Chapitre 6. Le sens et les fonctions du dialogue dans l’œuvre scientifique de galilée
p. 141-165
Note de l’auteur
Cet article a paru dans le no 14 des Recherches sur la philosophie et le langage publiés par le Département de philosophie de l’Université Pierre Mendès France de Grenoble. Je tiens à remercier les personnes qui ont souhaité sa réédition et celles qui l’ont facilitée et particulièrement Frédéric Cossutta, Marie-Laurence Desclos et Denis Vernant ainsi que les éditions Vrin.
Texte intégral
1Les hommes de sciences d’aujourd’hui n’écrivent plus sous la forme dialoguée. Leurs publications originales viennent à la connaissance de la communauté scientifique sous la forme d’articles de revues très spécialisés et non pas de vrais traités. Il n’est d’ailleurs pas certain qu’une communication originale, d’un physicien par exemple, présentée sous la forme d’un dialogue obtienne l’agrément d’un conseil scientifique éditorial. Il apparaît donc qu’un livre de physique faisant part au monde savant d’un certain nombre de découvertes fondamentales présentées sous la forme d’un dialogue est assez caractéristique d’un stade de la connaissance scientifique et d’une certaine structure de l’institution scientifique. Ayant étudié précédemment le récit scientifique à l’âge baroque, il peut être intéressant de poursuivre ces études de stylistique scientifique et d’épistémologie en se demandant quelle est la signification et quelles sont les fonctions du dialogue dans l’œuvre de l’un des plus grands savants du xviie siècle1.
2On peut évoquer plusieurs motifs pour tenter de justifier le choix d’une telle forme argumentative de la part de l’un des créateurs de la physique. Ces motifs tiennent à la culture, à l’époque, au sujet traité, à la personnalité même de l’auteur. Mais des raisons plus profondes, plus délibérées ou en tout cas d’ordre méthodologique et épistémologique sont sans doute en jeu. Elles permettent aussi de rendre plus sensibles le sens et le style de l’œuvre de Galilée.
3La forme dialoguée du Dialogo sopra i massimi sistemi et des Discorsi mtorno a due nuove scienze avait déjà fait l’objet, du vivant de leur auteur, de commentaires de la part de grands savants et penseurs. Laissons de côté pour l’instant le jugement de Campanella que nous aurons l’occasion de citer par la suite. Ce qu’écrit Descartes, en revanche, au sujet de la forme dialoguée des œuvres de Galilée présente un intérêt immédiat ; à cause de la personnalité du juge et en raison du ton très critique et même franchement polémique adopté : « Sa façon d’écrire par dialogues, où il introduit trois personnes qui ne font autre chose que louer et exalter ses inventions chacun son tour, aide fort à faire valoir sa marchandise »2.
4« Sa façon d’écrire par dialogues » ! Cette expression pourrait, à elle seule, donner une idée de l’étonnement et même du mépris du philosophe pour un genre, pour ne pas dire un procédé, qui semble plus apte à servir la publicité de son auteur qu'à exposer systématiquement toute la science de la nature en la déduisant de principes certains. La réaction de Descartes ne pourrait surprendre un lecteur des Principes de Philosophie. Nous aurons à revenir sur cet aspect du rapport du style avec la systématicité du contenu.
5Pourtant la forme du dialogue avait été largement utilisée à la Renaissance, comme elle devait l’être encore pendant l’âge classique, pour des fins philosophiques, scientifiques ou doctrinales. De Platon à Leibniz et Malebranche en passant par Erasme et Vanini, la tradition du dialogue est solidement établie et Descartes ne pouvait ignorer les vertus d’un genre pratiqué par des prédécesseurs et certains de ses contemporains célèbres. La raison des attaques du philosophe dépasse certainement la question de la forme mais aussi celle de la polémique personnelle.
6Bonfantini et Ponzio ont distingué trois formes de dialogues : un dialogue « phatique », dans lequel l’auteur ne se propose pas d’objectif précis, un dialogue instrumental, caractérisé au contraire par la poursuite d’un but déterminé, et un dialogue de réflexion dans lequel on approfondit un sujet pour lui-même3. Cette distinction doit être nuancée, ne serait-ce que parce que ces trois formes peuvent aisément cohabiter dans un même texte. C’est le cas précisément avec le Dialogo sopra i massimi sistemi et avec les Discorsi e dimostrazioni matematiche intorno a due nuove scienze. Rappelons tout de suite au sujet de cette dernière œuvre que Galilée l’appelle le plus souvent Dialoghi. Il s’agit bien de dialogues en effet même si le mot a été supprimé dans le titre de l’édition elzevirienne. On peut penser sans peine que l’éditeur, L. Elzevier, ait évité de faire figurer dans le titre de l’ouvrage un mot qui rappelait inévitablement la continuation de la polémique du Dialogo. Dans une lettre à Elia Diodati d’août 1638, le savant a réagi avec vigueur à la nouvelle de la modification du titre. Celle-ci lui causait étonnement et inquiétude car de noble, comme il méritait de l’être, le titre était devenu trop vulgaire, « per non dire plebea »4.
7Nous touchons là à un point essentiel de la philosophie galiléenne du dialogue, ainsi qu’à la psychologie du savant. La noblesse du genre du dialogue est certainement et intimement associée dans l’esprit de Galilée, à celle de son entreprise, pour ne pas dire de sa « croisade ». Toute l’œuvre, toute la vie, toute la pensée galiléennes sont marquées et animées par la polémique. Voyons en quel sens et pourquoi.
8Lorsque le dialogue n’est pas « phatique », lorsque sa raison d’être n’est pas le simple entretien, l’échange de nouvelles ou d’informations – et cela dépasse la conversation sur le temps qu’il fait – la notion de stratégie apparaît aussitôt. Celle-ci peut être vue à un double point de vue : celui de la prudence et celui de l’audace. On a souvent parlé du dialogue écrit comme d’un procédé qui permet à son auteur d’avancer des thèses sans courir le risque d’objections et, moins encore, de censure. Cette tactique habile met en jeu plusieurs artifices d’esquive : on fait exposer la thèse téméraire ou trop difficile à faire admettre pour des raisons diverses, par un personnage qui semble seul en prendre la responsabilité, celle de l’auteur n’étant pas engagée. La technique du récit peut aussi faire jouer un contexte qui sauve le texte : le récit d’un rêve ou d’un songe est alors l’occasion de risquer la thèse audacieuse. Plus généralement, la structure dialogique, en répartissant d’une certaine manière le message entre plusieurs personnes, contribue à la fragmentation d’une thèse et empêche la reconnaissance d’un argument nettement affirmé. Les idées sont lâchées : elles volent, elles circulent (c’est bien le but), mais elles restent en deçà de la déclaration, de l’authentification du discours, celle-ci étant rendue malaisée sinon impossible. Le lecteur est parfois volontairement égaré par l’entrecroisement ou le brouillage des pistes. Il s’agit toujours de faire admettre ou de faire simplement passer une pensée hétérodoxe.
9Le dialogue galiléen use de ces procédés, mais sa vraie nature est plus ouvertement polémique. Le style de pensée de Galilée est polémique, sa pédagogie est polémique, sa science est polémique.
Un style de pensée polémique
10Par style de pensée on doit entendre autant la personnalité psychologique de l’auteur que ses manifestations privées et publiques, biographiques et littéraires. Il n’est pas nécessaire d’entrer ici très avant dans la personnalité psychologique du savant, ni de reprendre des épisodes connus de sa vie.
11Tous les biographes de Galilée ont dû parler de son caractère enthousiaste, impatient, rancunier, enclin à la « battaglia », cédant rapidement au sarcasme et à l’ironie. Le fond de cette personnalité est certainement marqué par l’expansion, la générosité, la tendance à faire partager les connaissances et plus encore les joies de la découverte et des obstacles surmontés. Mais ce goût pour la doctrine et son enseignement vivant devient vite, dans cet esprit enthousiaste et à l’imagination vive, une volonté de convertir, de renverser des thèses, de faire des disciples et des adeptes, de ridiculiser ou d’écraser des adversaires. Ces traits sont amplement signalés par les contemporains du savant, et apparents dans la correspondance de notre auteur et de son entourage. On peut saisir sur le vif la promptitude à s’emporter et l’irrépressible tendance à corriger, redresser, ironiser, invectiver même, dans les annotations que le savant écrit dans la marge des œuvres de ses adversaires et dans les épithètes dont il qualifie ces derniers. On doit citer, après Drake, le féroce jeu de mots latins occasionné par le titre de la Libra de Sarsi. Alors que ce dernier comporte le mot « examinantur » (sont examinées) à propos des « opiniones » de Galilée sur la nature des comètes, celui-ci a substitué « exanimantur » (sont étouffées).
12Ce n’est là qu’une des nombreuses manifestations d’un esprit polémique et d’une ironie parfois mordante qui ont trouvé à s’employer lorsque le savant a pris conscience de sa « mission », c’est-à-dire à partir des années 1610. Après la publication et le succès du Sidereus Nuncius et au moment de quitter Padoue pour se rendre à Florence, le savant projetait encore de faire imprimer plusieurs traités ; pour l’essentiel, un De systemate sen constitutione Universi, un De motu locali et un De maris esta. Le titre du premier traité indique à lui seul l’inspiration copernicienne en reprenant le premier livre, sur la constitution de l’univers, du De revolutionibus orbium cœlestium. Quant aux deux autres ouvrages projetés, ils devaient se rapporter aux deux grands domaines des preuves physiques du copernicanisme : la théorie du mouvement local, et surtout la théorie des marées.
13Cette dernière restera toujours aux yeux de son auteur le meilleur argument en faveur de l’héliocentrisme puisqu’elle repose pour l’essentiel sur la composition des deux mouvements, orbital et diurne, de la Terre. Il est remarquable que seule cette théorie ait fait l’objet d’un vrai traité quelques années plus tard ; encore fut-il rédigé en langue vulgaire sous le titre Discorso del flusso e reflusso del mare. Les autres traités en latin initialement prévus ne verront jamais le jour. Les arguments qui devaient y être développés le seront sous la forme dialoguée dans le Dialogo et dans les Discorsi. L’occasion va bientôt être donnée à Galilée en effet d’entrer dans la polémique et de trouver un style qui conviendra mieux à sa nature et à celle de son entreprise.
14En 1612, c’est encore un « trattato » que Galilée publie, le Discorso intorno alle cose che stanno in su l’acqua. Mais le Discorso apo-logetico d’intorno ai Discorsi di Galileo Galilei d’un certain Ludovico delle Colombe (que Galilée s’empresse d’appeler « pippione » !)5 et qui attaque Galilée pour défendre la physique traditionnelle, provoque une riposte de la part de ce dernier. C’est la Risposta alle opposizioni del S. Ludovico delle Colombe e del S. Vincenzio di Grazia qui paraît en 1615 sans nom d’auteur. Le nom de Benedetto Castelli, un bénédictin disciple de Galilée, apparaît mais le pamphlet a été revu, corrigé, en grande partie rédigé par Galilée lui-même. Jusqu’alors celui-ci n’avait pu montrer ses dons de polémiste que pour se défendre publiquement contre les accusations de Baldassare Capra dans une question de priorité dans l’invention du « compasso geometrico militare ». À présent, il s’agissait d’autre chose ; et pour mieux le comprendre il faut savoir que l’un des grands thèmes de la bataille copernicienne était déjà présent dans le Discorso intorno alla cose che stanno in su l’acqua de 1612, à savoir l’existence et la nature des taches solaires. On peut estimer que le savant se lance dans la « battaglia » avec l’Istoria e ditnostrazione intorno alla macchie solari e loro accidenti, recueil de trois lettres à Welser des 4 mai, 14 août et 10 décembre 1612, adressées en réponse aux trois lettres du père Scheiner. Or l’Istoria e dimostrazione... de 1613 est un écrit important pour bien comprendre la mise en place du style dialogique dans l’œuvre de Galilée.
15Le style indirect, la forme épistolaire et le genre polémique se conjuguent pour donner à l’ouvrage sur les taches solaires une allure qui semble rétrospectivement préparer au dialogue. Les années 1610-1615 sont donc décisives quant à la formation et à l’avènement du dialogue galiléen. Le savant, par nature enclin à la polémique, mais qui n’avait jusqu’alors trouvé que des circonstances occasionnelles de carrière pour s’y livrer, va mettre son talent et toutes les ressources de la rhétorique au service d’une cause : la défense du copernicanisme et, corrélativement, les assauts menés contre la physique scolastique. Que ce programme soit parfaitement fixé à cette période, nous en avons le témoignage dans le fait que les documents les plus importants que Galilée ait produits sur les questions de la conception générale de la science, du problème de l'autorité et des rapports de la science avec la foi datent de ces années. Il s’agit de la lettre à Benedetto Castelli du 21 décembre 1613, des deux lettres à Pietro Dini du 16 février et du 23 mars 1615, et de la longue lettre à Christine de Lorraine, Grande Duchesse de Toscane, achevée en 1615. C’est d’ailleurs le 26 février 1616 (le Discorso del flusso e del reflusso del mare a paru le 8 janvier) que la Congrégation du Saint Office intervient pour demander à Galilée de ne plus soutenir les thèses coperniciennes. Le Dialogo sopra i massimi sistemi reprendra, pour l’essentiel, tout ce qui a été traité dans les ouvrages antérieurs, sous une forme que l’on peut dire parfaitement adaptée au but poursuivi, mais préparée d’une certaine manière par le « discorso sui galleggianti » (comme l’appelle son auteur) ou plutôt la Risposta qui l’a suivi, et par le travail sur les taches solaires dédié à Salviati, membre de l’Accademia dei Lincei. Le fait que cette institution, la première du genre, se soit engagée dans la lutte en se chargeant de l’édition de cette Istoria e dimostrazione intorno alle macchie solari témoigne d’ailleurs de l’ampleur du mouvement copernicien dans la révolution intellectuelle qu’entendait conduire Galilée. La diplomatie du prince Federico Cesi, qui animait et finançait l’Académie et dont la disparition prématurée apparaîtra comme un coup mortel au moment de la parution du Dialogo, fait ressortir, par contraste, l’impatience et l’engagement passionné de Galilée dans son action de propagande culturelle.
16L’esprit polémique du savant ne devait pas trouver immédiatement sa forme idéale d’expression dans le Dialogo. Un adversaire, encore un père, allait se présenter sur la route de Galilée et le contraindre à une riposte qui est un chef-d’œuvre de la diatribe scientifique. Le Saggiatore et la virulente querelle qui accompagne sa rédaction, sa parution et sa réception représentent l’apothéose de l’esprit de « batttaglia » de Galilée, allant jusqu’au sarcasme. Tout s’y trouve réuni, du jeu de mots amusant ou perfide à la machine de guerre intellectuelle, le sujet dépassant largement le problème de la nature des comètes. Le but de l’auteur est d’écraser l’adversaire et de mettre en pièces le système tychonien qui avait séduit la prudence ou l’esprit de compromis des jésuites. Mais le Saggiatore n’est pas seulement le document le plus net et le plus complet de l’esprit combatif de son auteur ; c’est aussi un faux dialogue. Le ton véhément, l’interpellation, le souci de la répartie, le besoin permanent de reprendre les thèses de l’adversaire jusque dans leur formulation latine pour les redresser et même les ridiculiser, tous ces éléments s’ajoutent aux arguments de la lutte (pour la langue courante et vivante contre le latin plus pédant que savant, pour le copernicanisme, et surtout pour une vraie logique contre la sophistique) pour donner à cette œuvre considérable l’allure d’un dialogue. Or les raisons qui semblent réaliser les conditions d’un dialogue sont également celles qui bloquent le va-et-vient indispensable. L’auteur, en répondant à la place de l’interlocuteur, ne paraît adhérer aux règles de l’échange que pour mieux enfermer l’adversaire dans une position intenable. La progression du discours obéit à une logique interne et ne doit rien à un quelconque retour d’argument amorcé ou développé par l’autre partie ; ce n’est que le style qui par ses formes et ses tournures donne l’illusion d’une structure dialoguée. Il reste que des éléments importants de la rhétorique galiléenne, mis en place dans le contexte personnel que nous venons de voir, se retrouveront, simplement repris ou à peine modifiés, dans la trame du Dialogo. L’une des manifestations les plus saillantes de ce style commun est sans doute l’apostrophe si caractéristique de la rhétorique galiléenne. En lisant le Saggiatore, le lecteur du Dialogo, qui a sans cesse présente à la pensée la formule de Salviati « Mais dites-moi, Signor Simplicio... » rencontre le plus naturellement son équivalente « Mais dites-moi, Signor Sarsi... »
17Nous avions dit dans l’Introduction que le style de pensée de Galilée est polémique autant que sa pédagogie et que sa science même. La présentation du style de pensée nous a conduit jusqu’au Dialogo dont la plupart des éléments ont ainsi déjà été élucidés. Les deux autres aspects relatifs au caractère polémique de la pédagogie et de la science galiléennes seront montrés dans la présentation synthétique des fonctions du dialogue dans le Dialogo et les Discorsi.
Une pédagogie polémique
18L’argument de la pédagogie polémique est intimement lié à celui, évoqué précédemment, du goût d’une culture pour le dialogue. Il est évident que, parmi les Anciens qui ont servi de modèles à la Renaissance, la figure de Platon occupe une place priviligiée. Les grands auteurs de l’Italie de cette époque s’en inspirent, de Coluccio Salutati à Castiglione en passant par Valla ou Alberti. Le rôle culturel du dialogue platonicien dans l’Italie de la Renaissance et de la Contre-Réforme a sans doute été renforcé dans la pensée de Galilée par l’exemple de son père, Vincenzo Galilei. Cet élève de Zarlino avait en effet publié en 1581 un Dialogo della musica antica e della moderna dédié à Giovanni de Bardi, dans lequel il dialoguait lui-même avec Bardi et Strozzi, et qui a justement pu être considéré comme le véritable manifeste de la monodie. Cet ouvrage polémique qui défend un retour à la monodie antique accompagnée (la basse continue) contre la « barbaria » de la polyphonie excessive et confuse franco-flamande, s’inspire doublement de Platon. Ce dernier avait insisté, selon les partisans de la monodie, sur le fait que la musique était d’abord la parole et le rythme (la prosodie antique). Mais la qualité pédagogico-philosophique des écrits platoniciens exerçait aussi une influence profonde sur les théoriciens soucieux de présenter leurs nouvelles idées et de combattre d’anciennes écoles sous la forme de dialogues. Déjà, en 1568, le Fronimo, dialogue sur les tablatures avec des illustrations sonores à l’usage du luth, manifestait une pédagogie platonicienne vivante.
19Dans le Dialogo sopra i massimi sistemi, Galilée fils s’explique, par la voix de Salviati, sur son choix d’une maïeutique socratico-platonicienne, et dont le dialogue sera la forme obligée :
Perchè il proceder per interrogazioni mi par che dilucidi assai le cose oltre al gusto che si ha dello scalzare il compagno, cavandogli di bocca quel che non sapeva di sapere, mi servirô di tale artifizio6.
20Bien que Brian Vickers ait parlé d’un modèle plutôt cicéronien (le De oratore) dans la mesure où la structure ternaire admet un tiers arbitre et qu’il ne s’agit pas d’un simple dialogue entre maître et disciple, le modèle platonicien paraît très influent7. D’une manière générale, même si les thèses bien connues d’A. Koyré sur le platonisme de Galilée peuvent sembler outrées, il est hors de doute que Platon a été le modèle philosophique de Galilée comme Archimède a pu être son modèle « scientifique ». À ce sujet, on ne doit pas négliger le fait que l’un des grands signes de la victoire de la nouvelle philosophie sur la scolastique au terme du dialogue est le regret exprimé par le représentant de l’aristotélisme traditionnel de n’avoir pas commencé son itinéraire philosophique et scientifique par l’étude des mathématiques8. Ces dernières doivent, dans l’esprit de Galilée, remplacer la logique formelle ; et cette véritable révolution dans la pensée et la science de la nature est toujours associée à l’œuvre paradigmatique de Platon. Pour des raisons très voisines (aiguiser l’esprit à l’aide de vrais problèmes bien posés), la forme dialoguée et l’usage de la langue « naturelle » ou parlée constituent des éléments essentiels de la pédagogie galiléenne. La démarche vivante du dialogue est étroitement liée à la philosophie de l’étonnement et du retournement de l’étonnement propre à la recherche platonicienne, comme nous le verrons. Enfin, le thème des ténèbres et de la lumière, omniprésent dans le dialogue et spécifique de sa dynamique, constitue une sorte de leitmotiv philosophique incontestablement platonicien dans l’esprit de son auteur. Ces éléments essentiels de la pédagogie philosophique d’inspiration platonicienne sont inséparables de la forme dialoguée et ce n’est pas par simple coïncidence que le lecteur a pu les retrouver dans les œuvres de Leibniz ou de Malebranche autant ou presque autant que dans le Dialogo.
21L’abondance relative de dialogues à la Renaissance et à l’âge classique témoigne peut-être d’une nécessité de recourir à ce genre non scolastique pour présenter des sujets réellement nouveaux, pour combattre des attitudes devenues sclérosantes et stériles, pour trouver, en un mot, une forme d’expression adéquate à la nature de nouveaux messages remettant trop de choses fondamentales en cause et demandant la construction d’un nouvel univers mental. Il est remarquable en effet que le genre du dialogue qui semble si prisé dans la phase initiale de la science nouvelle, tende à se faire plus rare dans la phase suivante. Malpighi et Cavalieri, pour rester en Italie et parler d’œuvres de contemporains ou d’élèves de Galilée, avaient envisagé de donner la forme dialogique à leurs travaux et ont renoncé à ces projets9. Surtout, les dialogues changent de fonctions, lorsqu’ils sont encore utilisés ; cela est particulièrement net dans le siècle suivant avec les dialogues « philosophiques » ou de vulgarisation (Fontenelle, Diderot), lorsque la « science normale » est suffisamment reconnue dans le monde des spécialistes. Ces faits semblent accréditer les thèses bien connues de Th. Kuhn et R Feyerabend sur la nature des « paradigmes » et l’incommensurabilité des théories.
22La méthode synthétique d’exposition (dans le sens euclidien du terme) des Principia de Newton appartient, il est vrai, à une seconde (ou une troisième ?) génération de la « révolution scientifique ». Précisément, Newton naît l’année même de la mort de Galilée (1642). Or l’idéal d’une présentation systématique, sinon axiomatisée totalement, de la mécanique newtonienne ne paraît rétrospectivement possible que grâce aux travaux antérieurs de pionniers, tels Huygens, Kepler, Galilée, pour lesquels cet idéal pouvait paraître trop lointain, sinon chimérique. Pourtant tous les savants n’ont pas dû avoir recours à cette forme littéraire pour pouvoir exposer leurs idées nouvelles voire révolutionnaires ; à commencer par Copernic dont la structure du De revolutionibus reprend celle de l’Almageste de Ptolémée. Pour mieux apprécier le caractère polémique de la science et de la méthode galiléennes, il est nécessaire de considérer les fonctions du dialogue dans le Dialogo sopra i due massimi sistemi del mondo.
Les principales fonctions du dialogue d’après la lecture du Dialogo
231. La première fonction à envisager est la fonction dramatique. Il convient d’entendre d’abord par cette expression, le souci constant et presque obsédant de la vie, d’une science vivante, d’une pédagogie vécue, d’une pensée en devenir et en acte. Le dialogue a l’immense avantage, pour celui qui veut faire vivre ou revivre les découvertes, d’épouser la démarche même de la recherche. À l’opposé de la méthode synthétique euclidienne d’exposition si magistralement adoptée par Newton, Galilée opte pour le parti de reprendre, pour la présentation et l’enseignement, la démarche de l’investigation. Ce sens de l’itinéraire à refaire, ce souci du cheminement réel de la pensée renvoient autant à une pédagogie platonicienne qu’à la « forma mentis » d’un savant plus préoccupé de persuasion que de sèches démonstrations. Le dialogue représente un procédé d’exposition ouvert qui permet au lecteur de découvrir progressivement la vérité par la conscience de la vie même de la pensée. L’essentiel de cette pédagogie philosophique qui doit éveiller à la vie de l’esprit repose sur l’idée d’une reproduction de la dynamique de la recherche, une progression à « respiration humaine » pourrait-on dire, c’est-à-dire hésitante, aventureuse, rencontrant les obstacles, prenant le temps de s’arrêter, revenant en arrière sur certaines choses pour les affronter de nouveau mais mieux armé, insistant sur certains préjugés difficiles à déraciner, commentant et illustrant des principes qui semblent irrecevables, conduisant les raisonnements et développant les thèses les plus évidentes jusqu’à leurs conséquences les plus absurdes. Ces fonctions philosophico-pédagogiques que nous retrouverons sont solidaires du souci constant du savant d’adhérer au plus près du mouvement réel, vivant d’une pensée qui n’existe qu’en acte quand elle se risque, tâtonne, se reprend, objecte, bondit vers une autre idée proche ou parfois apparemment lointaine, cherche ses motifs, s’affermit ou au contraire renonce.
24La dramatisation est possible grâce à un discours dialogué entre des personnages qui se réunissent pendant quatre journées dans le « palazzo » Sagredo à Venise. Galilée fait preuve d’un grand talent pour rendre vivants ces personnages avec leurs formes d’esprit, leurs manières d’être ; à l’aide parfois de détails qui en font le contraire de ce que sont souvent les personnages de dialogues philosophiques : des idées ou des thèses vaguement incarnées. Il n’est pas indifférent de rappeler que des trois personnages du Dialogo seul Simplicio, le représentant de la science scolastique, est imaginaire, encore que plus d’une personne de l’entourage même de Galilée ait pu servir de modèle. Ce personnage imaginaire, représentant d’une science « fictive » bien que répandue, est en contraste avec les deux autres interlocuteurs, Sagredo, le noble vénitien, et Salviati, le noble florentin, qui avaient été des amis de l’auteur et étaient morts, le premier en 1620, et le second en 1614. Ce contraste entre une science « inexistante » ou inconsistante et la science réelle, éprouvée, en train de se construire, est renforcé par l’opposition, si essentielle dans l’œuvre de Galilée, entre les livres d'autorité et le vrai livre de la nature que le vrai philosophe invite à découvrir10 ; opposition à laquelle il convient d’ajouter l’opposition non moins importante entre la langue latine, morte, docte, artificielle, devenue le symbole d’une autorité usurpée et d’un savoir a priori, et la langue toscane, naturelle, apte à décrire l’expérience, et vivante. Ces deux derniers thèmes avaient déjà été largement traités dans le Saggiatore. Dans les Discorsi, Sagredo reviendra d’une manière significative sur ces caractères d’un style vivant propre au dialogue.
Di grazia godiamo del benefizio e privilegio, che s’ha dal parlar con i vivi e tra gli amici ; e più di cose arbitrarie e non necessarie, differente dal trattar coi libri morti, li quali ti eccitano mille dubbii e nessuno te ne risolvono11.
25La fonction dramatique du dialogue est donc assurée par le décor, les personnages vivants, le style vif plein de réparties, les événements imprévus, les détails, les péripéties d’un discours utilisant toutes les ressources de la rhétorique (l’hypotypose galiléenne) au service d’un équivalent du style monteverdien « espressivo » et « concitato ». Mais, par la philosophie pédagogique platonicienne de son auteur, cette fonction va au-delà et le Dialogo se présente comme une dramaturgie philosophique. Les effets théâtraux ne sont pas négligés en effet pour décrire l’avènement de la vérité, la lutte contre les préjugés, les aspects contradictoires des opinions, la forme paradoxale de la science, la conversion de l’esprit à la recherche de la lumière et tâtonnant dans les ténèbres ou se perdant dans des labyrinthes12. L’importance philosophique de ce qui se joue confère au dialogue un caractère dramatique qui dépasse la simple didactique, pour montrer la victoire de la vérité sur l’erreur, de la science sur les opinions, de la philosophie sur les préjugés. Il est à peine exagéré de parler à ce sujet d’une mise en scène philosophique qui rapproche incontestablement Galilée de Platon ; et l’on comprend alors comment le dialogue seul pouvait conférer au discours non seulement son aspect vivant mais encore son caractère d’une authentique conversion philosophique. Nombreux sont les passages et les expressions qui montrent l’importance et la nécessité de cette conversion intellectuelle.
262. Ce dernier aspect conditionne ou accompagne d’autres fonctions comme la fonction éristique. Nous avons déjà, à deux reprises, rencontré la démarche fondamentale d’une recherche soit par une citation allant dans le sens socratique et platonicien (« il procéder per interrogazioni... »), soit à propos de la méthode d’exposition choisie par Galilée qui est contraire à la doctrine classique qui opposait la méthode de recherche, l’« analyse », à la méthode d’exposition ou d’enseignement, la « synthèse ». En rompant avec l’esprit de l’idéal euclidien auquel restera attaché Newton, Galilée adopte une méthode « dialectique » autant aristotélicienne que platonicienne. Le besoin de faire revivre l’expérience de la découverte, si essentielle dans les dialogues platoniciens (comme le Ménon), et l’identification de la démarche de la recherche avec l’acquisition de la vérité font opter pour la forme du dialogue, pour la même raison qui rapproche étymologiquement « dialogue » et « dialectique ». La dialectique est d’autant plus utilisée que l’« analytique » aristotélicienne est refusée comme une méthode artificielle, pédante et stérile13. L’interrogation, qui peut être insistante et amicale (« scalzare il compagno ») dans un esprit platonicien (« cavandogli di bocca quel che non sapeva di sapere »), peut être ironique (les significatifs « ma ditemi, Signor Simplicio ! ») ou devenir un interrogatoire « philosophique », en approfondissant les notions fondamentales jusqu’à ce qu’il ne reste rien ou presque d’un savoir encore inébranlable quelques instants plus tôt, ainsi que nous le verrons. Or, seul le genre du dialogue pouvait remplir pleinement cette fonction éminemment philosophique pour le savant.
273. La fonction « éristique » se double, tout comme la méthode dialectique classique, d’une fonction aporistique. Cette dernière est commandée par l’attitude de recherche. Montrer les difficultés insurmontables et insoupçonnées d’un savoir superficiel ou accepté sans critique ; donner le sens du problème ; placer sans cesse l’esprit dans l’attitude de l’examen des difficultés et de l’affrontement des obstacles réels ; le parti pris d’éclairer et d’instruire en invitant le disciple ou l’adversaire à repasser par les mêmes étapes de l’itinéraire philosophique et par les mêmes passages obligés de la méthode, tout cela ne laisse plus le choix à Galilée quant à son style d’exposition. Seul le dialogue est en mesure de donner au discours l’allure d’une authentique recherche qui naît dans des problèmes, qui vit de problèmes, qui se distingue par sa manière de faire apparaître et de résoudre les problèmes.
28Un procédé intéressant à ce sujet et particulièrement important dans l’œuvre de Galilée mérite d’être cité : celui de la diversion. Pour résoudre un problème, il est souvent nécessaire de faire appel à des notions non encore acquises et à d’autres problèmes et exemples qui ont précisément pour fonction de définir ces notions. C’est évidemment l’une des grandes difficultés que peut éprouver celui qui entend donner une présentation déductive d’une science que de devoir sans cesse faire appel à des notions supposées connues au lieu de les « expliquer » (étymologiquement « déplier ») d’une manière linéaire. Les approfondissements nécessaires par retours en arrière et par digressions sont, à ce titre, des auxiliaires précieux du raisonnement et contribuent grandement à donner au discours les caractères fluide, vivant, concret, qui facilitent la compréhension.
Ma se le digressioni possono arrecarci la cognizione di nuove verità che pregiudica a noi, non obbligati a un metodo serrato e conciso, ma che solo per proprio gusto facciamo i nostri congressi, digredire ora per non perdere quelle notizie, che forse lasciate, l’incontrata occasione un’altra volta non ci si presenterebbe ? Anzi chi sa bene spesso non si possano, scoprir curiosità più belle delle primariamente cercate conclusioni ?14
294. Une autre fonction essentielle de la dialectique joue un rôle primordial dans le dialogue et grâce à lui ; c’est la fonction critique. Critique des concepts évidemment, mais surtout critique approfondie à l’aide d’exemples et d’excursions que seule la structure dialoguée peut assurer complètement. L’admission de concepts paradoxaux (le cas de la vitesse instantanée et ceux des notions d’indivisibles et d’infinités sont riches), l’adhésion demandée d’une manière a priori, aveugle, au lecteur d’un traité comportant des définitions dont on ne voit pas la nécessité et des axiomes parfois choquants ; tout ce qui peut paraître a priori et simplement « thétique » est soumis à la discussion et à la critique dans le dialogue et par le dialogue. La critique s’étend jusqu’à la philosophie et dépasse le cadre de la méthodologie lorsqu’une attitude mentale nouvelle est demandée, comme c’est le cas avec l’épistémologie galiléenne. C’est alors l’occasion pour le savant de se livrer à la critique philosophique et l’on sent bien que la partie la plus importante de la nouvelle science engage une nouvelle conception de la nature, de l’expérience, du rapport entre la mathématique et la réalité, de la méthode, de l’idéal de la connaissance, de l’infini, de la perfection, du sensible et de l’intelligible, et encore des lois de la nature.
30L’insistance et l’empressement avec lesquels il traite de ces questions est, là encore, en parfait contraste avec la prudence de Newton, contraint de laisser une place aux Regulae Philosophandi sans admettre le caractère métaphysique du modèle corpusculaire de la matière, pourtant plus un insight au sens de S. Toulmin que le résultat d’une simple et irréprochable induction à partir de quelques expériences comme la compression d’un gaz15.
31Autant le savant anglais répugnait à entrer dans les disputes philosophiques dans ses traités de physique autant le florentin entendait donner des leçons de philosophie et convertir le monde savant et même l’Église romaine à la nouvelle science. Ici apparaît la fonction proprement polémique.
325. Plus qu’une œuvre de critique, le Dialogo est une œuvre de « battaglia ». Par la critique, le savant philosophe établissait, l’un des premiers dans la philosophie moderne, une distinction radicale entre les qualités primaires et les qualités secondaires du sensible16 ; il pouvait parler du livre et des lois de la nature, critiquer les qualités absolues des choses, montrer le rôle du langage, se livrer à une critique réglée de l’idée de perfection pleine d’anthropomorphisme. La fonction polémique paraît triplement motivée : par la personnalité combative du savant, par la critique radicale de la science traditionnelle à laquelle il est obligé de se livrer et qui prend nécessairement des accents de lutte, par le dessein enfin d’une grande entreprise de propagande culturelle. L’enthousiasme et l’animosité qui poussaient Galilée à traiter la science scolastique de « balourdise » [balordag-gine], à écrire dans la marge du texte de ses représentants des mots comme « balordone », « animalaccio » ou « pezzo di bue »17 à réagir souvent assez violemment aux critiques, se manifestaient dans le dialogue sous forme de la leçon donnée, de la verve ironique, du ridicule imposé, de paroles bien senties à l’égard des adversaires. La nécessité d’une espèce de guerre épistémologique est une raison qui mérite plus d’attention.
33La théorie de l’incommensurabilité des théories citée plus haut prend volontiers pour exemple les deux interprétations, aussi complètes et cohérentes l’une que l’autre et aussi étrangères l’une à l’autre, que donneraient respectivement un aristotélicien et un galiléen de l’expérience du fil à plomb. Bien que la pensée de Galilée ait évolué d’une manière significative et connu au moins trois stades bien marqués sur la chute des corps, la théorie de la gravité galiléenne est dans une telle contradiction avec la théorie des lieux naturels aristotélicienne que l’on peut penser avoir affaire non pas à deux interprétations d’un même phénomène mais à des théories qui parlent de réalités différentes. Les critères qui pourraient être conçus par l’une des théories pour décider de sa validité font en réalité partie du système d’axiomes de cette théorie même et sont précisément irrecevables pour les partisans de l’autre théorie. C’est cette impossibilité de trouver un étalon, une commune mesure, qui est traduite dans l’expression et l’idée d’incommensurabilité18. Sans entrer ici dans une critique épistémologique de cette théorie, notons au moins le fait que certaines nouveautés en science sont parfois telles qu’elles remettent en question l’ensemble conceptuel de base et le bien-fondé même des méthodes et des critères de validité ; que dans l’ordre du discours cette incommensurabilité est parfaitement et trivialement décrite dans l’expression « dialogue de sourds ».
34Trois faits principaux donnent raison de cette impossibilité ou de cette difficulté d’échange et, a contrario et paradoxalement, de la nécessité pour Galilée d’un recours au dialogue : une justification de l’introduction de concepts inédits et paradoxaux, l’éradication préalable ou concomitante des principes, des concepts et des critères de la science jusqu’alors en vigueur, la solidarité logique enfin des concepts et des principes de base. La notion de force, par exemple, qui supporte la nouvelle dynamique, ne peut être admise ni conçue par des scolastiques sans que ne soient précisées et analysées dans un même mouvement les concepts de masse et d’accélération. Or l’examen de ces derniers fait intervenir la conception d’un espace mathématique, homogène et isotrope, qui suppose à son tour une vision infinitésimale. Ces notions sont tellement solidaires les unes avec les autres qu’il n’est guère possible de concevoir qu’on puisse introduire l’une d’elles sans avoir à définir les autres et à justifier leur introduction dans le système des concepts et des axiomes. Ce système est si fondamentalement différent de celui qui est ordinairement admis que l’adhésion recherchée à la nouvelle science passe par une destruction préalable de l’ancienne ou de celle qui doit le devenir. Le dialogue permet de tirer les conséquences absurdes de la théorie des formes substantielles, de celle des lieux, de la dynamique de la puissance et de l’acte, de l’opposition du sublunaire au supralunaire, des idées anthropomorphiques de perfection et d’absolu. C’est à l’occasion de l’approfondissement de ces concepts et de la critique radicale, parfois ironique et féroce, de leurs « rivaux », que Galilée est conduit à élargir la polémique jusqu’à la dénonciation de la logique, la célébration des mathématiques, et jusqu’aux considérations philosophiques déjà citées concernant les qualités sensibles ou les lois de la nature.
35Mais la même raison qui permettrait de parler d’un « dialogue de sourds », et qui pousse Galilée à user du dialogue pour proposer sa nouvelle science, est à chercher dans le fait que la question de fond portait sur autre chose qu’un ensemble de concepts et de critères : sur une attitude. Attitude fondamentale nouvelle devant la réalité, devant la science et ses méthodes. On devrait peut-être parler d’un credo lorsqu’il est demandé d’adhérer d’abord à une vision. On le voit particulièrement quand on fait vite apparaître le soubassement de la nouvelle dynamique ; à savoir une « vision » corpusculaire. On le voit plus encore dans l’effort considérable et même l’ascèse intellectuelle qui sont requis pour penser d’abord dans le monde réel et sensible, un autre monde, mathématique, idéal, qu’on corrigera ensuite, et dans un deuxième temps seulement, en introduisant les frottements et les amortissements, alors qu’un partisan de la physique et de la philosophie traditionnelles ne pourrait se résoudre à ne pas prendre en compte tout le réel. C’est bien cette attitude fondamentale nouvelle qui est à l’œuvre dans la découverte du principe d’inertie qui est en jeu, et que Galilée essaie d’imposer en montrant par la discussion dialoguée ses conséquences les plus fécondes et celles, fausses, ridicules ou déplorables, de son rejet.
36Nous n’avons pas à insister sur le troisième motif de l’engagement polémique du savant, tant il est connu : l’allure de croisade prise par la grande entreprise de conversion du monde savant et de l’Église romaine à la nouvelle science, c’est-à-dire aussi la nouvelle image du monde et de la culture, dont le copernicanisme était une manifestation éclatante et devait marquer le départ.
37Ces trois motifs donnent raison de la plupart des manifestations de la fonction polémique du dialogue galiléen : ton ironique ou condescendant, critique radicale des notions et des conceptions jusqu’à ce qu’on ait montré l’absurdité de leurs présupposés ou de leurs conséquences, énoncé de thèses exagérément paradoxales ou provocatrices, recours à toutes les ressources de la rhétorique pour emporter l’adhésion à une véritable cause19. Le renversement paradoxal des thèses et des opinions qui semble représenter aux yeux de Galilée la méthode philosophique par excellence, avec l’ironie toute socratique qui l’accompagne, joue le rôle d’une véritable méthode polémique : « Ed in questa parte, di ridurre con pochissime parole ad assurdi ed inconvenienti palpabili conclusioni false, e state sempre credute per vere, ha il nostro Accademico avuto certo parti-colar genio ». « Ed io ho una raccolta di moite e moite conclusioni naturali, state sempre trapassate per vere, e da esso poi con brevi e facilissimi discorsi manifestate false »20.
38Quant à l’esprit batailleur de Galilée particulièrement à l’aise dans le dialogue, on peut s’en rendre compte par l’usage du retour sur les querelles philosophiques passées qui lui permet de revenir à la charge pour écraser un ancien adversaire ou régler de vieux comptes21.
39La nécessité du recours au dialogue dans des questions presque inépuisables et subtiles est bien notée enfin dans les Discorsi, toujours par la voix de Salviati : « Ma in quai pelaghi ci andiamo noi inavvertitamente pian piano ingolfando ? tra i vacui, tra gl’infiniti, tra gl’indivisibili, tra i movimenti instantanei, per non poter mai dopo mille discorsi giugnere a riva »22.
406. La fonction polémique est très habilement soutenue par une fonction narrative qui a valeur d’argumentation. Le récit peut être personnel lorsqu’un personnage fait part aux autres d’une expérience, relate un événement ou rapporte les opinions d’un tiers. Ces narrations sont également l’occasion d’un approfondissement, d’une digression féconde, d’une critique ironique ou, plus souvent, d’une manière pédagogique et philosophique de poser un problème. Lorsque le récit est impersonnel ou indirect (l’un des personnages, le plus souvent Sagredo, est alors le narrateur), une fonction argumentative originale du contexte s’exerce discrètement et efficacement. Comme dans le cas du récit indirect, il s’agira ici de la description d’un embarras ou d’un silence significatif, là d’une attention portée à un détail révélateur, d’une allusion ou encore d’un comique de situation. On a justement relevé l’ironie de la situation du début de la troisième journée, lorsque Simplicio, l’adversaire entêté du copernicanisme arrive en retard, sa gondole ayant été prise dans les sables de la marée basse qu’il n’avait pas prévue. Il faut rappeler que la théorie des marées passait, au jugement de Galilée, pour une preuve essentielle de la vérité de la théorie copernicienne23.
417. Il a été question, au début de cet article, de l’une des fonctions les plus avantageuses du dialogue, celle qui permet quelque audace sans encourir de critique ou même quelque hétérodoxie sans risquer une sanction. Un personnage, dans le cours du dialogue, a toujours la possibilité d’avancer une thèse, d’émettre une hypothèse, d’envisager un scénario, de dresser un tableau imaginaire, de raconter un rêve ou de projeter une situation. La psychologie du masque, naturellement associée à l’idée et à l’étymologie même du mot « personnage », est très présente dans la pensée et, plus concrètement, dans le texte du dialogue galiléen. Le savant parle à plusieurs reprises en termes de représentation, d’acteur, de rôle, de comédie, de personnage. Cette pensée allait bien au-delà de la métaphore et l’histoire allait démontrer la réalité du drame qu’avait voulu jouer Galilée. Dans un tel contexte, il n’est pas indifférent de rappeler l’importance de cette fonction double d’audace et de prudence que le dialogue autorise et que le savant, enthousiaste et imprudent dans son comportement habituel par ailleurs, a su utiliser. La grande preuve terrestre du copernicanisme pour Galilée, c’est-à-dire sa théorie des marées, est présentée par son porte-parole Salviati comme une « fantasia, la quale molto agevolmente potrei ammeter per una vanissima chimera e per un solennissimo paradosso ». Avant de développer ses idées originales et fondamentales sur les indivisibles, le même, dans les Discorsi prend soin d’annoncer une de ses « rêveries, sinon concluante et irréfutable, du moins assez nouvelle pour susciter quelque étonnement ».
428. Le dialogue était enfin pour Galilée le genre qui lui permettait de réunir en une seule œuvre tous les arguments de sa « propagande ». Ceux-ci se présentaient en ordre dispersé dans le temps ; la technique du dialogue offrait la possibilité de les rappeler et de les rattacher aux nouvelles découvertes. Ils ne s’articulaient pas non plus logiquement d’une manière rigoureuse ; la structure dialogique avait précisément pour fonction d’opérer une synthèse de tous ces éléments dispersés. Deux raisons au moins éclairent cette situation de dispersion nécessitant une présentation en marqueterie (intarsiatura) pour employer le terme choisi par Galilée lui-même. Le premier motif tient à la nature lâche de la science galiléenne ; le second, à la diversité inévitable – et voulue – des arguments que Galilée pensait devoir accumuler pour mener à bien sa réforme intellectuelle et culturelle. Dans le cas de la philosophie cartésienne, l’idéal souhaité de systématicité de la science peut être réalisé parce que l’ensemble de la physique est rigoureusement déduit de principes métaphysiques certains. Lorsque la physique ne peut être édifiée qu’à partir de l’expérience, un état suffisant des connaissances est indispensable pour qu’un véritable corps de concepts et de principes puisse être constitué organiquement sinon exhaustivement. Une telle situation ne s’est réellement présentée qu’avec Newton. En franc-tireur de la dynamique, Galilée n’était pas encore en possession d’un ensemble organique suffisant d’axiomes lui assurant de donner une présentation euclidienne de la mécanique. Des concepts de base et des lois fondamentales sont sans doute mis en place et formulés dans des réseaux. Tels sont la force, la masse, l’accélération, le moment, la vitesse instantanée ; la loi d’inertie, la loi de composition, la loi de la chute des corps. Mais ces réseaux de concepts et de principes ne sont pas assez solidaires ni assez complets pour rendre possible une exposition euclidienne des « éléments » de la nouvelle science.
43De toute façon, la mécanique n’est pas la seule branche de la physique explorée par Galilée. Le champ immense de la nature qui s’offre à la curiosité inlassable du « philosophe » donne des occasions si nombreuses et si variées, et dans les phénomènes les plus ordinaires, c’est-à-dire les plus apparemment familiers24, que l’esprit du lecteur est sans cesse invité à s’exercer à l’examen et à la résolution de problèmes les plus divers. Et bien que les Discorsi soient de préférence consacrés, d’après le titre, à deux sciences, la dynamique et la résistance des matériaux, le savant saisit toutes les occasions pour faire des digressions éclairantes, pour approfondir une question à l’aide d’exemples ou d’autres questions, pour vulgariser ou rappeler ses découvertes. Il est de la sorte difficile de séparer les effets de l’esprit de propagande des manifestations de l’hétérogénéité de la discipline traitée.
44Dans le Dialogo, Galilée, en réunissant et développant tous les arguments qui apportent des preuves à la thèse du copernicanisme, fait nécessairement voisiner l’observation des phases de Vénus avec la théorie des marées ; plus généralement, des arguments tirés de l’astronomie avec des phénomènes terrestres. La structure composite de cette œuvre ne doit sa remarquable unité qu’à la fonction de propagande qui la motive et qui communique à l’ensemble un rythme unique et un ton original.
45C’est donc la fonction polémique et l’entreprise de propagande qui confèrent sans doute au dialogue galiléen une unité et une systématicité que la matière traitée ne pouvait pas présenter d’elle-même, étant donnés son aspect fragmentaire et sa nature hétérogène.
46L’examen des Discorsi semble confirmer cette idée et les analyses précédentes sur le rôle et les fonctions du dialogue. Certains aspects de cette œuvre demeurent inexpliqués et même énigmatiques ; d’autres éclairent singulièrement la signification du dialogue.
47Dans une dernière œuvre, Galilée, exilé, aveugle et infirme, semble poursuivre la lutte, dès 1633, en entreprenant un nouveau dialogue. Pourtant la structure des Discorsi est déjà l’indice d’une évolution symptomatique de la signification du genre. Les deux dernières journées (la cinquième et la sixième) ont été publiées après coup par Viviani, l’un des élèves de Galilée, en 1676 et en 1718. Seules les quatre premières journées ont vu le jour du vivant de Galilée, en juillet 1638. Elles manifestent déjà des différences notables et intéressantes concernant les fonctions du dialogue par rapport au Dialogo de 1632.
48Dès les deux premières journées, consacrées à la nouvelle science de la résistance des matériaux, bien que la structure dialogique soit maintenue, la fonction polémique, qui commandait toutes les autres fonctions dans le Dialogo, laisse la place à une simple fonction didactique. Les thèmes les plus débattus dans la bataille contre la pensée scolastique sont pourtant bien présents, qu’il s’agisse de la philosophie scientifique traditionnelle jugée artificielle, pédante et stérile, du rôle des mathématiques opposé à l’inutilité de la logique, de l’authenticité et de la richesse de la pensée technique inséparable, dans la conception galiléenne, de la vision mathématique de la nature. On retrouve même des expressions caractéristiques du Dialogo comme la formule interpellative chère à Salviati « Ma ditemi, Signor Simplicio ». En dépit de cet appareil, la charge polémique paraît pourtant s’être retirée et la voix de Simplicio ne se fait plus guère entendre que pour demander un supplément d’explication ou un éclaircissement qui se fait attendre. À tel point que Castelli s’est plaint de ne plus reconnaître le Simplicio du Dialogo qui incarnait si bien l’attitude, les préjugés et le faux savoir des adversaires de la nouvelle science. L’effacement de Simplicio se conclut d’ailleurs avec sa disparition à la sixième journée au cours de laquelle il laisse la place à Paolo Aproino, noble de Trévise et ami de Galilée. La réapparition d’un Simplicio devenu conventionnel et sa disparition ont paru à certains commentateurs, occasionnées par le besoin éprouvé par Galilée de démontrer qu’il n’avait pas voulu faire de Simplicio un portrait satirique du pape. D’autres ont pensé que Simplicio disparaissait lorsque l’exposé de la physique devenait trop difficile. On notera que le représentant de la scolastique n’abandonne le dialogue qu’après s’être converti à au moins une thèse galiléo platonicienne : celle d’une étude préalable des mathématiques indispensable aux recherches sur la philosophie de la nature25. Or l’aveu de Simplicio ne relève pas de la simple méthodologie, ce qui serait déjà capital ! Il signifie la ruine de la logique aristotélicienne et, à travers elle, modelée sur une conception substantialiste et linguistique, celle de la conception de la science et de la nature. Il signifie discrètement mais précisément la conversion à la nouvelle philosophie de la nature. Le plus étonnant est peut-être alors le fait que Simplicio disparaît lorsque le dialogue perd sa raison d’être et que le discours ne consiste plus qu’en la lecture du traité en latin de « notre auteur », lecture entrecoupée de quelques questions et éclaircissements. L’exposé systématique des propositions, théorèmes, corollaires et problèmes ne semble plus attendre du genre dialogique que l’occasion d’un approfondissement et celle d’insérer un « buon numero di contemplazioni ».
49Galilée semble avoir opté, avec les Discorsi, pour une autre stratégie que celle qu’il s’était fixée dans le Dialogo. Tous les thèmes galiléens sont présents mais le dialogue ne conserve plus que sa fonction didactique de relance, de retournement de l’étonnement mais dans un contexte non polémique26, d’occasion d’élucidation et de leçon approfondie, de prétexte à rappel de connaissances ou de découvertes déjà connues (percussion, isochronisme, acoustique). On peut penser que la cause galiléenne est plaidée d’une autre manière. L’œuvre est dédiée au Comte de Noailles, Ambassadeur de France à Rome et ancien élève de Galilée à Padoue ; Aproino, également ancien élève du maître à Padoue, vient succéder à Simplicio, qui finit par admettre la nécessité et l’excellence des mathématiques dans l’étude des phénomènes de la nature offerts par la vie quotidienne ou les problèmes des techniciens (constructeurs, artilleurs...)27 ; les « journées » se transforment en une lecture d’un traité en latin de « notre académicien ». Ces renversements apparents qui pourraient être expliqués par un retournement de la position de Galilée après le retentissant procès, montrent au contraire, pensons-nous, la reconnaissance sans polémique de la science nouvelle. Sans polémique mais non sans ironie : N’était-il pas habile de présenter, dans les troisième et quatrième journées, une théorie révolutionnaire du mouvement local et de la dynamique dans son ensemble, qui illustrait le copernicanisme, à des savants qui n’auraient pu réagir qu’en acceptant les principes de la doctrine qu’ils condamnaient ? L’insistance sur les Coniques d’Apollonius prend alors tout son sens28.
50L’apparente mise en sourdine de l’attaque galiléenne n’est peut-être en fait que la transposition de la polémique dans un autre registre. Le sens et les fonctions du dialogue dans le Dialogo étaient motivés par une mobilisation de tous les arguments et de toutes les ressources de la rhétorique pour convertir les esprits. Dans les Discorsi, c’est la fonction didactique qui commande ; et ce changement confère à l’étude comparée des deux œuvres un intérêt certain.
51« Ce spectacle est une espèce de combat » écrivait Fénelon, parlant du dialogue. Lutte et représentation sont étroitement associées dans la pensée et dans le style galiléens. Elles constituent la raison vraisemblablement déterminante du choix du genre. D’autres motifs ont assurément été présents dans la décision de faire dialoguer des personnages pour exposer les bases de la nouvelle science du monde. Ils tiennent autant à un certain type de culture et de mode littéraire qu’aux personnalités tant de l’auteur que des lecteurs visés : non pas des étudiants ni des savants, mais des hommes cultivés.
52Or les deux caractères de la polémique et de la représentation sont eux-mêmes étroitement associés à l’état d’avancement de cette nouvelle science encore dans sa phase initiale. En considérant cette dernière comme un savoir pratiquement établi, et en feignant, d’une manière habile, de considérer la cause comme entendue (c’est une interprétation), le philosophe privait le dialogue des Discorsi de l’essentiel de la signification et des fonctions rencontrées dans celui du Dialogo. C’est pourquoi Simplicio s’efface et finit par disparaître au moment où le dialogue perd ses fonctions et tend à laisser la place à un traité. Au moment aussi où la révolution mentale la plus nette (vide, atomisme, infinitisation, vision radicalement nouvelle du mouvement, de la matière, de la forme, de la mesure) s’opère apparemment bien loin des arguments copemiciens. On ne trouvera plus dans cette dernière œuvre la dramatisation du Dialogo que Campanella avait tant appréciée29.
53Descartes n’avait pas tout à fait tort : le dialogue était un moyen de lier des connaissances encore incomplètes ou isolées, mais c’était aussi un formidable moyen de propagande personnelle30. À ce titre, le dialogue galiléen n’est pas un vrai dialogue. Pour des raisons stylistiques évidentes ; parce que les points d’interrogation sont le plus souvent des points d’exclamation. Surtout parce que le vrai personnage de ces dialogues est le quatrième (« il nostro autore », « il nos-tro Accademico »). Le logos ne circule pas vraiment entre trois personnages, il se dévoile et doit s’imposer dans un contexte original dans lequel se mêlent la comédie et la pensée oraculaire.
Notes de bas de page
1 Je renvoie à mon article « Le récit scientifique à l’âge baroque : l’exemple du récit de la découverte de la circulation du sang (Harvey et le “De motu cordis” », 1628) in Recherches sur la philosophie et le langage, no 1, Vrin, Paris, 1981, pp. 115-147.
2 Descartes : Lettre à Mersenne du 11 octobre 1638 ; dans l’édition Adam-Tannery, Œuvres, T. II, pp. 380 sq.
3 Cité par Andrea Battistini dans son Introduzione a Galilei, Bari, 1989, p.117.
4 Lettre à Elia Diodati d’août 1638, Edizione Nazionale, XVII, p. 370. Cf. aussi et sur le problème du dialogue plus généralement la conférence de Maria Luisa Altieri Biagi : « Il Dialogo come genere letterario nella produzione scientifica » parue dans les « Giornate Lincee indette in occasione del 350° anniversario della pubblicazione del Dialogo sopra i massimi sistemi di Galileo Galilei », Atti dei Convegni Lincei, Accademia Nazionale dei Lincei, Roma, 1983, pp. 143-166.
5 « Pippione » désignait en ancien toscan un petit pigeon et, dans un sens figuré, un sot.
6 Dialogo sopra i massimi sistemi, E.N., VII. p. 276.
7 Cf. Brian Vickers : « Epideictic Rhetoric in Galileo’s Dialogo » in Annali dell’Instituto e Museo di Storia della Scienza di Firenze, VII, 1983, no 2, pp. 69-101 et A. Battistini, Op. cit, p. 119.
8 « ... e mi credano certo che se io avessi a ricominciare i miei studii vorrei seguire il consiglio di Platone, e comincerei dalle matematiche, le quali vedo che procedano molto scrupolosamente, nè vogliono ammeter per sicuro fuor che quello che concludentemente dimostrano », Discorsi., E.N. XIII, p. 93.
9 Borelli avait proposé à Malpighi d’écrire sous la forme du dialogue galiléen. Quant à Bonaventura Cavalieri, il avait commencé un dialogue de veine galiléenne avec Benedetto Castelli dans le rôle équivalent à celui de Salviati, « Usulpa Ginuldus » dans celui de Simplicio (il s’agit de l’anagramme de l’adversaire de l’auteur, Paulus Guldinus) et enfin un personnage correspondant à Sagredo, Cesare Marsili. Cavalieri dut renoncer à ce projet et a communiqué sa « géométrie des indivisibles » sous la forme d’un traité en latin. Cf. sur ce sujet M.L. Altieri Biagi, Op. cit. pp. 150-151.
10 Je renvoie à mon étude « Le Livre de la Nature chez Galilée et Kepler » in Philosophies et Sciences, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1986, pp. 49-66.
11 E.N., T. XIII, p. 30.
12 Le thème du labyrinthe, si répandu dans la science baroque, de Harvey à Leibniz, est utilisé à plusieurs reprises dans les dialogues de Galilée.
13 Parmi les jugements les plus critiques à l’égard de la logique scolastique, il faut signaler la « conversion » de Simplicio à la seconde journée des Discorsi. Simplicio : « Veramente comincio a comprendere che la logica, benchè strumento prestantissimo per regolare il nostro discorso, non arriva, quanto al destar la mente, all’invenzione e all’acutezza della geometria ». Sagredo : « A me pare che la logica insegni a conoscere se i discorsi e le dismostrazioni già fatte e trovate procedono concludentemente, ma che ella insegni a trovare i discorsi e le dimostra-zioni concludenti, ciô veramente non credo io ». (E.N., T. XIII, pp. 134-135).
14 Discorsi, E.N., T. XIII, p. 12.
15 On pense surtout ici aux difficultés presqu’insurmontables soulevées par la Règle III sur le rôle légitime de l’analogie pour la détermination des qualités sensibles : « nous en concluons que toutes les parties infimes de tous les corps en général sont étendues, dures, impénétrables, mobiles et douées de force d’inertie. Et ceci est le fondement de toute la philosophie ».
16 Galilée établit avant Hobbes et avant Descartes la distinction devenue classique à partir de la lecture de ces deux auteurs, entre les qualités primaires et les qualités secondaires des corps, celles qui appartiennent intrinsèquement aux objets et celles qui sont inhérentes aux organes sensoriels. La physiologie devait approfondir ce point de vue grâce en particulier à la loi dite de spécificité nerveuse formulée en 1846 par J. Müller.
17 Cf. A. Battistini, Op. cit., p. 135.
18 On se réfère ici aux ouvrages très en vogue naguère de Th. Kuhn, The Structure of Scientific Revolutions, 1962, et de Paul Feyerabend, Against Method, 1975 ; et spécialement dans ce dernier aux chapitres 6 et 7.
19 Parmi d’autres œuvres, on se reportera au Galileo Galilei de Ludovico Geymonat, Torino, 1957 et éditions suivantes pour comprendre l’action de propagande du philosophe savant.
20 E.N., T. XIII, p. 313. C’est Sagredo qui s’exprime dans cet extrait des Discorsi.
21 Par exemple dans la première journée des Discorsi à propos du vide, Galilée fait condamner par Simplicio lui-même la contradiction pleine de fiel qui avait été portée contre son œuvre au nom de la défense de la Providence divine contre l’epicurisme.
22 E.N., T. XIII, p. 47.
23 Quatrième journée du Dialogo et première journée des Discorsi, T. XIII, p. 30.
24 Le caractère vivant du dialogue est aussi intimement lié à la révolution de la trivialité galiléenne. La science la plus rigoureuse (les certe dimostrazioni) surgit des questions de la vie quotidienne et des problèmes des artisans. La langue vernaculaire est évidemment apte à traduire cette science réelle et « sensible » (sensate esperienze). Dans les Discorsi, Sagredo parle ainsi à Salviati : « V.S. mi dà pur frequentemente occasione d’ammirare la richezza ed insieme la somma liberalità della natura, mentre da cose tante comuni, e direi anco in certo modo vili, nè andate traendo notizie molto curiose e nuove, e bene spesso remote da ogni imaginazione », E.N., T. XIII, p. 100.
25 Cf. supra notes 8 et 13 ainsi que la phrase de Sagredo : « Piena di maraviglia e di diletto insieme è la forza delle dimostrazioni necessarie, quali sono le sole matematiche », Discorsi, E.N., T. XIII, p. 250.
26 Un exemple de retournement de l’étonnement est présenté au moyen d’un procédé classique qui consiste à demander à l’interlocuteur ce qui se passera si telles conditions d’expérience sont réalisées. Ainsi à la sixième journée et à propos de l’admirable problème de la percussion, Aproino répond « Parmi che si ». À quoi Saviati réplique « Ah Signor Paolo, miseri noi, bisogna dire risolutamente che no ». Un autre aspect du retournement de l’opinion également dans la tradition philosophique pythagoricienne et platonicienne concerne les opinions fausses de la connaissance vulgaire « il detto del vulgo è assolutamente vano, e talmente vano che il suo contrario si potrà profferire con attrettanta verità... », début de la première journée des Discorsi, E.N., T. XIII, p. 6.
27 Un bel exemple est donné lorsque Salviati montre l’intérêt et la raison du fait que les artilleurs pointent leurs canons à la position 6 (soit celle correspondant à un angle de 45°) pour obtenir le tir le plus long. E.N., T. XIII, p. 250 sq.
28 Cf. en particulier dans la quatrième journée, avant d’étudier les mouvements locaux, le rappel des Coniques d’Apollonius pour la trajectoire parabolique des projectiles. E.N. T. XIII. pp. 221 sq.
29 Campanella a parlé au sujet du Dialogo d’une « Comedia filosofica » en insistant sur l’aspect socratico-platonicien de Salviati qui fait exprimer les vérités plus qu’il ne les exprime, et sur l’aspect comique de Simplicio qui montre « la sottise de sa secte ». E.N., T. XIV, p. 366. Rappelons que malgré la clairvoyance dont témoigne cette appréciation, Campanella – et Galilée l’avait compris – s’est mépris sur le sens de la révolution mécanique galiléenne et a donné l’exemple d’un grand malentendu philosophique.
30 Cf. le texte en référence à la note 2 sur la propagande personnelle et cet autre passage de la même lettre : « ... Mais il me semble qu’il manque beaucoup en ce qu’il fait continuellement des digressions et ne s’arrête point à expliquer tout à fait une matière ; ce qui montre qu’il ne les a point examinées par ordre, et que, sans avoir considéré les premières causes de la nature, il a seulement cherché les raisons de quelques effets particuliers, et ainsi qu’il a bâti sans fondement ». La présence non physique mais capitale de Galilée (« notre académicien », « notre auteur ») quatrième personnage mais véritable héros des dialogues, fait en sorte que les questions de Simplicio n’ont qu’une fonction négative. O. Ducrot et T. Todorov ont justement relevé la fréquence des exclamations comme l’un des indices du monologue. (Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Paris, 1972, p.333).
Auteur
Université de Grenoble II
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