Ename orphelin ?
p. 147-150
Texte intégral
1Toutes ces années, Schuermans a-t-il encore résidé ou non à Ename ? On est sûr que non car on voit mal comment il aurait pu rester parmi ses ouailles à l’arrivée d’un remplaçant. C’était, semble-t-il Schuermans lui-même (en concertation avec l’archevêché ?) qui fit appel à Jeronimus Wantius, le curé du village voisin de Welden, pour qu’il s’occupe de la pastorale. Bien sûr, aucun prêtre ne voulait s’acquitter gratuitement d’une tâche pareille et le prévôt De Loose débloquait, le 27 août 1650, la somme de soixante-seize livres et seize sous pour l’indemniser. De toute façon, c’est un signe que, quelque huit mois avant sa condamnation, Schuermans avait quitté sa paroisse ou avait été écarté ou suspendu. Peu après, dès la fin mai de l’année suivante, un nouveau curé, Jan van de Perre, venait remplacer le vieux Wantius à Welden, et par conséquent à Ename et Nederename. D’une résolution du 28 janvier 1654 rédigée par le secrétaire de l’archevêque Boonen, il ressort que Van de Perre s’était plaint de n’avoir pas été dédommagé depuis bien longtemps.
2Par ailleurs, on ne s’étonne pas non plus qu’après son retour de L’Écluse fin 1649, les moines d’Ename n’aient plus invité Schuermans à leur prodiguer ses conseils spirituels ; il n’a plus dû reprendre ses fonctions de lector. Le 15 juin 1650, on signale un remplaçant : Maître Placidius Carie, qu’on devine formé à l’université de Douai.36
3À compter de 1653, c’en est fini des remplaçants de complaisance ; car nous voyons apparaître comme deservitor (desservant) un certain Robens (ou Robbens). Ce n’était pas un curé du voisinage qui devait ajouter à son ministère la pastorale à Ename et Nederename, et on ne peut pas davantage le considérer comme un vicaire.37 La tâche de pasteur des âmes n’était pas si complexe dans les deux villages scaldéens qu’elle requît éventuellement deux prêtres. On pouvait embrasser d’un seul regard les 271 communiants d’Ename et les 160 de Nederename recensés en 1653 (on comptabilisait les personnes de plus de quinze ans tenues de communier en période pascale). Du reste, ce total baisserait en 1665 du fait d’une mortalité exceptionnelle.38
4Le registre paroissial, à nouveau tenu en latin sous Robens, selon la tradition, permet de déterminer la chronologie précise de sa venue et de son départ.39 Ces données montrent qu’en haut lieu – Schuermans n’a plus rien à voir dans l’affaire – on ne voulait ou ne pouvait prendre de mesures définitives, car même s’il n’est plus un simple remplaçant local, le desservant n’est affecté que pour une période d’un an. On voyait plus loin désormais. On avait fini en outre par se convaincre qu’un haut niveau d’études ne garantissait en rien une pastorale adéquate : Robens n’avait jamais mis les pieds à l’université !
5Pourquoi les autorités supérieures vont-elles plus loin en 1653 qu’en 1650, c’est la question qui s’impose ? Schuermans était-il redevenu une pierre d’achoppement ? Avait-il à nouveau perpétré quelque chose d’inadmissible ? Ou son remplaçant, le curé de Welden, ne donnait-il pas satisfaction ? La réponse à la question est plus simple : Van Huffel n’avait pas renoncé à régler son compte à Schuermans, mais il n’avait jamais pu le faire contre la volonté de l’archidiacre Calenus. Or celui-ci mourut le premier février 1653, privant Schuermans du parapluie qui l’avait protégé toutes ces années.40
6Il est clair que Van Huffel voyait maintenant sa chance : il profita immédiatement de la circonstance pour évincer aussi vite et autant que possible, même en son absence, le curé qu’il abhorrait. Nous le voyons déjà intervenir entre le 8 février et le 2 mars, soit d’une semaine à un mois au maximum après le décès de Calenus !41 Impossible d’aller plus vite si l’on retranche les jours nécessaires à la transmission des messages, à la recherche d’un remplaçant disponible et à la prise des décisions elles-mêmes.
7La décision d’enlever au titulaire, à Schuermans donc, la charge de curé ainsi que le droit de continuer à désigner lui-même un remplaçant, a sans doute été prise de sa propre initiative par Van Huffel. L’archevêque Boonen était vieux et maladif, et la mort de Calenus le privait d’un soutien, en attendant la promotion au poste d’archidiacre de l’official Amaat Coriache, le juge même qui avait condamné Schuermans.
8Est-il possible que l’aversion de Van Huffel pour Schuermans n’ait pas découlé seulement de la prédilection de ce dernier pour les femmes et la boisson, mais aussi de divergences théologiques ? Au cours de sa formation à l’université de Louvain, Schuermans avait été exposé précocement aux influences jansénistes et son protecteur, Calenus, était à la tête du camp janséniste, antiromain. L’archevêque Boonen, l’official Coriache et la plupart des hauts prélats des Pays-Bas – on pense à l’évêque de Gand Triest – adhéraient à la doctrine de la grâce formulée par feu le professeur de théologie à Louvain et évêque d’Ypres Jansenius. Van Huffel était-il un inconditionnel des conceptions romaines – et jésuistes – et était-ce pour cela qu’il avait exagéré auprès de Calenus les scandales attribués au curé, pour leur jouer un mauvais tour à tous deux ? Nous l’ignorons. Peut-être n’y avait-il après tout que la rigidité caractérielle du doyen de chrétienté Van Huffel.
9Robens prit donc précipitamment ses fonctions de desservant, mais, après un an, on ne prolongea pas son mandat. Son successeur, Petrus de Scheemaecker, dut lui aussi se contenter du titre de deservitor d’Ename et on ne lui fit pas miroiter non plus une succession en bonne et due forme.42 Son mandat prit également fin un an après et ne fut donc pas prolongé ; son dernier acte dans le registre paroissial date du 6 avril 1655.
10Van Huffel écrivait du reste dans son rapport de 1655 (après sa visite pastorale du 20 avril) : « le temps presse de prendre une décision définitive au sujet de cette fonction de curé » et certainement sitôt que le « sieur Schuermans obtiendra ailleurs une dignité, à laquelle il a, à ce qu’on dit, accédé. »43
11Quelques mois plus tard, il semble qu’on ait lancé un appel à candidatures, lequel coïncide du reste – fût-ce sans relation de cause à effet – avec le décès de l’archevêque Boonen le 30 juin.44 Le 12 août 1655 au plus tard, arrivait le successeur : Carolus de Pottere, un religieux de Grimbergen.45 Cette abbaye de chanoines prémontrés située entre Bruxelles et Malines engageait systématiquement ses religieux dans la pastorale paroissiale. Il n’est pas difficile de comprendre que les moines d’Ename, après ces problèmes sans fin avec des prêtres séculiers, savants ou non, ne sachant plus à quel saint se vouer, aient fini par se tourner vers un clergé régulier d’une couleur et d’une observance pourtant nettement différente de la leur.
Notes de bas de page
36 RAR, Fonds Ename, 1256, 64v et 66r ; RAR, Oud Gemeentearchief Welden, comptes 271 et 272 ; AAM, Miscellanea, 17, pp. 326-327. – Placidius Carie n’a jamais été inscrit à Louvain ; Douai s’impose donc comme possibilité.
37 RAG, Bisdom, M 15, f° 3r ; RAR, Abdij Ename, 449. Il est également mentionné dans la liste du curé Van Brabant, UBG, Fonds Vliegende Bladen, I E 38 (d’après un compte du premier octobre 1653).
38 Entre le 8 août 1653 et le 9 mars 1654, vingt et une personnes moururent de la peste ; la moyenne des décès se situait entre sept et huit par an.
39 Il signa des baptêmes à compter du 17 avril 1653. Sa signature disparut du registre des mariages d’Ename dès le 8 février 1654 et de celui des baptêmes avant le 2 mars.
40 Sur son lit de mort, Calenus fut contraint de signer une déclaration où il reniait ses idées jansénistes (L. Ceyssens, La première bulle contre Jansénius. Sources relatives à son histoire (1644-1653), II. Bruxelles, Rome, 1962, p-465, no 1338 (Institut Historique Belge de Rome, Bibliothèque, X)). Sa mort fut un grand soulagement pour les milieux romains. Le 4 octobre 1653, l’internonce en poste à Bruxelles, Mangelli, écrivit une lettre très négative sur Calenus et Boonen, du fait de leurs idées et/ou de leurs sympathies jansénistes. Le premier novembre, il écrivit, presque avec jubilation, qu’outre Calenus, Froidmont aussi, le doyen de l’église Saint-Pierre de Louvain, était décédé : ainsi disparaissaient avec quelques mois d’écart deux éminents défenseurs de la doctrine « erronée ». Il espérait que l’université de Louvain suivrait désormais le droit chemin (L. Vos, La correspondance d’Andrea Mangelli, internonce aux Pays-Bas (1652-1655). Bruxelles, Rome, 1993, p. 117, no 275 et p. 126, no 294 (Analecta Vaticano-Belgica, 2-A, XV)).
41 Le 17 avril 1653, Robens apposa pour la première fois sa signature dans les registres. Dès le 2 mars de l’année suivante, Petrus de Scheemaecker signait déjà un baptême en qualité de nouveau curé.
42 Il était originaire de Courtrai et inscrit comme étudiant à Louvain en 1648 en qualité de « pauper », pauvre (A. Schillings, Matricule de l’Université de Louvain, V. Bruxelles, 1962, p. 488, no 360).
43 RAG, Bisdom, M 15 (le jour et le mois proviennent de M 16, f° 17r).
44 L. Ceyssens, ‘Boonen Jacobus’, dans : Nationaal Biografisch Woordenboek, 2, c. 87. – L. Vos, La correspondance d’Andrea Mangelli, internonce aux Pays-Bas, p. 329-330, no 791 : compte rendu du décès de l’archevêque et des démarches de l’internonce pour faire nommer un partisan des idées de Rome comme successeur.
45 RAG, Bisdom, M 16, f° 17r.
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