Le procès pendant
p. 136-139
Texte intégral
1Schuermans n’éprouvait pas le sentiment d’être un homme heureux. Dans les mois qui suivirent son retour, il n’attendait pas seulement l’issue de son procès, mais il cherchait aussi une autre carrière, et, il faut bien le dire, dans une direction inattendue.
2En effet, une chaire de théologie étant vacante à l’Université de Louvain, il présenta sa candidature avec quatre autres. Il est invraisemblable qu’il ait réellement cru à ses chances. Cette tentative ressemble plutôt à un acte de désespoir. Certes il était Louvaniste de naissance et, la nomination revenant aux échevins de Louvain, c’était un avantage, mais il ne faisait pas partie de l’establishment, il n’avait comme diplôme qu’une licence alors qu’on requerrait un doctorat, et il traînait de surcroît une réputation sulfureuse et la menace d’une condamnation. Et sa providence, Calenus, pouvait-elle pousser la complaisance jusqu’à appuyer sa candidature au professorat ? En fait, ses chances étaient nulles, et la Faculté de Théologie, dans une lettre d’évaluation des candidats adressée aux échevins de la Ville, ne laissait subsister aucun doute à ce sujet. « Dans notre langue commune », et donc pas en latin mais en néerlandais, elle notifiait que deux candidats devaient être déclassés d’office, dont Schuermans. Il était « jugé incapable, notamment parce qu’il avait démontré la médiocrité de ses capacités et de son assiduité, tant pendant sa licence qu’auparavant. » Nous connaissions déjà son intelligence, mais son zèle et son sérieux devaient laisser à désirer et cela dès le début de ses études. D’une égale gravité était naturellement qu’il lui « manquât […] la bonne réputation qu’un professeur public de la Sainte Théologie » se doit d’avoir, et le fait qu’un procès était en cours devant l’official le rendait absolument « inapte à quelque promotion que ce fût dans la faculté de la Sainte Théologie. »16
3Schuermans n’avait donc guère mieux à faire qu’attendre la sentence à Ename ou ailleurs.
4Cependant les lents rouages du Tribunal Ecclésiastique devaient continuer à tourner sans que le soin des âmes à Ename et Nederename en souffrît trop. En 1650 et 1651, on parcourut toutes les étapes de la procédure : Schuermans eut d’abord la possibilité de se justifier en présentant une responsio, une défense, après quoi le procureur puis à nouveau la défense purent ajuster et nuancer leurs positions. De toutes les pièces établies à ce sujet, rien n’a été conservé. Par contre, nous savons que le greffier du tribunal en envoya copie aux parties concernées entre novembre 1649 et le 16 juillet 1650.17
5Le 5 octobre de cette année-là, on fit même une copie de l’acte d’accusation pour le diocèse de Bruges.18 Le flirt avec Maria Hughe dans le polder et dans les dunes n’y était pas oublié et il est clair qu’on avait tout vérifié jusque dans les moindres détails. Dans un compte apuré le 13 octobre 1651 – donc environ un an plus tard –, mais qui mentionne des dépenses remontant à 1647 et qu’on ne peut dater avec plus de précision, on pouvait même lire qu’on avait payé une indemnité de manque à gagner à des transporteurs qui avaient résidé onze jours durant à Audenarde avec leur chariot. Reconnaissons que le greffier du tribunal, Simon Jordaens, avait mis une rare persévérance à rechercher et à rassembler des témoignages ! On ne pouvait certes pas suspecter la cour de ne pas avoir mené l’instruction avec soin.19
6Dans la lettre du 21 janvier 1651 adressée par la Faculté de Théologie au magistrat de la ville de Louvain et déjà mentionnée, on peut lire que le procès était encore pendant. Il était certainement terminé en janvier 1652.20 À en juger par des dates reprises plus tard, il semble que la sentence soit tombée le 25 avril 1651 ou juste avant.
7Les registres de sentences de l’Officialité de l’Archevêché ne nous ont hélas pas été conservés pour cette période. Nous ne savons donc pas avec une absolue certitude à quelle peine fut condamné Schuermans. Il a pu s’agir d’une peine corporelle ou infamante (une incarcération par exemple), ou d’une peine ecclésiastique (comme un pèlerinage), ou encore d’une amende. La peine la plus lourde pour des délits de cette sorte comportait quelques années de bannissement hors de l’archevêché, ou, pis encore, l’exclusion du ministère.
8Des traces à Ename nous permettent-elles d’en savoir plus sur la mesure disciplinaire ? Le seul changement matériel que nous puissions encore constater, c’est qu’à compter de sa fuite à L’Écluse et en dépit de son retour avec l’aval de l’archevêque Boonen, il ne tint plus jamais lui-même les registres paroissiaux. Il est clair qu’on ne lui pardonnait pas d’avoir insisté pour qu’on falsifie à Pamele l’enregistrement de son fils.
9Schuermans s’en est-il tenu à cette seule fornication dans sa vie, les sources ne nous permettent pas de le prouver. Cependant ses relations avec Dame Marie et avec Maria Hughe ne semblent pas toujours avoir pris un tour purement platonique. En tout état de cause, il continua à en porter les lourdes conséquences, en dépit du soutien de l’archidiacre Calenus. Ce dernier ne semble pas être intervenu dans le déroulement du procès lui-même.
Notes de bas de page
16 L. Ceyssens, La première bulle contre Jansénius. Sources relatives à son histoire. 1644-1653, tome II, Bruxelles, Rome, 1962 (Bibliothèque de l’Institut Historique Belge de Rome, fasc. X), no 960, pp. 115-117. – Un jésuite, Ignatius Derkennis, opposant notoire à l’autonomie de la Faculté de Théologie de Louvain, nota vers cette période les noms des cinq candidats mais il ne consacra pas le moindre commentaire à Verschuren, comprenez Schuermans, lequel fut d’emblée écarté (Ib., p. 104).
17 AAM, Officialiteit, boîte IX, Rekeningen, In officii causis 9bris 1649 usque… jul. 1650, non folioté f° 5r : mention de la copie d’au moins six pièces.
18 AAM, Officialiteit, boîte IX, Specificatio vacationum causarum officii… pro mensibus octob. novemb. et decemb. 1650.
19 AAM, Officialiteit, boîte IX, Computus Simonis Jordaens graphiarii, 1647-1651, p. 48.
20 AAM, Officialité, boîte IX, Specificatio causarum et vacationum procuratoris officii… mensibus jan., feb et martii 1652.
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