Chapitre VI. L’Encyclopédie
p. 149-168
Texte intégral
La fausse mort et le gisant
1Chrétien de Troyes. Moyen Age.
2Il y a dans les romans de Chrétiens de Troyes, lit-on dans L'histoire littéraire de la France, « la croyance en un autre monde à la fois mystérieux et proche, où les morts côtoient les vivants »1.
3« Par la vertu d’un philtre qui la fait passer pour morte, Fénice ne partage pas la couche de l’empereur, mais morte-vivante, celle de son amant Cligès » écrit cette littérature à propos du roman de Chrétien de Troyes (XIIe siècle) « Cligès ou La Fausse Morte »2.
Et dit que tel poinne i metra,
Puis qu’ele s’an entremetra,
Que ja n’iert uns seus qui la voie,
Que tot certainnement ne croie
Que l'ame soit del cors servree,
Puis qu’ele l’avra abevree
D’un boivre qui la fera froide.
Descoloree, pale, et roide,
Et sanz parole, et sanz alainne.
Et si estera vive et sainne,
Ne bien, ne mal ne sentira,
Ne ja rien ne li grevera
D’un jor ne d’une nuit entiere,
n’en sepolture, ne an biere.3.
4Arrivent trois « mire », chirurgiens de Salerne, de formation arabe sans doute. Tout le récit de l’intervention de ces physiciens montre qu’au xiie siècle en France on pensait les Arabes et ceux qu’ils avaient formés étaient en état de distinguer la fausse mort (ou fausse morx comme on écrivait et peut-être prononçait au xiie siècle) de la mort véritable, ou, comme on dira plus tard, au xviiie siècle, la mort imparfaite de la mort absolue, ou, selon la terminologie actuelle, la mort relative ou mort clinique de la mort cellulaire.
5D’ailleurs, avec un souci beaucoup plus juste de vocabulaire et de l’expression exacte, on parle alors de fausse mort, généralement de « fausse morte » (nécros) et non de fausse mort (thanatos). A proprement parler la mort étant ce qui n’est pas (empiriquement) ne peut être fausse, c’est le vivant, la vivante à qui il arrive de présenter les aspects mensongers d’un mort ou d’une morte.
Nus ne li dist : « N’i atochiez »,
Ne nus arriere ne l’en oste,
et sor le piz et sor la coste
Li met la main et sant sanz dote
Que ele a el cors l’ame tote ;
Bien le set et bien l’aperçoit.
L’empereor devant lui voit,
Qui de duel s’afole et ocit ;
En haut s’escrie, si li dit :
« Empereres, conforte toi,
Je sai certainnemant et voi
Que ceste dame n’est pas morte4.
Et li troi mire ont descosu
Le suaire la dame a force,
Onques n’i ot costel ne force ;
Puis li dient : « Dame, n’aiez
Peor, ne ne vos esmaiez,
Mes perlez tot seüremant.
Nos savons bien certainnement
Que tote estes sainne et heitiee ;5.
... Lors la gietent fors de la biere,
et dïent, s’ele ne parole,
... « Bien savons que vos este vive,
Ne parler a nos ne daigniez ;
... Ne puet estre, rien ne lor vialt.
Lors li donerent un assalt
Par mi le dos de lor corroies ;
San perent contreval les roies,
Et tant li batent sa char tendre
Que il an font le sanc espendre.
... Au feu la trueve tote nue,
Molt anpiriee et molt malmise ;6.
6Dans le texte de Chrétien de Troyes sur les efforts des mires il y a évidemment une erreur idéologique car les mires se comportent comme si Fénice simulait d’être morte, qu'elle mentait et ils s’efforcent par des brutalités (ils la battent jusqu’au sang, lui mettent de l’huile bouillante dans ses mains et les organes, etc...) de l’obliger à marquer qu'elle est vivante. Mais l'idée même d’un mensonge, d'une simulation (mort apparente) est peut-être parlante dans sa naïveté. Car la fausse mort, la mort imparfaite, la mort clinique est bien une simulation, un mensonge non subjectif mais objectif, non pas de l’être vivant mais une bizarrerie naturelle qui lui donne les signes de la mort. Par contre ce qui est subjectivement mensonger c’est la façon dont les vivants, ceux qui portent le deuil de ces pseudo-morts, entrent en connivence avec la nature et s'inclinent si facilement devant des signes ambigus et douteux.
7Dans un récit antérieur de Chrétien de Troyes « Erec et Enide », la fausse morte était remplacée par un faux mort. C’est l’attachement de sa femme Enide qui ramène Erec à la vie. Au comte qui prétend l’avoir épousée et lui oppose que « jamais douleur n’a ressuscité un mort » elle répond « Seigneur... je jure que tant que je vivrai, je ne mangerai ni ne boirai si je ne vois manger et boire mon seigneur qui est là étendu ».
8La scène se prolonge de plus en plus. Au comte qui s’irrite de son attachement à un cadavre quelle s’obstine à croire toujours vivant, et qui commence même à la brutaliser, Enide crie de toutes ses forces :
Traître ! Peu me chaut ce que tu dises ou que tu fasses ! Je ne crains ni tes menaces ni tes coups ! Bats-moi ! Frappe-moi ! Je n’en ferai pas plus cas de toi, quand même sur-le-champ tu devrais m’arracher les yeux ou m’écorcher vive !
Pendant cette dispute, s’il s’ébahit de pâmoison Erec revient comme un homme qui s’éveille. Ce n’est merveille de voir tant de gens assemblés autour de lui. Mais il a grand chagrin et émoi quand il entend la voix de sa femme.
De la table il descend à terre et vivement tire l’épée. La douleur lui donne courage et l’amour qu’il a pour sa femme. Il court auprès d’elle et frappe le comte à la tête au point qu’il lui brise crâne et front sans même l’avoir interpellé ou défié. Sang et cervelle en volent. Les chevaliers sortent des tables. Tous croient que c’est le diable ! Ni jeunes ni vieux ne demeurent et tous crient, les forts et les faibles. Fuyez, fuyez, voici le mort !7.
9Que la vie nécrique soit celle de qui n'en finit pas de ne pas mourir, une survivance douloureuse et même atroce, est montré par un des derniers récits du Perceval du même Chrétien de Troyes. Il s’agit du roi Mordrain.
Un ange descend du ciel et lui dit : « Mordrain ! Tes péchés sont si lourds que tu n’en seras délivré aucun jour de ta vie. Tes plaies ne se guériront pas ; elles dureront toujours ouvertes et tu resteras sans mourir, jusqu’au jour où viendra le Chevalier aimé de Jésus-Christ, confessé de tous ses péchés, qui te soulagera de tes fautes, et tu mourras entre ses bras8. D’ici à ce jour-là, tu resteras couché entre deux draps, et tu ne goûteras nulle viande que tu ne désireras même pas, mais seulement le Pain de vie.
Le roi Mordrain est resté dans un lit, sans en sortir ni un jour ni une nuit, il y aura trois cents ans cet été ».
10Or Perceval est le chevalier désigné pour le guérir, cette guérison qui consiste à faire qu’il puisse mourir.
« Perceval, écoutant le moine, se lamentait de n’avoir pas guéri le roi si vraiment il y est destiné. Il lui est venu à l’esprit que ce gisant qui souffre et qui attend de lui consolation... »
11Le terme de gisant parle de lui-même. Les gisants sont les morts, les nécroi et les statues d’hommes étendues au-dessus de leur tombe, mais ici c’est un vivant, un vivant qui n'arrive pas à mourir. On voit donc l’ambiguïté du gisant, qui est celle même du nécros.
12Dans un autre passage de Perceval on trouve le mot de gisant dans le même sens. Ce sont bien des vivants et non pas des morts, des vivants qui vont revivre à la vie terrestre (par un miracle) comme Mordrain passera à la véritable mort par un autre miracle.
« ... Les deux gisants virent cette lueur et sentirent sur eux ce passage. Comme ils ne souffraient plus du tout, ils crurent que c’était la mort, et ils ne bougeaient pas de peur de perdre cette quiétude. Pourtant, quand ils remuèrent enfin, ils furent tout surpris de se trouver dispos. Ils se trouvaient guéris, sains et nets de toute plaie »9.
Les méthodes de Frère Laurent
13« Roméo et Juliette », l’un des drames d’amour les plus célèbres au monde et dont le thème remonte fort avant, atteste l’importance qu’ont dû avoir à la Renaissance et au Moyen Age les méthodes d'empoisonnement suivi de réveil dans la tombe. Dans la pièce de Shakespeare certes les intentions de Brother Lawrence sont pures comme son âme de moine est irréprochable. En outre ce n’est pas Juliette enterrée vivante qui périt d'abord mais Roméo son amant qui meurt de l’avoir crue morte alors qu'elle n’en avait que l’apparence. La « fausse morte » entraîne dans la mort le vivant, ce qui, à son tour, amène son suicide. Juliette, morte apparente, meurt véritablement par Roméo interposé, qui par sa mort l’entraîne. Il n’empêche que ce jeu de l’amour et de la mort apparente porte l’indication d’un étrange pouvoir d’entraîner à volonté, par des philtres extraordinairement mis au point et dont, semble-t-il ici, les religieux se transmettaient l'usage et le secret, la possibilité pour des citoyens privés d'obtenir la mort la plus cruelle de leurs ennemis, celle non de les tuer d’un seul coup mais en leur prêtant la figure être mort dans un premier temps, celle de jouir à distance de leur supplice en sachant qu’ils périront une seconde fois (d’une mort réelle celle-là, et non plus fausse mort) dans leur tombeau, de mourir au sein même de la mort, parmi les pourritures des morts et leurs os.
14C’est cette possibilité même qu’envisage Juliette en n’hésitant pas à formuler l’idée que Frère Laurent ait pu la tromper, et que cela ait été son véritable dessein.
What if be a poison, which the friar
Subtly hath minister’d to have me dead.
15Première hypothèse. Mais la deuxième est plus terrible encore
How if, when I am laid in the tomb,
I wake before the time that Romeo
Come to redeem me ? There’s a fearful point !
Shall I not be stifled in the vault,
To whose foul mouth no healthsome air breathes in,
And there die strangled ere my Romeo comes ?
16Enfin la représentation la plus lucide de cette mort de l'enterré vivant, quelques vers qui suffisent à rendre la condition inhumaine du passage nécrique à la mort (il y a là une des progressions les plus étonnantes de toute la littérature).
Or if I live, is it not very like
The horrible conceit of death and night,
Together with the terror of the place —
As in a vault, an ancient receptacle,
Where, for these many hundred years, the bones
Of all my ancestors are parked
17(où pendant toutes ces centaines d’années, les ossements de mes ancêtres ont été entassés)
O, if I wahe, shall I not be distraught, Environed with all these hideous fears ?
And madly play with my forefathers’s joints ?10.
18Le drame de « Roméo et Juliette » appartient aux dernières années du XVIe siècle. Une cinquantaine d'années plus tard, Molière donnait à Lyon sa première comédie, l'Estourdy. Dans un tout autre esprit et une perspective telle que le fond peut y paraître méconnaissable, elle atteste l’idée qu’un défunt, proche de sa mort, peut vivre encore.
19Sur le conseil de Mascarille, « fourbum imperator », le fils de Pandolfe a feint de croire que son père était mort afin de tirer d’Anselme, son ami, l’avance des frais d'enterrement.
20Dans la scène qui suit (acte II, scène 4) les deux « vieillards », Pandolfe (cru décédé) et Anselme s’abordent. Cette scène fait apparaître un humour noir, une bizarrerie et une logique dans l'absurde, qui est en même temps très réel et tout-à-fait fantastique et qu’on ne rencontrera plus dans les comédies postérieures de Molière.
Anselme : | Ah ! bons Dieux, je frémis ! |
Pandolfe : | D’où peut donc venir ce bizarre transport ? |
Anselme : | Dites-moi de bien loin quel sujet vous ameine, |
Pandolfe (riant) : | Malgré tout mon dépit, il m’y faut prendre part. |
Anselme : | Las ! Pour un trépassé, vous estes bien gaillard. |
Pandolfe : | Est-ce jeu ? Dites-nous, ou bien si cette folie, |
Anselme : | Hélas ! Vous estes mort et je viens de vous voir. |
Pandolfe : | Quoi ? J’aurais trépassé sans m’en apercevoir ?... |
Anselme : | Vous estes habillé |
21Etre cru mort alors qu’on vit et, « par crainte de coudoyer un mort », comme le dit Anselme, ne pas vouloir reconnaître que celui qu’on pense mort est en réalité vivant, n'est-ce pas la définition même que j’ai donnée dès le départ de ces analyses, de la singulière ambiguïté de l’existence nécrique, faite d’un amalgame quasi inextricable d’observations justes et de superstitions fausses, où s’entremêlent les tabous religieux et, de nos jours, les prestiges d’une science qui en ont pris le relai.
22S’il y a un vivant cru mort dans la première comédie de Molière, l'Estourdy, il y en a un autre dans la dernière. « Le malade imaginaire » est aussi un mort imaginaire et si les ennemis de Molière ont fait passer sa mort, au sortir de ce rôle de mort-vivant à la quatrième représentation, comme une vengeance de la médecine, il y avait peut-être derrière cette idée la superstition, plus tenace et plus terrible que qui est cru mort, qu'on l’ait fait passer ou qu’il se soit fait lui-même passer pour mort (qu’il se soit feint nécros), a enfreint une loi civile ou divine. Cette idée qu’on trouve dans une pièce élizabéthaine, Volpone de Ben Johnson, est reprise dans un roman de Graham Greene, dont l’adaptatation cinématographique devint célèbre de par la répétition d’un thème musical joué à la guitare (qui fait sentir l’irrémédiable) et le talent d'Orson Welles dans sa figuration du « Troisième homme ». Cet Américain s’est fait passer pour mort. Il mourra donc, plus exactement il accepte d'être tué, mais c’est dans un égoût, figure du sort du nécros mourant une seconde fois (la « bonne ») dans sa tombe. Il n’est pas jusqu’à la dalle de l’égoût, par où Orson Welles disparaît sous terre et reparaît en la soulevant, qui ne soit d’une symbolique presque trop facile. La mort dans les égoûts et l'usage funèbre de ces égoûts resurgit d’ailleurs fort souvent dans les romans policiers.
L’Encyclopédie
23De toutes les pages qui occupent l’article « Mort » du xxive tome de l’Encyclopédie, la partie de beaucoup la principale est consacrée à la distinction entre la mort imparfaite et la mort absolue. Elle se fonde sur l’ouvrage en deux volumes d’un médecin de l’époque, le Docteur Bruhier d'Ablaincourt, qui lui-même avait repris en y ajoutant des détails nouveaux le livre du médecin allemand J.B. Wislaw. La parution de ces deux ouvrages, celui de Wislaw et celui de Bruhier publié à Paris en 1745 et intitulé Dissertation sur l’incertitude des signes de la mort et de l’abus des enterrements et embaumements prématurés représentèrent un des grands moments de la conscience européenne au siècle des lumières. Ils proposent une interprétation scientifique et une position rationnelle face à l’existence des enterrés prématurés et des morts qui « revivent ».
24Il convient donc de se reporter à l’article « Mort » de l’Encyclopédie et il me paraît utile de le citer longuement car il est toujours d’actualité :
« Partie médicale... il me paraît qu’on pouvait distinguer dans la mort deux états bien différents, et établir en conséquence deux espèces ou deux degrés remarquables de mort. J’appellerai le premier degré « mort imparfaite » (non c’est plutôt vie imparfaite, par quoi on pourrait distinguer l’état de vie nécrique) » ou susceptible de secours, qui comprendra tout ce temps où il n’y a qu’un simple inexercice des fonctions vitales, et où les organes, instrument de ces fonctions, sont encore propres à recommencer leur jeu. Le second degré, le complément de la mort imparfaite, sera connu sous le nom de mort absolue, irrévocablement décidée...
... des personnes sont restées pendant assez longtemps dans cet état que nous avons appelé mort imparfaite, et qui après cela ou par des secours appropriés ou d’elles-mêmes sont revenues à la vie... Le traité important, quoique mal digéré, que M. Bruhier, médecin a donné sur l’incertitude des signes de la mort, contient un recueil intéressant et curieux d’observations... qui prouve que des morts mis sur la paille, dans la bière et dans les tombeaux même en sont sortis vivants après plusieurs jours. Mais, ce qu’il y a de plus terrible et qu’il est à propos de remarquer dans ces histoires, c’est que presque toutes ces résurrections naturelles sont l’effet d’un heureux hasard ou d’un concours de circonstances inattendues11.
25Suivent trois colonnes d’exemples rapportés par Bhuhier d’Ablaincourt dont celui-ci :
... On raconte du cardinal Espinosa, premier ministre de Philippe II, qu’ayant été disgrâcié, il mourut de douleur. Lorsqu’on l’ouvrit pour l’embaumer, il porta la main au rasoir du chirurgien et on trouva son cœur palpitant ; ce qui n’empêcha pas le chirurgien barbare de continuer son opération, et de le mettre par là dans l’impossibilité d’échapper à la mort. Il y a plusieurs exemples de personnes qu’on allait enterrer, ou qui l’étaient déjà, que la tendresse officieuse ou l’incertitude d’un amant, d’un parent, d'un ami, d’un mari, d’une femme ont retiré des bras de la mort12.
26Suivent deux colonnes d’exemples, puis l’auteur de cet article de l’Encyclopédie conclut :
Il est évident que si ces personnes eussent été enterrées dans un cimetière et couvertes de terre, elles n’auraient pu faire entendre leurs cris, et même sans les circonstances imprévues qui se rencontrèrent, elles seraient mortes de nouveau13.
27« De nouveau » est faux. Elles seraient mortes, c’est tout. L’article continue :
Quels affreux soupçons ne font pas naître de pareils événements sur le sort d’une infinité de personnes qu’on enterre trop promptement et sans beaucoup de précautions, sans attendre surtout que la putréfaction manifestée ait décidé leur mort irrévocable. Il arrive de là que plusieurs meurent absolument, qui auraient pu revivre si on ne les avait pas privés d'air en les ensevelissant sous la terre, ou en les mettant dans des caveaux..., d’autres au contraire, ce qui est encore plus terrible, revenus d’eux-mêmes à la vie, ne peuvent faire venir leurs plaintes à ceux qui pourraient les secourir, les tirer du tombeau où ils sont enfermés sans nourriture, ne revivent que pour mourir encore plus cruellement, dans toutes les horreurs de la faim et du désespoir.
On voit en effet souvent, en exhumant les corps après plusieurs mois, qu’ils ont changé de place, de posture, de situation ; quelques uns paraissent avec les bras, les mains rongés de rage... On vit à Alais le cercueil d’une femme dont les doigts de la main droite étaient engagés sous le couvercle qui en avait été soulevé. Le docteur Craft fait mention d’une demoiselle d’Augsbourg qui... fut enterrée dans un caveau bien mûré ; au bout de quelques années on ouvrit le caveau, l’on trouva la demoiselle sur les degrés près de l’ouverture, n’ayant point de doigts à la main droite.
28Suit un récit analogue d’un religieux carme.
29L’article cite un noyé ranimé après 42 jours sous l’eau, et donne d'autres exemples.
« Tous ces faits, quelque merveilleux qu’ils paraissent, n'ont rien que de naturel et de conforme aux lois de l'économie animale ».
30Voici le mot juste lâché : l’économie animale de l’homme dans la vie et la mort, dont il faut prendre connaissance et d’abord conscience.
« Les anciens avaient déjà observé qu'on peut rester sans pouls et sans respiration pendant très longtemps ; ils ont même décrit une maladie sous le nom grec, qui veut dire sans respiration, où ils assurent qu’on peut être 30 jours sans aucun signe de vie, ne diffèrant d’une véritable mort que par l’absence de putréfaction. Il y a un traité sur cette maladie... ».
« ... L’histoire naturelle nous fournit dans les animaux des exemples qui confirment ceux que nous avons rapportés ».
31Toujours le rapport de l’homme avec l’animal, où le xviie siècle s’était élevé. Ou abaissé, comme on voudra, mais quiconque s'élève sera abaissé, et d’abaisser à l’animal est la grande loi humaine, scientifique et rationnelle à laquelle toute entorse se paie.
32Au paragraphe, mort subite.
ces cas méritent d’être sérieusement examinés, n’y a-t-il pas lieu de soupçonner qu’on se presse trop d’ouvrir et d’enterrer ceux qui sont morts ainsi14.
... la mort absolue se manifeste par l’insensibilité constante à toutes les incisions, à l’application du feu ou des ventouses, des vésicatoires... On doit cependant être circonspect à décider la mort absolue, parce qu’un peu plus de constance vaincrait les obstacles. Nous avons vu que dans pareil cas 25 ventouses ayant été appliquées inutilement, la 26e rappela à la vie, et dans ces circonstances il n’y a aucune comparaison entre le succès et l’erreur ; la mort absolue n’est plus douteuse quand la putréfaction commence à se déclarer15.
33Par rapport à la vie réelle et non à une idéologie illusoire et quintessenciée l'Encyclopédie a repris, en quelque sorte, le pari pascalien sur la vie et la mort. Car il faut parier, aurait-on très peu de chances, que les signes de la mort sont mensongers et que la vie subsiste plutôt que de s’incliner au plus vite comme si de nécessité, la mort ne pouvait nous tromper.
34Au paragraphe « pronostic » est reprise la question de la mort imparfaite.
« Pronostic... il s’agit de déterminer les cas où l’on peut avec quelques fondements, espérer que la mort imparfaite pourra se dissiper, et ceux au contraire où la mort absolue paraît inévitable. Je dis plus, il est des circonstances où l’on peut assurer que la mort » (imparfaite) « est avantageuse » qu'elle produit un bien réel dans la machine, pourvu qu’on puisse après cela la dissiper...
« ... La mort « imparfaite » détruisant efficacement tout spasme, lui faisant succéder le relâchement le plus complet, doit être censée avantageuse dans tous les cas d’infection spamodique ; d’ailleurs la révolution singulière, le changement prodigieux qui se fait alors dans la machine peuvent être utiles à quelques personnes actuellement malades.
« ... Quoique dans le plus grand nombre de cas les secours administrés soient inutiles pour dissiper la mort, ils servent de signes pour constater la mort absolue et empêchent de craindre que les morts reviennent à la vie dans un tombeau. Où il ne serait pas possible de s’en apercevoir et où ils seraient forcés de mourir une seconde fois » (non, une première fois) « de faim, de rage et de désespoir. Enfin l’espérance de réussite doit engager les médecins à ne pas abandonner les morts, un seul succès peut dédommager de mille tentatives infructueuses ; l’amour propre peut-il être plus agréablement flatté que par la satisfaction et le plaisir délicat d’avoir donné la vie à un homme, de l'avoir tiré des bras mêmes de la mort ? Y a-t-il rien qui rende les hommes plus approchants de la divinité que des actions semblables ?16.
35Suivent deux exemples pris dans l’Antiquité, ceux d’Empedocle et d'Apollonius de Tyane, qui ont ramené à la vie deux vivants considérés comme morts et sur le point d’être enterrés.
« Toute l’Antiquité avait une vénération pour Empédocle parce qu’il avait rendu l’usage de la vie à une fille qui n'en donnait depuis quelque temps aucun signe, et qu’on croyait morte »17.
36Quant au récit relatif à Apollonius auquel se refère ici l’article « mort » de l’encyclopédie, je le citerai dans le texte de Mario Meunier Apollonius de Tyane18. La scène s'est passée à Rome que visita Apollonius sous le règne de Néron.
« Un jour, au cœur même de la ville, Apollonius rencontra un convoi funèbre. Une jeune fille nubile, de famille consulaire, était conduite au bûcher. Son fiancé suivait en gémissant le lit mortuaire où reposait, la face découverte, celle qui était le sujet de sa peine... Touché de compassion, Apollonius s’approcha des porteurs : « Posez ce lit par terre, leur commanda-t-il, et je vais mettre un terme à vos pleurs »... Apollonius s’approcha de la défunte, se pencha sur elle, la toucha et lui balbutia doucement quelques mots. Tout aussitôt, celle que l'on croyait décédée parut sortir du fond d’un torpide sommeil. Elle poussa un cri, ouvrit les yeux, se leva de son lit et, traversant les flots d’une foule transportée d’enthousiasme et de jubilation, se rendit à pied dans la maison maternelle ».
37Le plus intéressant de ce récit est la fin. Mario Meunier cite alors Philostrate, l’auteur de la vie d’Apollonius.
« Philostrate », écrit-il, « a fait suivre ce récit des réflexions suivantes : « C’est un problème difficile à résoudre que pose ce miracle. Apollonius trouva-t-il en celle qui semblait morte une dernière étincelle de vie qui avait échappé à ceux qui la soignaient, car on dit qu’il pleuvait et que le visage de la défunte fumait ? Ou bien faut-il penser que cette jeune personne était tout à fait morte et que sa vie éteinte fut miraculeusement rallumée par Apollonius. Les témoins eux-mêmes ne l’ont pas résolu ».
38D’un côté on a l’observation des signes de la vie subsistant chez les présumés morts, de l’autre le désir de Philostrate, au lieu de faire de son maître un bienfaiteur des vivants d'en faire un thaumaturge, un faiseur de miracles.
39L’Encyclopédie examine enfin les moyens propres à ramener de la mort imparfaite à la vie.
Ainsi un médecin qui se propose de rappeler à la vie, après s’être assuré que la mort est imparfaite doit au plus tôt avoir recours aux remèdes les plus actifs : ils ne sauraient pécher par trop de violence19.
40L’auteur de l’article recommande des émétiques et des cordiaux énergiques, des sternutatoires, poivre, moutarde... dans les narines, des décoctions de tabac dans l’intestin, des frictions, ventouses, vésicatoires, incisions, enfin l’application du feu.
41L’Encyclopédie revient sur le point du bien-être général qui peut résulter de la mort imparfaite, si seulement on lui laisse le temps de poursuivre son œuvre sur l’organisme, et conclut que « surtout dans les cas des blessés il faut parfois laisser longtemps les morts à eux-mêmes, et après cela ne les ranimer qu’insensiblement... ».
Mort imparfaite et résurrection
42L’Encyclopédie est-elle sans défauts dans son examen des signes de la mort imparfaite et de la mort absolue ? Si le contenu même de ses analyses est d’un empirisme sans faille, même si quelques moyens de diagnostic peuvent être ajoutés par la médecine actuelle, la terminologie par contre n’est pas sans défauts. Et ceci, me semble-t-il, à cause d’un double souci idéologique, l’un qui pourrait être positif mais qui est en réalité basé sur une confusion, comme si la mort n’était rien pour nous (cette expression se trouve dans le texte de l’Encyclopédie, même si la référence à Epicure ne s’explicite pas davantage)20 parce qu’on en peut revenir et parce qu’on peut « en revenir » sans avoir en quelque sorte senti qu’on était mort et en conséquence sans avoir souffert. Or l’épicurisme n’a jamais rien envisagé de semblable et aide au contraire à saisir que la mort apparente, la « mort imparfaite » ne peut être qu’une vie non seulement objectivement mais subjectivement véritable. Même si le plus souvent ceux qui l’ont traversée n’en conservent pas le souvenir, tout comme dans l’état de sommeil profond mais de manière plus complexe et en quelque manière originale, l'organisme humain est resté vivant. Cette justification purement verbale de l’épicurisme tombe donc à faux parce quelle est fondée sur une confusion.
43De même, bien qu’avec une intention opposée, en utilisant les termes de « résurrection », celui même de « mort » sans préciser qu’il s’agit d’une mort imparfaite donc de la vie, l’Encyclopédie donne des armes à ce qu’elle voulait combattre, elle épaule l’idée même qu'elle voulait détruire. Car il est inconstestable que la mort imparfaite est un état de vie puisqu'on en sort vivant. L’Encyclopédie à la suite de remarques empiriques de médecins grecs prouve qu’on peut vivre un certain temps sans respirer et cela même est une des caractéristiques essentielles de la mort imparfaite. Mais si dans cet état on vit sans respirer, c’est donc qu’on n’y était pas mort. Au lieu de tenter de ruiner implicitement l’idée chrétienne de la résurrection des morts par celle d’un retour de la mort imparfaite à l’état de veille, l’Encyclopédie aurait dû mouler sa terminologie sur l’expérience qu’elle décrivait, elle aurait ainsi supprimé l’idée d’une mort imparfaite pour la remplacer par celle d’une vie dans un état imparfait, un état de vie pas comme les autres et qui présente une apparence de mort ; au lieu de parler de mort ou de morte elle aurait pu user les termes de cru-mort. D’ailleurs elle le fait en un passage au moins, à propos de la « résurrection » d’une jeune fille portée à son terme par Empédocle. Elle précise que cette fille était « crue-morte ».
44Faisant les mêmes analyses et en se fondant méthodiquement sur elles sans en être détournée au point de vue du vocabulaire par une idéologie confusément épicurienne ou inutilement antichrétienne, l’Encyclopédie eût pu montrer conceptuellement, et non seulement empiriquement qu’entre la mort qui n'est rien pour nous, parce qu’elle est véritablement absolue, et l’évidence de la vie, il y a les « crus-morts » (nécroi) qui non seulement peuvent se réanimer mais qui n’ont pas cessé d’être vivants, bien que dans un état difficilement reconnaissable. A partir de là, l’Encyclopédie eût pu rechercher la raison de cette connivence de la religion et de la science avec la mort, sans parler pour autant de mort et de morte, de résurrection, et libérer ainsi la question de tout mystère parce qu’elle l’aurait été de tout mythe21.
45Ce qui manquait aux analyses de l’Encyclopédie pour bien se rendre compte de l’état du vivant en léthargie ou mort apparente est non seulement la reconnaissance de la persistance de la vie physique objective du corps mais surtout de la vie subjective, de la pensée et même de l’observation. Or, bizarrement ceux d’entre les médecins qui la reconnaissent actuellement s’en servent pour prétendre que leurs patients ont fait « l’expérience de la mort » et par leurs présupposés idéologiques prennent le contre pied de leurs observations cliniques. Ce qui note rien à la valeur de celles-ci, ce que je montrerai au chapitre suivant.
L'élégie
46Par son côté pratique et législatif le xixe siècle hérita du siècle des lumières. Pour la première fois depuis l’antiquité romaine on s’efforça par des lois d'enrayer les enterrements prématurés et on alla parfois jusqu’à donner leurs dernières chances aux enterrés vivants en plaçant des sonnettes à leur portée dans les tombes. Ceci pour les mesures pratiques mais elles seront vite réduites à rien par une idéologie irrationnelle même si elle se teintait, comme chez Victor Hugo de sentimentalité humanitaire. A partir du romantisme le caractère singulier et nouveau de l’élégie, bien que nous soyons à ce point habitués à lui qu'il nous semble normal, fut de consister moins dans le regret de ce que le mort ne vive plus qu’au contraire il vive encore mais qu'il ne vive plus de cette vie-ci. L’élégie prit alors un caractère si net qu’il me paraît qu'on puisse la nommer une élégie nécrique. Si elle débuta avec le romantisme elle lui survécut et envahit la poésie française postérieure, de Baudelaire et Verlaine jusqu’à Guillaume Apollinaire.
47Comme la survivance nécrique de morts qui le sont sans l'être tout à fait n’est pas sans douceur à évoquer, elle offrit l’occasion de se déployer à des vers magnifiques et à une aura mystérieuse. Aussi peut-on se demander si notre résignation aux enterrements prématurés et à la survie de ceux qu’on a pris pour morts et qui ne l'étaient pas ne tient pas pour une part à la transfiguration poétique de leur sort qui accompagne comme son ombre funèbre le spleen romantique et jusqu’au désespoir existentiel. Platon n'avait sans doute pas tout à fait tort d’exclure les poètes de la Cité. En faisant de la survie dans la tombe un « topos » littéraire de rêve le nécros devint en quelque sorte l’élément poétique par excellence. Les « lumières » du siècle précédent l'avaient exclu de la vie ; le romantisme fit du nécros une manière de lumière sentimentale de l’âme. Nous vivons sous le regard des morts pense Victo Hugo.
Ne les affligeons pas par l’ironie amère
Comme à travers un rêve ils entendent nos voix22.
48Son autre poème qui commence « Demain dès l’aube à l’heure... » est peut-être le plus beau de son œuvre et même de tout le xixe siècle français. Or c'est une élégie nécrique. Il sait que dans sa tombe sa fille morte l'attend. « Vois-tu je sais que tu m’attends », écrit-il.
49Chez Victor Hugo, qui participait à des réunions spirites, il n’y a pas seulement là un motif littéraire. Dans le « Lagarde et Michard » pourtant on trouve à propos de ce poème un commentaire qui mérite d’être cité car ce manuel scolaire exprime ce qu’on en pense généralement. « ... mais il lui » (Victor Hugo) « semble maintenant sentir comme une présence de son enfant chérie, il lui parle à mi-voix comme si elle était vivante ». On ne prend pas au sérieux la présence des morts ni en somme Victor Hugo non plus. Ce sont des « comme », des « comme si ». S’il en était ainsi il y aurait eu chez le poète un singulier manque de goût et de tact dans une affaire sérieuse, et en reprenant les termes de Victor Hugo lui-même, une « ironie amère ».
50En février 1843 déjà, dans Quia pulvis est, faisant parler les morts, il écrivait :
Ceux qui passent à ceux qui restent
Disent....
Vivants vous êtes des fantômes,
C’est nous qui sommes les vivants.
51Si l'élégie nécrique de Victor Hugo a quelque chose d’outré et de peu persuasif par là-même, la poésie nécrique de Baudelaire est beaucoup plus troublante. Elle se dilate dans l’esprit dès qu’on l’y accueille. Il n'y a jusqu’aux années qui, dans un de ses poèmes, ne soient défuntes et ne portent au balcon des robes surannées comme dans un tableau de Manet23.
... loin d’eux. Vois se pencher les défuntes
années.
Sur les balcons du ciel, en robes surannées...
52Ceci reste évidememnt allégorique. Voilà qui l’est moins, plus subtilement et douloureusement ambigu. Dans La mort des amants, poème célébré par Gide dans Geneviève, Baudelaire décrivit le sort des amants dans leur tombe.
Un soir, fait de rose et de bleu mystique.
Nous échangerons un éclair unique
Comme un long sanglot tout chargé d’adieu...
53Plus net encore si possible La servante au grand cœur. Ce vers par exemple : « Les morts, les pauvres morts ont de grandes douleurs... ». Ces douleurs ils les ressentent dans leurs tombes ; c’est bien là l’image des souffrances réelles et non plus poétiques des enterrés vivants.
Et quand Octobre souffle, émondeur des vieux arbres,
Son vent mélancolique à l’entour de leurs marbres,
Vraiment ils doivent trouver les vivants bien ingrats,
... Tandis que, dévorés de noires songeries,
... Ils sentent s’égoutter les neiges de l’hiver,
Et les siècles passer sans qu’amis ni famille,
Remplacent les lambeaux qui pendent à leurs grilles.
54Ainsi, trois mille deux cents ans plus tard, la morte du poème baudelairien redit les plaintes de Nauboursemeth aux Thébains sur l'état de sa tombe. Le cercle de la littérature est bouclé.
55On pourrait citer d'autres pièces des Fleurs du Mal, tel Remords posthume qui commence par :
Lorsque tu dormiras, ma belle ténébreuse,
Au fond d'un monument construit en marbre noir
Et lorsque tu n’auras pour alcôve et manoir
Qu’un caveau pluvieux et qu’une fosse creuse24.
56Alors le tombeau parlera à la morte :
Le tombeau, confident de mon rêve infini
(Car le tombeau toujours comprendra le poète)...
57écrit-il. La question pourtant n'est pas que le tombeau comprenne le poète mais que celui-ci comprenne le tombeau. C'est là qu’est la confusion sans laquelle pas de poésie. Les élégiaques du nécros montrent des morts souffrant de grandes douleurs dans les tombes mais les raisons qu’ils imaginent sont fantastiques et illusoires. Et par là même rassurantes.
58Dans Colloque sentimental Verlaine a transporté pour un temps hors de leurs tombes (ce que fera aussi Apollinaire) deux morts dont l’un aima jadis l’autre. Plus encore que nécrique c’est une poésie spectrale.
Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont évoqué le passé.
Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles
Dans le vieux parc
Deux spectres ont évoqué le passé25.
59Quant à Guillaume Apollinaire il faudrait citer tout entier ce chef-d’œuvre de la poésie nécrique La maison des morts :
S’étendant sur les côtés du cimetière
La maison des morts l’encadrait comme un cloître
A l’intérieur de ses vitrines
Pareilles à celles des boutiques de modes
Au lieu de sourire debout
Les mannequins y grimaçaient pour l'éternité
Soudain
Les yeux se rallumèrent
Les morts se réjouissaient
De voir leurs corps trépassés entre eux et la lumière
Alors je les dénombrais
Ils étaient quarante neuf hommes
femmes et enfants
qui embellisaient à vue d’œil...
Nous traversâmes la ville
Et rencontrions souvent
Des parents des amis qui se joignaient
A la petite troupe des morts récents
Tous étaient si gais
Si charmants si bien portants
Que bien malin qui aurait pu
Distinguer les morts des vivants...
Dans la ville
Notre troupe diminua peu à peu
Bientôt je restai seul avec ces morts
Qui s’en allaient tout droit
Au cimetière...
Où
Sous les arcades
Je les reconnus
Couchés
Immobiles
Et bien vêtus
Attendant la sépulture derrière les vitrines
Ils ne se doutaient pas
De ce qui s’était passé
Mais les vivants en gardaient le souvenir26.
60Ainsi les morts sentent : ils vivent une existence restreinte mais ils vivent. La poésie nous communique l’atrocité de la vie nécrique en même temps qu’elle l’atténue et même la transfigure, prenant ainsi le relais d’une religiosité vague et confuse. Au xxe siècle c’est la science médicale, américaine en particulier, qui s’en chargera.
Notes de bas de page
1 Histoire littéraire de France, Editions sociales Paris, Tome I, p. 245.
2 Idem., p. 236.
3 Idem vers 5388 à 5402 p. 164.
4 Idem vers 5810 à 5827 p. 177.
5 Idem., vers 5860 à 5867 — p. 178.
6 Idem vers 5882-5954, p. 179.
7 Erec et Enide, Gallimard, Paris, 1978, pp. 71-72.
8 Souligné par moi.
9 Idem., p. 330.
10 Acte IV, scène 5.
11 Encyclopédie, tome 24, p.274.
12 Idem., p. 274.
13 Idem., p. 275.
14 Idem., p. 280.
15 Idem., p. 284.
16 Idem, p. 286.
17 Idem., p. 286.
18 Ed., Grasset 1936, pp. 157/8.
19 « Encyclopédie », même tome, p. 287.
20 « ... Mais ces terribles agonies effrayent plus les spectateurs qu'elles ne tourmentent le malade, car combien n'en a-t-on pas vu, qui, après avoir été à cette dernière extrémité, n’avaient aucun souvenir de ce qui s'était passé, non plus de ce qu’ils avaient senti ; ils avaient réellement cessé d’être pour eux pendant ce temps... » Idem, p. 270. Non ils étaient dans un autre état de vie. Leur incapacité de s’en rappeler s'explique par l'incommunicabilité normale des états de vie différents. Le « réellement cessé pour eux » évoque Epicure et semble définir la mort absolue.
21 Le passage de l'Encyclopédie à l’élégie nécrique du xixe siècle, dont je vais m'occuper maintenant, est intéressant à considérer aussi par rapport à la question agitée depuis quelques années, de savoir si la philosophie des lumières constitue ou pas un pré-romantisme. Du point de vue de la survie nécrique certainement pas ; la rupture est complète. Négative, douloureuse, inhumaine pour les Encyclopédistes, elle devint séduisante, nostalgique, sentimentale et d’une douceur édifiante à partir de Victor Hugo.
22 Victor Hugo « A quoi songent les deux cavaliers dans la forêt » poème d’octobre 1852.
23 Cf., « Recueillement ».
24 Le terme même dont se sert alors Baudelaire « courtisane imparfaite » :
« ...Que vous sert, courtisanne imparfaite,
De n’avoir connu ce que pleurent les morts ? »
évoque curieusement la « mort imparfaite » de l’Encyclopédie.
25 Paul Verlaine « Fêtes galantes » œuvres complètes, Paris, 1930, tome I.
26 Guillaume Apollinaire : « Alcool », Œuvres poétiques, La Pléiade, p. 66.
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