pas mentionnées]
11Exemples :
3. DMA 7, 701a 13-14 :
Tout homme doit marcher
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Je suis un homme
Il marche tout de suite
4. DMA 7, 701a 14-15 :
Nul homme ne doit marcher
Je suis un homme
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Aussitôt il reste immobile
5. DMA 7, 701a 16-17 :
Je dois faire (produire) quelque chose de bon
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Une maison est quelque chose de bon
Aussitôt il construit une maison
6. DMA 7, 701a 17-19 :
J’ai besoin de me couvrir
Un manteau sert à couvrir
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J’ai besoin d’un manteau
Ce dont j’ai besoin, il faut que je le fasse
J’ai besoin d’un manteau
——————————————
Il faut que je fasse un manteau
7. DMA 7, 701a 32-33 :
« Il faut que je boive », dit l’appétit
« Voici une boisson », dit la sensation, ou l’imagination, ou la raison
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Il boit aussitôt
8. EN VI 9, 1142a 22-23 :
Tous les liquides pesants sont mauvais
Ce liquide que voici est pesany
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[la conclusion n’est pas mentionnée]
9. EN VII 3, 1147a 5-7 :
Les nourritures sèches sont bonnes pour l’homme
Je suis moi-même un homme Telle nourriture est sèche
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[la conclusion n’est pas mentionnée]
10. EN VII 5, 1147a 29-31 :
Il faut goûter à tout ce qui est sucré
Ceci est sucré
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Il est nécessaire que celui qui le peut et qui n’en est pas empêché accomplisse aussitôt l’action
12S’agit-il d’introduire une classe particulière de raisonnements, décrits par analogie avec les syllogismes théoriques ? Certaines analyses de l’EN pourraient être invoquées à l’appui de cette interprétation. Ainsi dans l’étude de la prudence, au livre VI (exemple no 8), il s’interroge sur l’erreur (ἁµαρτία) dans la délibération, et dit qu’elle peut porter « soit sur l’universel, soit sur le singulier : soit, par exemple, que tous les liquides pesants sont mauvais, soit que ce liquide que voici est pesant ». De même au livre VII, il remarque que « les bêtes ne peuvent pas être dites intempérantes, parce qu’elles n’ont pas d’opinions universelles, mais seulement l’image et le souvenir des choses particulières »21. Mais cette interprétation tendrait à restreindre la portée de la doctrine à l’explication des conduites humaines, ou même seulement de celles qui découlent d’un choix. Or il faut remarquer qu’Aristote connaît et analyse une autre forme de raisonnement pratique, qu’il rattache explicitement, cette fois, à la délibération humaine. C’est le raisonnement qui procède par l’analyse régressive des conditions de possibilité d’un but posé hypothétiquement comme souhaitable. « Nous ne délibérons pas sur les fins, mais sur les conditions de la réalisation des fins. En effet, le médecin ne se demande pas s’il doit guérir, ni l’orateur s’il doit persuader, ni le politique s’il doit établir de bonnes lois [...]. Mais, ayant posé la fin par hypothèse, nous examinons comment et au moyen de quoi elle se réalisera »22 (il semble que l’expression τὰ πρὸς το τέλος recouvre à la fois les moyens en vue d’une fin, et les éléments constitutifs de cette fin : par exemple, pour l’homme politique, ce qui peut faire partie d’un ordre public souhaitable). À partir de là, l’analyse examine les conditions des conditions, etc., jusqu’à ce que je parvienne, soit à une impossibilité (il me faudrait une somme d’argent dont je ne dispose pas), ou au contraire à une action qui est présentement en mon pouvoir, de sorte que je commence aussitôt à agir23. On a ici une véritable méthode de réflexion, qu’Aristote compare à l’analyse d’un problème géométrique, et qui est proprement humaine puisqu’elle repose sur la capacité d’anticipation du futur et la saisie de rapports de causalité. C’est la « bonne délibération » (εὐβουλιvα) telle qu’elle est décrite au livre VI de l’EN24. Nous aurons à déterminer quelle est la position de ce modèle hypothétique par rapport au modèle catégorique du « syllogisme pratique ».
13Cependant, la comparaison ne repose pas nécessairement sur une analogie au sens technique du terme : dans le DMA, elle est annoncée au moyen de l’adverbe παραπλησίως : « Il semble qu’il arrive presque la même chose que lorsque nous raisonnons et tirons des conclusions à propos d’objets immuables »25. παραπλησίως indique une ressemblance ou une proximité éventuellement très forte, mais n’implique pas que celle-ci puisse ou doive être développée systématiquement sous la forme d’une correspondance terme à terme entre les éléments de l’une et de l’autre situation. Alors que l’analogie est une identité de structure, qui peut exister entre des objets ou des domaines éventuellement très différents (relevant de genres différents), la ressemblance visée par notre texte peut indiquer une parenté substantielle, mais elle n’exclut pas des différences de forme. Lorsqu’il propose des exemples, Aristote calque leur présentation sur celle des syllogismes théoriques ; mais cette homogénéité des formes extérieures laissera peut-être les différences apparaître d’autant plus nettement.
14Le Traité de l’âme présente la formule générale en ces termes (no 1) : « l’une [des prémisses] est une assertion et une énonciation universelle, l’autre énonce le singulier : la première dit qu’un homme d’une certaine sorte doit accomplir une action d’une certaine sorte, l’autre que cette action-ci est de cette sorte, et que je suis moi-même un homme de cette sorte » : le schéma est clairement celui de la subsomption du cas particulier sous une règle générale, comme dans le syllogisme judiciaire (où la majeure est représentée par une loi, et la mineure par l’établissement et la qualification des faits).
15On remarque immédiatement :
que le « syllogisme pratique » fait intervenir des termes singuliers, tels que « cette action-ci », et surtout « je » ;
que sa majeure apparaît souvent comme un impératif, ou du moins comme un énoncé axiologique, affirmant la valeur (positive ou négative) de certaines actions ou de certains objets. La majeure, écrit Aristote, exprime « le bien »26 – qui peut être un bien simplement apparent, ou le bien véritable27 ; elle peut se réduire au sentiment d’un besoin ou d’un appétit (« il faut que je boive, dit l’appétit »). Si le DA la décrit comme une « croyance » (ὑπόληψις) et un « discours », et mentionne à son sujet « la faculté de connaissance scientifique » (τὸ ἐπιστηµιονικόν)28, ce n’est pas que la majeure provienne toujours de nos facultés intellectuelles, mais plutôt que, lorsque les facultés intellectuelles de l’homme peuvent être considérées comme un facteur de l’action, elles ne le peuvent que dans la mesure où elles contribuent à la formation de la majeure ;
que sa conclusion est une action. Ce point est particulièrement manifeste dans le DMA, dont les exemples se terminent presque tous par une phrase à la troisième personne décrivant l’action ; et Aristote précise à chaque fois que cette action est accomplie immédiatement29. Il y a une seule exception : le système de syllogismes qui constitue l’exemple du manteau (no 6), qui s’achève sur une proposition : « il faut faire un manteau », très semblable par sa forme aux majeures des autres exemples. Mais Aristote ajoute aussitôt que « cette conclusion : il faut faire un manteau, est une action ». Nous reviendrons plus loin sur l’argument par lequel il justifie cette assimilation ; mais dès maintenant il est certain que pour Aristote le « syllogisme pratique » a normalement pour conclusion une action, et même une action immédiate : « dans ce cas [celui du syllogisme théorique] la fin visée est la connaissance d’une vérité [un θεώρηµα] ; en effet, lorsque l’on conçoit les deux prémisses, on conçoit la conclusion, c’est-à-dire qu’on la constitue par un acte de synthèse ; mais ici la conclusion résulte des deux prémisses sous la forme d’une action »30.
16La formule générale (exemple no 1) présente les choses d’une façon différente : elle se limite aux prémisses, sans énoncer la conclusion qui devrait en résulter. Mais c’est qu’il s’agit, dans le contexte du DA, de déterminer laquelle des deux prémisses doit être considérée comme cause du mouvement : il est donc admis implicitement qu’elles produisent une action et non une proposition. Remarquons d’ailleurs que la réponse d’Aristote à cette question s’écarte d’une analogie stricte avec le raisonnement logique ; en effet, il affirme que c’est la mineure qui produit l’action ; ou, si c’est « les deux ensemble », la majeure est davantage « en repos » ; alors que dans le cas du raisonnement logique, les deux prémisses contribuent également à la conclusion (il en va de même dans les exemples 8 et 9, tirés de l’Éthique à Nicomaque : mais il est vrai qu’on pourrait l’expliquer par le fait qu’il s’agit alors d’analyser des cas où l’inférence – si c’en est une – ne se fait pas, ou ne se fait pas comme elle le devrait ; et la même remarque s’applique à la mention de la majeure dans le cas no 2 : il s’agit simplement d’illustrer la thèse qu’une telle proposition ne peut être reconnue que par un homme de bien, il n’est donc pas nécessaire de se référer au « syllogisme » sous sa forme complète).
17Mais si la conclusion est une action, en quel sens peut-on parler d’inférence ? Une action est-elle quelque chose qui puisse être inféré ? Une solution pourrait être de considérer que toute action est l’équivalent d’une assertion ; qu’elle s’accompagne ou pourrait s’accompagner d’une proposition P telle que, si le sujet est convaincu de la vérité de P, il doit nécessairement accomplir l’action correspondante, et qu’il accomplit l’action si et seulement si il est convaincu de la vérité de P. Une telle solution pourrait s’appuyer sur la formule du livre VI de l’EN : « ce que l’affirmation et la négation sont dans la pensée discursive, la poursuite et la fuite le sont dans le cas du désir »31, dont elle représenterait une interprétation particulièrement forte. Puisque le raisonnement pratique doit déboucher sur une action, il faut que la conclusion, si elle n’est pas le mouvement lui-même, apparaisse du moins sous la forme d’un impératif. Elle doit donc être affectée d’une modalité « déontique » (qui s’exprime dans de formules telle que : « il faut… » ou : « je dois… »). Mais d’où lui viendra ce caractère ? La solution la plus simple est d’admettre qu’il est déjà contenu dans la majeure, dont la conclusion ne sera que l’application à un cas particulier. Une telle interprétation a été notamment développée par G. H. von Wright, en relation avec sa propre philosophie du raisonnement pratique, et c’est certainement la plus cohérente de celles qui font du syllogisme pratique un processus d’inférence : von Wright pose que la majeure se caractérise par une modalité particulière, axiologique ou déontique, et que c’est cette modalité (et non la vérité) qui est transmise déductivement à la conclusion.
18Mais toutes les interprétations de ce type se heurtent à deux objections : (1) la thèse selon laquelle certaines convictions théoriques sont nécessaires et suffisantes pour produire l’action correspondante est précisément discutée et écartée – ou du moins fortement nuancée – par Aristote dans sa discussion de l’intempérance au livre VII ; (2) s’il croyait à une telle correspondance entre des actions et des propositions, Aristote pouvait se contenter d’énoncer ce principe général dans l’exemple du manteau, pour se débarrasser de la difficulté. Or il ne le fait pas, mais il a recours à une construction plus complexe, qui combine le « syllogisme pratique » catégorique, et la démarche d’analyse régressive caractéristique de la délibération humaine :
« La conclusion, il faut faire un manteau, est une action. Mais on agit à partir d’un principe : s’il doit y avoir un manteau, il est nécessaire qu’il y ait d’abord ceci ; or pour qu’il y ait ceci, il faut cela ; et cela, on le fait aussitôt. »32
19L’analyse régressive permet donc de faire la médiation entre un projet à terme, et une possibilité d’action immédiatement présente. Elle représente donc une variante, plus longue, et fondée sur les facultés proprement humaines du raisonnement et de l’anticipation de l’avenir, de la relation quasi-immédiate qui existe entre la majeure et la mineure dans les formes les plus simples du syllogisme pratique.
20On ferait donc fausse route en cherchant dans le modèle du syllogisme pratique l’analyse d’un processus d’inférence. La comparaison avec la déduction est peut-être à prendre en un sens plus limité : de même que les prémisses du syllogisme théorique expliquent la conclusion, la rencontre de la majeure et de la mineure explique l’action. La majeure devient une règle pour l’action lorsqu’elle rencontre la mineure. Cela se comprend facilement sur les exemples. Je peux éprouver la soif comme une souffrance insupportable, et être rationnellement convaincu qu’il est nécessaire et urgent de trouver à boire (si je me suis égaré dans une région aride), je resterai entièrement incapable de commencer la moindre action tant que je n’aurai pas perçu la présence de l’eau, ou un indice de sa présence possible quelque part.
21Cela signifie que la majeure n’est pas un impératif. Il est vrai que plusieurs exemples proposés par Aristote se prêtent à première vue à cette interprétation : ainsi « tout homme doit marcher » (πάντι βαδιστέον ἀνθρώπῳ)33, ou « un homme de cette sorte doit accomplir une action de cette sorte » (δεῖ τὸν τοιοῦτον τὸ τοιόνδε πράττειν)34, ou même « puisque la fin visée, et le meilleur, sont telle chose… » (ἐπειδὴ τοιόνδε τὸ τέλος καὶ τὸ ἄριστον[)35. Cependant on trouve aussi des cas moins favorables, comme : « j’ai besoin de me couvrir » (σκεπάσµατος δέοµαι)36, ou : « tous les liquides pesants sont mauvais » (πάντα τὰ βαρύσταθµα ὓδατα ϕαῦλα)37. La formule qui fait de la majeure « la prémisse du bien » ne doit pas être comprise en un sens kantien. On peut admettre qu’elle exprime simplement des propriétés des choses. En fait, si l’on veut qu’il s’agisse toujours d’un impératif universel, on rencontrera des cas d’une invraisemblance décourageante. La majeure du gourmand, par exemple : « il faut goûter à tout ce qui est sucré » évoque une boulimie sans aucune retenue ; et ce n’est pas seulement parce qu’il s’agit d’un exemple de vice. Anscombe remarque justement qu’une maxime telle que : « il faut tout faire pour éviter un accident de la circulation », prise à la lettre, sera tout aussi délirante38. Il est plus raisonnable de penser que la proposition : « il faut goûter à tout ce qui est sucré » mentionne le fait que la saveur sucrée, en elle-même, nous cause du plaisir, et que par conséquent tout aliment sucré nous offre, en quelque sorte, l’occasion de renouveler ce plaisir (c’est sans doute pour cela qu’Aristote dit « goûter » et non « manger » : la majeure ne prescrit pas une conduite sous sa forme achevée – manger –, mais rappelle l’existence d’une fin possible). Pour la même raison, il n’y a pas lieu d’exiger que la majeure soit elle-même un élément d’une théorie morale déductive complète39. Une majeure qui exprime une disposition permanente ou passagère du sujet, une vertu ou une envie, fera aussi bien l’affaire dès lors qu’il s’agit seulement d’expliquer l’action. Mais même pour que l’action soit correcte, il n’est pas nécessaire de pouvoir la justifier déductivement. Même dans le cas du syllogisme judiciaire, qui paraît le plus favorable au modèle déductif, la majeure (le texte de loi) n’est pas un énoncé universel et nécessaire connaissable a priori ; elle vaut « en règle générale » (ὡς ἐπὶ τὸ πολύ), et comme le résumé d’une partie de l’expérience morale des hommes.
22Ainsi l’action n’est pas inférée ni déduite à partir des deux prémisses ; mais elle résulte de leur synthèse et de leur fusion, de la même façon que le contenu de la conclusion résulte de la composition des prémisses. La formule de cette fusion est donnée dans le Traité de l’âme : « ce qui meut, dans tous les cas, c’est le bien [...] ; non pas tout bien, mais le bien réalisable dans l’action (τὸ πρακτὸν ἀγαθὸν) »40. Car, de même que la majeure est « la prémisse du bien », la mineure est « la prémisse du possible » : son objet spécifique est un πρακτόν, c’est-à-dire une action possible, une affaire au sens étymologique du mot, c’est-à-dire un élément de ma situation présente qui se trouve accessible à mon action. Le πρακτόν est donc un objet singulier et contingent, qui, dès lors qu’il aura été reconnu comme ouvrant vers un certain bien, aura le pouvoir d’orienter l’action de l’animal, immédiatement et jusqu’à la réussite ou l’échec de son action (c’est, me semble-t-il, en raison de la possibilité de réussite ou d’échec qu’Aristote va jusqu’à appeler πρᾶξις le comportement des animaux non raisonnables, alors que dans d’autres contextes41 il lui refuse ce titre).
23La reconnaissance du πρακτόν est une expérience originale. Dans le DMA, Aristote la rapporte « à la perception, à l’imagination (ϕαντασία) ou à un acte de l’intelligence (νοvησις) »42, sans qu’on voie nettement s’il entend par là diverses sources possibles de la mineure, ou diverses descriptions possibles d’un même acte. Deux passages de l’EN suggèrent que la seconde interprétation est la bonne. Dans le premier43, il s’agit de caractériser le type de connaissance propre à la prudence (ϕρόνησις). Ce n’est pas une science, puisqu’elle porte sur des termes derniers, qui ne peuvent être connus de façon démonstrative. Elle occupe donc, dit Aristote, une position symétrique par rapport à l’acte de l’intelligence par lequel, dans les sciences théorique, nous comprenons les termes premiers. La connaissance de ces termes est ἄλογος, non susceptible d’être développée dans un discours, parce que c’est elle qui fonde la possibilité d’énoncer les propositions scientifiques et de leur reconnaître un sens. Symétriquement, il doit exister une possibilité d’appliquer les propositions universelles aux faits singuliers, qui est elle aussi une condition indispensable de leur signifiance, et dont on ne peut pas davantage rendre raison. Le second passage, qui appartient à la conclusion d’ensemble sur les facultés dianoétiques44, accentue les similitudes ; ici la perception des πρακτά est considérée sans réserve comme un acte d’intellection immédiate :
« L’intelligence porte sur les termes ultimes, dans les deux directions : et en effet les termes ultimes aussi bien que les termes premiers font l’objet d’une intellection, et non d’un discours. L’intellection qui accompagne les démonstrations porte sur des termes immuables et premiers ; celle qui est présente dans les démonstrations pratiques (ἐν ταῖς πρακτικαῖς <ἀποδείξεις>) est l’intellection des termes derniers et contingents, qui relèvent de la seconde prémisse. »
24Ainsi, la connaissance du πρακτόν peut être décrite aussi bien comme une forme d’intellection que comme un cas de perception. Elle est perception parce qu’elle porte sur des objets singuliers et contingents, mais elle comporte en même temps la saisie de quelque chose qui n’est pas une donnée sensible, et qui doit être compris. Elle peut être considérée – pour rappeler un exemple favori d’Aristote – comme un cas de lecture. La pratique de la lecture et de l’écriture45 consiste à reconnaître dans la figure singulière que j’ai sous les yeux (« cet A-ci ») un exemplaire d’un type universel (« un A »)46. C’est un modèle de l’actualisation d’une science (et il n’est pas surprenant qu’Aristote utilise la distinction entre la science en puissance et l’exercice actuel du savoir pour résoudre les apories de l’intempérance au livre VII de l’Éthique à Nicomaque) ; mais c’est en même temps une expérience de reconnaissance immédiate, qui s’apparente à une perception, qui est, même, une perception, mais « ce n’est pas la perception des sensibles propres »47. C’est sans doute un cas de « sensible par accident », puisque l’objet est saisi immédiatement avec son double caractère de désirable et d’action-à-faire, de la même façon que je perçois « le fils de Diarès »48 dans cette forme blanche qui est devant moi. Aristote compare encore la saisie du πρακτόν à cette forme particulière de perception par laquelle nous reconnaissons, en géométrie, que cette figure que voici est un triangle49. Il fait sans doute allusion à la condition particulière des démonstrations géométriques, qui sont universellement valides bien qu’elles soient obtenues en raisonnant sur des figures particulières50. Pourquoi cette analogie entre des situations « opposées »51 est-elle censée être éclairante ? Aristote la commente par une remarque : στήσεται γὰρ κἀκεῖ, « on s’arrêtera là aussi », qui évoque la nécessité d’arrêter la régression dans les explications. L’idée est que le πρακτόν occupe une position principielle : il est ce qui donne à la formule de la majeure un sens, c’est-à-dire un sens pratique.
25L’explication du mouvement local des animaux et sans doute un point mineur de la philosophie aristotélicienne. Mais elle est intéressante par l’éclairage qu’elle projette sur des questions cardinales auxquelles elle est malgré tout apparentée : l’origine première du mouvement dans le monde, le rôle de la saisie du singulier dans la connaissance, et enfin la condition de l’homme comme sujet éthique. Dans chacun de ces domaines, elle fait apparaître la nécessité, pour la philosophie, de reconnaître le caractère principiel du singulier.
Notes de bas de page
1 EN VI 2, 1139b 4-5.
2 DMA, 7, 701a 7-8.
3 « But how is it that thought is sometimes followed by action, sometimes not, sometimes by movement, sometimes not ? » (ROT).
4 Intermédiaire entre la pure intellection et la sensation. Sur cette traduction de διάνοια (de préférence à la traditionnelle « pensée discursive »), voir la remarque de Brunschwig, 2000, p. 283 n. 32.
5 DMA 7, 701a 29.
6 C’est du moins le cas de la plupart des animaux. Mais le DA mentionne (III 11, 433b 31 - 434a 5) le problème des animaux imparfaits, qui ne possèdent que le sens du toucher : on peut penser qu’ils n’ont eux-mêmes qu’un mouvement local indéfini. On connaît des exemples de tels mouvements « indéfinis » : ainsi les tropismes, ou les mouvements de fuite. Plus généralement, et même chez les animaux supérieurs, le mouvement de fuite apparaît toujours indéfini.
7 Phys. VIII 2, 253a 9-11.
8 Phys. VIII 2, 253a 11-20 ; voir dans le même sens VIII 6, 259a 32 - b 20.
9 DMA, 7, 701b 1-32.
10 DMA, 7, 701b 26-28.
11 DA III 10, 433b 5-11.
12 Platon, Protagoras, 352e - 357e.
13 DA III 11, 434a 5-10.
14 La formule qui s’en rapprocherait le plus se trouve au livre VII de l’EN (1144a 31-32) : οἱ συλλογισµοὶ τῶν πρακτῶν ou plus probablement οἱ συλλογισµοὶ τῶν πρακτῶν ἀρχὴν ἒχοντες[ : « les syllogismes qui contiennent le principe [ou : le point de départ] des actions possibles » (sur ce point, voir Kenny, 1979, p. 111-112).
15 DA III 9, 432a 18-22, 432b 8, 432b 13-14.
16 DA III 9, 432b 14-26.
17 DA III 9, 432b 26 - 433a 7. Ici encore on rencontre une réminiscence du Protagoras, avec une intention critique : « On peut voir que celui qui possède la science médicale ne soigne pas, parce que c’est quelque chose d’autre, et non la science elle-même, qui commande à la production conforme à la science » (433 a 4-6, cf. Protagoras, 352 b-d).
18 DA III 9, 433a 6-9.
19 DA III 10, 433b 10-11.
20 DA III 12, 434a 13.
21 EN VII 5, 1147b 3-5.
22 EN III 5, 1112b 11-27. On trouve d’autres réflexions sur cette démarche dans la Physique (II 9, 200a 15-24) et dans la Métaphysique (Z 7, 1032b 6-9).
23 Une variante de cette seconde possibilité serait que je parvienne à une condition pour laquelle je puisse attendre sans plus un moment favorable pour la réaliser.
24 EN VI 10, 1142 a 31 - b 33.
25 DMA 7, 701a 8-9.
26 DMA 7, 701a 24-25 ; la tournure grecque (αἱ δὲ προτάσεις αἱ ποιητικαὶ διὰ δύο εἰδῶν γίνονται, διά τε τοῦ ἀγαθοῦ καὶ διὰ τοῦ δυνατοῦ) signifie plus exactement que les prémisses sont posées à partir de ces deux points de vue que sont la considération du bien et la considération du possible.
27 DA III 10, 433a 28-29.
28 DA III 11, 434a 14-21.
29 εὐθέως 701a 14 ; εὐθύς a 15, a 17, a 23, a 30, a 33. Dans l’EN, VII 5, 1147a 31, on trouve de même ἀνάγκη... ἃµα τοῦτο καὶ πράττειν.
30 DMA 7, 701a 10-13
31 EN VI 2, 1139a 21-22 ; voir dans le même sens DA III 7, 431a 8-11.
32 DMA 7, 701a 19-22.
33 Exemple no 3.
34 Formule no 1.
35 Formule no 2.
36 Exemple no 6.
37 Exemple no 8.
38 Intention, p. 58 et suivantes. Anscombe suggère que l’on doit rejeter de telles majeures lorsqu’elles sont affirmatives, mais qu’il est possible d’en accepter de négatives, par exemple : « il ne faut jamais mentir » – conformément à l’idée répandue que la forme négative convient mieux pour un impératif catégorique. Mais le logicien objectera que la formulation affirmative ou négative n’affecte que l’énoncé et non pas la proposition. La majeure du gourmand, si on la conçoit comme une maxime universelle, pourrait sans inconvénient être transformée en : « il ne faut jamais s’abstenir de goûter à ce qui est sucré ».
39 Voir la discussion de cette conception dans Nussbaum, 1985, p. 165-175.
40 DA III 10, 43a 27-29. On trouve une formule symétrique de celle-ci au début du chapitre 8 du DMA : « Donc ce qui est principe du mouvement, c’est, comme on l’a dit, ce qui, dans le domaine de l’action possible, et à rechercher ou à fuir (τὸ ἐν τῷ πρακτῷ διωκτὸν καὶ ϕευκτόν) » (701b 33-34).
41 EN VI 2, 1139a 20.
42 DMA 7, 701a 33, 36.
43 EN VI 9, 1142a 23-30.
44 EN VI 12, 1143 a 35 - b 5.
45 L’art conjoint de la lecture et de l’écriture est la γραµµατική ou « science des lettres » ; la traduction conventionnelle par « grammaire » obscurcit gravement le sens des exemples aristotéliciens.
46 DA II 5, 417a 28-29.
47 EN VI 9, 1142a 27.
48 DA II, 6, en particulier 418a 21.
49 EN VI 9, 1142a 23-30.
50 Voir Metaph. M 10, 1086b 33-37. J’ai commenté ce passage dans Crubellier, 1996, en particulier les pp. 86-90 et 95-98.
51 « [Cette connaissance] est à l’opposé de l’intellection (ἀντικεῖται µὲν δὴ ῷ νῷ) », écrit Aristote, 1142a 25.
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