En exil
p. 153-156
Texte intégral
1Nous connaissons maintenant dans leurs grandes lignes l’histoire des remplaçants de Schuermans, mais qu’advenait-il de lui-même ? Était-il pendant tout ce temps présent à Ename, à l’arrière-plan cette fois, ou cessa-t-il d’y résider ? Ce chapitre s’intitule « En exil » et prend donc position, mais y a-t-il vraiment des indices que Schuermans ait effectivement dû quitter sa paroisse ? En tout cas, nous manquons de sources explicites. La dernière preuve de présence physique à Ename se situe le 14 mars 1650 ; sa candidature à un professorat à Louvain par contre ne dit rien sur son lieu de résidence. La tenue des registres paroissiaux par le coutre ne nous aide pas davantage (car il les tenait également début 1650 alors que Schuermans habitait indiscutablement Ename). Même l’arrangement concernant le paiement d’un remplaçant à Ename ne prouve rien. Schuermans pouvait en effet avoir été suspendu sans devoir pour autant vider les lieux.
2Pourtant un exil est plus que vraisemblable. Pourquoi ? D’abord ça n’était pas une peine inhabituelle pour des curés débauchés1, à quoi s’ajoute que, s’il était resté, le silence que des sources de toutes sortes gardent sur lui serait vraiment d’un systématisme surprenant.
3Optons pour le scénario suivant : courant 1651, le 25 avril ou peu avant, tombait une sentence qui le condamnait à quatre années de bannissement hors de l’archevêché. Ce que ce jugement ne lui enlevait pas, c’était sa qualité de curé, autrement dit, après avoir purgé sa peine, il pourrait revenir dans sa paroisse et y reprendre ses fonctions. Une source – nous y avons déjà fait allusion – indiquait qu’il avait cautionné des remplaçants, ses confrères de Welden, et peut-être la procédure aurait-elle pu se renouveler si son protecteur Calenus n’était pas décédé et si le doyen de chrétienté n’avait pas aussitôt veillé à la nomination de deux desservants successifs. Plus tard, le 20 avril 1655, revenu en visite, Van Huffel manda à l’archevêché, nous le savons déjà, qu’il fallait de toute urgence trouver une solution définitive, car Schuermans passait pour avoir trouvé un emploi.
4Reprenons le scénario : le 25 avril 1651 ou peu avant, Schuermans fut banni pour quatre ans qui se terminaient justement au moment de la visite de Van Huffel. Le temps presse, se dit ce dernier. Il n’avait manifestement pas réalisé auparavant que Schuermans n’avait pas l’intention de revenir ; il est clair que Schuermans avait laissé son supérieur honni dans l’incertitude, certainement pour l’embêter et se venger ainsi quelque peu de toute la peine et de tout le chagrin endurés.
5Complétons le scénario : en 1651, où Schuermans aurait-il pu aller quand on lui signifia la sentence de bannissement ? Il pouvait une fois encore recourir à son ange gardien Calenus. Alors qu’il n’était pas encore question de procès et que seuls des bruits couraient, ce dernier ne lui avait-il pas écrit une lettre où il lui promettait de lui procurer un emploi, avec des revenus assurés, si jamais les choses dégénéraient ? Et elles avaient dégénéré comment !
6C’est donc bien ainsi que les choses ont dû se passer ; Calenus est intervenu pour la énième fois : pas auprès de l’évêque de Gand et pas non plus auprès de celui de Bruges, car ceux-ci ne connaissaient déjà que trop Schuermans. Où donc ? Où Calenus avait-il encore beaucoup d’influence et où le scandale n’avait-il pas encore filtré ? À Ypres naturellement.
7Depuis qu’en 1638 la peste avait abattu son ami Jansenius, l’évêque d’Ypres, et que lui, Calenus, avait assuré la publication posthume de son ouvrage « hérétique » l’Augustinus, depuis que le successeur de Jansenius, Bouckaert, était décédé à son tour en 1646, le calme n’était jamais plus revenu dans l’Église des Pays-Bas espagnols. Point n’est besoin de détailler ici par le menu toute la lutte complexe pour le pouvoir entre Rome, les souverains absolutistes espagnols et l’Église projan-séniste des Pays-Bas, mais il est important de savoir qu’en dépit de nombreux procès d’intention et de l’influence croissante de Rome, les chanoines d’Ypres restèrent des années encore de fidèles partisans des idées de Jansenius, dévoués à sa mémoire. Ils étaient donc aussi des amis fidèles de Calenus, et c’était très certainement le cas du plus important en rang, le doyen du chapitre cathédral, Willem van der Sterre. La nomination et la consécration d’un nouvel évêque ayant été différées pendant des années, c’est lui qui pendant tout ce temps gouverna le diocèse.2
8Obtenir une fonction assortie de revenus, par l’entremise de Willem van der Sterre, doit avoir été pour Schuermans la solution pour traverser les années d’exil. Quand son protecteur Calenus mourut en 1653, ce décès n’avait donc plus d’impact direct sur sa position, même en cas de nomination par Van Huffel d’un deservitor à Ename. Hélas, les sources du diocèse d’Ypres ont pâti d’une conservation désastreuse et il n’est pas possible de suivre la trace de Schuermans au cours de ces années. Il est tout à fait sûr qu’il n’a nulle part été curé, car, jusqu’en 1655, il restait officiellement curé d’Ename, en dépit de la sanction qui le frappait. Willem van der Sterre le garda-t-il à ses côtés, pour éviter une rechute, par exemple comme l’un des ecclésiastiques subalternes qui peuplaient toujours une cathédrale ?
9Après toutes ces pages, reste la question : pourquoi Calenus soutint-il et continua-t-il à soutenir Schuermans si longtemps et en dépit de tout ce qu’on lui en dit ? « Celui qui obtenait un jour son amitié, la gardait pour toujours. »3
Notes de bas de page
1 J. De Brouwer, De kerkelijke rechtspraak en haar evolutie in de bisdommen Antwerpen, Gent en Mechelen tussen 1570 en 1795, I. Tielt, 1971, p. 196 : ce pouvait être un bannissement définitif ou temporaire, éventuellement aussi un enfermement (dans un monastère) (p. 201, 211), une suspension (suspensio a divinis) (p. 202) ou une destitution (p. 203).
2 L. Ceyssens, La fin de la première période du Jansénisme, II. Bruxelles, Rome, 1965, (Bibliothèque de l’Institut Historique Belge de Rome, XIII), passim (surtout p. 103, 126, 312). – L. Ceyssens, ‘Sterre, Willem Van der’, dans : Nationaal Biografisch Woordenboek, 3, Bruxelles, 1968, cc. 834-5.
3 C’est ainsi que le spécialiste du Jansénisme, feu le père L. Ceyssens o.f.m., décrivait le caractère de Calenus (en mai 1997), à l’improviste et sans connaître le contexte de ma curiosité.
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Le charme indiscret de Jan Schuermans
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