IV. Une ontologie de l’invisible et de l’inaudible
p. 107-132
Texte intégral
« … voir et entendre, ultra-voir et ultra-entendre, s’entendre voir »1
« J’assiste à l’éclosion de ma pensée ;
je la regarde, je l’écoute, je lance un coup d’archet… »2
(Rimbaud)
« On devrait méditer sur un monde
qui existe en profondeur par sa sonorité »3
« Nous sommes les abeilles de l’invisible… »4
(Rainer Maria Rilke)
« Écoute_ plus rien_ seul le grand silence_ écoute »5
(O.W. de L. Milosz)
1Dans la rêverie, G. Bachelard invite son lecteur à aller aux sources du mouvement, afin d’écouter sa pensée se former. Il apprendra ainsi que le souffle est l’élément premier de la poésie et de la musique qui s’appuie sur « un silence ouvert », porteur d’un élan vital, distinct de « l’absence de bruits » :
« C’est le souffle qui est le premier phénomène du silence de l’être. À écouter ce souffle silencieux à peine parlant, on comprend combien il est différent du silence taciturne aux lèvres pincées. Dès que l’imagination aérienne s’élève, le règne du silence fermé est fini. Alors commence le silence qui respire. Alors commence le règne infini du silence ouvert »6
2Écouter cette essence qui vit et respire au cœur des choses, unissant tous les êtres dans une « sympathie obscure »7, apparaît comme la tâche du poète pour qui « nous sommes les abeilles de l’invisible » : « Écoute_ plus rien_ seul le grand silence_ écoute ».
3Ces vers de Rainer Maria Rilke et de L. Milosz, nous serviront de fil conducteur dans ce chapitre où nous allons essayer de remonter à la racine de l’imagination dynamique pour comprendre cette primauté du sonore sur le visuel chez Bachelard.
4Dans La poétique de l’espace, Bachelard définit l’activité du poète en quatre phases qu’il évoque sans plus d’explication en une progression qui laisse supposer que le dernier stade est supérieur à tous les autres : « … voir et entendre, ultra-voir et ultra-entendre, s’entendre voir et s’entendre écouter », telles sont pour lui les étapes d’une « phénoménologie du verbe écouter »8. Il précise que dans cette activité s’unissent la transcendance de ce qu’on voit et la transcendance de ce que l’on entend, ce qui est selon lui le but de l’activité poétique.
5En peu de mots, Bachelard nous donne ici un indice précieux de sa manière d’entendre qu’il développe en partie dans ce livre où il établit l’existence, chez le musicien et le poète, d’une « sur-écoute » qui est selon lui une forme authentique de connaissance.
Voir et entendre
6Amené à étudier dans ce livre l’infiniment grand « qui s’étend sans limite » et l’infiniment petit « qui approfondit », il montre comment, en cette profondeur, se révèle un monde qui existe « par sa sonorité » et dont toute l’existence serait « l’existence des voix » ; mais pour le percevoir, il faut se mettre à l’écoute de la « miniature du son » et se situer au-dessous du seuil normal de l’audition comme dans le conte de Gaston Paris, Le Petit Poucet : installé dans l’oreille d’un cheval, dont il est le maître des forces, celui-ci commande d’une voix que personne n’entend sauf celui qui entend avec son imagination, ce que Bachelard conçoit comme l’écoute véritable : « Le Petit Poucet est chez lui dans l’espace d’une oreille, à l’entrée de la cavité naturelle du son. Il est une oreille dans une oreille… »9. Cette oreille « qui sait rêver » et a appris à « écouter la nuit », le temps de la nuit, le temps du ciel étoilé »10, est celle d’un personnage qui tire son nom de la constellation du Grand Chariot (appelé « le Poucet ») dans le ciel. Bachelard constate que : « le tic-tac de nos montres est si grossier, si mécaniquement saccadé, que nous n’avons plus l’oreille assez fine pour entendre le temps qui coule » comme cet ermite qui percevait dans son sablier de prière « la catastrophe du temps, des bruits qui déchiraient l’oreille »11. Pour entendre cette nuit « qui marche », il faut « mettre au silence tous les bruits de la terre »12. Ce que fait le poète ou le musicien : « tout vrai poète contemplant le ciel entend la course régulière des astres. Il entend les choeurs aériens »13.
7C’est cette écoute « ultra-attentive » que pratique Edgar Poe, un poète sachant « faire parler les couleurs et les formes »14 et nous faire écouter cette « profondeur vers le haut » qui est caractéristique de l’être humain, doté chez Bachelard d’un destin opérant à la fois dans la profondeur et dans la hauteur. « Les deux se font in actu »15 observe Novalis auquel se réfère Bachelard pour affirmer que « l’imagination dynamique unit les pôles. Elle nous fait comprendre que quelque chose s’élève quand quelque action s’approfondit »16.
8À l’écoute de la miniature des bruits du monde, il est possible de percevoir toute une « ontologie du pressentiment » que nous fait entendre ce poète en éveillant chez le lecteur une sorte de « pré-audition », celle-là même que pratique le musicien. Mais, d’après Bachelard tout cela s’entend, « se pré-entend » aussi « dans le murmure sub-grondant du poème »17 qui se donne avant tout comme une musique dont la fonction est de « nous faire entrer dans le monde des bruits impossibles »18.
9Et l’on a tort, selon lui, de sourire lorsqu’un poète nous invite à « écouter la fleur user sa couleur »19 ou à l’entendre gazouiller20 comme d’autres entendent « l’herbe pousser » ou « verdir un noisetier »21 car ce n’est qu’à l’écoute de cette « poussée », en la mimant intérieurement, que chacun pourra sentir le monde dans son essor et s’éprouver lui-même comme vivant. « Mais qui nous dira les rêveries des yeux clos, demi-clos ou grand-ouverts. Qu’est-ce qu’il faut garder du monde pour s’ouvrir aux transcendances, demande Bachelard ? »22. D’où la question étrange : « comment voir sans entendre ? »23. Déjà dans L’eau et les rêves il affirmait que l’activité déclenchée par la vie de l’image, produisait en nous une sorte de « réflexe étrange », conditionné, réunissant à la fois les impressions visuelles, auditives et vocales24. Autrement dit, dans la poésie, ce n’est plus la vue qui commande mais bien l’oreille, en créant le monde à partir d’impressions auditives, comme chez l’in-fans.
10Bachelard a donné des exemples pour montrer comment une expérience d’écoute peut éveiller chez le lecteur une activité motrice issue de ce couplage entre la voix et l’oreille25. Lorsqu’elle est intensément sentie, l’expérience d’écoute peut ainsi aboutir à une meilleure perception de soi et, conséquemment, à un enrichissement de l’imagination spatiale et motrice. Cela explique que l’écoute musicale puisse rendre le corps à la fois plus actif et plus réceptif : « On ne peut dessiner une fleur, un oiseau en restant taciturne » affirme G. Bachelard suggérant par là qu’il y faut un mouvement interne pouvant être intensifié par le sens de l’ouïe26. Ainsi, une expérience d’écoute à laquelle tout le corps participe en faisant tendre l’oreille plus qu’à l’accoutumée, est susceptible de faire mieux sentir à un peintre l’animation de son propre corps et l’entraîner à mieux dessiner. Le sentiment qui en résulte est celui « d’une présence accrue à soi et aux choses »27 qui est source de jouissance et de plénitude.
11Une telle compréhension du monde nous place dans une position active, non plus devant mais dans les choses, avec lesquelles on entre en relation et qui nous renvoient une part de nous-mêmes. Grâce à cette perception hyperesthésique de la matière et de ses vibrations sonores, Bachelard a pu vraiment entendre les ondes lumineuses des peintures de Chagall et Monet, qualifiées par lui de « peintures remuantes » dans Le droit de rêver.
Les peintures « remuantes » de Chagall et Monet
12Qu’est-ce qu’un peintre pour G. Bachelard ? C’est quelqu’un qui sait écouter les rythmes de la matière d’où ils surgissent des éléments inconnus.
13Dans le bel article sur Monet, Bachelard explique que « … durant son travail, le peintre mène des songes situés entre la matière et la lumière, des songes d’alchimiste dans lesquels il suscite des substances en lutte… des luttes d’éléments »28 ; et il s’emploie à suggérer « l’action de la couleur »29 dans les toiles de ce peintre, qui se distingue par « les dynamismes si différents des rouges et des verts »30. Ainsi, dans ses cathédrales successives, ce ne sont pas des formes que l’artiste a peintes mais des forces, ayant d’abord senti en son for intérieur « la pierre agitée par le travail intérieur du calorique »31. Les tableaux de Monet donnent à voir et à entendre cette activité de la pierre qui répond aux vibrations de la lumière par des sonorités propres, montrant ainsi que « c’est toujours dans son caractère actif qu’un élément sollicite le peintre » ; de sorte qu’« avec de la pierre, il fait de la brume »32 ; j’ajouterais : du son, car en sa liquidité primordiale, tout tableau de Monet ne manque pas d’évoquer les mystères de la musique à travers les éléments comme l’air et l’eau33. À écouter ainsi naître la sonorité et le rythme dans le corps humain, dans sa chair, c’est-à-dire en éprouvant à la fois comme un corps sentant et senti, Bachelard a découvert le secret de l’unicité de l’être. « Il y a, dans le regard saisi par un tel peintre, une perspective des profondeurs »34 nous dit Bachelard, à propos de Simon Segal qui va chercher selon lui, « des fonds d’être »35 Ce peintre, qui a fait son portrait, a ainsi percé son secret : « le témoignage est là de ma vie difficile. Le peintre, j’en suis sûr, a dit en son langage, une de mes vérités »36, affirme Bachelard lui-même.
14Ayant à commenter l’œuvre de Mallarmé, Bachelard n’hésite pas à dire que celle-ci ne contient aucune idée mais se vit entièrement sur un mode musical, comme « un miracle du mouvement » que le lecteur doit se préparer à recevoir dynamiquement pour qu’il produise en lui tout son effet : « Un thème mallarméen n’est pas un mystère de l’idée ; c’est un miracle du mouvement. Il faut que le lecteur se prépare pour en recevoir la révélation active, pour y gagner une nouvelle expérience de la plus grande des mobilités vivantes : la mobilité imaginaire… »37.
15Ainsi, quand il écrit qu’« aucun art n’est plus directement, manifestement créateur que la peinture »38 c’est qu’il le conçoit dans sa double acception, inséparablement sonore et visuelle.
16Chaque page de ce livre montre que sa sensibilité à la peinture est d’origine musicale et l’on n’en finirait pas de citer les passages à l’appui de cette conception active du monde que sucite la musique.
17Chagall est par exemple pour Bachelard un peintre qui « voit tout de suite ce qu’il entend ». C’est pourquoi il « crée vite »39, ce qui est le « grand secret pour créer vivant », car « la vie n’attend pas, la vie ne réfléchit pas »40. Chagall, « le peintre de la vivacité »41 est devenu « vision créante »42, « peinture remuante » car son « œil aigu » entend tout43. Bachelard donne des exemples d’autres œuvres de Chagall, où « les couleurs deviennent des paroles »44. Ainsi, devant la planche du Paradis « il entend un concert de louanges »45 et la peinture lui apparaît alors comme « une source de paroles » ou plutôt « de poèmes »46.
18Il existe chez Bachelard une relation entre les arts qui relève d’un phénomène de transposition plus que d’une relation parallèle. Le philosophe voyait dans chacun d’eux une tendance à vouloir dépasser ses limites en échangeant ses fonctions à partir d’une base commune, de nature musicale : le rythme.
19En outre, pour Bachelard, cet effet dynamique est bienfaiteur quand il est vécu dialectiquement car il permet alors de libérer « l’inertie qui entrave les vibrations de notre être » : tel est le principal effet de l’art, vécu sur le mode d’une rythmanalyse47 capable de créer dans l’être un « effet de vie »48 au sens psychique et physiologique du terme.
Écouter le fer et tendre l’oreille aux échos de la forge de Chillida
20Cet effet, il l’a ressenti tout particulièrement au contact de l’œuvre d’Eduardo Chillida, un sculpteur devenu forgeron. Bachelard confie dans Le droit de rêver que depuis qu’il a placé devant lui trois photographies de ses œuvres, il se « réveille mieux le matin » et se sent « plus vif ». Le dynamisme qui se dégage de ses œuvres lui procure un bienfait pour le corps et l’esprit : « Quel conseil de forces ! De jeunes forces, dans l’œuvre de Chillida ! Quel appel à l’énergie matinale ! Depuis que j’ai épinglé trois photographies de Chillida, je me réveille mieux. Je suis tout de suite plus vif. Le travail me plaît. Et il m’arrive, vieux philosophe que je suis, de respirer comme un forgeron »49. En perdant la couleur, le forgeron ou le graveur doit trouver le mouvement, le mouvement premier, qu’il doit réaliser d’un seul trait, « sans hésitation ni retouche » (comme dans l’art pictural chinois). En cette spontanéité réside tout le destin de l’œuvre. Car le premier trait donne aux formes leur être dynamique et les transforme en forces : celles du paysage du graveur, les images du poème ou les sons de la musique ont toutes un même point commun : ils sont tous, « une action impatiente d’agir sur le monde »50. En voyant le sculpteur Eduardo Chillida tendre l’oreille aux échos de sa forge et mener ainsi ses « rêves de fer », il apprend de ce singulier forgeron, à voir et à écouter le fer.
21Dans un texte qui en reproduit les échos, Bachelard fait entendre les sons et les rythmes martelés de la forge : « il écoute le fer propager sa force à travers les espaces maîtrisés ; il entend le fer répéter sa puissance en des formes qui sont comme autant d’échos matérialisés. Les échos !… » : tel est le titre d’une œuvre de Chillida dont la forme suggère celle d’une « oreille externe »51. Jamais la question de Bachelard (comment voir sans entendre ?) ne paraît plus appropriée qu’à l’œuvre de ce sculpteur pour qui, dans le fracas de sa forge, les « rêves de fer » sont menés comme « des rêves de silence et de musicalité »52.
La gravure : un art de la mobilité
22La gravure est ainsi pour G. Bachelard un art proche de la musique en tant qu’« art de la mobilité »53 et puissance de vie, incitant à agir : « un paysage gravé est une leçon de puissance qui nous introduit dans le règne du mouvement et des forces… »54. Tout comme l’interprétation musicale « le paysage du graveur est un acte »55 accompli dans l’instant. Celui-ci nous apprend à voir chaque objet du monde comme « un noyau de forces ». C’est pourquoi la gravure ne se contemple pas. Elle se vit. Ou alors il s’agit d’une « contemplation activiste » qui « se réagit »56 et qui « réveille l’être actif en nous »57. La fonction de l’artiste lui apparaît dans toute sa vérité : qu’il soit poète, musicien, danseur, graveur ou peintre, il doit être un « artiste de la force ». Son travail consiste à transformer les formes en forces.
23Les gravures d’Albert Flocon réunissent à la fois toutes ces qualités, réalisant la synthèse de la substance et du mouvement. Bachelard lui a consacré trois articles58 dans Le droit de rêver où il observe : « Qu’il danse ou qu’il travaille, l’os de Flocon donne une leçon de vie »59. Autrement dit, son activité propre est une danse comme chez tout artiste engagé corps et âme dans sa création, qui sait que « rien n’est fixe pour celui qui, alternativement, pense et rêve »60. Il le sait de ce savoir corporel, pris aux « racines de ce vouloir ». Sur ce plan, « un artiste et un philosophe doivent pouvoir facilement s’entendre »61 conclut Bachelard qui ne comprend pas pourquoi Albert Flocon, à qui il a passé commande, le prend pour « un philosophe qui travaille » alors qu’il se vit lui-même comme « un philosophe qui rêve », appelé à rejeter pour cette raison même cette « métaphysique d’opticien »62 qui a envahi la philosophie et la psychologie, en privilégiant l’œil sur l’oreille. Une véritable « dynamique de l’œil » anime ce graveur « qui a lu de très près La Phénoménologie de la perception » nous dit-il et qui lit même les philosophes (« Flocon, étrange idée ! lit les philosophes »)63 se forgeant à tort une « conscience visuelle », alors que G. Bachelard préfère se ranger (comme Nietzsche) du côté des artistes sensibles à la « sonorité des êtres et des choses »64.
24Accordant la primauté au sonore sur le visuel, il s’est exercé à entendre par imagination comme le font les musiciens. Mais comment s’opère le passage entre le voir et « l’ultra-voir », entre l’entendre et « l’ultra-entendre » ?
« Ultra-voir » et « ultra-entendre »
25Les sens étaient pour G. Bachelard, des « appareils à rêver »65 que les poètes éveillent pour nous inviter sans cesse à dépasser le seuil normal de l’audition et accéder ainsi à une autre dimension :
« Les poètes nous font entrer dans le monde des bruits impossibles, d’une impossibilité telle qu’on peut bien les taxer de fantaisie sans intérêt. On sourit et on passe. Et cependant… toutes les fleurs parlent, chantent, même celles qu’on dessine. On ne peut dessiner une fleur, un oiseau en restant taciturne »66
26Cités en exergue du chapitre final de L’Air et les songes, les vers de Keats montrent que la véritable harmonie ne peut exister « qu’à un stade antérieur », dans « un anté-sujet »67, où le sujet et l’objet ne sont pas séparés :
« Les mélodies que l’on entend sont douces mais celles que l’on n’entend pas sont plus douces encore :
aussi, tendres pipeaux, jouez toujours,
Non pas à l’oreille sensuelle, mais plus séduisantes encore
Modulez pour l’esprit des chants silencieux »68
27Plus que les vibrations réelles du son, c’est le mouvement musical intérieur qui domine dans ce type de perception qui fait accéder le musicien à une autre dimension, décrite dans La Terre et les rêveries de la volonté où il induit que le son « imaginé » est plus savoureux que le son produit. Or, tel est le principe même de l’esthétique musicale chinoise, résumée dans ce passage du Zhuangzi69 :
« Qu’on ne puisse entendre en prêtant l’oreille, c’est ce qu’on désigne par « son réduit ». La « grande capacité harmonique » évoque une sonorité qu’on ne peut entendre. Dès lors qu’il y a production, il y a scission, il y a telle note et non telle autre, on ne commande plus à l’ensemble. C’est pourquoi, quand il y a production de son, ce n’est pas la « grande capacité harmonique »70.
28On désigne ici par le terme de « sonorité » ce son réduit qui contient « la Grande Capacité Harmonique » qu’on ne peut entendre réellement mais en imagination. En opposant « le son produit » en tant que phénomène physique, à sa « capacité » harmonique, la pensée chinoise de l’Antiquité rejoint la conception bachelardienne de l’imagination qui offre à l’homme une infinités de possibles ; cela explique qu’une sonorité virtuelle puisse être jugée plus belle dans son harmonie que le son réel.
29Une œuvre comme le Zhuangzi abonde en anecdotes et dialogues illustrant cette idée qu’il ne faut pas écouter avec son oreille mais avec son corps-cœur-esprit.
30Si l’écoute est si essentielle à l’être humain c’est qu’elle lui permet d’unifier son être, conçu comme une entité indivise (corps-cœur-esprit) :
« Unifie ton attention… N’écoute pas avec tes oreilles mais avec ton esprit. N’écoute pas avec ton esprit, mais avec ton énergie. Car l’oreille ne peut faire plus qu’écouter, l’esprit ne peut faire plus que reconnaître tandis que l’énergie est un vide entièrement disponible. La Voie s’assemble dans ce Vide »71
31Cette connaissance n’est pas affaire d’intelligence mais demande une présence à soi du corps propre que l’on acquiert dans la pratique d’un art, (et en particulier dans la musique).
32En témoigne cette histoire du poète Tao Yuanming :
« Tao Yuanming ne connaissait pas la musique mais il gardait chez lui un luth tout simple, sans cordes, et chaque fois que, grâce au vin, il éprouvait un sentiment de plénitude, il touchait du luth pour exprimer ce à quoi aspirait son cœur »72
33En jouant sur son luth des mélodies muettes, il pouvait jouir de la sonorité qui précède la production sans rompre la solidarité de l’harmonie éprouvée : « Je me contente de la saveur qui gît au cœur de ma cithare ; à quoi bon s’escrimer sur le son des cordes ? »73.
34Le son produit doit céder la place au silence qui lui est supérieur car il rétablit les résonances et correspondances sensorielles qui disparaissent avec le langage conventionnel. La musique permet de garder le tout lié ensemble avant qu’il ne se perde dans le discours. Sa vocation est de ne pas dissocier les choses et de façonner un silence vivant, empli de sonorités. Si dans la sagesse chinoise, « la musique sans son » est considérée comme supérieure c’est qu’elle témoigne d’une compréhension profonde du Vide et du silence sur lequel elle s’appuie, ce fond originaire de l’Entre qu’a tenté d’approcher K. Bin.
35Telle est l’attitude mentale requise dans la lecture selon G. Bachelard qui conduit à transcender les valeurs apparentes (« ultra-voir et ultra-entendre ») afin de découvrir une réalité autre, fondée sur une appréhension énergétique (et non pas esthétique) du monde ; car l’audition réelle « ne permet pas de rêver les images en profondeur », affirme-t-il. Il y faut un « principe de silence » tenu pour essentiel : « … nous voulons examiner si l’imagination ne nous appelle pas au-dessous du seuil, si le poète ultra-attentif… n’entend pas dans un au-delà du sensible, en faisant parler les couleurs et les formes »74.
36Jusque dans ses derniers textes, G. Bachelard affirmera que la fonction du poète est de « nous apprendre à écouter »75, non seulement la musique des mots mais celle qui bruit entre les êtres dans les silences et les timbres où se tissent les relations humaines.
37C’est ainsi que « dans la finesse des accords qu’un philosophe d’ultra-songes entend entre les êtres et les non-êtres »76 le poète entend la plainte de l’être qui souffre et brûle ; dans les cris de la flamme qui crie et geint, il entend sa douleur77. Il faudrait développer une oreille assez fine nous dit-il, pour percevoir « tous les échos de ces agitations intimes »78 que l’alchimiste, dans son écoute attentive de la matière, est capable d’entendre et que le musicien perçoit mieux que quiconque.
Entendre par l’imagination
38Lorsque Bachelard dit que le musicien entend par l’imagination, il faut comprendre que « le son produit » et « le son imaginé » forment un couple indissociable.
39La lecture d’une partition lui évoque des sons réels qui se mettent à vivre aussitôt lus. Son oreille « abstraite » lui permet d’entendre concrètement tout un monde sonore qui échappe au non-musicien pour qui les mêmes signes notés n’évoquent rien.
40Interrogée sur sa perception musicale, la compositrice Betsy Jolas fait part de son expérience de musicienne : « Je ne lis pas abstraitement la musique. Je l’entends… »79, ce qui fait écho aux propos de Bachelard selon lequel « Écrire c’est entendre » ; autrement dit, l’écrivain avoue ici qu’il imagine en sons au moins autant qu’en mots, tout comme le musicien.
41Une fois sortie de la tête, la musique peut se perdre et ne plus correspondre à l’idée initiale, observe Betsy Jolas qui affirme : « on n’entend pas de la même façon au concert qu’à la table »80. Cela explique que le compositeur soit souvent obligé de modifier son écriture en fonction de sa réalisation concrète.
42À la question de savoir si « la musique est dans la partition écrite ou dans l’exécution », elle répond : « la musique c’est d’abord une expérience vécue… transformée en musique » expliquant que « les sensations évoquées par la musique sont généralement plus riches que la chose réelle »81. De même, lorsque Bachelard parle de musique, il nous invite à développer notre oreille, à l’exercer en permanence pour que s’ouvre un autre monde, antérieur à la production réelle.
43Il est devenu courant au XXe siècle de noter sur les partitions des gestes ou des sonorités impossibles, afin de suggérer à l’interprète un au-delà du son qui lui permette de participer physiquement à l’élaboration des sonorités en fonction de sa propre corporéité et capacité.
44Par exemple, dans la dernière mesure de la partition de Cloches à travers les feuilles82, Debussy a noté un crescendo (c’est-à-dire le fait d’augmenter l’intensité à partir d’un pianissimo pour revenir ensuite à ce même pianissimo) impossible à réaliser au piano. Il fait ainsi appel à l’imagination de l’interprète qui doit, dans cet accord final, laisser le son épuiser toutes ses vibrations en anticipant déjà sur la pièce suivante et faire sentir à l’auditeur ce mouvement qui est dans le son. Ce geste permet surtout d’introduire un silence musical, empli des résonances de l’accord que nous sommes invités à écouter au-delà du son réel, dans toute la verticalité et le dynamisme dont il est porteur.
45De même, le signe de liaison, qui se prolonge au-delà de la dernière barre de mesure dans les partitions de Maurice Ravel (1875-1937), est une autre façon de signaler la « sonorité » du son réduit.
46Enfin, nous avons vu que devant l’extrême complication des partitions de K. Stockhausen l’interprète était invité à évaluer les valeurs de durées en se fiant à son propre temps vécu et n’était pas tenu d’exécuter la pièce en un temps imposé.
47Tout musicien sait que la vraie musique est celle qui naît entre deux sons et n’est pas un simple silence noté par une pause sur la partition. L’Entre qui « s’ouvre au cœur du son », tout en étant créé par le son, est désigné par le terme de ma (comme on l’a vu au chapitre III), une notion que le compositeur japonais Torû Takemitsu (1930-1996) a su tout particulièrement exploiter dans ses œuvres : « Un son est trop complexe pour être porteur de la logique de la musique, en lui-même il est complet. Cette complexité […] dévoile la durée métaphysique de l’inquantifiable ma tendu dynamiquement […]. Ce ma, silencieux et hors son, est reconnu comme ce qui est empli d’innombrables sonorités qui s’affrontent en un son complexe »83. L’essentiel, dans l’acte musical, est bien l’accord des ma (et non l’accord des sons).
48Cette insistance à considérer le silence comme une variation de la musique, est la marque de la musique du XXe siècle, dont G. Bachelard a su tirer parti dans sa création poétique, témoignant d’une perception hyperesthésique manifeste dans ses commentaires sur l’art rassemblés dans Le Droit de rêver. Celle-ci apparaît aussi en pleine lumière dans le chapitre final de L’air et les songes où il décrit l’expérience de l’écoute active du musicien en des termes prouvant qu’il possédait probablement une oreille absolue. Cette double perception lui permet d’entendre la musique d’abord dans la tête, sous une forme idéalisée, avant d’être réalisée concrètement à sa juste hauteur.
49Dans ce chapitre, Bachelard nous invite à goûter au plaisir de la musique silencieuse, un plaisir que connaît le musicien qui le pratique en permanence :
« Il est des musiciens qui composent sur la page blanche, dans l’immobilité et le silence. Les yeux grands ouverts, créant par le regard tendu dans le vide une sorte de silence visuel, un regard silencieux qui efface le monde pour faire taire ses bruits, ils écrivent la musique… Ils entendent alors ce qu’ils créent dans l’acte qui crée…. Ils entendent les points noirs, les croches, les blanches, tomber, frémir, glisser, rebondir sur la portée. Pour eux, la portée est une lyre abstraite, déjà sonore. Ils jouissent là, sur la page blanche, de la polyphonie consciente. Dans l’audition réelle, des voix peuvent se perdre, s’assourdir, s’étouffer ; la fusion peut se mal faire. Mais le créateur de musique écrit à dix oreilles et à une main. Une main pour unir… l’univers de l’harmonie ; dix oreilles… pour écouter, pour tendre, pour régler l’afflux des symphonies… »84
50Seul un musicien averti pouvait écrire cela et reconnaître la jouissance éprouvée par celui qui peut entendre la portée déjà comme une « lyre sonore ». Ainsi, lorsqu’il décrit le processus d’écriture poétique en le comparant à celui de l’écriture musicale, on peut penser que Bachelard sait de quoi il parle. Perceptible dans les mouvements qu’il met en œuvre chez le créateur et le lecteur, le son constitue le fond secret de l’image littéraire, sa condition même de venue à l’existence. Quand Bachelard dit que l’image littéraire « met les mots en mouvement », il veut dire qu’elle jaillit de ce fond silencieux sans lequel aucune poésie (et aucune musique) n’est possible : « Il faut comprendre que le principe du silence en poésie est une pensée cachée, une pensée secrète »85 nous dit-il. Se développe alors, pour qui sait entendre, une polyphonie perceptible dans cette « géologie du silence » d’où naît la véritable poésie, la poésie écrite, laquelle surpasse alors toute diction86 ; car « la pensée court tantôt au-dessus, tantôt au-dessous de la voix chantante ». De sorte qu’« au moins trois plans sont visibles dans ce polylogisme qui doivent trouver l’accord des mots, des symboles et des pensées ».
Le poète ou le musicien silenciaire
51On se souvient que la principale fonction de la poésie (et de la musique) est de nous faire tendre l’oreille vers ces voix multiples surgies d’une source intérieure pour nous mettre à l’écoute de notre subjectivité. À cette tâche se livrent aussi bien le poète que le musicien qui sont tous deux des « silenciaires », d’après G. Bachelard :
« Il est aussi des poètes silencieux, silenciaires, des poètes qui font taire d’abord un univers trop bruyant et tous les fracas de tonitruance. Ils entendent, eux aussi, ce qu’ils écrivent dans le temps même qu’ils écrivent. Qu’il est doux d’écrire ainsi en remuant toutes les profondeurs des pensées réfléchissantes !….À chaque verbe revient… le juste temps de son action… la poésie écrite, l’image littéraire nous laissent vivre lentement le temps des floraisons. Alors la poésie est vraiment le premier phénomène du silence. Elle laisse vivant, sous les images, le silence attentif… »87
52Dans ce mot de « silenciaire » s’exprime bien l’idée que le silence est la condition de toute musique comme de toute subjectivité advenue dans l’écoute, comme l’a expérimenté Debussy. Parmi ses « fils spirituels », le compositeur Maurice Ohana est l’un de ceux ayant utilisé ce mot pour qualifier l’une de ses œuvres (Silenciaire, (1969) dans laquelle il voulait donner une version musicale du silence au moyen de percussions et de cordes, pour orienter l’auditeur vers une « aperception immédiate de soi »88 comme il l’explique dans la notice du programme :
« Par ce titre de Silenciaire, l’auteur entend proposer une sorte de bréviaire du silence, matière dont notre temps a fait un phénomène précieux entre tous. De cette contemplation du silence, qu’il tend à considérer comme source de toute création et de toute vie, naît une découverte de l’espace intérieur, tant pour le créateur que pour l’auditeur »89.
53Pour ce compositeur, ce qui importe, après chaque écoute d’une œuvre musicale, celle de Satie (1866-1925) en particulier, « ce n’est pas tant d’en écouter une autre », mais bien plutôt « de se retrouver dans la solitude où nous conduit cette musique au milieu du silence merveilleux qu’elle fait se déployer autour d’elle-même »90. Autrement dit, l’écoute sentie, renvoie le sujet à lui-même et l’invite à faire silence. Ces propos font écho à ceux d’André Gide pour qui la musique de Chopin (1810-1849) doit se jouer « à mi-voix » comme le faisait ce compositeur dont la musique « propose, dispose, insinue, séduit, persuade » mais « n’affirme presque jamais »91.
54On peut retrouver dans l’œuvre poétique de Bachelard les traces de ce même silence musical qui ouvre un monde inconnu.
55Dans La poétique de l’espace, il se demande « à quelle hauteur de l’être doivent s’ouvrir les oreilles qui écoutent ? »92 Où trouver par ailleurs la racine du silence ? Celui-ci appartient-il au non-être ou à l’être ? Bachelard nous amène ainsi à concevoir une « ontologie de l’invisible et de l’inaudible » dans laquelle se manifeste la proximité de « la transcendance de ce qu’on voit avec la transcendance de ce qu’on entend », à condition toutefois de fermer les yeux. Alors on ne verra pas seulement mais on entendra aussi tout un monde : « Tout rêveur solitaire sait qu’il entend autrement quand il ferme les yeux »93 écrit Bachelard en suggérant que « les paupières ont des oreilles »94 ; et il explique ainsi que « L’abaissement des paupières ne produit pas seulement des hallucinations de la vue mais encore des hallucinations de l’ouïe »95. Il faut donc commencer par congédier la vue et l’ouïe si l’on veut avoir une chance d’accéder à la transcendance ; c’est ce que Wagner n’a pas oublié en concevant son théâtre où le spectateur est plongé dans l’obscurité afin de mieux éprouver l’efficacité de sa musique.
56Si c’est bien dans L’Entre que réside la véritable harmonie, appelée ici « sonorité » ou « Grande capacité harmonique », elle sert aussi de seuil à un approfondissement de soi qui en appelle à la relation entre la musique et la nuit, faite par les Romantiques.
La musique, art de la nuit
57Lorsqu’on s’oriente dans la nuit noire, l’oreille est si tendue qu’elle cherche à voir, affirme Bachelard, évoquant une sorte d’au-delà du noir qui implique l’ébauche d’un mouvement intérieur, d’un élan dynamique. Dans cette situation, ce ne sont pas seulement les oreilles qui cherchent à voir mais tout le corps, comme l’explique G. Bachelard dans son commentaire du livre de Thomas Hardy, Le retour au pays natal :
« Son attention était tendue à un degré tel que ses oreilles parurent presque remplir la fonction de voir aussi bien que d’entendre. On ne peut que constater cette extension du pouvoir des sens en un tel moment… il parvint à la suite d’un long entraînement à rendre son corps tellement sensible aux vibrations de l’air qu’il entendait par lui comme par des oreilles…. »96
58Dans l’obscurité totale, l’imagination est portée vers un au-delà du silence, de sorte que tout ce que l’on entend est rapporté à ce qu’on voit par imagination. Il ne faut donc pas s’étonner de devenir oracle : « quand le sujet se donne tout entier à ses images, il aborde le réel avec une volonté d’aruspice »97. « À force d’entendre et de voir au-delà des sons et des choses « l’oreille révèle des transcendances, tout un au-delà de ce qu’on peut toucher » d’après David-Herbert Lawrence pour qui « l’oreille peut entendre plus profondément que les yeux ne peuvent voir »98. Autrement dit, mieux on entend et moins on a besoin de voir.
59Si l’oreille est bien le sens de la nuit, la musique est « un art de la nuit et de la pénombre » d’après Nietzsche pour qui « l’oreille, n’a pu se développer aussi amplement qu’elle l’a fait que dans la nuit »99. Celle-ci nous renvoie à notre propre nuit intérieure, à « la nuit d’outre-noir,… la nuit d’avant la chair… »100 évoquée dans l’œuvre de Joë Bousquet qui était envoûté par « l’ombre intérieure de sa chair » et dont le corps « enveloppait une nuit active »101.
60Ainsi l’oreille, en tant que sens de la nuit, permet de s’entendre voir et écouter en vivant pleinement les correspondances baudelairiennes : car c’est seulement dans la « vaste » nuit que les couleurs et les sons se répondent ; la couleur étant « une espèce de nuit dissoute » comme la musique : « La musique opère ce miracle de toucher en nous le noyau le plus secret, le point d’enracinement de tous les souvenirs et d’en faire, pour un instant, le centre du monde féerique comparable à des semences ensorcelées, les sons prennent racine en nous avec une rapidité magique… en un clin d’œil nous percevons le murmure d’un bocage semé de fleurs merveilleuses »102. De même, le poète Novalis a fait le lien entre la musique et le retour : « nous nous sentons fondre de plaisir jusqu’au tréfonds de l’être, nous transformer, nous dissoudre en quelque chose pour quoi nous n’avons ni nom ni pensée »103. Comme la nuit, la musique pénètre et dissout : ce qui fait dire à Tieck que « l’amour pense en tendres sonorités », la parole étant impuissante à exprimer ce genre de pensées.
61Nous reviendrons sur cette question dans le chapitre VII où seront comparées des expériences d’écoute, celle du Théâtre des Sens, un théâtre de la nuit et celle du peintre Briesen, qui travaille aussi dans l’obscurité en écoutant de la musique pour éveiller son activité propre.
62Qu’il nous suffise de dire pour le moment que pour tous ces auteurs, la musique est ce qui fait faire retour vers les régions les plus primitives de l’être, celles, pré ou anté-humaines de la subjectivité, œuvrant dans une « nuit active ».
S’entendre écouter
63On a souvent comparé la perception des « correspondances » aux effets de la drogue qui développe paraît-il tout particulièrement le sens de l’ouïe. Ainsi, Théophile Gautier entendait « le bruit des couleurs »104 à travers les ondes qui lui parvenaient aux oreilles et à la vue. Mais Bachelard se tient en dehors de ces impressions de « haschisé », lorsqu’il prétend que le poète peut s’entendre fermer les yeux (« Je m’entendais fermer les yeux, les rouvrir »105, écrit Loys Masson, cité par Bachelard).
64Dans cette image est contenue toute « l’alchimie de la perception » bachelardienne, donnant lieu à une « vision » qui suppose l’existence d’une activité motrice involontaire, irréfléchie et néanmoins donatrice d’une subjectivité authentique.
65Le philosophe Maine de Biran (1766-1824) a développé dans son Mémoire de Berlin (1807)106 l’idée de cette « aperception immédiate », qu’avait déjà pressentie Descartes107, afin de démontrer que la vie précède la pensée : avant le « je pense », l’existence est donnée par cette aperception interne ou intuition immédiate. Pour ces philosophes, ce n’est pas la pensée qui nous permet de parvenir dans la vie, c’est la vie qui parvient elle-même en soi, celle-ci n’étant rien d’autre que ce mouvement originaire qui constitue la subjectivité »108.
66De même, chez Bachelard, la vision repose entièrement sur un « non-voir » ou « voir transcendantal » et renvoie à un apparaître de la vision pure que la phénoménologie a cherché à circonscrire et que les poètes et les artistes ont perçue de manière intuitive : « Écoute bien pourtant. Non pas mes paroles, mais le tumulte qui s’élève en toi lorsque tu écoutes », conseille René Daumal109.
67Nous avons affaire ici à une expérience universelle, réalisée par chacun de nous au quotidien dans toute activité qui nous absorbe tout entier et à laquelle nous ne pensons jamais parce qu’elle nous est trop proche. Si nous rapportons cette expérience à celle de l’apprentissage de la musique nous retrouvons les quatre phases décrites par G. Bachelard, (« … voir et entendre, ultra-voir et ultra-entendre, s’entendre voir et s’entendre écouter) qui aboutissent au jeu libre et inspiré de l’interprète enclin à oublier finalement son instrument pour faire corps avec lui. Mais nous ne savons pas encore pourquoi « s’entendre écouter » serait supérieur à s’entendre voir ?
Écouter l’éclosion de sa pensée
68Quand la conscience réussit à se faire le témoin de la musique perçue au-dedans, comme cela se passe chez l’interprète ou le compositeur, on atteint une qualité supérieure de présence à soi-même. Situé « à la racine du vouloir », à la recherche du départ des images on peut alors substituer la vision à la simple vue en écoutant les images se former, à l’exemple de Rimbaud, attentif à « l’éclosion de sa pensée » : « je la regarde, je l ‘ écoute »110 nous dit-il dans sa Lettre du voyant, retenue par Bachelard. Cette éclosion de la pensée est d’après lui « une naissance de la sonorité » ayant son origine « à l’origine même du langage », c’est-à-dire dans ce « son réduit » que nous avons repéré précédemment et que perçoit sans effort l’in-fans dont c’est la principale activité.
69Rappelons en effet que la musique est l’un des tous premiers modes relationnels du fœtus avec son environnement, un moyen pour lui de l’aider à construire ses premiers repères (régularités vocales, rythmiques, notamment) en créant une relation affective avec son entourage. Plus tard, la musique lui permettra d’habiter affectivement le temps.
70Dans la poésie vocalique de « L’enfant Rimbaud », le poète se rappelle ce bonheur d’agir et de parler, si proche du chant, qu’il a éprouvé comme une « paix vocale » :
« … Rimbaud cherche la paix vocale en jouissant longuement des voyelles… et c’est ainsi que la poésie devient un vrai bonheur de la voix plus encore qu’un bonheur de l’oreille. Rimbaud est alors tout entier dans l’enfance d’une langue retrouvée par la joie de parler… c’est à la source même de la voix, à la naissance des voyelles qu’il faut placer le bonheur de parler, en ajoutant bientôt aux 5 voyelles les diphtongues qui comme ou, on, in, ont une marque de simplicité… le goût de Rimbaud pour les consonnes qui n’oppriment pas les voyelles… D’où un art très délicat de varier la voyelle »111
71En entrant dans le langage, l’enfant perd le plaisir de cette musicalité naturelle qui lui permettait de comprendre, dans la moindre nuance les inflexions vocales de son entourage, tout le contenu affectif de la parole humaine. Devenue exclusivement utilitaire, à mesure qu’il grandit et entre dans le langage, son écoute privilégie la compréhension sémantique. Le monde est devenu pour lui soumis aux injonctions de la parole et du sens, et non plus nourri de sons qui l’enchantaient à l’origine. À ce traumatisme remédie la musique qui, dans sa pure dimension sonore, nous fait régresser à ce stade élémentaire des rythmes et des mouvements silencieux du corps et continue d’exercer, au-delà de l’infans, sa fonction consolatrice.
72Nous pensons que c’est à l’intérieur de ces résonances affectives qu’il faut situer la conception musicale de G. Bachelard dont l’écriture possède des affinités certaines avec la « rythmique d’incantation »112 qui domine (de loin) les rythmes sonores » perçus chez « l’enfant Rimbaud »113.
73Procédant à une valorisation extrême de l’ouïe, Bachelard nous invite ainsi à écouter plutôt qu’à « voir »,… mais à écouter quoi ? Les sources du silence, d’où naîtront, « le mouvement et le bruit »114 ou bien les blessures que nous n’avons pas toujours le courage d’affronter…. ?
74Issues du fond de la solitude et du silence, elles en appellent à une verticalité de l’être qui peut faire émerger parfois les pires peines car c’est « dans les ténèbres, (qu’) il voit mieux sa propre lumière » :
« Pour les poètes qui réalisent ainsi l’instant avec aisance, le poème ne se déroule pas, il se noue, il se tisse de nœuds à nœuds. En équilibre sur minuit, sans rien attendre du souffle des heures, le poète s’allège de toute vie inutile ; il éprouve l’ambivalence de l’être et du non-être. Dans les ténèbres, il voit mieux sa propre lumière.… le temps vertical s’élève… Minuit ne sonne plus jamais horizontalement. Il sonne dans l’âme en descendant, en descendant… Rares st les nuits où j’ai le courage d’aller au fond, jusqu’au 12e coup, jusqu’à la 12e blessure, jusqu’au 12e souvenir… C’est sur le temps vertical (en descendant) que s’étagent les pires peines… bref tout ce qui dévalorise à la fois le passé et l’avenir se trouve dans l’instant poétique »115.
75S’impose ici la nécessité pour l’être humain, sans cesse exposé aux blessures et aux souffrances, de vivre dans le présent car seul l’instant poétique peut laisser s’exprimer le « soi charnel et pulsatile »116. Celui-ci est issu d’un non-savoir, qui, loin d’être ignorance, est selon Bachelard « un acte difficile de dépassement de la connaissance »117. C’est à ce prix seulement, affirme le poète, que nous gagnons notre liberté, dans une « conscience créante » ou une « rêverie œuvrante »118. Celle-ci est activée par les sens dont la puissance augmente au contact de la nature « qui fait de sa création un exercice de liberté »119 et nous offre, à chaque instant le spectacle d’un pur commencement comme celui de l’éclosion d’une fleur :
« La vie, le toujours présent ne connaît ni finitude ni cristallisation achevée, écrit David-Herbert Lawrence. La rose parfaite n’est qu’une flamme mouvante qui monte et se retire… un nénuphar se soulève hors du flot, jette un regard à la ronde, émet une faible lueur, puis se meurt. Nous avons vu l’incarnation… nous avons vu l’invisible »120
76On comprend mieux, à la lumière de ce texte, pourquoi « en poésie le non-savoir est une condition première »121 :
« Laissez-moi sentir… cette splendeur céleste du fugitif. Ne me donnez rien de fixé, de figé de statique. Recherchez la vie qui jamais ne pause, jamais ne cesse… sans début et sans fin, comme un vent à jamais en errance. »122.
77Se mettre à l’écoute de cet « être palpitant et charnel », peut conduire chacun à la découverte de sa personnalité profonde. Mais quels sont les enjeux d’une poétique qui sollicite l’oreille avant la vue (contrairement à toute la tradition philosophique occidentale) ? Si l’on se met à « entendre avec notre imagination… les choses exister »123, comme le conseille Bachelard, cela signifie que la vision n’a plus besoin d’objet pour se déployer et qu’elle peut se suffire à elle-même. C’est ici la sensation même de voir, par un mode de perception interne qui est évoquée, avant même toute pensée, et qui s’exprime dans la formule cartésienne :
78« videre videor » (il me semble que je vois) ou encore « sentimus nos videre » (nous nous sentons voir »)124 que le philosophe a laissée de côté, préférant « penser la pensée » que la vie.
79Au terme de son existence, Descartes donnait cependant ce conseil « ne s’occuper qu’à imiter ceux qui, en regardant la verdeur d’un bois, les couleurs d’une fleur, le vol d’un oiseau, et telles choses qui ne requièrent aucune attention, se persuadent qu’ils ne pensent à rien »125. Ce qui n’est pas perdre son temps mais le bien employer ».126
Notes de bas de page
1 Bachelard, op. cit. p. 167.
2 Cité par Bachelard dans DR, p. 155.
3 PE, p. 166.
4 « Nous butinons éperdument le miel du visible pour l’accumuler dans la grande ruche d’or de l’invisible » Rainer Maria Rilke, Lettre à W. Von Hulewicz, 1922 in Œuvres 2, p. 590.
5 O. W. de L. Milosz, in Les Lettres, 2e année, n08, cité par Bachelard dans PE, p. 165.
6 AS, p. 274.
7 FES, p. 154.
8 PE, p. 167.
9 PE, p. 154.
10 Op. cit., p. 155.
11 Ibid.
12 Ibid.
13 AS, p. 61.
14 PE, p. 161.
15 AS, p. 126.
16 AS, p. 127.
17 Bachelard, PE, p. 163.
18 Ibid.
19 Noël Bureau, Les mains tendues, cité par G. Bachelard, dans PE, p. 163.
20 René-Guy Cadou, cité par Bachelard, écrit : « On tend gazouiller les fleurs du paravent… » in ibid.
21 Claude Vigée, cité par Bachelard, in ibid.
22 PE, p. 166.
23 PE, p. 166.
24 ER, p. 254. G. Bachelard évoque ici les gouttes d’eau tombant de la feuillée après l’orage : « À les voir on les entend ».
25 L’ouïe étant couplée avec le sens de l’équilibre et de la coordination des mouvements dans le corps humain, cela explique que l’on puisse dresser l’oreille en redressant le corps in J-F Billeter, L’art chinois de l’écriture, Genève, Skira, 2005, p. 176.
26 PE, p. 163.
27 Ibid.
28 DR, p. 41.
29 Ibid.
30 Ibid.
31 DR, p. 41.
32 Ibid.
33 « Que de peintres manquant de sensibilité requise pour les mystères de l’eau, durcissent la nappe liquide et font, comme dit Baudelaire, « nager les canards dans la pierre », op. cit. p. 42.
34 DR, p. 42.
35 Ibid.
36 Ibid.
37 DR, p. 157.
38 « Le peintre sollicité par les éléments », in DR, p. 38.
39 Bachelard, in DR, p. 6.
40 Ibid.
41 Ibid.
42 Bachelard, à propos de Chagall, « Les origines de la lumière », in DR, p. 33.
43 « L’œil aigu de Chagall a tout entendu… » in DR p. 34.
44 « Introduction à la Bible de Chagall », in DR, p. 16.
45 Ibid.
46 Ibid.
47 « … on ne peut ressentir les bienfaits des forces poétiques qu’en se soumettant d’abord à une rythmanalyse, au sens où Pinheiro de Santos a utilisé ce mot pour désigner une psychanalyse de tous les facteurs d’inertie qui entravent les vibrations de notre être. C’est dans la zone où se rencontre le mouvement contraire qu’il est efficace » in DD. p. 161.
48 Selon l’expression de M-M Münch in op. cit.
49 « Le cosmos du fer », in DR, p. 59.
50 Ibid.
51 Op. cit. p. 55.
52 Ibid.
53 DR, p. 121.
54 Op. cit. p. 93.
55 Op. cit. p. 77.
56 « Matière et main », in DR, p. 68.
57 Ibid.
58 « Matière et main », « Introduction à la dynamique du paysage » et « Albert Flocon, châteaux en Espagne ».
59 DR, p. 93.
60 « Châteaux en Espagne », DR. p. 121.
61 « Introduction à la dynamique du paysage », DR p. 70.
62 Ibid.
63 Bachelard, « Châteaux en Espagne », op. cit. p. 110. Le passage est le suivant : « Flocon, étrange idée ! lit les philosophes. Il est avide de cette métaphysique d’opticien qui envahit la psychologie. Il a lu de très près La Phénoménologie de la perception. J’imagine qu’il possède maintenant la conscience visuelle multiple d’une Espagne à facettes. Pour lui, la région des enchantements c’est l’œil même… ». Un peu plus loin, il écrit : « Mais Flocon me classe parmi les philosophes qui travaillent et non pas au rang des homme qui s’en vont rêvant… Et comme s’il voulait, cet opiniâtre, que je travaille davantage et que je rêve moins, il a bâti une cellule de géométrie ! » op. cit. p. 111.
64 PR, p. 117.
65 Ibid.
66 PE, p. 163.
67 « L’enquête psychanalytique descend-elle jusqu’à l’anté-sujet, interroge Bachelard ? » dans PR, p. 127.
68 Keats, Ode à l’urne grecque, cité par Bachelard dans AS, p. 281.
69 Ce qu’on appelle le Zhuangzi ou Tchouang-Tseu est l’œuvre d’un maître connu sous le nom de « Zhuang Zhou ou « maître Zhuang » ayant vécu au IVe siècle avant notre ère et à propos duquel on ne possède quasiment aucune information. Son œuvre (divisée en 33 chapitres) est une référence dans la sagesse chinoise.
70 Laozi, commenté par Wang Bi, au IIIe siècle. Cité par François Jullien, dans Éloge de la fadeur. À partir de la pensée et de l’esthétique de la Chine, Paris, éditions Philippe Picquier, 1991, p. 68. C’est moi qui souligne.
71 Cité par J-F Billeter, Leçons sur le Tchouang-Tseu, éditions Attilia, 2003, p. 96.
72 Biographie de Tao Yuanming, in François Jullien, Éloge de la fadeur op. cit. p. 72.
73 Ibid.
74 PE, p. 161.
75 FC, 41.
76 FC, p. 40.
77 « La flamme bruit, la flamme geint. La flamme est un être qui souffre. De sombres murmures sortent de cette géhenne. Toute petite douleur est le signe de la douleur du monde », FC, 41.
78 FC, p. 44.
79 B. Jolas, in « Entretien avec B. Jolas », propos recueillis par Laetitia Petit et Jean-Marie Brohm, in La Prétentaine, no 18/19, Université Paul Valéry, Montpellier III, Printemps 2005, p. 19.
80 Ibid.
81 Par exemple, le stile concitato créé par le compositeur Claudio Monteverdi dans le Combattimento di Tancredi e Clorinda (1638), est la transformation en musique d’une sensation physique et psychique, la colère. Celle-ci lui a inspiré un mode de jeu instrumental spécifique qui est à l’origine du tremolo de cordes. En ce sens, cette « expérience vécue transformée en musique » est beaucoup plus riche que la simple sensation (réelle) de la colère. De même, dans Improvisations sur Mallarmé, la musique de Pierre Boulez donne immédiatement à l’auditeur la sensation de transparence, beaucoup plus que ne le fait le simple mot « vitres », explique la compositrice.
82 Cette pièce pour piano a déjà été évoquée dans le chapitre II.
83 Torû Takemitsu Le son incommensurable au silence, Schinchösha, p. 196. cité par B. Kimura, L’Entre. Aida. Une approche phénoménologique de la schizophrénie, Grenoble, Millon, coll. Krisis, 2000 op. cit. p. 57.
84 AS, p. 281-282.
85 Ibid.
86 « C’est surtout dans sa polyphonie que la poésie écrite surpasse toute diction » in op. cit. p. 287.
87 AS, p. 281-282.
88 Selon l’expression de Maine de Biran (1766-1824) qui a développé ce concept dans son Mémoire de Berlin intitulé De l’aperception immédiate. Mémoire de Berlin, 1807. Édition établie par Anne Devarieux, Paris, Librairie Générale Française, 2005.
89 En dehors de cette expérience spirituelle, inhérente au silence musical, M. Ohana a voulu montrer que le silence absolu n’existe pas pour le musicien, porté toujours à en entendre, au-delà du son, les innombrables sonorités de la matière. Dans sa préface de l’œuvre, le compositeur écrit : « Le Silenciaire tente encore l’expérience de suggérer, à l’instar de certains phénomènes de la nature, l’absence de bruit à travers un enchevêtrement de sons qui peut aller jusqu’au vacarme. En d’autres moments, l’œuvre ponctue de jaillissements sonores des plages de silence tissé de veinures à peine perceptibles à l’oreille. Seule l’impression totale que laissera cet ouvrage, une fois éteinte la résonance du dernier verset, dira à chacun s’il a pu isoler et cerner en cours de route un peu de la précieuse absence qui est la quête du Silenciaire ». Conçu pour un ensemble d’instruments dont le jeu est aussi éloigné que possible, les cordes et les percussions, Le Silenciaire reste un défi pour le compositeur.
90 « La musique de Satie, avec des éléments dont le raffinement sensible jette paradoxalement un pont avec une sorte d’état primitif, est une musique sui insinue, suggère, interroge. Le reste, c’est à l’auditeur de le mener aussi loin qu’il le pourra en son univers de résonances intérieures. Si bien que ce qui importe après chaque œuvre de Satie ce n’est pas tant d’en écouter une autre, contrastée ou complémentaire, selon la technique d’un programme composé, mais bien plutôt de se retrouver dans la solitude où nous conduit cette musique au milieu du silence merveilleux qu’elle fait se déployer autour d’elle-même » Ohana, « Erik Satie » (décembre 1966) in La Revue Musicale no s 391-392-393, 1986, p. 178.
91 A. Gide évoque à ce sujet « les chemins non tracés d’avance et où le paysage ne se découvre que peu à peu. C’est aussi pourquoi, la musique de Chopin, presque toujours, j’aime qu’elle nous soit dite à mi-voix, presque à voix basse, sans aucun éclat (j’en excepte évidemment certains morceaux hardis, dont la plupart des scherzos et des polonaises), sans cette assurance insupportable du virtuose qui la dépouillerait de son plus précieux attrait. C’est ainsi que jouait Chopin lui-même, nous est-il raconté par ceux qui l’avaient encore entendus… Chopin propose, dispose, insinue, séduit, persuade : il n’affirme presque jamais », A. Gide, Notes sur Chopin, Paris, L’Arche, 1949, p. 20.
92 PE, p. 165.
93 PE, p. 166.
94 Pascal Quignard, cité par B. Jolas dans art. cité, p. 31.
95 PE, p. 166.
96 TRR, p. 156.
97 Op. cit. p. 87.
98 "The ears can hear deeper than eyes can see" cité par G. Bachelard dans TRR, p. 194.
99 cf. l’aphorisme « Nuit et musique au paragr. 250 de Aurore, Pensées sur les préjugés moraux, Paris, Gallimard, 1995. « L’oreille, organe de la peur, n’a pu se développer aussi amplement qu’elle l’a fait que dans la nuit ou la pénombre des forêts et des cavernes obscures, selon le mode de vie de l’âge de la peur, c’est-à-dire du plus long des âges humains qu’il y ait jamais eu : à la lumière, l’oreille est moins nécessaire. D’où le caractère de la musique, art de la nuit et de la pénombre ».
100 TRR, p. 175.
101 TRR, p. 176.
102 L. Tieck, Phantasien über die Kunst cité par A. Béguin, L’âme romantique et le rêve : essai sur le Romantisme allemand et la poésie française, Paris, José Corti, 1956, II, p. 137.
103 Cité par A. Béguin, op. cit., II, p. 137.
104 Th. Gautier, cité par Bachelard, op. cit. p. 164.
105 Icare ou le voyageur, éd. Seghers, p. 15, cité par Bachelard, dans PE, p. 166.
106 Maine de Biran, De l’aperception immédiate. Mémoire de Berlin, 1807. Édition établie par Anne Devarieux, Paris, Librairie Générale Française, 2005.
107 « Par le nom de pensée j’entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l’apercevons immédiatement par nous-mêmes » (Descartes, Principes, I, 9 ; FA III, p. 95, AT, IX, II, p. 28) cité par M. Henry in La généalogie de la psychanalyse, Epiméthée, PUF, 1985, p. 31.
108 M. Henry, Philosophie et phénoménologie du corps, Paris, coll. Epiméthée, PUF, 1965. Phénoménologie de la vie Tome II De la subjectivité, coll. Epiméthée, PUF, 2003. Tome III « De l’art et du politique », coll. Epimethée, 2004. C’est sur cette base que M. Henry a proposé une phénoménologie de la vie et du corps.
109 Poésie noire, poésie blanche, Gallimard, p. 42, cité par G. Bachelard dans La Poétique de l‘espace, p. 166.
110 Cité par G. Bachelard dans « Rimbaud l’enfant », in DR p. 152. Dans la même lettre il écrit : « je lance un coup d’archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d’un bond sur la scène ».
111 Ibid.
112 G. Bachelard, in op. cit. p. 154.
113 À propos de cette « rythmique d’incantation » voir le chapitre I.
114 À propos d’une œuvre de Henri Bosco, La Maison Malicroix, il montre « avec quel art l’écrivain touche d’abord l’absolu du silence, l’immensité des espaces du silence ! » in PE, p. 55.
115 II. p. 228-29.
116 Expression inventée par le poète David Herbert Lawrence, souvent cité par Bachelard, dans « La poésie de l’instant présent » in Les deux principes, Confidences, L’Herne, 1997. Textes extraits du cahier de l’Herne no 56 consacré à D. H Lawrence sous la direction de Ginette Katz-Roy et Myriam Librach, p. 51.
117 PE, p. 15.
118 PR, p. 156-57 : « Nous voulons étudier, non pas la rêverie qui endort, mais la rêverie oeuvrante… tout notre effort en revivant la rêverie du poète est d’éprouver le caractère œuvrant. ».
119 Ibid.
120 D-H Lawrence in ibid.
121 PE, p. 15.
122 D-H Lawrence, in op. cit ; p. 53-54.
123 « J’entends… les choses exister en moi », Claudel, L’annonce faite à Marie, cité par Bachelard dans PE, p. 166.
124 Le philosophe M. Henry a consacré un chapitre du tome II de La phénéoménologie de la vie, Epiméthée, PUF, 2003, p. 60 et suivantes, à ce thème.
125 Lettre à Elisabeth, à Egmond, mai ou juin 1645, in Œuvres complètes, éd. André Bridoux, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1953, p. 946.
126 Discours de la Méthode, VI, cité par François Jullien, dans Nourrir sa vie. Dans cette œuvre, le philosophe a tenté de relier « la rationalité à l’expérimentation » et il conclut ce livre sur « la possibilité ouverte… de s’exempter de l’affaiblissement et de la vieillesse » par la contemplation ; mais il y renonça et se tourna vers la morale pour accepter la mort.
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