Maître Hendrik Gassesmet
p. 55-59
Texte intégral
1Le chirurgien Henricus Gassesmet, nous l’avons vu, avait, dans les jours qui suivirent la naissance de Jantje, rappelé le curé Schuermans au respect de ses engagements.
2Le patronyme Gassesmet, de consonance allemande et signifiant ‘forgeron (ou orfèvre) de la ruelle’, n’apparaît pas à Audenarde, hormis dans sa propre parentèle. Selon les livres de bourgeoisie, il était en effet un immigrant : « Maître Heindrik Gassensmet f(iliu)s Jans natif de Nieuport » avait demandé sa bourgeoisie le 4 décembre 1626 de la municipalité et l’obtint, après le délai officiel d’un an et un jour, le 11 janvier 1628. Il habitait alors depuis au moins dix ans à Pamele, car dès le 7 octobre 1618, on tient sur les fonts baptismaux un petit Georgius Gassesmet. Le couple occupait une maison dans la rue Tusschen brugge (maintenant Tussenbruggen, Entre les Ponts).75
3Les gens qui exerçaient la profession de chirurgien dispensaient des soins médicaux mais n’avaient pas bénéficié d’une formation universitaire ; ils allaient en apprentissage auprès d’un confrère plus âgé. Nous ne savons pas où et auprès de qui Gassesmet apprit le métier. Les registres de baptême de sa ville d’origine, Nieuport, sont conservés aux Archives de l’État à Bruges, mais ils ne commencent qu’en 1600 si bien qu’on ne pouvait guère espérer l’y trouver encore mentionné. Le résultat de nos recherches fut en effet négatif, et nous fûmes en outre frappé qu’on n’y rencontrait aucun homonyme, si bien que, là non plus, les Gassesmets n’étaient pas autochtones. Son nom allemand accrédite une origine extérieure à la Flandre et une présence brève dans l’active et stratégique ville portuaire.
4À Audenarde, Gassesmet fréquentait d’autres natifs du littoral. Cela apparaît lorsque, le 2 novembre 1635, on baptise à Pamele Andria Maria Gassesmet, la fille que lui avait donnée sa (première) épouse, Catharina Pevenaige. Comme parrain, on demanda Franciscus de Lattre (on écrit encore « de Latere » selon l’usage brugeois) ; comme marraine, une certaine Maria Hughe. Nous connaissons déjà le premier nommé, le patron chez qui travaillait Kathelijne Schamelhaut et dans la maison duquel elle fut séduite ou violée. C’était un Brugeois qui n’accéda qu’en 1648 à la bourgeoisie d’Audenarde.
5Maria Hughe, elle non plus, n’était pas originaire d’Audenarde : son patronyme seul renvoie déjà à la zone littorale. Peut-être n’habitait-elle que depuis peu dans la ville ; manifestement, le curé qui rédigea l’acte de baptême ne la connaissait pas car il ne l’inscrivit comme marraine qu’après coup. Nous retrouverons Maria Hughe par la suite, entre Bruges et L’Écluse (Sluis) : c’est un personnage-clé de la chronique scandaleuse de Jan Schuermans. Nous y avons d’ailleurs déjà fait allusion.
6Hendrik Gassesmet, Frans de Lattre, Maria Hughe : il semble bien que ces petits bourgeois immigrants originaires de la même contrée – Bruges et Nieuport – aient recherché la compagnie de leurs compatriotes et aient constitué un cercle d’amis très soudé. D’autant qu’ils n’habitaient pas loin les uns des autres. Tous ont joué un rôle dans la vie du curé Schuermans, mais comment entra-t-il en contact avec eux ? On peut répondre à cette question grâce aux registres salariaux de l’abbaye d’Ename, que nous avons déjà utilisés pour déterminer les attaches de Maijken de Ruddere.
7Ces registres salariaux ne sont conservés que pour quelques-unes de ces années. Ce que nous devons au père Antoon de Loose, un Bruxellois entré en religion à Ename en 1642, à l’âge de vingt-deux ans et que son efficacité avait rapidement promu prévôt de l’abbaye.76 Cette fonction lui conférait la responsabilité de l’administration de ses droits et possessions séculiers.77 Il se révéla un organisateur efficace, et cette qualité lui valut par la suite, en 1657, l’abbatiat. Il avait alors trente-six ans.
8Mais revenons aux registres salariaux : dans celui de 1641, Hendrik Gassesmet reçoit un dédommagement pour prestations médicales.78 Trois ans plus tard, on présente plus en détail sa situation. Il était le chirurgien attitré de l’abbaye et recevait une somme forfaitaire pour tous les soins prodigués à l’abbé, aux moines et au personnel de service.79
9Hendrik avait d’abord fait une ribambelle d’enfants à Catharina Pevenaige et, après le décès de celle-ci, à Johanna Behagel, avec qui il s’était remarié le 16 juin 1643. Sa seconde épouse descendait d’une famille, d’abord de Bailleul et de Houplines et ensuite d’Anvers, qui avait accédé à la bourgeoisie d’Audenarde quelques décennies auparavant et exerçait son activité dans la tapisserie qui faisait la célébrité de la ville.80 Pour notre propos, il est plus important de savoir qu’elle était cousine de Maria le Secq, l’épouse de Frans de Lattre. Lors du veuvage de Gassesmet, c’est elle qui doit lui avoir suggéré le nom de la jeune Johanna comme possible épouse. Cette union fit des bons amis qu’étaient Gassesmet et De Lattre également des parents.
10C’est seulement début 1648 que naquit dans le foyer un petit garçon. On le baptisa le 8 janvier et on lui donna le nom de son père, Hendrik. Nous connaissons déjà cette naissance : parce que, Johanna Behaghel allaitant encore toujours elle-même son fils de treize mois – début février 1649 –, elle put servir de nourrice au fils de Schuermans, ce qui n’est pas un détail négligeable dans les quelques jours que le petit garçon eut à vivre. Le fait que son épouse allaitait elle-même son bébé, montre peut-être que Gassesmet était conscient de la valeur du lait maternel, en un temps où il était d’usage, du moins dans les familles de notables, de mettre systématiquement les enfants en nourrice. Ou bien ses revenus ne lui permettaient-ils pas cette dépense ?
11On nous signale encore une fois maître Hendrik en 1663 en tant que « Meester Heynderick surgyn » (Maître Henri chirurgien) dans une liste des fermages de l’abbaye.81 Il mourut avant le 20 juillet 1668. Son épouse était déjà décédée le 13 avril 1662 à Ename.82
12Nous avons fait le tour du cercle d’amis : en qualité de médecin des pères d’Ename, Gassesmet apprit à connaître Schuermans et le mit en contact avec la famille De Lattre, leur servante Kathelijne Schamelhaut et aussi avec Maria Hughe. Ou bien n’était-ce pas lui après tout, mais De Lattre qui avait été l’initiateur, lui qui livrait la cire, le vin, le miel, l’encens et les hosties à l’église paroissiale et à l’abbaye d’Ename ?83 Schuermans ne dénotait pas dans ce cénacle de petits bourgeois : il était plaisant et assez esseulé au début. À quel point la beauté féminine – de préférence de dames déjà mûres – détermina-t-elle l’aménagement de sa vie sociale ? La question reste provisoirement en suspens.
Notes de bas de page
75 Tout comme le Smallendam, où habitait la famille De Lattre, Tussenbruggen se trouve actuellement sur la rive gauche de l’Escaut (redressé).
76 Il fut inscrit, le 10 décembre 1621, dans le registre de baptêmes de l’église Sainte-Gudule de Bruxelles. Ses parents étaient Joannes de Loose et Catharina vander Baeren, qui, à en juger par son patronyme, était peut-être d’origine audenardoise. Il fut baptisé par la sage-femme, donc apparemment ‘in articulo mortis’ (AVB, Registres de baptêmes de la paroisse Saint-Michel et Sainte-Gudule.) Il entra au monastère d’Ename le 19 décembre 1642 et fit sa profession le 12 juin 1644. (Cf. E. Beaucarne, Notice historique sur la commune d’Eename, 2e partie. Gand, 1895, p. 322.)
77 L. Milis, ‘L’Abbaye de Saint-Sauveur à Ename’, dans : Monasticon belge. Tome VII. Province de Flandre orientale. Liège, 1977, vol. 2, pp. 45-46. – C’est ainsi qu’il avait lui-même, entre autres, droit au quadruple du revenu annuel, lorsque des habitants de la seigneurie d’Ename léguaient ou vendaient des biens (RAR, Abdij Ename, 1457 (Début)). Pour une description de ses qualités de gestionnaire, voir G. Tack, De monnik-manager : Abt De Loose in zijn abdij t’Ename. Louvain, 1999.
78 RAR, Abdij Ename, 1290, f° 40.
79 Les ‘gaiges’ se montaient à douze livres de gros flamandes (RAR, Abdij Ename, 1282, f° 12v). En pouvoir d’achat cela équivalait environ à 850 litres de blé ou encore à 180 poules (J. Vermaut, ‘Merkuriale van de abdij van Ename (markt Oudenaarde)’, dans : C. Verlinden, Dokumenten voor de geschiedenis van prijzen en lonen in Vlaanderen en Brabant (XVe -XVIIIe eeuw) - Documents pour l’histoire des prix et des salaires en Flandre et au Brabant (XVe -XVIIIe siècles), I, pp. 84-87). – Jusqu’en 1652, on retrouve encore des paiements qui lui sont faits.
80 P. van Butsele (ed.), Poortersboek van Verzitters van Oudenaarde, f° 40v et 47v - Cf. E. Vandermeersch - Lantmeeters, Kunstenaarsfamilies, pp. 164-165. – Johanna ellemême était la fille de Maarten (III) Behaghel et de Margareta le Secq, baptisée en l’église Sainte-Walburge le 25 janvier 1621. Tant son père Maarten que son frère Filips (° 28 juillet 1641) (il y avait douze enfants) étaient « tapissiers », fabricants des célèbres tapisseries murales d’Audenarde. Ce dernier émigra à Beauvais pour y mettre à niveau la technique du tissage. Maman Margareta naquit de Judocus et de Joanna Le Sec, le 30 septembre 1599. Une cousine, Florence Behaghel, épousa l’artistepeintre Simon (II) de Pape. Leur fils Simon (III) émigra également à Beauvais (cf. E. Vandermeersch – Lantmeesters, Kunstenaarsfamilies, p. 166).
81 UBG, Manuscrit 3678, parcelle 185.
82 RAG, Raad van Vlaanderen (Conseil de Flandre), 15860.
83 RAR, Abdij Ename, 1215 est un compte des livraisons de De Lattre à l’abbaye, surtout des produits cités. – Ib., 255, f° 64v.
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