Schoenberg face aux problèmes de l’esthétique musicale
p. 79-99
Texte intégral
1Une inquiétude théorique s’est manifestée tout au long de la vie de Schoenberg : ce musicien ne se contente pas de composer, mais il lui faut expliquer et commenter son geste artistique dans des écrits1. Il n’a jamais rédigé de grand texte systématique – bien qu’il en fît le projet2 –, et sa réflexion sur la musique est dispersée dans un nombre incalculable de courts articles dont les plus représentatifs ont été rassemblés, par Schoenberg lui-même, dans un livre intitulé Style and idea, publié en 1950. On notera que le théoricien travaille comme le musicien : ce qui prédomine dans ses œuvres musicales – du moins dans ses premières œuvres dans le nouveau style – et dans ses essais esthétiques, c’est l’exigence de la brièveté3.
2Bien sûr, il s’agit d’abord pour lui de justifier par un appareil théorique une musique difficile à écouter et à comprendre, en somme : de la défendre contre ses détracteurs en établissant sa légitimité, sa cohérence et son intérêt. Mais il s’agit aussi de déterminer ce qu’est la musique et plus largement l’œuvre d’art. C’est en ce sens que Schoenberg est philosophe : les problèmes qu’il soulève et auxquels il tente d’apporter une réponse relèvent du domaine de la philosophie qu’on appelle depuis le xviiie « esthétique ».
3Il est vrai que l’intérêt de Schoenberg pour les questions esthétiques provient, non seulement de sa vocation de pédagogue – n’oublions pas qu’il a toujours accordé une place importante à l’enseignement – mais surtout de sa pratique musicale : car il y a, pour Schoenberg musicien, une urgence à comprendre sur quoi repose le jugement de goût, les critères à partir desquels il s’effectue, ou bien les caractéristiques de l’activité de l’artiste ou du génie. En effet, il s’agit pour le musicien-philosophe de clarifier sa propre activité et de justifier sa production face aux nombreuses critiques. « Je n’ai jamais cessé de m’interroger sur le fondement théorique de mon style », écrit Schoenberg en 19494.
4Cependant, il faut souligner, non seulement la clarté et la rigueur du discours de Schoenberg – ainsi que son humour –, mais aussi son goût pour la spéculation proprement philosophique, pour le travail du concept et donc pour l’abstraction. Que sa curiosité s’étende à la philosophie, c’est ce dont témoigne sa bibliothèque, dans laquelle on relève la présence des grands textes de la philosophie, de Platon à Nietzsche, en passant par Kant et Schopenhauer5. On trouve, chez Schoenberg, un intérêt pour les problèmes esthétiques posés par la tradition philosophique et un goût véritable pour la spéculation.
5Aussi notre tâche est-elle la suivante : établir, à partir des différents textes sans lien apparent, l’unité de la réflexion schoenbergienne sur la musique et dessiner sa physionomie.
6L’esthétique musicale de Schoenberg se développe selon trois axes complémentaires. Elle porte sur le statut de l’artiste, que le xviiie siècle, pour distinguer l’activité artistique de l’activité technique, nomme le génie. Elle porte, d’une manière corrélative, sur le statut du jugement de goût formulé par le spectateur, et fournit une remarquable analyse des différents processus qui se mêlent et donnent naissance au jugement de goût – en somme : une phénoménologie de l’expérience esthétique. Elle donne enfin un statut conceptuel à l’œuvre d’art et plus précisément à la musique, prenant position par rapport au romantisme allemand du xixe siècle, qui, de Schumann à Wagner, fait de la musique un langage qui possède un sens extra-musical.
Théoricien et artiste. La question du génie
7C’est au xviiie siècle que surgit la distinction moderne entre l’artiste et le technicien. Si le second est un artisan, dont l’activité relève d’un savoir et d’un savoir-faire, le premier est un génie dont le propre, pour reprendre la formulation kantienne donnée dans la Critique de la faculté de juger, est de procéder sans règle déterminée6. La création artistique est donc irréductible à la connaissance de règles précises et à l’habileté dans leur application. Si « tout art présuppose des règles7 » qui rendent possible la création artistique et équivalent à une maîtrise technique, celles-ci sont insuffisantes pour créer une œuvre d’art : le véritable artiste dispose donc d’un « don naturel » ou « talent », d’une « disposition innée de l’esprit » qui ne s’explique ni ne s’apprend8.
8C’est cette idée de « génie » que vont exploiter tous les philosophes et musiciens romantiques, insistant sur l’irrationalité de la création artistique. L’artiste est inspiré par des forces obscures qui sont plus fortes que lui et auxquelles il est assujetti. L’activité artistique relève donc en ce sens d’une passivité primordiale qui reste irréductible à un effort volontaire. Schopenhauer ne cesse d’insister sur ce point : le génie procède au moyen d’une connaissance indicible et ineffable, d’une connaissance intuitive que l’auteur du Monde comme volonté et comme représentation oppose à la connaissance discursive ou abstraite9.
9Schoenberg fait sienne cette idée de génie. N’écrit-il pas en effet à Kandinsky, au moment où il fait sa connaissance, qu’il souscrit à sa thèse selon laquelle l’œuvre d’art provient d’un fond obscur et mystérieux que le musicien ne maîtrise pas ? L’art trouve en effet son origine dans un acte inconscient dont l’artiste n’est pas le maître10. On retrouve dans des textes de la même époque (1911) des accents nietzschéens :
« Dans ma conférence j’expliquai ce que j’entendais par génie et talent. Je développai en particulier l’idée que le génie est la forme future de l’humanité ».11
10Bref, l’œuvre d’art semble être le fruit d’une « intuition » irréductible à toute connaissance discursive12. Schoenberg insiste sur ce point par rapport auquel il distingue ses deux activités. L’activité théorique n’est pas régie par les mêmes processus que l’activité artistique. Aussi Schoenberg théoricien, qui commente l’activité de Schoenberg musicien, affirme-t-il que la création musicale n’obéit à aucun système ni à aucune règle : l’artiste doit attendre et espérer l’inspiration. La soumission à des lois et à une théorie et à ses lois est le propre du mauvais artiste13, tout juste capable d’appliquer des règles préexistantes.
11Cela posé, Schoenberg ne reprend la conception romantique du « génie » que dans les années 1911, au moment où il compose La Main heureuse. C’est ce dont témoignent non seulement les textes cités, mais également le livret de cette œuvre, écrit par le musicien lui-même. Soulignons la référence à Wagner : tel Siegfried réussissant sans jamais avoir appris, grâce à un don inexplicable, là où Mime a échoué malgré tous ses efforts, l’Homme forge spontanément et avec une belle facilité des bijoux là où les autres apparaissent comme des besogneux. L’intuition et l’intelligence s’opposent encore en 1911, et le génie, conformément au mythe romantique, apparaît comme un homme solitaire mal-aimé et malheureux, inspiré par des forces qu’il ne maîtrise ni ne comprend, et qui ne saurait trouver de repos dans sa tâche infinie – la création.
12Par la suite, l’activité artistique n’est plus pour Schoenberg le fruit d’une inspiration irréductible à toute pensée rationnelle. Certes, le musicien, constatant la manière dont les autres musiciens et lui-même procèdent, soutient que l’artiste ne peut commencer à créer avec la conscience claire et la connaissance précise de ce qu’il va faire : il ne sait pas, avant de composer ni même au moment où il compose, l’ordre qu’il est en train de créer. Autrement dit : si l’artiste part bien d’un projet, celui-ci reste indéterminé et ne constitue qu’une impulsion de départ qui suscite le processus de la création. Le projet se transforme progressivement au cours de l’activité créatrice et ne surgit qu’à la fin, une fois l’œuvre achevée, aux yeux du créateur14. Schoenberg souligne que, lorsqu’il a mis en musique les poèmes de Stefan George, il s’est aperçu une fois l’œuvre achevée qu’il avait fait quelque chose de totalement différent de ses œuvres précédentes, sans en avoir pourtant au commencement le dessein15.
13Autrement dit, l’irréductibilité de l’activité artistique à toute activité technique apparaît dans le fait qu’on ne peut comprendre la loi unificatrice de l’œuvre d’art qu’après-coup. Mais, pour le Schoenberg de la maturité, cette activité artistique ne s’oppose pas à l’intelligence, car ces deux dimensions sont au contraire indissociables. Dans un article célèbre intitulé « Le cœur et la tête en musique », Schoenberg insiste sur le fait que l’art n’existe pas sans une inspiration irréductible à tout dessein rationnel – ce qu’il nomme le « cœur » –, mais il ajoute que l’intelligence (la « tête ») joue un rôle tout aussi important. Si l’idée musicale relève souvent d’une inspiration ou émotion spontanées, non seulement elle est conditionnée par la connaissance du musicien, pour autant que celle-ci la rend possible, mais il faut ensuite la développer et la mettre en ordre par le moyen de l’intelligence au moyen de la technique musicale préalablement acquise. En ce sens, cœur et tête, inspiration et intelligence, immédiateté et médiation sont impliqués l’un par l’autre. Le musicien ne peut pas départager, dans sa propre œuvre, ce qui relève d’une inspiration spontanée irréductible à tout calcul de l’intelligence, de ce qui relève d’une stratégie ou d’un calcul de l’intelligence permettant de donner une forme à l’idée musicale :
« Mais une chose est certaine : que la composition finale soit simple ou complexe, qu’elle ait été écrite d’un seul jet ou qu’elle ait demandé infiniment de travail ou de temps, rien ne permet, une fois qu’elle est achevée, de décider ce qui domina dans son élaboration, du cœur ou de la tête. [...] Et l’homme de génie réellement créateur n’a aucune peine à soumettre ses sentiments au contrôle de son intelligence ».16
14On voit que le musicien s’oppose tout autant à ceux qui, s’appuyant sur ses premières œuvres, le traitent de « romantique démodé17 » cédant à la facilité de l’inspiration et se laissant guider par ses impulsions inconscientes sans les maîtriser, qu’à ceux qui lui reprochent d’être uniquement cérébral et de bannir toute émotion spontanée au profit d’un calcul qui relèverait de la seule intelligence18. D’un côté, il faut se méfier de ceux qui en appellent, contre l’intelligence, à l’inspiration immédiate comme source unique de leurs œuvres : cette prétention à la sincérité sert souvent à cacher l’absence de lien logique d’une œuvre et à justifier n’importe quoi19. De l’autre, on ne peut pas réduire la création à la connaissance et à l’application de certaines règles. Le musicien, quand il compose, fait table rase de toute règle et de tout dogme20 : seule une telle liberté peut engendrer une œuvre d’art.
15Schoenberg ne cesse d’insister sur le travail aride d’acquisitions techniques nécessaire à tout musicien, rappelant que Brahms, quand il manquait d’inspiration, s’amusait, en guise de « gymnastique intellectuelle », à faire des exercices de contrepoint21. Le but du Traité d’harmonie est d’ailleurs de « rendre l’élève capable de créer des figures sonores qui produisent un effet qui a fait ses preuves, mais qui n’ont pas à apporter quelque chose qui est nouveau, intéressant ou même beau »22.
16Schoenberg souligne son attachement au passé et à la tradition : tout bon musicien doit commencer par se réapproprier son propre passé et acquérir les bases techniques nécessaires à toute composition23. Cela posé, la maîtrise technique ne suffit pas pour produire une œuvre digne de ce nom. L’artiste véritable possède une disposition innée, qu’on ne peut ni expliquer ni enseigner, et qui lui permet de produire quelque chose de nouveau. La création d’une forme qui organise le matériau sonore n’est jamais le résultat d’une activité consciente : non seulement le musicien a assimilé les connaissances techniques au point de pouvoir les utiliser spontanément, sans réflexion24, mais il lui faut encore disposer d’un don particulier qui lui permettra de créer quelque chose d’inédit.
17L’artiste n’a pas pour fonction de répéter ce qui a déjà été fait et bien fait, mais de créer quelque chose de nouveau25. Aussi n’y a-t-il pas d’autre possibilité que de sortir du système tonal pour faire surgir de nouvelles sonorités et inventer un nouvel ordre musical. Schoenberg ne s’oppose pas à la tonalité, mais insiste simplement sur le fait que, comme en témoigne l’histoire de la musique, toutes les possibilités de la conscience tonale ont été découvertes et exploitées, en sorte qu’il ne reste plus au musicien d’aujourd’hui qu’à en tirer la conséquence, du reste préparée par l’émancipation progressive de la dissonance dans la musique romantique.
18Partant, le critère auquel on mesure la valeur d’une œuvre d’art est son originalité, c’est-à-dire la manière dont elle instaure un ordre nouveau dans le matériel sonore :
« Le matériau musical est riche de possibilités infinies [...] En conséquence, chaque compositeur se doit d’inventer du neuf, de trouver des relations nouvelles entre les sons qui puissent donner matière à discussion et justifier une étude de leurs conséquences ».26
19Schoenberg condamne l’originalité à tout prix27, car ce qui importe est la qualité du discours musical du compositeur : qu’a-t-il à nous dire qu’on ne nous avait jamais dit ? Comment le dit-il ? Comment construit-il son discours, comment met-il en place ses idées et les met-il en rapport ? Distingue-t-il ses idées principales de ses idées secondaires ? Etc.28. Schoenberg ne cesse de revenir sur cette idée selon laquelle une pièce musicale ne peut pas valoir en vertu de certaines trouvailles musicales ponctuelles qui se manifestent en elle, car elle est un tout dans lequel ces idées doivent être logiquement liées :
« Il ne faut pas oublier [...] que l’unique mesure pour un compositeur est son sens de l’équilibre et sa foi dans l’infaillibilité de la logique de sa pensée musicale ».29
20Le musicien utilise souvent l’analogie qui consiste à comparer la musique à un discours : s’il remarque les limites d’un tel procédé30, il n’en souligne pas moins que la musique est une totalité qui se déploie dans le temps et qu’il faut apprécier d’après la valeur des articulations (la syntaxe) qui tissent une continuité en établissant un rapport entre les éléments :
« Bien peu savent l’art d’exprimer une pensée musicale de façon juste et variée. [...] Cette façon simpliste d’exposer des idées [...] est la marque des esprits incultes, qui ne savent parler des choses que dans l’ordre où elles se présentent, qui ne peuvent les concevoir dans leur ensemble et ne sauraient en conséquence ni prévoir ce qui va suivre ni faire un retour en arrière, en vue de lier logiquement une phrase à une autre autrement que par des “et” : “Et je dis... et alors il dit... et alors nous avons éclaté de rire... et... et...” à l’infini ».31
21Schoenberg affirme que si ses œuvres possèdent bien une caractéristique incontestable, c’est précisément ce sens logique qui consiste à établir une cohérence dans le divers temporel, à relier les idées musicales d’une manière telle que la pièce possède une unité organique32 – ce qu’il appelle proprement forme. Aussi n’emploie-t-il pas ce mot dans son sens usuel (la forme sonate par exemple), mais comme un synonyme d’unité structurelle33 – dans la Théorie d’harmonie, la « théorie des formes » est définie comme « disposition pour construire et développer des idées musicales »34.
22L’invention d’un système musical inédit permettant d’exploiter le champ infini des possibilités musicales et d’instaurer un ordre au sein du chaos sonore, c’est ce que Schoenberg prétend accomplir grâce à la méthode de composition à douze sons :
« À la racine de ce mouvement [sc. la composition à douze sons] se trouve le besoin de mettre en œuvre des ressources nouvelles dans un esprit indépendant, d’en arracher des possibilités de construction de formes neuves, de produire par leur seul moyen tous les effets d’un style clair, d’une présentation ramassée, intelligible et féconde des idées musicales ».35
23L’auteur souligne la supériorité de ce modèle sur le modèle tonal. Ce dernier, reposant sur la gamme diatonique, excluait en effet un certain nombre de possibilités qu’inclut au contraire le nouveau système. La méthode de composition à douze sons, reposant sur la gamme chromatique, englobe la totalité des possibles : ne reposant sur aucun interdit harmonique, elle ouvre un champ musical infini.
24Il ne faut pas croire que cette méthode est un système théorique qui prétendrait dogmatiquement soumettre la musique à venir. En premier lieu, la théorisation de la méthode de composition à douze sons est précédée par sa découverte au sein de la pratique musicale effective du compositeur : la théorie provient de la pratique et n’en est que la formulation a posteriori. En second lieu, Schoenberg prétend fournir, non pas un système ou une théorie d’après laquelle lui-même ou ses élèves devraient composer, mais seulement une méthode permettant aux musiciens de s’orienter :
« Dans le même temps, je n’avais pas désigné ma façon de travailler comme un “système”, mais comme une “méthode”, comme un outil de compositeur et non comme une simple théorie ».36
25De plus, une telle méthode ne préjuge en rien de la structure de l’œuvre : si l’on peut bien chercher a posteriori à numéroter les sons et chercher les méthodes de traitement des séries dans les œuvres existantes, on ne peut en déduire aucune œuvre nouvelle. La méthode de composition à douze sons n’est pas un ensemble de lois que l’artiste n’aurait qu’à suivre et à appliquer pour faire une œuvre37. Enfin, Schoenberg lui-même avoue, en 1949, n’être pas certain que ses dernières compositions soient fidèles au système des douze sons, « car je suis encore plus compositeur que théoricien. Quand je compose, je tâche d’oublier toutes les théories »38.
26Aussi cette méthode n’est-elle pas une règle qui n’admettrait aucune transgression, ajoute Schoenberg, mettant en garde ceux qui en feraient la loi absolue de toute musique : la composition à douze sons est « une méthode qui cache un ordre et une organisation logiques et dont le résultat principal doit être de rendre cette musique compréhensible »39
27Ce que reproche Schoenberg aux partisans de la tonalité, c’est de faire d’un fait historique, d’un usage ou encore d’une tradition une norme, c’est d’affirmer que ce qu’on a fait jusque-là est aussi ce qu’il faut faire à l’avenir40. Non seulement la méthode de composition à douze sons n’est pas une norme absolue, mais elle rend possible une liberté que bridait la méthode antérieure, étant donné qu’elle ne saurait « définir un cadre donné, préciser son fractionnement, assurer les liaisons, marquer les articulations, faciliter les regroupements, faire régner une unité »41.
28Le musicien est libre, et cette liberté consiste précisément à ne partir d’aucune règle qui entraverait sa liberté et prédéterminerait la structure de son œuvre. L’inspiration dicte au musicien ce qu’il écrit : le motif véritable pour lequel un musicien écrit telle musique, c’est le plaisir qu’elle lui procure42.
29Cette thèse selon laquelle l’artiste est un génie et la création relève d’une inspiration irrationnelle se retrouve dans tous les écrits de Schoenberg. Ce qui change toutefois d’une période à l’autre, c’est l’interprétation qu’en donne son auteur. Dans les années 1910, Schoenberg voit dans l’inspiration qui est à l’origine de l’œuvre d’art l’expression véritable du moi : « c’est l’artiste qui s’est révélé, qui s’est exprimé dans un tableau, qui s’est représenté dans sa peinture avec la plus totale franchise »43.
30Toute œuvre d’art est donc une expression des états d’âme de son créateur. Mais cette thèse disparaît dès les années vingt. Il s’agit désormais de fuir le « pathos » de la subjectivité44. L’accent n’est plus mis sur le moi du créateur, sur l’intimité et les méandres de son moi qu’il révèle au monde par l’œuvre d’art, mais sur l’objet d’art lui-même – l’accent est mis, non pas sur le créateur, mais sur la création. Le sens de l’œuvre d’art lui est immanent et doit être cherché, non pas dans le « pathos » du créateur, mais dans le lien de cette œuvre avec la tradition par rapport à laquelle elle fait surgir de nouvelles possibilités. Il faut définir l’œuvre d’art, non pas comme expression de forces inconscientes de son créateur – car même la production la plus insipide est toujours l’expression d’un moi –, mais comme ce qui montre quelque chose d’inédit :
« Un compositeur, un véritable auteur, n’écrit que pour dire quelque chose qui doit être dit et qui n’a pas déjà été dit [...]. Aucune impulsion ne saurait le pousser à écrire ce qui a déjà été dit, comme c’est le cas de ceux qui ressassent des mélodies folkloriques »45.
31C’est donc la nouveauté du discours du musicien, pour autant que ce discours possède une unité véritable et imprime un ordre au chaos, qui constitue la valeur d’une œuvre d’art.
32Pour conclure sur cette question, il faut souligner la complémentarité du travail de musicien et de théoricien. L’activité artistique relève d’une inspiration irréductible à toute pensée rationnelle et consciente – et si Schoenberg parle de « logique » à propos de la création artistique, ce n’est pas pour subordonner cette création à la rationalité consciente (comme l’ont prétendu les détracteurs du musicien), mais pour souligner que cette œuvre est une unité structurelle soumise à une loi organique qui rend légitime chaque moment (la logique de la création artistique n’est donc pas une logique rationnelle et consciente). Cependant, d’une part cette inspiration est, comme on l’a vu, indissociable de la pensée rationnelle en vertu de laquelle elle se développe et par laquelle elle est conditionnée ; d’autre part l’artiste aspire à devenir le théoricien de sa propre œuvre, afin de « garder le contrôle conscient » des lois régissant les formes artistiques qu’il a conçues « comme dans un rêve »46. Aussi le travail du théoricien consiste-t-il à rendre intelligible le travail de l’artiste et à formuler la loi qui organise secrètement l’œuvre. Si la forme, c’est-à-dire l’unité structurelle de l’œuvre, n’est pas le résultat d’un effort intentionnel, parce que le savoir technique, malgré sa nécessaire contribution, ne peut pas engendrer un tout organique dont les parties sont étroitement liées47, le théoricien prend le relais du musicien : car c’est à lui qu’il revient de montrer l’existence effective d’une telle unité structurelle, mise à jour au moyen de l’analyse musicale.
Phénoménologie de l’expérience esthétique : le jugement de goût
33La dualité cœur et tête, sensibilité et entendement, émotion et intelligence, doit être mise en évidence, non seulement du côté de la production artistique, mais aussi de celui de la contemplation.
34Toute œuvre d’art produit sur le spectateur un sentiment esthétique communément appelé sentiment du beau. La question qui intéresse Schoenberg est de savoir comment se produit ce plaisir esthétique, quels sont les éléments qui y collaborent, et comment ce spectateur en arrive à le formuler au sein d’un jugement de goût dans lequel il énonce que « ceci est beau ».
35Si la pièce musicale suscite chez l’auditeur un état d’âme, c’est-à-dire un sentiment particulier, celui-ci n’est pas engendré d’une manière nécessaire par la musique. Plus exactement : l’impression produite sur l’auditeur tient tout autant à l’œuvre d’art qu’à la constitution subjective du spectateur. Aussi faut-il dire, non pas que l’œuvre d’art implique le sentiment qu’elle engendre chez le spectateur comme sa conséquence nécessaire, mais du moins qu’elle ne l’exclut pas. Si ce sentiment est en somme un des possibles que peut susciter cette musique, il n’est pas inscrit dans cette musique elle-même puisqu’il relève de l’appréhension de l’objet par un sujet48.
36Du coup, la réflexion sur la musique doit prendre en considération trois éléments49 : 1. des considérations techniques qui relèvent de la connaissance proprement musicale – on remarquera au passage que Schoenberg fait abstraction des considérations physiques et plus précisément acoustiques qui interviennent rarement dans sa réflexion sur l’art ; 2. des éléments physiologiques, car l’analyse du fonctionnement des organes des sens, donc de l’organisation biologique de l’individu, peut nous permettre de mieux comprendre le phénomène de la perception sensorielle ; 3. des éléments psychologiques ou phénoménologiques, car la perception ne saurait être réduite à un phénomène biologique. C’est sur ces derniers éléments que Schoenberg insiste le plus.
37La réflexion de Schoenberg permet d’apporter une solution à ce qu’on appelle, depuis Kant, l’antinomie du goût50. On sait que cette antinomie oppose deux conceptions. La première, qui est la conception classique, affirme que le jugement de goût relève de l’entendement, donc de l’intelligence, assimilant jugement de goût et jugement de connaissance, et niant le rôle du sentiment : elle admet dès lors un beau universel (tous les goûts ne se valent pas), mais ne peut le fonder que sur une négation de la spécificité du jugement de goût. La seconde conception, qui est la conception romantique, fonde la spécificité du jugement de goût et son irréductibilité au jugement de connaissance sur le fait que le jugement de goût est lié à un sentiment ; mais elle aboutit au relativisme (à chacun son goût) et à l’impossibilité de hiérarchiser la valeur des œuvres d’art sur des analyses.
38On remarque que cette antinomie repose sur l’opposition du sentiment et de la connaissance. Or il est bien possible que sentiment et connaissance, loin de s’opposer, soient complémentaires. C’est précisément ce que s’efforce de montrer Schoenberg en analysant les conditions, immanentes au sujet, du plaisir esthétique et du jugement de goût. Aussi la résolution de l’antinomie consiste-t-elle à montrer que le problème est mal posé : tant qu’on admet l’alternative exclusive proposée par l’antinomie du goût, on reste incapable de rendre compte du jugement de goût.
39Qu’est-ce qui produit un plaisir esthétique ? C’est le fait de comprendre ce que l’on entend. Voilà la raison pour laquelle la musique populaire, fondée sur une rengaine simple et suffisamment répétée pour qu’on l’identifie, qu’on puisse la chanter, donc s’en souvenir et la reconnaître, procure un tel plaisir esthétique à l’homme du commun51.
« Toute musique est difficile à suivre si le compositeur n’a pas aplani l’accès en répétant autant de fois que possible certains éléments, [...] Si par exemple un dessin musical est anonyme ou, au contraire, compliqué au point que je ne puisse le reconnaître et m’en souvenir, alors la compréhension de tout ce qui suivra, de tout ce qu’on en tirera, de tout ce qu’il annonce m’échappera complètement. C’est sans doute pourquoi, dans la musique, on répète aussi souvent que possible, surtout dans la musique sans prétention. [...] On peut donc formuler la loi suivante : plus on désire qu’un morceau soit accessible, plus il faudra en répéter les éléments »52.
40Bref, le plaisir esthétique présuppose un processus d’identification ou de détermination qui relève de l’intelligence. Ce qui est indéterminé, ce qu’on n’arrive pas à saisir dans son unité et qui semble une succession désordonnée de sons ne peut produire un plaisir. Néanmoins, il ne faut pas croire qu’il s’agit ici d’une connaissance relevant de la technique musicale. L’identification ou la reconnaissance d’un morceau de musique, d’un thème, d’une mélodie, ne suppose pas qu’on identifie la hauteur des notes et l’organisation harmonique. Car, de même qu’il n’est pas nécessaire de connaître la formule chimique de l’eau pour l’identifier, la reconnaissance d’un morceau de musique passe par la mémorisation et la capacité de fredonner l’air entendu. Autrement dit : il s’agit d’une connaissance propre à tous les hommes qu’on peut appeler la connaissance ordinaire. Cette reconnaissance n’en présuppose pas moins l’adhésion informulée et inconsciente, du fait de l’habitude, au système tonal qui prédomine dans notre culture occidentale – de sorte que l’habitude me fait attendre, à la fin d’une mélodie, le retour sur la tonique : si celui-ci ne se produit pas et que l’air finit sur la dominante, j’éprouverai un sentiment d’insatisfaction sans pouvoir, faute de connaissances musicales, en donner la raison.
41Le sentiment du beau est fondé sur un système théorique. Par exemple, lorsque j’éprouve du plaisir ou du déplaisir en entendant certains accords, ma perception et mon plaisir ne sont ni spontanés ni immédiats : ils sont médiés par un certain savoir par rapport auquel les sons sont appréhendés, mesurés et valorisés ou dévalorisés53. Aussi faut-il souligner l’importance du contexte qui constitue le fond (inconscient) sur lequel surgit le plaisir esthétique : le sentiment n’est pas quelque chose qu’on peut isoler, qui surgirait par soi-même et pourrait être compris par lui-même, mais il est au contraire quelque chose qui résulte d’une culture et d’une éducation, et dont il constitue l’effet sédimenté. C’est en fonction d’anticipations de sens qui me prédisposent à éprouver un sentiment esthétique face à certaines sonorités et qui préjugent déjà de ce que sont (et doivent être) la musique et le beau, que surgit mon plaisir esthétique. Autrement dit, le sentiment est le résultat d’une connaissance. On ne peut pas plus séparer le sentiment de l’intelligence dans la contemplation esthétique que dans la création artistique. C’est pourquoi, pour Schoenberg, le beau n’est rien d’autre que l’intéressant : il ne faut pas croire que le beau serait un sentiment qui n’entretient aucun lien avec la pensée rationnelle et demeure inexplicable, dans la mesure où le plaisir esthétique n’est rien d’autre qu’un type d’appréhension et donc de compréhension d’un objet qui, s’il est irréductible à toute pensée rationnelle, lui est toutefois intimement lié.
42Étant donné que le plaisir ne saurait être dissocié de la connaissance, le sentiment qu’on éprouve dépend des connaissances qu’on possède. Il va de soi qu’un homme non seulement dénué de toute formation musicale, mais qui n’est pas habitué à écouter ce qu’on appelle la « musique savante », ne trouvera de plaisir esthétique que dans les rengaines populaires. Une œuvre qui relève de la musique savante lui restera incompréhensible et lui semblera une succession de sons sans aucune cohérence :
« La musique populaire s’adresse à des gens simples, qui goûtent la beauté de la musique mais ne tiennent pas à se fatiguer l’esprit. Ce qu’ils aiment n’est pas pour autant la trivialité, ou la vulgarité, ou le manque d’originalité ; ils désirent seulement que la musique qu’ils entendent leur reste compréhensible »54.
43On comprend dès lors la difficulté que présente la musique de Schoenberg. En effet, elle rompt avec le système tonal pour introduire un ordre nouveau, qui reste inhabituel et imprévisible non seulement à l’homme du commun, mais aussi à l’honnête homme et même au musicien, trop habitués à la structure tonale du discours musical ; néanmoins, comme le souligne l’auteur lui-même, sa musique ne se répète jamais55. Il reste donc impossible de se familiariser avec une idée qui, aussitôt qu’elle apparaît, disparaît à jamais. Si je n’ai aucune connaissance de la musique atonale, si je ne suis pas non plus familiarisé avec les œuvres qui la mettent en pratique, si donc je n’ai pas habitué mon oreille à ce nouveau type de liaison des sons, je resterai incapable d’établir un lien entre les différents sons, donc d’unifier la diversité sonore et, partant, d’éprouver un plaisir esthétique.
44Bref, le plaisir esthétique naît de la compréhension, de l’identification, de la reconnaissance, c’est-à-dire de la mémoire et de l’anticipation. Encore une fois, Schoenberg ne nie en rien le rôle du plaisir esthétique et l’irréductibilité du sentiment à la connaissance – bien qu’il soit parfois tenté de minimiser le rôle du plaisir esthétique dont il fait presque le prolongement de la connaissance :
« Lorsqu’un auditeur satisfait a pu suivre une idée, la façon dont elle s’est développée et les raisons pour lesquelles elle s’est développée, l’impression de détente qu’il ressent est très proche, psychologiquement parlant, d’une impression de beauté »56.
45Cependant, il est vrai que la connaissance théorique n’aura pas pour effet nécessaire l’apparition d’un sentiment du beau : j’ai beau comprendre la méthode de composition à douze sons, je peux très bien n’éprouver aucune émotion en entendant Moïse et Aaron. Mais il est certain que l’émotion musicale que je ressens est proportionnelle à ma connaissance théorique de la musique et, plus largement, à ma familiarité avec un certain type de musique. Le sentiment esthétique n’est pas immédiat, il est lié sur le plan collectif à l’histoire et sur le plan individuel à l’éducation.
46Apparaît dès lors le problème de savoir qui peut juger, en musique, de ce qui est beau. Car il est vrai que la musique est le seul art qui, à l’encontre de la poésie ou bien de la peinture, implique une connaissance technique longue à acquérir, celle des éléments du solfège. Si je ne sais pas lire une partition et l’entendre en la lisant, suis-je apte à porter un jugement de goût ? Lorsque Schoenberg écrit que la radio banalise la musique et en fait un objet de consommation57 – c’est aussi le cas du disque – on ne peut s’empêcher de penser à ce qui sépare l’amateur de musique au moment où ce texte est écrit (1930) de l’amateur de musique au xixe. Par exemple, Nietzsche a découvert la musique de Wagner en jouant, avec ses amis, les transcriptions pour piano. Les transcriptions de piano avaient en somme au xixe siècle le rôle qu’ont la radio et le disque au xxe siècle : permettre de découvrir une œuvre. La différence est toutefois énorme : le fait de jouer la transcription pour piano de la Walkyrie implique une tout autre attitude et un tout autre rapport à la musique que l’écoute passive d’un disque ou d’un concert. L’activité constitutive de toute pratique musicale relève d’une toute autre compréhension – intime, intérieure – que l’audition d’une pièce dont, faute de savoir lire une partition, on ne peut pas saisir le sens proprement musical. Si Nietzsche et ses amis pouvaient analyser et commenter la chose même, l’auditeur qui ne connaît pas la musique n’a pas d’autre solution que de se laisser emporter par les états d’âme qu’elle fait naître en lui. S’il porte un jugement sur l’œuvre entendue, ce n’est pas d’elle qu’il parlera, mais de lui-même et de ses propres émotions. En effet, « une œuvre d’art ne peut donner que l’émotion que l’on peut soi-même ressentir et en fin de compte l’émotion musicale est presque toujours le produit de l’imagination de l’auditeur »58.
47Quelle légitimité peut-on donc accorder à un jugement de goût qui ne s’appuie pas sur une analyse de l’œuvre d’art elle-même, mais sur les sentiments subjectifs et variables qu’elle a suscités chez son auditeur ?
48Voilà pourquoi le beau, en musique, n’est pas l’affaire de tout le monde, mais seulement de quelques-uns59. Si, aujourd’hui, on construit des salles de concert de plus en plus grandes pour un public nouveau qui aime la musique sans pouvoir la lire, « avant cette époque, les auditoires ne groupaient que peu de gens, tous amateurs éclairés et pour la plupart capables d’exécuter leurs œuvres favorites : beaucoup d’entre eux avaient une culture semi-professionnelle et souvent mieux. Leur jugement s’appuyait dans une certaine mesure sur des arguments que seuls des spécialistes ont aujourd’hui qualité pour avancer, encore que d’autres ne s’en privent pas. Or des connaissances musicales d’un niveau aussi élevé vont de pair avec la possession de solides critères de jugement »60.
49Cela posé, il y a pire que l’ignorant qui prétend porter un jugement sur la musique : le critique. On sait que Schoenberg est resté incompris des critiques musicaux, qui ont souvent porté des jugements négatifs sur ses œuvres. On comprend dès lors que le critique musical devienne l’objet de railleries dans de nombreux articles. Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement de railler le critique, mais de dénoncer son incompétence. Schoenberg souligne que, faute des connaissances musicales les plus élémentaires, les critiques qui lui sont contemporains restent incapables de porter un jugement légitime. Il déplore que, aujourd’hui, les compte rendus de concerts ne soient pas faits par de véritables critiques possédant une formation musicale, mais par des journalistes qui ignorent tout de la musique61.
50Quant aux critiques qui ont une véritable formation musicale, ils ne sont pas des esprits libres et ils sont même parfois malhonnêtes : refusant tout ce qui enfreint la loi sacrée de la tonalité, ils ne supportent que la répétition du même et restent fermés à toute innovation – allant même, pour certains, jusqu’à juger a priori d’un concert sans se donner la peine d’y assister62 !
51On comprend que Schoenberg en vienne parfois à adopter le point de vue de Wagner, dont l’art fut reconnu par le public avant d’être reconnu par les spécialistes63 et qui, dans les Maîtres chanteurs de Nuremberg, oppose au personnage de Beckmesser celui de Hans Sachs, qui fait confiance « à ceux qui ne savent rien de la tablature »64. Wagner a su affiner l’oreille du public et l’amener à goûter de nouvelles sonorités :
« En même temps, la qualité du discernement s’affina. Les gens [...] développèrent des sens aussi subtils que l’oreille absolue du musicien ou son sens de la forme ; ils renchérirent même sur ces subtilités en ce qu’ils surent aller de l’avant, atteindre l’essence des choses, suivre le créateur jusqu’aux confins où, même pour l’érudit, la poésie commence et la technique doit se taire »65.
52Aussi faut-il peut-être faire plus confiance à l’homme qui n’a aucune formation musicale, car il reste un esprit libre, sans préjugés, capable de s’élever, au moyen d’une prescience obscure, jusqu’au plaisir esthétique provoqué par l’appréhension de sonorités nouvelles. Cependant, « il semble risqué d’admettre que celui qui aime la musique et qui est sensible à son enchantement possède le droit et le pouvoir de la juger en connaissance de cause »66.
53Ainsi faut-il, à l’instar de Schopenhauer, rester élitiste et convenir que seule une connaissance de la musique rend légitime un jugement sûr quant à la valeur d’une œuvre : « le jugement des œuvres d’art doit être un acte d’autorité »67. Ce jugement se fonde sur des critères qu’on a déjà énoncés plus haut : la nouveauté du discours et l’unité organique qu’il établit entre les parties. Aussi le jugement de goût doit-il être fondé, non sur un simple sentiment, mais sur une analyse musicale. Ce qui ne signifie pas qu’on puisse réduire la critique musicale et le jugement de goût à une simple analyse technique de l’œuvre, car il y a bien un point « où, même pour l’érudit, la poésie commence et la technique doit se taire ». Le jugement de connaissance, qui consiste à décrire les caractéristiques techniques d’une œuvre, n’équivaut pas à un jugement de valeur au sein duquel on accorde (ou non) une valeur esthétique à cette œuvre. Comme nous l’avons dit plus haut, ce n’est pas parce que je comprends l’organisation d’une œuvre et sa structure que j’éprouverai un plaisir esthétique. Cela posé, il est impossible d’émettre un jugement sur la musique sans faire intervenir des considérations techniques :
« Il n’eût pas été possible à un critique d’autrefois d’éviter complètement de parler technique »68.
54Aussi demeure-t-il toujours une incertitude dans le jugement de goût, car on ne saurait éliminer la part du sentiment subjectif. S’il est certain qu’on ne peut parler de la musique que pour autant qu’on possède des connaissances musicales, si « le jugement des œuvres d’art doit être un acte d’autorité », « le malheur est qu’on ne sait ni qui détient l’autorité ni comment on peut l’acquérir ; que rien ne prouve qu’elle restera toujours incontestée et qu’on ne dit pas ce qui se passera si elle s’est trompée »69.
La musique comme langage non signifiant et imposition d’un ordre au chaos sonore
55Nous avons souligné que Schoenberg ne cesse de comparer la musique à un discours. Faut-il alors penser que, pour lui, la musique est un langage au sens fort du terme, possédant un contenu de sens extra-musical ?
56On sait que c’est au xixe siècle que la musique devient, en Allemagne, l’art par excellence. Les musiciens (Schumann, Liszt, Wagner), les philosophes (Schelling, Schopenhauer) et les écrivains (Novalis, Jean-Paul, Tieck) affirment sa supériorité sur les autres arts. Son privilège est dû à la nature du son. Le déploiement temporel du son s’adresse directement au sentiment de l’homme, érigé en moyen de connaissance, et exprime l’unité et l’ordre du monde. Le monde possède une intelligibilité qui reste ineffable et indicible. Si le concept, qui fige et découpe, reste impuissant pour dire cette continuité et ce flux qui caractérisent le monde par-delà la fixité et la discontinuité apparentes des êtres, seule la musique peut exprimer cette essence du monde, parce qu’elle est elle-même un flux continu. C’est donc l’isomorphisme entre la musique et le monde qui permet à la première d’être, plus qu’un art, une forme de connaissance : le lieu de dévoilement du monde. L’émotion esthétique propre à la musique est donc un type de savoir et même le savoir véritable. La pensée est en effet irréductible au travail de la raison ; et si le concept ne peut pas dire ce flux (la vie) qui caractérise le monde, la musique acquiert la dignité d’un langage – au sens fort du terme – capable d’exprimer cette essence obscure que dissimule la réalité apparente. Lorsque Schumann écoutait, sans lâcher la touche, la répercussion d’une note frappée sur son piano, n’y voyait-il pas l’expression immédiate de ce flux qui parcourt la totalité du monde70 ? L’homme possède une intuition par laquelle il éprouve ou sent, en deçà des différenciations produites par la raison, une communion avec la nature dans sa totalité. La connaissance logique est en effet seconde par rapport à la vie qui est elle-même une forme de connaissance. Aussi la musique est-elle le lieu d’une intuition par ma vie de la vie, intuition par laquelle je coïncide avec ce souffle qui parcourt la nature dans sa totalité71.
57C’est pourquoi la musique est, pour les philosophes et musiciens romantiques allemands, la connaissance véritable. Selon Wagner, par exemple, le musicien « exprime la vérité la plus haute dans une langue que la raison ne comprend pas »72 : la musique « parle un langage immédiatement compréhensible pour chacun et ne nécessitant aucunement l’intermédiaire des concepts »73. C’est sa découverte de Schopenhauer qui l’amène à affirmer que la musique est un langage qui a un sens extra-musical et qui exprime l’essence du monde, conception dont il ne se départira plus jusqu’à sa mort. Derrière le monde que nous percevons (monde phénoménal), il existe un monde intelligible (l’essence du monde ou chose en soi) qui n’est pas visible et « qui se manifeste par les sons »74.
58Schoenberg a commencé par se rallier à cette conception romantique, comme en témoigne ce texte de 1912 :
« Car la musique est en cela admirable qu’on peut tout dire, de sorte que l’initié puisse tout comprendre mais en préservant ses propres secrets qu’on ne souhaite ni s’avouer ni divulguer. Or le titre trahit tout. D’autre part, ce qui était à dire, la musique l’a exprimé. Alors pourquoi encore ajouter les mots ? Si les mots étaient nécessaires, ils seraient déjà présents. La musique exprime plus que les mots. »75
59Dans un texte de la même année, « Les rapports entre la musique et le texte », il écrit :
« Il y a relativement peu de gens qui sont capables de comprendre d’une manière purement musicale ce que la musique veut dire. Car la conception selon laquelle un morceau de musique doit susciter des représentations de toutes sortes – car le morceau de musique ne serait pas compris ou bien ne vaudrait rien si de telles représentations font défaut – est aussi répandue que peut l’être ce qui est faux et banal. »76
60On pourrait croire que la compréhension purement musicale équivaut, par opposition à la compréhension symbolique qui associe les sonorités à des faits ou à des états d’âme, à l’appréhension proprement technique de la musique, c’est-à-dire de l’ordre formel qui régit la succession des sons. Mais ce n’est pas le cas, comme il l’est dit explicitement ensuite, juste avant la référence à Schopenhauer, dont on nous dit qu’il est le philosophe qui a véritablement compris l’essence de la musique. Si la compréhension musicale passe par une connaissance technique, en sorte qu’il faut bien, pour s’y élever, savoir identifier les procédés techniques utilisés par le musicien, elle n’y est pas réductible.
61Schoenberg, toujours dans « Les rapports entre la musique et le texte », souligne qu’on ne peut absolument pas transposer ces idées proprement musicales dans un autre langage, par exemple dans le langage poétique. C’est d’ailleurs le tort de Schopenhauer d’avoir cru pouvoir énoncer, à titre de philosophe, quel est le sens de la musique – sans se rendre compte que, au moment où il rédigeait des pages sur la musique, il avait perdu toute inspiration musicale au profit de la réflexion conceptuelle. Bref, l’idée d’un « accord interne77 » et naturel entre un texte et une musique est un mythe. On peut certes tenter d’expliquer une œuvre musicale au moyen des mots, donc de métaphores, afin de suggérer à quelqu’un qui n’y connaît rien en musique son sens profond ; mais cette traduction restera imparfaite et inadéquate. S’il est possible d’établir une correspondance véritable entre une pièce musicale et un texte, elle reste externe et conventionnelle78.
62Le travail du critique musical consiste d’ailleurs à établir de telles correspondances, comme lorsque Schoenberg lui-même explique que, si le silence, chez Bruckner, a pour fonction de conclure le développement passé pour introduire une nouvelle idée, donc de mettre un point à une phrase avant d’en commencer une autre, il sert, chez Beethoven, à ménager une étape de transition, à construire un suspense qui conduit à l’explosion du dénouement (la conclusion)79. Wagner lui-même n’a pas hésité à employer une telle traduction quand, pour faciliter la compréhension des auditeurs, il établissait une liaison entre les symphonies de Beethoven et les concepts80.
63Cette idée selon laquelle il n’existe pas de lien naturel entre la musique et le texte, Schoenberg l’affirmera tout au long de sa vie, mais pas avec les mêmes arguments. En 1912, elle trouve son origine dans une perspective schopenhauerienne qui soutient que la pensée musicale équivaut à une saisie intuitive de l’essence du monde, c’est-à-dire à une connaissance immédiate qui utilise le moyen du son et qui s’oppose à la connaissance discursive opérant par le moyen des mots81.
64Cependant, cette idée se fonde par la suite sur le fait que la musique est un langage non-signifiant82, qui ne possède donc aucun sens extra-musical. Autrement dit : le langage musical consiste à manier et à organiser des hauteurs et des durées. Le rapport entre une musique et un texte reste donc arbitraire, car il n’existe pas de correspondance interne.
65Ainsi Schoenberg affirme-t-il non seulement – comme nous l’avons déjà souligné – qu’assimiler la musique à un discours et parler du langage musical n’est qu’une analogie qui a des limites83, mais aussi que les émotions ou états d’âme suscités par la musique ne sont pas inscrits dans la musique, car ils tiennent à la constitution du sujet percevant. Étant donné que la musique n’est rien d’autre que l’art d’assembler les sons dans la durée, la pensée musicale de l’artiste ne consiste en rien d’autre que dans la manière dont il structure le divers sonore temporel à partir de règles84.
66Si Schoenberg parle bien d’« idée musicale » ou de « pensée musicale », il définit très clairement ce qu’il entend par là :
« Ce n’est pas ici le lieu d’approfondir ce que veut exactement dire « idée musicale » [...]. Dans son acception la plus courante, idée est synonyme de thème, de mélodie, de phrase ou de motif. Mais à mon sens c’est la totalité du morceau qui constitue une idée [...]. Chaque fois qu’à une note donnée vous ajoutez une autre note, vous jetez un doute sur ce que voulait dire la première note. Si par exemple vous faites suivre un do par un sol, l’oreille peut se demander si vous allez poursuivre en ut majeur, ou en sol majeur, ou même en fa majeur, en mi mineur, etc. Vous avez ainsi provoqué une impression d’incertitude, de déséquilibre, qui va s’accentuer avec la suite du morceau. La méthode par laquelle vous parvenez à rétablir ainsi l’équilibre compromis est à mes yeux la véritable « idée » d’une composition. »85
67Ce texte est clair. Une idée musicale « consiste essentiellement à mettre des sons en relation les uns avec les autres »86. Aussi l’idée musicale n’est-elle pas une trouvaille ponctuelle ni même un ensemble de trouvailles ponctuelles qu’on poserait les unes à côté des autres et qu’il serait possible d’isoler et de sortir de leur contexte. Elle n’est rien d’autre que le développement résultant de l’inspiration initiale et de la maîtrise technique. L’idée musicale est donc le tout ordonné par rapport auquel chacune des parties prend un sens. Nous retrouvons donc ici l’idée de forme ou d’unité structurelle. Et de même qu’on ne peut pas isoler une note du contexte qui lui donne une signification, l’idée musicale est une idée à la fois mélodique, harmonique et rythmique, sans qu’on puisse séparer ces trois dimensions complémentaires de la musique87. L’idée musicale n’est donc pas un thème ou une figure qu’on pourrait isoler – elle est au contraire la méthode de construction des différentes figures et donc ce qui fonde l’unité d’une pièce88. C’est pourquoi le musicien Schoenberg ne s’intéresse pas à la sonorité en soi, car celle-ci est toujours subordonnée à l’unité structurelle.
68La musique ne « dit » rien d’autre qu’elle-même, en sorte que la pensée musicale ne consiste en rien d’autre qu’à ordonner le divers sonore mélodiquement, harmoniquement et rythmiquement. C’est en ce sens que la musique est imposition d’un ordre qui permet aux sons d’échapper à la simple succession discontinue. L’ordre, c’est l’établissement d’une continuité, c’est-à-dire d’un lien qui fait rentrer les éléments éparpillés dans une totalité close. Ce que fournit la nature en elle-même et par elle-même, ce ne sont que des phénomènes, pas des lois89. Les lois permettent d’unifier le divers donné par les phénomènes. Cependant, elles ne trouvent pas leur origine dans ces phénomènes, mais dans l’homme qui cherche par là-même à les comprendre – au double sens du mot, c’est-à-dire à les rapporter à une unité et les rendre intelligibles. Si la nature ne fournit donc que le chaos, l’indéterminé, tout ordre est détermination qui relève de la technique ou de la culture. Ainsi est-ce l’intelligence qui contraint la nature et qui la force à rentrer dans ses lois90.
69C’est pourquoi la tonalité, puisqu’elle est une loi, n’est pas naturelle91. En effet, la tonalité n’est pas quelque chose qui surgirait tout seul, indépendamment d’une activité intellectuelle par laquelle l’homme cherche à comprendre le divers sonore. La tonalité est donc une institution humaine :
« Or la tonalité n’est pas une chose qui règne dans une œuvre sans que le compositeur en ait conscience, qui existe et se développe indépendamment de lui et qui s’établirait même s’il ne le voulait pas. Elle n’est pas, en un mot, la conséquence naturelle ou automatique d’une combinaison donnée de sons. Elle ne découle pas mécaniquement de la nature physique des sons et ne s’impose pas, de ce fait, dans tout ce qu’on peut écrire en musique. »92
70Il est vrai que la tonalité est bien un système qui permet de comprendre les sons, car elle permet non seulement leur unification mais aussi leur articulation, c’est-à-dire l’établissement d’une diversité93. Voilà même la raison qui explique le privilège du système tonal dans notre culture94. Le propre de ce système est en outre de hiérarchiser les sons, puisqu’il est organisé autour de la tonique qui forme l’élément central assurant la cohérence de l’édifice. Ce système permet donc, quand on sait appliquer correctement les lois de l’harmonie, de conférer à toute pièce musicale une unité structurelle95
71Ce système tonal, organisé autour de la gamme diatonique, établit une différence de nature entre les accords consonants et les accords dissonants. Mais l’histoire de la musique montre que ce qui est perçu par un homme ou par un groupe d’hommes comme dissonant varie au cours du temps96 – ce qui confirme bien l’idée selon laquelle la tonalité, qui exclut la dissonance et ne la tolère qu’à titre de note de passage ou d’appoggiature, et plus largement à titre de tension passagère qui doit trouver sa résolution, n’est en rien naturelle.
72D’où l’explication schoenbergienne de la dissonance, énoncée pour la première fois dans le Traité d’harmonie97. La consonance n’est pas quelque chose de naturel qui serait donné, mais elle est construite par le sujet : elle n’est pas un phénomène acoustique, mais un phénomène psychologique. En effet, les accords consonants sont simplement fondés sur les harmoniques qui nous sont les plus perceptibles, en sorte que nous appelons dissonantes les harmoniques que nous entendons mal ou pas. Ces harmoniques étant moins familières à l’oreille, nous les nommons dissonantes. Il résulte donc qu’il n’y a, entre la consonance et la dissonance, qu’une différence de degré. C’est la raison pour laquelle on peut mettre tous les sons de la gamme chromatique sur pied d’égalité98
73Puisque la tonalité ne possède aucune fondation naturelle, mais est une institution de notre intelligence99, puisque le divers sonore est riche de possibilités infinies100, il est donc possible d’instaurer un autre ordre et d’établir une cohérence autre entre les sons. Voilà précisément ce que propose la méthode de composition à douze sons qui ne rend pas la musique « incompréhensible, mais seulement plus difficile à comprendre »101. C’est que, dans cette méthode, l’ordre n’est plus une hiérarchisation autour d’une tonique qui assure la fonction de centre. Aussi les douze sons de la gamme chromatique sont-ils mis au même niveau, sans qu’aucun d’eux possède un privilège. De plus, étant donné qu’il faut désormais éviter qu’un son puisse jouer le rôle qu’avait la tonique dans l’ancien système, il est beaucoup plus difficile de prendre pied, de se repérer et, partant, de comprendre l’œuvre musicale. C’est précisément la direction « centrifuge », excluant tout « point fixe » aisément reconnaissable auquel on puisse rattacher les sons102 et rendant de ce fait plus difficile le travail de la mémoire103, qui rend la musique de Schoenberg si difficile à comprendre et donc à apprécier. Il faut rappeler que Schoenberg refuse en général le procédé de la répétition qui facilite la reconnaissance et donc le plaisir104.
74Bref, la méthode de Schoenberg ne prône pas l’absence d’ordre, mais un ordre autre que l’ordre auquel, du fait de notre culture et de notre éducation, nous nous attendons. C’est pourquoi l’ordre qui unifie la diversité sonore est beaucoup plus difficile à appréhender.
Conclusions
751° Il est clair qu’on peut dégager deux périodes dans la réflexion esthétique de Schoenberg. Dans la première, il adhère encore aux idéaux romantiques : il affirme que la création artistique exclut tout savoir technique et que la musique est un langage qui véhicule un contenu de sens extra-musical indicible et ineffable. Ces thèses apparaissent avec force dans les années où Schoenberg compose La Main heureuse. Le discours de Schoenberg change à partir des années vingt, c’est-à-dire à partir du moment où le musicien invente la méthode de composition à douze sons – en sorte que l’évolution musicale est liée avec une évolution du discours théorique. Dès lors, il apparaît clairement que la création artistique fait tout autant appel à l’intuition qu’à la réflexion conceptuelle. De plus, la musique est désormais un langage non signifiant, et la pensée musicale ne consiste en rien d’autre que dans le développement harmonique, mélodique et rythmique des sons.
762° Il apparaît que les écrits de Schoenberg ne sont pas seulement une justification de sa pratique musicale. Le musicien s’élève en effet jusqu’à une véritable réflexion sur la musique, cherchant sans cesse à inscrire ses propres tentatives au sein d’une tradition pour en établir la continuité. Et il ne s’agit pas seulement d’une réflexion sur l’histoire de la musique, puisque Schoenberg fait siens les problèmes esthétiques posés par la tradition philosophique. C’est là que se manifeste le plus son intérêt pour la spéculation, comme par exemple lorsqu’il analyse les éléments subjectifs qui interviennent dans le jugement de goût et le conditionnent – anéantissant le mythe d’un sentiment pur et immédiat, coupé de tout savoir, véhiculé par la tradition romantique.
773° Ce qui est frappant dans les écrits de Schoenberg – et c’est peut-être la raison pour laquelle le grand texte systématique n’a jamais vu le jour –, c’est que sa réflexion reste ouverte. En premier lieu, il y a dans cette réflexion une dualité systématique liée à la volonté de concilier les contraires. Schoenberg insiste sur le fait qu’il est à la fois un théoricien et un musicien, il affirme que l’activité du génie fait à la fois appel au cœur et à l’intelligence, que la contemplation de l’œuvre d’art relève en même temps d’une connaissance mais aussi d’un plaisir qui lui reste irréductible. En second lieu, l’analyse du jugement de goût, qui répugne résolument à tout dogmatisme, reste aporétique : « le malheur est qu’on ne sait ni qui détient l’autorité ni comment on peut l’acquérir » – voilà la conclusion de Schoenberg. Aussi s’agit-il moins, dans ces courts articles, de dogmes que d’hypothèses toujours explicites et étayées par une argumentation claire qui ne doivent jamais devenir des certitudes définitives.
Bibliographie
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Fubini Enrico, Les Philosophes.et la musique, Paris, H. Champion, 1983.
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Kandinsky Wassily, Du Spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier, trad. N. Debrand et B. du Crest, Paris, Le livre de poche, 1998.
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Rufer Joseph, Das Werk Arnold Schoenbergs, Bärenreiter, Kassel, 1959.
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Schoenberg Arnold, Stil und Gedanke, Frankfurt am Main, S. Fischer Verlag, 1992.
Schopenhauer Arthur, Le Monde comme volonté et comme représentation, trad. fr. A. Burdeau, Paris, P.U.F., 1966, nouvelle édition revue et corrigée par R. Roos, 1984.
Steuermann Clara, « From the archives : Schoenberg’s Library Catalogue », Journal of the Schoenberg Institute, vol. III, no 2, octobre 1979.
Wagner Richard, Beethoven, Œuvres en prose, tome x, trad. de J.G. Prod’homme et L. van Vassenhove, réédition, Plan de la Tour, Éditions d’aujourd’hui, collection « Les introuvables », 1976.
Notes de bas de page
1 En ce sens, Schoenberg s’inscrit dans la tradition inaugurée par Schumann et poursuivie par Wagner – tradition typiquement allemande dans laquelle l’activité musicale est inséparable d’une réflexion théorique sur cette activité. En plus des cinq ouvrages publiés par Schoenberg de son vivant et de ceux restés inédits ou inachevés, J. Rufer (Das Werk Arnold Schoenbergs, Bärenreiter, Kassel, 1959) recense vingt-neuf conférences et six cent vingt-deux textes divers.
2 Ainsi a-t-il projeté d’écrire un livre intitulé L’idée musicale et sa représentation : A. Schoenberg, « Opinion et perspicacité » (1926), Le style et l’idée (= Sl), New-York, 1950, trad. de C. de Lisle, Paris, Buchet/Chastel, 1977, p. 201 (nous avons systématiquement modifié la traduction des textes originellement écrits en allemand, car elle a été effectuée à partir de la traduction américaine. On trouve ces textes allemands dans Stil und Gedanke, Fischer, Frankfurt am Main, 1992, ou bien dans les Gesammelte Schriften édités par I. Vojtech, Frankfurt am Main, Fischer, 1976). Si le titre proposé en 1926 change ensuite, la préoccupation d’un ouvrage systématique demeure.
3 Sur la brièveté des premières œuvres qui relèvent de la méthode de composition à douze sons, voir A. Schoenberg, « La composition à douze sons (1) » (1941), Sl, p. 165.
4 A. Schoenberg, « Mon évolution », Revue internationale de musique, 1952/13, p. 207 [repris dans Le Style et l’idée, NewYork, 1950, trad. de C. de Lisle, Paris, Buchet/Chastel, 1977 – note de l’éditeur],
5 Le catalogue de la bibliothèque de Schoenberg a été publié par Clara Steuermann, « From the archives : Schoenberg’s Library Catalogue », Journal of the Schoenberg Institute, vol. III, no 2, octobre 1979, p. 203-218. On trouve également, dans la bibliothèque de Schoenberg, des œuvres de Bergson, Brentano, Feuerbach, Rousseau...
6 E. Kant, Critique de la faculté de juger, § 46 (Akademie Ausgabe, vol. V, p. 307).
7 Id.
8 E. Kant, Akademie Ausgabe, vol. VII, p. 318.
9 A. Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation, livre III, § 36.
10 Arnold Schoenberg-Wassily Kandinsky. Briefe, Bilder und Dokumente einer auβergewöhnlichen Begegnung, hrsg von Jelena Kahl-Koch, Salzburg und Wien, 1980, Residenz Verlag, p. 21 (lettre du 24 janvier 1911). C. Dahlhaus souligne avec raison que, alors que Kandinsky insiste sur la dimension « illogique » de la création artistique, Schoenberg insiste lui, dans ses lettres, non pas sur cet élément « illogique » mais sur la dimension « inconsciente » de la création artistique (laquelle n’exclut donc pas une logique, même si cette logique ne relève pas d’une activité consciente) : Schoenberg, trad. fr., Genève, Éd. Contrechamps, p. 240. De plus, comme on le verra plus loin, pour Schoenberg, qui adhère à cette époque à la métaphysique schopenhauérienne de la musique, « par le truchement du génie, qui apparemment parle de lui-même, c’est en réalité la nature qui accède à la langue dont elle est sinon privée » (id., p. 282).
11 A. Schoenberg, Journal de Berlin, trad. de G. Babin Gugenheim, Paris, Ch. Bourgois, 1990, p. 23.
12 Id., p. 37.
13 A. Schoenberg, Harmonienlehre, Leipzig, Peters, 1977, p. 2 (Traité d’harmonie, trad, de G. Gubisch, Paris, J.C. Lattes, 1983. Nous n’empruntons aucune citation à cette traduction).
14 On retrouve cette idée chez Alain, Système des beaux-arts, Paris, Gallimard, 1926.
15 A. Schoenberg, « Comment on devient un homme seul » (1937), Sl, p. 36.
16 A. Schoenberg, « Le cœur et la tête en musique » (1946), Sl, p. 60.
17 A. Schoenberg, « Comment on devient un homme seul », Sl, p. 38.
18 A. Schoenberg, « Musique nouvelle » (1923), Sl, p. 115-116.
19 A. Schoenberg, « Le cœur et la tête en musique », Sl, p. 60.
20 A. Schoenberg, « Musique nouvelle », Sl, p. 114.
21 A. Schoenberg, « Le cœur et la tête en musique », Sl, p. 53.
22 A. Schoenberg, Harmonienlehre, p. 7.
23 A. Schoenberg, « Auto-analyse » (1948), Sl, p. 61.
24 A. Schoenberg, « Théorie de la forme » (1924), Sl, p. 195
25 A. Schoenberg, « Musique nouvelle », Sl, p. 84.
26 A. Schoenberg, « Problème d’harmonie » (1934), Sl, p. 208.
27 A. Schoenberg, « De la critique musicale » (1909), Sl, p. 146.
28 A. Schoenberg, « Critères de jugement en musique » (1946), Sl, p. 110-111.
29 A. Schoenberg, « Mon évolution », op. cit., p. 207.
30 A. Schoenberg, « De la liaison entre les idées musicales » (1948), Sl, p. 223.
31 A. Schoenberg, « La tonalité et la forme » (1925), Sl, p. 196-197.
32 A. Schoenberg, « La musique savante » (1931), Sl, p. 88 (« Mais la base de ma musique est mon sens évident de la logique. Je ne peux pas m’empêcher de penser logiquement »).
33 A. Schoenberg, « La tonalité et la forme », Sl, p. 198.
34 A. Schoenberg, Harmonienlehre, p. 8.
35 A. Schoenberg, « La composition à douze sons * (1923), Sl, p. 155. Soulignons que, dans les années 1910-1911, si 1 atonalité est en cours d’exploration, elle est loin d’avoir pris une forme sérielle (elle n’apparaît que vers 1923-1925).
36 A. Schoenberg, « La “série schoenbergienne” », Sl, p. 161.
37 A. Schoenberg, « La composition à douze sons (2) » (1948), Sl, p. 188.
38 A. Schoenberg, « Mon évolution », op. cit., p. 207.
39 Id.
40 A. Schoenberg, Harmonienlehre, p. 4-5.
41 A. Schoenberg, « La méthode de composition à douze sons (2) », Sl, p. 188.
42 A. Schoenberg, « Mon évolution », art. cité, p. 40.
43 Id., p. 121.
44 A. Schoenberg, « Musique nouvelle » (1923), Sl, p. 114.
45 A. Schoenberg, « Le traitement symphonique du folklore » (1947), Sl, p. 135.
46 A. Schoenberg, « La composition à douze sons (1) », Sl, p. 165.
47 A. Schoenberg, « La tonalité et la forme », Sl, p. 198.
48 A. Schoenberg, « L’impression artistique » (1909), Sl, p. 144.
49 A. Schoenberg, Harmonienlehre, p. 15.
50 E. Kant, Critique de la faculté de juger, § 56.
51 A. Schoenberg, « Critères de jugement de la musique », Sl, p. 105-106 ; « L’entraînement de l’oreille par la composition » (1939), Sl, p, 289.
52 A. Schoenberg, « Musique nouvelle », Sl, p. 85.
53 A. Schoenberg, Harmonienlehre, p. 5.
54 A. Schoenberg, « Critères de jugement de la musique », Sl, p. 111.
55 Id.
56 A. Schoenberg, « La composition à douze sons (1) », Sl, p. 163 (c’est nous qui soulignons).
57 A. Schoenberg, « La radio : réponse à un questionnaire » (1930), Sl, p. 123.
58 A. Schoenberg, « De la critique musicale », Sl, p. 149.
59 A. Schoenberg, Harmonienlehre, p. 4.
60 A. Schoenberg, « Critères de jugement sur la musique », Sl, p. 105. Même idée dans « De la critique musicale » (1909), p. 147-149.
61 A. Schoenberg, « L’impression artistique », Sl, p. 147-148 ; « Le somnambule » (1912), Sl, p. 151.
62 Id.
63 A. Schoenberg, « De la critique musicale », Sl, p. 147.
64 A. Schoenberg, « Critères de jugement de la musique », Sl, p. 112.
65 A. Schoenberg, « De la critique musicale », Sl, p. 147.
66 A. Schoenberg, « Critères de jugement de la musique », Sl, p. 113.
67 Id.
68 A. Schoenberg, « De la critique musicale », Sl, p. 149.
69 A. Schoenberg, « Critères de jugement de la musique », Sl, p. 113.
70 M. Beaufils, « La musique romantique allemande », Le romantisme allemand. Les cahiers du sud, 1949, p. 60.
71 V. Jankélévitch, « Le nocturne », Le romantisme allemand, op. cit., p. 89. Pour le romantisme, l’homme dispose d’une force mystérieuse qui lui permet d’intuitionner, par-delà la clarté et la distinction des formes qui découpent le monde, une obscure continuité des choses qui constitue la vie, « intuition d’un certain ordre vital selon lequel l’informe progressivement monte à la lumière ».
72 R. Wagner, Beethoven, Œuvres en prose, tome x, trad. de J.G. Prod’homme et L. van Vassenhove, réédition, Var, Éditions d’aujourd’hui, collection Les introuvables, 1976, p. 61.
73 Id., p. 36-37.
74 Id., p. 40.
75 A. Schoenberg, Journal de Berlin, op. cit., p. 19-20.
76 A. Schoenberg, « Des rapports entre la musique et le texte », Sl, p. 118.
77 Id., p. 121.
78 Ainsi Schoenberg écrit-il à Dehmel, en décembre 1912, qu’il a cherché à « refléter musicalement » ses poèmes. Il souligne dans « Des rapports entre la musique et le texte » (SI, p. 120) le fait qu’une œuvre d’art est analogue à une totalité organique, en sorte que, lorsqu’il s’agit de musique vocale, l’artiste peut et même doit, s’il veut produire une unité, construire une correspondance véritable mais conventionnelle entre les différents types de langage. C’est sur ce point qu il revient dans la conférence de Breslau (1928), lorsqu’il analyse le rapport entre le texte, la scénographie et la musique dans La Main heureuse, insistant par exemple sur la correspondance entre la fixité des regards du chœur dirigés sur l’homme et l’ostinato.
79 A. Schoenberg, « De la liaison entre les idées musicales », Sl, p. 223.
80 A. Schoenberg, « Des rapports entre la musique et le texte », Sl, p. 118.
81 Id. E. Fubini, Les philosophes et la musique, Paris, H. Champion, 1983. L’auteur a certes raison de distinguer deux périodes dans le statut qu’accorde Schoenberg à la musique, mais il inverse les deux périodes (p. 211-212) – erreur fondée sur une double mésinterprétation. Cet auteur se trompe d’une part sur 1 article de 1912, en croyant que la compréhension authentique de la musique est une compréhension formelle – ce que réfute la lettre même du texte –, d’autre part sur l’article de 1946 (et non de 1927 !), intitulé « Critères de jugement de la musique », dans lequel, lorsque Schoenberg parle du « message prophétique » par lequel la musique « émeut les hommes de toutes les races et de toutes les cultures » (SI, p. 113), il s’agit moins de conférer un sens extra-musical à la musique que de lancer, au sortir de la seconde guerre mondiale, un message humaniste.
82 P. Boulez, Points de repère, Paris, Ch. Bourgois, 1981, p. 18.
83 A. Schoenberg, « De la liaison des idées musicales », Sl, p. 223.
84 A. Schoenberg, « La musique savante », Sl, p. 88.
85 A. Schoenberg, « La musique nouvelle, la musique démodée, le style et l’idée » (1946), Sl, p. 101.
86 A. Schoenberg, « Problème d’harmonie » (1934), Sl, p. 208. On comprend dès lors que la sonorité en elle-même et par elle-même n’intéresse pas Schoenberg (voir R. Leibowitz, Schoenberg, Paris, Seuil, 1998, p. 18).
87 A. Schoenberg, « La composition à douze sons (1) », Sl, p. 167.
88 Voir C. Dahlhaus qui insiste sur ce point : Schoenberg, op. cit., p. 14, 233, 266-267.
89 A. Schoenberg, Harmonienlehre, op. cit., p. 2 (« Ne rien considérer comme donné que les phénomènes. Ce sont eux qu’on peut considérer, à plus juste titre que les lois qu’on croit pouvoir trouver, comme éternels. »)
90 A. Schoenberg, « La théorie de la forme », Sl, p. 194.
91 A. Schoenberg, Harmonienlehre, op. cit., p. 4,
92 A. Schoenberg, « Problème d’harmonie », Sl, p. 213.
93 Id., p. 213.
94 A. Schoenberg, « Opinion ou perspicacité » (1926), Sl, p. 199.
95 Id., p. 201.
96 A. Schoenberg, « Musique nouvelle », Sl, p. 83 ; « La composition à douze sons (1) », Sl, p. 163-164.
97 A. Schoenberg, Harmonienlehre, p. 14 et s.
98 A. Schoenberg, « Problème d’harmonie », Sl, p. 215-220.
99 A. Schoenberg, « Opinion ou perspicacité », Sl, p. 199.
100 A. Schoenberg, « Problème d’harmonie », Sl, p. 208.
101 Id., p. 221.
102 A. Schoenberg, « Opinion et perspicacité », Sl, p. 200.
103 A. Schoenberg, « Problème d’harmonie », Sl, p. 215.
104 C. Rosen, Schoenberg, Paris, Ed. de Minuit, 1979. L’auteur insiste sur le fait que, avec Erwartung, le musicien abandonne « la notion de thème et la technique de la construction motivique [...] inséparables d’un système symétrique, clairement orienté en fonction de l’accord parfait central ».
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