Chapitre VIII. La fausse mort et son sens
p. 187-211
Texte intégral
1Nous mourrons tous, mais nous ne mourrons pas tous de la même manière, donc nul de nous ne sera nécessairement enterré vivant. Ce premier syllogisme repose sur l'opposition entre la nécessité de la mort et la singularité des morts. La même opposition se retrouve entre la mort comme événement, le mourir, et la mort comme état, l'être mort. Caractère comme hors du temps de la mort, du thanatos ; temporalité au contraire du nécros, donc de l’enterré vivant. Ceci est le deuxième syllogisme, ou la même idée sous une seconde forme.
2Pour le premier syllogisme, à l’inverse de tous les autres cas pour lesquels l’événement de la mort, ses conditions singulières nous dissimulent sa nécessité, dans le cas de l’enterré vivant il semble qu’on se hâte de ne voir que l’universalité et la nécessité, au sein desquelles se produit, après coup, la mort particulière — qui est « particulièrement » atroce et inhumaine.
3L’enterré vivant ou le brûlé vif, parce qu’on le croit mort est un mode de mourir dont la particularité est de se produire après la mort, au cours du thanatos ou d'un thanatos présumé, d’un faux thanatos. Il invertit donc les termes normaux (ou crus normaux) selon lesquels il y a l’événement de la mort, ses circonstances — par exemple un accident d’automobile, l’issue d’une maladie mortelle — qui causent la mort. Ici c’est la mort elle-même ou plus exactement son présupposé qui cause la mort ; un thanatos présupposé qui déclenche ou engendre l’état de vie nécrique.
4Pour le deuxième syllogisme, fondé sur la distinction de la mort comme événement et de la mort comme état, ou plutôt comme non-état, il y a reprise du même paradoxe, du même renversement des termes habituels, avec la seule différence qu’au lieu de partir de la distinction entre universel et particulier (l’universel ici voilant le particulier) c’est le temporel qui surgit et se fait jour au sein de l'éternité. Dans l’immensité de la mort a lieu le moment particulier de la mort. On a décidé pour le vivant qu’il était hors de la temporalité, dans la mort, mais il ne l’était pas encore ; il y avait toujours pour lui ce rapport entre ses sensations, ses affections et l'idée d’une continuité temporelle et c’est cela qu’il vit en mourant, alors qu'on l’a placé hors du temps. C’est faussement qu’on a déjà décidé pour lui de l'heure de sa mort — hora mortis — qu’on a anticipée socialement et qu’il vivra pourtant.
5Ce double aspect, à la vérité, n’en forme qu'un seul : on le croit installé dans la mort alors qu'il n’est pas passé de la vie à la mort, qu'il n'a pas encore fait un mort. Comme cela rompt avec le rapport temporel par lequel on pense le passage comme allant du vivant au mort (nécros) puis du mort à thanatos et parce que l'« hora mortis » est normalement la limite même du temps et que c’est dans le temps que se produira pourtant le moment le plus important pour un vivant, son nécros, je me demande si ce n’est pas pour cela que s’escamote la pensée et même la certitude de la possibilité d’être enterré et brûlé vivant.
6Alors qu’il a été démontré par Montaigne que nous nous dissimulons habituellement la pensée de la nécessité et de l’universalité de la mort (le « nous mourrons tous » donc « je mourrai ») derrière la variété des morts : il n’est pas nécessaire que je meure pendu, noyé, d’un cancer, etc., donc à la limite que je meure, alors que les variétés du mourir nous cachent (comme les arbres la forêt) l’uniformité morne et angoissante de la mort elle-même, il se passe le contraire quand entre en jeu la possibilité d'être pris pour mort étant vivant et de mourir ensuite. Nous nous réfugions alors derrière l'universalité nécessaire de mourir pour escamoter que cette universalité peut être trompeuse quant à ses conditions particulières et que, selon le mot de Pline l’Ancien, l’homme ne peut même pas être certain de sa mort.
7De même pour le moment de la mort. L’incertitude du moment nous rassure sur la nécessité de mourir à un moment donné qui sera nécessairement.
8Ici c’est le contraire, nous confondons la certitude d’une hora mortis quelconque avec telle hora mortis, même si elle n’est qu’apparente, et nous escamotons la question de savoir si l’éternité de la mort, où nous croyons qu’est désormais entré tout défunt, présumé tel par le médecin de famille ou des hôpitaux, ne recouvre pas une hora mortis à venir, qui reste encore indéterminée, ou plutôt qui l’est dans une limite assez étroite mais pas pour autant moins horrible.
Le vivant et son double
9On a souvent assimilé la communication de pensée à distance, sans présence apparente des corps, à la communication avec les morts1.
10Ce rapprochement est absurde, il témoigne seulement d’un matérialisme extrêmement simpliste, de la confusion de ce qu’on pourrait appeler le chosisme avec le matérialisme : ce qu’on ne voit pas n’a pas de corps, pas de matière, un empirisme mal compris dont on prend seulement le contre-pied.
11Les Grecs de l’époque homérique parlaient de « paroles ailées », on trouve cette expression trois cents fois dans l’Odyssée et chez eux ce n’était sans doute pas une métaphore. Ils imaginent que les morts, pour traverser l’espace entre la bouche qui les prononce et les oreilles qui les reçoivent, devaient être soulevés par des manières de petites ailes, seulement invisibles, comme celles de très petits oiseaux.
12Ainsi se représenta-t-on d’abord notre subjectivité liée au corps visible mais en possédant un autre, invisible, et le conservant ou le trouvant dans la mort, selon que le double était imaginé comme existant déjà pendant la vie ou n’apparaissant qu’avec la décomposition du corps physique et étant alors supportée par ce corps invisible, l'ombre, le « ghost ».
13Or cette conception vient seulement de ce que l'homme est peut-être, parmi les animaux, et de plus en plus de par la spécialisation sociale de ses activités, celui chez qui la différenciation de l’objectivité physique, c'est-à-dire naturelle (ce qu’on appelle son organisme, son corps), et de la subjectivité, physique également (ce qu'on nomme sa pensée, sa conscience, son âme), passent leur temps à se différencier et peuvent même le faire ou, ce qui est la même chose, avoir l’apparence de le faire à l’extrême (mais les sophistes disaient déjà que ce qui compte n’est pas ce qui est mais ce qui apparait). L’homme est donc ce qui (ou celui qui, mais ici, je préfère) ce qui apparaît être double ou se dédoubler ou avoir un double.
14D’où cette boutade de Paul Valéry, qui était beaucop plus et autre chose qu’un paradoxe et qu’un jeu avec des mots. Descartes a dit « je pense donc je suis », il a basé là-dessus la preuve « ontologique » humaine, celle que j’existe. Pas du tout, objecte Valéry, car quand je suis je ne pense pas, je ne suis pas2. Pas une boutade car sur ce dédoublement, qui est simplement la conceptualisation d’une chose extrêmement simple, le processus d’éloignement et de rapprochement perpétuels, d’union et de désunion de ma subjectivité et de mon objectivité physiques, de mon organisme et de la conscience que j'en prends, est portée à l’asymptote conceptuelle, « à l’infini » comme on dirait en mathématiques, la vraie « preuve » ontologique (celle qui est en vérité le contraire d’une preuve) que je puis me dédoubler et donc subsister après la mort, que je puis appeler de la mort, me faire entendre de la mort, l'idée d’une survie de l’âme (pseudo-corporelle ou sans corps du tout) dans la mort.
15Tout cela à cause de cette exaspération de la différenciation du sujet et de l’objet en l’homme ou chez l’homme, qui ne peut pas ne pas s’accuser de plus en plus au fur et à mesure que les conditions de sa vie sociale l’exaspèrent au lieu de l’apaiser. Chez l’animal ce qu’on appellerait chez nous la communication de pensée, une manière d’appréhension subjective de l’existence des choses les plus lointaines, sont tellement liés à leurs corps que nous les nommons instinct quand nous ne les expliquons pas par la puissance de leur sens, (odorat, etc.) sans voir que chez lui aussi, ou déjà, il s’agit peut-être de différenciation de la capacité sensible et de la conscience, sensible elle aussi (mais elle l’est nécessairement aussi chez nous). Tandis que chez l’homme la plus petite « transmission de pensée » apparaît comme si extraordinaire physiquement, elle semble tellement dépasser les possibilités de l'organisme humain que les spiritualistes en grossissent l’importance et l’extrapolent du corps tandis que les pseudo-matérialistes, empiristes ou plutôt chosistes simplistes, les nient tout simplement de peur d’être entraînés trop loin par la reconnaissance de phénomènes pourtant simples et évidents. Cette différenciation de soi à soi, ou de soi-même à soi, ou de moi à soi — où bien visiblement soi-même désigne ici le corps et moi la conscience, qui est en même temps éloignement et différenciation apparente de ce corps, et où le corps revêt une manière d’universalité alors que la pensée (qui est corps, elle aussi, tout aussi bien) se retire dans sa particularité —cette différenciation est vite retournée en son contraire et la conscience apparaît dans l’idéalisation exagérée, poussée à la limite qui est celle du védanta indien par exemple, revêtue des qualités du soi et sa subjectivité, fondée pourtant sur ce soi corporel, devient alors absolument, le soi métaphysique le plus incorporel qui soit.
16De même plus simplement lorsque le vivant dans ces moments de souffrance subjective, d’exaspération de sa présence à lui-même qui ne peuvent pas ne pas être ressentis dans les dangers, les douleurs physiques pouvant amener la mort ou dans les grandes souffrances morales, ce qu’on appelle les crises, où nous nous représentons à nous-mêmes dans quelle impasse nous a amené une fausse manière de vivre, une union manquée, une situation sociale qui nous est totalement refusée, dans ces moments (dont le cas limite est évidemment celui du condamné à mort, condamné par la nature, l'agonie, condamné par la loi et surtout peut-être condamné par malentendu, les enterrés-vivants) à ce moment « la chair crie », comme disait Epicure. Mais pour ceux qui survivent à ces « survivants » il est normal que ce cri apparaisse comme détaché d’un corps et comme l’ultime témoignage des possibilités de différenciation, d’éloignement apparent de l’organisme humain et de sa présence subjective.
17Vigny dans son stoïcisme a décrit dans La mort du Loup la leçon en quoi consisterait selon lui la mort de l’animal sauvage3. Il n'appelle pas, il souffre stoïquement. Non, il ne souffre pas stoïquement, au sens du moins où nous l’entendons ; il se referme au moment de mourir, comme il l'a fait pendant toute sa vie mais plus particulièrement à ce moment, il se referme sur son corps (c'est-à-dire à nos yeux d'hommes sur lui-même).
18Au lieu que l’homme, consistant en un rapport, il est normal qu’il se tourne alors, plus qu’à aucun autre moment de sa vie, vers les autres, qu’il prononce leurs noms, qu’il pense à eux, qu’il les appelle. Marx a donné dans sa jeunesse cette définition matérialiste mais aussi sociale de notre forme particulière d’être un vivant :
Là où existe un rapport, il existe pour moi. L'animal n’est en rapport avec rien, ne connaît somme toute aucun rapport4.
19Ce n’était évidemment pas tout-à-fait vrai ainsi formulé mais cela exprimait bien deux tendances beaucoup plus importantes et suffisantes à comprendre l’espèce humaine par rapport aux autres que les notions d’intelligence et d’instinct. L’homme est en rapport et ce pouvoir de différenciation et de rapprochement de lui-même, et de fusion du sujet et de l’objet en lui n’est que le reflet de son rapport avec les autres5.
20D’où l'idée du lien de la solitude et de la mort que les disciplines monastiques ont retourné en son contraire, la solitude vécue comme plénitude est le moyen de vaincre la mort, de même que normalement elle est la mort dans la vie puisqu’elle exprime la rupture de la communication physique entre les vivants. Ou plutôt qu'elle a l’air de la supprimer, de même que les relations d'affaires ou mondaines, la multitude des « human relationships » des Anglo-Saxons ont l’air de les permettre et de les multiplier. Mais on ne les multiplie pas si facilement car les relations externes s’expriment toujours par la relation interne de soi à soi. L’exaspération de la différenciation interne des moines n’est pas plus un refuge contre la mort que l’empirisme social des Américains.
21La solitude c’est la mort, a-t-on dit, parce qu'elle est la présence vécue du « ghost », celle du double, une manière d’expérience nécrique imaginaire qui paraît être effective6. Etre seul c’est se parler à soi-même.
22Sur quoi cela se fonde-t-il ? Sur le fait que l’être seul est celui pour qui le rapport avec lui-même, la possibilité de diastole et de systole, comme de respiration de sa vie organique et de sa conscience, prennent une manière d’épaisseur, deviennent en quelque sorte plus réels comme rapport que le corps lui-même ou que la pensée, bien que ce rapport ne soit que complémentaire des états qui en apparence se séparent (en apparence puisque le rapport avec soi-même n’est que l'intériorisation du rapport social par quoi se définit l’être spécifique de l’animal humain).
23Portée à la limite et extrapolée de la vie empirique active (dans la dualité activité-réflexion), la solitude devient la base des croyances en une survie nécrique qui s’accroissent et comme se nourrissent de tous les soins qu’elle met à faire durer, à donner une réalité sensible, et en conséquence expérimentale, à un état du vivant (coma, peine de mort, enterré-vivant) que la science moderne consacre comme la religion de jadis les assumait et les légitimait.
24Ainsi la solitude donne-t-elle l’impression d’un dédoublement de l’être physique, qui en réalité n’existe pas. C’est pourquoi à la limite elle amène la folie. D’où le « je est un autre » de Arthur Rimbaud, sur la voie qui y conduisait.
25La solitude de l’enterré-vivant, la solitude de la vie nécrique ou la vie nécrique comme celle du non-rapport, du rapport atrocement coupé dans la vie même comme si elle était déjà la mort, il ne fallait pas moins de deux visionnaires en quelque manière absolus —l’un peintre Goya, l'autre poète Baudelaire — pour l’imaginer et l’exprimer.
26« L’autre planche » écrivit Baudelaire d’une eau forte de Goya qui l’avait étrangement remué.
L’autre planche représente un être, un malheureux, une monade solitaire et désespérée, qui veut à toute force sortir du tombeau.7 Des démons malfaisants, une myriade de vilains gnomes lilliputiens pèsent de tous leurs efforts réunis sur le couvercle de la tombe entrebaillée. Ces gardiens vigilants de la mort se sont coalisés contre l’âme récalcitrante qui se consume dans une lutte impossible. Ce cauchemar s’agite dans l’horreur du vague et de l’indéfini...8.
27Cette monade solitaire et désespérée, qui veut à toute force sortir de son tombeau, où elle ne peut même pas se tuer, quelle meilleure illustration de la fausse mort.
Une double impuissance
28La terreur de l'état nécrique se fait connaître idéologiquement comme croyance à l’existence du mort (qui n’en finit pas de mourir) et comme sentiment, angoisse devant la mort, angoisse indistincte d’autant plus forte qu'elle recouvre la croyance nécrique qui, elle, n’a rien d’instinct du tout. Car l’existence de « morts vivants » dont elle exprime le sort fantastiquement (comme une « autre vie » alors qu'il s’agit de cette vie-ci, tout simplement) est la chose la plus certaine. Pour s’en tenir à des écrivains la « légende » rapporte, dit-on, que Gogol n’était pas mort lorsqu’on l’enterra car on le retrouva couché sur le côté dans sa bière alors qu’il y avait été déposé sur le dos. Plus près de nous, alors qu’il assistait en 1965 au crématoire de Marseille à l’incinération de Somerset Maugham, Seasle, son ami, le vit qui se pliait en deux et s’asseyait à demi9. « Simple effet de la chaleur sur un cadavre, légende ». Est-ce tellement sûr, en sommes-nous persuadés ?.
29Le problème qu’il faudrait résoudre est à la fois subjectif, celui de l’angoisse thanatienne (celle d’être mort de devoir être mort) et objectif, celui de la terreur nécrique. Ce qui caractérise essentiellement l’état nécrique est la contradiction entre la vie, qui dispose normalement, même la plus démunie, la plus pauvre, la plus malade, d’une certaine marge de pouvoir, ce qu’on appelle les possibles, au moins la possibilité de se tuer qui n’existe même plus dans l’état nécrique puisque le prolongement des comas d’hôpitaux dépend du bon vouloir des médecins, celui des cellules de condamnés à mort des humeurs des juges, celui des enterrés vivants de la rupture de leur organisme dans la position totalement impuissante de leur bière. Quant à la manière d’agonie morale qu’est l'angoisse devant l'idée du thanatos, celle de l’être-mort, elle est aussi, subjectivement et non plus objectivement, impuissante puisque, quels que puissent être les possibles de notre vie, ils seront anéantis par les « impossibles » de l'’être-mort.
30Le thanatos en effet est nommé par la philosophie moderne : l’être-mort. Mais l’être-mort est une contradiction ; le thanatos est le non-vivant, le non-être ; l’être-mort est le nécros, le mode d’être dans la mort et c’est ainsi que toute l’antiquité, dont l’idéologie se poursuit et survit à elle-même, comme l'ombre d’elle-même, jusqu’à notre époque, se représente les choses.
31L’idée ou plutôt l’évidence semble avoir été qu’un être qui a vécu ne peut jamais devenir ou redevenir exactement la même chose, qu’il subsiste toujours quelque chose de la vie une fois qu'on est passé par elle.
32Le problème n’est donc pas celui de l’immortalité mais de rappeler ce principe de vie qui subsiste dans la mort à son identité de vivant : faire qu’il reprenne son corps et d’abord qu’il s'en souvienne, faire qu’il se continue dans la mémoire de ce qu'il a vécu, de son contexte de vie. D’où en Egypte toutes les représentations de sa vie passée, qui n’avaient pas pour but de revivre avec lui mais de lui permettre de vivre, lui, et non pas dans une sorte d’au-delà d’ombre sans passé et sans corps.
33Les idéologies antérieures avaient déplacé le problème à leur manière et réussi ainsi à apaiser l’angoisse (qui est toujours celle d’être mort et non pas de mourir qui ne peut être qu’une crainte ou une terreur) et à transformer l’indétermination de l’angoisse en une crainte déterminée, celle du nécros, et cette crainte elle-même métamorphosée idéologiquement en une espérance, celle du mort glorieux, de ressuscité à la fois particulier et universel et absorbant par là en lui la nécessité cosmique de la mort dans une individualité triomphante.
34Or, dans la mesure où avec les progrès de la conscience l’idéologie du nécros s’affaiblit, l’angoisse s’épaississait au contraire et c’est cette angoisse qui nous empêche de voir la réalité horrible de l'état du vivant dissimulé sous les oripeaux d’une survivance illusoire dans la mort. A ce moment, confondant une illusion idéologique avec notre angoisse et croyant que celle-ci ne peut s’apaiser que par le détachement de la pensée de la mort qu’on confond avec la réalité du vivant cru mort, on oublie celui-ci, on l’oblitère et le problème de la fausse mort est ainsi empêché d'être posé, et même il devient plus impossible que jamais qu’il le soit au moment où les conditions scientifiques et l’absence d’une idéologie nécrique déterminée sont réunies pour qu’on le résolve. Mais y a-t-il véritablement absence d’idéologie nécrique ? Ce n’est pas possible puisqu’elle est la véritable raison de l'angoisse de la mort, l’angoisse thanatienne, et d’autre part puisqu’elle se survit à elle-même dans les rites d’embaumement, d’inhumation et de crémation. Car il y a longtemps que les sociologues ont montré que la crémation tout comme l’inhumation, l’embaumement n’étaient que des manières différentes de permettre au mort d’échapper au sort de tous les composés, à l’anéantissement sensible de tous les êtres animés. Il ne peut jamais y avoir de rupture avec l’idéologie nécrique tant que l'homme se croit plus et autre chose qu’un animal. A ce moment seulement il y a réellement rupture avec les prétentions de l’animal humain à être un Dieu et avec la croyance nécrique par laquelle s’exprime cette prétention absurde et inhumaine, inhumaine parce qu’absurde.
35On a donc le résultat que l’absence d’idéologie nécrique, qui pourtant se fait jour par la survivance des rites funéraires, et l’épaississement de l’angoisse thanatienne (qui lui est en apparence antithétique), empêchent de poser le problème de l’état nécrique du vivant. Parce que peut-être ici les conditions de la vie et de la mort sont intimement mêlées, qui sont celles des possibles et de l'impuissance.
36Devant quoi sommes-nous impuissants ? Si c’est devant la mort, c’est avec raison. Si c’est devant la vie, même un reste de vie ou une possibilité de revivre ou plutôt de démontrer qu’on vit, c’est à tort. Or l’angoisse thanatienne (l’angoisse devant la mort, celle de l’être-mort) est rationnellement le sentiment de l’impuissance subjective dans un état objectif de vie, qui normalement devrait être encore un état de puissance. Nous avons en apparence tous les moyens scientifiques pour résoudre ce problème, mais nous ne pouvons le poser parce qu’entre sa solution et sa position se dresse l’impuissance subjective qu’est l’angoisse de la mort, par quoi se fait jour et s’exprime la crainte, à la limite la terreur nécrique, de rencontrer l'impuissance complète dans la vie, l’impuissance nécrique du vivant, et ces deux impuissances (qui n'ont rien à voir) se conjuguent pour nier le nécros, puisque l’angoisse de la mort le nie conceptuellement et que la terreur nécrique le nie réellement, puisque le nécros vivant est bien la négation du nécros mort, sa négation et son antithèse tout en étant son même et sa prolongation. De même qu'elle est son anticipation si on considère que la constatation de survies effectives de vivants jugés morts, en ayant l’apparence, a été la base historique de la croyance en une survie après la mort (et non pas dans la vie), que celle-ci a été le remède à l’angoisse de la mort et que maintenant c’est d’elle que l'angoisse de la mort renaît et à partir de quoi elle se fonde et se développe.
37La phrase célèbre que si on a les moyens de résoudre un problème on le pose nécessairement, concerne exclusivement la vie et ne la dépasse pas. Pour ce qui touche à la mort et lie l’état de vie à l’angoisse d’être mort, l’humanité peut fort bien être capable de résoudre un problème sans pouvoir pour autant le poser, s’il y a à cela qui s’y oppose un mélange de terreur objective et d’angoisse subjective et si, entre les deux, il y a un déplacement du problème qui en rend la position impossible : le double sentiment d’une impuissance.
38Cette rupture, cette cause d’impuissance est interprétée, selon les idéologies traditionnelles, par une indépendance de l'âme par rapport au corps alors que c’est au contraire leur étroite union et en même temps la délicatesse de l’organisme psycho-somatique de l’animal humain qui sont mises par là dans une évidence particulière.
Terreur ou angoisse
39En refusant la vie et en désirant la mort, en désirant n’être plus dans leurs cellules de la mort, dans leurs comas d’hôpitaux ou dans l'isolement de leurs tombes, ce sont des survivants à qui il n'est même pas donné de pouvoir mourir.
40Le terme d’euthanasie, et non eunécrie, montre bien que c’est à l’être mort qu’on pense et non à la survie nécrique dont on ne peut que vouloir et tout faire pour qu’il y en ait le moins possible.
41D’où la terreur nécrique, la plus terrible de toutes et qui est véritablement, historiquement, consubstantielle aux sociétés humaines dans la mesure où elles se détachent de la nature et érigent l’homme sur un piédestal fantastique en dehors des autres espèces animales. Le nécros est le vivant cru mort et qu’on éventre, qu’on embaume, qu'on enterre ou qu’on brûle. Le deuxième départ du mort se réduit à cela. S'il n’y a pas d’état de mort il n’y a pas non plus d’état du mort. Le mort qui a un état est un vivant cru mort, un organisme qui ne s’est pas encore disloqué. Tous les composés doivent périr, a dit le Bouddha, mais un composé qui ne s’est pas encore décomposé est encore vivant. Tout le problème, est donc de ne considérer comme mort qu’un organisme décomposé (bouddhisme), qu'un organisme insensible (épicurisme). Le nécros n’est que le vivant rejeté hors du monde des vivants, à cause précisément de leur angoisse de la mort. L'angoisse de la mort (thanatos) crée le nécros (le mort). Or le mort n'existe pas, le mort n’est pas et toute l’ambiguïté, la difficulté du problème tient à une contradiction idéologique. Ceux qui ont reconnu la réalité de ces nécroi (morts-vivants) l’ont fait à l'intérieur d’une idéologie, celle d’un état de mort, qui est une idéologie fausse. Ceux au contraire (médecins ou savants) qui en nient la possibilité le font à l’intérieur d'une idéologie vraie (il y a la mort, thanatos, il n'y a pas de mort, nécros), malheureusement cette conception vraie les empêche de voir qu’il y a des gens qu’on enterre ou qu’on brûle trop tôt. Toute la question de l’angoisse de la mort est donc celle d’un transfert. Nous avons peur de devenir des nécroi, de pseudo-morts enterrés, brûlés ou embaumés vivants. Nous transférons (le subsconscient collectif l’a fait pour nous et l’appel des vivants dans leur tombe le confirme physiquement à chaque minute que nous vivons) la peur d’être rejetés vivants dans la mort en angoisse de l'être-mort (thanatos) et en angoisse de ne plus sentir l’appréhension du sentiment le plus atroce.
42En quelque manière l’idéologie du necros empêchait de comprendre qu’il ne s'agissait pas d’un mort mais d’un vivant et en second lieu de comprendre la mort.
43Il est donc compréhensible que cette terreur nécrique — celle de faire un vivant qui vive et revive atrocement — soit le fondement de l'angoisse véritable, l’angoisse thanatienne, celle d'être privé de conscience parce que privé de sensibilité ; compréhensible aussi que la conception « du mort », l’attribution d’une vie au mort, le respect ou ce qu’on nomme le culte des morts, n’ait pas tendance à disparaître mais plutôt à croître lorsque la croyance religieuse diminue. Parce que la religion n’est que l’édifice idéologique bâti sur la crainte nécrique, édifice compliqué et subtil, mais par un autre aspect la religion est aussi la représentation (les bienheureux unis à Dieu, Dieu ayant le sens universel de la mort), même si c’est d’une manière idéale, que la mort n’est rien pour nous en tant que sensibilité et conscience de vivre, qu'elle est autre chose qui ne peut atteindre le vivant et donc le faire souffrir. La religion est donc à la fois l'exaspération et l’adoucissement, le baume (j'allais dire l’embaumement) de la terreur nécrique.
44Mais la médecine aussi. En transformant la notion épicurienne, véritablement rationnelle que la mort n’est rien pour nous en celle qu'elle n'est rien du tout, ce qui est subjectivement faux, en escamotant le mourir en tant que phénomène subjectif et que c’est comme tel que la mort est tout et que nous la vivons comme une plénitude disgraciée ou plutôt qu'elle accroît son coefficient de disgrâce que la religion par sa notion même avait réussi, dans ce qu’elle avait de positif, à atténuer. La médecine est indifférente aux mourants, à la durée et à la forme de la mort qu’au lieu de traiter subjectivement (ce qu'elle est pour nous) elle considère objectivement, ce qui vicie tout et donc permet à la fois le prolongement « infernal » en quelque sorte de l’état de moribond et donne toutes ses chances, ou plutôt ses malchances, de survivre après qu'elle nous ait déclaré morts, puisqu'elle a barre, ou du moins le prétend, sur la nature comme la religion prétendait le faire sur l’inconnu céleste.
45Dans notre société la médecine connaît aussi mal la nature que la religion connaît ce qui la dépasse. L’homme est dans les deux cas victime de l'inconnu qu’il croit connaître car ses prétentions lui ôtent toute précaution.
46Le tragique pour nous, avait dit Hölderlin (analyse de la tragédie de Sophocle), c’est de disparaître dans une sorte de boîte ; on dirait que nous y sommes, ajoutait-il, toute notre vie. C’est sans doute à cause de cette crainte d’une vie qui se prolonge plus cruelle que n’importe quoi, sous terre, dans le cercueil et la tombe, qu’il ne se suicida pas et qu’il préféra subsister fou mais vivant le plus longtemps possible.
47Il se passe donc comme si notre angoisse thanatienne créait en nous la croyance religieuse à la résurrection et, en même temps et pour y aboutir, excluait du monde des vivants, à cause de la souillure des morts, un nombre impressionnant d’encore-vivants, ce qui à son tour crée en nous une manière d’angoisse nécrique ; je dis bien manière, car, à proprement parler, il n’y a d’angoisse que thanatienne, que de l’être-mort et non pas de mourir quelles que soient ses conditions.
48Aussi cette angoisse de deuxième type, d’être un enterré vivant — qui s’est fait jour dans les tragédies antiques comme celle du nécros, le mort-vivant, comme dans les drames modernes, celle du fantôme— comment ne la ressentirions-nous pas, comment n’entendrions-nous pas ces dizaines, peut-être ces milliers de vivants qui nous appellent de sous la terre, où ils n’arrivent pas à mourir et à notre précipitation qu’absout la religion et que garantit la médecine qui les a enfermés ? Ils se mangent leurs doigts dans leur désespoir de se prouver à eux-mêmes qu’ils sont vivants et peut-être pour essayer de mourir (toute autre voie leur étant impossible).
49La grande différence entre l’angoisse thanatienne et la terreur de devenir un nécros est que l'angoisse thanatienne ne paraît pas, au sens propre, dialectique, contradictoire (contradiction dans le même objet). Il ne s’agit pas d'une contradiction de la conscience mais d’une opposition, désir et amour de la vie opposée autant qu'ils peuvent l’être à la perspective, prochaine ou lointaine, de la mort, à la nécessité de n’être plus. Tandis que la terreur ou plutôt le malheur nécrique — malheur en quelque manière absolu de l'être humain— est partagé nécessairement entre l’angoisse thanatienne, celle de la mort, et l’aspiration à cesser de souffrir immensément dans l'isolement de la cellule de la mort, celle du coma ou celle du cercueil.
50Notre angoisse de la mort n’explique pas seulement la peine de mort mais la précipitation avec laquelle nous enterrons et le fait que le passage de la vie à la mort fasse si peu l’objet de notre attention comme s’il ne l’était pas de notre intention. Alors que c'est le contraire et que c’est intentionnellement, pour escamoter notre angoisse de la mort et à la manière des prestidigitateurs, que nous n’accordons pas toute notre attention à ceux que nous croyons morts.
51Le condamné à mort est privé du recours au suicide ; dans sa cellule tout est calculé pour le lui rendre impossible. De même nos cercueils et nos tombes qu’on doit fabriquer exprès et c’est d'un humour noir terrible. Comme ce médecin américain, cité par Péron-Autret, qui, sachant la chose presque « normale » surtout pour les cancéreux, a conseillé de mettre des calmants à portée de main des survivants dans leur cercueil. Qu'on note qu’il propose des calmants et non des médicaments avec lesquels ils auraient pu s’empoisonner. Il y a enfin des agonisants dont l'agonie, surtout ceux qui ont, malheureusement pour eux, de l’argent pour cela, dure le plus possible sauf s'ils détruisent volontairement l’appareil médical qui les prolonge atrocement et sans espoir de les guérir.
52Ou bien donc, et cela a été ma première explication, l’angoisse thanatienne n’est qu'un substitut, idéal en quelque manière, de la terreur nécrique ou bien, et c’est ce que je propose maintenant, les deux sont nettement distinctes voire opposées. La première naît de l’amour de la vie et de l’attachement au plaisir d'être, la deuxième exprime (et c'est ce qui en fait presque une angoisse et beaucoup plus qu’une souffrance ordinaire) la contradiction entre la terreur de rester vivant et l'angoisse de disparaître.
53Pourquoi craignons-nous de devenir mort, pourquoi pas de l'avoir été ?
54Le mort avant, séparé de toute existence nécrique est inexistant à l'état pur, c’est-à-dire le non-état séparé du non-existant. Le nécros est le non-existant, thanatos est le non-état. En ce sens —c’est-à-dire aussi sans que ce sens en soit un puisque seul ce qui existe peut avoir un sens —le non-être avant la vie a un sens différent du non-être après elle ; il n’est que non-être alors que l’autre, celui après la vie, est un non-être qui se justapose, on pourrait presque écrire qui corrobore, un non-existant. D’où l'ambiguïté, et même l’erreur pour moitié de l'équation qu’établit Schopenhauer10 entre la mort avant la vie et après elle. Bien que la mort avant la vie, puisqu’elle se confond avec l’essence de la mort, qui consiste à n'en pas avoir ou plutôt à n’avoir qu'elle, soit privilégiée par rapport à la mort après elle en la séparant de toute confusion avec l’existant puisque ce qui est avant la naissance n’existe pas. A moins qu’on puisse considérer la naissance, le passage à la vie, comme nécrique à rebours, une agonie à l'existence comme l’autre est une agonie, un combat pour ne pas sortir de l’existence.
55Rien mieux que la fausse mort, l’apparence de mort d’organismes vivants montre le caractère existentiel du mort (nécros) en opposition à la nature essentielle, hors de tout événement, de la mort (que les Grecs nommaient thanatos). Car la confusion entre des vivants qu’on prend pour morts, et son corrolaire des morts (les fantômes, les apparitions) qu’on tient pour vivants, se fonde sur le caractère ambigü, à la fois existentiel et essentiel du mort. Il est le vivant nié (d’où parfois le portrait du défunt qu’on voit sur sa tombe) et pas encore, semble-t-il, le défunt anéanti. Et c’est l'anéantissement thanatien de la survivance nécrique autour de quoi, absurdement et cruellement, joue le sort de tant de faux morts et de fausses mortes.
L’approche de la mort et la sensibilité
56Tant qu'on est vivant on sent, quand on est mort on ne sent pas. On ne peut donc sentir qu'on est mort. Peut-on ou ne peut-on pas sentir le mourir, telle est la question que l’épicurisme laisse sans réponse.
57« Un riche laboureur sentant sa mort prochaine », ce vers est de La Fontaine, qui était pourtant épicurien.
58La Fontaine écrit « sentant ». C’est bien d’une sensation physique, animale qu’il s'agit. Il n’écrit pas « sachant », une reconnaissance basée sur des raisonnements ou des suppositions. Cette sensation apporte avec elle, et c’est là aussi tout l’épicurisme, à la fois sa souffrance et son apaisement.
59On dit volontiers ces mots « Il ne s’est pas senti partir. Il ne s’est pas vu mourir ». Toujours le rapport avec la sensation, la sensation de la mort non comme état ou plutôt non-état, mais comme passage, non pas la sensation thanatienne car il n'y en a pas (qu’on soit matérialiste ou religieux il y a, semble-t-il, unanimité sur ce point) mais la sensation du mourir et il semble, qu’au moins du point de vue verbal qui tout de même est significatif, il y ait là aussi unanimité.
60L’époque moderne entend préserver l’homme de cette sensation nécrique. Qu'elle y réussisse n’est pas du tout sûr, au moins elle le tente. Cette tentative n’a-t-elle pas accru l’appréhension qui, de ne pouvoir se concentrer en sensation à l’approche de la mort, se diffuserait, se répandrait comme une ombre (le nécros n’est-il pas, par là-même, la représentation d’une ombre sur toute notre vie ?
61Ceci est le premier point : l'angoisse de la mort, l’angoisse thanatienne ne peut que croître lorsque la crainte nécrique, celle de sentir la proximité de la mort, est escamotée ou qu'on prétend l’escamoter.
62Deuxième point, et c’est sans doute le plus grave, s'accroît en fait la durée du moment nécrique11, celui où étant encore vivant, l’homme sent qu’il va mourir, sent que sa fin est proche et inéluctable.
63On fait croire au malade qu’il guérira mais on rend son agonie médicale et chirurgicale interminable (ceci pour le nécros selon la nature) ; on fait durer, comme aux Etats-Unis le caractère nécrique inéluctable (et pouvant à tout moment devenir prochaine) de la condamnation à mort. On a vu des condamnés rester vingt ans dans la cellule du département spécial des condamnés à mort. Enfin le caractère industriel des enterrements (cercueils capitonnés, scellés le plus tôt possible, embaumements, pierres tombales semblables à des pierres de forteresse) rend impensable que les survivants nécriques, les enterrés prématurément, puissent se faire reconnaître comme vivants et que leurs appels soient entendus ; de même les fours crématoires industriels sont infiniment plus terrifiants que les petits bûchers de Bénarès, en plein air, à hauteur d’homme, en présence des proches, où il est possible, jusqu’à ce qu’il soit vraiment mort, à tout survivant de faire reconnaître qu’il l’est.
64Ainsi l’état nécrique, l’état de mort prochaine et inéluctable n’a-t-il véritablement jamais connu autant de réalité qu’à notre époque prétendument positive et scientifique.
65Toute la différence entre l’idéalisme et le matérialisme est entre le « savoir » pascalien et le « sentir » de La Fontaine.
66L’homme est, de tous les animaux, le seul qui « sait » qu'il meurt, c’est vrai, Pascal ne se trompe pas, mais, comme tout autre animal qui va mourir, il peut sentir que sa mort est prochaine.
67Si la proximité de la mort peut être sentie, et que même normalement elle le soit, sauf dans le cas des parades médicales actuelles, son caractère inéluctable par contre crée nécessairement un mixte d’angoisse thanatienne et de terreur nécrique.
68« Il sait qu’il meurt » doit donc recouvrir autre chose et cette autre chose c’est qu’il y a un état de vie particulier, je préfère cela à l’idée d’un moment de la vie, l’état d’agonie, agonie physique, mort de maladie, agonie morale, annonce de la mort par condamnation à mort, agonie physique et morale, condamnation « de facto » à périr dans son tombeau, où l’homme, effectivement, sait qu’il meurt, et ceci ne comporte pas du tout de spécificité humaine, car tous les animaux sentent quand ils vont mourir et j’ai été payé pour le savoir grâce à l’ingéniosité de l’université de Messine qui avait installé la maison des étudiants et des professeurs le plus près possible de l’abattoir, ce qui fait que j’étais presque chaque matin réveillé par les hurlements des animaux qui allaient mourir et qui le savaient. Toute idéologie recouvre une réalité et dans le cas de Pascal il a bien mis la main sur ce privilège inversé qu’a l’homme d’avoir créé des rites funéraires d’enterrements ou de crémation qui peuvent rendre cette connaissance de sa mort plus longue et plus horrible que pour n’importe quel autre animal. On recoupe donc, même si c'est à des hauteurs quintessenciées, la question du nécros, c’est-à-dire des trois formes proprement humaines de l'agonie. Ce qu’il y a d'idéologique c'est de ne pas voir que cela même sur quoi se fonde ce privilège inversé montre le devoir pour l'homme d'être conscient de son animalité au lieu de s'en séparer. C'est là-dessus que Pascal basait, au moins en partie, sa dialectique d’un destin idéal, celui de vivre notre mort toute notre vie au lieu de penser notre vie d’une manière qui nous évite le plus possible d’être tourmenté par la mort.
69Aussi cette idée pascalienne (il sait qu’il meurt) doit-elle être retournée en son contraire. Il sait qu'à cause même de sa condition d’homme il ne pourra même pas mourir si facilement que cela, il devra rester vivant — coma que la science fait durer interminablement ou enterrement vivant que la même science rend possible en prétextant que cela ne peut plus arriver grâce à elle, le secret médical et l’impudence des docteurs relayant l’inhumanité des théologiens de jadis.
70Le sentiment qu’on va mourir (sensation nécrique) devient celui qu’on doit mourir (angoisse thanatienne). Le plus terrible donc est le sentiment de l'inéluctabilité de la mort prochaine qui ne se base pas sur celui quelle est physiquement et naturellement prochaine.
71C’est proprement là-dessus que joue la peine de mort pour être une torture mentale. Quant à celle des enterrés-vivants elle est encore plus subtile, pourrait-on dire avec d’autant plus de tristesse, puisque cette subtilité est fondée sur un malentendu, le malentendu société-nature ; elle est d’être inéluctable sans être encore physiquement possible puisque l'organisme ne veut pas se dissoudre mais que la société nous a mis dans une tombe où nous ne pouvons pas mourir, même en nous tuant, et n’avons rien à faire d’autre que d'attendre la mort dans une solitude désespérée, d’où les appels certains de ces morts-vivants à leurs proches qui les ont mis là avec tout leur amour, à cause de lois sociales absurdes et d’une prétendue connaissance des lois de la nature par la science, comme dans le passé de celle de l'outre-tombe par la religion, qui ne sont que des divagations humaines, extra-animales « jusqu’à l’atrocité » (je reprends ce mot de Baudelaire).
72Le « il sait qu’il meurt » de Pascal prend donc ici son sens réel et non pas imaginaire. Le côté idéologique de cette pensée pascalienne est plus raffiné et en conséquence difficile à discerner que la notion grecque du nécros, celle de transmigration des âmes ou de spiritisme, mais il me semble qu'elle recouvre en fait la même erreur. Car elle consiste à considérer que toute notre vie n'est, pour la conscience, que la représentation d’une agonie. Elle joue sur le fait que ce qui est donné comme nécessaire comme terme soit nécessairement présent à la conscience, sans quoi il n'y aurait qu’inconscience. Or le privilège de l’homme ne peut être de souffrir toute sa vie d'être vivant car c’est bien cela que Pascal choisit.
Les grandes époques...
73Les grandes époques, les périodes véritablement hégémoniques, de pointe, de la civilisation, en France au xiie et xiiie siècles jusqu’au reflux dû à la guerre de Cent Ans, puis en France encore au xviiie siècle, au moment de l'Encyclopédie, et maintenant aux Etat-Unis et en Russie soviétique grâce aux observations des médecins et des savants, à leur empirisme, et même si une idéologie vaguement religieuse ou absurdement scientistes les travestit, ces grandes périodes ont toujours accordé la plus grande importance à la distinction entre un état de vie qui subsiste sous les apparences de la mort et la mort elle-même. Malheureusement ces périodes furent courtes et semblent n’avoir eu aucune influence sur les mœurs et les coutumes de l'Occident. Au second Moyen Age c'est sous la forme romancée que, pour échapper sans doute à la théologie et à la scolastique philosophique, se fait jour la notion d’un état de vie nécrique. Au xviiie siècle cette notion se dégage de l’idéologie et se montre en pleine lumière. Elle garde pourtant, par le vocable de « mort imparfaite », une sorte d’hésitation sur le point de savoir s’il s’agit d'un état de mort dont on revient ou d'un état de vie « imparfait » dont on peut passer directement à la « mort absolue » ou revenir à un autre état de vie. A notre époque seulement toutes les conditions scientifiques sont réunies pour reconnaître que la fausse mort du Moyen Age, comme la mort imparfaite du siècle des lumières est bien en fait un état de vivant. Mais la question n’apparaît pas dans sa clarté parce qu'on a des médicaments, des savants et des observateurs d’un type positiviste mutilé qui ne veulent voir cet état de vie que de l’extérieur, comme un objet et, de ce point de vue, cet état de vie n'est qu’un état de vie latente qui ne devient « vie en acte » (selon la terminologie d’Aristote) ou vie proprement dite qu’au moment de la réanimation ou du réveil. Or, c'est aussi absurde que de penser qu'au cours du sommeil profond ou sous anesthésie on cesse de vivre. Mais si on ne cesse pas de vivre il faut qu’il y ait une subjectivité de cette vie et non pas simplement un cadavre, un corps objet qui se réanimerait. Or ceux qui prêtent leur attention à cette subjectivité du mort clinique, à la conscience du mort relatif, le font eux aussi avec une idéologie et, ce dont ils ne semblent pas se rendre compte, c'est que c’est exactement la même, seulement renversée dans ses conclusions, que celle de l’empirisme mutilé. C’est un idéalisme, un subjectivisme qui n’en sont pas, un sens déficient de l’esprit humain. Ils remarquent et s'occupent de la conscience dans l’état de mort clinique ou relative, mais, partant du même point de vue que les autres, ils considèrent que c’est un état où l’être vivant ne peut subsister que comme objet, comme chose et qu’en cela seul il peut demeurer susceptible de repasser à la vie. Dès qu’il y a subjectivité ou conscience, nécessairement, de par cette erreur scientiste et objectiviste jusqu’à l’absurde de la science actuelle dans son idéologie, ils attribuèrent cette subjectivité, cette conscience à autre chose qu'au corps, qu’à la sensibilité car ils ne voient en lui qu’un cadavre comme font les autres. En conséquence ils font de cette conscience et de cette sensibilité une expression, une manifestation de la mort, dans l’incapacité de les relier à un corps qu’ils ne voient qu’objectivement. A position du problème absurde, solution absurde de ce problème.
74Or il est évident que si l’état de mort apparente, de mort clinique ou relative, comme on voudra la nommer, est un état de mort il ne peut y avoir un état de conscience, de subjectivité de ce mort. Il en va autrement si c’est un état de vie, et si c’est un état de vie on ne voit même pas du tout qu’il puisse ne pas y avoir de subjectivité, c’est-à-dire de sensations, résiduelles ou mutilées quelles soient, de ce corps, de sa mémoire de son entourage.
75Si l’on voulait présenter philosophiquement la mort clinique ou relative comme un état suivi de vie, mais qui ne serait pas par lui-même un état de vivant, il faudrait faire intervenir une pensée de type aristotélico-scolastique qui conçoive une vie en puissance et une vie en acte. Sinon c’est tout simplement que les termes mêmes de « fausse mort » (Moyen Age) ou de « mort imparfaite » (siècle des lumières) étaient bien préférables. Cette fausse morte est en réalité vivante, cette mort clinique est une mort qui n’en est pas une et c’est encore la vie.
76L’idée du nécros, du fantôme, du double est celle d’une apparence ; elle est celle d’une méprise sur les signes extérieurs de la vie alors que la réalité que ce mythe transpose et transfigure est celle des vivants qui ont la « figure » des morts et qui, tout vivants qu’ils demeurent, sont comme des fantômes des morts, non des morts véritables, comme le fantôme du mythe n’est pas le vivant véritable.
77Le mythe du nécros est simplement le signe renversé du vivant qui a tous les traits, l’apparence du mort et qui souffre de ne pas être vraiment mort comme le nécros du mythe de ne pas être vivant.
78Le mythe de morts qu’on se représente vivants permet de saisir qu’il y a, l’inverse des vivants qui se présentent comme morts et auxquels on pourrait, par des précautions méthodiques et rationnelles et une attention patiente, éviter cette méprise tragique, comme pour les nécroi du mythe on croit pouvoir abréger leurs souffrances par des rites irrationnels.
79Le point où les deux idées s’entrecroisent et où on peut saisir la bifurcation de la rationalité au mythe est celui des rites. La croyance aux revenants se condense tout entière dans les rites funéraires pour éviter qu’ils souffrent. Or les rites, qui sont les précautions à user à l'égard des morts qu’on croit vivants (pour empêcher qu’ils fassent souffrir et se vengent sur les survivants) indiquent qu’il y a des précautions dont on devrait user à l'égard des vivants qu'on croit morts, pour empêcher qu'ils souffrent dans l’attente d’une mort qui n’est pas encore là et non, comme dans le mythe, dans le regret d’une vie qui n’est plus là.
80Il faudrait donc remplacer les rites mythiques, coûteux et irrationnels, concernant les morts par des précautions rationnelles, humaines et patientes, et qui ne seraient en tout cas ni plus coûteuses ni plus compliquées, pour sauver les vivants.
81L'idée du nécros est d’abord celle de la torture. La torture n’est basée que sur les possibilités de supplicier les vivants sans qu’ils en meurent, qu’ils passent au non-état mais qu’ils demeurent en un état de vivant souffrant, et souffrant le plus possible et le plus longtemps possible.
82Le supplice de l’enterré-vivant est attesté depuis les temps lointains. A la suite d’une conjuration à laquelle prirent part des fonctionnaires chargés de la réduire, le pharaon Heremheb leur fit couper le nez et les oreilles. Ce n’était qu’un début. Pierre Montet, qui relate l’évènement, poursuit :
Le scribe emploie pour faire connaître le châtiment définitif de ces grands coupables une expression singulière. Ils les ont mis sur leur place. Ils sont morts eux-mêmes.
83Cela pourrait signifier que ces malheureux ont été laissés dans la salle du jugement, en tête-à-tête avec leurs remords, et un couteau bien affilé à portée de leur main. Ils savaient ce qu’il leur restait à faire. Mais une explication plus dramatique a été suggérée à Gaston Maspère par l’examen d'une momie déterrée à Deir el Bahari et connue sous le nom de momie du prince sans nom12. C’est celle d’un sujet mâle, de vingt-cinq à trente ans, bien constitué et sans lésion, qui a été enseveli sans avoir subi les opérations ordinaires de l’embaumement. La masse cérébrale n’a pas été extraite. Les organes internes étaient intacts :
Jamais visage ne retraça plus fidèlement le tableau d’une plus poignante et plus épouvantable agonie. Les traits horriblement convulsés indiquent d’une façon presque certaine, que le malheureux a dû succomber à une asphyxie voulue et causée par un ensevelissement de son vivant13.
84En ce qui concerne notre propre civilisation La Mettrie cite une femme qui mangea son mari et une autre
qui égorgerait les enfants, salait leur corps et en mangeait comme du petit salé. Parmi les femmes dont je parle — ajoute La Mettrie — l’une fut rouée et brûlée, l’autre enterrée vive
85Au xviiie siècle, alors que Beccaria écrivait Des délits et des peines l’enterrement vivant par justice était équivalent, à moins qu’il ne représentât un degré supérieur encore de vengeance sociale, au supplice de la roue !
86L’inconvénient, si l’on peut dire, au supplice de l’enterré-vivant dans sa tombe est de durer peu puisqu’il meurt rapidement faute de manger et de boire.
87Aussi la justice féodale inventa-t-elle les oubliettes, trou profond où, descendu à l’aide d’une corde ou par quelque autre procédé, le condamné était là, sachant qu'il ne remontera pas, et pourtant nourri parmi ses excréments, « oublié » pour tout le reste et par tous, mort social sauf qu’il vit toujours au fond de son trou le supplice mental de la vie nécrique14. A notre époque de haute culture et civilisation le supplice de l’enterré-vivant par justice, féodale ou autre, n’existe plus. Seul subsiste et sans doute même prolifère le supplice de l’enterré-vivant par médecine.
88L’enterrement des vivants a eu au cours de l’histoire un autre rôle, propitiatoire celui-là. Pour construire la muraille de Chine la condition mise par les dieux à cette entreprise était l'enterrement vivant de dix mille soldats. Il paraît que l’empereur se tira de ce mauvais pas (par humanité ou pour éviter la révolte de son armée) en enterrant vivant un seul soldat dont le nom signifiât vingt mille. A moins qu’on n'ait tenté ainsi de blanchir par après la mémoire de cet illustre monarque.
Trois vues incompatibles
89Il y a trois vues incompatibles, dont ni la religion pour le nécros ni la médecine occidentale pour la lyse ni la philosophie pour thanatos ne semblent se rendre compte de l’incompatibilité. Et ce sont précisément le nécros, la lyse et thanatos. Le nécros du mythe c’est la mort comme sujet, dans une manière d’objectivité indistincte, de corporalité qui n’en est pas une et en conséquence de subjectivité qui ne peut pas exister non plus ; la lyse de la science c’est la mort considérée comme purement objective, qui ne l’est pas non plus puisqu’elle n'est que négation. Thanatos c’est quelque chose de tout-à-fait différent et pas du tout le troisième terme des deux autres, c’est l'idée de ce que la mort est pour nous et non pas l’affirmer être quelque chose ou n’être rien en elle-même, c’est le rattachement de la mort et donc de l’agonie, qui est un moment de la vie, à la sensibilité du vivant et non pas coupant fantastiquement les amarres avec la vie ni devenant comme si notre vie elle-même n'était qu’un objet fait pour se dissocier, d’un objet qui n’aurait même plus de sensibilité fondamentale. Dans la vivisection et l’indifférence de l’homme moderne aux souffrances physiques des autres espèces vivantes, indifférence que la science confirme et affermit de toutes les manières, on peut voir le détachement à l'égard de la sensibilité de l’animal et de sa mort et on s’explique par là que les tortures que les hommes s’infligent les uns aux autres dans notre société ne fassent que s’accroître et tendre à une limite subjectivement, et non pas seulement objectivement comme on le présente trop souvent, insupportable. Si la mort n’est rien pour nous c’est que la vie est tout pour nous. Mais la vie comprend le moment de la mort, son passage qui a trois formes possibles, celle de la mort par la nature, l’angoisse du malade ; celle de la mort par la société, l’angoisse du condamné, celle enfin de la mort par « malentendu » de la société sur la nature.
90Rien mieux que le destin nécrique de l’homme, son agonie médicale, ses condamnations à mort par justice15, ses enterrements ou sa création sociale ne montrent que nous n’avons tiré de notre privilège d’homme qu’une condition pire que celle des autres vivants. Notre non-respect de la vie animale n’est que l’envers de ce faux respect de la mort humaine aboutissant à l'inhumain de son destin.
91Les deux se confondent : la survivance religieuse du mystère autour du mort, au lieu de discerner en toute clarté s'il l’est ou s'il ne l’est pas, et le respect d’une science qui nous apparaît encore plus mystérieuse que la religion et qu’on respecte sans doute à l’excès à cause de cela.
92Aux époques de foi les hommes s’entre-tuèrent, se mirent en croix, se brûlèrent vifs pour le destin nécrique ; c’est aussi pour cela qu'ils firent les croisades. Le christianisme, plus encore que n’importe quelle autre religion, tourne autour de cela. Nos agissements dans le domaine terrestre, la bombe atomique, les missiles, les engins extra-terrestres ne sont que la laïcisation d’une recherche sous-jacente, celle d’un destin non animal de l’homme qui, dans cette vie-ci ou une autre vie, ne vise qu’à créer aux êtres vivants autre chose que ce à quoi notre nature et la nature dans son ensemble nous destinent.
93D’où la remarque de Pline l’Ancien que Bruhier d’Ablaincourt mit en épigramme à l’ouvrage qu’il écrivit au milieu du xviiie siècle sur l’incertitude des signes de la mort :
Telle est la condition des hommes ; ils sont exposés à des jeux de hasard, tels qu'on ne peut pas se fier à sa mort.
Notes de bas de page
1 Toutes les analyses de Camille Flammarion et des spirites en général reposent sur cette confusion constante. D’où les preuves hasardées qu’on donne de survivance des morts sur les témoignages de communication de pensée entre les vivants. On mêle ces deux choses qui n’ont rien à voir et le tour est joué. Le plus grave est qu’il y a certainement un fond de vrai mais que, comme toujours, il repose sur la confusion d’un état de vie, celui d’une survivance nécrique, avec une vie du mort qui n’existe pas. On retrouve ici encore la question des enterrés vivants, mais de ce que leur condition a d’atroce on en tire la consolation qu’ils nous appellent de la mort (et non pas de la vie), que des morts communiquent avec nous alors qu’ils sont bien vivants et que de toute leur force ils tentent désespérément de le faire savoir.
2 « Variation sur Descartes.
« Parfois je pense et parfois je suis », Paul Valéry, Choses vues, in Tel Quel, p. 57, Ed. Gallimard, Paris 1941.
3 Les stoïciens n’ont fait que prendre la suite des philosophes cyniques et, dans leurs meilleurs moments, ils ont repris à leur compte ce grand rapprochement de l’homme et de l’animal, cette conscience matérialiste de l’animalité humaine qu’avait conçue Diogène.
4 Etudes philosophiques, Ed. sociale, Paris 1961, p. 79.
5 D’où l’importance et la différence entre la sexualité et l'amour chez l’homme et chez les autres animaux. La sexualité est pour l’homme la base la plus physique de la communication, au lieu que pour l’animal autre que l’animal humain il y a sexualité et sans doute même sensualité, mais il n’y a que chez l’homme qu’il y a à proprement parler rapport sexuel
6 Carlo Suarès « La solitude, c’est la dualité inexorable », cité par Edgar Morin, L’homme et la mort, éd. Le Seuil, Paris, 1955, p. 190
7 Souligné par moi J.-f.
8 Curiosités esthétiques, « Quelques caricaturistes étrangers », La Pléiade, p. 151.
9 Cf., Somerset Maugham, éd. Tape, Londres 1980.
10 Sans qu’on sache s’il situait son analyse dans une conception historique, donc existentielle, ou essentielle.
11 Il semble qu’aux Etats-Unis, actuellement les mourants soient à nouveau avisés qu’ils vont mourir. Cela ne diminue pas du tout la licence des médecins de prolonger douloureusement leur agonie par tous les moyens techniques médicaux ou chirurgicaux possibles. Il faut du temps pour habituer l’homme à se livrer ainsi, pieds et mains liés et pour son malheur, à la science, comme il en a fallu jadis pour qu’il abandonne sa sérénité et son équilibre animal en faveur de la religion. Tout se passe donc comme si l’ignorance du moment de la mort n’ait été dans les sociétés industrielles, non arrivées à leur stade suprême, qu’un moment de transition et que, lorsque le pouvoir médical sur la vie et la mort est bien assuré, cette réserve ait été abandonnée comme une contrainte fastidieuse et inutile. Tout en sachant qu’il mourra tout de même et que les docteurs ne le guériront pas, le patient accepte désormais le prolongement de son agonie nécrique par leurs soins dispendieux et inutiles.
12 Gaston Maspére, Momies royales 782.
13 Pierre Montet, La vie quotidienne en Egypte au temps des Ramsès, pp. 213-214.
14 D’où le nom d’in pace donné aussi à ces oubliettes.
15 Le mot d'in pace désigne aussi bien la prison des condamnés à mort (le nécrique par justice) que celle des enterrés vivants (le nécrique par malentendu).
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Donner, reconnaître, dominer
Trois modèles en philosophie sociale
Louis Carré et Alain Loute (éd.)
2016
Figures de la violence et de la modernité
Essais sur la philosophie d’Éric Weil
Gilbert Kirscher
1992
Charles Darwin, Ébauche de L’Origine des Espèces
(Essai de 1844)
Charles Darwin Daniel Becquemont (éd.) Charles Lameere (trad.)
1992
Autocensure et compromis dans la pensée politique de Kant
Domenico Losurdo Jean-Michel Buée (trad.)
1993
La réception de la philosophie allemande en France aux XIXe et XXe siècles
Jean Quillien (dir.)
1994
Le cœur et l’écriture chez Saint-Augustin
Enquête sur le rapport à soi dans les Confessions
Éric Dubreucq
2003