VIII. Rêver, penser, voir
p. 227-252
Texte intégral
« Rien n’est fixe pour celui qui, alternativement, pense et rêve »1
« Ce n’est pas à partir d’un savoir qu’on peut vraiment rêver »2
« La pensée ne doit pas dicter ses règles à la vie »3
1« Rêver les rêveries et penser les pensées voilà deux disciplines difficiles à équilibrer »4 selon Bachelard qui croit que « ce sont là les disciplines de deux vies différentes »5 car « on n’imagine pas des idées »6.
2Jusque dans ses derniers textes, il soutient qu’« Inventer dans l’ordre des idées et imaginer des images sont des exploits psychologiques très différents »7 car si l’image poétique est une image première qui, en sa nouveauté même, est « une vérité de l’être »8 en revanche, il n’y a pas de vérité première dans la science : « il n’y a que des erreurs premières. L’idée scientifique a un long passé d’erreurs. L’imagination poétique, elle, n’a pas de passé »9 et il faut être prêt à « recevoir toutes les surprises du langage poétique »10. D’ailleurs, « a-t-on jamais pu faire de la poésie avec de la pensée ? »11 demande Bachelard.
3Pour Bachelard, le monde où l’on vit n’est pas celui où l’on pense :
« Mais quand se termine un petit album de clair-obscurs du psychisme d’un rêveur, revient l’heure de la nostalgie des pensées bien sévèrement ordonnées… Dans la tension devant un livre au développement rigoureux, l’esprit se construit et se reconstruit. Mais est-il encore temps pour moi de retrouver le travailleur que je connais bien et de le faire rentrer dans ma gravure ? »12
4Ces questions sont aussi celles de toute une époque dans laquelle les nouveaux savoirs ont permis de faire la critique de la science et de sa relation avec la vie. Au nom de la vie, il s’agissait de fonder une autre science, corollaire d’une philosophie nouvelle. À l’intellectualisme de ceux qui défendaient la connaissance et l’esprit scientifique, s’opposaient les tenants de la vie (parmi lesquels G. Bachelard et H. Bergson) qui cherchaient à fonder la connaissance sur des bases nouvelles. Il ne s’agissait pas pour G. Bachelard de rejeter la science au nom de la vie mais plutôt de les établir par opposition l’une par l’autre. Au contact des poètes, la nécessité intérieure de la vie en poésie s’est imposée à lui.
5Son étude des valeurs inconscientes qui se trouvent à la base de la connaissance, lui a confirmé que « La rêverie… travaille sans cesse… contre l’instruction même des expériences scientifiques »13 et que l’alchimiste subsiste toujours sous l’ingénieur tout comme le jeune enfant chez le vieil homme ou le savant14. Et il propose de distinguer le penseur de « l’homme pensif », celui-ci réalisant la synthèse des deux activités propres à l’homme : rêver/penser.
6« C’est l’homme pensif que nous voudrions étudier ici, l’homme pensif à son foyer, dans la solitude quand le feu est brillant comme une conscience de solitude »15. Cet homme « pensif » n’est autre que le rêveur dont l’activité éveillée par le dynamisme des images, crée de la pensée (une pensée différente de « l’entendement » cartésien) et lui fait sentir son existence dans la rêverie. Car pour Bachelard, « c’est l’imagination qui pense »16.
Le poète et le philosophe
7L’homme de pensée, contraint d’exclure sa sensibilité, vit dans un monde différent de celui du rêveur qui se plaît à pénétrer « au fond des choses »17 pour atteindre « le fond du sans-fond »18 où réside « le cogito souterrain »19, cet « infra-moi »20 que Bachelard a découvert dans la rêverie. Il n’a pas cessé alors de montrer comment, « loin de le délasser en de faciles rêveries »21, celles-ci travaillent l’homme au corps, dans son intimité la plus profonde et nourrissent sa pensée.
8Au soir de sa vie alors qu’il est devenu « un vieillard sans muscles »22, il confie : « Je veux dire maintenant comment une rêverie de poète peut mettre de l’ordre en nous. Quel bienfait psychique d’être pendant de longs mois fidèles à une image, fidèles à l’eau, fidèles à toutes les rêveries de vol des oiseaux… quels bienfaits quasi musculaires j’ai reçus… »23. Finalement, c’est la rêverie et non la science qui lui a donné le sentiment de son existence : « c’est bien plutôt devant mon papier blanc, que je suis vraiment à ma table d’existence »24, constate Bachelard pour qui seule l’écriture est en mesure d’augmenter son être en le faisant vivre et naître sur un autre plan ; c’est pourquoi, reprenant la boutade de Nietzsche, il affirme : « Primum scribere, deinde philosophari » et il fait cet aveu : « Comme ce serait bon_ généreux aussi à l’égard de soimême_ de tout recommencer, de commencer à vivre en écrivant ! Naître dans l’écriture, par l’écriture, grand idéal des veillées solitaires ! »25. Cela implique de rompre avec l’opinion commune qui veut que « la rêverie conduit à la pensée »26.
9Dans La Poétique de l’espace, il donne un exemple précis de la différence entre les deux modalités de conscience, active et réflexive, à propos du rêve de vol, décrit respectivement par le philosophe H. Bergson et le poète Audiberti.
10Le premier explique de manière objective, distanciée, l’expérience du rêveur :
« De votre vol, onirique, si vous vous réveillez brusquement, voici, je crois, ce que vous trouverez. Vous sentirez que vos pieds avaient perdu leur point d’appui, puisque vous étiez en effet étendu. D’autre part, croyant ne pas dormir, vous n’aviez pas connaissance d’être couché. Vous vous disiez donc que vous ne touchiez plus la terre, encore que vous fussiez debout. C’est cette conviction que développait votre rêve. Remarquez, dans les cas où vous vous sentiez voler, que vous croyez votre corps sur le côté, à droite ou à gauche, en l’enlevant d’un brusque mouvement du bras qui serait comme un coup d’aile. Or, ce côté est justement celui sur lequel vous êtes couché »27.
11Ce n’est pas en expliquant le mécanisme du rêve en des termes psycho-physiologiques, que le lecteur pourra se faire une idée des « vertus d’image vivante, » ni de « la vie en totale imagination… » ; car il est bien difficile, observe Bachelard, « de rattacher les délices du vol nocturne à la fatigue d’un bras coincé dans la literie… » :
12Contrairement à cette description réaliste, le poète n’aura de cesse que de faire sentir au lecteur l’activité de son imagination par les sonorités et le rythme des images vivantes qui suggèrent des mouvements corporels, celui de l’envol en particulier. Sous l’action des répétitions de la fricative/v/évoquant le bruit du vent et le son du vol, le lecteur aura l’impression de s ‘ envoler avec le personnage de Mélusine dont la marche légère se transforme en un élan ascensionnel de plus en plus rapide, semblable au battement des ailes de l’oiseau :
« Elle admet que ces ailes vivent, qu’elles battent. Elles vont battre. Elles battent. Elle marche. Elle vole. Elle cesse de marcher. Elle vole. Elle est de toute part ce qui vole »28.
13Et il conseille au lecteur de pratiquer la double lecture pour sentir cette naissance, par la sonorité, du mouvement qui l’incitera bientôt à voler en imagination : « T’envoleras-tu enfin, lecteur ! Resteras-tu assis, inerte, alors que tout l’univers est tendu vers le destin de voler ? »29 « Ah ! si le philosophe avait le droit de méditer de tout son être, avec ses muscles » écrit-il ailleurs, comme il se débarrasserait de ces méditations feintes où la logique stérilise la méditation ! ». Finalement, pour Bachelard, les poètes en savent plus que le philosophe »30. À lire ainsi la poésie qui sait éveiller des « sympathies musculaires », en éprouvant « le caractère allégeant d’un entraînement physique interne qui cherche la pureté de l’impulsion »31, on parviendra à constituer, nous dit Bachelard une « gymnastique centrale »32.
14Et le philosophe gagnerait selon lui à être animé par « les forces créantes de l’imagination pour pouvoir lui aussi s’envoler loin des soucis du monde »33. C’est ce que fait Bachelard, qui commente en poète, cette page, évoquant lui aussi dans son écriture le son et le rythme de l’envol progressif de l’imagination : « Alors, poursuivant la lecture du livre d’Audiberti, les yeux s’ouvrent : on voit le vol conquérir le monde. Le monde doit voler. Il y a tant d’êtres qui vivent de voler, que le vol est sûrement le proche destin du monde sublimé »34.
15En étant tout entier présent dans ces images, un lecteur à l’écoute sentira en lui ce rythme inscrit dans le texte et sera ainsi ramené « à la racine même de la force »35.
16Pareil à l’enfant qui dessine des mouvements (et non des formes), il verra tout en nouveauté, ce qui est le véritable but de la poésie qui « doit créer son lecteur »36.
L’enfant et le vieil homme
17En ce monde où nous vivons aujourd’hui, dirigé par les projets et les soucis, qui sont « deux manières de ne pas être présents à soi-même »37, Bachelard, nous apprend que les œuvres sont des « réalités humaines effectives »38 et que l’art n’est pas donné d’avance. Il exige de la part de chacun, un effort, une pratique quotidienne d’écoute qui fait de la musique un modèle. Conçue avant tout comme une expérience humaine, celle-ci était pour Bachelard une méthode de formation de l’homme, un apprentissage à la bonne solitude qui mène à un « accroissement d’être ». Il n’y a pas de rêverie possible sans cette solitude bienfaisante. C’est pourquoi il nous invite à devenir des « aventuriers de la solitude »39, à la manière de l’enfant, ce grand écoutant, ayant appris très tôt à bien rêver. À la fin de la préface qu’il a écrite au livre de Juliette Boutonnier sur les dessins d’enfants, il pose cette question :
« Y-a-t-il un sens à demander à un adulte de faire encore, de temps en temps, aux heures de solitude, dans une atmosphère de franche liberté, des « dessins d’enfants » ?40
18À la solitude sociale de l’homme, Bachelard oppose celle de l’enfant (et du poète ou de l’artiste) qui est une solitude heureuse. Pris tout entier dans les dessins qu’ils tracent, l’enfant connaît une unité harmonique profonde qui fait de lui un être libre d’agir et de créer.
« La solitude de l’enfant est plus secrète que la solitude de l’homme. C’est souvent tard dans la vie que nous découvrons, en leur profondeur, nos solitudes d’enfant, les solitudes de notre adolescence. C’est dans le dernier quart de sa vie qu’on comprend les solitudes du premier quart… Seul, très seul est l’enfant rêveur. Il vit dans le monde de sa rêverie. Sa solitude est moins sociale, moins dressée contre la société, que la solitude de l’homme. L’enfant connaît une rêverie naturelle de solitude… En ses solitudes heureuses, l’enfant connaît la rêverie cosmique, celle qui nous unit au monde. »41
19En cette solitude profonde, heureuse, qui est le règne du soi-même, l’homme peut alors renouer avec ce mélange de réel et d’imaginaire qu’est devenue pour lui la réalité. Et Bachelard de plaider en faveur d’une philosophie « rendue à ses dessins d’enfants »42, qui fasse retrouver à l’homme l’émerveillement indispensable à la vie en poésie (et à la vie tout court).
20Les dessins d’enfants lui ont confirmé que « l’acte de connaître doit être saisi dans son état naissant car c’est seulement là qu’il a son sens réel »43. Et il montre comment, à partir d’une image banale, celle de la racine-serpent, l’enfant va se mettre à dessiner « des actes », en se plaçant d’instinct à la naissance de l’image :
« Cette image, comme toutes les autres, l’enfant la prend à sa naissance et il en suit le mouvement. La racine-serpent devient alors une image-action. Pour le jeune conteur d’André Bay, le petit arbre qui veut devenir un petit bonhomme marche en se tordant, en suivant par conséquent la dynamique des mouvements de torsion, des mouvements serpentins de la racine-serpent, bref, une image-mouvement »44.
21Ainsi, pour l’enfant, la véritable image est une image première, vécue dans le surgissement de son devenir :
« C’est parce-que la racine est vue dans une attitude de vie en mouvement lent mais sur qu’elle a, à la fois, plis et direction, remplis et ondulation. Le conteur enfant a trouvé dans ce lent végétalisme une image-fable. Et comme pour soutenir cette vision active, activiste, un autre petit conteur nous dit aussi la fable : l’homme-sapin et le pommier éléphant, l’homme sapin traînait ses racines sur la route blanche »45.
22Guidé par le rythme de l’image, l’enfant saisit d’instinct, nous dit-il, « l’image cosmique et lui donne toute sa vie. À l’envers du philosophe, il met de la vie sous les formes mécaniques. Il met de la vie en prêtant des fonctions actives aux formes aperçues, ou vice versa : il accorde la forme et la fonction dynamique dans les êtres »46.
23Le Dr Françoise Minkowska47 a trouvé en Bachelard confirmation de ces métaphores, vécues par les enfants et transcrites dans le livre-catalogue de l’exposition sur les dessins d’enfants qu’elle a réalisée en 1949. Elle s’appuie sur le concept bachelardien d’« image imaginée »48 pour témoigner de sa réalité concrète et déplore que les programmes scolaires ne soient pas adaptés à cette « vie en imagination » de l’enfant, enclin à quitter sans cesse le monde réel pour un monde imaginé. De même, Bachelard considérait comme indispensable « d’apprendre aux élèves à inventer… et à leur donner le sentiment de la découverte » au lieu de leur imposer des « leçons »49. F. Minkowska confirme l’intuition bachelardienne d’une psychologie « ascensionnelle », manifeste dans ces dessins qui montrent que « la douleur est dans le cosmos, que la lutte est dans les éléments… que le repos n’est qu’un bien éphémère »50. Elle confirme aussi que les images premières ne sont pas si nombreuses : l’arbre en est une ainsi que le vol d’oiseau, le vent, le ciel bleu, la racine, qui nous ramènent aux « métaphores vécues »51 des mouvements de la montée et de la descente, qui constituaient selon Bachelard, une aide précieuse pour l’homme.
24Devenu un « vieillard sans muscles », Bachelard s’est toujours efforcé de faire vivre en lui l’enfant dans le vieil homme, en opposant le rationalisme scientifique à l’expérience du « rêveur de mots », dégagé de la responsabilité du sens ; mais « tout cela n’est plus. Le philosophe est rentré en scène… »52, confie-t-il en 1961 où il annonce un changement de perspective : entre « une vie en concepts » et « une vie en images » il choisit la deuxième, comprenant que chez l’homme, « toujours, l’expression dépasse la pensée »53.
25Au cours de son existence, Bachelard avait fini par se constituer une sorte « d’anthropologie personnelle » l’ayant amené à séparer sa vie en deux pour vivre alternativement sur les modes « réflexif » et « actif ». Mais quel fut le rôle de la musique dans tout cela ?
Du cogito cartésien au cogito sonore
26Bachelard l’annonçait dès 1939 dans le Lautréamont : l’impuissance de la pensée à saisir en elle-même la vie et son activité s’est confirmée au terme de son existence où il finit par entrevoir « le retentissement » profond de l’image sur l’être humain, « les germes d’ontologie poétique » qu’elle contient lorsqu’elle est saisie en sa nouveauté première. Et il fait cet aveu : « … aujourd’hui, après tant de labeur,… je voudrais avoir tous mes livres à réécrire »54.
27Libéré de ses conventions, (et de sa structuration binaire en signifié/signifiant), « dégagé des responsabilités de la signification »55 le langage esthétique doit pouvoir dire « la joie devant l’image nouvelle que nous offre le poète »56 sans passer par la représentation (comme les onomatopées) mais par la seule musique des mots. C’est cette « doctrine de la spontanéité, d’une spontanéité pure »57 calquée sur celle de l’enfant, qu’il voudrait professer aujourd’hui car elle seule est capable de produire selon lui « une vie en imagination » et de créer son lecteur en suscitant chez lui « un mimétisme de la spontanéité »58. « Un lecteur qui imagine reçoit une impulsion d’imagination d’un poète qui vit d’imaginer »59. Car la vraie vie, la vie excessive, est imagination et cette vie est unité d’être, bonheur d’agir. Seule cette vie qui était pour lui « la flamme-vie », mérite d’être vécue dans toute son intensité, parallèlement à la vie « horizontale » « des êtres stagnants »60 que nous sommes dans le flux du quotidien.
28Déjà, en 1939 il prescrivait : « on doit se débarrasser des livres pour retrouver la primitivité poétique. Il faut donc un véritable courage, pour fonder, avant la poésie métrique, une poésie projective… »61. Cette « poésie projective » qui ouvre l’imagination, ou « poésie du projet », loin de donner comme dans le rêve, une collection d’images, fournit « l’espérance formelle »62 dont l’alouette est le symbole.
29Cette espérance donne « une vigueur à notre… personne, une tonicité à notre vie physique et… nous vitalise »63 à condition toutefois de « vivre la vie du langage vivant » et des images. Alors seulement naîtra la « poésie ouverte », « sans intermédiaire »64.
30C’est cette « dynamogénie que réalise Lautréamont »65 selon lui et qu’il entreprend de poursuivre en cherchant comme lui à voir « le poisson dans le nageur »66 car cela correspond à ce « besoin d’animaliser, qu’il découvre à l’origine de l’imagination »67. Ainsi, pour le rêveur, la flamme (comme la musique) est un oiseau : « Où prendrez-vous l’oiseau ailleurs que dans la flamme ? » interroge Bachelard68. Selon lui, « le cinétisme est un besoin poétique fondamental »69 chez l’homme qui n’a pas besoin du savoir pour rêver. Bachelard a observé à ce sujet que « les œuvres d’aliénés ou d’esprits dérangés trouvent aujourd’hui difficilement un éditeur »70 alors qu’« il n’en allait pas de même il y a cent cinquante ans »71 ; et il se souvient (comme Lautréamont qui fut mathématicien avant d’être poète) « des heures où il arrêtait ses impulsions, où il anéantissait en lui la vie pour avoir la pensée »72. Mais on ne fait pas de mathématiques sans cette surveillance, sans cette frustration de l’homme de pensée « empêché » par la raison de libérer son âme et ses rêves, nous dit Bachelard, retrouvant là l’expérience d’Aristote73 selon lequel « C’est par le repos et l’arrêt que la raison sait et pense ». « Il n’y a pas d’éducation mathématique sans une certaine méchanceté de la Raison74 » affirme-t-il en connaisseur.
31Imposer la raison lui paraît « une violence insigne » qui est à mettre en rapport avec la sévérité du professeur : « la sévérité est une psychose, c’est en particulier la psychose professionnelle du professeur… »75. Il perçoit néanmoins chez Lautréamont une nostalgie de cette discipline : « une adoration de la pensée fait pendant à une exécration de la vie dans l’œuvre ducassienne »76 écrit-il et l’on ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec Bachelard qui avoue préférer l’exercice de la rêverie aux leçons de philosophie : « J’aimerais mieux, je crois, manquer une leçon de philosophie que de manquer mon feu du matin… »77. Néanmoins, il va essayer de « rendre la poésie et la science complémentaires de les unir comme deux contraires bien faits »78 comme dans la coincidentia oppositorum alchimique.
32En passant tour à tour de l’univers scientifique à l’univers poétique, Bachelard a bien vu la nécessité de ne pas appliquer la méthodologie de l’homme de pensée, aux prises avec « l’élément fonctionnel »79 (c’est-à-dire avec « l’objet »)80, à celle du poète, qui doit composer avec la vie. C’est pourquoi « l’antipathie est une saine précaution » dans la science, règne du Cela, alors que l’esprit poétique est sous le règne du Tu et de la réciprocité pour reprendre les termes de Martin Buber :
« S’il s’agit d’examiner des hommes, des égaux, des frères, écrit Bachelard, la sympathie est le fond de la méthode. Mais devant le monde inerte qui ne vit pas de notre vie, qui ne souffre d’aucune de nos peines et que n’exalte aucune de nos joies, nous devons arrêter toutes les expansions, nous devons brimer notre personne […]
33Il en conclut :
« Il faut donc opposer à l’esprit poétique expansif, l’esprit scientifique taciturne pour lequel l’antipathie préalable est une saine précaution »81
34Dans la vie usuelle, nous ne pouvons nous comprendre « qu’en activant les mêmes complexes », alors que dans la vie philosophique, souriante et sereine, désabusée, ou douloureuse, nous ne pouvons nous comprendre qu’en réduisant, ensemble, les mêmes complexes, en diminuant toutes les tensions, en abjurant la vie »82. C’est pourquoi, il faut « quitter le livre pour parler aux hommes »83 et les inciter à exercer « la Grande Activité » que chacun peut mettre en œuvre avec un minimum d’apprentissage et d’exercice. Il entend ainsi fonder une nouvelle esthétique, une « esthétique concrète qui ne serait pas rationalisée par de faciles idées générales »84.
35Entre l’œil du savant et l’œil du poète, il existe un voile que d’autres penseurs n’ont pu lever « L’activité de penser dont la philosophie participe à titre éminent, a ceci de particulier, de remarquable… qu’elle ne surgit jamais qu’à la faveur d’un refus, le refus de voir le monde… »85, écrit Paul Audi à propos de Nietzsche pour qui la musique surpassait la philosophie en donnant « l’idée immédiate de la vie ». Portant le jeu infini des tonalités fondamentales (de la souffrance et de la joie) à son paroxysme, la musique était pour lui le modèle de tous les arts en sa capacité de faire éprouver directement les mouvements de l’affectivité.
36Que la musique exprime le fond affectif de l’existence, ne signifie nullement que nous avons affaire ici à une « esthétique du sentiment ». L’affectivité (ç-àd la capacité à souffrir et à jouir) est ce qui fonde la pensée et il y a une distinction à faire avec l’affection, un espace à ménager dans lequel l’art peut s’immiscer :
« Qu’elle vienne de la souffrance ou qu’elle vienne de la joie, tout homme a dans sa vie cette heure de lumière, l’heure où il comprend soudain son propre message, l’heure où la connaissance en éclairant la passion… le moment décisif où l’échec synthétique… devient tout de même la réussite de la pensée… (et le fait) apprécier comment l’esprit surgit de l’ignorance… le courage intellectuel, c’est de garder actif et vivant cet instant de la connaissance naissante, d’en faire la source sans cesse jaillissante de notre intuition et de dessiner, avec l’histoire subjective de nos erreurs et de nos fautes, le modèle objectif d’une vie meilleure et plus claire »86.
37Ainsi, grâce à une « esthétique concrète » qui permet à l’homme de voir tout « en nouveauté », tout rêveur vraiment « actif » exerce une « action » sur le monde, susceptible d’améliorer les rapports humains.
38Dans son Étude sur Bachelard, Hyun Kim a étudié « La poétique du bonheur » chez le philosophe en montrant que pour lui, la pensée est le résultat d’une « recherche de la joie »87. Mais ce « bonheur » n’est pas celui, tout extérieur, que nous pousse à obtenir la société de consommation. À la lumière de l’activité créatrice, il s’agit plutôt de ce « bonheur d’agir » qui est un art capable de nous rendre sensible au « fonctionnement des choses ».
39C’et pourquoi « Rêver et voir ne s’accordent guère. Qui rêve trop librement perd le regard »88, écrit Bachelard, suggérant par là qu’il faut toute une éducation, « un long préambule de rêveries familières » pour apprendre à exercer son regard par une écoute fine des silences et des timbres.
40Le voyage comme la rêverie était pour Bachelard un révélateur de l’être profond du voyageur auquel il donne des « visions » : « Tout ce qui est profond dans le monde et dans l’homme a la même puissance de révélation. Le voyage est révélateur du voyageur »89. Il favorise en lui le goût d’imaginer et de s’émerveiller nécessaire à l’expérience de la vision véritable. Mais si le voyage « fait voir », en revanche il ne doit rien « montrer ».
Voir
41C’est « ce sens profond de voir » que nous perdons dans l’éducation affirme Bachelard pour qui : « Voir et montrer sont phénoménalement en violente antithèse »90. « Enfant, on nous montre tant de choses, dit-il, que nous perdons ce sens profond de voir ». Or, « comment les adultes nous montreraient-ils le monde qu’ils ont perdu ! » se demande Bachelard91.
42Si l’on en croit l’étymologie, le radical (voir) d’où dérivent en grec, « l’idée » et la « théorie », a pris progressivement le sens de savoir puis de penser et par extension, de percevoir92. En latin, la « métaphore oculaire » est présente dans les dérivés de la racine « spec » (de species, la vue) qui a donné en français le « théorique » ou le « spéculatif » (de spectativus) ainsi que le « regard » (aspectus) et se prolonge dans les différentes acceptions du mot latin objectus désignant l’obstacle ou l’objet. Partout, la distance est marquée entre l’objet et le sujet désigné, depuis l’origine de la tradition philosophique, comme un spectateur se trouvant devant l’objet qui lui est extérieur comme devant un obstacle à franchir. C’est la raison pour laquelle la peinture est souvent un objet idéal de pensée pour les philosophes, (moins à l’aise avec la musique93, art non-visuel), qui ont pris l’habitude de concevoir les rapports entre l’esprit et la matière d’après le seul rapport entre l’œil et l’objet.
43Ainsi, d’après notre tradition philosophique occidentale, le savoir est indissociable du sens de la vue. L’esprit qui voit, comprend en même temps ce qu’il voit, comme cela se vérifie dans le langage courant où « comprendre » a effectivement le sens de « voir » (on dit « je vois » pour dire je comprends »).
44Cela fait de l’homme un éternel « spectateur » dont la vocation est de contempler les essences, idées, concepts ou nombres, situés dans un autre monde, parfait, et pour qui la connaissance n’est que pure théorie.
45Existe-t-il d’autres formes de pensée non conçues sur ce modèle visuel et faisant appel à un autre sens ? C’est la question que pose J-F Billeter dans sa comparaison entre « pensée occidentale et pensée chinoise »94 où il met en regard notre idéal de la connaissance (qui est contemplation d’une réalité intelligible et intellectuelle) avec l’idéal chinois de l’activité parfaite, considérant que c’est moins sur un autre organe des sens que sur l’acte même de percevoir que s’est établie cette pensée. Pourtant, l’écoute (et avec elle, le sens de l’ouïe) est considérée dans les textes chinois comme mode privilégié de connaissance.
46En occident, il est généralement admis depuis l’Antiquité que l’esprit perçoit les objets du monde des idées de la même manière que l’œil perçoit les objets dans le monde sensible. Emblématique est à cet égard la définition de l’esprit comme l’œil de l’âme, chez Platon qui fait dans le Timée, l’éloge de la vue :
« Il nous faut parler de l’utilité essentielle des yeux pour lesquels la divinité nous en a fait présent. Selon mon raisonnement, la vue a été créée à notre plus grand profit. De tous les discours que nous pouvons aujourd’hui tenir sur le monde, nul n’aurait jamais pu être tenu si les hommes n’avaient pu voir ni les astres, ni le soleil, ni le ciel. Ce sont le jour et la nuit, les mois et les périodes régulières des saisons… toutes choses que nous voyons, qui nous ont procuré l’invention du nombre, fourni la connaissance du temps et permis de spéculer sur la nature de la nature. C’est par là que nous avons été dotés de cette science sublime… »95
47Seule la raison peut connaître aux yeux de Platon pour qui « la connaissance de l’immuable » est le véritable objectif de l’âme. elle-même immuable (et immortelle dans la théologie chrétienne). Cet héritage antique a fourni le modèle d’une conception immuable de l’homme, (renforcé par les Lumières et encore actif aujourd’hui), selon lequel « ce qui comprend est toujours pareil à lui-même, ce qu’on ne saurait dire du corps »96. Ce à quoi s’oppose la vision du peintre pour qui : « l’âme désire résider avec le corps parce-que sans les membres de ce corps, elle ne peut ni agir, ni sentir »97.
48La science moderne est profondément imprégnée de cette tradition issue de la philosophie grecque et de la théologie chrétienne, fondées sur l’idée d’une « connaissance noble ayant pour objet des entités immuables, « indépendantes de l’esprit humain qui les perçoit »98. Cela explique le succès des mathématiques et de la logique (dites « sciences exactes ») dans notre monde moderne99 qui provient de ce privilège accordé depuis l’Antiquité à la théorie (sur la pratique) ayant pour objectif la recherche d’une connaissance certaine et démontrable, opposée à l’expérience, impuissante à établir la vérité objective sous prétexte qu’elle procède des sens.
L’œil interne
49C’est à Descartes que revient l’invention du concept d’œil interne, permettant de voir les images qui se reflètent dans l’âme comme dans un miroir et de spéculer à partir d’elles. Le corps étant réduit chez ce philosophe à une machine, aucune relation ne peut avoir lieu entre conscience, représentation et réalité. Le doute cartésien met en question la réalité de ces représentations dont nous n’avons finalement aucune certitude. Ainsi s’établit pour toujours la scission entre la science conçue comme « une enquête sur le monde extérieur réduit au statut d’objet » et la philosophie dont la vocation est désormais d’étudier « le fonctionnement de la connaissance et son rapport avec la réalité »100. Devenue essentiellement une épistémologie, la philosophie se porte garante de toutes nos connaissances et représentations, accessibles désormais à l’esprit tout comme l’objet concret à l’œil.
50G. Bachelard est, avec Wittgenstein, au nombre de ces philosophes qui se sont détournés de cette conception épistémologique de la philosophie, uniquement préoccupée par la manière dont l’esprit peut connaître. Le désir de Wittgenstein de « guérir les philosophes de l’illusion qu’il existe des problèmes épistémologiques »101 rejoint les analyses de Heidegger102 et celles de Richard Rorty103 qui en appellent à une autre époque de la philosophie où serait dissipée cette « illusion ».
51Bachelard inaugure cette nouvelle époque par sa « philosophie de l’activité » dans laquelle « l’écoute du dedans » conditionne une autre forme de pensée et de perception, d’essence musicale, entraînant avec elle une autre conception du monde et d’autrui.
52C’est ce type de savoir « qui ne voit rien », fondé sur le sens de l’ouïe, qui est sollicité dans les mythes. Ainsi, pour n’avoir pas pu s’empêcher de connaître, le musicien Orphée, a dû descendre aux enfers et y accomplir un voyage intérieur qui lui a fait perdre une seconde fois l’être aimé après avoir réussi à l’arracher au Royaume des Ombres.
53Le désir de connaître a aussi saisi Psyché qui n’a pu résister à la tentation de voir le visage de son bien-aimé, à la lueur de la lampe au-dessus du corps du dormeur. Touché par une goutte d’huile, celui-ci disparaît aussitôt, pour ne plus jamais revenir. Le même « péché de connaissance » fera le malheur d’Elsa de Brabant qui a voulu connaître le nom du chevalier qui la sauva (Lohengrin).
54Toutes ces histoires montrent que la connaissance va à l’encontre de la vie et de l’amour et qu’elle est incompatible avec ses lois mystérieuses. Le mouvement qui entraîna Psyché vers Eros ou Orphée vers Eurydice est de même nature que celui qui préside au vol de l’alouette : il ne se détache pas de l’élan qui le porte et s’oriente vers une mutuelle participation du monde et du vol.
55De ce regard, illuminé de l’intérieur par l’amour, se détourne la science en s’emparant de son objet pour le soumettre à l’appréciation d’un juge et critique nécessairement hostile comme l’a bien vu Bachelard dans sa double position de savant et de poète.
56Dans la Poétique de la rêverie, Bachelard suggère que la connaissance est incompatible avec « l’amour écrit », domaine exclusif et privilégié de la rêverie qui permet de communiquer directement avec autrui et avec soi-même, « en la revivant d’autant mieux qu’on la récrit. Nous touchons là, nous dit Bachelard au domaine de l’amour écrit. La mode s’en perd… ».104
57Nous avons montré dans ce livre que les images bachelardiennes les plus efficaces et les plus fidèles à son imagination poétique (celles du vol et du chant de l’alouette comme celles de l’eau ou de la flamme), étaient toutes reliées à l’art de musique, art non-visuel, et à l’alchimie de la perception mise en œuvre pour capter le degré de vie qu’elles contiennent. Si « la pensée ne doit pas dicter ses règles à la vie »105 celle-ci n’est accessible que par un « sixième sens », développé dans l’écoute.
58Une anecdote bien connue de la pensée chinoise issue du Zhuangzi fait à ce sujet, figure de mythe.
59Pour montrer que la vue n’est pas le seul agent par lequel nos sensations sont éveillées, l’auteur met en scène un boucher ou un cuisinier dont la pratique est qualifiée d’« art de musique » à cause de l’écoute exceptionnelle déployée dans ses actes. Doté d’un savoir corporel hors du commun, cet homme simple (ni érudit ni savant mais « connaisseur »), répond à son prestigieux interlocuteur, prince et philosophe dont la « lucidité philosophique » est légendaire, que le simple fait de fermer les yeux lui permet de « voir » avec l’esprit. Ce qui fait écho aux paroles de Bachelard, pour qui « Tout rêveur solitaire sait qu’il entend autrement quand il ferme les yeux »106 car son activité propre ne lui fait plus percevoir les objets comme séparés de lui mais issus de son propre corps dont ils sont devenus le prolongement. Un fort sentiment d’unité et d’existence est alors ressenti par tout rêveur qui accomplit un travail engageant tout le corps-cœur-esprit. C’est bien ici « l’imagination qui pense » et lui fait esquisser des mouvements. C’est elle qui amène le « boucher Ding » à chanter et à danser en suivant les mouvements de son esprit, lequel « agit comme il l’entend »107 (au sens propre comme au figuré). Passé maître dans son art, le cuisinier a progressivement atteint un niveau supérieur d’intégration comme peut l’atteindre un musicien dans l’interprétation d’une musique dont il s’est approprié les mouvements : « … on entendait des hua lorsqu’il empoignait de la main l’animal… on entendait des huo quand son couteau frappait en cadence comme s’il eût accompagné l’antique danse du Bosquet des mûriers ou le vieux rythme de la Tête de lynx… »108.
60Cela explique que la musique et la danse aient souvent été considérées comme modèles dans cette tradition où l’artiste (peintre et calligraphe) a souvent la révélation de son art en voyant danser ou jouer de la musique (et non en essayant de reproduire ce qu’il voit). Là réside le secret d’un art vivant qui a son origine dans le geste senti.
Le peintre Briesen
61Le cas du peintre Briesen109, qui travaille les yeux fermés en écoutant de la musique, est exemplaire à cet égard.
62Interrogé sur le contenu de ses dessins, il répondait « je dessine ma souffrance », induisant que pour lui, le réel est tout entier contenu dans cette tonalité fondamentale que seule la musique est capable de faire éprouver ; « … la musique n’est ici… que la reproduction d’une réalité antérieure qui constitue le fond de son être ». Ainsi, d’après lui : « seule une longue fréquentation de la souffrance peut nous donner à entendre la musique, à l’éprouver comme un écho de la Douleur originelle ». Car la musique ne « représente » jamais des objets ou des choses, pas plus que des sentiments. Elle est avant tout « ce qui nous affecte »110. Elle évolue entre les pôles, dans les modulations incessantes du Souffrir et du Jouir comme l’avaient pressenti Nietzsche et Schopenhauer. Ce que dessine ce peintre c’est ce qu’il entend sourdre en lui : le « fond du sans-fond » qui est pour lui comme pour Bachelard le fond souffrant de l’être, son « infra-moi ».
63Dans une page isolée des Fragments d’une poétique du Feu, portant le titre « la sublimation des peines », Bachelard explique ainsi qu’un poème ou une œuvre d’art a le pouvoir d’intensifier la peine et non de la libérer comme on le pense généralement : « Le poète souffre plus finement et par conséquent plus profondément après la sublimation. L’image devient en somme plus douloureuse que le souvenir brut »111. Ainsi, quand une souffrance a trouvé son image ou sa matière (un poème, une musique ou un tableau), le chagrin se revit avec une acuité plus grande. Par le poème ou la musique, l’homme est ramené « à l’état d’une brûlure vive ». « Le souvenir devient brûlant ». Et maintenant, « quand il se souviendra de sa peine, il se souviendra surtout de son poème »112 ou de sa musique.
64Bachelard cite à ce propos Antonio Machado : « J’avais au cœur l’épine d’une passion/je l’arrachai un jour/ ;/je ne sens plus mon cœur » et celui-ci de conclure : Epine d’or/je voudrais te sentir dedans mon cœur plantée »113.
65Nous décelons ici l’une des clés d’interprétation du rapport de Bachelard à la musique : l’impossibilité affective où il s’est trouvé d’en rendre compte ou d’en jouer après le décès de sa femme114. C’est à la poésie, dont la vocation allusive est de faire entendre sur un mode indirect, dans des silences et des timbres, l’acte de vivre, avec ses joies et ses peines, que Bachelard a préféré s’en remettre pour confier la sienne, pensant lui aussi que la musique doit se décharger sur la poésie de ses images, de ce poids dionysiaque, trop lourd à supporter.
66De même, en dessinant ainsi dans le noir, le peintre Briesen écoute chanter sa peine : « La respiration arrêtée, le corps tout entier vit dans l’attente de la Puissance… le corps de Briesen frémit… s’arrête, épuisé, déconcerté… »115. Ses compositions ne sont pas « d’essence graphique » mais d’essence musicale116.
67L’esthétique traditionnelle, préoccupée uniquement de réfléchir sur des formes achevées, passe généralement sous silence cette autre modalité du sentir, capable de nous mettre en contact avec le « soi charnel et pulsatile » et de nous faire découvrir « l’expression » en toute chose. En se laissant traverser par ce « dynamisme énergétique », Bachelard rejoint ici la pensée du vital propre à Nietzsche selon lequel « les pensées sont les ombres de nos sentiments »117 car toute perception est par essence affective.
68Dans Ainsi parlait Zarathoustra, le philosophe affirme la nécessité de soumettre le moi à l’épreuve du sentir afin qu’il découvre par lui-même la relation de la pensée à la vie affective : « Le Soi dit au moi : Éprouve des douleurs ! Et le moi souffre et réfléchit à ne plus souffrir et c’est à cette fin qu’il doit penser… »118.
69En suivant G. Bachelard on pourrait dire que lorsque le penseur se repose, la musique veille, créant un clair-obscur propice à la rêverie : « Le rêveur – ce double de notre être, ce clair-obscur de l’être pensant– a dans une rêverie à la petite lumière, la sécurité d’être… leur lueurs deviennent invisibles quand la pensée est au travail… mais quand la pensée se repose, les images veillent »119.
70Mais ce « clair-obscur de la musique », comment l’écrire ? « C’est là un problème qui me tourmente depuis vingt ans que j’écris des livres sur la Rêverie »120 avoue Bachelard.
Le son provoque la vision
71Il semble que seul un son puisse « dire » cet accord entre le clair-obscur de l’être et la lueur intérieure qui trouve un prolongement dans la lampe de sa « table d’existence ». Écoutons la voix du Bachelard musicien que nous avons appris ici à connaître : « Même dans les heures où la vie n’a pas de drame, le temps des lampes est un temps grave, un temps qu’on doit méditer en sa lenteur… Ainsi, le poète vous enjoint de dire à voix basse le prélude d’un accord de la petite lueur et de la première ombre du soir. Un mouvement lent se déploie dans le clair-obscur du rêve, mouvement qui propage une paix »121.
72On assiste ici à une transmutation du son en lumière (ou lueur) née de cet accroissement de vie provoqué par la rêverie éveillée ou active. Mais cela exige un toucher intérieur qui fait souvent défaut à l’homme de pensée, comme l’a bien vu Novalis, et à l’homme d’action, « agité et non actif comme le veut le poète… »122. C’est ainsi qu’il faut lire imaginativement, selon Bachelard, « en participant à la poétique du sensible, à la poétique du toucher, la poétique des tonalités musculaires »123.
73C’est par l’activité propre, déployée dans la rêverie et inscrite « dans toutes les fibres de l’être », « avant la lumière goethéenne »124 qu’il nous est donné d’être soi ; car « l’être humain est un facteur d’intériorisation privilégié. Il semble que l’homme puisse connaître directement les propriétés intimes de son être physique »125.
74Bachelard rejoint là Novalis pour qui « le besoin de sentir domine le besoin de voir »126, ce qui va renverser la perspective de la toute-puissance de la vue sur les autres sens. Cette nouvelle façon de « voir » opère une véritable « révolution »127, car elle suggère que la vocation de l’homme est dans l’agir et le sentir qui fonde la relation au monde et à autrui : « Homme n’est pas une notion fixe. Peut-être Acte ? » se demande Paul Valéry pour qui « l’essentiel est dans le Faire et son acquisition »128.
75Il existe donc une modalité de la conscience qui nous fait percevoir la réalité sensible de manière directe, par l’ensemble de nos mouvements intérieurs. C’est cette modalité active, que Bachelard a découverte au contact de la poésie de Novalis et de Lautréamont, et qu’il a formulée dans ce postulat : « c’est le mouvement vécu qui crée la vision »129. Cela induit l’existence d’une nouvelle forme de pensée et de philosophie que nous définissons comme une « poétique de l’ouïe » et non une philosophie, car elle ne met pas un sujet qui voit, en face d’un objet vu, mais établit directement une relation entre le lecteur et les mots par l’éveil de son activité propre. Radicalement autre, cette poétique est aussi une poétique de la relation, et de la rencontre, qui nous apprend à entendre avec le « corps-cœur-esprit ». Car « le Je n’est pas la substance abstraite qui a pour attribut la pensée, mais l’individu complet dont le corps propre est une partie essentielle, constituante »130. Maine de Biran déplorait lui aussi l’emprise de la métaphore oculaire qui empêche d’avoir accès à cette source cachée : « c’est en ramenant au sens de la vue les principes de la langue, qu’on a pu être conduit à exclure les faits… d’aperception interne et à mettre tour le système intellectuel en représentation, toute la pensée en images »131. Refusant de prendre la « représentation » pour modèle, il s’est appuyé sur le sens de l’ouïe pour développer une écoute de soi ou « aperception immédiate de soi » qui est la condition première de toute perception selon lui. Maine de Biran en perçoit l’origine dans cette faculté propre à l’homme de s’écouter voir ou entendre, s’auto-affectant dans le même temps qu’il se perçoit comme sujet. De même, chez Bachelard, l’oreille répond à une action motrice de la voix et ce couplage est au fondement de la parole « Il nous faut saisir, avant toute impression sonore… la volonté de parler… observe Bachelard, si l’on veut bien réfléchir sur la primauté du vocal sur le sonore. Cela revient à prendre conscience de l’être parlant, de l’être qui vit les impressions du gosier richement inervé »132.
76Une telle pensée, d’origine corporelle, peut être au fondement d’une éthique et d’une « esthétique concrète » d’après Bachelard qui a inspiré aujourd’hui le travail du théâtre des Sens133 dont la particularité est de travailler dans le noir en fermant les yeux pour mieux voir.
77Toute pratique artistique, lorsqu’elle est profondément sentie, met en œuvre un sixième sens, « venu après les autres, au-dessus des autres et qui permet à la pensée humaine de chanter »134, affirme Bachelard. Sa fonction est d’établir des relations avec le monde qui ne peut devenir signifiant que lorsqu’il est le résultat de l’interaction entre l’activité du corps propre et l’espace extérieur. C’est à la recherche de ce sixième sens, nécessaire à la cohésion des cinq autres, que se voue Enrique Vargas135 et son théâtre des Sens pour parvenir à faire éprouver ce sentiment du réel activé dans l’expérience sensorielle136. À cet égard, il présente bien des affinités avec la musique qui avait pour but dans la tragédie d’inciter les hommes à agir (praxis) en visant la catharsis (c’est-à-dire la prise de conscience par les citoyens de leur propre condition de sujet). Mais c’est surtout à la tradition orale et populaire de ce théâtre antique, conçu comme une « performance musicale », placée sous l’égide de Dionysos137 et soumise aux seules lois de la musique que se relie le Théâtre des Sens, un théâtre du jeu et du corps.
78On sait que Dionysos, le dieu masqué qui se révèle en se cachant, ne manifeste sa présence qu’à ceux qui ont appris à voir par les yeux de l’esprit. Si nos sens sont nos maîtres, c’est que « toute cognoissance s’achemine en nous par les sens » d’après Montaigne :
« La science commence par eux et se résout en eux. Après tout, nous ne sçaurions non plus qu’une pierre, si nous ne sçavions qu’il y a son odeur, lumière, saveur, mesure, pois, mollesse, dureté, aspreté, couleur, poliseur, largeur, profondeur… Les sens sont le commencement et la fin de l’humaine cognoissance »138
79Dans ce type de connaissance sensible, l’objectif est moins de « représenter » une action que de contribuer à la formation de l’être humain par la stimulation de cette énergie invisible capable de déclencher en chacun un petit travail intérieur et activer l’imagination. Tel est le programme de ce théâtre qui œuvre ainsi à la fondation d’un monde commun, en revendiquant une poésie vécue qui soit le fruit de l’expérience sensorielle.
80En plaidant en faveur des poètes plutôt que des philosophes (« Sans l’aide des poètes, que pourrait faire un philosophe qui s’obstine à parler de l’imagination ? »139) G. Bachelard ne fait que confirmer sa position : « nous nous évaporons ou nous nous condensons – nous rêvons ou nous pensons. Puissions-nous imaginer ! »140 demande-t-il, insinuant que l’homme n’a pas encore exploité tous les secrets de son Or intérieur. Si pour lui, « c’est l’imagination qui pense et c’est l’imagination qui souffre », c’est elle qui agit »141
Notes de bas de page
1 DR, p. 121.
2 PR. p. 31.
3 II, p. 17.
4 PR, p. 152.
5 Ibid.
6 FPF, p. 32.
7 Ibid.
8 FC, p. 111.
9 Ibid.
10 Ibid.
11 FC, p. 26.
12 Fin de FC, op. cit. p. 112.
13 PF, p. 13.
14 PF, p. 14.
15 PF p. 11.
16 AS, p. 119.
17 FC, p. 151.
18 TRR, p. 260.
19 Ibid.
20 Ibid.
21 FPF, p. 35.
22 Ibid.
23 Ibid.
24 FC, p. 111.
25 FC, p. 110.
26 Ibid.
27 H. Bergson, L’énergie spirituelle, Paris, Alcan, 1920 p. 90, cité par Bachelard, in PR, p. 181.
28 Audiberti, Carnage, p. 60, cité par Bachelard, in PR, p. 179.
29 PR, p. 179.
30 PR, p. 182-183.
31 L, p. 79.
32 Ibid.
33 « Instant poétique et instant métaphysique », dans LDR, p. 235.
34 PR, p. 79.
35 ER, p. 3.
36 L, p. 103.
37 PR, p. 55 « … les projets, les soucis, sont deux manières de ne pas être présents à soi-même ».
38 PR, p. 80 : « Nous avons le droit de considérer les œuvres poétiques comme des réalités humaines effectives ».
39 DR, p. 135.
40 J. Boutonnier, Les dessins des enfants, éditions du Scarabée, Paris, 1953, p. 6.
41 PR, p. 92.
42 DR, p. 237.
43 ECA, p. 25.
44 Préface aux Dessins des enfants, éd. du Scarabée, 1953, cité par Vincent Therrien in La révolution de G. Bachelard, op. cit. p. 136.
45 Ibid. C’est moi qui souligne.
46 Ibid.
47 Françoise Minkowska, De Van Gogh à Seurat aux dessins d’enfants. À la recherche du monde des formes. Edité à l’occasion de l’exposition au Musée Pédagogique du 20 avril au 14 mai 1949.
48 F. Minkowska, in op. cit. p. 104.
49 FES, p. 247.
50 F. Minkowska, in op. cit. p. 105-106.
51 Ibid.
52 FPF, p. 35.
53 FPF, p. 37.
54 FPF, p. 29.
55 Ibid.
56 Ibid.
57 Ibid.
58 FPF, p. 30.
59 FPF, p. 31.
60 FPF, p. 47.
61 L, p. 54.
62 L, p. 152.
63 TRV, p. 8.
64 Ibid.
65 L, p. 81.
66 L, p. 51.
67 Ibid.
68 FC, p. 68.
69 F. Minkowska, in op. cit. p. 106.
70 FES, p. 27.
71 Ibid.
72 L, p. 90.
73 Aristote, Physique, VII, 3, 247 b.
74 L, p. 92.
75 Ibid.
76 L, p. 94.
77 PF, p. 10.
78 Ibid.
79 ECA, p. 298.
80 Dans ECA, Bachelard définit l’objet comme « un réalisme sans substance qui se présente comme une catégorie de la pensée, comme entièrement fonctionnel », op. cit. p. 298.
81 PF, p. 10.
82 L, 119-120.
83 FES, p. 246.
84 FC, p. 5.
85 P. Audi, Où je suis, Fougères, Encre marine, 2004, p. 16.
86 II, p. 6.
87 Hyun Kim, « La poétique du bonheur », in Étude sur Bachelard, Mineumsa, 1976, p. 207.
88 DR, p. 186.
89 Ibid.
90 PR, p. 111.
91 Ibid.
92 cf. l’article de J-F Billeter, « Pensée occidentale et pensée chinoise » paru dans Différences, valeurs, hiérarchie, Textes offerts à Louis Dumont et réunis par Jean-Claude Galey, Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, 1984, op. cit. p. 27.
93 À part Nietzsche, Schopenhauer et Adorno, rares sont les philosophes qui se sont intéressés à la musique pour en faire un objet d’étude et de réflexion. Généralement, c’est sur la peinture que portent les commentaires car on associe volontiers l’œil et l’esprit comme l’indique le livre de Merleau-Ponty L’œil et l’esprit publié en 1964, mais écrit en réalité pendant l’été 1960.
94 J-F Billeter, « Pensée occidentale et pensée chinoise » in op. cit., pp. 25-51.
95 Timée, 4a, Platon, Œuvres complètes, t. X : Timée, Critias, Paris, Les Belles Lettres, 1925, p. 164.
96 « Le corps ne comprend ni n’aide l’âme à comprendre ; si celle-ci veut comprendre, elle s’abstrait du corps. Ce qui comprend est toujours pareil à lui-même, ce qu’on ne saurait dire du corps » in Saint-Augustin, Œuvres, vol. 5 Platon, Dialogues philosophiques, Desclée de Brouwer, 1948, p. 173.
97 Léonard de Vinci, Carnets, Paris, Gallimard, 1942, p. 60.
98 J-F Billeter, in « Pensée occidentale et pensée chinoise », op. cit. p. 30.
99 E. Husserl a dénoncé dans un texte écrit en 1930 l’approche réductrice des scientifiques enclins à ne s’intéresser qu’à un monde de faits objectifs et négligeant « l’énigme de la subjectivité » ce qui a provoqué selon lui une crise de l’humanité européenne, Paris, Aubier 1977.
100 -F Billeter, in « Pensée occidentale et pensée chinoise », op. cit. p. 30.
101 cité par J-F Billeter, in op. cit. p. 33.
102 Dans son Introduction à la métaphysique, Paris, Gallimard, 1967, Heidegger étudie le passage entre la philosophie grecque et la philosophie « classique » à travers le renversement opéré entre la prééminence de l’idea sur la physis.
103 Richard Rorty, Philosophy and the mirror of the nature, Oxford, Basil Blackwell, 1980, est le créateur de ce concept de « métaphore oculaire » inaugurée selon lui par Platon.
104 PR, p. 7.
105 II, p. 17.
106 PE, p. 166.
107 « … mon esprit agit comme il l’entend et suit de lui-même les linéaments naturels du boeuf lorsque ma lame tranche et disjoint, elle suit les failles et les fentes qui s‘offrent à elle », in J-F Billeter, op. cit. p. 39.
108 In op. cit. p. 36.
109 M. Henry le cite dans le tome III de La phénoménologie de la vie, Paris, PUF, 2004, p. 242 et suivantes : « Dessiner la musique. Théorie pour l’art de Briesen ».
110 M. Henry, La phénoménologie de la vie, III, op. cit. p. 248 et suivantes.
111 FPF, p. 14.
112 Toutes ces citations proviennent de FPF, pp. 13-14.
113 cité par G. Bachelard, in FPF, p. 14.
114 Ceci nous a été confirmé par les personnes de son entourage qui l’ont bien connu.
115 Op. cit. p. 255.
116 « une blessure écoute toujours plus finement qu’une oreille » écrit Aharon Appelfeld cité par Jo Jungblut dans biographie du Fonds Henry Bauchau.
117 Le Gai Savoir, (aphorisme 179).
118 Ainsi parlait Zarathoustra, traduct. de Geneviève Bianquis, Paris, Aubier-Flammarion, p. 308.
119 FC, p. 7.
120 FC, p. 9.
121 FC, p. 97, à propos d’un poème de Léon-Paul Fargue.
122 « … quelle erreur commet Rémy de Gourmont quand il présente Isidore Ducasse comme un agité. Ce n’est pas un agité, c’est un actif, un activateur », L, p. 79. Cela rejoint le concept taoïste du « non-agir », considéré comme une forme supérieure de l’action et particulièrement sollicitée dans la peinture chinoise : « Les Anciens confiaient leurs élans intérieurs au pinceau et à l’encre en empruntant la voie du paysage. Sans transformer, ils s’adaptaient à toutes les transformations, sans agir, ils agissaient », Shitao, in Propos sur la peinture, chap. XVIII, p. 131, op. cit. p. 131. Au chap. 48 du Lao Zi, on peut lire : « La pratique de l’étude accumule jour après jour, tandis que la pratique du Dao dilapide jour après jour, et cela jusqu’au non-agir. Il n’est rien que le non-agir ne puisse opérer ; ceux qui se sont emparés du monde, l’ont fait par inaction : eussent-ils été actifs, ils n’auraient pas été à même de s’en emparer », cité par Pierre Rickmans, in op. cit. p. 121.
123 PR, p. 174.
124 PF, p. 67.
125 FES, 127.
126 PF, p. 72.
127 Cf. le titre du livre de Vincent Therrien, La révolution de Gaston Bachelard en critique littéraire : ses fondements, ses techniques, sa portée : du nouvel esprit scientifique à un nouvel esprit littéraire. Préface Jean Lacroix et Georges Poulet, Paris, Klincksieck, 1970.
128 Paul Valéry, in Cahiers, La Pléiade, p. 801.
129 AS, p. 54.
130 Maine de Biran, Commentaires et marginalia, XVIIe siècle, in Œuvres, Paris, Vrin, 1999 (cité p. 38, in Pierre Montebello, Le vocabulaire de Maine de Biran, Paris, Ellipses, 2000, p. 36).
131 Maine de Biran, Essai sur les fondements de la psychologie et sur ses rapports avec l’étude de la nature, édité par Pierre Tisserand, Librairie Félix Alcan, Paris, 1932 p. 367.
132 Ibid.
133 Le théâtre des Sens, établi au Polvorin (Barcelone), a posé les fondements d’un langage sensoriel enseigné aujourd’hui dans son école des Sens et à l’université de Gerone. À travers ce théâtre, E. Vargas entend lutter contre la tyrannie du visuel imposée à l’homme moderne par la mise en œuvre d’une poétique de l’objet, de l’espace et du silence, inspirée de la poétique bachelardienne.
134 PE, p. 180.
135 Né le 24 juin 1940 à Manizales (Colombie), Enrique Vargas est le fondateur de la compagnie El Teatro de los Sentidos (le Théâtre des Sens) installée à Barcelone. À travers elle, E. Vargas entend lutter contre la tyrannie du visuel imposée à l’homme moderne, envahi aujourd’hui par les écrans.
136 À cet égard, on peut citer l’œuvre de Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles (trad. Henri Parisot, Flammarion, 1968), où les objets deviennent signifiants et agissant grâce à la relation établie par le personnage (qui rêve) entre l’espace intérieur et l’espace extérieur qui sont ici confondus. Les personnages et les objets changent sans cessent de taille, n’étant plus « mesurés » par le corps propre. Privé dans le rêve, du recul suffisant pour être le témoin de l’activité du corps propre, le personnage d’Alice se confond avec le monde sensible. Il en va autrement dans la rêverie bachelardienne où le sujet reste en éveil et se fait le témoin du « fonctionnement des choses ».
137 cf. Les Grandes Dionysies qui mobilisaient la cité d’Athènes et mettaient tout le monde à contribution.
138 Montaigne, in « Apologie de Raimond Sebond », in Essais, Paris, PUF, 1965, éd. Villey-Sannier, p. 587.
139 PR, p. 23.
140 AS, p. 128.
141 AS, p. 119.
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