Chapitre 2. Le droit
p. 183-197
Texte intégral
1L’éthique épicurienne n’invite pas à un retour à la pure nature. Elle accorde à l’existence des lois une très grande importance, car celles-ci créent, d’après elle, la sécurité, sans laquelle le souverain bien resterait inaccessible (Maximes Maîtresses, 5, 6 et 7).
2Tenant pour erronée l’assertion de Platon, développée par Aristote (Les Politiques, 1, 2, 1252 a 26 - 1253 a 3) et qui dépeint l’être humain comme spontanément sociable, elle affirme que la vie sociale n’est pas naturelle1, et qu’elle résulte de conventions plus ou moins justes et qui pour cette raison ne doivent pas être regardées comme intangibles2. Néanmoins, elle ne procède pas, tel le cynisme3, à une apologie du primitivisme4. Bien loin de remettre en cause la légitimité de la société, elle se montre conservatrice plutôt qu’anarchiste5. En effet, constatant que l’aspiration à une existence tranquille émane d’un besoin naturel (Maximes Maîtresses, 31), elle dépasse l’antinomie traditionnelle de la nature et du conventionnel6, dans la mesure où elle n’assimile pas ce dernier au monde des réalités artificielles : la sérénité dépend de l’assurance d’avoir à sa disposition tout ce qui est nécessaire au maintien de la vie7 ; or cette assurance ne peut être garantie que par l’établissement de contrats entre les hommes : ceux-ci, selon les Épicuriens, ne se sont rassemblés pour vivre en groupes qu’afin de se prêter mutuellement assistance8 ; et, s’il n’existe pas de justice en soi (Maximes Maîtresses, 33 ; cf. frag. 531 Usener), contrairement à ce que pensent Platon et Aristote, les lois n’en demeurent pas moins indispensables, parce que, définissant le droit pour une communauté, elles apportent aux individus la sûreté des personnes, sans laquelle le bonheur reste un vain mot9.
3Pourquoi, dès lors, Plutarque (Col. 1125 C et 1127 D) accuse-t-il les Épicuriens de vouloir détruire les législations et les constitutions ? Pourquoi leur reproche-t-il de vilipender les grands législateurs (Col. 1127 E), alors qu’il cite textuellement l’hommage que rend Colotès à leur œuvre ? « Ceux qui ont institué des lois et des usages », écrit-il en soulignant qu’il reprend les termes mêmes du disciple d’Épicure10, « et qui ont placé les cités sous le gouvernement de rois et de magistrats ont introduit beaucoup de sécurité et de tranquillité dans l’existence, qu’ils ont délivrée des troubles ; qu’on supprime ces institutions, nous vivrons comme des bêtes sauvages et peu s’en faudra que le premier venu ne dévore celui que le hasard mettra sur son chemin. »11 Y a-t-il, de sa part, mauvaise compréhension des déclarations épicuriennes ? Ou ces dernières contiennent-elles réellement des incohérences ? Et, dans ce cas, sur la base de quelle argumentation celles-ci sont-elles mises en lumière ?
4Plutarque n’hésite pas, en effet, à juger « contraire au droit et à la vérité »12 la façon dont l’épicurisme légitime le droit.
5Inexacte, parce que l’homme, pense-t-il, dans l’hypothèse d’une abolition des lois, ne serait pas condamné à la bestialité. Il existe, affirme-t-il, des facteurs de civilisation beaucoup plus puissants, qui sont le choix d’une bonne échelle des valeurs et la croyance en la bienveillance divine : le premier accordant au bien la précellence suffit à détourner des actes honteux et à inculquer le sens de ce qui est juste13 ; la seconde, par l’assurance que les dieux sont bons et qu’ils régissent l’univers, comme par la conviction que chaque vie est protégée par un démon14, justifie la prééminence de la vertu15, qui trouve ainsi son fondement dans la justice infiniment supérieure de la divinité elle-même16. Armé de ces principes, l’individu devient capable de se plier spontanément et par raison à la discipline d’un groupe, sans l’intervention extérieure d’une force coercitive17. Aussi les Épicuriens non seulement lui paraissent coupables d’ingratitude à l’égard des philosophes dont l’enseignement contribue à dispenser à l’humanité les moyens d’une telle autodiscipline et d’une telle autonomie (Col. 1124 D-E), mais encore, en l’absence de lois humaines, ils pérenniseraient la sauvagerie et interdiraient la possibilité de créer la moindre société18, parce qu’ils privilégient le plaisir et nient la providence (Col. 1124 E - 1125 B), détruisant, de la sorte, les guides les plus sûrs d’une existence civilisée et, par suite, dépourvue d’insécurité.
6L’objection de Plutarque révèle clairement l’antinomie des points de vue. D’un côté, nous avons affaire à la conception d’un droit transcendant et absolu, enraciné dans une théodicée (Arist. 6, 3-4), avec l’idée que la philosophie, qui en fait prendre conscience, rend superflue toute législation. De l’autre, nous sommes en présence d’une position radicalement anti-idéaliste et résolument relativiste. L’opposition est totale et ne permet pas la discussion, car chacune des deux perspectives récuse la validité de l’autre.
7Mais Plutarque ne se contente pas de ce mode de réfutation. Il engage ensuite la contestation sur le terrain de son adversaire et il examine la situation réelle d’une humanité au sein de laquelle, les philosophes demeurant largement minoritaires, la nécessité de règlements coercitifs ne saurait être mise en cause. Sur ce plan, il n’autorise pas les sectateurs du Jardin à prendre la défense des institutions, car, à son avis, les thèses qu’ils soutiennent par ailleurs vont dans le sens contraire, si bien qu’ils font preuve soit d’inconséquence, soit de malhonnêteté, et que dans tous les cas ils sont mal placés19 pour louer ce que dans le même temps ils sapent. Quelles sont ces thèses ? Notre auteur en relève quatre.
8D’abord, il rappelle que les Épicuriens condamnent comme une activité contre nature20 toute participation, à quelque niveau que ce soit, aux affaires pubiques (Col. 1125 C, 1127 A et E), parce qu’ils ne mettent rien au-dessus de l’ataraxie et du plaisir personnel, pas même le salut de la patrie (Col. 1125 C-D, cf. Suav. viv. Epic. 1098 C-D et 1100 D). Il note aussi qu’à cet égard leur comportement est en parfaite harmonie avec leurs assertions : Colotès se moque, non pas de penseurs de second ordre, tels Antidoros ou Bion (Col. 1126 A), mais de philosophes qui tous ont servi de manière éclatante leur cité (Col. 1126 A-E). En comparaison avec de si grands bienfaiteurs, Épicure et Métrodore n’ont jamais été que les auteurs de menus services privés (Col. 1126 E-F). Par conséquent, l’attitude épicurienne lui semble être celle de parasites qui profitent de la civilisation « sans verser leur écot » (ἀσύµβολοι)21, ce qui concorde difficilement avec l’éloge de la loi. De plus, recommander l’abstention de tout engagement politique ne peut que porter un coup funeste aux institutions, puisque cela revient à leur ôter toute raison d’être. L’objection est irréfragable du point de vue pratique. Elle l’est moins sous l’angle de la théorie. Plutarque reproche, au fond, à l’épicurisme de ne pas aller jusqu’au bout de son apologie des conventions culturelles et de les subordonner aux exigences de la nature. Or nous venons de voir qu’Épicure mesure la valeur d’une législation à son utilité. Autrement dit, pour lui, les lois tirent leur justification des avantages qu’elles procurent aux individus, et elles n’ont pas à demander à ces derniers d’épouser leur cause. Nous retrouvons finalement l’antagonisme initial, avec toutefois l’argument supplémentaire que la relation entre les membres d’une société et sa constitution politique ne doit pas se faire à sens unique, si l’on désire le maintien de celle-ci.
9La deuxième thèse épicurienne jugée par Plutarque incompatible avec une apologie du droit est l’affirmation, telle qu’elle est exprimée en particulier dans la première des Maximes Maîtresses, à laquelle notre auteur se réfère explicitement (1125 E-F), de l’indifférence des dieux pour le monde humain. Persuadé que seules l’espérance et la crainte rendent le commun de mortels « sensible au divin »22 et que sans cette sensibilité aucune cité ne subsisterait (1125 E), il regarde la foi ancestrale, reprenant en cela une idée classique de l’Académie23, comme l’assise des États24. Il observe notamment que la piété est la première et la plus importante des obligations imposées par chacune des législations connues25. Or l’épicurisme, sous prétexte d’éliminer la superstition, combat les formes traditionnelles de la religion, telles qu’elles ont été instituées par elles. Le reproche est imparable : dès lors que les lois sont tenues pour indispensables, il devient peu logique de ruiner celles d’entre elles qui assurent aux autres leur solidité. Quant au respect des usages préconisé par Épicure, il demeure purement extérieur : si le sentiment d’une présence des dieux fait défaut, ils perdent leur signification et sont menacés de caducité. Par conséquent, le conformisme religieux, loin de l’empêcher, aggrave la destruction de la société.
10Troisième raison pour laquelle Plutarque n’accorde pas aux Épicuriens l’autorisation de louer la loi : leur comportement envers les législateurs. Il cite (Col. 1127 B = frag. 31 Körte) un passage du livre de Métrodore, De la philosophie, où les philosophes qui se laissent « emporter vers les mêmes désirs que Lycurgue et Solon »26 sont tenus pour ridicules. Le sens exact de cette formule ne lui échappe pas. Il fournit même le contexte au moyen d’une citation supplémentaire de l’ouvrage de Métrodore (Col. 1127 C = frag. 32 Körte), dans laquelle la nature de la cible visée se trouve précisée. « C’est pourquoi », ajoute-t-il en effet, « il est justement bon que l’homme libre rie vraiment de tout le monde et en particulier de ces Lycurgues et de ces Solons »27. Ce ne sont pas ces deux illustres réformateurs qui sont donc concernés, mais ceux qui se réclament de leur exemple pour justifier leur ambition politique. L’intention est de combattre la tentation législatrice au nom de la liberté d’esprit, en désacralisant les auteurs des législations les plus célèbres et en rappelant que leur action, pour utile qu’elle ait été, n’en reste pas moins très relative et ne mérite pas nécessairement d’être imitée. Manifestement Plutarque l’a tout à fait compris. La précision qu’il apporte nous le prouve, quand il signale que Métrodore décoche ces traits dans un développement où « il affiche son mépris pour toute contribution à la vie de l’État »28. Une autre preuve vient également de son adoption d’un mot d’Arcésilas29 qui assimile les Épicuriens aux Galles, ces prêtres émasculés de Cybèle, parce que personne ne quitte leur École, de même que ces derniers n’ont pas la possibilité de redevenir comme avant. En déclarant que le rire de Métrodore mérite le fouet garni d’osselets dont les Galles, c’est-à-dire des êtres diminués, se punissent pour leurs fautes30, il laisse entendre qu’une telle réaction n’est pas digne d’un homme libre, contrairement à l’opinion de celui qui la prêche31, et montre qu’il ne commet pas d’erreur sur la véritable signification de la polémique épicurienne, motivée par le souci de préserver pour l’individu l’indépendance la plus grande. Il donne même la raison du jugement de Métrodore : les sages que l’envie démange d’élaborer des codes sont, d’après celui-ci, animés d’une « vanité profuse »32. Seulement il rejette immédiatement l’argument, car il lui semble négliger la partie la plus importante du désir, laquelle est son terme plutôt que sa source. Or, quel que soit l’orgueil dont les législateurs sont habités, il résulte toujours de leur action l’établissement dans les cités de l’ordre, de la loi, de la justice et de la liberté (Col. 1127 B-C). Assurément l’épicurisme a principalement en vue l’intérêt personnel de l’individu, alors que Plutarque privilégie l’intérêt collectif. Mais il n’en est pas moins avéré qu’à partir du moment où la nécessité des lois ne se discute pas, il convient, si l’on veut qu’elles existent, de ne pas dissuader d’en instaurer les penseurs désireux de légiférer. Aussi Métrodore paraît-il à Plutarque tourner complètement le dos à son idéal de liberté. On ne peut pas non plus louer les législations sans inclure dans la louange leurs fondateurs33. De la même façon il est impossible de ridiculiser les émules de Solon et de Lycurgue, sans que leurs modèles soient atteints par le dénigrement34. Pour ce motif Plutarque se sent fondé à conclure que, de la sorte, les Épicuriens « disent du mal des premiers et des plus sages des législateurs »35.
11Reste une position qui, aux yeux de notre auteur, devrait retenir Épicure de défendre l’organisation institutionnelle des sociétés, la plus grave et la plus significative, selon lui, puisqu’elle revèle que l’épicurisme déclare la guerre aux lois elles-mêmes plus qu’à leurs instaurateurs36. Dans le dernier chapitre du Contre Colotès, il relève la réponse fournie par le fondateur du Jardin dans ses Apories à la question de savoir « si le sage commettra un acte défendu par les lois, sachant qu’il passera inaperçu »37. « Il n’est pas facile », fait-il répondre38, « de le dire en un mot ». Que signifie cette formule, qu’il est le seul à nous rapporter ? Le sens qu’il lui prête s’harmonise-t-il avec le reste de l’enseignement du Samien en matière de droit ? Le probème se pose d’autant plus que Plutarque ne nous apprend rien de plus du texte d’Épicure. Aussi sommes-nous incité à nous demander, quand il assure que la phrase veut dire « je le commettrai, mais je refuse de le reconnaître »39, si cette interprétation correspond à une lecture entre les lignes d’un raisonnement dont il est jugé inutile de livrer le détail, parce qu’il masquerait le contenu véritable, dont le caractère inavouable obligerait à multiplier les circonlocutions, ou si elle constitue une glose pour une interrogation laissée en suspens par Épicure, à cause de l’absence de solution40. L’inexistence de témoignages autres que celui de Plutarque nous prive de tout élément éclairant. Néanmoins, dans les deux hypothèses, la difficulté demeure pour nous identique : Plutarque déforme-t-il la pensée de son adversaire ?
12Selon lui, en tout cas, la signification ne fait aucun doute : le refus de répondre simplement, de manière négative ou affirmative, équivaut (τουτέστι) à une dérobade destinée à déguiser en incertitude ce qui s’impose aux Épicuriens comme une évidence. Le sage, contrairement à l’avis de Socrate, n’a pas à se sentir obligé de se plier aux lois de la cité lorsqu’elles le gênent et que leur transgression ne risque pas d’entraîner de désagréments. Cette explication trouve en effet, ajoute-t-il, sa confirmation dans une lettre adressée à Idoménée, où il est conseillé à celui-ci « de ne pas vivre en esclave des lois et du qu’en-dira-t-on, pour autant seulement qu’ils ne ménagent pas au voisin le moyen d’être par ses coups une source de tourment »41. À nouveau, Plutarque se montre avare d’informations complémentaires. Rien sur le contexte de cette recommandation42. Mais il apparaît nettement ici que son silence ne provient pas du désir de montrer plus facilement l’adversaire sous un jour désavantageux, à l’aide d’un amalgame trompeur de déclarations qui n’ont aucun rapport entre elles. Nous avons affaire à une citation de mémoire43, et le contenu du passage d’où elle est extraite a probablement été oublié. Seule intéresse notre auteur l’idée que dans la stricte limite de la sécurité une législation peut être transgressée. Autre manière de dire que, moyennant l’assurance de l’impunité, les Épicuriens se sentent autorisés à ne pas s’embarrasser de règlements qui entravent leur liberté. Plus précisément encore, l’épicurisme lui semble conseiller de n’observer la légalité que dans la mesure où il en résulte une protection contre autrui, ce qui ne signifie nullement, à ses yeux, qu’il invite à cultiver systématiquement l’illégalité, chaque fois qu’est garantie la possibilité d’échapper au châtiment44. Il le précise sans équivoque, quand il conclut qu’Épicure et Métrodore « engagent à mépriser les lois, si leur mépris n’implique pas la peur de coups et d’un châtiment »45. Par conséquent, il leur attribue, non pas une grossière exhortation au crime lorsque celui-ci peut se perpétrer à l’abri des sansctions, mais l’idée qu’une législation n’a de valeur que par la crainte de punitions. À aucun moment, il n’affirme qu’ils regrettent l’existence de ces dernières, ni qu’en leur absence ils ne se soucieraient en rien de la justice. Il écrit même que « d’après Épicure il ne faut pas, en effet, d’autre force de dissuasion pour empêcher l’injustice que la peur d’être châtié. »46 Il apparaît ainsi, avec évidence, que le maître du Jardin souhaite au contraire une société juste et que, loin de déplorer que les délits soient un mal à cause de l’anxiété d’être découvert, il demande plutôt aux institutions de prévoir un code pénal suffisamment répressif, afin de protéger, par la dissuasion, les citoyens d’agressions dont ils seraient sinon victimes. Le point commun à ces diverses positions est donc, dans l’esprit de Plutarque, qu’elles assignent pour fonction à la loi de combattre l’insécurité. Pourquoi alors, puisqu’il pense que l’épicurisme n’exhorte pas à l’anarchie, affirme-t-il péremptoirement que le sage formé à l’école d’Épicure, même si aucun de ses propos ne l’établit expressément, ne reculera pas devant des actes illégaux, pourvu que personne ne s’en aperçoive ? Comme il n’accuse pas ouvertement ici les Épicuriens d’hypocrisie, la raison ne saurait être que la suivante : la doctrine du Jardin tourne, à son avis, malgré elle le dos à l’objectif visé par son fondateur, parce que ses principes ne permettent pas de mener une vie juste47, si bien que seule la menace de la répression est capable de la préserver. De la sorte, il tire de la théorie épicurienne une conclusion, que ses tenants ne peuvent formuler, mais qui lui paraît inévitable. Force-t-il le sens de leurs dogmes ?
13Des textes d’Épicure qui nous sont parvenus sur le droit, quatre traitent de l’action injuste commise en cachette. Aucun ne convie à l’action injuste et tous dénoncent la tentation du crime parfait. La septième des Sentences Vaticanes48 énonce l’impossibilité pour un criminel d’être sûr de réussir à dissimuler son forfait. La trente-cinquième des Maximes Maîtresses49 ajoute même que le coupable ne doit pas s’estimer tiré d’affaire, s’il parvient à échapper sur le moment aux poursuites, parce que l’incertitude ne se limite pas seulement au présent ; elle dure jusqu’à la mort. Dans ces conditions, la délinquance engendre chez son auteur une angoisse dont il n’a pas la possibilité de se délivrer et qui constitue, à elle seule, déjà une punition. La Maxime Maîtresse trente-quatre50 explique, à ce sujet, que le contrevenant aux règles de conduite prescrites par la société souffre, non pas d’un problème de conscience, mais du doute perpétuel auquel il est condamné quant à son sort. D’où la Sentence Vaticane soixante-dix51, qui enjoint, sous la forme du souhait, de ne rien faire dont on puisse redouter qu’autrui en prenne connaissance52. Nous avons donc là un ensemble de déclarations qui, pour le même motif, déconseillent vivement d’agir illégalement. Un tel comportement n’apporte que le malheur par le trouble dont il remplit l’esprit. Pourquoi, dès lors, Épicure assure-t-il qu’il n’est pas facile de décider si, au cas purement théorique où une clandestinité totale et permanente serait garantie, le sage violera la législation ? À supposer que cette hypothèse soit réalisable, la réponse devrait être affirmative. Puisque, selon l’épicurisme, rien ne compte plus que la tranquillité, que par définition le sage, détenteur de la vérité, ne saurait se tromper sur son intérêt ultime, que d’autre part rien n’est ni injuste, ni juste en soi53, et que la justice n’est admise que pour son utilité54, à partir du moment où une loi devient inutile à la communauté et perd ainsi tout caractère de justice55, et où la légitimité de sa transgression se renforce de l’assurance absolue d’une quiétude indéfiniment sauvegardée, la logique voudrait qu’il n’y ait point d’hésitation. Celle-ci n’a donc de raison d’être que parce que même dans ces conditions – encore une fois totalement irréalisables – aucun des deux comportements considérés ne satisfait pleinement Épicure. En effet, si l’on écarte artificiellement toute possibilité de répression, le problème de la transgression d’une loi inique se pose en d’autres termes, qui sont, non plus simplement ceux du calcul de son intérêt pratique immédiat et lointain, mais plutôt ceux de la nature du fondement du droit, telle que Platon en traite à l’aide du mythe de Gygès56 : l’invisibilité épargne sans doute les sanctions, mais rend plus aiguë la nécessité d’être sûr d’agir conformément à son bien véritable. Or le sage épicurien ne prétendra jamais ni que ce dernier consiste alors de façon évidente à bafouer la légalité, car, quoiqu’il sache mieux que les législateurs où réside son bonheur, l’imprévisibilité du futur lui ôte toute certitude sur les conséquences de sa décision les plus éloignées, ni qu’il convient d’accepter une iniquité, sous prétexte qu’elle est légale, à moins de renoncer à définir le juste par ce dont chacun tire profit. Son idéal, anti-socratique, est de ne pas commettre l’injustice, mais également de ne pas la subir, et son embarras provient de ce qu’à l’opposé de Platon57, il refuse d’asseoir la justice sur un socle métaphysique. En tout cas, il ressort clairement qu’il ne se met nullement au-dessus des lois : même lorsqu’elles deviennent indéfendables, même lorsque la perspective du châtiment disparaît58, il s’abstient de prêcher leur violation comme un acte qui s’impose. A fortiori déconseillerait-il fortement à une Antigone de se révolter contre un Pouvoir injuste, mais légitime, l’hypothèse de l’impunité levée. Par conséquent, on ne doit pas le suspecter de manquer de franchise devant l’immoralisme qui serait inhérent à sa doctrine. Lui prêter, pour la question qu’il se pose, une réponse entièrement négative59, ou, à l’instar de Plutarque, entièrement affirmative, c’est lui imputer des pensées qu’il n’a pas.
14Il appert donc que notre auteur interprète indéniablement de manière tendancieuse la phrase d’Épicure « il n’est pas facile de le dire en un mot ». Il transforme en défaut de franchise, dû à un reste de scrupule, une difficulté théorique authentique. Toutefois il ne commet pas vraiment de contresens60. Il est certain, à ses yeux, que l’épicurisme ne désire pas abolir les lois. Il ne pèche pas non plus par quelque insuffisance en rigueur. Assurément il appuie son interprétation, avec le cas particulier d’Idoménée, sur l’exemple d’une situation réelle, alors que le texte s’applique à des conditions exclusivement irréelles ; mais, s’il change de plan, c’est précisément parce que cela ne modifie en rien, selon lui, l’essentiel. Ce qui lui importe dans la citation de la lettre d’Épicure à Idoménée n’est pas le contenu de sa première partie, qui invite à se sentir libre par rapport aux règles sociales, mais celui de la seconde, où au thème de la clandestinité est jointe l’opinion que cette liberté est tellement restreinte qu’elle finit par devenir théorique, et que, du coup, la nécessité d’observer la légalité se trouve exprimée, parce qu’on risque toujours d’être l’objet de rétorsions. Notons, à ce sujet, qu’Épicure ne contredit nullement ce qu’il répète ailleurs dans les Maximes Maîtresses ou les Sentences Vaticanes, ni même son hésitation des Apories, et que Plutarque, de son côté, ne cherche pas à prouver le contraire en ne retenant que le début de l’assertion. Il suffit à celui-ci que la même affirmation soit constamment avancée, à savoir que les lois ne possèdent aucune valeur en soi, ce qui est une manière radicale de les invalider. De là ses silences, qui ne sont pas en l’occurrence des omissions délibérées : il ne voit pas l’obligation d’en dire davantage sur ce passage des Apories, un ouvrage que justement il connaît bien61, parce que la constatation d’une parfaite continuité doctrinale entre les domaines de l’hypothèse et de la réalité démontre, à son avis, suffisamment que le doute, fût-il hypothétique, porte atteinte à l’essence même des lois et entraîne dans les faits une diminution de leur prestige et, par suite, de leur autorité. En outre, un tel doute, qui ne condamne pas sans rémission l’illégalité, contribue inévitablement à en légitimer l’éventualité : il se dégage que, muni de la double garantie de n’être jamais inquiété, ni d’avoir à plus ou moins longue échéance à subir, à cause de son acte, des répercussions fâcheuses, le sage épicurien ne serait plus retenu par rien de transgresser une législation qui cesse de lui être utile. C’est ce que la recommandation donnée à Idoménée laisse entendre indirectement, et c’est ce qui motive son exploitation par Plutarque pour justifier son explication du texte des Apories. Par conséquent, si notre analyse n’est pas erronée, il apparaît que notre auteur reproche à Épicure de ne pas tirer explicitement toutes les conséquences de ses principes et de ne pas aller jusqu’au bout de ses idées. Bien sûr, pour Épicure la réalisation de ces deux conditions relève de l’imaginaire et il est absurde de l’envisager expressément. Épicure prend en considération la réalisation de la première de ces deux conditions, parce que, depuis le traitement platonicien du mythe de Gygès, elle soulève un problème philosophique classique, sur lequel les Écoles se devaient de se prononcer. Mais il n’en demeure pas moins avéré que la réponse placée dans son esprit par Plutarque ne déforme pas fondamentalement sa pensée, puisqu’elle en manifeste une virtualité.
15Voilà les quatre thèses épicuriennes dont l’incrimination amène Plutarque à soutenir que l’épicurisme déclare réellement la guerre au droit. Telles sont les raisons pour lesquelles il retourne contre Colotès les reproches que ce dernier adresse aux philosophes dont les principes lui paraissent devoir engendrer le scepticisme62 : le doute semble au disciple d’Épicure menacer gravement la civilisation, car remettant en question toute réalité, il n’épargne pas les législations, de l’existence desquelles il ne peut que susciter la contestation, et, partant, il débouche, comme pour les Pyrrhoniens63, sur l’acceptation inévitable d’un retour à la vie sauvage. Non seulement, nous l’avons vu, il juge le raisonnement erroné, mais encore il dénie aux Épicuriens toute qualité pour donner à quiconque des leçons de légalité ; ne sont, d’après lui, habilités à défendre les institutions que ceux dont l’action les a servies (Col. 1126 A). Or il n’aperçoit pas chez les sectateurs du Jardin la moindre conformité entre les actes et les paroles. Aussi déduit-il que, parmi celles-ci, uniquement celles que n’infirment pas ceux-là reflètent exactement la pensée profonde de l’épicurisme. Quant aux autres, elles témoignent, à ses yeux, de l’incohérence à laquelle conduit inéluctablement une doctrine dont la conscience réprouve les prolongements qui l’effraient. Lorsqu’il écrit de l’ensemble des Épicuriens qu’en invoquant, à propos des bienfaits de la civilisation, la dette de l’humanité envers les législateurs, « ils avouent, comme s’ils étaient poussés par la déesse du châtiment, afin de ne pas même obtenir de pardon, agir scandaleusement, parce qu’ils renversent les règlements et détruisent les dispositions réglementaires »64, il impute au remords, c’est-à-dire à une réaction psychologique seconde65, une attitude liée en fait à ce qui dans leur système est primordial66, à savoir la recherche d’une protection contre l’homicide volontaire, afin de répondre au besoin de sécurité par l’élimination de la vie sociale de la peur du prochain. Le procédé ne manque pas d’habileté du point de vue de la polémique, car il inverse l’ordre des préoccupations et minimise l’essentiel. Mais il ne manque pas non plus de fondement philosophique. L’inversion s’explique par la conviction d’une incompatibilité irréductible entre la justification initiale du droit dans la doctrine du Jardin et le reste de ses positions à l’égard des institutions.
16Force est de conclure, dans ce domaine également, à la pertinence de la critique plutarquienne. Elle souligne que la conception épicurienne du droit, malgré son naturalisme et son pragmatisme, provoque sur le plan de la pratique sociale des répercussions qui tournent le dos au but visé.
17Assurément elle n’est pas exempte de partialité. Mais celle-ci n’est jamais commandée par la moindre intention malhonnête. Elle dérive de l’impossibilité – de source métaphysique – où il est de mettre les exigences de l’individu avant celles de sa communauté. À aucun moment il n’apparaît que Plutarque escamote des éléments qui pourraient infirmer sa démonstration.
18Nous retiendrons encore que, si cette dernière semble à nouveau provenir, du moins pour une part, de l’Académie, elle s’appuie continuellement sur un examen personnel très attentif des textes de la secte du Jardin. Elle ne saurait donc être taxée de méconnaissance, ni d’incompréhension.
Notes de bas de page
1 Voir Maximes Maîtresses, 33 et A. Grilli, Il probleme della vita contemplativa nel mondo greco-romano, p. 70 et 76.
2 Sur la valeur relative des lois selon les époques et les lieux, voir Maximes Maîtresses, 37, 38 et 36. L’idée que des lois puissent être mal faites et qu’elles deviennent alors nuisibles est déjà énoncée par les sophistes, en particulier par Hippias. Voir Platon, Hippias majeur, 284 d et A.-J. Voelke, Droit de la nature..., p. 270.
3 Voir Diogène Laërce, 10, 119 et V. Goldschmidt, La doctrine d’Épicure et le Droit, p. 181.
4 Voir M. Isnardi Parente, Opere di Epicuro, p. 59.
5 Voir N. . De Witt, Epicurus and his Philosophy, p. 183 et D. Pesce, Saggio su Epicuro, p. 95-96.
6 Voir R. Müller, Sur le concept de Physis dans la philosophie épicurienne du droit, p. 305-317 ; M. Isnardi Parente, Opere di Epicuro, p. 53.
7 Voir D. Pesce, Saggio su Epicuro, p 93.
8 Voir Lucrèce, V, 1023-1025 et Hermarque, chez Porphyre, De l’abstinence, 1, 8. Cf. Horace, Satires, 1, 3, 99-114.
9 Voir M. Isnardi Parente, Opere di Epicuro, p. 54-55 et V. Goldschmidt, La doctrine d’Épicure et le Droit, p. 40 et La théorie épicurienne du droit, p. 310.
10 Col. 1124 D : « Voilà en effet, mot pour mot, ce que Colotès a clamé » (τοῦτο γὰρ ὁ Κωλώτης αὐταῖς λέξεσιν ἐκπεϕώνηκεν).
11 Ibidem: τὸν βίον οἱ νόµους διατάξαντες καὶ νόµιµα καὶ τὸ βασιλεύεσθαι τὰς πόλεις καὶ ἄχεσθαι καταστήσαντες εἰς πολλὴν ἀσϕάλειαν καὶ ἡσυχίαν ἔθεντο καὶ θορύβων ἀπήλλαξαν · εἰ δέ τις ταῦτα ἀναιρήσει, θηρίων βίον βιωσόµεθα καὶ ὁ προστυχὼν τὸν ἐντυχόντα µονονοὺ κατέδεται.
12 Col. 1124 D:... οὐ δικαίως οὐδὲ ἀληθῶς...
13 Col. 1124 E : « Nous serons en effet tenus par la peur de la honte et honorerons la justice pour sa beauté » (ϕοβησόµεθα γὰρ τὰ αἰσχρὰ καὶ τιµήσοµεν ἐπὶ τῷ καλῷ δικαιοσύνην).
14 Ibidem : « ... pensant que nous avons des dieux pour bien diriger notre vie et des démons pour la protéger » (θεοὺς ἄρχοντας ἀγαθοὺς καὶ δαίµονας ἔχειν τοῦ βίου ϕύλακας ἡγούµενοι).
15 Ibidem : « ... sans considérer l’or sur la terre et sous la terre comme l’équivalent de la vertu » (τὸν ὑπὲρ γῆς καὶ ὑπὸ γῆν χρυσὸν ἀρετῆς ἀντάξιον µὴ τιθέµενοι). Cf. 1125 A : « ... la beauté de la vertu » (τῆς ἀρετῆς τὸ κάλλος).
16 Col. 1124 E-F, cf. 1125 A : « justice divine » (δίκην θεῶν).
17 Col. 1124 E : « ... accomplissant de notre plein gré, à cause de notre raison, suivant l’affirmation de Xénocrate, ce que maintenant nous faisons contre notre gré, à cause de la loi » (ποιοῦντες ἑκουσίως διὰ τὸν λόγον, ϕησι Ξενοκράτης, ἃ νῦν ἄκοντες διὰ τὸν νόµον).
18 Col. 1124 E : « Quand donc aurons-nous la vie d’un fauve, une vie sauvage et asociale ? » (Πότε ον ἔσται θηριώδης καὶ ἄγριος καὶ ἄµικτος ἡµῶν ὁ βίος ;)
19 Col. 1124 D : puisqu’il défend le droit « d’une façon contraire au droit » (οὐ δικαίως).
20 Col. 1125 C (= frag. 554 Usener), où figure la « citation littérale » (γράϕοντες αὐταῖς λέξεσιν) suivante : « il faut dire comment observer au mieux la fin de la nature et comment, pour commencer, personne de son propre mouvement ne briguera les commandements populaires » (λέγειν δεῖ πῶς ἄριστα τὸ τῆς ϕύσεως τέλος συντηρήσει καὶ πῶς τις ἐκὼν εναι µὴ πρόσεισιν ἐξ ἀρχῆς ἐπὶ τὰς τῶν πληθῶν ἀρχάς). Sur le renversement de cet argument par Plutarque, voir, supra, le développement sur les mauvaises incidences possibles en politique de la conception épicurienne de la relation âme-corps. Pour le caractère inacceptable de la justification par Épicure d’exceptions à sa règle, voir Tranq. an. 465 F - 466 A, où notre auteur estime absurde de s’abstenir de toute participation à la politique quand on en possède les aptitudes et qu’on laisse la place à des incapables.
21 Col. 1127 A : « ... seuls – ou presque – parmi les philosophes, pourtant si nombreux, à prendre part aux biens présents dans les cités sans verser leur écot » (τοσούτων ὄντων ϕιλοσόϕων µόνοι σχεδὸν ἀσύµβολοι τῶν ἐν ταῖς πόλεσιν ἀγαθῶν κοινωνοῦσιν).
22 Col. 1125 D : « ... sensibles au divin grâce à un mélange d’espérances et de craintes » (ἐµπαθεῖς πρὸς τὰ θεῖα δι’ ἐλπίδων ἅµα καὶ ϕόβων). Plutarque trouve un caractère positif à la superstition pour les hommes injustes, que la peur de châtiments infernaux peut retenir d’accomplir le mal (Suav. viv. Epic. 1104 B, 1105 B, cf. 1101 C-D. Pour la défense partielle de la superstition au nom de l’intérêt supérieur de l’État, voir Num. 8, 4 et 15, 1. Plutarque pense que la vraie piété est un juste milieu entre l’athéisme (vice par défaut) et la superstition (vice par excès). Voir Superst. 171 F, Cam. 6, 3-6 et Fab. 4, 4.
23 Elle figure également chez Cicéron, De nat. deor. 1, 2, 4.
24 Col. 1125 E : « mais une cité aurait plus de chance, à mon avis, de se constituer et, une fois constituée, de se conserver sans territoire, qu’une communauté de citoyens complètement privée de croyances aux dieux » (ἀλλὰ πόλις ἄν µοι δοκεῖ µᾶλλον ἐδάϕους χωρὶς ἢ πολιτεία τῆς περὶ θεῶν δόξης ὑϕαιρεθείσης παντάπασι σύστασιν λαβεῖν ἢ λαβοῦσα τηρῆσαι).
25 Col. 1125 D : « Mais en vérité, dans les codes de lois dont précisément Colotès lui aussi fait l’éloge, l’élément premier et principal est la croyance aux dieux » (Ἀλλὰ µὴν ς γε καὶ Κωλώτης ἐπαινεῖ διατάξεως τῶν νόµων πρῶτόν ἐστιν ἡ περὶ θεῶν δόξα καὶ µέγιστον).
26 Ibidem:... οἴχονται ϕερόµενοι πρὸς τὰς αὐτὰς Λυκούργῳ καὶ Σόλωνι ἐπιθυµίας...
27 Ibidem: ∆ιὸ καὶ καλῶς ἔχει τὸν ἐλεύθερον ὡς ἀληθῶς γέλωτα γελάσαι ἐπί τε δὴ πᾶσιν ἀνθρώποις καὶ ἐπὶ τοῖς Λυκούργοις τούτοις καὶ Σόλωσιν.
28 Col. 1127 B:... ἐξορχούµενος πολιτείαν...
29 Voir Diogène Laërce, 4, 43.
30 Cf. Apulée, Métamorphoses, 8, 28.
31 Col. 1127 C : « Mais cet homme-là, Métrodore, n’est pas libre, c’est au contraire un homme qui ne connaît pas la liberté, qui n’a pas reçu d’éducation et qui, au lieu du fouet de l’homme libre, a besoin du knout dont on châtie les Galles dans les cérémonies du culte de la Grande Mère, quand ils manquent à la règle » (ἀλλ’ οὐκ ἐλεύθερος οτος, Μητρόδωρε, ἔστιν ἀλλ’ ἀνελεύθερος καὶ ἀνάγωγος καὶ οὐδὲ µάστιγος ἐλευθέρας δεόµενος, ἀλλὰ τῆς ἀστραγαλωτῆς ἐκείνης, τούς Γάλλους πληµµελοῦντας ἐν τοῖς Μητρῴοις κολάζουσιν).
32 Col. 1127 B: ... ὑπὸ δαψιλείας τύϕου...
33 Col. 1125 C : « Dans ces conditions, il ne saurait y avoir d’éloge assez grand pour célébrer ceux qui, pour contrer ces affections bestiales, ont établi des lois, des constitutions, des magistratures et des codes ! » (Οὐδεὶς ον ἔπαινος ἄξιος ἂν γένοιτο τῶν ἐπὶ ταῦτα τὰ πάθη τὰ θηριώδη νόµους θεµένων καὶ πολιτείας καὶ ἀρχὰς καὶ νόµων διάταξιν).
34 Mettre au pluriel les noms de personnages exceptionnels équivaut déjà, dans une certaine mesure, à les rabaisser au niveau de l’ordinaire.
35 Col. 1127 E:... τοὺς δὲ πρώτους καὶ σοϕωτάτους τῶν νοµοθετῶν κακῶς λέγοντες...
36 Col. 1127 D : « Plus encore, c’est aux lois et non aux législateurs qu’ils ont déclaré la guerre, comme on peut l’apprendre d’Épicure » (Ὅτι δὲ οὐ νοµοθέταις ἀλλὰ νόµοις ἐπολέµουν ἔξεστιν ἀκούειν Ἐπικούρου).
37 Ibidem : « Dans ses Apories, en effet, il se demande si le sage accomplira des actes que les lois interdisent, pour peu qu’il sache qu’il ne sera pas découvert » (ἐρωτᾷ γὰρ αὑτὸν ἐν ταῖς ∆ιαπορίαις εἰ πράξει τινὰ ὁ σοϕὸς ν οἱ νόµοι ἀπαγορεύουσιν, εἱδὼς ὅτι λήσει).
38 Ibidem (= frag. 18 Usener) : « Il n’est pas facile de le dire en un mot » (οὐκ ευ[οδον τὸ ἀπλοῦν ἐπικατηγόρηµα). La correction par Estienne de l’hapax ἐπικατηγόρηµα (« affirmation par laquelle on se prononce sur quelque chose ») en ἐστι κατηγόρηµα (« est une prédication ») ne s’impose pas. Sur la valeur technique du substantif, voir C. Diano (Epicuri Ethica..., p. 147), suivi par R. Westman (Plutarch gegen Kolotes, p. 185-186).
39 1127 D: τουτέστι πράξωµέν, οὐ βούλοµαι δ’ ὁµολογεῖν.
40 R. Westman (Plutarch gegen Kolotes..., p. 186-187) écarte cette éventualité.
41 Col. 1127 D:... µὴ νόµοις καὶ δόξαις δουλεύοντα ζῆν, ἐϕ’ ὅσον ἂν µὴ τὴν διὰ τοῦ πέλας ἐκ πληγῆς ὄχλησιν παρασκευάζωσιν (= fragment 134 Usener).
42 Selon Sénèque (Ep. 21, 3 = frag. 132 Usener), Épicure conseille à Idoménée, alors au service d’Antigone Monophthalmos (voir R. Westman, Plutarch gegen Kolotes..., p. 191), de ne pas se laisser asservir par ses fonctions, ni par le souci de sa réputation (voir R. Westman, op. cit. p. 190).
43 Col. 1127 D : « Derechef, dans une lettre à Idoménée, je crois, il prescrit... » (πάλιν δ’ οµαι γράϕων πρὸς Ἰδοµενέα διακελεύεται...)
44 Contrairement à l’analyse de R. Westman, op. cit. p. 189-190.
45 Col. 1127 E:... τῶν δὲ νόµων παρακελευόµενοι περιϕρονεῖν, ἐὰν µὴ προσῇ ϕόβος πληγῆς καὶ κολάσεως,...
46 Suav. viv. Epic. 1104 B (= frag. 534 Usener): οὐ γὰρ Ἐπίκουρος ἄλλῳ τινὶ τῆς ἀδικίας οἴεται δεῖν ἀπείργειν ἢ ϕόβῳ κολάσεων.
47 Voir Col. 1108 C, où il est dit que les Épicuriens ne laissent aucune place à la justice.
48 « Si tu commets l’injustice, il est déplaisant de rester caché, mais avoir l’assurance de continuer à le rester est impossible » (Ἀδικοῦντα λαθεῖν µὲν δύσκολον, πίστιν δὲ λαβεῖν ὑπὲρ τοῦ λαθεῖν ἀδύνατον).
49 « Il n’est pas possible à qui commet en cachette un des actes qui ont fait l’objet de conventions entre les hommes pour éviter que des torts fussent causés ou subis, d’avoir l’assurance qu’il restera caché, même si pour le présent il y arrive mille fois, car jusqu’à sa disparition, il n’est pas évident qu’il y arrive encore » (Οὐκ ἔστι τὸν λάθρᾳ τι ποιοῦντα ν συνέθεντο πρὸς ἀλλήλους εἰς τὸ µὴ βλάπτειν µηδὲ βλάπτεσθαι, πιστεύειν ὅτι λήσει, κἂν µυριάκις ἐπὶ τοῦ παρόντος λανθάνῃ · µέχρι γὰρ καταστροϕῆς ἄδηλον εἰ καὶ λήσει).
50 « L’injustice n’est pas un mal en elle-même ; elle l’est par la crainte que donne l’appréhension de ne pas rester caché de ceux qui ont la charge de châtier les auteurs de tels actes » (Ἡ ἀδικία οὐ καθ’ ἑαυτὴν κακόν, ἀλλ’ ἐν τῷ κατὰ τὴν ὑποψίαν ϕόβῳ, εἰ µὴ λήσει τοὺς ὑπὲρ τῶν τοιούτων ἐϕεστηκότας κολαστάς).
51 « Puisses-tu, dans ta vie, ne rien faire dont tu redoutes que ton voisin en prenne connaissance » (Μηδέν σοι ἐν βίῳ πραχθείη ὃ ϕόβον παρέξει σοι εἰ γνωσθήσεται τῷ πλησίον).
52 Voir aussi Maximes Maîtresses 17 : « L’homme juste est le moins sujet aux troubles, tandis que de très grands troubles remplissent l’homme injuste » (ὁ δίκαιος ἀταρακτότατος, ὁ δ’ ἄδικος πλείστης ταραχῆς γέµων).
53 Voir Maximes Maîtresses, 32 et 33.
54 Voir Maximes Maîtresses, 31.
55 Voir Maximes Maîtresses, 37 et 38. V. Goldschmidt (La doctrine d’Épicure et le Droit, p. 29, 141, 234, 238) montre bien que la notion de droit est pour Épicure une prénotion, dont la source est l’expérience que chacun peut avoir de ce qui est avantageux ou nuisible pour sa personne.
56 Rép. 2, 359 b - 360 d.
57 Voir Rép. 2, 360 e - 367 e, cf. Cicéron, De officiis, 2, 9, 39.
58 Sans doute l’utilitarisme du légalisme épicurien a-t-il compté dans le renforcement, à Rome, du positivisme juridique, comme en témoigne Cicéron, qui, dans sa défense de la justice, rejoint l’argumentation d’Épicure (voir De fin. 1, 50-51). Mais, en Grèce, rien de comparable ne se constate.
59 C’est ce que fait E. Joyau (Épicure, p. 199).
60 Comme il est parfois conclu. Voir, par exemple, V. Goldschmidt, La doctrine d’Épicure et le Droit, p. 99.
61 Il s’y réfère encore, et à deux reprises, dans son Suav. viv. Epic. 1095 C et 1094 E.
62 Voir Col. 1125 F : « reprocher à d’autres ce qu’ils font eux-mêmes » (τὸ δ’ ἐγκαλεῖν ἑτέροις ἅπερ αὐτοὶ πράττουσι). Ainsi que Plutarque l’atteste (1126 A), Colotès ne vise pas uniquement Arcésilas à cause des conséquences ruineuses pour les lois de l’application à celles-ci de sa théorie de la suspension du jugement ; contrairement au commentaire de B. Einarson et Ph. H. de Lacy (Plutarch’s Moralia, 14, p. 179-180), il englobe dans son attaque tous ceux que son pamphlet tient pour des fauteurs de scepticisme : faire douter du monde sensible est le défaut commun qu’il leur trouve, bien plus qu’il ne dénonce chez eux la volonté de substituer aux lois collectives les règles individuelles d’une éthique personnelle, comme le suppose R. Westman (Plutarch gegen Kolotes..., p. 86).
63 Voir Diogène Laërce, 9, 83 et 108.
64 Col. 1125 F:... ὥσπερ ὑπὸ Ποίνης ἐλαυνόµενοι δεινὰ ποιεῖν ὁµολογοῦσι συγχέοντες τὰ νόµιµα καὶ τὰς διατάξεις τῶν νόµων ἀναιροῦντες, ἵνα µηδὲ συγγνώµης.
65 Nous avons rencontré un argument analogue en ce qui concerne la théorie épicurienne de l’aponie, dont Plutarque explique la construction par l’attribution de scrupules à ses avocats, devant les conséquences possibles de leurs principes.
66 V. Golschmidt (La théorie épicurienne du droit, p. 313) emploie, à ce sujet, le concept de « fait primitif ».
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