Introduction. Kant politique et son histoire
p. 11-34
Texte intégral
11. « Nos à nos poètes classiques, car, jamais, même pendant la Terreur, ils n’ont tourné le dos à la révolution bourgeoise ». Reconnaissance d’autant plus significative qu'elle émane d’un homme qui avait une haute opinion, y compris sur le plan politique, de la poésie classique allemande, qu’il considérait, non comme un simple « phénomène littéraire », mais comme l’expression du « début de la lutte d’émancipation de la bourgeoisie allemande ». Lorsque Mehring procède à cette célébration de la philosophie classique allemande, sans doute songe-t-il aussi à Kant. A l’appui du jugement que nous venons de citer, le grand critique rapporte l'exemple de Klopstock : le poète, qui avait été parmi les premiers à saluer avec enthousiasme la Révolution française, en arrive finalement à chanter Charlotte Corday, la meurtrière de Marat1 ! Or, juste au même moment, Johann Benjamin Erhard, un disciple de Kant, qui, nous aurons l'occasion de le voir, était au mieux avec le maitre, « déplore la mort de Marat, du vaillant, du vertueux Marat, en s'étonnant que la Montagne n’ait pas fait torturer la meurtrière »2 !
2Dans le feu de la polémique contre ceux qui, en réaction contre Hegel mais aussi contre Marx, prêchaient « le retour à Kant », Mehring se laisse aller à des jugements excessivement sévères et même injustes vis-à-vis du philosophe de Königsberg ; il reconnaît pourtant, qu’à la Révolution française, « Kant est demeuré fidèle, même après la Terreur »3. Une dizaine d’années plus tôt, dans un contexte où les nécessités de la polémique contre les néo-kantiens ne jouaient aucun rôle, Engels avait pu tranquillement faire de Kant l'un des ancêtres du socialisme aux côtés, pour l’Allemagne, de Fichte et de Hegel4. Revendiquer pour le prolétariat l’héritage de la révolution bourgeoise, c’était aussi revendiquer l’héritage d’une philosophie qui, à partir de Kant, avait reflété en Allemagne sur le plan théorique les bouleversements colossaux qui étaient en train de changer la face de la France et du monde. Du reste, le jeune Marx, déjà, avait défini la philosophie de Kant comme « la théorie allemande de la Révolution française »5.
3Mais voilà ! C'est justement ce lien que, dans la seconde moitié du xixe siècle, les nationaux-libéraux, tout en se donnant pour néo-kantiens, se sont employés à contester, puis à défaire. Nous pouvons partir de Haym, qui, dans une lettre de 1863 déclare qu'il considère Kant comme le philosophe « le plus grand qui ait jamais existé »6 (Pourtant c’était bien lui le directeur des « Preussische Jahrbücher », — il ne faut pas perdre de vue le rôle éminement politique de Haym — qui avait déploré l’absence en Allemagne d’un Burke, c’est-à-dire d'une solide tradition de pensée conservatrice, et qui avait condamné la philosophie allemande dans son ensemble, Kant y compris, du fait de la sympathie et de la participation dont elle avait fait preuve à l'égard du « culte fanatico-pratique de la raison » dont on célébrait les fastes Outre-Rhin ; Kant se trouve inclus explicitement parmi les supporters naïfs de la Révolution française, affligés d’« idéalisme » et de « virginité politique ».
4C’est une prise de position que l’on trouve dans Hegel et son temps7. Nous sommes donc en 1857. L’année suivante, Haym se plait encore à souligner la nécessité de rompre « avec les théoriciens de l’Etat issus de l’école de Rousseau et de Kant », trop peu respectueux, ou plutôt dénués de tout respect, vis-à-vis des « faits historiques », c’est-à-dire de l’ordre politique et social existant8. Tant qu'il s’agissait de combattre les « abstractions» révolutionnaires de 1848, les nationaux-libéraux pouvaient avoir intérêt à contester explicitement l’enthousiasme que Kant, lui aussi, avait manifesté pour les idées de 1789. Mais dès lors que le spectre de la révolution était définitivement exorcisé et que l’on voyait poindre l’irrésistible ascension de Bismarck, pour liquider définitivement tout reste de velléité démocratique et jacobine, mieux valait garder le silence sur un chapitre fâcheux de l’histoire culturelle allemande. La lettre de Haym de 1863, déjà citée, exprime désormais une admiration sans réserve pour Kant : la contestation ouverte a fait place au refoulement.
5Ce refoulement devient plus évident encore chez Treitschke. Le collaborateur, puis le successeur de Haym à la direction des « Preussische Jahrbücher » dénonce à son tour énergiquement le « radicalisme cosmopolite » qui envahit l'Allemagne au moment où éclate la Révolution française ; mais sur le rôle de Kant, il ne dit mot, et va même jusqu’à déclarer qu’il faut en revenir à sa philosophie9. C'est une tentative de réinterprétation en mode « mineur » de l’ensemble de la philosophie classique allemande. « Parmi nos grands penseurs on ne trouve aucune trace de cet acharnement fanatique qui déforme les cerveaux intrépides des peuples non libres »10. Radicalisme et jacobisme sont étrangers à la tradition culturelle et philosophique allemande la plus authentique. Ou plutôt, en Allemagne, c'est le peuple dans son ensemble qui est étranger aux folles passions révolutionnaires qui, outre-Rhin, ravagent la vie politique et culturelle. Les « concepts de la liberté des Allemands » — déclare Treitschke — attribuent une trop grande valeur à l’individu pour tolérer le culte abstrait de la totalité étatique propre aux Jacobins ; et puis, chez le peuple allemand, on ne trouve pas trace de tensions aiguës entre les classes11.
6Dans ces conditions, quelle place pourrait-il y avoir pour la révolution et les passions révolutionnaires ? Et si, malgré tout, en telle ou telle circonstance, percent les voix jacobines, celles des jeunes hégéliens par exemple, il est clair qu’il s’agit simplement d’une contagion du « radicalisme apatride judaïco-français »12 ! C’est ainsi que la gauche hégélienne, du moins dans ses positions les plus avancées, se trouve privée du droit de citoyenneté dans la culture allemande. Il était impossible de considérer Kant comme étranger à la culture nationale allemande ; aussi les nationaux-libéraux n’avaient-ils qu’une solution : considérer comme étranger à Kant toute thématique ne serait-ce que vaguement révolutionnaire et jacobine.
72. Sur l'autre bord, celui de la social-démocratie révolutionnaire, on était engagé à fond dans la lutte contre les tentatives pour refonder le socialisme aux couleurs de l'éthique et du droit naturel, c’est-à-dire de Kant, quand il ne s’agissait pas purement et simplement de substituer Kant à Marx, d'où un même intérêt à mettre en évidence les limites politiques du philosophe solitaire de Königsberg. Nous avons déjà cité la position de Mehring ; encore est-ce le plus modéré et le plus réfléchi. C’est plus lourdement encore que pèsent sur les autres représentants de la social-démocratie les nécessités immédiates de la lutte politique. Un exemple suffira : celui de Lafargue, qui liquide Kant comme « un sophiste bourgeois »13. Si c’est là le jugement du gendre de Marx, c’est-à-dire d’un homme qui, au sein du cercle familial, avait bien dû, d’une façon ou d’une autre, entendre parler de la renvendication prolétarienne de l’héritage de la philosophie classique allemande, on comprend aisément ce que pouvait être le niveau de dégradation de l’image du philosophe de Königsberg.
8En ce sens, Vörlander avait raison, qui notait que les deux « partis opposés » — il s’agit, on l’a vu, de la social-démocratie et des nationaux-libéraux — s’accordaient sur le caractère ultime de l'alternative « Marx ou Kant ? » ; une alternative qui ne pouvait pas ne pas remplir d'amertume ce « socialiste kantien» qu’était Vörlander. Mais, tout sentiment mis à part, ce qu’il importe ici de souligner, c’est de quel poids négatif pareil dilemme pesait sur l’image de Kant : que l’on enfourche l'un ou l’autre des chevaux de bataille, la conséquence était toujours la même : la réduction drastique, quand ce n’était pas la suppression pure et simple des thèmes révolutionnaires présents au sein d’une philosophie qui n’apparaissait plus désormais, en un sens positif ou négatif, que comme une sorte de digue érigée contre la marée montante prolétarienne.
9On pourrait alors penser que les « socialistes kantiens », jouissaient, eux, des conditions idéales pour rendre justice au philosophe de Königsberg ; et, de fait, les recherches de Vörlander comptent parmi les plus pénétrantes qui lui aient été consacrées, comme nous aurons l’occasion de le voir au cours de ce travail. Cependant, les contingences politiques immédiates pésent également de tout leur poids négatif sur le travail historiographique de ce qui, désormais, finissait par représenter un troisième « parti », le parti de la conciliation de Kant et de Marx, le parti du « centre », y compris sur le plan politique. Sans doute des auteurs tels que Vörlander avaient-il intérêt à remettre en question l’image étroitement modérée et conservatrice du philosophe de Königsberg : mais leur effort visait surtout à célébrer une doctrine morale que sa pureté et sa sublimité vouaient à fonder l’idéal d’une communauté humaine supérieure, autrement dit le socialisme ; en revanche, ils n’avaient aucun intérêt à particulièrement insister sur le lien entre la Révolution française et les prises de position politiques du philosophe qu’ils étudiaient. Car, un tel lien, s’il était susceptible de remettre en question les clichés14 modérés, comportait aussi un risque : celui d'enfermer le philosophe dont l’éthique, sublimée et conçue de manière transhistorique, avait en principe pour vocation de fonder la communauté socialiste, dans le cadre d’une lutte, révolutionnaire certes, mais qui était la lutte révolutionnaire de la bourgeoisie. On comprend que le principal reproche adressé par Vorländer à Marx et à Engels soit de porter un jugement sur Kant qui se limite « presque uniquement au point de vue historique », au point de vue de « l'histoire des classes »15.
10Mais le processus de sublimation de l’éthique kantienne pesait d’un poids négatif — toujours sur le plan de l’interprétation, envisagé ici indépendamment des aspects plus spécifiquement politiques — en interdisant toute véritable compréhension des techniques et des louvoiements linguistiques auxquels Kant était contraint de recourir pour pouvoir échapper à la censure. Pouvait-on faire moins que d’attribuer une attitude sincère et loyale à un philosophe qui avait élaboré une éthique aussi sublime, une éthique qui avait pour vocation de régler les rapports humains non seulement dans le cadre de la société existante, mais aussi dans celui de la future société socialiste ? Ainsi le cercle tracé autour de Kant finissait-il par se refermer : désormais celui-ci était catalogué comme un sujet prussien fidèle et insoupçonnable ; une étiquette dont l’affublaient les nationaux-libéraux, dans le but de rappeler à ceux qui avaient la mémoire courte son respect de l’ordre établi, la social-démocratie, dans le but de souligner que sa modération et son conservatisme représentaient des limites insurmontables, et enfin les « socialistes kantiens », dans le but de célébrer pour l'éternité sa sincérité et sa grandeur morales.
11Reste une dernière remarque, à propos des distorsions historiographiques développées dans le sillage du « socialisme kantien ». Dans son effort pour libérer le marxisme de toute scorie « blanquiste » et jacobine, Bernstein en vient à dénoncer l’héritage hégélien. Si Marx et Engels « sont passés sans broncher à côté de l’erreur la plus grossière du blanquisme, c’est en premier lieu sur la composante hégélienne de leur théorie qu’il faut en faire retomber la faute ». Contre les dégats de la « dialectique hégélienne », il ne reste qu’à évoquer « l’esprit du grand philosophe de Königsberg » ; oui, « il faut un Kant à la social-démocratie », bien entendu comme instrument dans la lutte anti-blanquiste et anti-jacobine16. A ce stade, non de la recherche historiographique, mais du débat politique, il allait de soi que le théoricien de l'impératif catégorique ne pouvait pas ne pas avoir condamné la Terreur avec la dernière énergie. Résultat qui devient plus indiscutable encore une fois qu’a éclaté la Révolution d'Octobre : c’est « l’exaltation de la force créatrice de la violence brutale » qui inspire ses protagonistes, lesquels sont invités à développer un sens plus profond de l’« éthique »17. C’est à Kant, une fois encore, que la pensée a naturellement recours ; Kant, qui, une fois que la Terreur bolchévique a projetté son ombre sur la Terreur jacobine, est devenu... anti-bolchévique, avant même d’être anti-jacobin ; ou mieux, qui est, sans contestation possible, anti-jacobin, parce qu’il ne peut pas ne pas être anti-bolchévique !
123. Désormais, le « kantisme » de Bernstein s'est aligné sur celui des nationaux-libéraux. En cette même année 1899 où paraissait la première édition de l’ouvrage de Bernstein, chez nous, Labriola s’interrogeait en ces termes sur le soi-disant retour à Kant : « Mais quel Kant ? Celui de la vie privée, très privée de Monsieur Philister de Königsberg ? — ou bien cet auteur révolutionnaire d'écrits subversifs dans lequel Heine vit un des héros de la grande révolution ?18. Celui qui formulait cette interrogation était un homme qui, quelques décennies auparavant, tout juste âgé de dix-neuf ans — il se plaisait lui-même à le rappeler dans une lettre à Engels — avait pris fermement position contre le « retour à Kant »19, mais que l’on ne pouvait nullement définir comme un anti-kantien. Il avait certes conseillé à Vorländer « de ne pas mettre du vin nouveau dans de vieilles outres »20, c’est-à-dire, dans un langage moins métaphorique, de ne pas refaire en sens inverse le chemin de Marx à Kant et de ne pas réduire le premier au second. Mais c’est aussi le même Labriola qui s’était présenté à Engels comme un intellectuel « parvenu à la conviction de professer publiquement le socialisme comme sa vocation » en partant « des sommets de la philosophie morale de Kant » et en étant passé par l’étude de Hegel (en plus de celle de Herbart)21. Lorsque Labriola, qui établit l’existence d’une ligne continue dans le développement de la théorie du droit naturel, « des précurseurs de Grotius jusqu’à Rousseau, à Kant et à la constitution de 1793 »22, formule, lors de sa polémique avec les néokantiens, l’interrogation que nous avons évoquée (« mais quel Kant ? »), il démontre l’inconsistance de l’alternative (« Marx ou Kant ? ») que les socialistes néo-kantiens avaient bien dénoncée, mais qu’ils avaient aussi, en fait, contribué à instaurer, avec leur prétention de « mettre du vin nouveau dans de vieilles outres ». Il s'agissait de choisir, selon l’analyse lucide de Labriola, non entre Marx et Kant, mais bien entre Kant et Kant, entre le « philistin » à quoi les nationaux-libéraux avaient réduit le grand philosophe et le révolutionnaire en lequel le jeune Heine avait vu et célébré le pendant23 allemand de Robespierre. Il s’agissait aussi de récupérer Kant ; non comme le voulait Vorländer en dénouant ou en relâchant les liens du philosophe et de son temps, pour en faire l’auteur d’une morale d’une sublime abstraction métahistorique ; mais en reconnaissant en lui l’un des moments les plus avancés de la grande période révolutionnaire de la bourgeoisie, dont le mouvement ouvrier et socialiste revendiquait l’héritage théorique et politique.
13Voilà donc le sens du renvoi à la lecture de Heine. Mais les nationaux-libéraux, grâce à qui dans la culture allemande le refoulement de l’enthousiasme kantien pour la Révolution française était chose faite, ne pouvaient pas ne pas entourer Heine d’un silence assorti de la plus dure des condamnations. Haym consacre en 1870 une étude extrêmement documentée à l’école romantique sans citer une seule fois Heine, qui s’était pourtant intensément occupé de ce thème et qui avait justement analysé la culture de son temps en dessinant le parallèle de la Révolution française et de la philosophie classique allemande, au moyen de la comparaison entre Kant et Robespierre24.
14Ce parallèle et cette comparaison, Treitschke devait bien, d’une façon ou d’une autre, y songer lorsqu’il accuse Heine de n’avoir rien compris à « la moralité stricte de la doctrine kantienne des devoirs » et d’avoir considéré, « avec superficialité », « la philosophie allemande comme une simple force de destruction et de dissolution ». Pour avoir une idée de l’image que Treitschke diffuse de Kant et de la philosophie classique allemande, contentons-nous de jeter un coup d'œil à la liste des accusations que, dans le souci de défendre la renommée des deux, l'historien national-libéral dirige contre Heine : « haine enragée du christianisme », « sensualisme » et immoralité ; « dans ses mains, tout devient impur » (nouvelle allusion à la pureté violée de Kant et de la philosophie classique allemande). Et pour finir, le coup de grâce : même sur le plan artistique, le poète n’était capable de produire que des œuvres dépourvues de souffle, « car, en général, la composition artistique de grand style ne réussit qu’à la force massive des Aryens »25. L’opération mentionnée plus haut, par laquelle Treistchke déniait aux jeunes hégéliens le droit de citoyenneté dans la culture allemande, se révélait un jeu d’enfant dans le cas de Heine, qui, pour comble de malheur, était juif !
15Désormais Kant (et la philosophie classique allemande) avaient acquis une solide, ou plutôt une « massive » respectabilité bourgeoise et philistine, une respectabilité dont, malheureusement, on ne se libérerait pas de sitôt. Même Dilthey, dont la modération était pourtant nettement supérieure à celle de ses camarades de parti, propose en 1890 une distinction significative : c’est vrai, Kant s’occupe avec « enthousiasme » de la Révolution française, mais uniquement comme savant ; « son cœur et ses convictions, eux, sont du côté de Frédéric le Grand, du code national prussien (Landrecht), de l’éducation philanthropique allemande »26.
16Soucieux de laver la philosophie classique allemande dans son intégralité de l’accusation de subversion, les nationaux-libéraux procédaient, en même temps, avec Haym, à la liquidation de Hegel. Ce qui inclut la liquidation de l'image de Kant (et de la philosophie classique allemande en général) comme pendant27 théorique de la Révolution française, image qui, bien avant de recevoir sa consécration de la plume de Heine, avait déjà surgi au détour d’une page de Hegel : « Dans la philosophie de Kant, de Fichte, de Schelling, se rassemble et s'exprime, dans la forme du penser, la révolution, dont l'esprit, ces derniers temps, est parvenu jusqu’en Allemagne : la série de ces philosophies constitue le chemin sur lequel l’esprit s’est engagé. A cette grande époque de l’histoire mondiale, dont la philosophie de l’histoire nous offre le concept de l’essence la plus intime, seuls deux peuples ont pris part, le peuple allemand et le peuple français... ». En ce qui concerne plus spécifiquement Kant, Hegel lui reconnaît le mérite d’avoir « placé l’absolu dans la liberté », et de ce point de vue, il l’assimile à Rousseau, dont le lien avec la Révolution française est explicitement souligné28.
17La « renaissance » de l’hégélianisme laisse de côté, elle aussi, la reprise du parallèle formulé par Hegel entre Révolution française et philosophie classique allemande. Croce, lorsque son commentaire du philosophe de Königsberg prend un tour personnel, observe à ce propos : « il est vrai que la révolution française correspond très bien dans le domaine des faits au Kant jusnaturaliste, mais il est tout aussi vrai que ce Kant là appartient à la philosophie du xviiie siècle, qui a précédé et informé le mouvement politique. Tandis que le Kant qui inaugure l'avenir, le Kant de la synthèse a priori forme le premier anneau d’une nouvelle philosophie, qui dépasse la philosophie dont la révolution française a été l’incarnation »29. Raisonnement singulier, au moins par l’inversion chronologique qu’il introduit ! Le Kant qui inaugure les temps nouveaux et qui dépasse la Révolution française, est l'auteur de la Critique de la raison pure, antérieure au déclenchement de cette même révolution. D’ailleurs, Gramsci pouvait déjà caractériser « cette réserve de Croce (comme) impropre et peu opportune, puisque les citations mêmes que Croce fait de Hegel montrent qu’il ne s'agit pas de la comparaison particulière entre Kant et Robespierre, mais de quelque chose de plus étendu et de plus compréhensif, du mouvement politique français dans toute son ampleur, et de la réforme philosophique allemande dans toute son ampleur »30. Reste qu’une chose est sûre : dans le dilemme de Labriola (« Mais quel Kant ? »), que Croce devait certainement connaître, le philosophe néo-hégélien prend, lui aussi, fermement position, non seulement contre le Kant-Robespierre héritage de Heine, mais aussi, de manière plus générale contre le pendant philosophique classique allemande (et donc Kant) d’un côté, Révolution française de l’autre, instauré — et c’est le comble — par Hegel.
184. La renaissance de l’hégélianisme a donc été incapable, elle aussi, d’ébranler les clichés nationaux-libéraux. D’où une question : la retranscription que nous avons évoquée de l’histoire culturelle allemande n’est-elle pas devenue, finalement, un lot commun partagé, même si c’est en sens inverse, par des milieux culturellement et politiquement très éloignés, voire aux antipodes des nationaux-libéraux ? En lisant certains textes, pourtant de grande valeur, on ne peut se défendre d’un tel soupçon : étouffé par « une métaphysique de l’ordre », Kant en serait arrivé, dans certains cas, à adopter des positions encore plus rétrogrades que celles des « partisans modérés de l’absolutisme »31 (Il y aurait, déployé de Luther à Kant, un fil continu dont la constante serait de prêcher l’obéissance inconditionnelle au pouvoir en place32 (Mais on voit clairement qu’un fil continu de ce genre peut être prolongé à volonté, et qu’en effet il l’a souvent été, jusqu’à Hegel, quand ce n’était pas jusqu'à... Hitler ! Lorsqu’on est en veine de générosité, on fait une exception en faveur de tel ou tel auteur, mais la tradition culturelle allemande dans son ensemble, est considérée comme exempte de toute inspiration révolutionnaire ou subversive.
19Il s’agit, en dernière analyse, du point de vue que les nationaux-libéraux avaient mis en œuvre en Allemagne pour défendre l’ordre établi et mettre un point final à une intense campagne de « normalisation », qui avait touché tous les domaines, y compris celui de la culture. C’est ce point de vue que Engels rejette vigoureusement, lorsque, dans sa polémique avec les nationaux-libéraux, mais aussi et surtout avec tous ceux qui, découragés par l’échec de la révolution de 48, avaient fini par accepter la retranscription « modérée » de l’histoire allemande, il déclare : « le peuple allemand a, lui aussi, ses traditions révolutionnaires ». Il invoque d’abord l’exemple de la guerre des paysans, mais aussi celui des soulèvements et des guerres de libération anti-napoléoniennes, considérées comme le début de la révolution bourgeoise en Allemagne, sans oublier, évidemment, la révolution de 48. Ce qui importe, c’est surtout que dans ce même contexte, Engels souligne le rôle joué par la philosophie classique allemande dans la préparation du socialisme scientifique, et donc de la nouvelle grande révolution que l’on voyait poindre à l'horizon de l’histoire de l’humanité33 (Dans la tradition révolutionnaire du peuple allemand ainsi envisagée est inclus de plein droit ce que Engels définit explicitement comme « la révolution philosophique » (c’est-à-dire le développement de l’idéalisme de Kant à Hegel). Cette révolution avait précédé et préparé le déclenchement de la « révolution politique » de 1848, de même qu’en France la diffusion des Lumières avait ouvert la voie aux bouleversements de 178934.
20Si, après 48, dans la seule Allemagne, la retranscription en mode mineur continu de l’histoire culturelle allemande ne cesse de gagner du terrain, y compris dans les milieux démocratiques, c’est avec une ampleur beaucoup plus large et une dimension européenne que le phénomène se manifeste après la fondation du deuxième Reich. Pour mesurer l’étendue de l’ombre que la victoire du militarisme prussien a jetée sur l’image de la philosophie classique allemande et sur Kant lui-même, un exemple qui touche à l’Italie pourra nous être utile. D’un côté, sous l’influence de Heine, dont, à l'époque, il était en train de traduire quelques-uns des plus beaux poèmes, Carducci reprend la comparaison entre Kant et Robespierre : « Et le jour vint. Et, l’un à l'autre inconnus, en un désir / de vérité, avec une foi opposée / ils décapitèrent, Emmanuel Kant, Dieu / Maximilien Robespierre, le Roi ». De l’autre côté, impressionné par l’avancée irrésistible de l’armée prussienne en France et par l’occupation de Paris, la capitale des lumières et de la Révolution (« Vers ta sépulture, Voltaire / Il chevauche, l’Elu de Dieu, le Roi Guillaume »). Carducci s’écrie : « Mais fer et bronze sont aux mains des tyrans ; / et voici Kant avec sa Raison / pure qui aiguise la lame glaciale du fusil prussien / et Körner qui traîne le canon bavarois »35. Le poète, ancien combattant des guerres de libération anti-napoléoniennes est associé à l’un des protagonistes majeurs de la grande période de la philosophie classique allemande, dans la condamnation du IIe Reich et de la Prusse des Hohenzollern. Inutile d’ajouter que cette tendance s’est encore accentuée par la suite, après les deux guerres mondiales, surtout après l’expérience de la barbarie du IIIe Reich...
21Ce n’est pas que cette tendance n’ait pas été combattue efficacement, par des études sérieuses et souvent de grande valeur. Mais il faut quand même se demander s'il est réellement fécond, sur le plan de la recherche, d’expliquer telle ou telle prise de position kantienne (par exemple la négation du droit de résistance) ou encore les connotations morales, plus que politiques et concrètement révolutionnaires, de l’activitisme et du radicalisme de Fichte, par le poids « de la pensée traditionnelle allemande, qui préfère la réforme à la révolution, et une lente et paisible maturation à des réalisations immédiates, parfois violentes »36. Il est vrai que Kant évoque déjà la propension faible ou inexistante des Allemands à « l’indocilité à l’ordre établi », et leur propension à admettre le pouvoir en place, mais le philosophe parle en même temps, avec sympathie, nous le verrons mieux par la suite, du « contagieux esprit de liberté » qui caractérise les Français. En outre, il voit dans les Allemands un peuple dénué d’« orgueil national », qui n’est pas particulièrement attaché à sa patrie, un peuple « cosmopolite » et ouvert aux étrangers (A. VII, 313-319, passim), donc — c’est ce qu’il faut entendre — prêt à se laisser « contaminer » par « l’esprit de liberté » qui déferle d’Outre-Rhin. Il y a peu de sens à vouloir expliquer Kant à l’aide de cette tradition théorique allemande que le philosophe lui-même met en question.
22D’autre part, une suite d'événements tragiques a démontré que l’absence de toute forme de chauvinisme attribuée par Kant au peuple allemand, n’était pas, de toute évidence, une caractéristique « anthropologique », mais plutôt une caractéristique historiquement déterminée. C’est, croyons-nous, un enseignement qui doit inciter à se défier de toute caractérisation trop sommaire et trop simpliste. Il nous paraît totalement dénué de sens de juger « en contradiction flagrante avec la conception occidentale », non seulement la pensée politique de Kant, ou celle de Hegel, mais, une fois de plus, « la théorie bourgeoise en Allemagne » dans son ensemble37. La philosophie classique allemande exprimerait une forme de despotisme oriental ? Mais, à y bien regarder, la « conception occidentale » dont il est ici question n'est autre que la tradition libérale anglo-saxonne avec notamment une référence à Locke et à sa théorisation du droit de résistance. Voilà qui met en évidence l’absurdité de toute cette problématique : on l’a vu, Haym explique l’« engouement » de la culture allemande pour la Révolution française par l’absence d’un Burke, par le manque d’assimilation de l’enseignement empiriste et « historiciste » que fournissait la tradition de pensée anglaise. Autrement dit, une tradition dont on invoque le manque d’assimilation, d’abord pour expliquer la chape de plomb conservatrice qui aurait étouffé tout le développement de l’histoire de la pensée politique en Allemagne, puis ensuite pour expliquer les germes subversifs et révolutionnaires que comporte cette même histoire.
23Par rapport à certains interprètes modernes de Kant ou de Hegel, il nous semble que, en fin de compte, c’est Haym qui avait raison : pourquoi la tradition politique et culturelle anglaise devrait-elle être considérée comme plus riche en ferments révolutionnaires que la tradition allemande ? Aujourd’hui, en ce qui concerne l’Allemagne, à la guerre des paysans, à la philosophie classique allemande et à la révolution de 48, on pourrait au moins ajouter la révolution de 1918, qui renversa la dynastie des Hohenzollern. Et, c’est un fait, en ce qui concerne la période qui nous intéresse le plus pour comprendre la pensée de Kant, la ligne de partage entre amis et adversaires de la Révolution française coïncidait avec la ligne de partage entre critiques et défenseurs de l’héritage politique et culturel anglais. En d’autres termes, à la fin du xviiie siècle, les germes révolutionnaires ne pénétraient dans la culture allemande que dans la mesure où était mise en question cette « conception occidentale » qui, pour certains interprètes actuels, finit par représenter une sorte de tribunal qui permet de mettre en accusation l’histoire culturelle allemande, y compris la grande période de la philosophie classique. En réalité, certaines études, publiées surtout en Allemagne, qui s’efforcent d’expliquer un passé tragique en établissant l’existence d’une ligne ininterrompue allant de Luther... jusqu’à... Hitler, sont davantage l'expression d’une Bewältigung der Vergangenheit ratée que celle d’un réel approfondissement historiographique.
24D’autre part, il y aurait aussi beaucoup à dire à propos de l’auteur dont on fait le point de départ de cette présumée tradition. On songe habituellement au Luther qui, pour justifier l’implacable répression du soulèvement paysan, invoque le devoir sacré d’obéissance au pouvoir en place. On ne songe pas au promoteur d’une Réforme qui inflige au monde féodal sa première grande secousse et met fermement en question l’autorité jusque-là la plus sacrée de toutes, celle du Pape. C’est de ce Luther-là que se réclament les représentants les plus avancés de la culture allemande (y compris le jacobin Forster), et pas seulement de la culture allemande ; songeons qu’à l’époque de l’intervention contre-révolutionnaire en France, impulsée par les puissances féodales, les révolutionnaires français appelaient les Allemands à ne pas participer à la croisade réactionnaire et liberticide, au nom, entre autres, de la fidélité aux idéaux de la réforme. L’un de ces appels fut publié dans la « Berlinische Monatschrift », la revue à laquelle Kant collaborait ! On comprend alors comment Fichte, défendant et célébrant la Révolution française, pouvait se réclamer à la fois de Luther et de Kant ! Et Hegel, à son tour, établissait bien l’existence d’une ligne de continuité entre Réforme et philosophie classique allemande, mais seulement dans le sens où il s’agissait de deux chapitres fondamentaux de cette histoire de la liberté dont la Révolution française était le moment culminant38. Il est important de noter que c’est aussi la vision de Gramsci, qui reproche à Croce d'avoir adopté, à l’égard de Luther et de la Réforme, l’attitude qui avait été, en son temps, celle d’Erasme. Une attitude d’autant plus incompréhensible que « Croce a vu que c'est de la primitive grossiéreté intellectuelle de l’homme de la Réforme qu'ont pourtant jailli la philosophie classique allemande et le vaste mouvement culturel qui a donné naissance au monde moderne »39.
25Mais il convient de s’arrêter plus avant sur le fait que ce sont les protagonistes de la Révolution française eux-mêmes qui se sont réclamés de la tradition révolutionnaire ou progressiste du peuple allemand. C’est en ces termes, qu’à la fin de 1791, Robespierre s’adresse aux députés de l’Assemblée Nationale pour les inviter à ne pas déclarer la guerre à l’Allemagne, malgré la provocation du Manifeste de Pillnitz : « si vous violez les premiers leur territoire, vous irritez les peuples même de l’Allemagne, à qui vous supposez déjà des lumières et des principes, qui n’ont pas encore pu se développer suffisamment chez vous »40. Donc, sur le plan de la théorie, l’Allemagne était en avance sur la France révolutionnaire elle-même, et la théorie à laquelle fait référence le dirigeant jacobin n’est certainement pas sans rapport avec l’activité consistant à transformer la réalité politique. Si Robespierre fait probablement allusion à Kant — quel autre philosophe pouvait justifier un jugement aussi flatteur sur l’Allemagne ? — c’est de lui que se réclame explicitement le « Moniteur » pour élaborer, ou s’approprier, comme nous le verrons mieux par la suite, le thème de la philosophie allemande de l’époque comme pendant de la Révolution française.
26Mais, la philosophie critique n’est pas la seule inspiration révolutionnaire que les protagonistes de la Révolution française reconnaissent et célèbrent dans l’histoire politique et culturelle allemande. Lorsqu’il invite les Allemands à abandonner ou à boycotter la croisade contre-révolutionnaire qui venait de commencer contre la France, Condorcet énumère les contributions de l’Allemagne au renversement de l’obscurantisme féodal et à la cause du progrès de l’humanité — il pense en premier lieu à la Réforme — et il va jusqu’à affirmer : « Nous vous devons notre liberté »41. Il faut, bien sûr, tenir compte d'un fait : ce genre de déclarations est, dans une certaine mesure, sinon un simple outil stratégique, du moins un propos guidé par l’intérêt ; néanmoins une chose est sûre : le cliché selon lequel les allemands sont un peuple éternellement et métaphysiquement voué, par une sorte de malédiction ou de mission, au respect, ou plutôt au culte de l'ordre établi et du pouvoir dominant, ce cliché est étranger aux protagonistes de la Révolution française. Ceux-ci, au contraire, dans la mesure où ils en appellent à une tradition révolutionnaire pour justifier leur lutte résolue contre des autorités revêtues d’une auréole sacrée et consacrée par une tradition millénaire, invoquent, aux côtés de la guerre d’indépendance des colonies américaines, la Réforme et la tradition révolutionnaire du peuple allemand.
27Il est vrai que la Réforme a abouti à la sanguinaire répression de la révolte paysanne et anabaptiste ; et il est tout aussi vrai que, souvent, on invoque cette issue pour dénier à la réforme tout caractère séditieux vis-à-vis de l’ordre existant et pour emmurer, une fois de plus, l’histoire politique et culturelle allemande dans la chape de l’immobilisme et du respect superstitieux de l’ordre établi. Mais peut-être est-il intéressant, à ce propos, de redonner la parole à Condorcet. Celui-ci, on l’a vu, adresse un appel passionné aux Allemands pour qu’au nom de leur passé révolutionnaire ils fassent cause commune avec la France nouvelle : « Au nom de la liberté, vous avez marché, avec Jean de Leyde, sous les drapeaux du fanatisme, et vous refuseriez de marcher avec nous, sous les étendards de la raison ? »42. Le dirigeant girondin semble donc, lui aussi, reculer d’horreur devant la révolution anabaptiste, développée, à l’époque, à Münster et dans d’autres villes allemandes ; une révolution dirigée par un tailleur hollandais, qui toutefois — c’est toujours Condorcet qui le souligne — avait joui d’un large soutien de la part des Allemands, à l’évidence si passionnés pour la cause de la liberté, et si peu respectueux de l’autorité, qu’ils n’hésitent pas à soutenir, non seulement un rebelle, mais un rebelle « fanatique », dont l’égalitarisme forcené fait de lui l’ennemi de tout ordre établi.
28Il est important de souligner encore un autre fait. Encore à la veille de la Révolution de Juillet, donc bien après les guerres qui avaient vu l’Angleterre prendre la tête de la coalition dirigée contre la France, révolutionnaire, puis napoléonienne, en Allemagne, c’est l’Angleterre qui est toujours considérée comme le pays-symbole du culte superstitieux de l’ordre établi et de l’obéissance passive. « Aucun soulèvement social n’a eu lieu en Grande-Bretagne », laquelle, dans son histoire, ne peut se vanter d’une « Réforme religieuse » (religiöse Reformation) menée jusqu’à son terme, cas évident de l’Allemagne, et, encore moins, d’une « Réforme politique » (politische Reformation), c’est-à-dire d’une authentique révolution politique, cas évident de la France : c’est ce que déclare en 1827 Heine43, qui, à l’immobilisme de l’Angleterre, oppose donc la tradition révolutionnaire de la France, mais aussi celle de l’Allemagne ; de celle-ci, il attend même qu'elle imprime un élan nouveau et puissant à la transformation révolutionnaire de la réalité politique européenne, moyennant la « réalisation » de cette philosophie intimement révolutionnaire qu’est, de Kant à Hegel, la philosophie classique allemande.
29Nous pourrions continuer sur notre lancée. Contentons-nous de tenir une chose pour acquise. Le cliché que nous avons examiné à propos de l’histoire politique et culturelle allemande pèse lourdement sur la lecture que beaucoup d’interprètes contemporains font de la philosophie classique allemande. Lorsque Hegel, en 1831, procède à son réquisitoire contre l’Angleterre, voilà que ce réquisitoire est aussitôt lu comme une mise en accusation du pays-symbole du mouvement et du progrès, et comme une célébration de la Prusse (et de l'Allemagne) en tant que pays garant de l’ordre, ou plutôt de l’immobilisme et du status quo. En réalité, c’est exactement l’inverse, du point de vue de Hegel, bien entendu, mais aussi d’une partie non négligeable de l’opinion publique de l’époque. Mais le cliché en question pèse aussi sur la lecture de Kant. La négation du droit de résistance en vient à être interprétée comme un acte de reddition, ou tout au moins de résignation face au pouvoir en place, quel qu’il soit, sans que cela se fonde sur une lecture des textes, et moins encore sur une reconstruction de la signification politique concrète du débat sur le droit de résistance dans le contexte particulier de l’époque ; non, cette interprétation repose, dans la plupart des cas, sur un cliché d’autant moins défendable que ses origines, on l’a vu, ne sont pas si lointaines. C’est un thème sur lequel nous aurons encore l’occasion de revenir au cours de cette Introduction.
305. En d’autres cas, on reconnaît explicitement, et dans toute sa portée, l’admiration de Kant pour la Révolution française ; mais en même temps, par une subtile opération de mystification, on ôte à cette admiration toute signification politique authentique : « l’origine historique de la conception kantienne de l'histoire, c’est la philosophie et la théologie chrétiennes. Dans la conception chrétienne de l’histoire, la pensée de la rédemption est centrale ». Or, chez le philosophe de la raison qui s’enthousiasmait pour les événements d’Outre-Rhin, « la raison prend la place du Christ et de la Bible » et c’est la Révolution française qui personnifie l’avénement du salut. Mais la philosophie kantienne n’est pas la seule à être réduite à une eschatologie laïcisée, ou superficiellement laïcisée. On se livre parfois à la même opération pour Hegel et son école44. On affirme et on souligne le lien étroit de la Révolution française et de l’ensemble de la philosophie classique allemande ; mais uniquement pour mieux ramener cette dernière à un simple chapitre de l’histoire de la théologie. Et, une fois de plus, de Kant ou de Hegel, on remonte jusqu’à Luther, quand ce n’est pas... jusqu’à Jésus-Christ : en tout cas, la continuité de la tradition culturelle allemande est saine et sauve. De nouveau, l’ordre y règne...
31Notons pour l’instant, à titre de remarque préliminaire, qu’il s’agit d’une interprétation qui est tout sauf nouvelle : déjà Gentz, traduisant librement Burke, accusait les partisans de la Révolution française de voir en 1789 « l’année de la Rédemption » (Erlösungsjahr)45. Une accusation que Kant ne laisse pas sans réponse. Selon le philosophe, qui sont ceux qui s’abandonnent à une eschatologie trouble et obscurantiste ? Ce sont les théoriciens de la réaction, les prophètes de la mort de la religion et de la décadence de l’époque, tous ceux qui, du fait des bouleversements politiques et culturels radicaux qui s'étaient produits ou étaient en train de se produire, prédisaient « l’apparition prochaine de l'Antéchrist » (CF, VII, 80). Et de fait, cette eschatologie réactionnaire s’était si bien diffusée, à partir de la Révolution française, que, bien des années plus tard, F. Schlegel s’attendait à voir surgir de manière imminente « la rigoureuse séparation du bien et du mal » qui entraînerait la défaite finale de l’Antéchrist46.
32Mais, ce qui importe surtout, c’est que Kant dénonce de manière explicite les présupposés théologiques d’une vision du monde qui nie le progrès historique ou qui le réduit à d’insignifiantes oscillations : « Et ainsi, on considère la terre, à la façon de l’Indien, comme le lieu où l’on expie d’anciens péchés dont on ne se souvient plus à présent » (LC, VIII, 308). Probablement est-ce uniquement pour des raisons de prudence qu’il est question des Indiens, et non du mythe judéo-chrétien du péché originel : il ne faut pas oublier que la polémique est dirigée contre Moses Mendelssohn. Ce n’est pas la croyance au progrès, et aux bonds qualitatifs que l'histoire accomplit à certains moments — la Erlösung sur laquelle nous avons vu s’exercer l’ironie de Gentz — c’est la négation d’un véritable progrès qui se révèle lourde de présupposés théologiques.
33Les interprètes actuels auxquels nous avons fait allusion ignorent totalement cette réponse de Kant. Ici aussi nous pourrions continuer sur notre lancée. Reste cependant que réduire l’enthousiasme pour la Révolution française à un chapitre de l’histoire de la théologie et du messianisme n’incite pas, c’est le moins que l’on puisse dire, à des recherches concrètes sur les précautions, et les compromis, auxquels Kant, et les intellectuels les plus avancés de son temps, étaient obligés d’avoir recours pour continuer à professer leur enthousiasme, en une période où la réaction se faisait plus dure, et la censure plus vigilante.
346. Il faut ajouter, enfin, qu’on est d’autant moins poussé à entreprendre des recherches concrètes sur ce thème que la revendication de l’héritage de la philosophie classique allemande, et de la philosophie kantienne en particulier, prend la forme, naïve ou explicite, d’une opération idéologique ou de propagande. Ainsi, commentant l’espérance exprimée par Kant selon laquelle « après maintes révolutions survenues dans cette transformation (nach manchen Revolutionen der Umbildung) parviendra finalement un jour à s'établir ce que la nature a pour dessein suprême d’établir, à savoir une situation cosmopolitique universelle, comme foyer au sein duquel se développeraient toutes les dispositions originelles de l’espèce humaine » (I, VIII, 28-29), Manfred Buhr écrit que cette espérance « est sur le point de devenir une réalité historique sous la forme du socialisme et du communisme »47. Le thème important du changement, et même celui des révolutions successives, ne sont ici effleurés que dans un but : pouvoir en affirmer l’inactualité au sein du « socialisme réel » ; et, c’est à cette même inactualité que paraît condamnée la lutte du philosophe pour défendre, avec ténacité, mais aussi avec ruse, la liberté de pensée et d’expression. La connaissance réelle de la pensée de Kant, de sa lutte dramatique contre la censure pour pouvoir continuer à soutenir des positions aussi radicales que celle que nous venons d’évoquer n’a pas fait le moindre progrès. La connaissance réelle de tout cela n’est pas nécessaire ; ou plutôt son effet pourrait être totalement contraire à l'objectif poursuivi : utiliser la philosophie kantienne comme instrument de légitimation d’un pouvoir déterminé.
35Il est temps, à présent, de conclure cette introduction. On a écrit des bibliothèques entières ; des œuvres de longue haleine, portées par un profond engagement, ont éclairé de nombreux points ; et pourtant, la pensée politique de Kant mérite encore une modeste recherche. Il est inévitable que, sur la lecture d’un grand philosophe, pèsent de multiples conditionnements politiques. Et ce, d’autant plus que l’on a affaire à des textes, nous aurons l’occasion de le voir, qui ne pouvaient qu’être « obscurs », non par choix subjectif, mais par nécessité. Nous commencerons par l’analyse du droit de résitance. La négation du droit de résistance conduit Mehring à surprendre Kant en flagrant délit de contradiction avec sa célébration de la Révolution française48.
36En réalité, le critique ne jouissait pas des conditions idéales pour comprendre la prise de position du philosophe. A la veille, du moins le semblait-il, d’une nouvelle révolution, plus grandiose, mais aussi au lendemain des lois et des persécutions anti-socialistes, au lendemain d’une période où la social-démocratie avait été contrainte, au prix de durs sacrifices, de « résister », jour après jour, d’une façon ou d’une autre, au pouvoir en place, bien décidé à briser ses liens avec le mouvement ouvrier, dans ces conditions, la négation du droit de résistance n’apparaissait-elle pas, ou ne risquait-elle pas d’apparaître comme la consécration du pouvoir et de l’arbitraire des Hohenzollern ? Quant aux interprètes récents, surtout en Allemagne, ils n’ont guère joui de conditions meilleures. Au lendemain du Troisième Reich et de la seconde guerre mondiale, après que l’obéissance au pouvoir en place ait scellé le destin, et la mort, de millions d’hommes, la négation du droit de résistance ne risquait-elle pas d'apparaître comme une forme de légitimation ou du moins de tolérance, à l’égard de tous les crimes commis par le pouvoir ? Si, à l’époque de Mehring, la négation du droit de résistance évoquait le spectre du chancelier de fer, après la seconde guerre mondiale, elle évoquait un spectre bien plus terrifiant ; sur la négation kantienne du droit de résistance se projetta d'abord l’ombre des lois antisocialistes ; puis, par la suite, ce fut une ombre bien plus sombre : celle des camps d’extermination.
37Pourtant, il résulte de la recherche historique, nous le savons aujourd’hui, que la formation de l’Etat moderne s’est accompagnée de la négation du droit de résistance, une négation presque toujours motivée par des arguments tirés de l’idéologie féodale et théocratique49. Feuilletons un instant la « Berlinische Monatschrift » : polémiquant contre l’extrémisme catholique, ou clérical, qui faisait dériver l’exécution de Louis XVI, et plus généralement le renversement de tout ordre établi, des principes de la Réforme, la revue à laquelle Kant collaborait rappelait que c’étaient les jésuites qui avaient fait la théorie, non seulement de l’insubordination, mais même du « régicide », et, ce, non contre les tyrans sanguinaires, mais contre les monarques éclairés, respectueux des principes de tolérance et de liberté de conscience, et donc coupables de refuser l’entière subordination du pouvoir politique aux prétentions de la hiérarchie écclésiastique et à l’autorité « spirituelle » du Souverain Pontife (bm, 1794, XXIII, 564-595, et 1795, XXVI, 243-272). A partir de ce simple débat, on voit donc surgir la signification ambiguë que revêt, sur le plan historique et politique, la théorisation du droit de résistance.
38C’est de là qu’il faut partir pour comprendre la prise de position de Kant, et aussi de la situation complexe créée en Allemagne et en Europe, à la suite de la Révolution française, par l’intervention armée des puissances féodales, et par le déferlement, en France même, de la contre-révolution vendéenne. Il faut tenter d’approfondir la lecture de Kant en partant des problèmes que son temps posait au philosophe.
Notes de bas de page
1 F.-G Klopstock, 1903, in F. Mehring, Gesammelte Schriften, ed. par T. Höhle, H. Koch et J. Schleifstein, Berlin 1961, vol. X, p. 8 et 11. La célébration de Charlotte Corday par Klopstock se trouve dans l’ode Mein Irrtum : de nombreuses odes attestent de la célébration antérieure de la Révolution française, à commencer par Die Etats Généraux, composée avant même la prise de la Bastille.
2 C'est ce dont nous informe une lettre de Baggesen à Reinhold (Nuremberg, 4/VIII/1793) citée in J.-B. Erhard, Ueber das Recht des Volks zu einer Revolution, ed. par H.G. Haasis, München, 1970.
3 Immanuel Kant, 1904, in G.S., ed. cit., vol. XIII, p. 52.
4 Voir la Préface à la première édition allemande, 1882, de l'opuscule Die Entwicklung des Sozialismus von der Utopie zur Wissenschaft in Marx-Engels, Werke, Berlin, 1956, vol. XIX, p. 188. (Trad. fr. E. Bottigelli, Socialisme utopique et socialisme scientifique, Paris, 1962).
5 Das Philosophische Manifest der historischen Rechtsschule, 1842, in Marx-Engels, Werke, ed. cit., vol. I, p. 80. (Trad. fr. M. Rubel in Marx, Œuvres, HI, Philosophie, Paris 1982, p. 224).
6 Lettre à Karl Twesten (Halle, 5/VI/1863), in Ausgewählter Briefwechsel Rudolf Hayms, ed. par H. Rosenberg, Berlin und Leipzig, 1930, p. 212.
7 Hegel und seine Zeit, 1857 (réimp. Darmstadt 1974), p. 32.
8 Lettre à R.V. Mohl (Halle, 16/VI, 1858) in Ausgewählter Briefwechsel..., ed. cit., p. 159.
9 H.-V. Treitschke, Deutsche Geschichte in neunzehnten Jahrhundert, Leipzig, 1879-1894, vol. I, p. 118 et vol. IV, p. 483.
10 Die Freiheit, 1861 in Historische und politische Aufsätze, 1886, vol. III, p. 22 ; L’essai fut d’abord publié dans les « Preussische Jahrbücher ».
11 Ibid, p. 6 et p.22.
12 Deutsche Geschichte, ed. cit., vol. IV.
13 Le jugement du « camarade Lafargue » est rapporté par Mehring, qui cherche à en réduire la portée. Cf. Immanuel Kant, ed. cit., p. 39.
14 En français dans le texte (N.d.T.).
15 K. Vorländer, Kant und Marx. Ein Beitrag zur Philosophie des Sozialismus, Tübingen, 1926, (1re édition 1911), pp. 276-280, passim. Vorländer avait déjà publié auparavant Kant und der Sozialismus, Berlin, 1900, à propos duquel on peut consulter la recension de Mehring dans « Die neue Zeit », G.S. ed. cit., vol. XIII, pp. 187-192. Pour une vue d’ensemble du « retour à Kant » à partir de la seconde moitié du XIXe siècle (mais les aspects politiques du problème ne sont pas examinés), cf. A. Guerra, Introduzione a Kant, Roma-Bari, 1980, pp. 238-252.
16 Die Voraussetzungen des Sozialismus und die Aufgaben der Sozialdemokratie, Stuttgard, 1899.
17 Cf. l’Epilogue ajouté à la seconde édition de l’ouvrage (1920).
18 A proposito della crisi del marxismo in A.-L., La concezione materialistica della storia, a cura di E. Garin, Bari, 1969, p. 167. (Trad. fr. A. Bonnet, A propos de la crise du marxisme in Essais sur la conception matérialiste de l'histoire, Paris 1902, réimpression 1970, pp. 303-304).
19 S'adressant abruptement à Zeller, Labriola s'écriait « Ne vous cachez pas sous le nom de Kant ! ». Cf. aujourd'hui le manuscrit dans l'édition critique des œuvres entreprise par L. Dal Pane, Una riposta alla Prolusione di Zeller, in A.-L., Scritti e appunti su Zeller e su Spinoza (1862-1868), Milano, 1959, p. 47. (Le manuscrit inédit — dont il est question ici — avait déjà été publié par Croce sous le titre Contro il « ritorno a Kant » propugnato da Eduardo Zeller, 1862, in A.-L., Scritti vari e inediti di filosofia e politica, Bari, 1906, pp. 1-33 ; cf. aussi la lettre à Engels du 14/HI/1894 in A.-L, Lettere a Engels, Roma, 1949, p. 142).
20 C’est Vorländer lui-même qui fait référence à ce texte. Cf. Kant und Marx.., ed. cit p. 276.
21 Lettre d'avril 1890 in Lettere a Engels, ed. cit., p. 2.
22 In memoria del Manifesto dei comunisti, 1895, in A.-L., La concezione..., ed. cit., p. 48. (Trad. fr. En mémoire du Manifeste du parti communiste in Essais, ed. cit., p. 84).
23 En français dans le texte (N.d.T.).
24 R. Haym, Die romantische Schule. Ein Beitrag zur Geschichte des deutschen Geistes, 1870 (réimpression Darmstadt 1977) ; en ce qui concerne Heine, cf. la conclusion de Zur Geschichte der Religion und Philosophie in Deutschland (Cf. De l'Allemagne, Paris, 1872, I, p. 118 sq). Sur ce thème chez Heine, cf. E. Rambaldi, Le origini della sinistra hegeliana, Firenze, 1966, pp. 15-60.
25 Deutsche Geschichte..., ed. cit., vol. IV, pp. 419-421 passim.
26 Der Streit Kants mit der Zensur über das Recht freier Religionsforschung, 1890, à présent in W.-D., Gesammelte Schriften, Stuttgart-Göttingen, vol. IV, p. 308. Comme Haym et Treitschke, Dilthey collabora lui-aussi aux « Preussische Jahrbücher ».
27 En français dans le texte (N.d.T.)
28 Vorlesungen über die Geschichte der Philosophie, in Werke in 20 bänden, ed. par E. Moldenhauer et K.-M. Michel, à partir de l'édition des Werke de 1832-1845, Frankfurt a. M. 1969-1979, vol. XX, pp. 314-331.
29 Conversazioni critiche, II serie, Bari, 1924, p. 294.
30 A. Gramsci, Quaderni del carcere, édition critique de l'Istituto Gramsci, par V. Gerratana, Torino, 1975, p. 1473. (Trad. fr. P. Fulchignoni, G. Granel et N. Negri, Cahiers de prison, III, Paris, 1978, p. 269).
31 G. Vlachos, La pensée politique de Kant. Métaphysique de l'ordre et dialectique du progrès, Paris, 1962, p. 540.
32 Citons notamment à ce propos F. Delekat, Immanuel Kant. Historisch-kritische Interpretation der Hauptschriften, Heidelberg, 1962 (cf. en particulier p. 336). A. Philonenko, Théorie et praxis dans la pensée morale et politique de Kant et Fichte en 1793, Paris, 1976 (cf. en particulier p. 28) et du même auteur, L'œuvre de Kant, Paris, 1975-1981 (cf. en particulier le volume II, p. 81).
33 Cf. la Préface de Der deutsche Bauernkrieg, 1850 in Marx-Engels, Werke, ed. cit., vol. VII, p. 329 ainsi que la Vorbemerkung aux éditions de 1870 et 1875 du même ouvrage, ibid., pp. 539-541. (Trad. fr. E. Bottigelli, La guerre des paysans en Allemagne, Paris, 1974, p.41).
34 Ludwig Feuerbach und der Ausgang der klassichen deutschen Philosophie, 1886-1888, in Marx-Engels, Werke, ed. cit., vol. XXI, p. 265. (Trad. fr. Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, Paris, 1945, p. 5).
35 Cf. dans Giambi ed Epodi la pièce XXI, Versaglia (v. 49-52) et la pièce XVII, Per il LXXVIII anniversario della proclamazione della Repubblica Francese (v. 21-22 et 17-20).
36 M. Gueroult, Fichte et la Révolution Française, 1939, in Etudes sur Fichte, Paris, 1974, p. 197. De façon analogue, on trouve une référence à la « tradition théorique allemande » chez G. Duso, Rivoluzione e legittimazione in Hegel, ou à la thèse déjà citée de Guéroult chez M. Giubilato, Rivoluzione, costituzione e società nel Fichte del'93, in Il concetto di rivoluzione, Bari, 1979, pp. 152-134.
37 H. Mandt, Tyrannislehre und Widerstandsrecht. Studien zur deutschen politischen Theorie des 19. Jahrhunderts, Darmstadt, 1974, in Materialen zu Kants Rechtsphilosophie, sous la dir. de Z. Batscha, Frankfurt.a.M., 1976, p, 293.
38 Nous nous permettrons de renvoyer à ce propos à notre travail La « politica culturale » di Hegel à Berlino. Illuminismo, rivoluzione e tradizione nazionale, in Tra idealismo e marxismo, sous la dir. de P. Salvucci, Urbino, 1981, notamment les pp. 248-257 et la note 251 p. 300. En ce qui concerne Fichte, voir les Beitràge zur Berlichtigung der Urtheile des Publicums über die französische Revolution, in Fichtes Werke, ed. de I.-H. Fichte (réimpression Berlin 1971), vol. IV, pp. 104-105. (Trad. fr. de J. Bami, Considérations sur la Révolution française, Paris, 1974, p. 127).
39 A. Gramsci, Quaderni del carcere, ed. cit., p. 1293. (Trad. fr. cit. p. 95).
40 In M. Robespierre, OEuvres, VIII, Discours, ed. par M. Bouloiseau, G. Lefebvre, A. Soboul, Paris, 1950-1967, p. 61. C’est nous qui soulignons.
41 Aux Germains, in Œuvres, Paris, 1847-49, vol. XU, p. 28. Outre la Réforme, Condorcet se réfère entre autres à l’invention de la poudre à canon et de l’imprimerie : ce sont ces thèmes que l’on retrouve ensuite dans les Leçons sur la philosophie de l'histoire, utilisés par Hegel pour construire une tradition nationale allemande plaçée sous le signe du progrès : en ce qui concerne l’utilisation sur ce mode du thème de la Réforme, nous nous permettons de renvoyer à notre travail La « politico culturale » di Hegel, ed. cit. passim. En ce qui concerne l’invention de la poudre à canon et de l’imprimerie, voir notre étude, Hegel, questione nazionale, Restaurazione. Presupposti e sviluppi di urta battaglia politico, Urbino, 1983, pp. 293-301 et pp. 307-312.
42 Œuvres, ed. cit., vol. XII, p. 29.
43 Englische Fragmente in Sämtliche Schriften, ed. par K. Briegleb, München, 1968, vol. II, p. 596 ; sur l’image de l’Angleterre en Allemagne entre la Révolution française, les années suivant l’échec de la Révolution française, et celles qui suivent l'échec de la Révolution de 48, nous nous permettons de renvoyer à notre étude Hegel questione nazionale, Restaurazione, ed. cit., pp. 112-123 ainsi qu'à notre autre travail Tra Hegel e Bismarck. La rivoluzione del'48 e la crisi della cultura tedesca, Roma, 1983, pp. 71-93.
44 P. Burg, Kant und die französische Revolution, Berlin, 1974, p. 98 sq ; en ce qui concerne Hegel, cf. J. Gebhardt, Politik und Eschatologie. Studien zur Geschichte der Hegelschen Schule in den Jahren 1830-1840, München, 1963. Naturellement, ce type d’interprétation tend ensuite à liquider comme une forme de messianisme le marxisme dans son ensemble ; cf. par exemple, sur le jeune Marx, H. Popitz, Der entfremdete Mensch. Zeitkritik und Geschichtsphilosophie des jungen Marx, Basel, 1953. Le chef de file de cette ligne d’interprétation est bien entendu K. Lowith, dont on peut consulter en particulier Weltgeschichte und Heilsgeschehen. Die theologischen Voraussetzungen der Geschichtsphilosophie, Stuttgart, 1953.
45 Dans l’original de Burke (Reflections on the Revolution in France), il est question, en réalité, d’« année de l'émancipation » (the emancipating year), mais le sens de l’expression est analogue. Cf. The works of the right honourable Edmund Burke. A new edition, London, 1826, vol. V, p. 83. La traduction allemande de Gentz a été republiée, sous la direction de L. Iser et avec une introduction de D. Henrich, Frankfurt.a.M., 1967 (l’expression citée se trouve p. 73). (Cf. la trad. fr. de P. Andler, Reflexions sur la révolution de France, Paris, 1989. L’expression citée, traduite « an premier de la liberté », se trouve p. 46).
46 Vorlesungen über die Universalgeschichte, (1805-1806) ed. J.-J. Anstett (vol. II, 14 de l’édition critique), München, Paderborn, Wien, 1960, p. 252.
47 M. Buhr, Immanuel Kant. Einführung in Leben und Werk, Leipzig, 1981, p. 140 ; cf. aussi M. Buhr, G. Irrlitz, Der Anspruch der Vernunft. Die klassische bürgerliche deutsche Philosophie als theoretische Quelle des Marxismus, Berlin, 1968. Pour un intéressant regard d’ensemble sur l’état des recherches et les différents courants d’interprétation en RDA, en ce qui concerne la période qui fait l’objet de notre travail, cf. H.-D. Dahnke, Zur Situation der Klassik-Forschung in der DDR, in Deutsche Klassik und Revolution, ed. par P. Chiarini et W. Dietze, Roma, 1981, pp. 15-50.
48 Immanuel Kant, ed. cit., p. 53.
49 Cf., l'ouvrage, fondamental sur ce point, de F. Kern, Gottesgnadentum und Widerstandsrecht im frühen Mittelalter. Zur entwicklungsgeschichte der Monarchie, Darmstadt, 1980 (c'est la reprise de la seconde édition, 1954, sous la dir. de R. Buchner).
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