Chapitre II. « Peindre comme l’œil voit ». Le naturalisme optique à l’âge classique
p. 37-52
Texte intégral
Le problème du naturalisme optique
1Deux dogmes remarquables et étroitement liés sur la nature ou l’essence de la peinture caractérisent la doctrine esthétique de la Renaissance et de l’Âge classique.
2Le premier définit l’œuvre du peintre comme soumise à l’exigence d’une représentation fidèle et directe des objets naturels, une mimèsis naturaliste. Aux yeux des classiques, cette fidélité de la représentation détermine pour bonne part la perfection de l’œuvre et l’agrément qu’on en peut tirer. Un mot de Dürer illustre la chose de manière exemplaire : « sache que plus tu te rapproches de la nature par l’imitation, meilleure et plus artistique devient ton œuvre ». Panofsky qui cite ce passage estime qu’on est là sans doute devant le dogme esthétique « le plus évident », ajoutant cependant que ce dogme, à l’examen, « se révèle en fait le plus problématique » ou « le plus contestable »1. La thèse naturaliste a sans doute des racines dans l’Antiquité et elle eut une postérité considérable jusqu’au XIXe siècle : on peut signaler incidemment qu’elle détermine une certaine conception du « progrès » en art, illustrée par une tradition historiographique qui conduit de Pline à Ruskin en passant par Vasari, pour laquelle le progrès artistique se définit comme un développement continu dans le sens de l’exactitude de la mimèsis optique2.
3Ce premier dogme est étroitement associé à une seconde position d’après laquelle la « perspective », inventée en Italie par Brunelleschi et ses successeurs est, selon un mot de Félibien, « de l’essence de la peinture »3. Là encore l’idée est reçue de manière à peu près unanime à la Renaissance et à l’Âge classique, y compris par ceux, et Félibien est du nombre, qui estiment que l’on peut parfois prendre des libertés ou des licences avec la règle perspective, et que même parfois on le doit. La perspective se définit alors comme « construction légitime », et la légitimité en question est celle que lui donne sa propriété de produire sur le tableau un espace fidèle aux contraintes optiques de la perception visuelle. Dans les traités de perspective, un recours assez sommaire aux préceptes de l’optique géométrique, et quelques variations sur l’image classique du panneau translucide4 suffisent généralement à justifier ce dogme de la fidélité optique. Voir, c’est appréhender le visible par le moyen de rayons rectilignes qui définissent entre l’œil et le contour des objets des « pyramides visuelles ». Cette thèse optique remonte à Euclicle et pouvait être adoptée, comme d’ailleurs y invitait Alberti dans son Traité de la Peinture, sans se soucier de savoir quelle est la nature physique des rayons, quelle est leur provenance et quel est leur effet psychologique5. Peindre perspectivement, c’est donc reproduire la disposition de lumière que produiraient les rayons qui forment la pyramide visuelle si l’on pouvait en quelque sorte les arrêter sur un plan transparent qui coupe perpendiculairement cette pyramide. La perspective centrale de la Renaissance n’est qu’un procédé technique de projection qui permet de décrire sur le papier la configuration qui se produirait alors sur le plan de coupe. La fidélité optique du dessin perspectif dépend en conséquence de ce simple axiome : des causes semblables produisent des effets semblables6. Quel que soit le point qu’on considère comme origine du rayon (l’objet lui-même ou son image sur le plan de coupe), ce rayon produira en l’œil et en l’esprit le même effet.
4Ce double dogme – la peinture comme mimèsis naturaliste, la perspective comme le procédé légitime d’une telle mimèsis – (appelons-le ici, pour être bref, le dogme du naturalisme optique) n’a plus aujourd’hui le caractère d’évidence qu’il pouvait avoir au début des temps modernes. Non seulement la « peinture moderne », depuis Cézanne et Picasso, s’est affranchie volontairement de l’inscription obligée du tableau dans l’espace illusionniste de la perspective, mais l’idée même qu’un tableau pourrait être « mimétique » de la réalité ou ressemblant à la nature – ce tableau serait-il une photographie – s’est vu fortement dévaluée et contestée à la fois par les historiens de fart et par les philosophes contemporains7. En d’autres termes, une opinion très répandue aujourd’hui veut que les fondements de la théorie esthétique classique soient erronés et ne permettent pas de rendre compte des productions esthétiques contemporaines de son élaboration. Mon propos ici n’est pas d’examiner si cette critique contemporaine du naturalisme optique est fondée ou infondée, mais simplement de corriger une implication possible de cette critique, à laquelle on pourrait être assez vite conduit, et qui consisterait à penser que l’esthétique classique était aveugle ou étrangère aux problèmes soulevés par son adhésion à la thèse du naturalisme optique, et que, de ce fait, elle entretenait avec les productions picturales de son temps un rapport d’extériorité ou de profonde méconnaissance. Mon opinion est qu’il y eut au contraire, en particulier au XVIIe siècle, une tentative approfondie pour aborder et résoudre ces problèmes dans le cadre même de la doctrine naturaliste, en d’autres termes que ce cadre est plus solide et cohérent conceptuellement qu’il ne paraît à la lumière des critiques radicales dont il fait l’objet aujourd’hui.
5Avant de produire quelques arguments et quelques textes en faveur de cette thèse, il convient d’examiner assez brièvement ce qui est avancé aujourd’hui, souvent de manière convaincante, contre le naturalisme optique. J’irai tout droit ici à la thèse la plus radicale, celle qu’on trouve exprimée dans l’œuvre du philosophe américain Nelson Goodman, et en particulier dans son Languages of Art de 19688.
6En exergue à cet ouvrage, Goodman inscrit une boutade prêtée à Virginia Woolf : « art is not a copy of the real world, one of the damned thing is enough ». Le naturalisme pour Goodman n’est pas un fait de ressemblance mais un fait d’inculcation. L’œuvre d’art (le tableau perspectif par exemple) n’est qu’une façon parmi d’autres de dénoter des objets symboliquement, et c’est la manière contingente dont cette dénotation est « implantée », reçue dans la culture d’une époque, qui déterminera sa qualification de réaliste ou de naturaliste. Ainsi par exemple le réalisme imitatif de la perspective repose sur une confusion entre ce que nous pourrions rapporter avoir vu (un certain langage descriptif, en termes de propriétés picturales, celles en particulier qui caractérisent la délinéation géométrique) et la façon dont nous avons vu ce que nous rapportons. Le tableau constitue une certaine manière dont nous pourrions décrire la chose, il n’en est pas une imitation. L’image d’un édifice architectural en ce sens paraît réaliste parce que nous pouvons la décrire en utilisant les termes qui nous servent à décrire d’autres images d’édifice que nous avons l’habitude de tenir pour réalistes, et non pas parce qu’elle imiterait la perception visuelle que nous avons de l’édifice. Il n’y a pas de priorité de la ressemblance sur la représentation. Au contraire, la manière dont les peintures sont faites et culturellement implantées nous conduit à remarquer certains traits plutôt que d’autres dans les objets du monde. Notre expérience visuelle brute ou innocente d’un coucher de soleil n’est pas copiée dans tel ou tel tableau de Turner. En revanche, il se peut qu’après avoir vu Soleil couchant sur la Tamise, nous soyons conduits à décrire différemment nos expériences visuelles parce que nous y remarquons de nouvelles choses.
7Les arguments de Goodman que nous relèverons ici à l’appui de ces thèses remarquables sont à la fois des arguments philosophiques de principe qui portent sur tout type de représentation dite réaliste, et des arguments techniques plus spécifiquement adressés à la thèse du naturalisme optique de la perspective. Examinant les différentes façons possibles de justifier la qualification de « réaliste » pour une œuvre d’art, Goodman rejette tout d’abord, comme un concept beaucoup trop général et de ce fait inopérant, la notion abstraite de ressemblance, ou de représentation ressemblante9. Lorsqu’on dit d’une œuvre d’art qu’elle ressemble à la réalité qu’elle représente, on n’offre en réalité aucune information sur la manière particulière dont elle ressemble, c’est-à-dire sur les traits que l’œuvre et la réalité ont en commun. Comme il est toujours possible d’énoncer une infinité de traits communs entre deux choses quelconques, le seul fait d’avoir des traits en commun ne peut circonscrire un concept de ressemblance suffisamment spécifique pour rendre compte de la ressemblance réaliste. À certains égards, une caricature peut ressembler plus au personnage qu’elle représente que ne le fait une photographie du même personnage. Une seconde thèse sur le réalisme est également écartée : celle qui affirme qu’une œuvre d’art est réaliste à proportion de l’information qu’elle véhicule sur la réalité. Une telle définition ne permettrait pas de distinguer le réalisme d’une image perspective du réalisme d’une description « analogique » de cette même image, ou encore de celui d’une image dont la perspective serait inversée et les couleurs remplacées par leur complémentaires. Dans ces trois cas, la même quantité d’information est véhiculée. Une troisième thèse consiste à dire que le réalisme se mesure par la capacité d’une image à tromper le regard, soit son aptitude à nous faire prendre la représentation pour la chose même. C’est ici que l’illusionnisme perspectif est particulièrement en ligne de mire, et notamment la thèse classique selon laquelle, parce que la perspective offre à la vision une même distribution de lumière que la chose réelle, il y aurait en quelque sorte identité ou indiscernabilité des deux expériences visuelles. Critiquant cette troisième thèse, Goodman estime que les conditions de vision requises pour que le tableau perspectif coïncide avec l’expérience visuelle réelle sont si particulières et si artificielles qu’il est en fait hautement improbable qu’elles soient réunies, et qu’en tout état de cause, il ne serait pas possible de restreindre aux seuls tableaux vus dans ces conditions la qualification de « réaliste ». Goodman énumère ces conditions bien connues : pour qu’une perspective coïncide avec l’expérience visuelle, il faut fermer un œil, placer l’autre au point de vision requis par la construction, occulter le cadre du tableau par une œillère (car ordinairement nous ne voyons pas dans des cadres, mais dans un hémisphère beaucoup plus net au centre qu’à la périphérie). Il faut en outre se présenter devant ce dispositif avec un « œil innocent », sans savoir ce qui nous attend. Goodman estime que l’œil innocent, comme « l’intuition sans concept » de Kant, est aveugle, qu’il n’y a pas de perception sans conscience en arrière-plan des conditions concomitantes de la perception, et que ces conditions sont nécessairement différentes lorsqu’on regarde un tableau et lorsqu’on regarde le monde. En outre, l’œil fixe requis par la perspective est une abstraction physiologiquement impossible. Nous cessons rapidement de voir quoi que ce soit lorsque l’œil est fixé artificiellement, et lorsqu’il est mobile ou lorsque nous voyons avec les deux yeux, nous découvrons des indices de surface qui nous permettent de distinguer la profondeur feinte du tableau de l’étagement réel de l’espace perceptif. Enfin, Goodman insiste sur des arguments qui renvoient à des questions de champ de vision ou d’orientation du regard, et qui rappellent les arguments déjà avancés par Panofsky et d’autres sur l’impropriété de la perspective centrale pour rendre compte fidèlement de la structure spécifique du champ visuel. Par exemple, voir en face de soi un édifice élevé n’est pas exactement la même chose que voir de près un tableau représentant perspectivement cet édifice. En effet, lorsque le tableau est suspendu dans des conditions normales d’exposition – c’est-à-dire à niveau d’œil –, l’orientation du regard est toute différente : nous ne sommes pas contraint de lever les yeux pour saisir l’édifice d’une seule œillade. Pour résoudre cette difficulté, il faudrait soit représenter les parallèles dans le plan frontal comme convergentes ou incurvées – ce qui ne se fait pas dans un système de projection centrale –, soit considérer que le tableau représente la vue que nous aurions de l’édifice si nous étions suspendu dans les airs, ce qui n’est guère plus « réaliste ». La conclusion générale de Goodman est que « le comportement de la lumière ne corrobore ni notre manière de rendre l’espace, ni aucune autre ; et la perspective ne fournit pas de norme de fidélité qui soit absolue et indépendante. »10.
8Ainsi l’analyse de Goodman conduit-elle à récuser les deux concepts qui viennent le plus immédiatement à l’esprit lorsqu’on veut caractériser une peinture perspective : le concept de ressemblance qui est trop large ou trop lâche, le concept de représentation illusionniste qui est trop étroit et dépend de conditions par trop artificielles. L’intention de Goodman est de faire jouer ces concepts l’un contre l’autre pour débarrasser le terrain du préjugé naturaliste et laisser place à une interprétation des œuvres d’art qui rende compte de leur caractère propre, celui d’être un certain type de langage ou de dénotation symbolique, dont les caractères sont sui generis et ne sont pas dérivés de l’expérience de la vision.
9Si l’on se penche à présent sur les textes classiques consacrés à la perspective, fort de cette analyse conceptuelle stimulante, on se trouve devant une situation assez intéressante. D’abord, et ceux qui connaissent un peu cette littérature ne seront pas étonnés, on peut y découvrir que nombre d’arguments avancés par Goodman contre le naturalisme optique de la perspective, loin d’être ignorés, figurent au contraire en bonne place dans des textes majeurs. C’est le cas en particulier des arguments sur la vision monoculaire, sur les problèmes posés par la question du champ de vision et par l’assignation d’un point de vue unique, qu’on trouve déjà développés de façon très subtile par exemple par Léonard de Vinci ou Piero della Francesca. J’examinerai tout à l’heure quelques-unes des réponses qui furent fournies au XVIIe siècle à ces objections. Ensuite, et c’est là le point le plus intéressant, il semble qu’à la différence de Goodman, les théoriciens classiques ont cherché à faire jouer les concepts de ressemblance et de représentation, non pas l’un contre l’autre, mais l’un avec l’autre, ou si l’on préfère, ils ont cherché à corriger l’un par l’autre, afin de maintenir dans son bon droit une doctrine du naturalisme optique quelque peu aménagée. L’un des résultats les plus intéressants et méconnus de cette tentative est l’élaboration conceptuelle d’un tertium quid, un moyen terme entre la ressemblance et la représentation, dans la notion de vraisemblance avancée par Bernard Lamy, auteur d’un Traité de Perspective en 1701.
10J’ai choisi de présenter les choses ici à partir de quelques textes empruntés à ce qu’on peut appeler la « querelle française de la perspective », qui agite les milieux de l’Académie de Peinture entre 1650 et 1670, et dont on trouve des échos jusqu’au texte de Lamy déjà mentionné11. Il est clair que des conclusions analogues auraient pu être tirées de l’examen d’un corpus plus large, mais mon choix est dicté par un impératif d’économie aussi bien que de clarté : il me semble que les positions prises alors sur la nature de la mimèsis picturale sont si parfaitement tranchées et distribuées d’un auteur à un autre, qu’elles offrent en quelque sorte l’épure conceptuelle de ce qu’on pourrait appeler, si l’on nous passe l’expression, la « dialectique » de la perspective classique.
11Pour que les choses soient bien claires, disons ici encore une fois qu’aucun des intervenants de cette querelle ne conteste le double dogme du naturalisme optique. Pour tous, le but de la peinture est bien d’imiter la réalité naturelle, et pour tous il va de soi que cette imitation doit emprunter un chemin optique dont la perspective centrale trace les linéaments. La querelle porte sur le degré de fidélité optique (c’est-à-dire la quantité de perspective) requis pour parvenir aux fins de la mimèsis. Il y a trois positions. La première, représentée par le graveur Abraham Bosse qui se réclame du géomètre Girard Desargues et semble avoir eu de son côté les peintres Eustache le Sueur et Philippe de la Hire12, consiste à dire qu’il faut maintenir la perspective dans toute sa rigueur, partout et toujours, quelque distorsion apparente que cela entraîne sur le tableau, et ainsi peindre selon la règle, même si cela choque l’œil. La seconde position est représentée par les adversaires directs de Bosse à l’Académie : le peintre Le Brun et le graveur Huret notamment, mais aussi, quoique de manière moins virulente, Félibien. Pour eux, la perspective doit souvent être corrigée par une mimèsis non perspective, articulée à un idéal de ressemblance. Ce type de mimèsis est saisie dans le précepte, attribué à Le Brun, selon lequel il convient « de peindre comme l’œil voit », non pas en s’astreignant à une règle formelle, mais d’après nature. La troisième position apparaît comme une position médiane ou de synthèse, et elle est le fait d’un auteur qui n’intervient pas directement dans la querelle, l’oratorien Bernard Lamy. Celui-ci défend l’idée qu’il faut, autant que possible, maintenir la perspective dans toute sa rigueur (puisqu’elle est le fondement de la peinture) mais il admet d’une part qu’il convient, pour éviter les distorsions, de choisir son sujet en respectant des règles de convenance, et que d’autre part il est possible, lorsqu’une parfaite illusion perspective est hors de portée, de s’en remettre à la capacité du spectateur de reconnaître la « vraisemblance » optique du tableau.
La querelle française, de la perspective
Première position : Abraham Bosse
12Le graveur Abraham Bosse était chargé à la fondation de l’Académie de peinture en 1648 d’y enseigner la perspective. Dans ses ouvrages et ses cours, il défend une position qu’on pourrait qualifier de rigoriste. Bosse entend ramener la peinture au plus près de son essence optique et géométrique, au modèle de la pyramide visuelle, et à sa projection sur la coupe ou la paroi de verre. Seule l’application minutieuse de la règle et du compas lui semble pouvoir livrer le sujet dans une vérité nue, qui ne devrait rien aux séductions de l’imagination, ou à l’autorité de quelque mauvais modèle. Cette position implique du côté du peintre un usage conscient de la perspective. Lorsqu’on construit un tableau, estime-t-il, on doit pouvoir « rendre raison de tout son travail »13.
13La rigueur de Bosse ne tarde pas à susciter des oppositions à l’Académie. Nombreux sont ceux qui ne se satisfont pas de cette position qui tend à faire de la perspective la partie reine de la peinture, la condition principielle d’une bonne mimèsis, alors qu’on commence à la considérer comme une technique, certes nécessaire, mais subalterne, et qui ne doit pas être un carcan. Comme l’écrit Félibien, visant implicitement Bosse, un tableau n’est pas rendu mauvais parce qu’il lui manquerait un « je ne sais quoi » d’optique14. Significativement, lorsque l’Académie définit en 1652 les quatre parties principales de la peinture (le trait ; le jour et l’ombre ; la couleur et l’expression), la perspective n’est pas mentionnée. Cette relégation de la perspective est assez caractéristique de la fin du XVIe et du XVIIe siècle, et fait écho aux récriminations des Vasari, Michel-Ange ou Lomazzo contre la tyrannie de la règle. Selon un propos prêté à Michel-Ange, « les proportions doivent être dans les yeux des peintres », et celui-ci doit pouvoir composer ses raccourcis ou ses diminutions à main levée, en se fiant à ce que l’œil lui en dit. Il ne faut donc pas comprendre ce mouvement comme une dénégation de l’essence optique ou perspective du tableau peint, mais bien plutôt comme le résultat d’une certaine intériorisation du procédé perspectif, « tes yeux instruits par l’art se mettront à agir comme une règle » écrivait déjà Dürer15. C’est parce que la perspective est (ou est devenue) une seconde nature du regard, que le peintre peut s’affranchir de sa considération trop exclusive, et porter son attention sur d’autres aspects de la mimèsis qui la requièrent vraiment : les valeurs d’aspect et d’expression, le coloris, la composition du sujet... Cette position est caractéristique par exemple de l’attitude de Félibien dans ses Entretiens : la perspective n’est pas le tout de l’art, et sa maîtrise est plutôt le plus petit commun dénominateur des peintres, que le critère infaillible de l’excellence. Bien que l’œil se trompe parfois, et qu’il requière l’assistance de la règle, il a néanmoins « la meilleure part aux choses que nous faisons et l’emporte sur la raison souvent quand les choses ont le bonheur de lui plaire »16. Le Brun s’inscrit incontestablement dans cette tradition lorsqu’à l’Académie il oppose aux définitions formalistes de Bosse l’idée que « tout le vrai et le fin de l’art sans tous ces raisonnements consiste à peindre d’après le relief, ou naturel, comme l’œil le voit. »17.
14Bosse pour sa part est extrêmement irrité par cette doctrine qui lui paraît rétrograde. Selon lui, ceux qui composent « à l’œil », croient rester fidèles au naturel alors qu’ils se trompent souvent dans les diminutions et surtout succombent sans s’en rendre compte au prestige d’une « manière ». En revanche, la géométrie perspective offre à la portraiture naturaliste un fondement infaillible, au point que deux peintres, travaillant dans les mêmes conditions sur le même sujet devraient selon lui pouvoir produire la même « portraiture », une image sans manière, ou une image qui respecte la seule manière légitime, la « manière du naturel ». Répondant à Félibien, Bosse écrit : « j’ai aversion en ces choses de démonstration de dire ainsi que lui des je ne sais quoi, ce je ne sais quoi, et un je ne sais quoi »18. On ne saurait être plus clair : la peinture est, comme les mathématiques, du nombre des choses démonstratives, et ce qui est démontré dans la peinture, c’est la vision même, en tant qu’elle procède de causes assignables.
15Essayons de caractériser l’enjeu philosophique de ce premier état de la querelle. Il s’agit de définir les conditions d’une bonne mimesis du « naturel ». Pour Le Brun et ses sectateurs, le naturel est ce que l’œil voit ; pour Bosse, il est ce que la règle rationnelle prescrit. En première approche on pourrait estimer qu’il n’y a là qu’une querelle verbale car des deux côtés on s’accorde pour considérer que ce qui est représenté est en général la même chose : une image conforme aux contraintes optiques de la perspective. Une assiette posée en face de nous sur une table sera dans les deux cas représentée sous la forme d’une ellipse. Bosse simplement estime que l’œil la voit ronde, et que c’est seulement la règle perspective qui prescrit la forme ellipsoïdale. Ses adversaires estiment quant à eux que le sens visuel saisit directement l’aspect elliptique de l’assiette, et que l’on peut se fier à l’impression sensible pour déterminer le raccourci, sans passer par l’application consciente d’une règle19. En termes philosophiques, on peut estimer que Bosse est plus proche de la phénoménologie implicite qui régit l’optique cartésienne, et ses adversaires tributaires plutôt d’une tradition qui remonte à l’optique antique et médiévale. Descartes en effet ne distingue plus dans la vision deux stades comme le faisait l’optique médiévale20, l’aspectus et l’intuitio, c’est à dire l’aspect sensible immédiat d’un côté (qui donne à voir une ellipse), et le jugement des sens de l’autre qui, à partir de l’aspect, de la connaissance du contexte et de la comparaison des grandeurs et des distances, détermine ce qu’est réellement la chose (l’assiette, circulaire). Chez Descartes la vision ne se fait pas ainsi en deux temps, mais elle est un acte unique de l’esprit auquel contribue un faisceau composé de causalités (l’image rétinienne et cérébrale, les mouvements de convergence et d’accommodation oculaires, la « géométrie naturelle » etc.)21. En ce sens on peut dire que pour Descartes, comme pour Bosse, ce que nous voyons immédiatement n’est pas une ellipse, mais bien un cercle (en profondeur), et que l’effort de restitution des causes de la vision passe par l’exhibition consciente d’un raisonnement qui, dans l’acte de perception, était naturalisé et inaperçu.
Deuxième position : Grégoire Huret
16On a suggéré que la querelle pourrait bien n’être qu’une querelle de mots, les deux positions semblant conduire, picturalement, à des résultats semblables. En fait il n’en est pas exactement ainsi. Il s’agit bien d’un débat qui engage des options esthétiques concrètes. Pour le montrer, il convient peut-être de procéder à quelques rappels sur le caractère paradoxal et parfois choquant de la perspective, avant d’introduire un nouvel intervenant dans la querelle française, Grégoire Huret, auteur en 1670 d’une Optique de Portraiture et de Peinture, un ouvrage dirigé violemment contre les « faussetés et contradictions du sieur Bosse », qui développe des arguments originaux en faveur de la thèse qu’il faut « peindre comme l’œil voit ».
17L’idée que la perspective, lorsqu’elle est appliquée avec rigueur, peut conduire à des représentations « choquantes », même si elle a une résonance particulière dans le contexte de l’esthétique française, particulièrement réceptive aux normes de bienséances, n’est pas une idée neuve au XVIIe siècle. Les premiers auteurs qui traitent de perspective étaient parfaitement conscients du caractère déconcertant du procédé : Le Filarète par exemple écrivait vers 1460, sans d’ailleurs aucune intention péjorative, que la perspective était « une chose scabreuse ». Il soulignait son caractère hautement paradoxal dans son Traité d’Architecture : « Elle semble fausse car elle montre une chose qui n’est pas. Cependant elle est vraie dans le dessin car le dessin n’est pas une chose vraie »22. La perspective n’est vraie que parce qu’elle est doublement fausse et qu’elle corrige une erreur par une autre : une fausseté propre à la représentation plane – le plan du tableau, ce n’est pas le relief du monde –, une fausseté propre à la délinéation perspective elle-même, qui défigure, raccourcit, disproportionné les objets, afin de compenser pour la vision les conditions de la projection plane. La phrase cartésienne sur les tailles-douces selon laquelle, souvent, « pour être plus parfaites en qualité d’image et représenter mieux un objet, elles doivent ne lui pas ressembler »23 n’est donc pas un paradoxe de philosophe mais bien un thème familier du peintre depuis la Renaissance. Parce qu’elle n’imite pas le visible directement mais simule les causes de la vision, la perspective ne produit pas toujours des images ressemblantes : une cause ne ressemble pas nécessairement à son effet. Il convient de noter toutefois que, tandis que les images représentées au centre du tableau subissent des déformations relativement ténues qui font qu’elles sont reconnaissables même lorsqu’on les considère d’un point de vue autre que celui requis par la construction, celles situées sur les côtés subissent des déformations beaucoup plus accentuées, des « dépravations », pour emprunter le terme utilisé alors. Ainsi, lorsque le champ de vision défini par le tableau est supérieur à 90°, une même figure située sur le même plan frontal (par exemple un globe) devra être représentée plus grande sur les côtés du tableau qu’en son centre alors même qu’elle sera censée représenter un objet qui se trouve plus loin de l’œil... De façon générale, plus, dans une perspective, le point de vue assigné au spectateur est proche (et l’angle de vision large) ou plus il est latéral, plus accentués seront les paradoxes perspectifs ou les déformations qu’il faudra faire subir aux figures situées aux extrémités du champ de vision pour qu’elles puissent, comme on dit, « aller chercher le point de vue ». Le cas extrême est ce qu’on appelle une anamorphose : le point de vision y est si excentré que les figures représentées sur le tableau deviennent, vues de face, entièrement méconnaissables, elles ne laissent apparaître qu’un chaos informe de lignes, n’entretenant plus aucune ressemblance avec la figuration classique des objets naturels. On peut donc dire que, dès l’origine, la perspective fut comprise comme une technique permettant de corriger la ressemblance par la représentation. Bridant la mimèsis spontanée du peintre par l’exigence d’une simulation des causes de la vision, cette correction, ou restriction, de la ressemblance pouvait aller, dans les cas extrêmes, jusqu’à la production d’images méconnaissables.
18L’illusion perspective efficace est ainsi, de manière caractéristique, indifférente à la ressemblance. Mais elle n’est possible que lorsque l’œuvre est perçue d’un point de vue fixe assigné et, comme l’écrit Bosse « d’une seule œillade » Cette règle a pu être ressentie très tôt comme trop contraignante et fort peu conforme aux conditions concrètes de la contemplation d’un tableau. Généralement celui-ci est vu des deux yeux par un spectateur mobile qui aime se promener devant l’œuvre, diriger son attention tantôt sur un détail et tantôt sur l’ensemble. Le problème est particulièrement aigu pour les compositions monumentales (comme celles justement de Le Brun dont certaines, telles La Bataille d’Arbelles, font plus de douze mètres) ou plus généralement pour des tableaux qui assignent au regardant un point de vue impossible à prendre dans des conditions normales de contemplation et d’exposition : trop bas, trop haut, trop proche, trop lointain, etc.24. Le peintre doit-il renoncer à construire de telles œuvres qui risquent fort d’apparaître disharmonieuses et choquantes pour un spectateur mobile ? Ou lui faut-il plutôt tempérer la rigueur de la projection, renoncer à la parfaite rigueur optique afin que le tableau reste harmonieux, y compris lorsqu’il n’est pas contemplé du point de vue requis ? Il y a là véritablement une question de choix esthétique et non pas seulement un problème technique.
19La première position semble avoir été généralement soutenue par les peintres renaissants qui se sont penchés sur le problème. Vinci, Piero recommandaient aux peintres de privilégier des compositions de dimensions raisonnables et de choisir une distance de vue assez reculée afin que le champ de vision délimité par la représentation n’excède pas un angle de 90°, un angle que l’œil est capable d’appréhender distinctement sans modifier son orientation. Ces normes de convenance, on les trouve de nouveau exprimées au XVIIe siècle, chez Lamy notamment, un auteur soucieux d’une conciliation entre l’illusionnisme perspectif et les réquisits de l’agrément ou de l’harmonie : « c’est donc une faute, écrit-il, qu’on ne doit pas imputer à l’art [i.e. la perspective], de supposer le point de vue trop près, pour qu’on puisse découvrir d’une seule vue ce qu’on représente »25.
20L’Optique de Portraiture de Grégoire Huret adopte de manière caractéristique la seconde branche de l’alternative. Huret, qui est ici clairement derrière Le Brun, appuie sa critique du rigorisme perspectif sur l’idée qu’un tableau, quelles que soient ses dimensions, doit pouvoir être vu naturellement, exactement comme si l’on regardait une chose du monde. On doit donc pouvoir quitter le point de vue unique de la perspective et se promener devant l’œuvre à volonté, et il y a dans cette liberté un ingrédient essentiel de l’agrément esthétique. En conséquence, Huret dénonce violemment la pratique des dépravations, imposée par un respect trop scrupuleux de la perspective légitime, ces déformations latérales qui apparaissent lorsque l’angle de vue est trop large, et qui, écrit-il, évoquent « ces songes lugubres qu’on aura eus en des maladies ou fièvres ». Huret récuse ce glissement de la représentation hors de la ressemblance. Pour lui, les figures latérales, particulièrement lorsqu’il s’agit des figures humaines, doivent être représentées ressemblantes, c’est-à-dire sans distorsions de façon à ce qu’elles puissent être contemplées de face par un regardant qui quitterait le point de vue imposé. Pour cela le peintre n’a d’autre recours que sa propre intuition, son œil. La règle perspective n’est plus d’aucun secours. Comme l’écrit Félibien dans une veine similaire :
[...] il se trouve dans la pratique des difficultés que la théorie ne peut prévoir, et où les règles ne servent de guère, à cause que ceux qui regardent ne peuvent pas toujours être placés dans un même lieu et ne voir les tableaux qu’au travers d’une pinnule, principalement dans les grands ouvrages qu’on ne peut voir d’un seul endroit. J’ai vu travailler Lanfranc à une de ces grandes coupes qu’il a peintes à Rome ; et j’ai vu de quelle sorte il regardait souvent d’en bas l’effet que faisaient les grandes figures26.
21Huret estime qu’en dépit de cette licence, ou de ce débordement de l’œil sur la règle, le tableau restera convaincant et fidèle. Son argument est assez subtil, et en dépit du fait qu’il s’articule à une théorie de la vision particulièrement confuse, il est relativement convaincant, et conforme à l’expérience effective de la contemplation hors du point de vue des images perspectives. Nous remarquons que lorsque nous sommes au pied d’une grande photographie publicitaire ou à l’extrémité du premier rang devant un écran de cinéma, la distorsion ou le raccourci de l’image qui devrait théoriquement se produire parce que notre point de vue est beaucoup trop proche ou beaucoup trop excentré, n’est pas ou n’est quasiment pas apparente. Le fait qu’elle existe pourtant peut se mesurer objectivement en prenant une photographie de cette image du point de vue en question, car sur le tirage photographique la distorsion sera manifeste. Ce phénomène de « solidité perspective »27, qui tient à la conscience subsidiaire que nous avons d’avoir affaire à un tableau plan était déjà, je crois, bien compris par Huret. L’usage des deux yeux ainsi que des indices de contexte nous donnent à juger que les figures sont peintes sur un tableau matériel dont nous pouvons apprécier la longueur et l’obliquité. Par là, par la conscience de ce que Huret appelle la « rectitude universelle du tableau », notre jugement corrige le rétrécissement que l’éloignement fait subir aux figures latérales, sans qu’il soit besoin pour cela de les construire de façon spéciale.
[...] toutes les figures non dépravées, mais peintes en proportions seront connues être de la hauteur et largeur effective qu’elles sont sur le Tableau par le regardant qui les verra de ses deux yeux librement, de quelque part qu’il soit posé devant le Tableau, qu’il connaît être universellement droit ; car puisqu’il a une forte connaissance de l’éloignement et de l’obliquité des parties du Tableau sur lesquelles les figures plus éloignées (et qui par conséquent lui envoient leurs angles visuels plus aigus) sont décrites, il connaît par conséquent que le rétrécissement des apparences desdites figures est seulement causé par ledit éloignement et obliquité, et non par leur construction, qu’il connaît par là être aussi proportionnées que de celles qu’il voit à plein ou directement, et que par conséquent il en aura la même satisfaction à mesure qu’en se promenant devant le Tableau, il se trouvera au droit de chacune d’elles28.
22Cette analyse manifeste qu’un tableau n’est pas entièrement pensable en termes de fenêtre ouverte sur le monde ou de panneau translucide. En réalité, la vision traversante (l’élément proprement illusionniste de la perspective) n’efface pas la conscience que nous avons de la facticité du tableau, son aspect matériel et plan, son appartenance au monde des objets sensibles, entre lesquels nous pouvons énoncer des ressemblances.
23Il convient de comprendre que cette dualité dans la perception du tableau n’est pas une limitation de l’art, mais, pour Huret, la condition même de son accomplissement. Huret explique que la principale fonction de la portraiture est de donner à voir la distinction entre l’œuvre et le modèle (la figure apparente et la figure effective), afin justement que le spectateur puisse apprécier la qualité de la ressemblance, et donc la valeur du peintre. Non seulement un agrément esthétique réside dans cette possibilité pour l’œil d’aller et venir entre la surface et la profondeur, l’aspect sensible du tableau, et la visée perspective de la représentation ; mais il semble aussi qu’il y ait là un moyen de parfaire l’illusion picturale. En évitant de dépraver les figures pour tout ramener au point de vue, on se réserve, on l’a dit, la possibilité, propre à la vision naturelle, de se déplacer devant le tableau, et cela donne une sorte d’animation aux figures, le sentiment d’une peinture « vivante » : les regards semblent suivre les pas du spectateur, de même les bras tendus, et une perspective architecturale « modérément dépravée », ou une allée d’arbres semblent tourner à mesure29.
24Ainsi existe-t-il une certaine marge, une certaine indétermination de la vérité picturale, qui est elle-même tributaire d’une certaine souplesse des conditions de la perception visuelle, souplesse qui, il faut l’ajouter, ne la rend pas capable de toutes les adaptations, et ne doit pas conduire à penser que l’œil puisse s’accoutumer à toute forme de représentation quelle qu’elle soit, et finir par lui trouver un air réaliste.
Troisième position : Bernard Lamy
25Le débat classique sur le naturalisme perspectif fait l’objet d’une réinterprétation remarquable dans le Traité de Perspective du père Bernard Lamy30. La position initiale de Lamy est assez voisine de celle de Bosse, position qu’il exprime dans des formules comme « la perspective et la peinture sont une même chose »31. Cependant, Lamy prend soin de répondre aux arguments de Félibien et Huret, et il est conduit par là à nuancer sa position et introduire des considérations assez subtiles sur la nature de l’imitation picturale. Il consacre ainsi un chapitre de son Traité à « établir la nécessité de la perspective » et répondre aux difficultés qu’on forme contre cette nécessité. On a déjà signalé l’un des arguments avancés par Lamy, qui est l’argument traditionnel de la convenance : « il ne faut vouloir que ce qui est raisonnable »32 et le peintre doit veiller à choisir dans ses compositions perspectives des sujets conformes aux conditions naturelles de la perception. Lamy ajoute un second argument : bien souvent l’effet déplaisant des diminutions ou des convergences ne vient pas d’un excès de rigueur perspective mais au contraire du fait qu’il n’y a pas assez d’art et que la perspective aérienne (d’évanouissement) ou celle des couleurs n’est pas bien observée : « ces postures qu’on nomme estropiées, ne le paraissent que lorsqu’elles ont trop de force et qu’elles ne fuient pas assez. L’affaiblissement des couleurs, et leur diminution font tous les principaux effets de la Peinture »33.
26Lamy reconnaît cependant qu’il existe des exemples où la perspective n’est pas et ne peut pas en droit être observée, et où le tableau ne laisse pas d’être excellent. Il examine le cas, non pas des grands tableaux (comme le faisait Huret) mais celui des petits, qui commandent un point de vue beaucoup trop proche pour que l’on puisse y placer l’œil et définissent entre le plan de sol et la ligne de vue une hauteur nettement plus petite que la stature humaine34. L’argument de Lamy consiste à dire que le petit tableau, quoiqu’il produise une illusion imparfaite, imite l’illusion parfaite comme un modèle imite son original, par simple réduction : il existe un point auquel tout se rapporte, même si l’on ne s’y trouve pas, il est possible pour le spectateur de s’imaginer y être. En ce sens le tableau a pour le spectateur ce qu’on pourrait appeler une vraisemblance optique à défaut de posséder une parfaite qualité illusionniste.
Tout Tableau est donc bien une imitation ; mais un petit Tableau est l’imitation de l’imitation. Un petit Tableau ne peut pas faire la même impression sur les sens ; mais il le peut sur l’esprit, qui est charmé de l’adresse du Peintre qui a su imiter ingénieusement en petit, ce qui se peut faire en grand. Or cette imitation serait imparfaite, ce petit Tableau ne satisferait pas l’esprit, si la perspective n’y était observée. Car comme nous l’avons dit souvent, on ne peut peindre que l’instant d’une action vue d’un seul point ; par rapport auquel les acteurs ont un certain contour déterminé. La vraisemblance n’est donc point gardée dans un Tableau quel qu’il soit, petit ou grand, à moins que tout n’y soit ordonné par rapport à un certain point ; quoique ce ne soit point celui, si le Tableau est petit, où l’œil qui le considère, se puisse placer : mais l’esprit trouve ce point ; et c’est par rapport à ce point qu’il juge du Tableau. On peut même dire que dans un petit Tableau, on suppose que tout est entièrement réduit du grand au petit ; et que le spectateur devient lui-même si petit, que sa hauteur n’excède pas celle du point principal au-dessus de la base du Tableau35.
27Là encore comme chez Huret, ce repli par rapport aux conditions de la parfaite illusion n’est pas conçu comme une limitation de l’art mais comme son accomplissement : « c’est l’image de la vérité qui plaît »36. Ce qui est plaisant dans un tableau, ce n’est pas donc le mensonge propre à l’illusion picturale mais la vraisemblance propre à l’imitation appréhendée pour ce qu’elle est. Pourtant, en vertu du dogme du naturalisme optique, la meilleure imitation est celle qui produit l’illusion, c’est-à-dire celle qui ne se laisse plus voir comme imitation. Le modèle du petit tableau offre une solution subtile à cette antinomie de l’esthétique classique : il accomplit une illusion parfaite, mais pour un spectateur fictif que le spectateur réel se forge dans son esprit et à l’égard duquel il peut maintenir une distance. Lamy emprunte son concept de vraisemblance à la poétique classique de la représentation théâtrale :
Un poète représente sur un Théâtre et fait paraître dans un petit espace de temps et de lieu une action qui a pour ainsi dire occupé un grand terrain et un temps considérable. Il y garde la vraisemblance, et tout ce qu’il dit se peut faire en la manière qu’il le dit, et dans le lieu et le temps de la représentation37.
C’est l’esprit que fait paraître celui qui imite, qui plaît : ce qu’on voit n’est pas véritable et le mensonge ne peut être agréable, c’est donc la vraisemblance qui rend une Peinture charmante, c’est l’art qui sait représenter la vérité. Aussi la Peinture ne plaît qu’autant qu’on aperçoit cet art. On ne prendrait aucun plaisir à voir un Tableau dans lequel toutes choses seraient représentées dans leur grandeur naturelle, c’est-à-dire qui serait une parfaite perspective faite selon toutes les règles, si on était tellement trompé qu’on ne s’aperçût pas de son erreur, et qu’on ne sentît que c’est une imitation ingénieuse38.
28La notion de vraisemblance apparaît bien ici comme le moyen terme entre l’illusion et la simple ressemblance, elle permet de maintenir ensemble la perfection optique de la mimèsis et la conscience de facticité, condition de l’agrément esthétique. Replacée dans la problématique générale qui est la nôtre ici, cette analyse est intéressante parce qu’elle montre que les théoriciens classiques étaient conscients (comme aujourd’hui les tenants du conventionnalisme de la perspective) de l’artificialité ou l’idéalité des conditions de l’illusion, lesquelles, en fait, ne sont jamais ou presque jamais remplies par un tableau. Pourtant cet état de fait n’est pas comme chez Goodman le symptôme du caractère arbitraire du procédé perspectif. L’idée avancée dans la notion de vraisemblance est plutôt que le tableau offre une expérience visuelle virtuelle, saisissable non par les sens mais par l’esprit. Le naturalisme se fonde en effet ici sur une forme d’ubiquité de l’esprit, sa capacité à se rendre en un point de vue qui n’est pas le sien et de considérer les choses comme s’ils les voyait de là. C’est précisément dans ce « comme si », cette « willing suspension of disbelief » pour reprendre la belle expression que Coleridge appliquait à la poésie, que réside l’agrément esthétique, lequel, pour les théoriciens classiques, est toujours un agrément intellectuel qui découle de l’épreuve que l’esprit fait de lui-même39. En bref, dans son expression la plus accomplie, le naturalisme optique des classiques consiste à dire « si j’étais au point de vue et dans les conditions idéales requises, ce tableau ferait à mon œil l’effet du réel. » Il s’agit là évidemment de ce que Goodman appellerait un ‘contrefactuel’40, une proposition qui, en droit, ne se laisse pas ramener à la vérification empirique, et qui repose peut-être ultimement sur un préjugé picturaliste41 propre au XVIIe siècle : l’idée invérifiable qu’on doit pouvoir idéalement caractériser la vision en termes picturaux. J’ai essayé de suggérer ici que cette idée n’est pas pour les Classiques une simple invocation verbale, elle s’enracine dans une considération attentive des conditions concrètes de la production picturale et de la contemplation des œuvres.
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Notes de bas de page
1 E. Panofsky, La Vie et l’Art d’Albrecht Dürer, traduction Le Bourg, Hazan, Paris, 1987, p. 363. Cf. dans le même sens, ce propos du Traité de la Peinture de Léonard de Vinci, cité également par Panofsky : « la peinture la plus digne d’éloge est celle qui présente le plus de ressemblance avec la chose qu’elle veut rendre, cela dit pour réfuter les peintres qui veulent corriger la nature ». L’idéal « naturaliste » doit être mis en contraste, comme y invite Panofsky, avec l’idée médiévale de l’œuvre d’art, pour laquelle ce qui détermine l’œuvre est l’idée, ou la forme, conçue en l’esprit de l’artiste, « l’image qu’en a son âme », écrivait Maître Eckhart, et non la confrontation directe avec la nature (cf. Panofsky, Dürer, p. 362-3, et du même, Idea, contribution à l’histoire du concept de l’ancienne théorie de l’art, traduction H. Joly, Gallimard, 1989, p. 60 et passim).
2 La remarque en a été faite par E.-H. Gombrich, l’Art et l’illusion, psychologie de la représentation picturale, traduction G. Durand, Gallimard, 1987, p. 33-35.
3 André Félibien, Entretiens sur les Vies et les Ouvrages des plus excellents Peintres anciens et modernes, Paris, 1666, première partie, préface [p. xviii] : « [...] la perspective est si nécessaire à cet Art, que l’on peut dire qu’elle est même de son essence [...] ».
4 L’image fut peut-être pour la première fois décrite par Léonard de Vinci, cf. Leonardo da Vinci, Literary Works, édition J-P. Richter, Phaidon, New York, 1970, vol. I, fg. 83 : « La perspective n’est rien d’autre que voir un lieu à travers un verre plat et bien transparent sur la surface duquel sont dessinées toutes les choses qui se trouvent derrière ce verre : ces choses peuvent être conduites jusqu’au point de l’œil par des pyramides, et ces pyramides sont en section sur le verre ».
5 Léon Battista Alberti, De Pictura, De la Peinture édité et traduit par J-L Schefer, Paris, Macula, 1992, Livre I, p. 81-83 ; p 85 ; p. 95, où Alberti écarte successivement de ses considérations « mathématiques » la question de l’origine des rayons, celle de la physiologie de l’œil et celle de l’origine des couleurs.
6 Cf. par exemple Bernard Lamy, Traité de Perspective où sont contenus les Fondements de la Peinture, Paris 1701, chapitre I : « les opérations de la nature étant simples et constantes, les impressions semblables dans les organes des sens doivent être suivies des mêmes sentiments ; et qu’ainsi, toutes les fois que les yeux sont frappés de la même manière, l’âme doit avoir présentes les mêmes images, quelles que soient la nature et l’origine de ces images ».
7 On mentionnera, en faveur de l’interprétation conventionnaliste, outre les travaux de Nelson Goodman dont nous reparlerons, l’ouvrage pionnier d’E. Panofsky La Perspective comme forme symbolique, trad. G. Ballangé, Paris Minuit, 1975, et les recherches de sociologie de l’art de Pierre Francastel. Pour une défense contemporaine du naturalisme perspectif, cf. M. Pirenne « The scientific basis of Leonardo da Vinci’s theory of perspective », British Journal for the Philosophy of Science, II-9, 1952.
8 Cf. Langages de l’Art, traduction Morizot, J. Chambon, Nîmes, 1990.
9 Cf. Langages de l’Art, p. 59-64, et du même, « Seven strictures on similarity », in Problems and Projects, Bobbs-Merrill, Indianapolis, 1972, p. 437-446.
10 Langages de l’Art, p. 46.
11 Pour une histoire de la querelle, cf. M. Kemp « A chaos of intelligence : Leonardo’s Traité and the perspective wars in the Académie Royale » in ‘Il se rendit en Italie’. Études offertes à André Chastel, Rome-Paris, 1987, et du même The Science of Art. Optical Themes in Western Art from Brunelleschi to Seurat, Yale University Press, New Haven, Londres, 1990, p. 119-31. Quelques extraits significatifs des textes de la querelle ont été réunis par mes soins dans l’Anthologie La Vision Perspective, l’art et la science du regard de la Renaissance à l’Âge Classique, Paris, Payot, 1995, p. 221-328.
12 Cf. M. Kemp, The Science of Art, p. 128-9
13 Abraham Bosse, Le Peintre Converti aux Règles de son Art, 1667, éd. R-A Weigert, Paris, Hermann, collection Miroirs de l’Art, chapitre II, p. 64.
14 Félibien, Entretiens, Préface, [p. xviii].
15 Dürer, Vier Bücher von Menschlicher Proportion, 1528, préface, cité par Panofsky, Dürer, p. 397.
16 Félibien, Entretiens, vol. I, p. 393 (Quatrième Entretien).
17 D’après une conférence à l’Académie, citée par Bosse dans son avis au lecteur Sur les Causes qu’il croit avoir eues de discontinuer le cours de ses leçons géométrales et perspectives dedans l’Académie Royale de peinture et de sculpture et même de s’en retirer, 1667.
18 Discours tendant à désabuser ceux qui ont cru que l’auteur d’un traité qui a pour titre Entretiens sur les vies et les ouvrages des plus excellents peintres anciens et modernes ; avait prétendu m’attaquer dans la préface, 1667.
19 Cette position est bien exprimée par Grégoire Huret, le sectateur de Le Brun à l’Académie, dans son Optique de Portraiture et de Peinture de 1670 : « puisque le jugement connaît que c’est un cercle, il n’est donc pas déçu par le rapport de ses yeux, car il ne lui rapporte pas une figure de cercle, mais une ellipse, à cause de l’obliquité de son plan ; et c’est pourquoi le jugement qui connaît que c’est un cercle, duquel l’apparence dégénère en ellipse par l’obliquité de son plan, l’a fait décrire sur le Tableau, non telle qu’il sait qu’elle est effectivement, mais telle que ses yeux la voient, afin d’exprimer tout ensemble la figure d’un cercle, et l’obliquité du plan sur lequel il est décrit » (§ 242).
20 Cette distinction apparaît au XIIIe siècle dans la littérature optique occidentale avec la traduction latine manuscrite de l’Optique d’Ibn Al-Haytham (Alhazen) : De Aspectibus, (première publication in Opticae Thesaurus, Alhazeni arabis libri septem, éd. Risner, Bâle, 1572). Cf. notamment le livre II, chapitre 3, II, 64 (notre traduction) : « et quelques intentions particulières dont sont composées les formes des choses visibles apparaissent au premier regard porté sur la chose, d’autres n’apparaissent pas sinon après intuition et subtile considération – [...]. Et comme il en est ainsi, la compréhension des choses visibles se fera selon deux modes : la compréhension superficielle selon le premier aspect et la compréhension qui se fait par intuition » (nous soulignons). Pour une traduction anglaise (faite sur le texte arabe) des trois premiers livres du De Aspectibus, cf. The Optics of lbn Al-Haytham, éd. par A. I. Sabra, The Warburg Institute, Londres, 1989. La distinction entre aspectus et intuitio est fréquemment invoquée par les perspectivistes et les peintres renaissants, tels Daniele Barbaro, Egnazio Danti, ou Lorenzo Ghiberti. On la trouve encore au XVIIe siècle chez Poussin dans la lettre à Sublets de Noyer, s.d. publiée par A. Blunt dans Poussin, Lettres et Propos sur l’Art, Paris Hermann, p. 73 : « il faut savoir qu’il y a deux manières de voir les objets, l’une en les voyant simplement et l’autre en les considérant avec attention. Voir naturellement n’est autre chose que de recevoir la forme de la ressemblance de la chose vue. Mais voir un objet en le considérant, c’est qu’outre la simple et naturelle réception de la forme dans l’œil, l’on cherche avec une application particulière le moyen de bien connaître ce même objet. Ainsi, on peut dire que le simple aspect est une opération naturelle, et ce que je nomme le prospect est un office de raison qui dépend de trois choses, savoir de l’œil, du rayon visuel et de la distance de l’œil à l’objet : et c’est de cette connaissance dont il serait à souhaiter que ceux qui se mêlent de donner leur jugement soient bien instruits ».
21 Cf. Descartes, La Dioptrique, 1637 et particulièrement la sixième partie.
22 Filarète (Antonio di Piero Averlino, dit le) Trattato di Architettura, édité par A. M. Finoli et L. Grassi, Milano, Il Polifilo, 1972, Livre XXIII ; on trouvera un extrait traduit de ce chapitre dans la Vision Perspective (op. cit.) p. 89-98.
23 Dioptrique, Quatrième partie, in Œuvres de Descartes, éd. Adam et Tannery, Paris, Vrin 1964, VI : 113.
24 On renverra ici aux analyses de J. White qui donne plusieurs exemples de bas-reliefs et de fresques renaissantes (chez Donatello, Massacio, Filippo Lippi) dont les conditions d’exposition étaient telles que, dès l’origine, ils ne pouvaient être vus depuis le point pour lequel leur perspective avait été construite. Cf. The Birth and Rebirth of Pictorial Space, Londres 1967, traduction Naissance et Renaissance de l’Espace Pictural, Paris, A. Biro, 1992, p. 206.
25 Lamy, Traité de Perspective, p. 115.
26 Félibien, Entretiens, cinquième entretien (volume II), p. 86-7.
27 Cf. M. Kubovy, The Psychology of Perspective and Renaissance Art, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, chapitre IV : « the robustness of perspective », p. 52-64.
28 Huret, Optique de Portraiture et de Peinture, § 247.
29 Huret, §§ 250, 257. Descartes avait déjà donné à Mersenne une explication de la « raison pourquoi un tableau semble regarder de tous côtés » dans une lettre du 13 novembre 1639 : « je crois que [...] de quelque côté qu’on regarde un tableau, on y voit toujours toutes les mêmes parties de l’œil qui y est peint, et que ces parties sont celles qu’on voit aussi dans l’œil d’un homme vivant, lorsqu’il regarde vers nous, et qu’on n’y voit pas si bien que dans un tableau, lorsqu’il regarde d’un autre côté ; à cause qu’étant relevé en bosse, ses parties se couvrent ou se découvrent beaucoup davantage, que celles d’une plate peinture ».
30 Bernard Lamy, Traité de Perspective où sont contenus tes Fondements de la Peinture, Paris 1701. Parmi les nombreux ouvrages de l’époque sur le sujet, le livre mérite une mention spéciale en ce qu’il tente d’intégrer ses considérations sur la perspective dans le cadre de la philosophie naturelle et la doctrine des idées de Descartes et de Malebranche.
31 Lamy, Traité de Perspective, p.14.
32 Ibid., p. 115.
33 Ibid., p. 113-4.
34 On peut noter avec J. White qui étudie la perspective florentine que ce type de tableau est plutôt la règle que l’exception : on ne peut voir confortablement un tableau lorsqu’on se tient à une distance inférieure au double de sa largeur, pourtant la perspective de la plupart des œuvres renaissantes impose un point de vue plus proche (une largeur, et parfois bien moins). Le caractère illusionniste de la perspective est du coup moins marqué, en revanche les surfaces, sols, murs etc. ont plus de clarté, les raccourcis sont plus vifs et engagent le spectateur dans l’espace du tableau. Cf. Naissance et Renaissance de l’Espace Pictural, Paris, pp. 208-9.
35 Lamy, Traité de Perspective, p. 118-119.
36 Ibid., p. 14.
37 Ibid., p. 117-8.
38 Ibid., p. 118-119.
39 Ainsi, chez Descartes l’agrément que l’esprit retire de la représentation théâtrale ou de la lecture des romans est-il une « joie intellectuelle », et non proprement une passion : « [...] notre bien et notre mal dépendent principalement des émotions intérieures qui ne sont excitées en l’âme que par l’âme même, en quoi elles diffèrent de ces passions, qui dépendent toujours de quelque mouvement des esprits ; et bien que ces émotions de l’âme soient souvent jointes avec les passions qui leur sont semblables, elles peuvent souvent aussi se rencontrer avec d’autres, et même naître de celles qui leur sont contraires. Par exemple, [...] lorsque nous lisons des aventures étranges dans un livre, ou que nous les voyons représenter sur un théâtre, cela excite quelquefois en nous la tristesse, quelquefois la joie, ou l’amour, ou la haine, et généralement toutes les passions, selon la diversité des objets qui s’offrent à notre imagination ; mais avec cela nous avons du plaisir de les sentir exciter en nous, et ce plaisir est une joie intellectuelle qui peut aussi bien naître de la tristesse que de toutes les autres passions » (Traité des passions de l’âme, art. 147 : Des émotions intérieures de l’âme).
40 Cf. N. Goodman, Fact, Fiction, Forecast, 3e édition, Indianapolis, Bobbs-Merrill, 1973.
41 Cf. sur l’analyse critique de ce préjugé classique, l’article important de J. Snyder : « Fenêtres, miroirs et transparence picturale », Les Cahiers du Musée National d’Art Moderne, no 41, 1992.
Auteur
Maître de conférences à l’Université de Paris X. Directeur de Programme au Collège international de Philosophie. Il a publié notamment : La Vision Perspective, 1435-1740, l’art et la science du regard de la Renaissance à l’âge classique, choix de textes et présentation, Petite Bibliothèque Payot, 1995 ; La Mutation du visible, essai sur la portée épistémologique des instruments d’optique au XVIIe siècle : 2 volumes, Presses universitaires du Septentrion, Villeneuve d’Ascq, 1999-2001 ; Voir et connaître à l’âge classique, coll. Philosophies, Presses Universitaires de France, 2002.
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