Musique et crise du langage à Vienne au tournant du siècle
p. 101-112
Texte intégral
1Ce que les histoires de la musique ont appelé la Seconde École de Vienne est indissociable du climat inimitable de décadence productive qui marqua la capitale autrichienne entre la fin du xixe siècle et la Première Guerre Mondiale, à l’époque de ce que Hermann Broch appela « l’Apocalypse joyeuse ». On a souligné à loisir le paradoxe qui marqua cette époque, entre une vie culturelle brillante et chamarrée, et la conscience du déclin irrémédiable d’un monde révolu, paradoxe résumé dans le célèbre dicton viennois : « La situation est désespérée mais elle n’est pas grave ». Cette légendaire légèreté n’est pas sans rappeler, par certains côtés, une forme de fuite en avant du Second Empire en France, régime condamné mais parvenant à se maintenir grâce à des succès en politique étrangère et à des conquêtes coloniales ; pour l’Empire autrichien, citons l’occupation de la Bosnie-Herzégovine (1878) et son annexion en 1908. Si, jusqu’à François Ier, les empereurs d’Autriche sont aussi empereurs du Saint Empire Germanique, on assiste progressivement à une prise de contrôle de l’Allemagne par la Prusse. La défaite de l’Autriche à Sadowa en 1866 entérine la supériorité prussienne. Etroitement lié à celui de la Bohême et de la Hongrie depuis le xvie siècle, le destin de l’Autriche apparaît comme celui d’un ensemble disparate qui n’a jamais vraiment réussi à se fondre en une communauté homogène malgré les efforts de la dynastie des Habsbourg1. Le compromis (Ausgleich) austro-hongrois de 1867 fonde cependant la fameuse double monarchie impériale et royale (matérialisée en allemand par l’abréviation k. und k. pour kaiserlich-königliche Monarchie), tandis que Polonais, Tchèques et Slaves du Sud, se sentant exclus de l’accord, exprimaient de plus en plus de revendications nationales. Piloté depuis Vienne, que François Joseph avait considérablement modernisée mais qui commençait à apparaître comme un centre démesuré pour un pays à l’influence décroissante, ce régime sera férocement caricaturé par le romancier viennois Robert Musil, qui parlait de l’Autriche sous les traits du pays fictif de Cacanie :
« La politique à laquelle l’Etat recourait pour se défendre, la fameuse politique des nationalités, aboutissait en fait à ceci que le gouvernement, tous les six mois à peu près, tantôt réprimait l’insubordination, tantôt reculait sagement devant elle ; l’attitude adoptée à l’égard de la nationalité allemande répondait à ce mouvement d’alternance, comme, dans un tube en U, une moitié monte lorsque l’autre descend. Cette nationalité jouait en Cacanie un rôle particulier : étant donné son importance, elle n’avait jamais rien revendiqué, sinon que l’Etat fût fort. Plus longtemps qu’aucune autre, elle avait persisté à croire que l’histoire cacanienne avait un sens ; mais peu à peu, lorsqu’elle comprit qu’on pouvait dans ce pays, non seulement commencer par la haute trahison et finir au ministère, mais encore, inversement, poursuivre sa carrière de ministre dans la haute trahison, elle se considéra à son tour comme une nation opprimée. Peut-être des phénomènes de ce genre ne sont-ils pas particuliers à la Cacanie, mais la caractéristique de cet Etat était qu’ils n’y exigeassent ni bouleversement ni révolutions, parce que tout s’y développait naturellement avec le temps selon un tranquille mouvement pendulaire, par la seule vertu de l’incertitude des concepts. Finalement, il n’y eut plus en Cacanie que des nations opprimées et une élite d’oppresseurs qui se jugeaient péniblement moqués et persécutés par les opprimés. Dans ce milieu, on était profondément inquiet. »2
La modernité viennoise
2C’est dans ce contexte fait à la fois d’immobilisme, d’inquiétude et d’aveuglement que naît à Vienne, au tournant du siècle, ce foisonnement artistique qui, reflet de la bigarrure politique, ethnique et linguistique du lieu, passa à la postérité sous le nom de « modernité viennoise » (die Wiener Moderne). Ses représentants n’avaient cependant guère conscience d’appartenir à un courant moderniste : ils se sentaient plutôt emprisonnés dans une capitale retardataire sur bien des plans, et notamment celui de la création artistique, ne serait-ce que par comparaison avec Berlin (ou Paris). C’est ainsi que, notamment à travers le journalisme littéraire pratiqué dans la rubrique culturelle (Feuilleton) des grands journaux comme la Neue freie Presse, organe des libéraux, mais aussi dans les cafés littéraires comme le Herrenhof, le Kaiserhof, le Parzival, le Café central et surtout le Griensteidl qui en était le point de ralliement, se développa le groupe Jeune Vienne (Jung Wien). Plus qu’un courant homogène, il s’agit d’un foyer d’échanges entre des personnalités aussi diverses qu’Arthur Schnitzler, célèbre dès les dernières années du xixe siècle avec ses pièces sulfureuses et très critiques comme La Ronde et Liebelei ; Karl Kraus, polémiste à la lucidité acérée et qui – nous le verrons – fut un maître à penser de Schoenberg, Berg et Webern ; Peter Altenberg, enfant terrible de la poésie viennoise et auteur de ces précieuses miniatures sur cartes postales qui inspirèrent à Alban Berg quelques-uns de ses plus beaux lieder ; Leopold von Andrian, poète raffiné influencé par la décadence et le symbolisme ; Richard Beer-Hofmann, esthète de plus en plus attiré par la mystique juive. Sensiblement plus jeunes, Robert Musil qui ne se fait connaître par les Désarrois de l’élève Törless qu’en 1906, bien des années avant de faire complètement éclater les carcans du genre romanesque avec L’Homme sans qualités, et Stefan Zweig, qui ne s’est pas encore révélé comme novelliste (Le Joueur d’échecs, La Confusion des sentiments, Amok...) et biographe, mais fait ses armes de traducteur, notamment de Verhaeren, et côtoie volontiers la Jeune Vienne, comme il le racontera plus tard dans son autobiographie Le Monde d’hier. Un peu en marge de ces cénacles mais non moins influents étaient Hugo von Hofmannsthal, régénérateur de la tradition classique en poésie et au théâtre, et bientôt librettiste de Richard Strauss (Elektra, Le Chevalier à la rose, Ariane à Naxos, La Femme sans ombre, etc.), et Rainer Maria Rilke qui, tout comme Kafka et Franz Werfel (futur époux d’Alma Mahler), était pragois et non viennois et avait déjà connu des succès de plume dans la capitale de la Bohême à la fin du siècle précédent, mais dont les Cahiers de Malte Laurids Brigge à la modernité parfois dissonante ne sont pas sans parenté avec une certaine avant-garde autrichienne. Et c’est sur ce terreau viennois qu’un Hermann Broch, futur auteur des sommes intellectuelles et littéraires que représentent Les Somnambules, Les Innocents et La Mort de Virgile, nourrit sa conscience aiguë de la décadence. Beaucoup, pour ne pas dire la plupart des acteurs de cette Vienne créative, étaient juifs, convertis ou non. Le fer de lance et porte-parole de la Jeune Vienne est Hermann Bahr : homme d’une curiosité universelle, journaliste, essayiste, romancier et dramaturge, ouvert aux influences extérieures comme le symbolisme ou le naturalisme français qu’il contribua à introduire à Vienne, souvent pour tenter de les dépasser, il est l’un des premiers à employer le terme « expressionnisme » et donne ses lettres de noblesse à celui de modernité3. Hermann Bahr avait en outre l’avantage de faire le lien avec les peintres et architectes de la « Sécession » viennoise comme Gustav Klimt ou Adolf Loos, qu’il connaissait.
3On a parfois exagéré les prétentions révolutionnaires de ce mouvement de sécession. Il faut en effet demeurer conscient du fait que, dans cette Vienne « moderne » qui vit en même temps l’invention par Freud de la psychanalyse, l’élaboration du sionisme par Theodor Herzl, tandis que le théâtre et l’opéra bénéficient de la direction de Gustav Mahler, des mises en scène de Max Reinhardt et des décors d’Alfred Roller, dans cette capitale de la modernité, on cherche avant tout à se situer par rapport à une tradition. Karl Kraus aime se déclarer réactionnaire, Gustav Klimt décore le plafond du Burgtheater de fresques néo-grecques, Adolf Loos conçoit la façade de la Michaelerplatz afin qu’elle ne jure pas avec l’esthétique classique d’un Schinkel, et Hofmannsthal se tourne plus volontiers vers l’Antiquité grecque et la Renaissance que vers sa propre époque, au point d’être traité par Hermann Bahr « d’épigone goethéisant » ; quant à Schoenberg, il ne trouvera jamais déshonorant ou anormal de transcrire des valses de Johann Strauss, d’orchestrer le quatuor op.25 de Brahms ou de faire son concerto pour violoncelle à partir d’une œuvre de Matthias Monn. C’est l’époque de l’historicisme, où l’on s’interroge avant tout sur le statut et le traitement de la culture (Bildung) humaniste bourgeoise que l’on ne songe pas à remettre en cause comme fonds commun. Mais les années 1900 voient aussi l’avènement des tentatives pour secouer ce joug historiciste, et surtout pour acquérir un style propre, comme le proclament les sécessionnistes : « Un puissant effort de recherche marque notre époque, plus que toute autre. Nous voulons un style — voilà bien la preuve que nous n’en avons pas. »4. Hofmannsthal, dont il serait bien hâtif de faire un néo-classique égaré, avait une conscience aiguë de ce conflit entre recherche individuelle d’originalité irréductible et insertion dans une tradition séculaire qui ne facilite guère la constitution d’une identité5. En analyste lucide, il attribuait cette fuite des repères à la nature même de son époque : « Le caractère de notre époque est l’ambiguïté et l’indétermination. Elle ne peut s’appuyer que sur des bases en glissement, sans perdre conscience que tout glisse là où les générations antérieures croyaient voir des assises solides »6. Ce glissement progressif, que l’on ressent par exemple si bien dans la musique de Gustav Mahler où tradition et modernité cohabitent dans un rapport productif, de plus en plus assumé et cependant toujours problématique, trouve sa meilleure illustration dans une expérience commune à la plupart des créateurs de l’époque : le sentiment d’une crise du langage. Et l’un des premiers à le formuler, c’est précisément Hofmannsthal dans sa Lettre de Lord Chandos.
La Lettre de Lord Chandos
4La Lettre de Lord Chandos est un texte étrange et tellement riche qu’il fut volontiers surinterprété par des générations de commentateurs qui en firent soit un manifeste esthétique, soit l’expression d’une crise personnelle du poète. Ecrite en 1902, elle fut d’abord publiée dans le journal berlinois Der Tag, puis incluse dans le recueil Le Conte de la 652e nuit en 1905. Comme l’indique Jacques Le Rider7, ce n’est pas un hasard si la Lettre de Lord Chandos prend sa place dans un volume de récits : il s’agit avant tout d’un texte de fiction, même s’il ne faut pas en sous-estimer la portée autobiographique. Il ressortit au genre de la lettre fictive dans laquelle on fait parler un personnage, en général réel, ayant vécu à une autre époque. Hofmannsthal choisit ici l’Angleterre élisabéthaine et imagine la confession d’un poète britannique dont il fait un disciple de Francis Bacon, le philosophe rationaliste de la Renaissance que Hofmannsthal lisait beaucoup à cette époque, et de la pensée duquel il était familier depuis qu’il avait assisté aux cours de Franz Brentano à l’Université de Vienne. La référence à Bacon est omniprésente à travers de nombreuses citations cachées, mais elle cohabite avec de nombreuses autres influences (Horace et son épître II à Florus, Shakespeare, Nietzsche, Fritz Mauthner et sa critique du langage8, Ernst Mach et son phénoménisme), qui brouillent volontiers les pistes d’une lecture éclairante. Il n’en reste pas moins que la réflexion sur le langage est au centre de la Lettre de Lord Chandos.
5Le poète Chandos a vécu une crise radicale dans son rapport au langage, qui l’a incité à rédiger cette lettre. Décrivant dans un premier temps son état d’avant la crise, il se présente comme un honnête homme à la culture universelle et aux ambitions encyclopédiques, convaincu de l’harmonie parfaite du cosmos. Erudit, toujours plongé dans les livres et la sagesse des Anciens auxquels il voue un culte, il veut croire que les mots sont les hiéroglyphes de la sagesse divine. Puis le rêve de Chandos s’écroule : son ambition de synthèse des savoirs et des arts, démesure tragique quasi-faustienne, se heurte, dans la deuxième partie du récit, au sentiment que le langage lui échappe. Il n’a pas supporté, ou mal appliqué l’un des principaux préceptes de Francis Bacon : la découverte de la vérité passe par une critique radicale du langage, une purge extrême destinée à décaper les mots, à les débarrasser de leur gangue d’illusion. Dans l’esprit de Bacon, c’est une perte nécessaire, une démarche positive, un moyen de parvenir à la clairvoyance. Chandos, lui, est surtout frappé par la disparition des repères qu’entraîne pour lui ce travail sur la langue : « Tout se décomposait en fragments, et ces fragments ne se laissaient plus enfermer dans un concept. Les mots flottaient, isolés, autour de moi : ils se figeaient, devenaient des yeux qui me fixaient et que je devais fixer en retour : des tourbillons, voilà ce qu’ils sont, y plonger mes regards me donne le vertige, et ils tournoient sans fin, et à travers eux on atteint le vide »9. Cette faille intérieure que ressent Chandos, c’est la perte du sens, ou plutôt la conscience aiguë d’un clivage entre les mots et les choses, entre le sujet et l’objet. Hofmannsthal ne fait qu’exprimer ici un sentiment commun à la modernité esthétique en ce tournant de siècle, celui d’une absence de concordance entre la perfection formelle de l’harmonie classique et un contenu vidé de sa substance et de sa signification.
6Cette sensation de fuite et de fracture est à l’origine de l’avant-garde littéraire, mais aussi musicale et picturale. De même que le poète cherche à s’affranchir de l’asservissement aux harmonies imitatives, la peinture parvient progressivement à émanciper la couleur du dessin. C’est la découverte fondamentale et bouleversante que fait Rilke lorsqu’il voit la peinture de Cézanne : « la peinture, c’est la couleur »10. Les contours s’estompent, les arêtes s’émoussent, la figuration laisse place à l’abstraction et permet ainsi à l’œil de recouvrer une innocence perdue par des années d’une vision trop historicisante. Les couleurs du peintre sont pour le poète un défi car elles ne se laissent pas traduire en termes discursifs, d’où, encore une fois, un intense sentiment de déception face à l’insuffisance des signes langagiers. L’expérience de Rilke avec Cézanne, Hofmannsthal la connut avec la peinture de Van Gogh de manière comparable11 : l’indépendance, la souveraineté de la logique des couleurs sont un jalon vers la régénération du langage.
7Impossible de ne pas effectuer ici le parallèle avec le contexte musical de l’époque : Schoenberg, comme Rilke et Hofmannsthal à leur manière, cherche lui aussi un moyen de régénérer un langage sur lequel s’est accumulée la patine de l’histoire des formes et de la syntaxe. Préparé à son avènement par le chromatisme wagnérien et lisztien, il ne tarde pas à considérer la couleur sonore (Klangfarbe) comme paramètre constituant du son, au même titre que la hauteur ou l’intensité, et non comme une composante additionnelle ou décorative. Lui aussi doit à certains chocs picturaux l’impulsion qui le convainc d’essayer de surmonter l’infirmité du langage musical : sa découverte à Berlin du fauvisme, puis du cubisme est fondamentale. Les toiles de Matisse, Derain et Vlaminck, présentées au Salon d’automne en 1906, créèrent le choc que l’on sait, et les Demoiselles d’Avignon de Picasso (1908) ne furent pas étrangères à la composition du Deuxième Quatuor à cordes, la même année. Et ne parlons même pas de Kandinsky et de Der blaue Reiter, les rapports ont été suffisamment examinés et sont désormais bien connus. C’est Matisse qui joua peut-être pour Schoenberg le rôle que jouèrent Cézanne pour Rilke et Van Gogh pour Hofmannsthal, et il se situe dans la droite ligne de ceux-ci en ce qui concerne la réflexion sur la couleur : « Le fauvisme est venu du fait que nous nous placions tout à fait loin des couleurs d’imitation, et qu’avec des couleurs pures, nous obtenions des réactions plus fortes »12.
8Tous ces recoupements créent une véritable constellation, non pas tant d’influences que d’échange et circulation d’idées, qui culmine chez Schoenberg dans cette déclaration faite dans les ultimes pages du Traité d’harmonie13 : « J’ai du mal à concéder qu’il existe une différence entre couleur et hauteur du son. Je trouve que la sonorité se signale par la couleur, dont la hauteur ne constitue qu’une dimension ». Cette reconnaissance du caractère premier de la couleur trouve un accomplissement dans la troisième des Cinq pièces pour orchestre op. 16 (1909), précisément intitulée Farben (Couleurs), et où le même accord de cinq sons est répété quasiment à l’identique pendant trois bonnes minutes, seul le timbre obtenu par les différents instruments qui le jouent étant soumis à de continuelles modifications. C’est l’application de ce qui sera bientôt théorisé dans le Traité d’harmonie sous le nom désormais bien connu de Klangfarbenmelodie (couramment traduit en français par mélodie de timbres).
9Si les écrivains du début du siècle à Vienne et à Berlin partageaient la même interrogation, il importe de souligner qu’ils n’en tiraient pas du tout les mêmes conclusions dans leur maniement du langage poétique. S’il nous a paru légitime de replacer Schoenberg dans l’entourage immédiat de la Lettre de Lord Chandos, il faut cependant insister sur le fait que Hofmannsthal ne prend pas le parti de l’avant-garde. C’est dans un style parfaitement ciselé et très égal de proportions qu’il décrit le désarroi de son poète anglais face à la perte du langage, et il ne ressent pas cette « crise » comme une invitation à déconstruire la syntaxe, mais poursuit au contraire son œuvre de conservation de la langue classique la plus pure. Hofmannsthal n’invoque ni l’impossibilité d’écrire, ni la nécessité de renoncer au langage, ni la volonté de soumettre les mots à un ordre nouveau, ni le besoin de faire d’eux non plus le matériau mais l’objet même du discours, qui auraient fait de lui un compagnon de route des courants expérimentaux qui, de Joyce au dadaïsme, balaieront tout le spectre de la littérature européenne. Tout autre est l’attitude, par exemple, de l’Autrichien Georg Trakl (1887-1914), qui vit dans sa chair et son cœur les bouleversements de l’Europe au point de ne pas leur survivre, mais qui vit aussi dans sa plume la transformation d’un langage poétique qui n’est plus soumis à un fonctionnement exclusivement discursif. D’apparence hermétique, sa langue, qui elle aussi accorde une large place aux couleurs, tente de remplacer Tordre logique par un ordre musical, l’édification par le dynamisme, et d’instituer une nouvelle harmonie entre le sens et, non pas le mot, mais sa substance sonore. Cette parenté de la poésie avec la musique, qui n’est pas sans rappeler la conception de la poésie absolue selon Paul Valéry14, n’aura pas échappé à Anton Webern, qui compose ses Six Lieder op. 14 sur des poèmes de Trakl. En ces premières années du siècle, Schoenberg se reconnaît davantage dans la poésie de Stefan George, dont il met en musique le Livre des jardins suspendus en 1908-1909, l’époque du passage à l’atonalisme. George avait avec Hofmannsthal des rapports complexes qui aboutirent à une rupture en 1903, et il n’est pas inintéressant de noter que le commentateur Werner Kraft a décelé derrière le Francis Bacon de la Lettre de Lord Chandos la figure même de Stefan George15. Remarquable traducteur en allemand d’œuvres poétiques françaises (Baudelaire), George vouait un culte élitiste à la pureté poétique, non par le biais du lyrisme (toujours présent chez Traki, par exemple, même dans l’hermétisme), mais par une ascèse ésotérique hautaine où la forme se densifie tandis que le contenu perd de l’importance.
Karl Kraus et la critique du langage
10Si Schoenberg avait peu de raisons de s’identifier à l’historicisme de Hofmannsthal, qui allait bientôt déboucher sur ce que l’écrivain lui-même allait qualifier de « révolution conservatrice »16, le musicien fut en revanche, comme la majorité de ses confrères viennois de l’époque, très activement à l’écoute du discours sur le langage de Karl Kraus. Né en 1874, Kraus est un exact contemporain de Hofmannsthal, ainsi que, à un an près, de Rilke et de Thomas Mann. En dehors de ses tout premiers ouvrages (Die demolierte Literatur [La littérature démolie] et Eine Krone für Zion [Une Couronne pour Sion]), en dehors aussi de son chef-d’œuvre, la visionnaire tragédie en cinq actes Die letzten Tage der Menschheit (Les Derniers jours de l’humanité), l’essentiel de son œuvre tient dans les 922 cahiers de Die Fackel (Le Flambeau). Cette revue, dont le titre s’inspire de celui de La Lanterne, de Rochefort, commença à paraître en 1899. Kraus s’entoura d’abord de collaborateurs parmi lesquels Richard Dehmel, Else Lasker-Schüler, Detlev von Liliencron, Heinrich Mann, Frank Wedekind, Franz Werfel, et publia des traductions allemandes de textes d’Oscar Wilde, Tchekhov, Strindberg, faisant aussi connaître des textes de poètes germanophones contemporains parmi lesquels Georg Trakl. A partir de 1909, il commence à rédiger seul certains numéros et devient l’unique rédacteur à partir de 1911. Outre son activité d’écriture, Kraus était célèbre pour ses séances de Vorlesung (lecture publique) au cours desquelles il lisait à haute voix des extraits de ses propres œuvres ainsi que de Shakespeare, Goethe, Nestroy, Raimund, Hauptmann, Wedekind et Brecht, compensant ainsi sa frustration de ne pas avoir poursuivi une carrière d’acteur. Juif autrichien, Karl Kraus est né en Bohême en milieu slave, comme Kafka, comme Brod, comme Werfel, dans cette monarchie austro-hongroise fortement ébranlée que nous évoquions au début de cette étude. Kraus, qui s’était vu offrir en 1899 la succession du célèbre chroniqueur Daniel Spitzer à la rubrique culturelle de la Neue freie Presse, avait refusé ce poste prestigieux pour fonder sa propre tribune : premier signe spectaculaire de cette indépendance d’esprit forcenée qui fera de lui le critique le plus acerbe des travers de son temps. Observateur acéré et ironique de la société viennoise, de cette « Cacanie » dépeinte par Robert Musil, le cruel Karl Kraus fut le plus grand polémiste et satiriste de l’époque, comme le rappelle Caroline Kohn :
« Die Fackel ne veut pas dénoncer les torts et les travers d’une manière vague, théorique, mais elle se propose au contraire de ne pas hésiter devant l’accusation directe et nominale. Cela avait l’avantage d’être honnête et efficace, d’éviter tout ce qui pouvait ressembler à un bavardage gratuit, à une insinuation facile, à la calomnie hypocrite. A un moment où dans la presse autrichienne l’anonymat était encore la règle, il exigea la signature des articles, citant la France en exemple, où, après les Rivarol, les Camille Desmoulins, suivis des Benjamin Constant et Armand Carrel, les journalistes signaient ordinairement leurs textes. La nouvelle revue devait en principe ouvrir ses colonnes à l’expression libre de toutes les opinions sincères sur tous les problèmes du jour. Une seule règle s’imposait à celui qui voulait y prendre la parole : sa propre liberté ne devait jamais être préjudiciable à celle d’autrui »17.
11Mais Karl Kraus, dans sa critique du monde contemporain, n’était pas qu’un grand journaliste. Par la profondeur de sa réflexion théorique, il était tout à la fois sociologue et philosophe : et avant même l’étude des faits d’histoire et de civilisation, c’est la question de la langue qui fondait le centre de gravité de toute sa pensée. Le meilleur témoin de la déchéance du monde, ce sont les mots : pour Kraus, une civilisation est dans ce qu’elle exprime, elle est ce qu’elle exprime. Un mot, une phrase, ont pour lui plus de valeur, de signification qu’une idée générale. Lorsqu’une société est pervertie, la perversion existe déjà dans le processus de l’expression. Parallèlement à Mauthner ou Hofmannsthal, mais dans un esprit bien différent, Kraus entreprend une vaste démystification du langage, son problème étant moins celui de la beauté que de la vérité. La critique du langage par Kraus n’est pas une démarche esthétique mais une recherche existentielle. C’est ainsi que Kraus considère volontiers la guerre comme un phénomène verbal, comme une déviation généralisée du langage, une pathologie de l’expression. L’homme s’aliène dès qu’il perd le contrôle du langage : cette critique aux échos faustiens n’est pas non plus sans nous rappeler les dernières paroles de Moïse au deuxième acte du Moïse et Aaron de Schoenberg : « O verbe, verbe qui me manques ! »18. Se rattachant à la tradition des anciens maîtres19, il se sent poussé à partir en guerre contre Thèbes, c’est-à-dire Vienne la corrompue, comme s’il avait un compte à régler, une vengeance à assouvir, comme l’atteste le jeu de mots typiquement krausien sur Rache et Sprache (vengeance et langue, quasiment homonymes en allemand). Les implications de cette pensée de la langue vont très loin, notamment lorsqu’elles fondent la critique par Kraus du nazisme : dans son pamphlet Warum die Fackel nicht erscheint (Pourquoi Le Flambeau ne paraît pas, également titré dans une autre version Die dritte Walpurgisnacht : La Troisième nuit de Walpurgis), le polémiste attaque le national-socialisme à partir des tares du langage car « toute dépravation du mot permet de reconnaître la dépravation du monde »20.
12Karl Kraus fait partie de ceux pour qui tous les signes sont dans le langage ; c’est la raison pour laquelle il ausculte la langue avec autant d’attention. C’est ainsi que, dans presque chaque numéro de la Fackel il fait paraître une de ces Sprachglossen (notes sur la langue) où il s’en prend aux abus les plus grossiers commis quotidiennement dans la presse, et même dans des écrits de meilleure tenue. Mais malgré un indéniable tempérament de censeur, Kraus n’était pas qu’un puriste mesquin, un maître d’école tatillon et formaliste ou un purificateur du langage. C’est toute sa conception du monde qui est linguistique. Tout est dans la phrase : l’erreur, c’est de vouloir « comprendre », prendre le langage comme un relais, c’est-à-dire un accessoire, alors qu’il est l’essentiel. Le langage n’a pas d’autre signification que lui-même : les idées ne préexistent pas au langage, elles sont langage ou elles ne sont pas. Ainsi, un poème se suffit à lui-même, il n’a pas besoin de commentaire car commenter, ce serait faire passer les circonstances extérieures avant le langage : autant dire que Kraus n’est pas étranger à la révolution de la critique littéraire au xxe siècle. C’est que l’exigence essentielle posée par Kraus au langage n’est pas d’ordre intellectuel mais d’ordre moral. Une fois éliminées les deux conceptions extrêmes – la théorie pragmatique considérant le langage comme le véhicule neutre des contenus, et la théorie esthétique pour qui la recherche de perfection formelle vaut pour elle-même –, il reste le doute, l’incertitude salutaire qui seule pourrait freiner l’évolution vers la décadence. Telle est la conclusion de l’essai Die Sprache (La Langue), publié pour la première fois en 193721.
13Toute la théorie du langage de Kraus représenta pour les musiciens une inépuisable source de création, comme en témoigna Ernst Krenek, disciple de Schoenberg, à la mort de Kraus :
« Nos yeux s’ouvrirent brusquement, lorsque nous apprîmes grâce à la théorie du langage de Kraus que le sujet, qui est à l’origine de l’œuvre écrite, est insignifiant comparé à l’ensemble verbal – ceci était justement le propre de la musique, ainsi que les théories nouvelles ont tenté de le formuler. [...] Comment un mot en fait naître un autre, c’est-à-dire comment le langage crée des mots à partir de lui-même et de façon apparemment formelle, comme en se jouant – processus que dans le domaine musical on s’était peu à peu habitué à considérer comme une donnée élémentaire –, c’est cela que nous avons appris chez Kraus. [...] Si cette théorie était réalisable dans le domaine du langage éminemment lié au sujet, combien ne devait-elle pas convenir à celui de la musique, dont elle semblait dériver. »22
14De fait, la dette de Schoenberg envers Kraus est multiple. Ils partagent d’abord la même intransigeance envers toute forme de beauté extérieure et ostentatoire, à laquelle ils préfèrent l’exigence de vérité : « Que faut-il penser de la beauté ? Voilà ce qu’il faut en penser. La beauté n’existe qu’à partir du moment où les non-créateurs commencent à la réclamer. Elle n’existe pas auparavant, car l’artiste n’en a pas besoin. La vérité lui suffit »23, ce qu’Ernst Krenek formulait lui aussi à sa manière : « Composer, c’est la recherche de la vérité dans le matériau musical »24. Le langage musical est premier et, au lieu d’exprimer par des moyens musicaux une expérience extra-musicale, c’est le matériau musical lui-même qui est source de vérité. Difficile de ne pas voir dans cette conception esthétique une quête religieuse. Des œuvres comme L’Echelle de Jacob sont révélatrices de cette aspiration pythagoricienne à réunir musique, mathématiques et mysticisme que n’aurait pas reniée Kraus.
15Chez Kraus, Schoenberg admire aussi la rigoureuse dialectique entre la discontinuité des associations d’idées et la parfaite charpente intérieure de cette variation continue où les unités se succèdent sans transition apparente mais où chacune est très structurée. Ce « doute » radical que Kraus insinue dans la certitude apparente de la cohérence linguistique, Schoenberg l’applique de manière peut-être encore plus radicale au langage musical en se privant de la certitude du système tonal. Mais chez l’un comme chez l’autre, il n’y a jamais abandon de la forme. Critique du langage, le Kraus des Paroles en vers et de Dits et contredits ne pensait pas autrement qu’en termes de rapports verbaux. Critique de la tonalité, le Schoenberg du Livre des jardins suspendus et d’Erwartung ne pensait pas autrement qu’en termes de relations tonales25. Une parenté spirituelle dont Schoenberg était tellement conscient que la page de garde de la première édition de son Traité d’harmonie s’orna de la dédicace suivante, adressée à Karl Kraus : « J’ai appris de vous plus peut-être qu’on ne doit apprendre d’autrui si on veut garder son originalité. »
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Bahr Hermann, « Die Moderne », Moderne Dichtung, Monatsschrift für Literatur und Kritik no 1, janvier 1890.
Bérenger Jean, Histoire de l’Empire des Habsbourg. 1273-1918. Paris, Fayard, 1990.
Fejtö François, Requiem pour un empire défunt. Histoire de la destruction de l’Autriche-Hongrie, Paris, Lieu Commun, 1988.
Von Hofmannsthal Hugo, Le Poète et l’époque présente, Lettre de Lord Chandos et autres essais, Paris, Gallimard, collection « Poésie », 1992.
Lettre de Lord Chandos et autres essais, Paris, Gallimard, 1980.
Holzamer Wilhelm, « Stil und Individualität », Ver Sacrum I, no 10, octobre 1898.
Kars Gustave, « Réflexions sur la musique autrichienne », Austriaca. cahiers universitaires d’information sur l’Autriche no 5, novembre 1977, (Publications de l’Université de Rouen).
Kohn Caroline, Karl Kraus. Le polémiste et l’écrivain, défenseur des droits de l’individu, Paris, Didier, collection “Germanica”, 1962.
10.1007/978-3-476-99379-3 :Kraft Werner, « Der Chandos-Brief », Der Chandos-Brief und andere Aufsätze über Hofmannsthal, Francfort, 1977.
Kraus Karl, Die dritte Walpurgisnacht Munich (Kösel) 1959, vol. 1 des œuvres complètes.
Kraus Karl, Die Sprache, hrsg. von Philipp Berger Verlag, vol. Il des œuvres complètes.
Kraus Karl, Worte in Versen, Munich (Kösel) 1959, vol. VII des œuvres complètes.
Krenek Ernst, « Erinnerung an Karl Kraus », Dreiundzwanzig. Eine musikalische Zeitschrift no 28/30. Vienne 1936.
Matisse Henri, Ecrits et propos sur l’art, Paris, Hermann, 1972.
10.14375/NP.9782705689209 :Mauthner Fritz, Beiträge zu einer Kritik der Sprache (Contributions à une critique de la langue), 1901-1902.
Merlin Christian, « Frank Wedekind à l’opéra : de La Boîte de Pandore à Lulu de Berg », L’Avant-Scène Opéra no 181-182, février 1998.
Musil Robert, L’Homme sans qualités, Paris, Seuil, 1957.
Le Rider Jacques, « L’écriture à l’école de la peinture : Hofmannsthal et les couleurs », Critique de l’ornement. De Vienne à la postmodernité, Michel Collomb et Gérard Raulet, éds., Paris, Méridiens-Klincksieck, 1992.
Le Rider Jacques, Modernité viennoise et crises de l’identité, Paris, PUF, 1990.
Le Rider Jacques, Hugo von Hofmannsthal. Historicisme et modernité, Paris, PUF, 1995.
Rilke Rainer Maria, Lettres sur Cézanne, Paris, Seuil, 1991.
Schoenberg Arnold, Harmonielehre, Vienne, 1911, trad. française : Traité d’harmonie, Paris, Jean-Claude Lattès, 1983.
Rosen Charles, Schoenberg, Paris, Editions de Minuit, 1979.
Notes de bas de page
1 Notons cependant que tous les historiens n’ont pas la même vision des choses. Il se dégage de certains travaux récents, consécutifs à la passion pour l’Autriche suscitée par l’exposition sur Vienne au Centre Georges Pompidou (l’Histoire de l’Empire des Habsbourg. 1273-1918 de Jean Bérenger, Paris, Fayard, 1990, et surtout Requiem pour un empire défunt. Histoire de ta destruction de l’Autriche-Hongrie de François Fejtö, Paris, Lieu Commun, 1988), l’idée selon laquelle ce fut une erreur des Alliés de démanteler l’ensemble austro-hongrois qui aurait pu fournir un modèle de communauté européenne et éviter la Seconde Guerre Mondiale.
2 Robert Musil, L’Homme sans qualités, tome II, Paris, Seuil, 1957, p. 266.
3 Hermann Bahr, « Die Moderne », Moderne Dichtung, Monatsschrift für Literatur und Kritik no 1, janvier 1890, p. 13.
4 Wilhelm Holzamer, « Stil und Individualitàt », Ver Sacrum I no10, octobre 1898, p. 24 (il s’agit de la revue de la Sécession).
5 Cf. Jacques Le Rider, Modernité viennoise et crises de l’identité, Paris, PUF, 1990.
6 Hugo von Hofmannsthal, « Le Poète et l’époque présente », Lettre de Lord Chandos et autres essais, Paris, Gallimard, collection « Poésie », 1992, p. 85.
7 Jacques Le Rider, Hugo von Hofmannsthal. Historicisme et modernité, Paris, PUF, 1995, p. 75.
8 Fritz Mauthner, Beiträge zu einer Kritik der Sprache (Contributions à une critique de la langue), 1901-1902.
9 Hugo von Hofmannsthal, Lettre de Lord Chandos et autres essais, Paris, Gallimard, 1980, p. 80.
10 Rainer Maria Rilke, Lettres sur Cézanne, Paris, Seuil, 1991, p. 36.
11 Hugo von Hofmannsthal, « Lettre du voyageur à son retour », Lettre de Lord Chandos et autres essais, op. cit., p. 154. On lira avec profit l’étude de Jacques Le Rider, « L’écriture à l’école de la peinture : Hofmannsthal et les couleurs », Critique de l’ornement. De Vienne à la postmodernité, Michel Coliomb et Gérard Raulet éds., Paris, Méridiens-Klincksieck 1992 p. 95.
12 Henri Matisse, Ecrits et propos sur l’art, Paris, Hermann, 1972, p. 95.
13 Arnold Schoenberg, Harmonielehre, Vienne, 1911, trad. française : Traité d’harmonie. Paris, Jean-Claude Lattès, 1983.
14 « [...] la recherche des effets résultant des relations des mots, ou plutôt des relations de résonance des mots entre eux, poèmes où la continuité musicale ne serait jamais interrompue, où les relations de signification seraient elles-mêmes perpétuellement pareilles à des rapports harmoniques. »
15 Werner Kraft, « Der Chandos-Brief », Der Chandos-Brief und andere Aufsdtze über Hofmannsthal, Francfort 1977, cité par Jacques Le Rider, Hugo von Hofmannsthal. Historicisme et modernité, op. cit., p. 82.
16 ... qu il ne faudrait cependant pas amalgamer un peu vite au mouvement politique du même nom.
17 Caroline Kohn, Karl Kraus. Le polémiste et l’écrivain, défenseur des droits de l’individu, Paris, Didier, collection “Germanica” 1962, p. 82.
18 “O Wort, du Wort, das mir fehlt !”
19 Dans le poème Bekenntnis (Worte in Versen), Munich (Kösel) 1959, vol. VII des œuvres complètes (p. 79), il écrit : « Je ne suis qu un des épigones qui habitent dans la vieille maison de la langue » (« Ich bin nur einer von den Epigonen, die in dem alten Haus der Sprache wohnen »).
20 Karl Kraus, Die dritte Walpurgisnacht, vol. I des œuvres complètes, p. 121 : Kraus explique notamment dans ce passage qu avec les camps de concentration hitlériens, les Allemands comprennent pourquoi on parlait de « verser du sel dans les plaies ouvertes » et que la métaphore, devenue simple façon de parler au sens figuré, reprenait son sens primitif et sauvage. Le cauchemar devient réalité, les mots prennent vie, la métaphore est signe de barbarie.
21 Karl Kraus, Die Sprache, hrsg. von Philipp Berger Verlag, vol. II des œuvres complètes.
22 Ernst Krenek, “Erinnerung an Karl Kraus”, Dreiundzwanzig, Eine musikalische Zeitschrift no28/30, Vienne, 1936.
23 Arnold Schoenberg, Schöpferische Konfessionen, Zurich, Verlag Die Arche.
24 Cité dans l’article de Gustave Kars intitulé « Réflexions sur la musique autrichienne », dans : Austriaca, cahiers universitaires d’information sur l’Autriche, no 5, novembre 1977, p. 19 (Publications de l’Université de Rouen). Kars évoque aussi le parallèle qu’effectue Anton Webern dans ses conférences entre la doctrine de Kraus et la technique musicale de la variation continue. Rappelons quant à nous la proximité entre Karl Kraus et Alban Berg, en particulier pour l’élaboration de Lulu. Le 29 mai 1905, Kraus organise une représentation privée de La Boîte de Pandore de Wedekind au Trianon Theater de Vienne. Il y joue lui-même le rôle du prince Kungu Poti, l’un des clients de Lulu prostituée. Il fait précéder la représentation d’une conférence extrêmement dense. Pour ainsi dire légitimée par le prestige intellectuel de Kraus, la pièce est réhabilitée. Parmi les spectateurs de cette création locale se trouve le jeune Alban Berg, sur qui le texte fera un effet aussi durable que la première (tardive) du Woyzeck de Büchner, contemporaine. Cf. à ce propos notre étude « Frank Wedekind à l’opéra : de La Boîte de Pandore à Lulu de Berg », L’Avant-Scène Opéra no 181-182. février 1998, p. 172.
25 Cf. Charles Rosen, Schoenberg, Paris, Editions de Minuit, 1979, p. 47 sq.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Mythologies et mythes individuels
À partir de l'art brut
Anne Boissière, Christophe Boulanger et Savine Faupin (dir.)
2014
Au service d'une biologie de l’art. Tomes I et II
Recherches sur les arts de l’Inde et de l’Asie du Sud-Est
Jean Naudou, Claudine Picron et Philippe Stern
1978
Les fils d’un entrelacs sans fin
La danse dans l’œuvre d’Anne Teresa De Keersmaeker
Philippe Guisgand
2008
Tombeau de Léonard De Vinci
Le peintre et ses tableaux dans l’écriture symboliste et décadente
Jean-Pierre Guillerm
1981