Conclusions. Esquisse d’une histoire du rapport à soi
p. 205-226
Texte intégral
1Reprenons, comme nous l’avions promis, le cours de notre méditation sur le rapport à soi. Au terme de cette enquête, et malgré son caractère partiel et fragmentaire, nous nous risquerons à proposer l’esquisse d’une description synthétique de l’histoire des ruptures au terme de laquelle a pu émerger la vision de l’intériorité comme subjectivité. Mais, préalablement à cette description, nous devons nous expliquer sur le sens que nous pouvons désormais attribuer à ce “soi” du rapport à soi, dont avons proposé une analyse historique.
1. Augustin ou l’individu sans subjectivité ?
2L’intention n’est pas ici de proposer une explication causale ou métaphysique de l’apparition de la perception de soi comme une intériorité dotée de profondeur, faisant face au monde et ayant à se saisir elle-même comme identité singulière. Ce procédé d’analyse régressive, cherchant à remonter de l’effet au dispositif de causalité, et, de là, vers la cause ou l’essence déterminante est ici à proscrire (et donc a fortiori la tentation de procéder par synthèse déductive, des causes ou lois ou principes vers les effets ou réalités).
3Le principe d’émergence d’une certaine forme de ce “soi” n’est donné que lorsqu’il est prescrit à chacun de se rapporter à “soi” - même (que cette activité de mise en rapport à soi consiste en un travail, une transformation, une inspection…). Ce soi n’existe jamais substantiellement en dehors des pratiques qui gouvernent la mise en rapport à soi. Il n’est nullement une “substance”, dont la présence initiale et première au cœur de l’homme serait comme un germe appelant l’attention d’un esprit inquisiteur, qui la dévoilerait progressivement, au fil d’une histoire linéaire, comme le centre intérieur de la personne. Il ne s’agit pas non plus d’une vision de soi ou d’un “concept” que les penseurs auraient affinés à mesure que leurs recherches avançaient et que les discours se rationalisaient ou se clarifiaient. Le “soi”, ni au sens du concept, ni en celui de la substance, n’est en rien une entité per se ou un être permanent. Ce n’est au contraire, à le prendre à sa racine, que l’élément, neutre pour ainsi dire, d’un rapport pratique : celui par lequel, à une époque donnée, les pratiques collectives prescrivent les modes suivant lesquels entrer en rapport avec soi et/pour se transformer et travailler sur soi. Il n’existe pas en dehors d’un rapport à soi prescrit par des pratiques organisant le travail sur soi. Le sujet humain est traversé par cette histoire et son être réside son devenir.
4Nous avons appelé dispositif les ordres de pratiques coordonnées dont nous avons pu relever la trace dans les Confessions d’Augustin. Le “soi” que l’on en pourrait abstraire par une opération rétrospective n’est que le terme du discours qui l’énonce et dans lequel il s’énonce1. C’est essentiellement au travers de ces opérations discursives que nous pouvons saisir la trace des pratiques par lesquelles chacun se voit prescrire d’opérer en “soi” un partage, une configuration du soi en éléments éthiquement significatifs et de mener à bien un certain travail visant à obtenir certains effets de transformation. Le sujet réside donc dans le rapport à soi et sa configuration diffère d’une époque à l’autre. Le cercle dans lequel nous paraissons nous enfermer : quel est donc ce “soi” sur lequel s’exerce l’ensemble des prescriptions pratiques du dispositif par lequel émerge le “soi” ? Sont-ce deux “soi” différents, l’un objet, l’autre moyen, et d’où vient alors le premier ? Sont-ils identiques, et quoi de leur production et de leur origine ? – ce cercle n’est lui-même que pure apparence. Le rapport à soi ne suppose aucune tabula rasa pour se constituer, car sa constitution ne se laisse pas plus penser sur le mode d’une création ex nihilo que sur celui d’une éternelle permanence. Il n’y a, pourrait-on dire, ni origine ni commencement, si l’histoire et le devenir sont premiers. Le sens de ce rapport tombe entièrement sous les catégories de la relation et de l’activité ; ou, si l’on préfère, le “soi” n’est que le processus par lequel le sujet vient à être. Il est un ensemble d’activités historiquement déterminées et organisées en un dispositif prescriptif, faisant émerger comme son ombre porté un être qui fait l’expérience de lui-même, suivant les règles d’un dispositif dont il hérite et qu’il n’a pas besoin de fabriquer. Cette ombre projetée est une illusion, pour qui veut croire qu’elle dissimule quelque chose ou quelqu’un, une substance ou être ; elle est une trace et un indice, si l’on accepte de la concevoir comme le signe ou l’expression d’un processus de production, d’un dispositif historiquement situé qui en est comme la condition de possibilité. Dans cette histoire, le soi entrant en rapport avec lui-même est l’effet d’un dispositif dont la présence antécédente assure la position, et le soi transformé qui en résulte représente le degré de malléabilité de ce dispositif, sa capacité à devenir et à changer. Le soi existe à titre d’effet historique et l’être du sujet est l’être du processus de sa configuration ; le sujet n’est donc pas comme le noumène d’un phénomène, le soi, seul accessible à notre réflexion. Le soi, au contraire, porte entièrement le sujet, lequel est une vie tendant à se rapporter à soi.
5Du “soi”, sorte d’élément mystique, il n’y a donc rien à dire – sinon rétrospectivement, lorsque nous en parlons dans la croyance quotidienne, à laquelle nul ne peut renoncer puisqu’elle se pose comme condition préalable de l’énonciation par laquelle on chercherait à la problématiser. Mais le rapport à soi n’est pas pour autant ineffable – ni le sujet indiciblement transcendant. Il n’est pas ce qu’il faudrait taire et tombe au contraire dans le champ du discours qui en retrace l’histoire, non pas l’apparition absolue et originaire, mais les changements, les transformations et les provisoires fixations.
6On peut proposer une description des contours les plus généraux de ces dispositifs, en partant des effets qu’ils produisent et dont la mémoire a été consignée ou conservée. La consistance de cette description synthétique dépend certes de la qualité de l’enquête sur laquelle nous prétendons l’appuyer : la double limite de l’incomplétude et de la relativité de l’objet nous interdit de proposer une démonstration systématique, qui prétendrait énoncer quelque vérité sur le rapport à soi. Ce n’est pas seulement le “ soi” qui est dévoilé comme entité impermanente, c’est aussi bien le rapport à soi, qui doit être pensé comme événement dans une histoire. Toutefois, nous ne pensons pas l’objection insurmontable. Car, si le rapport à soi n’est pas un être permanent et éternel, il possède en revanche une consistance, celle des processus historiquement repérables par lesquels des prescriptions productrices de soi prennent vie et deviennent pour chacun des expériences de soi. L’inconsistance ontologique ne doit pas ici être hâtivement assimilée à l’inexistence historique : la relativité de l’objet interdit de le penser comme chose éternelle et convie à le comprendre comme un processus réel et transitoire. D’autre part, l’incomplétude de l’enquête historique fournissant sa réalité à l’objet (qui ne tient peut-être qu’au caractère nécessairement limité d’un travail et de son résultat), quand elle serait irrévocable, n’est pas non plus une contradiction dirimante. Qu’il n’y ait pas d’histoire absolue et exhaustive, n’implique pas nécessairement que ce dont on retrace l’histoire soit en droit purement incertain et relatif ; cela ne conduit pas à renoncer à l’idée d’une histoire fiable. Mais on devra reconnaître que la conscience que nous prenons de nous-mêmes est le produit d’une opération par laquelle nous nous représentons et travaillons à ériger notre être, un moment particulier de l’histoire du rapport à soi, et que l’histoire de la philosophie, entendue comme histoire du rapport à soi, est elle-même une forme de rapport à soi.
2. Augustin : le cœur et l’Écriture
7La configuration de soi en éléments éthiquement significatifs ne relie plus chez Augustin le divin, l’âme et le corps, comme tel était le cas dans le néoplatonisme, mais le cœur, l’Écriture et la chair. Ce n’est plus la confrontation à l’ordre du monde qui permet d’opérer ce partage, mais une application à soi des Écritures ou exégèse de soi, visant, non plus à réunifier la substance humaine à la hiérarchie générale des êtres et à l’ordre du monde, mais aspirant à la divinisation par la Parole divine. Dans ce dispositif, l’homme n’est plus une nature dont seule la part animique serait susceptible de perfection ; c’est une personne, un être de chair indivisible, susceptible de perfection à raison de ce qu’il est plus ou moins divinisé. À la perfection de la nature, toujours plus ou moins conçue en termes d’harmonie se substitue une perfection de la personne, supposant une union à l’ordre divin et une rupture avec la nature. Cœur, Écriture, Parole et chair sont les éléments se substituant à ceux autour desquels s’organisait le dispositif précédent : âme, corps, monde et ordre divin. Désormais, c’est dans et par l’organisation des dimensions de l’Écriture et du cœur que le rapport à soi se bâtit.
8Dans la configuration éthique de soi activée par le travail d’exégèse de soi, le cœur se fait le lieu d’accueil de la parole divine. L’inscription des Écritures prend en charge d’y produire la transformation décisive de l’être personnel. Certes, les termes antécédents ne perdent pas pour autant toute leur puissance. Augustin et ceux qui suivront se serviront régulièrement des termes d’âme et de corps pour expliquer la nature de l’homme, et l’examiner sous le même point de vue que les autres substances de ce monde, c’est-à-dire en tant que créatures dans un ordre général dont l’architecture ne le cède pas en perfection à celle de la taxis des philosophes de l’Antiquité. En tant qu’on le considère comme l’une des créatures de la création, l’homme est bien un être charnel, c’est-à-dire un composé d’âme et de corps. Si, la chair permet de comprendre tout ce qui est créé, elle permet de subsumer sous sa catégorie, la part corporelle de l’être créé aussi bien que sa part animique ou “psychique”. Mais, puisque cette chair ne représente pas le degré plein de l’accomplissement de la créature humaine, l’ordre de la nature ne suffit plus à en décrire la substance. Il faut pour le voir surgir en sa plénitude travailler à activer en soi autre chose que des forces purement naturelles – des forces étrangères, ou tout au moins extérieures à la création. Ainsi que nous l’avons souligné, en exhibant un dualisme créationniste fondamental dans le christianisme, l’accomplissement plein et entier de l’homme ne se conçoit plus dans le cadre du déploiement des forces naturelles les plus parfaites. Pas plus par une rupture avec le lieu du mal, qui conduirait à rejoindre le lieu de la lumière (comme dans le manichéisme) que par une remontée continue, de degré en degré jusqu’à la source de toute perfection (comme dans le néoplatonisme). La nature humaine, en un sens, est comme à demi dégagée de l’emprise de l’ordre naturel : seul « l’homme extérieur », la chair, est pleinement assujetti à un ordre créé. Mais il n’est tel que tant que rien ne vient faire naître en lui l’« homme intérieur », tant que la Parole divine de l’Écriture ne s’y inscrit pas pour faire revivre le cœur dans la chair. Cela ne signifie pas, pourtant que l’on soit en droit de voir dans l’expression « homme intérieur », le signe de la naissance d’une intériorité.
9Une forme de rapport à soi excluant de sa structure l’existence d’un moi et d’une subjectivité intérieure se met au contraire en place dans les Confessions. Certes, le cœur n’est pas une substance et il réclame pour (re)naître l’intervention d’une puissance extérieure. L’inscription de la parole des Écritures dans le cœur est une élévation de l’être personnel, élévation dont toute la puissance est attribuée à l’intervention gracieuse et surnaturelle de la divinité dans le plan de la création, et dont la fonction est de produire dans l’être personnel des affections témoignant de la présence de la divinité dans le cœur, d’arracher la créature à la création où elle s’inscrit sans lui appartenir. La personne du chrétien est une personne susceptible de s’arracher au monde. Il ne s’agit donc pas ici d’une liberté personnelle ni d’une autonomie du sujet, ni d’une intériorité du sujet ou d’une subjectivité. La personne du chrétien n’est pas libre : elle est libérée. Ce n’est que négativement – au sens où, contre les manichéens, Augustin refuse que la nature humaine soit esclave et assujettie aux forces de la nature créée – qu’il y a liberté, et non positivement, au sens d’un pouvoir dont la créature serait la source et le dépositaire. C’est en quelque sorte la liberté d’une nature et non d’une personne.
10Le travail sur soi prend ici la forme d’une technique de transformation de son être dont le principe actif est l’exégèse. Il consiste à se laisser former et transformer par les Écritures, qui rendent présent Dieu à sa créature pour qu’elle “renaisse”. Ce rapport à soi est un rapport supposant l’intervention d’un tiers extérieur et transcendant (Dieu) dont la présence est assurée par les Écritures, c’est-à-dire la parole divine, et non par un travail de création personnelle au terme duquel apparaîtraient l’être et la vérité d’un moi subjectif. Les Écritures n’assurent pas seulement la présence de Dieu au monde mais aussi celle de Dieu à la créature. Mais cette extériorité n’est pas l’extériorité du monde à la subjectivité ou à l’intériorité, c’est celle de Dieu à la création. La présence intérieure de la divinité est indifféremment présence de Dieu à sa création et (donc) à sa créature inhabitation salvatrice. C’est en quelque sorte une composante immanente de la transcendance, inhérente à l’idée d’un Dieu créateur d’une création ex nihilo, et non Dieu absolument coupé de sa création, qui ne s’abaisserait pas à créer “de ses mains” une réalité qui lui soit opposée. Le dieu séparé est le dieu des gnostiques et des manichéens – et l’affirmation de l’exil et de l’absence, de la perte du divin et de la chute dans la matière est comme l’envers ou le risque du rapport à soi proposé par leurs adversaires chrétiens.
11La présence divine de la transcendance dans l’augustinisme est au contraire garantie par l’énonciation des Écritures. La présence au monde créé demande à être éclairée par une mise en rapport avec l’Écriture. Dieu est plus présent au chrétien que le monde. Ou si l’on préfère, par la présence à Dieu est assurée la clarté d’une présence au monde. Mais l’homme intérieur, de ce fait, n’est pas une intériorité autonome, un soi per se. Il est le produit de l’action de cette parole divine dans le monde. C’est pourquoi, dans ce contexte où les Écritures gouvernent et forment la condition de possibilité de l’organisation du rapport à soi, il n’existe pas de place discursive pour l’émergence d’un lieu intérieur conçu comme une réalité autonome dotée d’un être et d’un devenir propres. Certes, on est toujours tenté de lire les Confessions d’Augustin comme un témoignage de la vie subjective de son intériorité, comme une première figure exprimant la conscience de soi. Mais c’est à la condition d’en plier les formes spécifiques aux règles propres du rapport à soi d’un lecteur se situant dans une sphère différente. À moins d’accepter d’appeler conscience de soi un mode de rapport à soi dans lequel l’intériorité résulte entièrement de l’action des Écritures sur l’être personnel, on préférera affirmer qu’il n’existe pas de conscience de soi dans les Confessions. Le rapport déterminant n’est pas celui d’une conscience solitaire dont l’essence demanderait à s’exprimer avec un Dieu absolu auquel elle ferait face. La subjectivité n’existe pas plus à l’époque d’Augustin. L’intériorité n’est elle-même qu’une figure homonymique, celle qui, issue des métaphores tirées de l’Écriture, oriente le travail sur soi vers la nécessité d’un dépassement vers un « tu » posé comme « plus intérieurement présent » à l’individu « que [sa] propre présence intérieure », et « supérieur à [sa] propre cime »2.
3. D’Augustin à Rousseau
12Il nous suffira, pour faire apercevoir la distance qui nous sépare de cette conception, de reprendre la description de la figure qui surgit avec Rousseau dont nous avons esquissé l’étude dans notre premier Chapitre. On ne proposera pas une étude approfondie de l’entreprise confessionnelle rousseauiste. Mais, en marquant avec précision des différences significatives, on cherchera à repérer l’existence d’un type de rapport à soi différent de la figure augustinienne. Nos analyses des Confessions d’Augustin nous permettent d’apercevoir la nouveauté de l’entreprise de Rousseau – et de nous essayer à saisir les limites du cadre dans lequel notre propre rapport à nous-mêmes se développe encore, au moins en partie.
131. Une lecture du premier fragment de l’ébauche des Confessions de Rousseau suffit à donner accès à la spécificité du rapport à soi dans lequel émerge ce moi singulier doté de subjectivité caractérisant la modernité. Selon une note de Rousseau, cette esquisse date de 1764, près de sept ans avant l’achèvement du texte définitif3. Elle présente de fortes différences avec le préambule et les trois premiers paragraphes4 du Livre I des Confessions qui en tiendront la place. Mais il s’agit déjà d’une intention autobiographique. Le sous-titre du § 1 de l’Ébauche conduit à placer le texte dans le cadre du « pacte autobiographique » :
« Les Confessions de J.-J. Rousseau Contenant le détail des événements de sa vie, et de ses sentiments secrets dans toutes les situations où il s’est trouvé. »5
14Le récit est bien ici supposé prendre pour objet la vie réelle de l’auteur lui-même, qui prend l’engagement d’exposer les détails les plus cachés de sa personnalité, et il y a ici identité de l’auteur, du narrateur et du personnage. Le “je” qui ouvre ce fragment suffit à le qualifier comme « autobiographie “autodiégétique” »6. C’est le terme “de” qui se charge d’assumer cette connexion et de désigner le sens par lequel Rousseau renouvelle le titre d’Augustin7 : les « confessions » sont à la fois ce texte qui a Rousseau pour auteur et la vie de leur auteur pour sujet. Nous avons souligné cette différence entre le projet de Rousseau et celui d’Augustin. Mais il est une différence plus essentielle encore qu’il faut maintenant marquer.
15Ce projet est initialement gouverné par l’exigence de la connaissance de soi et de la connaissance de l’homme – du moins est-ce l’intention explicite de Rousseau. Chacun prétend connaître les hommes, mais on ne “connaît” en réalité que soi, et on se laisse prendre à l’illusion faisant concevoir autrui sur le modèle de soi-même – illusion incontournable, en un sens, puisqu’on ne peut semble-t-il se connaître qu’en se comparant à autrui :
« comment bien déterminer un être par les seuls rapports qui sont en lui-même, et sans le comparer avec rien ? Cependant cette connaissance imparfaite qu’on a de soi est le seul moyen qu’on emploie à connaître les autres. »8
16Chacun, prêtant à autrui ses propres mobiles et motifs, en leur petitesse comme en leur grandeur, ou, à rebours, tentant de démêler la confusion des sentiments les plus secrets qui se jouent dans son cœur suivant les mœurs des hommes de son temps, se méprend ainsi et sur le cœur de ses semblables et sur lui-même, ignorant dans cette double erreur, à la fois la vie intérieure et la nature humaine. Il y a bien de l’orgueil à se faire ainsi « la règle de tout », mais surtout un aveuglement sur la nature humaine recouverte par sa condition mondaine. Si l’on appelle “psychologie morale” cet art de démêler les sentiments secrets du cœur et “anthropologie” la connaissance des hommes, l’engagement de Rousseau de « faire faire à [ses] lecteurs un pas de plus dans la connaissance des hommes, en les tirant s’il est possible de cette règle unique et fautive de juger toujours du cœur d’autrui par le sien ; tandis qu’au contraire il faudrait souvent pour connaître le sien, commencer par lire dans celui d’autrui »9, consiste à fonder l’anthropologie dans la psychologie morale et celle-ci dans une introspection comparative. De ce dernier point de vue, on a affaire à un cercle apparent : impossible de sonder son propre cœur sans un point de comparaison consistant en la connaissance du cœur d’autrui ; inconcevable, pourtant de connaître autrui sans préalablement connaître son propre cœur. On pourrait logiquement supposer que cette connaissance sera fournie par la connaissance de la nature humaine. Mais c’est justement celle que Rousseau vient de mettre entre parenthèses pour dégager le nouveau terrain discursif sur lequel se joue désormais le travail sur soi.
17La table des catégories paraît identique, mais la connaissance de la nature humaine suppose celle du cœur, et la connaissance du cœur suppose un acte initial de rupture et d’invention. Car la connaissance de soi exige de rompre le lien aveuglant de l’illusion que nous venons de dénoncer : comment, quand on cherche à se connaître, être certain de ne pas s’imposer à soi-même et à son insu le modèle du moi dont on aurait emprunté la figure aux apparences du monde, sinon en discernant authentiquement un cœur ? Comment, inversement, être certain d’avoir sondé une âme sans lui avoir imprimé les formes-mêmes de notre psychè qui, pour demeurer inconnues, gouvernent pourtant chacun ? L’autobiographie a désormais pour fonction d’échapper aux « romans ingénieux » qui ne saisissent des caractères que leurs traits extérieurs et les moins consistants : elle est quête du moi, d’un soi saisi dans sa vérité et son authenticité propres.
182. Pas moyen donc d’échapper au cercle de l’illusion dont les hommes sont prisonniers, sinon en disposant soi-même d’une « pièce de comparaison »10 : « Je veux tâcher que pour apprendre à s’apprécier, on puisse avoir une pièce de comparaison ; que chacun puisse connaître soi et un autre, et cet autre ce sera moi. »11 Connaissance de soi, connaissance d’autrui, rapport à soi et rapport à autrui changent de relation.
19C’est moins ici l’intention de se libérer d’une position de méconnaissance de soi qui préside au projet de Rousseau qu’une possibilité de transparence à soi-même, sinon immédiate, du moins accessible à la condition d’un travail d’écriture chargé de mettre en lumière le “je” du texte (et, par son truchement, le “tu” du destinataire), qui est ici postulée. La conquête de la coïncidence avec soi-même dépend ici d’une décision – celle de la sincérité12 et de l’authenticité, la première frayant la voie de la seconde. Les Confessions consistent en cette décision par laquelle est déchiré le voile que le mensonge et l’insincérité seuls tendent au-dessus de soi : Rousseau, se décidant à la sincérité, conquiert par là une position d’authenticité d’où il est possible d’accéder à la vérité du cœur. Le caractère pénible de l’aveu garantit, dans les Confessions de Rousseau, la sincérité et donc la fécondité de l’écriture de soi. Cette sincérité est au fond une reprise de la part pénitentielle des Confessions : loin de renier ses origines mystiques, elles contribuent au contraire à en revivifier les racines. Le caractère quasi lyrique de l’exclamation qui suit cette “résolution de faire un pas” : « Oui, moi, moi seul, car je ne connais jusqu’ici nul autre homme qui ait osé faire ce que je me propose »13 – a pour fonction de renforcer le caractère exceptionnel de l’acte. Celui-ci, dans sa nouveauté et dans la forme qu’il semble parodier, tient, pourrait-on penser, du blasphème ou du miracle : les hommes vivaient dans l’illusion de la méconnaissance de soi jusqu’à la venue de Rousseau ; celui-ci, capable de se connaître, a pris sur lui de révéler son cœur à l’humanité, lui donnant désormais accès à la connaissance de la nature humaine… Sur le plan de ce que nous avons appelé la psychologie morale du cœur, Rousseau serait au fond une sorte de sauveur, – à tout le moins un être singulier et exceptionnel…
20Cette singularité sert de caution à Rousseau. Certes, la singularité subjective dont le rapport à soi esquisse ici l’apparition est posée comme un mystère à résoudre : la prescription exigeant de démêler dans son propre caractère les sources et les accidents, « comment il s’est formé, quelles occasions l’ont développé, quel enchaînement d’affections secrètes l’a rendu tel », commande de passer au-delà des apparences14. Non point en remontant vers quelque ciel d’où s’organiseraient les apparences, mais en descendant dans ses propres profondeurs intérieures15. Le moi dont naît ici l’être peut être désigné par l’expression de subjectivité singulière. C’est désormais sous les prescriptions de sincérité et d’authenticité que chacun se voit adresser le modèle de constitution de soi-même : à chacun de démêler son propre secret en érigeant de lui-même une image – un « portrait » vu de face, et non de « profil »16 – dans laquelle se reconnaître.
21Désormais, le rapport à soi s’organise par la prescription d’un travail d’écriture de soi où la personne s’unit progressivement, mais immédiatement, à elle-même et sans plus passer par quelque tiers médiateur – ni Dieu, ni Écriture, ni “tu” n’en sont la source. Dieu ou le lecteur sont tout au plus des témoins de ce dévoilement que chacun est convoqué à opérer de soi-même dans lequel il s’agit d’atteindre à la description exacte de soi pour instaurer un rapport d’adéquation à soi. Le texte, en son déroulement linéaire, incarne la présence et le déploiement de l’intériorité, conçue à la fois comme pure singularité et comme aventure strictement subjective. Cette intériorité n’est plus celle des Confessions d’Augustin. Loin de résulter de l’action des Écritures sur l’être personnel des individus, elle occupe désormais la place qu’occupaient Dieu et l’absolu auparavant ; comme eux elle est ineffable et cachée, comme eux elle exige d’être mise en mots et révélée. Le rapport à soi est toujours organisé par des pratiques d’écriture, mais celles-ci ne sont plus placées sous la dépendance de l’Écriture ; ce ne sont plus les règles de l’exégèse qui commandent l’écriture de soi – mais celle d’une création dans laquelle l’esthétique se substitue à la théologie et l’écrivain à l’exégète. Cette singularité subjective dont chacun doit se faire l’écrivain pour être authentiquement lui-même consiste tout entière en sa manière singulière de développer sa propre unité intérieure17 :
« Nul ne peut écrire la vie d’un homme que lui-même. Sa manière d’être intérieure, sa véritable vie n’est connue que de lui ; mais en l’écrivant il la déguise ; sous le nom de sa vie, il fait son apologie ; il se montre comme il veut être vu, mais point du tout comme il est. »18
223. Pour échapper à ce piège de la tentation purement mondaine, non point issue de quelque puissance diabolique ou surnaturelle mais liée au jeu purement horizontal des relations interpersonnelles, Rousseau invente le style de ses Confessions. Certes, l’intention est de pouvoir, le « livre à la main [se] présenter devant le souverain juge », pour soutenir que l’on a « dévoilé [son] intérieur tel que [Dieu] l’a vu [lui]-même ». Le regard futur de Dieu se fait ici critère mesurant, par anticipation, le degré d’authenticité du discours. La vérité à laquelle doit aspirer l’être personnel n’est plus adéquation à un modèle prescrit par la divinité, mais coïncidence de soi à soi. À la possibilité de l’authenticité correspond l’injonction de sincérité que chacun se doit appliquer à soi-même. Les Confessions de Rousseau prescrivent à leurs destinataires de se soumettre à la même opération stylistique que celle dont provient le texte – « que chacun d’eux découvre à son tour son cœur aux pieds de ton trône avec la même sincérité »19.
23Le “naturel” de ce style ne procède d’aucun modèle : la prescription de coïncidence avec soi exige de saisir son être personnel dans le moment de son émergence spontanée. Le style doit être le contour du modèle intérieur lui-même, qui s’exprime en créant son propre langage dans l’expression authentique qu’il donne de lui-même. Le style doit épouser tous les mouvements intimes et le trait de l’écriture suivre la ligne d’un destin intérieur. La subjectivité singulière n’est plus à concevoir suivant un modèle extérieur prescrit par une transcendance. Elle est au contraire le modèle paradigmatique de toute émergence, l’acte créateur lui-même saisi comme en son déploiement. Le projet de « suivre le fil de [ses] dispositions secrètes, pour montrer comment chaque impression qui a fait trace en [son] âme y entra pour la première fois » revient à inventer un langage adéquat à la personne. Rousseau ne cherche par à garantir la seule adéquation du propos à l’histoire réelle de la personne ; le style « fera lui-même partie de [son] histoire. » L’écrivain, comme l’astronome « dans la chambre obscure », se place derrière le rideau de la page, d’où il peut observer le contraste de la lumière et des ombres pour en repasser les contours à la plume, faisant en sorte que son tracé épouse la forme de l’arabesque peinte20.
24Authenticité, sincérité et spontanéité du moi sont désormais les prescriptions majeures du travail sur soi. Avec Rousseau s’ouvre une nouvelle période dans l’histoire du rapport à soi, celle que l’on peut à bon droit nommer, en un sens familier au lecteur moderne, l’époque de l’autobiographie, marquée par la tentative de mettre en écrit sa profondeur subjective. Écrire n’est pas seulement écrire à propos de soi ; c’est écrire sur soi et pour se (re)constituer, – pour (re)faire l’unité de son identité propre. La transcendance divine cède le pas à la profondeur subjective. C’est pourquoi le travail d’écrivain, ayant conquis son indépendance par rapport à la sphère religieuse, ne présente plus tout à fait la forme d’un projet sotériologique de réforme de soi. Loin d’avoir, au terme du processus autobiographique, à devenir autre chose que ce que l’on est avant de s’y engager, la prescription est au contraire d’avoir à devenir soi-même. Le type de salut promis par le travail d’écriture consiste à coïncider avec sa propre identité, et non plus à s’unir à l’absolu. À terme, chacun sera désormais à lui-même son propre absolu.
25Plus précisément, il s’agit de revenir enfin à soi-même pour devenir soi-même, pour recouvrer non sa nature mais son identité personnelle. Recollecter les moments par lesquels cette personnalité est venue à être n’est pas vouloir faire passer l’être personnel d’un état présent à un état plus achevé. C’est prétendre combler l’écart entre l’état actuel de la personne (l’auteur, par exemple) et les étapes antérieures de sa formation (le personnage mis en scène). Le “je” grammatical, sujet de ce processus, avec qui le destinataire du texte est enjoint de s’identifier, ou au moins de se “comparer”, est chargé de cette opération : faire coïncider un moi présent avec les états multiples et fragmentés d’un moi antérieur. Une nostalgie du passé se conjugue avec l’aspiration à l’identité présente. Les états du moi passé sont bien l’être du moi ; ils en sont le prélude, et ce passé est gros de son être présent. Mais, en même temps, ils sont autres par ceci que leur manque l’unité de ce moi, identité que l’opération autobiographique a pour fonction de retrouver. Chargée de sauver le moi, l’entreprise autobiographique avoue la fragilité de ce dont elle désire le plus ardemment l’affermissement. La chute est désormais une naissance et l’Odyssée de l’existence n’entreprend pas de revenir en une chère patrie, ni de gagner l’union à Dieu, ni de se purifier de l’emprise du mal. Elle veut se sauver de la perte de soi et conquérir son identité. Il y a là une oscillation.
264. Le moi à édifier est en effet posé à la fois comme l’objet, voire comme la cause et l’auteur, de l’écriture et comme son produit et son rejeton. Être son livre, c’est être à la fois l’auteur et l’œuvre ; c’est prétendre être son propre père. Objet d’écriture, le moi est au premier abord ce que l’écriture se donne à décrire suivant les règles de la sincérité et de l’objectivité. Rejeton du travail autobiographique, ce moi est posé comme identité à reconstituer, une sorte d’artifice à produire. Il n’est donc pas donné dans son unité et son identité, mais au contraire proposé comme un mystère et, selon le mot de Rousseau, un « chaos » à « débrouiller ».
27La nouveauté du projet rousseauiste ne saurait être sous-estimée. L’unité du moi est ici celle d’une personnalité et non d’une substance dont l’identité doit être percée à jour. Elle résulte de l’infinie complexité de l’entrelacs de sentiments, d’humeurs et de mouvements intérieurs par quoi l’être personnel s’est formé, est devenu une personnalité singulière. Mieux : ce dont est née cette personnalité est une multiplicité. C’est pourquoi chacun est à la fois lui-même et en perte de soi-même, un écheveau embrouillé, un « chaos » et un mystère – un moi en quête de son identité. Être pleinement soi-même, c’est désormais comme le veut Rousseau, tenter de « suivre le fil de [ses] dispositions secrètes ». C’est essayer de « montrer comment chaque impression qui a fait trace en [son] âme y entra pour la première fois », puis comment l’accumulation, l’entrelacement et parfois la confusion et l’organisation, ou du moins la “com-plexion” de ces traces, ont formé ce nœud de sentiments et d’humeur en quoi consiste l’identité personnelle. La condition pour débrouiller le secret est donc l’objectivité, moins prise au sens de l’exhaustivité et de la complétude des traits de l’être substantiel qu’en celui de la reconnaissance et de l’adhésion à sa propre complexion. Soulignons-le, la sincérité et l’exactitude dont parle Rousseau ne sont pas des qualités morales, celles qu’exigerait l’ascèse autobiographique. Du moins ne sont-elles pas seulement des vertus. Elles jouent le rôle de ce qui rend possible cet exercice d’écriture en même temps qu’elles sont le corollaire structurel du type d’être personnel qui s’y articule.
28Il ne s’agit plus de se retirer du monde et de soustraire son regard aux perturbations de l’agitation du spectacle bigarré des choses, de se retirer dans son cabinet, de tirer les tentures et de fermer les fenêtres, selon l’image malebranchiste21. Une ouverture est pratiquée dans l’intériorité, un regard dont la fonction n’est pas de protéger du lumineux scintillement du monde, mais de faire paraître le moi mondain pour retrouver son identité à partir de son image. C’est d’un instrument d’observation qu’il est question dans la métaphore de la camera obscura. Celle-ci n’est pas l’intériorité, mais l’image du type d’écriture permettant de se décrire. Derrière le rideau de la chambre obscure, l’astronome calque les points lumineux et les contours des masses obscures, qui se projettent lors de la conjonction de la lune et du soleil. Pas plus l’obscurité que la lumière ni donc leur contraste ne se peuvent regarder en face : l’œil s’y brûle ou s’y obscurcit. L’écran, simultanément, filtre la lumière, et recueille à sa surface la trace, le dessin du réel. Calquer l’arabesque lumineuse, copier avec exactitude la peinture naturelle que produit cet instrument d’observation est la première tâche. La limite de l’écriture est alors celle de la coïncidence de la conscience avec le monde, et non plus de l’union à Dieu. Non pas qu’il y ait quelque chose d’artificieux dans l’instrument permettant cette observation introspective. Mais en ce que demeure obscure l’origine du besoin de coïncider avec soi-même.
29Pourquoi ne peut-on avoir affaire à soi-même directement ? Pourquoi ne peut-on s’observer que par le biais de l’ombre et de la lumière portées sur un écran ? C’est que le terme réel à décrire est lui-même et en tant que tel, dans son être propre, extérieur à toute appréhension, et que l’on peut soupçonner, peut-être, qu’il est au fond radicalement hors d’accès. On se forme sans y penser, au gré des impressions et des expériences que l’on recueille par hasard et sans les avoir préméditées. L’être personnel naît de ce parcours et de ces rencontres. Certes, le moi se préexiste en quelque sorte à lui-même, car enfin, nul ne serait jamais devenu celui qu’il est, s’il n’avait vécu sa trajectoire selon une tournure toute personnelle. Chacun est la manière de son attitude dans l’existence. La personnalité et l’identité résultent d’une série d’expériences vécues suivant des attitudes qu’elles affectent déjà de leur coefficient de singularité. J’enfante à chaque instant ce moi que je serai, à la condition de l’abolition, sinon dans le souvenir du moins dans le monde, de celui que je fus – et ne me trouve qu’en cette perte anticipée mais incomplète. Débrouiller ce secret que je suis doit ainsi consister à revivre la tournure personnelle selon laquelle furent vécues les expériences cruciales (d’)où l’être personnel a surgi. Le vécu, seul lieu d’authenticité, est désormais ce avec quoi il faudrait coïncider dans la spontanéité, et ce qu’il s’agit de retrouver par un effort d’observation. Les sentiments et la singularité de l’expérience personnelle ne seront pas seulement conservés ou ressuscités par l’écriture autobiographique, mais vécus à nouveau. La catharsis cède le pas à la palingénésie.
305. La coïncidence et la concordance du « souvenir » et du « sentiment présent » seront l’indice de cette réconciliation du moi présent et des étapes du moi passé. C’est pourquoi nul ne peut désormais transgresser l’impératif de sincérité. Cette exigence conditionne la possibilité pour chacun d’être soi-même, un devoir d’autant plus lourd qu’il est, peut-être, impossible d’y satisfaire exactement.
31À quoi bon se « farder » puisque l’intention est, en somme, de reprendre en main son être propre, en faisant coïncider « l’état de son âme » avec lui-même, en réduisant la dualité du sentiment qu’elle éprouva « au moment où l’événement [lui] est arrivé » et de celui qu’elle éprouve encore « au moment où [elle le] décrit » ? C’est d’un portrait ressemblant, où l’on puisse se reconnaître, d’une image à laquelle s’identifier, qu’on a ici besoin pour être pleinement soi-même, et non d’une caricature grimaçante ou d’un maquillage flatteur. On pourrait bien se mentir à soi-même, mais au prix d’un manque : on se priverait de l’espoir de coïncider avec soi-même. Le mensonge à soi-même et la mauvaise foi, la honte et l’inhibition remplaceront l’aveuglement et l’impiété. Le besoin de s’unir non plus à Dieu mais à soi, dans une image sincère de soi-même, n’est pas à mettre sur le même plan qu’une fusion narcissique en laquelle le moi s’abolirait. Il relève encore moins de quelque orgueil ou complaisance à admirer ses propres traits. Rien n’est au fond plus étranger à Rousseau. La limite de ce projet tient à ce moi que l’on est aujourd’hui, lui qui provient d’un chaos et d’un embrouillement passés où il ne transparaissait que par intermittence, et dont la pérennisation suppose d’en reconnaître le caractère fugitif. Il n’y a plus d’être éternel auquel s’unir en s’arrachant au devenir, mais il demeure urgent de soustraire le moi aux puissances de l’éphémère. On écrit toujours pour se sauver et pas encore pour se perdre. Mais le salut résidant dans la coïncidence spontanée avec soi-même – ce que Rousseau appelle innocence ou bonté initiale –, il est tout autant évident que l’adhésion à soi ne sera que rétrospective, induite par un effort exigeant bien des méditations, soupçonnable pour tout dire de fausseté.
32On ne peut être pleinement soi-même qu’en faisant l’effort de coïncider à nouveau avec soi-même, effort que paraît pouvoir accomplir l’ascèse autobiographique. Mais ce nouvel impératif interdit l’abandon naïf à soi et condamne à un perpétuel dédoublement. La sincérité et l’authenticité s’accompagnent de leur double destructeur – le soupçon de duplicité et de rouerie : suis-je après tout autre chose que ce personnage dont je joue le rôle pour mieux me peindre ? La réflexivité de l’écriture, volonté de réfléchir le spectacle offert au regard porté sur soi, ne peut apparemment que manquer l’identité singulière de ce moi uni à lui-même dans l’innocence de sa spontanéité, à proportion de ce qu’elle la convoite. Authenticité et sincérité, spontanéité et innocence sont ainsi les dieux les plus inflexibles du rapport à soi dont procède l’identité singulière subjective du moi – dieux d’autant plus cruels et impitoyables, peut-être, que leurs puissances sont intérieures à l’être personnel et que celui-ci voit dans la volonté de s’y assujettir son plus grand bien.
33Revenons un instant encore sur le dispositif optique à quoi l’écriture de soi s’assimile chez Rousseau. L’action des multiples rencontres sur cette sensibilité que nous sommes dès l’abord paraît figurée par la conjonction d’un flux de lumière et des objets passant dans son champ. Qui veut savoir qui il est et d’où vient qu’il est cette personne en son identité, cette tournure du regard et cette attitude singulière, devra se poser à distance de ce dont il vient et qu’il est pourtant. Tenter en somme d’assister à la naissance de son être propre. Distance temporelle pour sa propre histoire ; jeu des sentiments, des expériences et des traces déposées en soi par quoi se forgent un caractère et un être – ma naissance est d’autant plus obscure que je la veux débrouiller. La métaphore a pour fonction de circonscrire le lieu de visibilité d’un objet à décrire ; elle postule la nécessaire existence d’une identité personnelle tout en faisant l’aveu de son obscurcissement et de son éparpillement, tout en laissant apercevoir que cette identité est au fond une création. La scène originelle est toujours recomposée, et reculé le moment de son authentique apparition. C’est surtout la possibilité de susciter la présence et l’association du moi présent avec le portrait du moi, de ce moi que l’on est et de ce moi que l’on fut, qui est ici remarquable. Les traces se formant sur la tenture du fond de la chambre obscure sont des indices du moi passé. Mais celui-ci se fragmente et s’éparpille en expériences multiples aussitôt que s’y aperçoivent la coloration des sentiments et la tournure de l’être personnel en quoi il consiste. Pas moyen d’être sans “se revivre” : ces expériences, comme autant de données ou d’effets d’un processus réel, viennent se déposer sur le rideau de la camera obscura. L’écran, certes, révèle plus qu’il ne dissimule. Il faut pourtant une surface pour faire surgir la profondeur et lui permettre de s’exprimer en des signes qui la supposent encore distincte. Toutefois, si la tenture peut paraître comme la toile du tableau que l’on peint de soi-même, elle ne s’identifie pas tout à fait avec le support propre de l’écriture autobiographique, et moins encore avec la surface présente de la pensée. Écrire, dans ce dispositif, c’est calquer ou recopier, sincèrement et avec exactitude, ce que l’on aperçoit de soi-même lorsqu’on s’observe à distance pour (se) revivre en coïncidence. Le manque d’être exige une mise en écriture de soi qui comble la carence et maintient nécessairement pour ce faire une distance à soi – la distance introspective jette un doute sur la fermeté de l’être auquel elle aspire.
34Le style, c’est désormais la manière, la manière c’est l’homme et l’homme c’est le livre ou le portrait qu’il crée de lui-même : et la question est de savoir si l’on parviendra à se retrouver authentiquement dans ce personnage que l’on saura avoir créé.
*
35La réflexivité de l’écriture, cette façon qu’a le style d’exprimer dans une écriture recréatrice de soi, à la fois le moi passé et le sentiment présent éprouvé par le moi qui en procède, touche ici sa propre limite. La subjectivité singulière, pour saturée de la valeur infinie que lui confère son statut d’exemplarité originale, a pour racine un secret qui en contredit et fragilise l’unité. Quel secret aveuglant le moi de la singularité subjective est-il supposé diffuser, pour que, tel l’astronome guettant le soleil en son éclipse, on ne puisse l’observer que derrière le rideau de la chambre obscure de l’écriture ? Le rapport à soi voit le cœur et le moi libérés de l’emprise de toute transcendance. Mais c’est désormais de la duplicité de la conscience que ce moi est prisonnier. L’homme moderne, n’ayant plus de Dieu à qui “confesser” ou adresser le mouvement de production de sa vie intime, se sent, peut-être indûment, tenu de trouver une autre voie pour exprimer son être. Dans ce rapport, qui paraît le condamner à se penser sous la forme de la subjectivité singulière, son être lui est autant donné qu’il lui est soustrait, – aliénation dont l’histoire se chargera peut-être quelque jour de le libérer, en lui indiquant une manière pour obtenir l’effacement de la figure de la subjectivité et de la fascination pour son identité singulière. Car, en cette attraction pour la subjectivité, force récente en son origine et historique autant que transitoire en son essence, c’est le sujet, c’est-à-dire le rapport à soi, qui est tenu dans l’ombre : une enquête sur le rapport à soi devrait avoir pour effet de libérer le sujet de cette figure de la subjectivité.
4. Quelques mots encore sous forme d’un petit dialogue fictif…
36On me permettra, un instant, de prendre la parole de façon moins impersonnelle…
37– Mais, si vous n’aimez pas Augustin, comme vous l’avouez vous-même, pourquoi diable avez-vous dépensé autant d’énergie à le lire ? D’où vient votre obstination ?
38– Il ne faut pas avoir de “sympathie” pour ce qu’on lit. La sympathie n’est pas une méthode de lecture, en particulier lorsqu’il s’agit d’exhumer le fonctionnement d’une écriture et d’un texte. L’empathie à la rigueur, – consistant à accepter par avance les règles propres à un auteur, à en faire l’essai sur soi-même avec toute la probité dont on est capable et à s’appliquer ce qu’il pratique, – peut servir d’attitude heuristique s’il s’agit de retrouver le type de travail sur soi animant son écriture. Mais il est illusoire de se vouloir grec, romain ou chrétien des premiers siècles. Nous ne sommes ni ne pouvons jamais être ni platoniciens, ni augustiniens, ni païens ni chrétiens de l’Antiquité, et si la lecture des auteurs du passé prenait pour fin de souscrire aux règles qui les gouvernaient, elle tomberait dans l’illusion et la méconnaissance de ses intentions et de son processus propres. Un lecteur de philosophie a nécessairement rapport à lui-même d’une manière propre à son temps, ce qui lui interdit de se fondre totalement et indivisiblement dans ce qu’il lit. De même que l’ethnologue qui étudie les Indiens d’Amérique du Sud reste un occidental, de même qu’en lisant un roman, même avec passion, on n’oublie jamais tout à fait qu’on est en train de le lire et non pas de le vivre, une lecture philosophique reste nécessairement toujours en retrait de ce qu’elle lit, sans jamais pouvoir réfléchir totalement le lieu où elle se trouve. C’est pourquoi peut-être il n’est possible de réfléchir au rapport à soi de notre époque qu’en allant étudier ce qui a cours ailleurs ou ce qui existait avant. C’est dans la différence et le décalage qu’on peut sentir sa propre singularité. Lire les auteurs du passé pour en somme en être à la fois proche et infiniment éloigné.
39– Ne craignez-vous pas d’avoir plutôt succombé aux sirènes de l’érudition pure, dont le seul effet est de briller, mais qui est en elle-même dénuée de valeur comme d’intérêt propre ?
40– Il y a deux manières de “faire de l’érudition”. La première s’apparente à la manie des collectionneurs. On peut faire collection d’arguments et de doctrines, un peu comme on collectionnerait les timbres-poste ou les porcelaines du XVIIIe siècle, pour le simple plaisir de remplir des cahiers, de meubler des étagères ou de s’occuper la mémoire. Et l’on peut reconnaître qu’il y a là bien de la vanité. Mais au sens propre du terme, devenir érudit, c’est s’instruire et se former soi-même ; et l’on sait bien qu’alors ce que l’on apprend n’est qu’une matière et que l’essentiel est ce que l’on en fait. Lorsque l’érudition est la matière indispensable pour obtenir en soi-même un effet – de compréhension ou de changement d’attitude – elle n’est plus desséchante mais au contraire agréable. La curiosité, entendue en ce sens, possède d’indéniables vertus formatrices.
41– Prétendez-vous élaborer une nouvelle doctrine, construire une sagesse valable pour le temps présent ? Et où se trouve-t-elle alors ? Car enfin, il faut bien que ce que vous faites serve à quelque chose…
42– Il s’agit au contraire de renoncer à croire que l’on peut devenir soi-même en tentant d’adopter une doctrine. S’il est vrai que les préjugés et les croyances asservissent les esprits et en tyrannisent les élans en les détournant vers l’anonymat des passions collectives, il est vrai tout autant que l’adoption d’une doctrine dont on croirait qu’elle livre la solution, d’une sagesse, n’est pas autre chose qu’une forme, plus subtile peut-être et donc plus coercitive encore, de croyance. Je fais mien en un sens un impératif : « se constituer soi-même comme l’ouvrier de la beauté de sa propre vie »22, ce qui présuppose une pensée capable d’opérer sur elle-même une modification. La lucidité vise à se « déprendre de soi-même » pour « penser autrement qu’on ne pense ». La distance maintenue et reconduite avec les formes de pensée auxquelles on a affaire lorsque l’on fait de l’histoire est en ce sens une forme renouvelée de scepticisme. Entendons par là le véritable scepticisme, celui qui oppose les arguments les uns aux autres, non pour conclure de façon doctrinaire qu’il n’y a aucune doctrine valable, mais pour obtenir une « suspension du jugement », un effet spirituel consistant à se défaire des superstitions, à se déprendre de ses propres tendances à croire. Raison pour laquelle la description des cohérences de pensée issues du passé possède en elle-même des vertus quand bien même il faut en avouer la nécessaire incomplétude. Elle ne vaut pas par l’intention d’exhaustivité, qui d’ailleurs ne l’anime nullement, mais par ses effets d’étrangeté et de mise à distance. Saisir à quel point il ne va pas de soi de (se) penser comme je (me) pense, sortir de l’évidence et se rendre étranger aux habitudes de pensées qui me tiennent, telle est la lucidité que je cherche.
*
43Il serait donc faux de voir en cette pratique sceptique de l’histoire un pur esthétisme de dilettante. L’effort de description des manières dont le rapport à soi se constitue – se forme, se déforme et se transforme – et la persévérance à remonter les fils, multiples et embrouillés, rompus en certaines de leurs extrémités et reprenant leur cours peu après, ont pour souci de produire en soi des effets spirituels et thérapeutiques semblables à ceux qu’espérait Sextus Empiricus. Être incapable de se ressaisir et vivre hors de soi-même dans l’abandon est certes objet de critique. Mais aussi bien cette maîtrise de soi trop rigoureuse conduisant la personne à s’emprisonner en d’infernales problématisations :
« Oui, celui qui présuppose que quelque chose est bon ou mauvais par nature ou absolument à faire ou ne pas faire est troublé diversement. Car, en présence de ce qu’il pense être un mal par nature, il se figure être persécuté, et quand il est entré en possession de ce qu’il se représente comme un bien, alors, sous l’effet de l’orgueil et de la crainte de les perdre, et en prenant garde de ne pas connaître de nouveau ce qu’il pense être des maux par nature, il se jette dans des troubles extraordinaires. »23
44Revenir à soi, dans un effort interminable de se déprendre de soi-même pour se défaire de ce qui obère le rapport à soi : telle est l’intention philosophique d’une pratique sceptique de l’histoire du rapport à soi. Il ne s’agit pas de se déprendre de soi par un goût ludique pour le dépaysement, pas non plus d’un long et douloureux “travail du négatif” au terme duquel on pourrait espérer rentrer en la pleine et inébranlable possession de soi, retrouver, enfin, la chère patrie d’une subjectivité trop longtemps tenue à son état embryonnaire, voire bridée par quelque force adverse. C’est à retrouver la force initiale qualifiant le sujet, celle de se rapporter à soi dans l’ensemble des pratiques où il vit et se maintient, qu’il faut travailler. La philosophie est un interminable effort pour se ressaisir et se déprendre à travers les méandres d’une histoire des dispositifs précédant et arraisonnant le philosophe – submergeant peut-être nécessairement qui entreprend pareil effort. À tout le moins peut-elle prendre pour fonction de dire ou d’exprimer quelque chose de la vie du sujet sans en faire un absolu de mystère ou une entité quasi divine.
Notes de bas de page
1 Par exemple dans des expressions comme : « tu autem eras interior intimo meo et superior summo meo » (Augustin).
2 Conf., III, vi, 11 : « tu autem eras interior intimo meo et superior summo meo ».
3 Voir Rousseau, Ébauches des Confessions, Pléiade t. I, p. 1152 (voir p. CXII et p. XVI). Les Confessions sont sans doute achevées vers la fin de 1770 (p. CXV) et Rousseau, après les avoir lues à certains proches, en confiera une copie à son ami P. Moultou (p. CXVII).
4 Le livre I des Confessions de Rousseau présente, on le sait, une particularité étrange : les paragraphes en sont numérotés par groupes indifférenciés (la numérotation reprenant à 1 sans autres indications) sur la première moitié. Dans la pagination de la Pléiade, le livre I court des pages 5 à 44 et comprend cinq ou six groupes : 1) §§1-3 (p. 5) ; 2) §§1-5 (pp. 6-7) ; 3) 1 §§1-11 (pp. 7-12) ; 4) §§1-4 (pp. 12-14) ; 5) §§1-7 (pp. 15-18) ; 6) § 1 (pp. 18-44 : en supposant que ce singleton forme un groupe, la numérotation cesse de coïncider avec le découpage en alinéa). La même particularité se retrouve au début du livre VII (Pléiade, t. I, pp. 277-290 ; le livre se poursuit jusqu’à la p. 348), de même dans les premières pages du Livre IX (Pléiade, pp. 401-423 ; le livre IX continue jusqu’à la p. 488).
5 Rousseau, Ébauches des Confessions, Paris, Gallimard, coll. Pléiade t. I, p. 1148.
6 Ph. Lejeune, Le pacte autobiographique, op. cit., pp. 14-15 et p. 18 (voir passages cités ci-dessus, pp. 34-50).
7 Rousseau connaît les écrits d’Augustin : ses Confessions nous le décrivent discutant avec le religieux chargé de sa conversion au catholicisme, et lui en remontrant sur les doctrines du Père de l’Église.
8 Rousseau, Ébauches des Confessions, Pléiade t. I, p. 1148.
9 Rousseau, Ébauches des Confessions, Pléiade t. I, p. 1149.
10 Rousseau, Ébauches des Confessions, Pléiade, t. I, p. 1149 : « comment nous ferait-on connaître ce modèle intérieur, que celui qui le peint dans un autre ne saurait voir, et que celui qui le voit en lui-même ne veut pas montrer ? ».
11 Rousseau, Ébauches des Confessions, Pléiade t. I, p. 1149 (nous soulignons).
12 Voir Rousseau, Les Confessions de J. J. Rousseau, I, 3, Pléiade, t. I, p. 5.
13 Rousseau, Ébauches des Confessions, Pléiade t. I, p. 1149 ; voir Confessions, Pléiade t. I, p. 3 : « Voici le seul portrait d’homme, peint exactement d’après nature et dans toute sa vérité, qui existe et probablement existera jamais » ; et p. 5 : « Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple, et dont l’exécution n’aura point d’imitateur. Je veux montrer un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme, ce sera moi » (Confessions, I, § 1).
14 Le même rapport apparence/réalité commande la procédure d’élucidation de soi, sous une forme intériorisée et subjectivée : « Ce qui se voit n’est que la moindre partie de ce qui est ; c’est l’effet apparent dont la cause interne est cachée et souvent très compliquée » (Rousseau, Ébauches des Confessions, Pléiade t. I, p. 1149).
15 Sur les origines de cette métaphore, voir Ch. Taylor, Les sources du moi.
16 Voir le reproche que fait Rousseau à Montaigne (Ébauches des Confessions, Pléiade t. I, p. 1150) et qu’il s’adresse à lui-même (Rêveries…, IV, Pléiade t. I, p. 1036). Rousseau n’écrit pas, pourrait-on dire : il décrit.
17 Ch. Taylor situe chez Herder l’éclosion de cette esthétique romantique de soi et de cette conception de soi comme singularité exemplaire consistant en l’originalité de sa manière (voir Les Sources du moi, op. cit., pp. 470 sv.). Il place toutefois Rousseau au point de départ de ce « tournant expressiviste » (p. 461).
18 Rousseau, Ébauches des Confessions, Pléiade t. I, p. 1149.
19 Rousseau, Les Confessions de J. J. Rousseau, I, 3, Pléiade, t. 1, p. 5 (nous soulignons).
20 Rousseau, Ébauches des Confessions, Pléiade t. I, pp. 1153-1154 (nous soulignons).
21 Voir l’anecdote rapportée par J. L’Enfant dans sa Lettre du 25 janvier 1716 à J. du Sauzet : « pendant ses Méditations Philosophiques, il fermait les fenêtres de son Cabinet, et rêvait ainsi dans l’obscurité, de sorte qu’on pouvait lui attribuer la devise, Post tenebras lux. » (in Malebranche, O. C., t. XVIII, p. 291).
22 Michel Foucault, « Le souci de la vérité », p. 20.
23 Sextus Empiricus, Hypotyposes pyrrhoniennes, III, 237 ; trad. J.-P. Dumont dans Les Sceptiques grecs, pp. 207-207.
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