1 Boltanski, L., L’Amour et la justice comme compétences, Paris, Métailié, 1990.
2 Boltanski, L., Thévenot, L., Les économies de la grandeur, Cahier du CEE, série Protée, Paris, PUF ; une nouvelle publication aux éditions Gallimard assurera ultérieurement la renommée de leur maître ouvrage : De la Justification. Les économies de la Grandeur, Paris, Gallimard, 1991.
3 Ricœur, P., Liebe und Gerechtigkeit/Amour et Justice, Tübingen, J.C.B. Mohr (Paul Siebeck), 1998.
4 Ricœur, P., Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990.
5 Ricœur, P., Le Juste, Paris, éditions Esprit, 1995.
6 Basculement qui contribuera corrélativement à sa mise à distance de la sociologie de Pierre Bourdieu et à la formation avec Laurent Thévenot du Groupe de Sociologie Politique et Morale (GSPM) à l’EHESS. C’est ainsi que Boltanski se confiera peu de temps après la mort de Ricœur : « Je peux dater précisément ce moment de basculement associé à la rencontre de Ricœur. C’était l’été 1981. Je venais de terminer la première version des Cadres que j’allais soutenir comme thèse d’État et en vacances j’ai lu Le conflit des interprétations. J’ai réalisé qu’à côté de l’interprétation qui se focalise sur le seul soupçon, d’autres chemins interprétatifs étaient possibles pour les sciences sociales. Il faut dire que cette ouverture m’était facilitée par la façon extraordinaire dont Ricœur abordait l’interprétation du soupçon, non en polémiste, mais avec le souci constant de lui rendre justice en insistant sur la grandeur des maîtres du soupçon – Marx, Freud, Nietzsche – et sur les promesses de libération contenues dans leurs œuvres. L’interprétation du soupçon, c’est ce que j’avais appris à pratiquer (…). J’ai réalisé, en lisant Ricœur, qu’il y avait une autre manière d’interpréter qui, sans renoncer à l’existence d’un caché – car, en effet, si tout était donné dans la transparence immédiate, l’approche sociologique serait inutile –, se donnait pour visée de comprendre les actions et les interprétations que les acteurs, par exemple dans les entretiens, fournissaient de leurs actions, en allant des éléments fragmentaires contenus dans ces rapports aux schèmes et aux grammaires, souvent plus ou moins implicites, à partir desquelles ces rapports étaient engendrés (Boltanski, L., « L’effet Ricœur sur les sciences humaines », Esprit, « la pensée Ricœur », no 323, mars-avril 2006, p. 50-51).
7 Après consultation de l’archiviste du Fonds Ricœur à Paris (Catherine Goldenstein) et un échange avec Luc Boltanski en septembre 2014, il apparaît que les deux hommes ne se sont rencontrés personnellement qu’à partir de 1991-1992 (même si Boltanski lisait les textes de Ricœur dès le début des années 1980, comme on l’a vu, mais avant que ce dernier ne publie son texte Amour et Justice).
8 Ricœur, P., Philosophie de la volonté. Vol. 1. Le volontaire et l’involontaire ; vol. 2 Finitude et culpabilité, Paris, Aubier, 1950 et 1960.
9 Ricoeur, P., « Biblical hermeneutics », Semia, 4, p. 27-148.
10 Boltanski, L., « L’effet Ricœur sur les sciences humaines », p. 50.
11 Ricœur, P., Amour et justice, p. 12.
12 Boltanski, L., L’amour et la justice comme compétences, p. 170.
13 Cf. par exemple Paul, I Corinthiens XIII ou Psaume 84, 13.
14 Ricœur, P., Amour et justice, p. 18.
15 Ricœur, P., Amour et justice, p. 22.
16 Nygren, A., Eros et agapè. La notion chrétienne de l’amour et ses transformations, 3 vol., Paris, Aubier, 1944.
17 Boltanski, L., L’amour et la justice comme compétences, p. 172.
18 Ricœur, P., Amour et justice, note p. 76.
19 Boltanski, L., L’amour et la justice comme compétences, p. 139.
20 Ricœur, P., Amour et justice, p. 56.
21 Nous avons essayé de mettre en question le statut de la Règle d’or chez Ricœur au regard des théories post-conventionnelles de la morale (comme chez Habermas) : Michel, J., « Règle d’or et logique d’équivalence », Raisons politiques, 40, novembre 2010, p. 113-132.
22 Ricœur, P., Amour et justice, p. 58.
23 Ricœur, P., Amour et justice, p. 62.
24 Boltanski, L., L’Amour et la justice comme compétences, p. 236.
25 Janicaud, D., Le tournant théologique de la phénoménologie française, Paris, Eclat, 1992.
26 Ce qui n’a pas toujours été bien compris, c’est que, dans son essai sur l’Agapè, Boltanski adopte finalement la même démarche que celle augurée avec L. Thévenot dans les économies de la grandeur. Les sociologues mobilisent dans l’histoire de la philosophie politique des œuvres susceptibles de formaliser des grammaires ordinaires de dénonciation et de justification mobilisées dans le cas de disputes. Dans l’essai de 1990, il s’agit désormais de puiser dans les ressources de la théologie des formalisations possibles de régimes d’actions ordinaires soumises au don gratuit. Ce qui pouvait encore être acceptable (la référence à des œuvres de philosophie politique) pour certains sociologues, les moins allergiques au discours philosophique, ne l’est plus pour d’autres quand il s’agit de s’appuyer sur des œuvres héritées du corpus théologique comme Les Fioretti.
27 Au cours de l’échange écrit (septembre 2014) que nous avons eu avec L. Boltanski au moment de la préparation de notre contribution, le sociologue met l’accent sur une autre source de divergence avec la perspective adoptée par Ricœur : « Celle-ci est peut-être en partie orientée vers une visée sociétale, institutionnelle et même politique : comment faire place à la logique de l’agapè dans la constitution d’une société de façon à la rapprocher d’un état optimal. Dans cette optique, il est tout à fait pertinent de chercher à combler l’écart entre amour et justice en les faisant, en quelque sorte, tendre l’un vers l’autre. » Moins normative que descriptive, la démarche de Boltanski vise à rendre compte sociologiquement d’interactions où se déploie « un retrait des équivalences ». C’est donc essentiellement l’échelle micro-sociale qui est privilégiée par Boltanski, alors que Ricœur se place d’emblée à une échelle macro-sociale qui justifie pour lui l’action conjointe de l’amour sur la justice. Boltanski peut ainsi relire rétrospectivement son essai sur l’agapè à la lumière de De la critique (Paris, Gallimard, 2009) en situant la grammaire du don gratuit dans un registre métapragmatique : « On pourrait sans doute voir dans l’agapè une notion quasi polémique et dans les moments d’agapè des moments où se révèle quelque chose comme une critique tacite des équivalences instituées. Vue dans cette optique, la référence à la notion d’agapè ferait partie des moyens par lesquels les acteurs mettent en cause la “réalité de la réalité”, pour ménager une ouverture sur le “monde”, pour reprendre des notions que j’ai cherchées à développer dans De la critique. Mais, à côté de ces situations limites, vous avez tout à fait raison de mettre l’accent sur la possibilité de “zones” grises entre amour et justice » (échanges avec L. Boltanski, septembre 2014).
28 N’étant pas théologien et étant de conviction agnostique, nous n’évoquerons pas ici la possibilité divine de l’agapè.
29 Lefort, C., Les Formes de l’histoire. Essais d’anthropologie politique, Paris, Gallimard, 1978.
30 Bourdieu, P., Le Sens pratique, Paris, Minuit, 1980.
31 Bourdieu, P., Le Sens pratique, p. 179-180.
32 Derrida, J., Donner le temps. La fausse monnaie, Paris, Galilée, 1992.
33 Levi, P., Si c’est un homme, Pocket, 1998, p. 130.