Une poétique1 de la dualité
p. 211-225
Texte intégral
1La Main heureuse est l’histoire d’un échec : celui de l’Homme en quête d’un accomplissement impossible à réaliser et celui d’une œuvre jamais complètement reconnue. Le drame de Schoenberg présente néanmoins un grand intérêt pour une étude sur l’imaginaire en ce qu’il est représentatif d’une époque et d’une société en mutation. Celle-ci exprime une tension entre deux mythes directeurs2, celui de Prométhée, le voleur de feu qui célèbre le triomphe de la technologie au XIXe, et le mythe décadent, avec ses figures emblématiques (l’artiste maudit, l’androgyne, la femme fatale, le mystique...) liées à une poétique du désenchantement que reflète ici le mythe de Sisyphe. Ce constat nous incite à étudier tout particulièrement le problème de la relation entre monde intérieur et monde extérieur chez un artiste comme Schoenberg, enclin à accorder une place privilégiée à l’intériorité, comme tous les hommes de son temps dont il se fait, dans cette œuvre, le porte-parole. C’est en effet cette frontière entre le dedans et le dehors que l’on veut explorer ici, à la lumière des études sur l’imaginaire, défini par Gilbert Durand, comme le trajet3 des forces vitales, des pulsions intérieures et des « intimations objectives » qui contribuent à l’élaboration des sens poétique et musical4.
2L’on montrera comment le dynamisme inhérent à cette conception qui ne veut privilégier ni le conscient ni l’inconscient, ni l’individuel ni le collectif, permet de dépasser le problème de la dualité entre esprit et matière, raison et imagination, vécue à un degré d’acuité intense par Schoenberg et par toute une génération.
3L’imaginaire a donc été envisagé ici comme un « carrefour d’échanges » entre les pulsions et le monde, ayant pour fonction de construire un espace humanisé, chargé de lutter contre le temps et la mort. Or, cette problématique temporelle inhérente à La Main heureuse, comme l’a bien montré Joëlle Caullier dans son article, est inscrite au cœur même de l’imaginaire durandien. Celui-là pallie lui aussi l’angoisse humaine devant le temps et la mort en cherchant des réponses dans un certain rapport à l’espace, conçu comme le prolongement des gestes du corps humain. On peut observer dans La Main heureuse des traces de l’effort de Schoenberg pour donner valeur humaine à l’espace qui entoure l’Homme, notamment à travers l’expérience de la synthèse des arts, même si « cet effort de l’être pour dresser une espérance vivante envers et contre le monde objectif de la mort »5, demeure vain.
4Dans ces perspectives, on étudiera tout particulièrement ici le problème de la dualité inhérente au livret, à travers le filtre d’une époque qui va peu à peu renouer avec la matière grâce à une nouvelle représentation de la femme, suscitée, entre autres, par la psychanalyse, initiatrice d’un nouveau rapport au corps.
5Nous verrons que ce qui est questionné dans la nouvelle conception du féminin au début du siècle, c’est non seulement le corps mais, à travers lui, la matière qui a toujours été associée, dans notre culture occidentale aux valeurs de l’intériorité et de l’imagination. Appelée « folle du logis » par Descartes, l’imagination avait, jusqu’à la fin du xixe siècle, été tenue pour méprisable au regard de la toute-puissante raison à laquelle l’Europe cartésienne avait attribué les valeurs masculines d’efficacité et de rendement. Or, c’est vers un renversement des valeurs que l’on s’achemine au tournant du siècle où une tentative de fusion idéale entre esprit et matière, raison et imagination, va se substituer à la coupure instaurée par Descartes. Représentée notamment dans la peinture de l’époque par le mythe de l’androgyne, cette fusion se manifeste également dans d’autres domaines de l’art et dans la musique en particulier.
6L’objectif de cet article est donc de souligner dans un premier temps les tensions à l’œuvre dans le livret, représentatives de la sensibilité nouvelle de ce début de siècle, avant de s’attarder plus longuement sur le mythe de l’androgyne qui affleure ici ; on tâchera de montrer ainsi les interactions incessantes entre l’intériorité et le monde extérieur qui nourrissent tout autant l’imaginaire des artistes que celui de leur époque.
Les tensions à l’œuvre dans le livret
Du son au geste
7Dans le livret, l’Homme manifeste d’un bout à l’autre la même attitude : restant fixé à son monde intérieur, il ne peut percevoir le monde extérieur. En effet, il ne voit pas les êtres qui l’entourent. Schoenberg écrit, scène 2 : « il ne peut pas regarder en arrière ; il regarde toujours fixement en face ; elle reste toujours derrière lui ». Schoenberg n’hésite pas à souligner ce décalage entre la réalité et le rêve, par exemple en faisant dire à l’Homme : « Comme cela fait du bien de te voir », alors qu’il ne peut la voir réellement puisqu’elle se tient toujours en arrière et qu’il sent seulement sa présence. De même, lorsque la Femme s’en va à la fin de la scène 3, « l’Homme ne réalise pas qu’elle est partie », pas plus qu’il ne voit le Monsieur ; mais il sent sa présence par d’autres moyens que la vue. Dans la scène 1, c’est la musique « violente et gaie » qui entraîne le changement de position de l’Homme qui, « au même moment, se lève d’un bond ». Mais, alors qu’il est debout : « il a la tête enfoncée dans les épaules » et ne voit pas le monde autour de lui.
8Si l’Homme ne voit pas, en revanche, il entend, et c’est par ce seul moyen qu’il perçoit le monde : on trouve à ce propos plusieurs exemples dans le livret. Après l’entrée de la Femme, dans la scène 2, il sent sa présence sans la voir, et entend le son d’une trompette qui a pour effet de déclencher la remise de la coupe : « bien que ni l’un ni l’autre n’ait bougé de leur place et que l’Homme n’ait jamais regardé la Femme », précise Schoenberg. À la fin de la scène, lorsque la Femme vient s’agenouiller devant lui pour lui demander pardon, « l’Homme l’écoute sans la regarder ».
9L’absence de perception visuelle et tactile de la réalité provoque chez l’Homme une acuité auditive doublée d’une vision plus nette de son monde intérieur qui se trouve ainsi projeté à l’extérieur. C’est pourquoi Schoenberg accorde tant de place aux décors et à la mise en scène, au détriment d’un texte qui demeure, bien souvent, pauvre et répétitif. Par cette disproportion entre ce qui est vu intérieurement et ce qui est dit, le compositeur révèle sa propre difficulté à s’adapter au monde ambiant.
10Dans La Main heureuse, l’Homme semble produire lui-même les images dans chaque scène, selon un procédé qui part toujours du sonore pour se diriger vers le visuel : c’est le son, ainsi que certains verbes soigneusement choisis par Schoenberg (et prononcés par le chœur ou par l’Homme), qui déclenchent les visions intérieures et les changements de tableaux : par exemple, dans la scène 1, c’est le mot « vaincre » qui provoque l’audition de la musique violente et gaie, laquelle a pour effet de faire se lever l’Homme jusqu’à présent étendu sur le sol. De même, à la fin de la scène 2, c’est le verbe « posséder » (« Je te possède pour toujours ») qui déclenche l’obscurité de la scène.
11Ainsi, ce retentissement de l’image, au sens bachelardien du terme, procède toujours du Verbe6, ou du phénomène sonore en général, pour guider ensuite l’action des personnages. Ce phénomène de retentissement ou d’échos, par lequel est produite une image, éveille la sensorialité : en apparaissant, l’image se diffuse à travers tous les sens, suscitant non seulement des sensations tactiles, auditives, kinésiques, etc., mais réveillant aussi des souvenirs et des expériences antérieures qui irriguent à leur tour les autres sens, les informant en quelque sorte du retour à la même situation. C’est ainsi, par exemple, que la souffrance de l’Homme est rendue « visible » et audible par le crescendo de lumière et de musique qui réveille à son tour le souvenir d’une situation antérieure, l’entrée de la Femme et du Monsieur, scène 2, qui avait provoqué le malaise de l’Homme, avant que la Femme ne se précipite pour lui demander pardon. D’où le caractère circulaire du temps dans La Main heureuse, où sans cesse se répètent les mêmes situations, comme d’ailleurs l’indique clairement Schoenberg, en reprenant, à la fin de l’œuvre, les matériaux initiaux.
12Mais le rôle ultime des images ou visions n’est pas seulement de se diffuser en irradiant tous les sens, il est aussi de suspendre la signification en neutralisant en quelque sorte le sens commun des mots et des images pour donner, à travers la métaphore, un corps nouveau au discours musical et verbal. Cet effet de suspension permet à l’Homme de se relier en profondeur à la vie et d’exprimer le lien ontologique qui l’unit à tous les êtres. Ainsi, tout se passe comme si l’Homme, incapable d’exprimer sa pensée par des mots, parvenait à la formuler à travers des visions matérialisées par une mise en scène et des décors particulièrement soignés : il existe de ce fait, dans le livret, une relation souterraine incontestable entre les gestes des personnages, leurs postures (assise, étendue, à genoux ou encore sur les genoux et sur les mains) et les objets qu’ils saisissent, eux-mêmes éclairés par une lumière et des couleurs symboliques, qui attestent une cohérence authentique de l’imaginaire schoenbergien. C’est par là que l’Homme se relie non seulement aux choses et aux êtres qui l’entourent mais à l’humanité tout entière, exprimant une procédure universelle qui précède le langage et qui s’incarne dans le geste, la couleur et surtout le son, véritable déclencheur d’images. À cet égard, La Main heureuse apparaît comme la mise en scène de l’expérience essentiellement artistique de ce qui conduit au langage, mais n’est pas nécessairement linguistique.
13On dirait même que l’absence de perception visuelle directe et l’échec du langage chez l’Homme ont aiguisé ses sens, lui permettant de retrouver les gestes d’un langage primordial que l’art a pour tâche de restituer.
Les schèmes de la verticalité et de la descente dans La Main heureuse
14On a vu que l’imaginaire était, selon Gilbert Durand, à la racine de la pensée, et constituait une réponse donnée, par le biais de l’espace, à l’angoisse de l’homme devant le temps et la mort. Les images qui le composent sont pour lui des symboles, c’est-à-dire qu’elles sont dotées d’une signification intrinsèque et se répartissent en deux grandes catégories ou « régimes » : le régime diurne (pour les symboles exprimant une lutte contre les forces obscures du temps destructeur, un désir d’élévation, de lumière), le régime nocturne (où l’on remédie au temps par la recherche de refuges dans l’intimité, ou encore à travers les cycles de retour périodique ou de progrès qui suscitent l’espoir d’une renaissance). Entre les gestes inconscients et les représentations imaginaires, il existe un lien que G. Durand appelle le « schème » et qu’il définit ainsi :
« Le schème est une généralisation dynamique et affective de l’image... Il fait la jonction entre les gestes inconscients de la sensori-motricité, entre les dominantes réflexes et les représentations. Ce sont ces schèmes qui forment le squelette dynamique, le canevas fonctionnel de l’imagination. La différence qui existe entre les gestes réflexologiques que nous avons décrits et les schèmes, est que ces derniers ne sont plus seulement des engrammes théoriques, mais des trajets incarnés dans des représentations concrètes, précises. »7
15Ces schèmes sont d’ordre verbal chez Gilbert Durand car ils désignent avant tout une action, déterminée par la volonté de se révolter contre le temps, d’en accepter le cours ou bien de le refuser. Ainsi, pour étudier un symbole, il semble plus pertinent de se référer à une action qu’à un objet :
« Trois grandes catégories me semblent toujours constituer l’appareil symbolique :
le “schème” (que j’ai appelé “verbal” métaphoriquement, puisque dans les langues, le verbe est ce qui exprime l’action)
les gestes (les schèmes sont le capital référentiel de tous les gestes possibles de l’espèce homo sapiens)
les réflexes...
Avec Marcel Mauss, je pense fermement que le premier langage, le “verbe” est expression corporelle. »8
16Dans ces perspectives, les objets sont conçus comme les prolongements des gestes et du corps qui contribuent à part entière à la constitution des images :
« Prenons comme hypothèse de travail qu’il existe une étroite concomitance entre les gestes du corps, les centres nerveux et les représentations symboliques... C’est dans l’environnement que nous allons rechercher un accord entre les réflexes dominants et leurs prolongements culturels... l’environnement humain est le premier conditionnement des dominantes sensori-motrices. »9
17Les réflexes primordiaux ou « dominantes réflexes »10 (terme emprunté à la réflexologie) constitueraient la matrice de la représentation du monde de l’homo sapiens11. Ces dominantes engendreraient les différents types de représentation du monde qui définissent chez Gilbert Durand, les « structures de l’imaginaire ».
« Ainsi, au geste postural correspondent deux schèmes : celui de la verticalisation ascendante et celui de la division tant visuelle que manuelle, au geste d’avalage correspond le schème de la descente et celui du blottissement dans l’intimité. »12
18On retrouve dans La Main heureuse ces dominantes, notamment celle d’élévation (concept que Christian Hauer développe dans son article), liée à la première structure de réflexes, et celle de la descente autour desquelles se rassemblent les images-symboles du livret13. Les objets, gestes et verbes s’engendrent ainsi les uns les autres dans une connivence secrète entre la matière et les penchants imaginaires :
« Les objets ne sont finalement que... des complexes de tendances, des réseaux de gestes. C’est ainsi que le premier geste, la dominante posturale, exige les matières lumineuses, visuelles, les techniques de séparation, de purification dont les armes, les flèches, les glaives sont les fréquents symboles... Le deuxième geste, lié à la descente digestive, appelle les matières de profondeur caverneuse : l’eau ou la terre caverneuse suscite les ustensiles contenants, les coupes et les coffres et inclinent aux rêveries du breuvage ou de l’aliment. Les gestes rythmiques dont la sexualité est le modèle naturel accompli, se projettent sur les rythmes saisonniers... en annexant les substituts techniques du cycle : la roue, le rouet, la baratte, le briquet, etc. surdéterminent tout frottement technologique par la rythmique sexuelle... »14
19Dans le livret, Schoenberg a effectivement relié les verbes exprimant la descente (la lumière tombe, l’Homme tombe, il se penche, etc.) physique ou métaphorique (lorsque l’Homme boit le breuvage) et la fusion (« je te possède pour toujours ») avec des objets creux comme la coupe et des lumières sombres (l’obscurité, les couleurs violet sombre et vert). Ces images symboliques sont non seulement dépendantes du contexte extérieur mais se relient à des matières et à des objets, eux-mêmes représentatifs de techniques spécifiques : c’est ainsi que dans la grotte éclairée, les hommes liment et façonnent à coups de marteau, tandis que la Femme a toujours ce rôle de se relier aux êtres ou aux choses (elle se confond avec les voiles et avec l’obscurité, d’une part, et tend toujours la main pour se relier à l’Homme ou au Monsieur).
20Citons maintenant quelques exemples pris dans La Main heureuse, à l’appui de ces remarques. À la fin de la première scène, Schoenberg écrit : « ... tombe sur l’Homme une longue et profonde obscurité... Au même moment, l’Homme se lève d’un bond. Les rideaux sombres se déchirent en deux... ». Schoenberg fait ici la relation entre le changement de lumière, l’apparition d’une musique « violente et gaie », le geste de verticalisation de l’Homme et le fait que les rideaux se déchirent, le tout ayant été déclenché par le mot « vaincre » prononcé par le chœur peu auparavant. De même, dans la scène 2 qui est au début éclairée seulement par un espace circulaire : « brillant d’un éclat jaune solaire éblouissant », l’Homme se tient debout avant que la Femme ne lui tende dans un geste de fusion, la coupe, éclairée d’une lumière violette venue d’en haut. « Soudain, une trompette sonne et l’Homme trouve la coupe dans sa main droite ».
21Après l’avoir bue, l’Homme devient immense et dit : « Je te possède pour toujours ». À ces mots, l’obscurité tombe sur la scène.
22La station debout de l’Homme est ici mise en relation avec la lumière jaune brillant qui évoque l’aspect solaire, masculin, du personnage. À l’opposé, le violet, couleur de la nuit, associée dans cette œuvre à la Femme, est projeté sur l’objet qu’elle tient, la coupe, symbole du sein maternel contenant ici le breuvage d’immortalité qui donnera à l’Homme, soudain démesurément agrandi, toute sa puissance. Les mots prononcés par lui : « je te possède pour toujours » déclenchent un nouveau changement d’éclairage et la scène s’assombrit. Lorsqu’elle s’éclaire à nouveau (scène 3), c’est pour laisser découvrir un paysage sauvage, rocailleux, escarpé, avec des pics, un ravin, destinés à être conquis par l’Homme, debout dans le ravin et s’y tenant « sans difficulté », tandis que deux grottes prenant tour à tour les couleurs attribuées à l’Homme et à la Femme (elles sont « jaune-vert » et « bleu-violet »), symbolisent plutôt un espace féminin. On remarque donc ici la relation entre le paysage de conquête et l’Homme héroïque, devenu alchimiste et prêt à réaliser, dans l’espace féminin de la grotte, le Grand Œuvre qui aboutira à la création du diadème serti de pierres précieuses. Notons aussi que dans cette grotte, des ouvriers liment et façonnent à coups de marteau, c’est-à-dire utilisent des techniques liées à la séparation, tandis que l’Homme, en reliant le marteau, symbole masculin (qu’il tient pour la seule et unique fois de ses deux mains), à l’enclume, hautement connotée de valeurs féminines, va faire preuve d’une plus grande dextérité. Mais après l’avoir élevé bien haut, l’Homme jette le diadème et se penche pour ramasser son épée. « Au moment où il la touche, de la main gauche, la grotte s’obscurcit », nous dit Schoenberg. C’est alors que le crescendo de vent et de musique va s’élever parallèlement à un crescendo de lumière. Pendant que la Femme va vers le Monsieur, l’Homme se penche, puis tombe à genoux, puis sur les mains dans une posture évoquant clairement une certaine animalité, qu’il retrouve d’ailleurs, puisque la fin n’est que le retour à la situation initiale où l’Homme était confondu avec l’animal qui lui dévorait la nuque. Au terme de l’œuvre, l’Homme n’a pas compris que chacun des deux mondes n’est rien sans l’autre, qu’ils sont complémentaires.
23Ainsi, dans La Main heureuse, le trajet anthropologique entre le monde intérieur et le monde extérieur est réalisé par le moyen de schèmes fondamentaux qui déterminent des « archétypes » comme l’a bien montré Gilbert Durand15. Ces schèmes ou gestes primordiaux témoignent de la présence des deux « régimes » de l’image (diurne et nocturne) qui s’opposent radicalement dans La Main heureuse16, témoignant de la déchirure du moi de l’artiste. Loin de les harmoniser, Schoenberg a maintenu la tension entre ces deux « régimes », exprimant par là même deux tendances opposées dans la création artistique : la tendance à l’ordre et la tendance au chaos.
24Pour symboliser ces deux conceptions, Schoenberg recourt au mythe : ainsi, la régression vers des formes chaotiques et primordiales de la vie et de la création évoque Dionysos, dieu chthonien adoré par les femmes (et donc, le monde nocturne et féminin de l’anima). Le personnage de l’Homme, quant à lui, se substitue tour à tour à Prométhée (celui qui a volé à Zeus l’étincelle créatrice afin de pouvoir maîtriser la Nature) puis à Hermès, le dieu des alchimistes (scène 3) pour fabriquer (pour la première fois à l’aide de ses deux mains), le Grand Œuvre qui réunit les contraires (l’or et le plomb), à l’intérieur comme à l’extérieur, manifestant par là même une nouvelle conscience, de nature androgyne.
25Hermès lui a fait entrevoir l’existence d’un monde de nature psychoïde qui atteste la présence d’une réalité commune à l’esprit et à la matière. Le comprendre acheminerait l’Homme vers la libération, mais son aveuglement doublé du rejet du diadème aussitôt fabriqué, montre qu’il n’a pas compris l’enjeu de l’expérience.
26De cette tension entre deux régimes de l’imaginaire, témoigne La Main heureuse, œuvre dans laquelle la projection des archétypes de l’Homme et de la Femme est représentative de la condition humaine qui cherche, entre ordre et chaos, le sens de son existence.
La polarité droite-gauche
27Le soin avec lequel Schoenberg a précisé dans son livret les mouvements des mains, montre que leurs positions respectives avaient pour lui un sens, un peu comme dans certaines traditions (bouddhiste et hindouiste notamment) où les mains et les doigts symbolisent des attitudes intérieures. En ce sens, la Femme peut être conçue comme le prolongement physique et psychique de la main gauche de l’Homme. On peut observer à cet égard une constante, l’association de la main avec le personnage de la Femme qui toujours apparaît dans le prolongement de la main gauche de l’Homme, tandis que toutes les actions de celui-ci sont accomplies à l’aide de sa main droite.
28Devant la répétition insistante de ce phénomène, on finit par voir en l’Homme une attitude plus générale de contemplation, qui constitue l’un des deux pôles de son psychisme (cf. scène 2 : « l’Homme regarde sa main levée », scène 3 : « l’Homme contemple sa main gauche dont les doigts sont éclairés d’un bleu vif »... pendant le crescendo de lumière et de vent, il regarde sa main gauche), l’autre étant l’action. Cette polarité droite-gauche, manifeste dans La Main heureuse, évoque par association la théorie de Wilhelm Fliess (le maître de Freud), fortement connotée de sexualité et dans laquelle des éléments biologiques, sociologiques, moraux et sexuels entrent en jeu.
29Ainsi, Fliess pensait que le côté gauche d’une personne exprimait son sexe contraire : « lorsqu’une femme est virile ou qu’un homme ressemble à une femme, nous trouvons une prévalence du côté gauche »17. Tendant vers le thème de l’infériorité féminine, la théorie de Fliess ne faisait à l’époque que renforcer Freud dans ses convictions, avant qu’il ne formule à son tour ce thème de l’infériorité féminine dans ses propres théories de la sexualité infantile.
30En ce qui concerne Schoenberg, on peut trouver dans son Harmonielehre18 entrepris à la même époque que La Main heureuse, les traces d’une misogynie certaine dans la lignée de Strindberg et Otto Weininger, deux auteurs ayant exercé une influence profonde au début du xxe siècle. On y retrouve tous les thèmes traditionnels relatifs à la question de l’infériorité féminine depuis la Genèse : la femme n’a pas d’âme, elle est liée à la matière et se trouve donc mentalement inférieure (l’hystérie, maladie exclusivement féminine, n’est-elle pas à l’origine de la psychanalyse ?).
31En projetant sur La Main heureuse cette vision négative de la femme, qui apparaît ici comme un personnage pervers, Schoenberg se référait aussi à sa propre expérience : l’échec de son mariage. C’est dans ce climat de misogynie outrancière dans lequel baignent également la littérature et la psychanalyse du tournant du siècle que s’inscrit le livret de La Main heureuse reflétant ainsi l’imaginaire d’une époque appelée à adopter une nouvelle vision du monde.
La polarité des couleurs
32Manifeste dans la polarité droite – gauche, connotée maintenant d’attributs sexués, le thème de la misogynie s’exprime également à travers le langage des couleurs qui assure une ferme cohérence au livret et à la musique de Schoenberg. Ainsi, l’éclairage a été réglé avec minutie et la couleur est utilisée tant pour sa qualité sensorielle que pour les résonances qu’elle éveille dans l’âme humaine. Comme le montre Christian Hauer, il existe dans cette œuvre des couleurs primordiales que sont le jaune et le bleu céleste, toutes deux associées à l’Homme. On peut également repérer l’association du violet et du vert avec le personnage de la Femme qui apparaît toujours dans le halo de ces couleurs froides et sombres, tandis que l’Homme lui oppose les tons les plus chauds et les plus actifs de la gamme des couleurs, le jaune et le rouge.
33Cette association de la Femme avec une couleur sombre a été établie également par Jung qui a fait la relation entre l’obscurité des profondeurs abyssales et la femme qu’il assimile volontiers à la matière :
« La question se pose au psychologue de savoir ce qu’il est advenu de cette relation si caractéristique de l’image maternelle avec la terre, l’obscurité avec la profondeur abyssale du corps de la femme à la nature instinctive et passionnée [...] avec la materia. »19
34Au début de La Main heureuse, « la scène est entièrement plongée dans l’obscurité », avec, au premier plan l’Homme étendu par terre, tandis que le fond est habillé d’un rideau violet sombre dans lequel on a pratiqué des ouvertures pour faire passer des visages éclairés en vert... Par la suite, la Femme apparaît vêtue de « voiles d’un violet pâle » et tendra à l’Homme une coupe sur laquelle « tombe une lumière violette ». En accordant dès le début la prééminence aux couleurs sombres, celles de la nuit dissolvante, Schoenberg exprime en même temps la toute-puissance de la Femme et des instincts qu’elle éveille chez l’Homme (ce que symbolisent l’animal et le rocher figurant le poids des désirs que l’Homme doit s’efforcer de soulever sans jamais y parvenir).
Animus-anima
35Quoi qu’il en soit, une place privilégiée a été accordée par Schoenberg au personnage de la Femme, présentée à moitié dénudée et provocante (« une belle jeune femme sort d’un des replis des rideaux latéraux. Elle est drapée de légers voiles..., » scène II). C’est en effet à la femme en tant que corps que s’adresse l’Homme et celle-ci apparaît comme l’initiatrice (cf. quand elle lui tend la coupe), le pôle, vers lequel l’Homme doit se tourner s’il veut accomplir sa destinée. Apparaissant chez Schoenberg comme indispensable, cette relation nécessaire au féminin rappelle étrangement les concepts jungiens d’animus et d’anima, envisagés par le psychologue comme les deux pôles de la conscience humaine que l’homme doit s’employer à réunir s’il veut vivre en conformité avec ses aspirations profondes. Jung nomme « processus d’individuation », ce cheminement vers une réalité englobant les contraires, le soi, et montre qu’une vision unitaire du monde exige ce type d’unification de la psyché, sous forme de l’union du principe masculin (animus) et du principe féminin (anima). Cette conjunctio (terme emprunté à l’alchimie où la bisexualité de l’adepte est implicite dès le début des opérations) est présentée par lui comme condition préalable à la création. Selon Jung, l’homme serait doté d’une conscience androgyne, qui se retrouve dans l’artiste de La Main heureuse, l’artisan-forgeron préparant son Grand Œuvre. L’or est ici suggéré par le « diadème serti de pierres précieuses », métaphore des richesses de l’inconscient, enfouies au plus profond de l’anima, symbolisée ici par l’enclume qui s’ouvre pour révéler le mystère de la création. À cet égard, il est significatif que l’Homme utilise pour la première fois ses deux mains pour frapper l’enclume alors que jusqu’à présent il n’utilisait que sa main droite. Le geste symbolise ici l’union des contraires réalisée pour la seule et unique fois à cet instant de l’œuvre représentant ainsi Le Grand Œuvre accompli à l’aide du marteau qui évoque l’arme des dieux et la fabrication de la foudre. L’objet redouble ainsi l’image de l’activité céleste contenue en puissance chez l’artiste, momentanément parvenu à la conscience idéale (symbolisée ici par les deux mains) de nature androgyne.
36Manifeste dans l’opposition des couleurs et dans la polarité droite/gauche, le désir d’union des contraires reste l’idéal à atteindre dans La Main heureuse où plane déjà l’ombre de cette conscience androgyne pouvant envelopper à la fois l’animus et l’anima, l’esprit et la matière, la raison et l’imagination, qualités respectivement attribuées à l’Homme et à la Femme dans l’imaginaire occidental sur lequel nous vivons encore aujourd’hui.
37La prise de conscience de cette complémentarité des contraires, initiée au tournant du siècle dans l’art et la psychanalyse, se retrouve chez Schoenberg qui montre le chemin, en s’orientant vers une complémentarité des modes de conscience masculin/féminin, perceptible en particulier dans La Main heureuse. Cette nouvelle conscience androgyne à laquelle aspire l’Homme (sans toutefois y parvenir) est particulièrement bien représentée par le mythe de l’androgyne diffusé dans l’art et la littérature, depuis le roman de Balzac, Séraphîta (1835), lu par toute la génération symboliste ainsi que par Schoenberg, comme l’a montré Joëlle Caullier.
L’androgyne mythique
38La figure de l’androgyne, symbolisant l’unité spirituelle nécessaire à la réalisation de l’œuvre, plane sur le livret de La Main heureuse qui met en scène trois personnages typiques de cette époque :
39L’Homme, identifié à l’artiste créateur avec sa dimension magique.
40Le Monsieur et la Femme fatale, deux avatars de l’Unité, symbolisée par le mythe de l’androgyne, entièrement dépouillé ici de son ancienne substance divine à travers ces deux personnages décadents20.
41À cet égard, l’androgyne représenté ici à la fois par le Monsieur et la Femme, symbolise la révolte de l’Homme contre un ordre social signifié par les six hommes et les six femmes bien cloisonnés dans leurs rôles masculin et féminin. Plus généralement, l’androgyne, auquel aspire toute cette génération, peut être considéré comme le symbole central d’une révolte contre la société bourgeoise du XIXe, ainsi qu’en témoignent les nombreuses représentations artistiques du mythe, signes d’une crise culturelle vécue à travers la relation entre les sexes.
42Jusqu’au xixe siècle, le mythe de l’androgyne est en effet conservé intact par la tradition ésotérique qui voit en lui le symbole de l’unité de l’univers, régi par les principes masculin et féminin. Ce thème sera développé au tournant du siècle, en particulier en France, chez un écrivain qui se disait mage et se décernait le titre babylonien de « Sâr » : Joséphin Péladan, auteur d’un livre intitulé De L’androgyne21, où cette figure devient symbole de beauté22 :
« L’androgyne est le sexe artistique par excellence. Il confond les deux principes, le féminin et le masculin et les équilibre l’un par l’autre. »
43Pour J. Péladan, « être beau, c’est appartenir à un troisième sexe, impassible, intangible », car la beauté va de pair avec l’élévation spirituelle, la perfection des formes étant en relation avec l’esprit qui, dit-il, « est toujours androgyne ». Il ne faut donc pas s’étonner de voir surgir au tournant du siècle une abondante iconographie de l’androgyne chez les symbolistes et en particulier chez Gustave Moreau, Puvis de Chavannes ou Gauguin, tandis que la littérature elle-même est hantée par le thème de la bisexualité (notamment dans l’œuvre de Proust).
44Les deux tendances qui font de l’androgyne le parfait symbole du grand rêve d’unité des ésotéristes et de la beauté dans l’art de l’époque, sont représentées dans la littérature romantique par la Seraphîta de Balzac et Mademoiselle de Maupin de Th. Gautier, deux œuvres exactement contemporaines (1835) et dans lesquelles s’oppose à l’asexualité angélique de la première, la bisexualité de la seconde, bien charnelle et « terrestre ».
45Entre 1835 et 1910 on assiste au passage du mythe idéalisé de l’androgyne à un être social de chair et d’os qui hantera la critique d’art de l’époque (celle d’un Baudelaire ou d’un Huysmans en particulier). Il existe en effet une différence essentielle entre le mythe idéal de l’androgyne tel que le perpétuent la tradition ésotérique représentée par E. Lévi et J. Péladan, ainsi que l’esthétique de J.-J. Winckelmann, et son incarnation dans la réalité via la littérature, où il est dédoublé en deux figures sociales qui marqueront tout particulièrement l’époque :
le dandy, incarnant une androgynie masculine plutôt positive et symbole de l’exacerbation du moi, exploré parallèlement dans la psychanalyse et dans l’art du début xxe, spécialement tourné vers l’intériorité.
la femme fatale, dont le trop grand besoin de sexualité fait toute la perversité.
46Incarnée en particulier dans le personnage de Salomé qui connaissait alors un regain d’intérêt chez les peintres et les musiciens, cette androgynie de la femme avait des implications morales franchement négatives aux yeux d’un Péladan et de toute une lignée d’artistes qui affichaient dans leurs œuvres une misogynie notoire, faisant par ailleurs l’apologie du dandy.
47Dans son livre Du Dandysme et de George Brummel, Barbey d’Aurevilly considère les femmes comme des êtres inachevés : il se fait là l’écho d’un autre dandy célèbre, Baudelaire, qui exprime dans Les Fleurs du Mal à la fois son horreur et sa fascination pour la femme, socialement inférieure mais en réalité toute puissante de par sa nature double. Cette idée de la femme proche de l’animal et en proie aux instincts les plus bas est également transmise à l’époque par Schopenhauer (qui la définit comme un être de pur instinct, incapable d’élévation spirituelle) et par la psychanalyse, qui repose précisément sur l’idée de l’infériorité féminine et suggère que les troubles éclosent plus facilement chez la femme, vue comme un intermédiaire entre l’homme et l’enfant.
48C’est dans cette métaphore de la relation entre les sexes que se pose le problème de la vision unitaire du monde projetée sur la figure de l’androgyne, métaphore d’une nouvelle conception de la matière et de l’inconscient, dédoublé chez Jung en animus-anima. Ainsi, dans le livret de La Main heureuse, la Femme assume tour à tour les fonctions opposées de séductrice ou de femme fatale qu’elle avait au début du siècle mais aussi d’initiatrice, pouvant conduire l’Homme à l’accomplissement de soi (cf. scène 2, où la Femme tend la coupe à l’Homme), à condition toutefois qu’il veuille bien l’intégrer à son propre mode de conscience et assimiler ainsi les qualités attribuées au féminin, c’est-à-dire les valeurs de l’intériorité et de l’imagination, nécessaires à la création artistique au même titre que la raison et la construction.
49De même, au début du siècle, l’artiste doit donc tout particulièrement se tourner vers ce pôle refoulé de la conscience qui, dans l’idéal de l’époque, est bisexuée et intégrer ainsi les contraires s’il veut accomplir sa véritable mission : ouvrir de nouvelles perspectives aux autres hommes en montrant le chemin. Tel est l’idéal entr’aperçu par l’Homme de La Main heureuse, et qui, pourtant, demeurera lointain ; tel fut aussi l’idéal poursuivi en vain par Schoenberg qui aspirera toute sa vie à intégrer la dissonance et la série dans un système musical cohérent.
Conclusion
50Dans cette perspective, on peut supposer que la création artistique est apparue à Schoenberg comme un moyen de résoudre ses propres contradictions et difficultés à vivre dans un monde qui lui était, semble-t-il, étranger. De fait, il y a bien, dans La Main heureuse, une tentative d’accorder le monde rêvé au monde de la réalité : le premier précède le langage et se diffuse dans tout le corps de l’Homme, à travers ses sens, ranimant en lui des expériences antérieures et faisant entrevoir un monde d’échos et de reflets dans lequel « les parfums, les couleurs et les sons se répondent » ; le second, au contraire s’exprime à travers le langage qui instaure, chez l’Homme, la coupure entre le moi et le monde. « O verbe, verbe qui me manque ! », s’exclamera Moïse dans l’opéra Moïse et Aaron (1930), témoignant de cette même impossibilité à dire l’ineffable et par là même, de la difficulté éprouvée plus ou moins intensément par tout homme à relier les deux modes de conscience identifiés par Jung : l’animus et l’anima, le rationnel et l’irrationnel, la vie des sens et la vie de l’esprit, etc.
51Mais, l’expérience de synthèse des arts n’aura pas seulement été pour Schoenberg l’occasion d’effectuer un voyage imaginaire entre « l’espace du dedans » et « l’espace du dehors », par l’intermédiaire d’images poétiques et sonores, opérant la jonction entre les deux mondes. Elle fut aussi le résultat d’une expérience spirituelle : celle d’un juif errant, désireux de s’intégrer à un système religieux tout comme les dissonances perdues qui aspirent à s’orienter vers des pôles (les consonances ou la série) d’où elles émanent et qui réalisent, à l’instar de Dieu, l’Unité dans la multiplicité.
52Christian Hauer a montré l’importance de l’Entrückung chez Schoenberg qui se consacrera bientôt à la mystique juive tout en ayant encore recours à la tonalité et à la consonance, comprise comme la métaphore de l’Unité divine. Vécue douloureusement par le compositeur, la recherche de l’intégration de la dissonance apparaît aujourd’hui comme un désir personnel de réalisation sur le plan spirituel, à l’image de ces dissonances perdues qui peuvent retrouver un centre dans le phénomène de résonance (assimilé au divin par certains compositeurs du début du siècle23, en sa capacité de rassembler l’Unité dans la multiplicité) ou dans la série, création propre à Schoenberg qui exprime par là même tout le sens de la condition humaine.
53L’aspect spirituel de la recherche de ce compositeur a été envisagé par A. Neher, spécialiste de la question juive, qui écrit dans son livre Ils ont refait leur âme : « Le souffle qui anime les savantes arithmétiques de la musique atonale est d’ordre religieux et métaphysique. La musique n’est pas pour Schoenberg un refuge cérébral mais le recours d’un juif profondément croyant au domaine de l’ineffable... L’ensemble des spéculations d’A. Schoenberg est une tentative pathétique pour cerner et résoudre le problème de la Prière au niveau de la vision juive de l’Alliance, la Berit entre l’homme et Dieu »24.
Bibliographie
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Neher André, Ils ont refait leur âme, Paris, Stock, 1979.
Notes de bas de page
1 Loin de désigner l’ensemble des règles et procédés d’écriture relatifs à la composition d’une œuvre poétique ou musicale le terme « poétique » fait référence ici aux études sur l’imaginaire de Gaston Bachelard et Gilbert Durand qui explorent la dialectique instaurée par le « trajet anthropologique » entre monde intérieur et monde extérieur, donnant valeur humaine à l’espace qui nous entoure.
2 G. Durand, Introduction à la Mythodologie. Mythes et sociétés, Paris, Albin Michel, 1996, p. 152 : « (...) une société vit au moins sur deux mythes : un mythe ascendant qui s’épuise et, au contraire, un courant mythologique qui va s’abreuver aux profondeurs du ça, de l’inconscient social. »
3 C’est par l’interaction des réflexes et des pulsions auxquelles elles sont liées avec le milieu que les images se forment. Cette interaction, c’est ce que G. Durand appelle le « trajet anthropologique », c’est-à-dire « l’incessant échange qui existe au niveau de l’imaginaire entre les pulsions subjectives et les intimations objectives », G. Durand, Les Structures Anthropologiques de l’Imaginaire, Paris, Dunod, 1992 (1re éd. 1969), p. 38.
4 « Finalement, l’imaginaire n’est rien d’autre que ce trajet dans lequel la représentation de l’objet se laisse assimiler et modeler par les impératifs pulsionnels du sujet, et dans lequel réciproquement, comme l’a magistralement montré Piaget, les représentations subjectives s’expliquent “par les accommodations antérieures du sujet” au milieu objectif » ibid.
5 G. Durand, op. cit., p. 499.
6 Le mot « Verbe » a ici le sens qu’on lui attribue dans les mythes de création du monde où le Son est à l’origine de l’univers : il est « Créateur ».
7 G. Durand, L.S.A.D.L., p. 61.
8 Op. cit., p. 67.
9 Op. cit., p. 51.
10 « Ce n’est pas de Jung que nous sommes partis, mais des résultats... de la réflexologie russe issue de Pavlov et perfectionnée par I école de Leningrad (Betcherev...) qui établissait la notion de “réflexes dominants” agissant comme principes holistiques de hiérarchie dans le comportement animal... Depuis, j’ai pu constater qu’il existe bien des Urbilder chez sapiens... reposant sur les structures de “réflexes dominants” », G. Durand, L.S.A.D.L., p. 61
11 Il est ainsi amené à identifier trois « dominantes réflexes » :
une dominante de position (celle qui permet au nouveau-né de s’inscrire dans la verticalité et l’horizontalité),
une dominante de nutrition (activité accompagnée chez le nouveau-né de multiples impressions sensorielles),
une dominante de copulation, liée à la pulsion sexuelle et qui serait déterminante dans notre perception du temps
12 G. Durand, L.S.A.D.L, ibid.
13 La troisième « dominante réflexe » détermine ici le rythme cyclique de l’œuvre.
14 G. Durand, L.S.A.D.L, p. 54.
15 « Les gestes différenciés en schèmes vont au contact de l’environnement naturel et social déterminer les grands archétypes, tels à peu près que Jung les a définis. Les archétypes constituent les substantifications des schèmes. Jung a bien mis en évidence le caractère de trajet anthropologique des archétypes lorsqu’il écrit : l’image primordiale doit incontestablement être en rapport avec certains processus perceptibles dans la nature qui se reproduisent sans cesse et sont toujours actifs, mais d’autre part, il est également indubitable qu’elle se rapporte aussi à certaines conditions intérieures de la vie de l’esprit et de la vie en général... Certes Jung insiste surtout sur le caractère collectif et inné des images primordiales/... nous soulignerons... l’importance essentielle des archétypes qui constituent le point de jonction entre l’imaginaire et les processus rationnels. » G. Durand, L.S.A.D.L, p. 54.
16 Ils sont appelés « diurne » et « nocturne » par G. Durand qui distingue cependant trois structures (schizomorphe, synthétique et mystique) et autant de schèmes verbaux qui leur sont liés.
17 W. Fliess cite par J. Hillman dans : Le Mythe de la Psychanalyse, Paris, Imago, 1977, p. 194. Cette théorie a été développée entre autres par V. Fritsch, La Gauche et la droite, vérités et illusions dans le miroir, Paris, Flammarion, 1967, p. 38
18 A. Schoenberg, Harmonielehre, Vienne, Universal Edition, 1911 ; traduction française, Traité d’harmonie Paris J-C Lattès 1983 (Préface).
19 C-G Jung, « Les aspects psychologiques de l’archétype de la Mère », conférence prononcée aux Rencontres d’Eranos 1938 et citée par James Hillman, op. cit., p. 176.
20 Pour les décadents en effet, l’androgyne n’était plus la réunion mythique des deux sexes en un seul être, mais se présentait sous la forme du jeune homme efféminé et de la femme masculine, deux figures actualisées dans la réalité sociale et réprouvées par la société bourgeoise qui prônait le cloisonnement des sexes,
21 Le huitième roman de son épopée La Décadence latine, qui sera suivi de La Gynandre ou la femme masculine dans le tome 9 de ce même recueil.
22 Pour justifier sa théorie, J. Péladan aborde les représentations plastiques de cette figure dans différentes civilisations (Chaldée, Egypte, Grèce et Europe) et remarque entre autres que « le plus ancien monument de la forme représente l’androgyne ». Il fait ici allusion au Sphinx égyptien qui représente selon la tradition ésotérique « l’état initial de l’homme qui est identique à son état final ». J. Péladan, De L’Androgyne, p. 13.
23 En considérant les dissonances comme des « appels à un au-delà du son », tendant néanmoins vers les points d’appui et de repos que sont les consonances, M. de Falla voyait dans les consonances une métaphore du divin, celles-ci étant la représentation de ce qui demeure en musique, (c’est-à-dire la nature éternelle du divin), par rapport aux mouvements créés par les « appellatives » ou dissonances, d’essence éphémère. Ainsi, dans la mesure où les dissonances, créatrices du mouvement en musique, entretiennent ce « souffle divin », elles peuvent être réhabilitées dans une dialectique de l’ombre et de la lumière assez proche de celle de Schoenberg. Sous l’influence des théories de l’alchimiste Louis Lucas, M. de Falla s’était donné comme but, dans la composition musicale : « la lumière, la lumière avant tout » (étant entendu que) « la lumière, c’est la consonance ».
24 Cité par jean Brun dans : « Le monde des résonances », Eranos Jahrbuch, Brill-Leiden, 1975, p. 68-69.
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