Le labyrinthe aux miroirs ou l’aventure d’un sens détourné : témoignage d’une expérience compositionnelle
p. 239-264
Texte intégral
« Le vrai chemin de la découverte ne consiste pas à rechercher de nouveaux paysages, mais à regarder avec des yeux neufs. »
Marcel Proust
1L’histoire de la musique est riche en exemples de compositeurs qui se sont inspirés, soit dans leurs années d’apprentissage, soit ultérieurement, du travail des autres. Ce qui va suivre relate une expérience qui s’inscrit dans cette tradition tout en tâchant d’apporter une contribution originale à cette démarche. Il s’agit de la « re-composition » (que l’utilisation du mot me soit pardonnée, je n’ai pas d’autre terme plus approprié) du 1er Tableau de La Main heureuse. Le résultat en est une configuration musicale autonome, que j’ai nommée Le Labyrinthe aux miroirs, dont la forme et le sens s’éloignent de ceux de la musique originale. Ce « détournement de sens » s’accomplit par des moyens électroacoustiques, et notamment par la quadriphonie, essentielle au projet, qui a permis une localisation précise de chaque source sonore, clarifiant ainsi l’écoute.
2Du point de vue musical, j’ai interprété le 1er Tableau de La Main heureuse, non pas comme le commencement de la pièce de Schoenberg, mais comme le point culminant d’un autre projet musical possible. Dans ce nouveau contexte, le 1er Tableau est graduellement introduit par un jeu d’indices issus de la partition, mais présentés dans une autre disposition. Le résultat, d’une complexité croissante, sert à la présentation du texte littéraire qui, pour la première fois à ma connaissance, est entendu de façon intelligible du début à la fin.
3Après cette séquence introductive suivra la transcription électroacoustique du 1er Tableau. À la manière d’une cadence finale, une reprise variée de la première séquence laissera la forme ouverte sur un grand silence.
4Ce texte sera donc voué à la description de cette expérience. Tout d’abord, une analyse des strates et des séquences musicales sera proposée, tenant tout particulièrement compte du rapport texte/musique, générateur d’images et de gestes, à l’intérieur de la dramaturgie du Tableau. Ce développement sera suivi d’une critique de certains aspects du travail de Schoenberg, comme introduction au Labyrinthe aux miroirs.
5La nouvelle démarche compositionnelle sera expliquée au fil de son déroulement temporel : tout d’abord la première séquence re-composée, ensuite la transcription de l’original de Schoenberg, et pour finir la deuxième séquence re-composée ou coda. Enfin, une discussion sur le statut de la démarche m’a paru inévitable. Sur ce dernier point, j’essaierai de montrer combien l’expérience réalisée s’avère, à mon avis, porteuse de conséquences esthétiques, musicales et musicologiques.
Le 1er Tableau
6Cette analyse concerne uniquement les événements sonores du 1er Tableau. Celui-ci est conçu comme une superposition de couches diverses, chacune présentant un sens propre et indépendant des autres. Rien ne laisse supposer une subordination des événements purement musicaux aux voix du chœur, porteuses du texte original de Schoenberg. Musique et texte entretiennent des rapports complexes, qui vont de l’indépendance totale jusqu’à l’identité, en proposant un jeu mimétique complexe où la ressemblance et l’altérité s’entremêlent, jusqu’à aboutir à une synthèse : les doublures instrumentales des voix chantées.
7Le Tableau est composé d’un chœur, d’une trame statique qui assure la continuité, d’actions instrumentales de premier plan, et de la musique derrière la scène, laquelle, à la manière d’une cadence, ferme la forme musicale et prépare l’apparition du deuxième Tableau.
Le chœur (mes. 3 – 221. CD 1)
8Trois voix d’hommes et trois voix de femmes chuchotent, parlent et chantent le texte original de Schoenberg.
9Les familles de voix (femmes et hommes) permettent une scission dans le temps de l’action dramatique. En effet, la problématique de l’Homme est circulaire ; elle concerne son présent mais aussi son passé, comme le montrent les temps du verbe wissen (savoir) : « Du weiβt es ja », « tu le sais bien » par les voix de femmes, « du wuβtest es ja », « tu le savais bien », par les hommes. L’organisation des voix est polyphonique, avec 6 voix réelles qui se dégagent progressivement de deux troncs communs. Une fois totalement déroulée, la polyphonie à six voix se replie, donnant ainsi lieu à une sorte de miroir déformé, où le vers « ans Unerfüllbare » joue le rôle central d’axe de symétrie.
10À lui seul, le chœur présente une logique de construction complexe, avec des jeux de répétitions et d’échos d’une remarquable subtilité. Le tout ressemble à un mécanisme d’horlogerie délicat qui se met progressivement en place, et que l’on repère surtout dans les passages où la polyphonie cède la place à la synchronisation subite des voix (exemple mes. 11-12 avec la synchronisation sur « ans Unerfüllbare », ou 14-15, avec la synchronisation sur « die unirdisch sind »). Le problème de l’intelligibilité du texte et de la reconnaissance de chaque voix se pose même lorsque l’on considère les voix seules ; il est donné, en premier lieu, par l’équilibre dynamique entre les voix simultanées, parlées et chantées, et en deuxième lieu, par la localisation spatiale précise des deux familles, et de chaque voix à l’intérieur d’une même famille.
La trame statique (mes. 1 à 28. CD 2)
11La trame statique est constituée par les violons alto et les violoncelles en trémolos, auxquels s’ajoutent, un temps plus tard, la harpe et la timbale. Ces derniers instruments jouent sur des triolets de croches, par mouvement contraire de tierces mineures.
12Des douze hauteurs de la gamme chromatique, neuf (trois pour les altos, deux pour les violoncelles, deux pour la harpe et deux pour la timbale) sont jouées de façon continue. Il est aisé de constater que l’atonalité surgit par l’ambiguïté de rapports tonals superposés, plutôt que par la recherche d’intervalles inusuels. Aucun intervalle n’est perceptible de façon nette ; des neuf hauteurs de la trame, six se jouent dans le registre grave, ce qui confère au 1er Tableau son opacité caractéristique. Au manque de lisibilité harmonique s’ajoutent la percussion, avec les attaques respectives de la timbale et de la harpe, ainsi que les archets en trémolos, ce qui confère à la trame une identité spectrale dense proche du bruit.
13La trame statique est composée de hauteurs fixes sans évolution, ni timbrale ni dynamique, à l’exception du diminuendo presque imperceptible des mes. 23 à 25 de la partition. D’une fixité harmonique et rythmique trop rigide pour pouvoir s’adapter aux événements de premier plan, elle n’est pas leur accompagnement, mais plutôt une présence envahissante contre laquelle ils réagiront pour pouvoir exister2.
Les actions instrumentales de premier plan (mes. 1 à 22. CD 3)
14Je crois déceler quatre types d’actions instrumentales de premier plan : les phrases, les irruptions, les gestes mimétiques et les doublures.
15Les phrases ne présentent pas de lien évident avec le texte et assurent une alternative motivique au déroulement musical. Elles sont porteuses d’un geste musical toujours caractéristique. Elles constituent une microforme dans la forme musicale susceptible d’être isolée du reste (Voir exemples, CD 4-15).
16Les irruptions introduisent un élément inespéré qui attire momentanément l’attention de l’auditeur. La différence avec les phrases est créée par l’absence d’un pathos caractéristique (Voir exemples en annexe à l’article, CD 16-21).
17Les actions mimétiques sont celles qui ont été influencées par les voix du chœur, mais qui gardent toujours leur indépendance. S’établit avec ces actions un jeu de répétitions et d’échos qui prolonge, sur le terrain strictement musical, le travail imitatif des voix du chœur entre elles. Dans la décomposition syllabique du texte, la mimésis avec les instruments est souvent parfaite ; d’autres fois, on sent qu’il existe un passage entre les deux sources, même quand la ressemblance n’est pas si évidemment perceptible. J’avance quelques hypothèses dans les exemples en annexe à l’article (CD 22-27).
18Les doublures sont d’une remarquable subtilité, et jouent un rôle de délivrance, de dénouement de l’action dramatique à l’intérieur du Tableau. L’imitation cède la place à l’identité entre voix et instruments à partir du vers « ans Unerfühlbare » des mesures 11-12. Un processus de simplification, produit par le nombre décroissant de voix réelles, se met en place par la suite (voir exemples : CD 28-33).
La « musique derrière la scène » (mes. 26 à 28. CD 34)
19De façon semblable à ce qui se passait avec le texte, l’action dramatique du 1er Tableau se présente divisée en deux niveaux. Le premier présente l’Homme et sa problématique fantasmatique, tandis que le deuxième regarde cette problématique « de l’extérieur », en se moquant du déroulement dramatique qui vient d’être présenté. Musicalement, ceci donne une cadence courte d’une rare violence, sur laquelle culmine le 1er Tableau. Apparaissent ici d’autres percussions (triangle, cymbale), le célesta perdant pour sa part sa fonction d’irruption pour acquérir un rôle continu. Une autre couleur instrumentale est due à l’association du piccolo et de la clarinette en mi bémol à l’unisson, soulignant la progression d’un ostinato bref et caractéristique.
Critiques
20L’analyse du 1er Tableau a permis de montrer trois strates musicales complexes menées en parallèle, dont les subtilités et les rapports ne sont pas facilement repérables à l’écoute. Cette difficulté de reconnaissance est aggravée par l’ambiguïté des dynamiques. Ainsi l’indication pp ne représente pas la même nuance tout au long du Tableau ; elle évolue en fonction de l’intention musicale et des instruments en jeu. En conséquence, le manque d’une norme dynamique générale oblige Schoenberg à inventer des signes spéciaux pour indiquer le moment où une voix se détache de l’ensemble.
21À l’analyse des voix masculines, un étrange constat s’impose : selon l’habitude répandue pour les ténors, la voix soliste est écrite en transposition d’octave dès la mesure 8 jusqu’à la fin des interventions du chœur. En même temps, elle est écrite à l’unisson avec les voix de ripieno de la mesure 3 jusqu’à la mesure 7. Je crois que Schoenberg voulait un vrai unisson entre les voix masculines à cet endroit précis, et non pas une différence d’octave – ce qui irait à l’encontre de la mise en scène, profondément « égalitaire », du 1er Tableau. Cela laisse penser que cette voix fut écrite selon deux critères différents (en transposition d’octave et en notes réelles)3.
22L’écriture du chœur, elle, se montre insuffisante pour rendre compte des subtilités expressives du discours. Les diverses actions non chantées (chuchoté, sans phonation, parlé, etc.) sont toujours symbolisées par de petites croix sur les notes, dans un système avec portée. Les indications « geflüstert » (« chuchoté »), et surtout « tonlos » (« sans ton », « sans phonation »)4, contredisent donc cette notation précise des hauteurs. La profusion d’altérations pour des actions vocales quasi muettes démontre à quels extrêmes peut conduire une écriture mal adaptée, qui, en définitive, ne fait que nuire à la compréhension des intentions du compositeur.
23Il y a donc contradiction entre l’écriture sur portée et les modes de chant demandés par le compositeur. Ou bien on tient partout compte de l’écriture sur portée (valable pour les actions chantées comme pour les autres) et, en conséquence, on est obligé de considérer comme phonatoires toutes les actions non chantées – en Sprechgesang5 –, ou bien on respecte les indications de Schoenberg sans tenir compte de la portée en ce qui concerne les actions sans phonation, et l’on revient à cette dernière uniquement pour les actions chantées. Ainsi mon travail de « re-composition » va se réaliser sur ces deux niveaux compositionnels différents : celui des modes de chant, qui feront l’objet des sections re-composées et celui du Sprechgesang, développé dans la transcription du 1er Tableau.
La première section re-composée6
24Les réflexions critiques précédentes servent à définir le cadre où les sections re-composées vont se produire. La première section présente la forme d’une introduction ; elle est issue d’un effort de simplification et d’intelligibilité de l’ensemble. Dans le Tableau original de Schoenberg, la complexité et les interactions des trois strates parallèles, ainsi que la densité timbrale de la cadence, m’ont permis d’imaginer la forme musicale comme un travail de déstructuration/récupération progressive de l’apparence originale. La métamorphose consiste donc à démonter les quatre sections de l’œuvre, qui se verront réduites à une expression plus aérée. Leur simplification sera le point de départ d’un processus de complexité croissante, dont le point culminant correspond à la transcription du Tableau.
25En premier lieu, le travail de déstructuration s’opère sur les modes de chant et la densité du chœur. Au lieu de présenter la voix chantée en alternance avec la voix chuchotée ou parlée, il m’a paru convenable d’ordonner les modes dans un ordre progressif et sans retour : chuchoté sans phonation/chuchoté sans phonation + parlé/chuchoté avec un peu de voix/chuchoté avec un peu de voix + parlé + chanté/chanté. De cette manière s’établit une sorte de genèse de la phonation, du discours verbal au musical. Les voix de ripieno ont été supprimées. La densité polyphonique du chœur est remplacée par des jeux de localisation spatiale quadriphonique, avec des décalages très rapides entre les voix (à deux exceptions près où le canon des voix devient perceptible).
26À ceci s’ajoute la réverbération, qui permet de jouer sur la perspective où la voix se situe et la profondeur virtuelle de l’espace acoustique de diffusion.
27La voix féminine est omniprésente, sauf pour une seule intervention parlée de la voix masculine.
28La trame statique est décomposée en ses éléments constitutifs : harpe – timbale – violons alto (les violoncelles sont absents).
29La harpe se présente solo en dialogue avec la voix chuchotée. Son rythme en triolets n’est pas immédiatement perceptible ; la continuité rythmique caractéristique est brisée en groupes séparés par des pauses irrégulières. La continuité sera acquise plus tard, sur un ritardando qui rappelle les premières mesures du Tableau. La harpe disparaît un instant pour revenir plus tard ; cette fois-ci, un processus de transformation graduelle se produira entre elle et la timbale, sur un rythme continu.
30Le trémolo des altos de la trame statique sera introduit par la suite, sans celui des violoncelles. Le crescendo de cette action aura la responsabilité de préparer le dénouement de la première section re-composée.
31Les matériaux relevant des actions instrumentales de premier plan, ainsi que de « la musique derrière la scène » (mes. 26 à 28, CD 34) ont été sévèrement sélectionnés, en donnant la priorité aux instruments les moins utilisés du Tableau : c’est le cas du tam-tam et du triangle. Ensuite, les doublures de la voix féminine et de la voix masculine sur le vers « Du, der das überirdische in dir hast », représentées respectivement par la flûte et le violoncelle, superposent leurs actions de façon synchrone (ces instruments sont décalés d’un temps dans la partition originale, mes. 17 et 18). Leur mouvement, parallèle à distance d’une dixième mineure, se réalise sur fond de trémolo des altos mentionné plus haut. On peut constater ici le caractère éminemment modal-tonal de ces actions, qui, dans la version originale, étaient noyées dans l’inextricable enchevêtrement des voix7.
32La doublure suivante du vers « sehnst dich nach dem irdischen » est réalisée par le hautbois, sur lequel le Sprechgesang de la voix féminine énonce « Du, der das überirdische in dir hast ». Le jeu de miroirs qui se produit entre les doublures et la voix devient ici parfaitement intelligible.
33Les pizz. des violoncelles et contrebasses se présentent ensuite, sur une structure différente de l’original : ils se configurent en petits groupes, séparés par des pauses irrégulières.
34L’accord qui, dans l’original, sert de résonance au dernier vers « Du, armer » (flûtes, clarinette en si bémol, cor en fa, trompette en si bémol et trombone) est introduit ici en solo. Il évoque la voix féminine absente.
35De « la musique derrière la scène », on entend le piccolo pp sans doublure de clarinette en mi bémol, en dialogue avec la voix (« chuchotée avec un peu de son »).
36Ensuite, les rires caractéristiques surviennent, superposés à l’accord doublant « Du, armer ». Sur les rires ainsi exposés sera introduite la transcription complète du 1er Tableau.
La transcription électroacoustique du 1er Tableau8
37La transcription présente une réduction des portées par rapport à l’original. Elles sont vingt et une au total, dix attribuées à des voix fixes (six pour le chœur, quatre pour la trame statique) et onze sans attribution particulière (pour les autres actions instrumentales), ce qui rend possible la notation de plusieurs instruments sur la même portée. Toutes les voix réelles figurent dans la transcription. Dans chaque intervention, le nom de l’instrument est indiqué.
38La partition est écrite en notes réelles incluant les transpositions d’octave du piccolo et de la contrebasse. L’écriture de Schoenberg a été ici scrupuleusement respectée, à l’exception de quelques écarts :
Actions instrumentales
39L’indication am Steg (sur le chevalet) pour les cordes ne figure pas dans la transcription. Ceci s’explique par l’absence du timbre correspondant dans le réservoir d’échantillons utilisés.
40Les indications solo/tutti manquent, étant donné que dans la transcription toutes les voix sont solistes.
41Les symboles spéciaux inventés par Schoenberg pour détacher certaines voix par rapport à l’ensemble ne sont pas inclus, pas plus que les indications de mise en scène, de mouvement des personnages, d’éclairage, etc.
42L’accord de flûtes de la mesure 19 est une octave plus grave que l’original. La raison en est d’ordre technique : le timbre échantillonné des flûtes perdait sa caractéristique instrumentale dans l’extrême aigu.
Chœur
43Il n’y a pas de voix de ripieno pour le chœur ; les unissons de voix sont remplacés par des mesures de silence.
44Manquent toutes les indications qu’impliquent des chuchotements sans phonation. Les actions du chœur sont en conséquence de deux natures : chantées (notation normale) et parlées comme Sprechgesang (des croix remplacent la tête des notes).
Écriture
45En raison des limitations techniques du programme d’écriture musicale Encore, la « musique derrière la scène » ne pouvait pas se transcrire comme l’a écrit Schoenberg, avec changements de mesure superposés (voir mesures 26 à 28). Il a fallu réécrire ce passage en réduisant à 2/8 le 3/8, le 2/4 et le 4/4. Par rapport au 3/8, l’utilisation d’une articulation appropriée a permis de contrer la différence naturelle d’accentuation entre deux groupes de trois notes (triolets de doubles croches pour le 2/8) et trois groupes de deux (six doubles croches en mesure de 3/8).
46Pour cette raison, on a rajouté huit mesures de 2/8 à la place de deux mesures de 4/4, donc à partir de la mesure 25 le nombre de mesures ne coïncide plus avec l’original (six mesures de plus, au total trente-cinq pour la transcription et vingt-neuf pour l’original).
La coda9
47L’accord de bassons de la mesure 29 avait pour fonction principale d’introduire la voix de l’Homme, dans une courte transition entre la fin du 1er Tableau et le commencement du deuxième (« in defer Ergriffenheit », « avec une profonde émotion », mes. 29 et ss.).
48Dans la transcription, la voix de l’Homme a disparu pour laisser place à la deuxième séquence de re-composition (coda), qui s’articule à partir de ce même accord. Dans ce nouveau contexte, il m’a paru nécessaire de renforcer l’accord de bassons avec les cors de la mesure 15, en suivant une logique de redistribution d’événements semblable à celle de la première séquence re-composée. Cette combinaison de bassons et de cors sert de point de départ à la reprise du motif « circulaire » caractéristique, exposé par la clarinette basse et le basson au début du Tableau. Ici, il est présenté par la clarinette basse sans la doublure du basson, comme une boucle sans fin, en perpétuel diminuendo et sans résolution10.
49L’apparition de la voix féminine (« Schweige... ») indique la métamorphose des pizz. de contrebasse et de violoncelle, en triolets de harpe parsemés de silence. Le propos est clair : à l’exception de « la musique derrière la scène », tout le 1er Tableau se trouvait contenu entre ces deux moments, maintenant associés. Mais le souvenir gardé a un déroulement temporel inverse à celui-ci ; ce qui me permet d’affirmer que la coda est une sorte de miroir psychologique, mis entre parenthèses, du 1er Tableau.
50« So oft schon ? » (« Si souvent déjà ? ») est la fin et le commencement. La forme reste ouverte, la musique se prolonge sur la vie. Une longue plage, vide de son et pleine de sens, parachève cette « aventure labyrinthique ».
Spatialisation
51Une des raisons de l’opacité acoustique du Tableau de Schoenberg est le manque de différenciation acoustique entre les sources instrumentales et les voix, insérées dans des strates qui gardent, chacune, une logique particulière forte à l’intérieur de l’ensemble. L’électroacoustique permet de façonner avec une grande précision l’intelligibilité des sources, à partir d’une spatialisation personnalisée et unique pour chaque voix. À l’origine, cette spatialisation a été réalisée en quadriphonie ; mais il est intéressant de constater que, même dans la réduction stéréo du CD, les voix continuent de garder un profil net et différencié.
52La spatialisation dépend de l’interaction de plusieurs facteurs dont il est impossible de discuter ici. L’un de ces facteurs est la localisation de la source, déterminée par des différences extrêmement rapides entre les canaux. Un autre facteur est le type et la quantité de réverbération du signal. Le rapport entre le signal direct et le signal réverbéré permet de construire des « salles virtuelles », que l’on peut personnaliser et particulariser pour chaque voix. Elles sont immédiatement repérées par l’oreille, qui va associer le son avec sa résonance dans un tout indivisible. La réverbération étant à son tour enregistrée, il est possible aussi de jouer sur les différences de localisation par rapport au signal direct. Par exemple, on peut positionner les deux signaux dans le même endroit ou bien inverser leur localisation pour obtenir d’autres effets acoustiques.
53Pour la spatialisation du 1er Tableau, j’ai suivi l’analyse par strates et séquences déjà exposée plus haut. Pour le chœur, il m’a paru nécessaire d’établir deux couches11, féminine et masculine, qui correspondent à la localisation frontale et postérieure des voix (voir en annexe « Spatialisation du chœur »). Les trois voix féminines sont distribuées sur une ligne frontale (avant-gauche, avant-droit, centre), en disposition oblique par rapport aux voix masculines (arrière-droit, arrière-gauche, centre). Cette disposition se maintient jusqu’à la mesure 17, où la première voix masculine se déplace vers l’arrière-centre. Parallèlement, la voix féminine se répète à l’avant-droite et à l’avant-gauche, avec un déphasage de quelques millièmes de seconde entre les deux signaux (mes. 17 à 19). Un triangle acoustique s’établit ainsi entre les premières voix, masculine et féminine, lequel mettra en valeur l’interprétation du vers « Du, der das überirdische in dir hast, sehnst dich nach dem irdischen ! » Les réverbérations correspondantes, de l’ordre de deux secondes, suivent la même localisation spatiale que les voix.
54La spatialisation des voix a des incidences sur la distribution des instruments qui réalisent des doublures : par exemple les bassons récupèrent la configuration des voix féminines, et se situent au même endroit que les voix qu’ils doublent (mes. 13 et 14). Le violoncelle solo, qui double la première voix masculine, est situé comme elle à l’arrière-centre. La flûte et le hautbois sont positionnés frontalement, à l’extrême gauche et à l’extrême droite, respectivement, en suivant les doublures de la première voix féminine (mes. 17 à 19 toujours). Les trois instruments présentent une réverbération croisée (voir en annexe « Spatialisation du chœur et des doublures instrumentales »). Pour faciliter l’intelligibilité, la réverbération des instruments disparaît au moment de la doublure, et leur intervention se fond tout naturellement avec la réverbération des voix.
55La trame statique présente une spatialisation diffuse qui contraste nettement avec celle des instruments et des voix. La harpe est située au centre-droit, et les timbales au centre-gauche, dans une position qui ne permet pas une localisation précise. Les violoncelles et les altos, pour leur part, se distribuent respectivement sur deux bases stéréo croisées, avec des déphasages minimaux pour augmenter la sensation d’espace. La réverbération se situe à l’avant-centre et à l’arrière-centre. Tout est fait pour que la trame statique soit partout mais aussi nulle part, et aussi pour éviter qu’elle n’entre en concurrence avec les actions de premier plan (voir en annexe « Spatialisation de la trame statique »).
56Par rapport aux actions mimétiques, les instruments se détachent de la localisation des voix, mais en essayant de favoriser la perception de Limitation. Par exemple sur « Glaub der Wirklichkeit » (mes. 8-9), le trombone se trouve à l’arrière-droit, tandis que les deuxièmes voix masculine et féminine se situent, respectivement, à l’arrière-gauche et à l’avant-droit. Cela produit l’illusion d’un déplacement rapide entre le Sprechgesang, le chanté, et l’imitation instrumentale.
57Pour les autres actions instrumentales, la spatialisation tient compte en général de la distribution classique de l’orchestre, où les instruments les plus puissants sont aussi les plus éloignés du chef d’orchestre et du public, tandis que les instruments de moindre sonorité sont les plus proches. Du point de vue électroacoustique, cela retentit sur la durée de la réverbération et sur sa distribution spatiale. Ainsi, les différences de sonorité se voient favorisées par une spatialisation diffuse et croisée entre l’avant et l’arrière pour les cuivres (en incluant les cors), avec une réverbération qui tourne autour de quatre secondes.
58Les bois présentent une localisation beaucoup plus claire et leurs soli se situent majoritairement à l’avant. Leur réverbération est réduite à moins d’une seconde par action.
59En ce qui concerne la percussion, le célesta est situé à l’avant-droit sans réverbération, et le tamtam, à l’arrière-droit, avec sa réverbération croisée au centre-gauche.
60Les violons, les violoncelles et les contrebasses changent de position selon que leurs actions sont avec archet ou pizz. Pour les soli, la réverbération disparaît ou s’amoindrit. Pour les tutti, elle est de l’ordre de trois secondes.
61Une spatialisation toute particulière est présentée par les cordes comme préparation à « la musique derrière la scène ». Les pizz. et les actions col legno sont localisés en positions extrêmes en configurant deux spatialisations quadriphoniques classiques.
62Cette spatialisation générale sert de « valeur par défaut » au déroulement de chaque action particulière, où la situation spatiale doit être reconsidérée par rapport à l’image musicale.
63Un exemple : le geste « circulaire » exposé par la clarinette à la mesure 20, a été spatialisé en trois positions extrêmes (avant-gauche, avant-droit, arrière-droit) en suivant sa logique de répétition de la même phrase en trois octaves.
64« La musique derrière la scène » (mesures 26 à 28) représente un changement subit de situation : toutes les réverbérations, de l’ordre de quatre secondes, sont croisées par rapport au signal direct, et elles se déphasent légèrement par rapport à lui. Le célesta, la cymbale et le triangle n’ont pas de réverbération et se positionnent respectivement à l’avant-centre, à l’avant-centre (droit) et au centre. Les rires sont disséminés un peu partout dans un mixage quadriphonique à douze voix, avec de légères transpositions et décalages.
65Polarisée sur la structuration progressive du 1er Tableau, la première section re-composée reconstruit aussi sa mise en espace. Ainsi la voix féminine chuchotée du début se localise à l’avant-gauche, position qui sera occupée plus tard par la première voix féminine de la transcription. Cette position est réservée aux jeux d’identité (la réverbération, de plus en plus importante) et de transformation progressive de la voix (apparition de la voix en Sprechgesang qui double la voix chuchotée, apparition de la voix chantée).
66La voix masculine occupe une position caractéristique à l’arrière-centre. Les actions instrumentales adoptent aussi les positions qu’elles auront à l’avenir, à l’exception du triangle et du tam-tam, dont la localisation est beaucoup plus diffuse et extrême par rapport à celle de la transcription.
67Cette façon d’avancer la mise en place des voix contribuera à assurer sans souci le passage de la première section re-composée vers la transcription ; l’oreille reconnaît l’instrument et le geste compositionnel à leurs caractéristiques ainsi qu’à leurs localisations spatiales originelles.
68Les localisations de la transcription sont maintenues pour la coda. Le déplacement de la voix féminine de l’avant-gauche à l’avant-droit sur le vers « So oft schon » ? (« Si souvent déjà ? »), contribue à laisser la phrase en suspens.
Les questions restent ouvertes
69Quel est le statut de cette composition musicale hybride dont je viens de décrire le processus de gestation ?
70Les mots composition, interprétation, transcription, analyse, me viennent à l’esprit sans pour autant satisfaire pleinement la nécessité d’une définition juste. D’un point de vue général, l’expérience dont il est question ici oblige, à mon avis, à redéfinir certains concepts traditionnellement bien ficelés et cloisonnés en matière de musique et de musicologie. Il en va ainsi, par exemple, pour les concepts d’auteur, d’œuvre, de partition et de version ; l’expérience de « détournement du sens » dont il s’agit ici conduit à un questionnement sur la valeur exclusive de la partition comme résultat d’un projet, et met en relief l’importance du processus compositionnel dont l’écriture est une « cristallisation » parmi un réservoir de versions possibles.
71Dans le cas concret de La Main heureuse, ces questions d’ordre général s’accompagnent d’un souci d’intelligibilité du texte de Schoenberg, destiné, je crois, à rester incompréhensible dans l’œuvre originale (le Viennois a tout fait pour « noyer » son texte dans l’opacité musicale du Tableau). Ce manque de clarté sémantique est, bien sûr, délibéré. Mais si, effectivement, le texte est fait pour rester dans l’ombre, pourquoi tant de précision dans sa notation ?
72On pourrait me rétorquer, pour rendre justice au projet de Schoenberg, que la signification de l’opus 18 n’est portée ni par le texte ni par la musique à elle seule – Drama mit Musik –, mais que d’autres paramètres interviennent (mise en scène, éclairage, etc.), qui font de La Main heureuse un exemple remarquable de mélange des arts et d’expressions.
73Or, dans le 1er Tableau, la scène reste statique sans dévoiler le sens de ce qui se passe. Le texte contribue de façon déterminante à la compréhension de la lutte intérieure de l’Homme, qui continuera de se développer dans les tableaux suivants. On peut encore aller plus loin en affirmant que le texte est capable de guider l’auditeur par rapport à la signification de ce qu’il est en train de voir (l’animal mythologique qui mord la nuque de l’Homme, les six visages éclairés) et de lui donner ainsi sa juste dimension symbolique.
74Dans ces conditions, l’intelligibilité est-elle une façon de rendre service à la composition ou de violenter la volonté du créateur ?12
75Je voudrais que mon travail soit un hommage à la démarche de Schoenberg, comme une potentialité qui se dégagerait du 1er Tableau : « c’est l’Idée goethéenne de la plante originelle ; la tige est déjà contenue dans la racine, la feuille dans la tige, et la fleur, à son tour, dans la feuille : variations sur une même Idée »13. Cela s’appliquerait-il aussi au détournement de sens d’une œuvre ?
76L’aventure du sens détourné, comme je l’ai nommée, oblige à reconsidérer l’actualité de nos outils conceptuels, incapables de définir, de classifier ou d’analyser une expérience musicale irréductible comme celle-ci.
77En principe, le travail de re-composition pouvait être considéré comme une interprétation de la musique de Schoenberg. En effet, l’appropriation des matériaux du Viennois s’avère génératrice de sens et constitue le préalable de toute interprétation : une réactualisation de l’œuvre à partir de sa version présente.
78Cependant, on aura du mal à accepter cet élargissement de la notion d’interprétation, étant donné que la disposition des séquences et les arrangements des éléments, en somme l’administration des éléments dans le temps, ne sont pas le fait de Schoenberg. Jusqu’où peut-on modeler le style d’un compositeur par le biais de l’interprétation, sans le trahir ?
79Un autre concept qui semble tributaire de ces réflexions est celui de transcription. Ce n’est pas un hasard si elle est presque inexistante dans le domaine de la musique de notre temps ; la valeur absolue attribuée au timbre et aux matériaux doit forcément être responsable de cette absence. Nous semblons avoir perdu de vue le fait que la fonction de la transcription est, avant toute autre chose, de faire connaître l’œuvre de référence. Sans cette possibilité, la musique de notre temps, faute de versions, continue de vieillir et de se marginaliser ; d’après mon expérience de compositeur, les pièces contemporaines (à quelques exceptions près, bien entendu) se jouent une seule fois, le jour de leur création mondiale. Plusieurs transcriptions pourraient permettre une plus ample réception.
80Du point de vue de l’analyse musicale, mon approche du 1er Tableau a dû affronter une ambivalence fondamentale, provenant de la différence entre la démarche compositionnelle originelle et celle qu’elle a générée. Mon analyse du 1er Tableau est le fruit de la réflexion d’un compositeur – et non d’un musicologue – sur la production musicale d’un autre compositeur. Elle est totalement polarisée sur l’acte de création qui l’accompagne, dont elle est le revers, l’image en négatif. Elle présuppose l’ambiguïté méthodologique entre le sujet et ses outils intellectuels, d’une part, et l’œuvre à analyser, de l’autre.
81En ce qui concerne la poïésis, j’aurais des difficultés à faire accepter la nature des séquences dérivées comme ma propre création, étant donné que les matériaux sur lesquels ils reposent ont bien été composés par Schoenberg. Une indépendance hypothétique des séquences dérivées par rapport à l’original me paraît illusoire, puisque les matériaux sont les mêmes. Et voici la question incontournable : peut-il y avoir création quand les matériaux ne sont pas originaux ?
82Avec cette interrogation, la valeur mythique du matériau, en matière de musique contemporaine, est mise en question, ainsi que la notion d’originalité de l’œuvre sur laquelle repose tout l’édifice de l’art occidental.
83Les écrivains, les philosophes et les artistes plasticiens ont déjà pris à ce propos une bonne longueur d’avance par rapport aux musiciens. Ils s’interrogent depuis des lustres sur la question de l’originalité de l’œuvre. Ainsi, et pour citer un exemple très connu, prenons Pierre Ménard, auteur du Quichotte de Borges14. Le récit se développe autour de l’identité de deux textes, laquelle ne permet pas de déterminer leur paternité : Cervantes ou Ménard ? Le texte de l’écrivain argentin est devenu un classique incontournable de la littérature universelle, pour les raisons que Arthur Danto a su résumer ainsi :
« Il ne suffit pas de faire remarquer que les deux livres ont été écrits à deux époques différentes par deux auteurs n’appartenant pas à la même nation et poursuivant chacun des intentions littéraires distinctes : il ne s’agit pas là de faits extérieurs, puisqu’ils permettent de caractériser les deux livres et de les différencier, malgré leur identité graphique. Les œuvres sont donc constituées en partie par leur localisation spécifique à l’intérieur de l’histoire de la littérature, ainsi que par les relations qu’elles entretiennent avec leurs auteurs respectifs. Comme les critiques en général ne prennent pas en considération ce genre de facteurs et nous enjoignent de concentrer notre attention sur l’œuvre elle-même, la contribution de Borges à l’ontologie de l’art est vraiment prodigieuse : on ne saurait dissocier ces facteurs de l’œuvre, puisqu’ils pénètrent son essence même. Ainsi, malgré leur identité graphique, les deux ouvrages sont radicalement différents... »15
84Peut-être le moment est-il propice pour accuser réception de cette problématique à l’intérieur de notre spécialité.
85Je pense que les matériaux musicaux sont porteurs d’un sens qui peut varier à travers les époques (leur historicité) et que, comme les mots d’une langue, ils peuvent se remplir et se vider de contenu par une opération de renouvellement perpétuel. Dans ce dépassement réside, à mon avis, la force motrice dialectique de la vie : affirmation contenue dans la négation, le germe dépassé par la détermination de ses possibles. Mais, pour donner libre cours à cette transformation toujours actualisée, il faut admettre que l’œuvre puisse être toute autre chose qu’un absolu. Dénuée de toute mystification, elle se dévoile à nous comme processus cristallisé, comme quête perpétuelle de signification. C’est justement cette redéfinition constante qui ouvre la porte à une panoplie de nouvelles expériences, destinées à rajeunir nos concepts et nos comportements en matière de création musicale.
86Conséquence dérivée de notre nature changeante et périssable, le sens porté par les choses à travers les époques ne reste pas immuable ; au contraire, il se perd graduellement, il se transforme, il renaît de ses cendres pour disparaître encore, dans un cycle toujours renouvelé et toujours vivant. Le labyrinthe aux miroirs aura servi, je l’espère, à démontrer que les matériaux musicaux ne font pas exception à cette circularité.
Bibliographie
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Borges Jorge Luis, Fictions, trad. P. Verdevoye et N. Ibarra, Paris, Gallimard, 1957 pour la trad. française.
Danto Arthur, La Transfiguration du banal, trad. C.H. Schaeffer, Paris, Seuil, 1989 pour la trad. française, p. 78.
Webern Anton, Chemin vers la nouvelle musique, trad. A. Servant, D. Alluard et C. Huvé, Paris, éd. Lattès, 1980 pour la trad. française.
10.4000/books.contrechamps.1852 :Annexe
Annexes de l’article : « Le labyrinthe aux miroirs »
a) Exemples musicaux (références à la partition Universal ci-jointe)
.a) La trame statique, exemples
Clarinette basse, basson, contrebasson mes. 1 à 3 (CD 4)
Violoncelle solo, mes. 5 et 6 (CD 5)
Piccolo, flûtes, violon solo, mes. 6 (CD 6)
Flûtes, célesta, mes. 13 (CD 7)
Piccolo, flûte, célesta et violons, mes. 15 (CD 8)
Contrebasses, accompagnées par l’accord de clarinettes et cors, mes. 15 (CD 9)
Bassons, mes. 19 (CD 10)
Violons, mes. 19 (CD 11)
Clarinettes, mes. 20 (CD 12)
Violons, mes. 20 (CD 13)
Clarinette, cor en fa, trompette en si bémol, trombone, tam-tam, contrebasses, mes. 21 et 22 (CD 14)
Violoncelles et contrebasses, mes. 34 et 35 (CD 15)
.b) Les irruptions, exemples :
Violons, pizz., mes. 3 (CD 16)
Clarinette basse, mes. 4 (CD 17)
Trombones, mes. 4 (CD 18)
Clarinettes en sib, mes. 5 (CD 19)
Piccolo, mes. 14 (CD 20)
Les pizz. des cordes graves, mes. 24 (CD 21)
.c) Les actions mimétiques, exemples :
« Du weiβt es ja » — (Femme 1) Piccolo, mes. 5 (CD 22)
« So oft schon » — (Femme 1) Bassons, mes. 6 (CD 23)
« Willst du nicht endlich glauben » — (Homme 1), à la mes. 8, est partiellement imité par le hautbois aux mesures 8 et 9 (CD 24)
« Glaub der Wirklichkeit » — (Homme 2 : chanté, Femme 2 : Sprechgesang) des mesures 8 et 9, est partiellement suivi par le solo de trombone (CD 25)
Sur « Sie ist so, so ist sie » — (deuxième et troisième voix masculine) à la mesure 9, le rythme syllabique est partiellement doublé par les pizz. de contrebasse (...istso...) pour, ensuite, se détacher du synchronisme (...ist sie...) (CD 26)
« So ist sie und nicht anders » — (Femme 1) paraît repris par le cor anglais en solo aux mesures 9 et 10 (CD 27)
.d) Les doublures, exemples
Les doublures commencent à partir du vers « ans Unerfüllbare » des mesures 12 et 13, où les deux voix réelles masculines sont chantées à l’unisson avec le basson et les pizz. de contrebasses (CD 28).
Ensuite, les trois voix réelles féminines seront doublées par les bassons, en donnant lieu au jeu complexe d’échos des mesures 13 et 14 sur « immer wieder überlässt du dich den Lockungen deiner Sinne » (CD 29).
D’autres doublures subtiles vont suivre :
À la mesure 16, sur le « Ir.../ » de « Irdisches Glück », les hauteurs des voix masculines sont anticipées par les bassons et les cors en fa, qui vont constituer, immédiatement après, un accord à six voix avec les flûtes. Cette action est complétée par une doublure de cors en fa des deuxième et troisième voix féminines sur « Du armer ! » (CD 30).
D’autres unissons apparaissent cachés entre les plis d’un moment assez complexe à l’audition : les trombones de la mesure 17 couvrent la deuxième et la troisième voix masculine sur « Du armer ! Du... ».
Les pizz. de violon de la mesure 17 doublent, quant à eux, les deuxième et troisième voix féminines, sur « Irdisches Glück » (CD 31).
Les mesures 17 à 19 marquent l’apothéose des doublures, avec les interventions, très poétiques, du violoncelle à l’unisson avec la première voix masculine, et de la flûte et du hautbois, en unisson alterné avec la première voix féminine. Un remarquable jeu d’échos se produit ainsi sur « Du, der das überirdische in dir hast sehnst dich nach dem irdischen ! » (CD 32).
Les mesures 21 et 22 sont un exemple de grande finesse en matière d’orchestration sur le vers final « Du armer ! ». Tandis que la première flûte suit le déroulement mélodique de la première voix féminine, la deuxième flûte renforce, avec les trombones, les hauteurs de la première voix masculine, produisant ainsi une sorte de caisse de résonance harmonique de cette dernière. Le diminuendo général de la mesure 22 va permettre de laisser surgir d’une façon presque magique, la dernière note de la voix féminine qui chante « .../mer ! » (CD 33).
b) Partition Universal du 1er Tableau de La Main heureuse. (autorisation du 14 mars 2001)
Notes de bas de page
1 Renvois à la partition d’orchestre Universal Edition Nr. 13 613.
2 Tout cela, bien entendu, est de grande importance pour pouvoir comprendre les intentions compositionnelles de Schoenberg, qui souhaite illustrer la contradiction psychologique de l’Homme par ce combat musical pour la suprématie entre la trame statique et les autres actions.
3 Curieusement, l’unisson de la mesure 20 est traité en suivant la transposition d’octave.
4 Indication pour les voix masculines à la mesure 15.
5 Surtout si l’on tient compte de la coïncidence d’écriture entre les actions non chantées de La Main heureuse et, par exemple, la notation du Sprechgesang du Pierrot lunaire.
À ce propos, l’explication donnée par Schoenberg dans la note de la page 1 de la partition de La Main heureuse paraît
« Diese Noten [...] sollen genau zur angegebenen Zeit gesprochen und Solange ausgehalten werden, wie die Vorschrift anzeigt Die Tonhöhen, insbesondere aber die Verhältnisse der einzelnen Tonhöhen zu einander, sind entsprechend wiederzugeben. Nicht durch Singen (d i Festhalten der Tonhôhe) sondern sprechend. indem die angegebene Tonhôhe sofort wieder aufgegeben wird ».
« Ces notes (avec des petites croix) doivent être parlées au moment précis en gardant la durée indiquée. Les hauteurs et en particulier les rapports des hauteurs individuelles entre elles, s’interprètent en correspondance avec la partition. Ceci ne se fait pas en tenant les hauteurs, comme dans le chant, mais en parlant, c’est-à-dire en abandonnant les hauteurs immédiatement après les avoir proférées. »
Ceci constitue une explication parfaite de la technique du Sprechgesang.
6 Voir CD 36 jusqu’à 3’06”.
7 On l’a dit, il s’agit bien d’atonalité par superposition de couches.
8 Voir partition annexe, et CD 35 et 36, à partir de 3’06
9 Cf. CD 36 à partir de 5’25”.
10 Avec la reprise du motif du début, qui succède immédiatement à la « musique derrière la scène », je n’ai fait qu’avancer une idée que Schoenberg aura plus tard, en présentant la même disposition de séquences à la manière d’une transition entre le 3e et le 4e Tableau (mes. 200 à 204).
11 Avec cette distribution, je suis la logique « en deux temps » du texte, analysée plus haut (voir Le chœur).
12 La question est particulièrement pertinente par rapport à la composition musicale de Schoenberg et de ses disciples. Sur ce propos, la conférence du 7 Mars 1933 d’Anton Webern paraît mettre en évidence un idéal partagé par les trois Viennois quand il se demande :
« Mais comment s’y prendre pour se rendre intelligible ? En s’exprimant aussi précisément que possible ; ce que l’on dit doit être clair. Il ne faut pas se perdre dans des considérations vagues. Il existe pour cela un terme bien précis : la compréhension (Fasslichkeit). Le principe suprême de l’expression de toute pensée est la loi de la compréhension » (Chemin vers la nouvelle musique, trad. A. Servant, D. Alluard et C. Huvé, Paris éd Lattès 1980 pour la trad. française, p. 61).
13 Anton Webern, conférence du 19 février 1932, op. cit., p. 134.
14 Jorge Luis Borges, Fictions, trad. P. Verdevoye et N. Ibarra, Paris, Gallimard, 1957 pour la trad, française.
15 Arthur Danto, La Transfiguration du banal, trad. C.H. Schaeffer, Paris, Seuil, 1989 pour la trad., p. 78.
Auteur
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