III. Le postulat de non-analyse
p. 79-106
Texte intégral
« Pour nous qui faisons de la physique de non-analyse, … nous savons bien que la notion d’espace au repos est… inconcevable… »1.
« En poésie, le non-savoir est une condition première »2
« La Musique est l’idée immédiate de cette vie »3
(Nietzsche)
« C’est dans la chair, dans les organes
que prennent naissance les images matérielles premières »4
1Après notre enquête sur les goûts musicaux de G. Bachelard, nous avons pu établir ce qu’il entendait par « musique » : non seulement les sons mais les silences qui les relient pour former ensemble la dynamique du flux musical. Cela lui a permis d’envisager la poésie comme une musique prenant appui sur cette relation qui non seulement les unit mais agit sur l’auditeur, amené ainsi à pré-entendre en imagination.
2Nous avons montré que sa conception de la musique était en phase avec les recherches de certains de ses contemporains musiciens, et en particulier avec celles de Debussy qui a refusé de l’enfermer dans des formes pré – existantes et de l’étudier comme une matière au repos. Par leur façon de considérer le son comme un être vivant, tous deux ont ouvert de nouvelles voies à la musique et à la poésie, perçues essentiellement en leur qualité dynamique. En affirmant la primauté du timbre et du rythme sur tous les autres paramètres et l’impossibilité d’en isoler un seul sans en appauvrir considérablement le sens, ils en ont déduit que le rythme ou le timbre n’existe pas en soi sans le corps organique du son et de l’espace sonore dans lesquels leur vie se déploie.
3Le même problème se pose au micro-physicien qui travaille avec la matière vivante. En perpétuel renouvellement, celle-ci ne se laisse pas aisément saisir et résiste à l’analyse. Conscient de cette aporie, que la physique quantique n’a fait que souligner à l’époque, Bachelard a posé les bases d’une nouvelle analyse scientifique qui tient compte de ce pur mouvement de la vie comme Debussy le fit dans le domaine musical, en créant une musique inanalysable selon les critères habituels. Dès 1901, dans La Revue Blanche où il commence la rédaction de ses articles, il prend soin d’avertir ses lecteurs : « Étant appelé à parler de musique dans cette revue, que l’on m’accorde de m’expliquer en quelques mots sur la façon dont j’entends le faire. On trouvera donc à cette place des impressions sincères et loyalement ressenties, beaucoup plus que de la critique »5. Confronté aux difficultés de l’analyse, il a proposé une autre méthode d’approche, plus artistique, dans l’esprit de celle que préconisait Baudelaire (recommandant d’écrire un poème pour rendre compte de la critique d’un tableau), plutôt que de tuer la vie par des outils qui en figent les mouvements :
« J’essaierai de voir, à travers les œuvres, les mouvements multiples qui les ont fait naître et ce qu’elles contiennent de vie intérieure ; n’est-ce pas autrement intéressant que le jeu qui consiste à les démonter comme de curieuses montres »6.
4Loin de révéler des mouvements, l’analyse traditionnelle a plutôt tendance à suivre le fameux postulat d’Aristote selon lequel : « C’est par le repos et l’arrêt que la raison sait et pense »7. Cette méthode est celle de l’esprit scientifique, enclin à analyser la matière comme une substance solide au repos afin de mieux la maîtriser et l’enfermer dans des schémas prévus d’avance. C’est encore sur ces bases que repose aujourd’hui l’analyse musicale qui n’a pas pour but la création mais la description et l’objectivation. Or, la musique (celle de Debussy en particulier) est, de ce point de vue, inanalysable puisqu’elle repose sur une réalité mouvante appelée à se renouveler sans cesse et à renaître de ses cendres sous l’action d’un double mouvement, de dissolution et de coagulation que décrit Jean Barraqué dans son livre sur le compositeur : « la musique y devient un monde mystérieux et secret qui s’invente en lui-même et se détruit à mesure »8 ; si bien que pour analyser une œuvre comme La Mer, « il faut abandonner les méthodes habituelles de l’analyse classique ». Avec La Mer, nous dit-il, Debussy a « réinventé la technique musicale, non point dans la technique syntaxique, qui reste somme toute traditionnelle, mais dans la conception même de l’organisation dialectique du devenir sonore »9.
5Mais comment écrire ce devenir avec des mots ? Il ne suffit pas de dire qu’à la place du traditionnel développement musical, Debussy a substitué un « jaillissement ininterrompu » qui permet à l’œuvre de « se propulser par elle-même »10. Ceci est la remarque de spécialiste dont le langage est inaccessible au néophyte.
6En suivant cela les leçons de Bachelard qui a détecté l’existence d’un « géotropisme » de l’imagination, on pourra écouter cette musique en essayant d’en éprouver la poussée. Cela implique de l’analyser, non pas en termes d’images visuelles, mais en termes d’images cinétiques11 car, autant « l’analyse des mouvements est révélatrice », autant « l’analyse des idées est trompeuse »12 nous dit Bachelard.
7Par expérience, Debussy savait lui aussi qu’en musique « le mouvement conditionne la forme ». Or, telle est, mot pour mot, la thèse de G. Bachelard formulée dans L’expérience de l’espace dans la physique contemporaine : « il ne peut y avoir de forme fixe. Le mouvement conditionne la forme »13. Autrement dit, nous n’avons pas affaire à des formes mais à des forces : tel est le point commun à ces deux univers.
Un espace en mouvement
8Dans l’univers microphysique, il existe un niveau de réalité en tout point comparable à celui de l’expérience artistique et musicale, où « la notion de point matériel au repos absolu est inconcevable… »14. Bachelard explique à ce sujet que « l’organe ne peut exister sans fonctionner. Il s ‘ agit d’une mobilité première, antécédente à la mobilité thermique »15. Non seulement « le concept de point matériel… est un concept imaginaire » mais le sujet de l’expérience agit sur ses résultats. Ainsi, « il y aurait une action du moyen détecteur sur l’objet et la place de la facette, comme son orientation, seraient immédiatement frappées d’incertitude »16. De sorte que continuer, comme on le fait habituellement, à « analyser l’espace au repos »17 et prétendre que la particule est immobile en un point, c’est nier l’existence d’un espace dépendant des relations dynamiques révélé par la physique quantique au début du XXe siècle. Celle-ci a démontré l’impossibilité pour l’homme de localiser une particule, qui se présente tantôt comme une onde tantôt comme un corpuscule. En cette incertitude réside toute sa qualité poétique (et, j’ajouterai : musicale) d’après Bachelard qui s’exclame : « Que nous ne puissions pas localiser exactement le corpuscule, quelle chance ! Échappant au point, la localisation se développe en une loi de voisinage sans singularité »18. Et il nous met en garde de ne pas confondre « les mœurs des corpuscules en cage avec les mœurs des corpuscules en liberté… »19 si l’on veut approcher cette réalité impalpable du monde microphysique, que l’on a trop souvent cherché à « mettre en cage » en oubliant sa réalité vitale, de nature instable et fuyante comme la musique.
9G. Bachelard reconnaît dans L’intuition de l’instant que « l’intelligence, dans son inaptitude à suivre le vital, immobilise le temps, dans un présent toujours factice »20. Or, nous dit le philosophe, « la pensée ne doit pas dicter ses règles à la vie »21 car « la vie n’attend pas, la vie ne réfléchit pas… »22. Ainsi, « la pensée, toute entière à la contemplation de l’être statique »23 ne doit pas ignorer la réalité du devenir, perceptible notamment dans le fait que le temps, conçu comme un jaillissement d’instants, « est à la source même de l’élan vital »24.
10Tout cela le conduit à introduire le postulat de non-analyse, qui fonctionne en musique comme en micro-physique : « Pour nous qui faisons de la physique de non-analyse, explique-t-il, dans ce livre, en appliquant systématiquement notre postulat fondamental, nous savons bien que la notion d’espace au repos est… inconcevable… »25. Il va engager les physiciens à découvrir d’autres méthodes pour construire le savoir, lié désormais à la conception d’un espace se révélant comme indéterminé et inachevé, toujours « à créer », comme l’espace poétique ou musical.
11Pour cela, il propose de « substituer à la phénoménologie uniquement descriptive »26 une phénoménologie « qui doit reconstituer de toutes pièces ses phénomènes »27 par une « description active, en opposition à la description passive conçue par le sens commun »28. Alors seulement pourra se développer une autre physique, non-cartésienne : « Pour fonder la science microphysique, nous devons ériger un postulat : l’espace réel n’est pas susceptible d’une analyse absolue, purement géométrique. Nous appellerons postulat de non-analyse le postulat fondamental de cette physique non-cartésienne… ». On se prend à rêver en imaginant ce qu’un tel postulat changerait à l’analyse musicale dans une musicologie qui tiendrait enfin compte de cette réalité mouvante et proprement insaisissable qu’est la musique au lieu de prétendre l’analyser comme « un espace au repos » fixé sur le papier.
12Mais alors comment justifier l’existence d’une analyse et d’une esthétique de la musique ? Certains musiciens, désireux comme Debussy de restituer avant tout « les mouvements qui les ont fait naître », ont préféré se livrer à une réécriture musicale des œuvres plutôt qu’à des commentaires. Il leur est apparu que l’on ne pouvait analyser une partition qu’en en faisant un compte-rendu sonore (et non verbal). En ce cas, l’analyse aboutit à une re-création. Ce rapport créatif entre analyse et musique (ou poésie) était le seul valable pour Baudelaire qui considérait son métier de critique comme le résultat d’une expérience artistique. C’est pourquoi selon lui, « le meilleur compte rendu d’un tableau, pourra être un sonnet ou une élégie. Mais ce genre de critique est destiné aux recueils de poésie et aux lecteurs poétiques »29. Rendre le lecteur poétique, et créatif, tel était l’objectif de G. Bachelard comme on l’a vu précédemment. Son lecteur-auditeur est un interprète, dont la participation est indispensable à la réalisation de l’œuvre, inachevée sans sa présence essentielle. À la lecture de Bachelard, l’on doit s’intégrer dans une œuvre conçue davantage comme un organisme vivant que comme un (bel) objet à contempler (à distance). De même, en musique, plus qu’en tout autre art, la forme n’est jamais donnée d’avance et elle a besoin non seulement de l’interprète mais de l’auditeur pour parvenir à son accomplissement.
13Dans cette perspective, seule une « phénoménologie » de la musique, capable de saisir les phénomènes à l’instant même où ils apparaissent, peut en éclairer les mystères, comme l’a pressenti le chef d’orchestre roumain Sergiu Celibidache (1912-2008) dont l’approche singulière lui est venue au contact de la musique de Debussy.
14Il nous a semblé intéressant de rappeler ses conceptions afin de mesurer la portée d’une « phénoménologie de l’écoute » bachelardienne avec laquelle cet interprète est particulièrement en résonance.
Pour une phénoménologie de la musique
15Considérant que « le repos… n’est pas une qualité qui apparaît dans la musique »30, Celibidache a toujours refusé de la fixer, tant par le disque que par les analyses musicologiques et les a priori interprétatifs, afin de toujours préserver en elle le pur mouvement de la vie. Selon lui, le flux musical est toujours actif : « agissant à chaque instant sans être nulle part, il agit absolument sur tout ». En son immédiateté et son devenir, la musique ne peut se concevoir autrement que comme praxis (que ce soit dans l’écoute ou dans l’interprétation ou la composition). Exprimant le mouvement même du son, celle-ci consiste à « transcender les valeurs des parties en saisissant la valeur du tout »31. C’est précisément dans la perception de cette « liaison organique » entre les parties et le tout que réside l’expérience musicale, celle qu’il cherche à atteindre en concert en essayant de capter son rythme interne.
16Cette conception de la musique comme un tout organique est proche de celle de Bachelard et de sa vision cosmique du monde. Elle est surtout le reflet de l’être humain qui s’y projette et duquel dépend entièrement l’interprétation musicale. Or, l’analyse musicale qui se veut avant tout objective ne prend jamais en compte cette réalité humaine jugée trop subjective et indigne de l’exigence scientifique.
17Comprise comme « la représentation d’un mouvement en acte »32 la musique contient pourtant un aspect charnel dont l’interprétation est la marque. « Tous les grands artistes sont ceux qui manifestent de la spontanéité, observe S. Celibidache. il n’y a pas d’art qui puisse se passer de spontanéité… La première manifestation de l’art, c’est la spontanéité… elle ne peut être qu’immédiate »33. Et l’on songe au désir de G. Bachelard de fonder, au terme de son existence, une « doctrine de la spontanéité pure »34 concevable uniquement dans la perspective d’une phénoménologie de la musique.
18À la question : « Qu’est-ce que la musique ? », S. Celibidache répond par une autre question : « Peut-on avoir l’espoir d’accéder dans une définition à l’essence de ce que l’on veut définir ? »35 et il s’appuie sur son expérience de musicien pour affirmer : « nous ne pouvons pas dire ce qu’est la musique »36 : Où ça commence ? À quel moment une série de sons devient-elle une œuvre musicale ?
19La musique n’ayant pas d’objet à décrire, elle ne peut que se faire entendre, ne se laissant pas réduire à dire quelque chose, à signifier.
20« La musique est un art non signifiant »37 affirmait J-P Sartre, « aussi inutile que le brin de laine, le caillou tendus à sa mère par l’enfant »38, confirmait R Barthes, tous deux voulant insinuer par là qu’elle fait sens directement, à travers ses mouvements39. En cela réside sa qualité essentielle qui la distingue des autres arts : la musique ne veut rien dire mais elle a un sens : « le sens est immanent à la forme et lourd d’une présence charnelle », affirme J-P Sartre qui crée cette métaphore : « Il me semblait que la musique était une belle muette aux yeux pleins de sens […] Tout est là, donné dans les sons, comme la Renaissance sur les lèvres de la Joconde »40
21De même, pour Celibidache, « il n’y a aucune conception qui pourrait rendre le sens de la musique »41. L’impression qui naît en écoutant La Mer n’est en aucune manière définissable. La définir risquerait de la couper de son élan vital où réside sa qualité essentielle. On ne peut pas la formuler. Ce n’est ni « le jeu des couleurs », ni même « le jeu des sensations sonores » qui nous en donneront une idée car la musique, en réalité, naît dans l’homme :
« … elle a à faire avec quelque chose qui naît parallèlement dans l’homme, le changement éternel entre l’extraversion et l’introversion… parce-que chacun de nous est une unité qui a deux possibilités. Ou bien il perçoit le monde qui est en dehors, ou celui qui est en lui. Il n’y a pas autre chose »42
22Comment dire ce qui fait expérience sans aussitôt le représenter et ainsi le perdre en le construisant ? En écoutant le premier mouvement de La Mer de Debussy, « on ne sait pas quoi dire »43 sinon esquisser un pas de danse ou un geste intérieur qui exprimera cette « joie de vivre, (de la musique) qui ne commence pas, qui ne fait que durer sans jamais commencer, sans jamais finir… »44. On observera à ce sujet que c’est justement dans cette indétermination du sens que réside toute la modernité artistique et littéraire.
23L’attraction que S. Celibidache ressentait des parties vers le tout est l’effet direct de cette unité acquise dans l’expérience onirique de la rêverie et de la musique d’après Bachelard qui nous incite à participer au Grand Rythme de l’univers pour se vivre comme une partie d’un Tout. Ce sentiment, cette pure épreuve de soi, S. Celibidache l’a éprouvé pour la première fois au contact de la musique de Debussy et n’a eu de cesse de le retrouver à chaque interprétation :
« Cette expérience… que j’ai faite à 42 ans… je n’en ai aucune explication. Je ne peux pas dire en quoi elle consiste. La perception des entités spirituelles qui remplissaient l’espace ? Comment expliquer cela ?… Quand on a fait cette expérience de la fin dans le commencement, tout est différent après… »45
24D’après ce musicien : « Le monde sonore de Debussy n’est pas traduisible avec les mots conventionnels du langage que nous pratiquons chaque jour… les mots n’arrivent pas à expliquer ou à décrire un état. Le mot, l’idée, l’intellect, n’ont aucune capacité de poursuivre un processus musical » affirme S. Celibidache pour qui aucune discipline (pas même la musicologie) ne pourrait s’approcher du fond de la musique, de son mouvement interne. Selon lui, « il n’y a pas d’équivalents dans le langage qui puissent jouir de la même force »46 et il réaffirme que la musique est le développement de quelque chose qui naît dans l’homme et se trouve donc soumise à la projection corporelle et spirituelle de chacun. Ce « quelque chose » est la vie que tout créateur cherche à accroître et que la musique intensifie au plus haut point. Appréhendée comme l’expression des mouvements sentis intérieurement et activés par la contemplation d’un paysage ou de toute autre réalité extérieure, la musique rejoint ici les objectifs de la danse, de la poésie et de la peinture qui, au XXe siècle, ont eu tendance à se « musicaliser » en prenant cet art pour modèle. Saisir les différences dynamiques entre ce qui est et ce qui était, percevoir les articulations, dans leur dimension orientée et non « mécanique » est pour le musicien, une manière de vivre le temps de façon plus riche :
25« En musique, la fin contient exactement tous les détails des subdivisions créées par l’unité du commencement »47. L’actualisation de cette distinction entre les articulations, oblige à demeurer actif devant les choses, à éprouver le pur mouvement de la vie qui qualifie à la fois la musique et l’existence : « L’existence est conditionnée par cette position active devant l’inerte. Ce n’est pas autre chose. C’est ça la vie : l’affirmation active contre l’inertie »48. Le rythme, c’est ce que cherchent les grands poètes à l‘instar des musiciens.
26En ce domaine, Debussy est la référence de S. Celibidache qui le surnomme « le Baudelaire du son »49, comparant son écriture à celle de Debussy. Tous deux ont su rendre compte à ses yeux de ce réel qui participe de la vie et demeure incommunicable par les mots. C’est pourquoi il faut selon lui « partir du vécu et revenir à l’écriture »50 (et non l’inverse) car la musique est de nature essentiellement affective et n’existe que pour être sentie, comme le fut l’expérience du Temps chez Bachelard et Debussy. En ce sens, la musique de Debussy comme la poétique de Bachelard ne sont pas d’ordre intellectuel51 : « … J’ai découvert Debussy… à 16 ans, confie S. Celibidache… j’étais paralysé… j’avais saisi une réalité qui n’était pas d’ordre intellectuel ». Ce dont elle témoignait avant tout c’est d’un sens aigu de la vie qui s’éprouve elle-même à travers l’auditeur comme s’éprouve la musique à travers le musicien qui la joue. De même, pour Bachelard, « La vie naturelle se vit en nous et sans nous. Si on l’exprime bien,… on l’exprime mal. Si on l’exprime trop habilement, on ne la vit plus »52, constate Bachelard. Et il se demande « vers quelle image, en quels poèmes, l’être trouve-t-il sa véritable vie, la vie excessive ? »53. Selon lui, la vie en poésie était « la vie excessive », tout comme chez Nietzsche qui donnait raison aux artistes plutôt qu’aux philosophes, car les premiers « n’ont pas perdu la grande voie sur laquelle s’avance la vie »54. Il le résume en une phrase : « pour vivre, nous avons besoin de l’art »55.
27Mais qu’est-ce que vivre et quelles sont les conditions à réunir pour qu’il y ait « Vie » ?
28Il est clair que pour Bachelard, comme pour Nietzsche, « La vie n’a rien à voir du tout avec la philosophie »56. Vivre c’est avant tout se sentir vivant, ce que seul l’art (et la musique en particulier) est capable de faire éprouver. En ce sens, l’art est une modalité d’être : « Seule vie possible : dans l’art »57 affirme Nietzsche auquel Bachelard répond comme en écho : « D’ailleurs, qui vit sa vie, qui vit la vie naturelle dans son ampleur et sa diversité, interroge Bachelard ?58
L’Entre
29Dans son livre L’Entre, Le psychiatre coréen Kimura Bin (1931-) définit la vie au sens phénoménologique (c-à-d comme quelque chose qui ne cesse d’advenir). Elle est pour lui aussi « une modalité d’être » et constitue le fond originaire pré-humain de tous les êtres vivants :
« La Vie se manifeste comme telle en se logeant en un être vivant individuel, mais le phénomène de vie ainsi manifesté n’exprime pas entièrement la Vie : la Vie est au-delà de chaque substance particulière, au-delà des phénomènes particuliers du vivant. Elle consiste en une modalité d’être distincte des substances et des phénomènes. N’ayant de forme telle la matière et les phénomènes, la Vie ne peut être l’objet d’une connaissance particulière : incluse en chaque être vivant, elle la déborde. Nommons cette vie, vie universelle ou Vie. Elle se manifeste comme phénomène dans la vie d’une substance particulière… »59.
30Kimura Bin montre dans ce livre que lorsque ce sens de la vie fait défaut, cela peut entraîner chez l’homme de graves pathologies. Si c’est bien de la relation à ce fond originaire que dépend la « vie », comment ce fond lui-même a-t-il été formé ? Impossible à objectiver d’après Kimura, ce fond procède de l’intuition et du sentir. Aucune démonstration scientifique ne pourra selon lui en rendre compte car cette relation au « fond de la vie » est de l’ordre de l’expérience, non de la connaissance intellectuelle : En s’appuyant sur son expérience de musicien, il explique : « Si notre hypothèse n’est pas vérifiable par les méthodes rationnelles et objectives, elle nous semble pourtant essentielle pour rendre compte de l’expérience que nous avons de nous-mêmes et du monde… »60. Pour lui, seule la musique permet de faire éprouver en soi cette puissance de vie et donner à chacun le sentiment de son existence. C’est pourquoi, abandonnant tout présupposé scientifique et philosophique, le psychiatre K. Bin a recours à la pratique musicale collective pour permettre à des êtres coupés du monde (des schizophrènes) de retrouver ce lieu originaire du soi pouvant donner accès au statut de sujet.
31Pour Bachelard c’est l’expérience poétique autant que musicale qui donne accès à ce « fond du sans-fond » : « La méditation aboutit à la conscience de… l’infra-moi, sorte de cogito souterrain, d’un sous-sol en nous, le fond du sans-fond »61.
32Sentir c’est toujours se sentir vivre et un sujet n’existe qu’à cette condition car « on » ne s’éprouve pas, « on » ne sent pas, « on » n’éprouve rien : pour qu’un « je » se manifeste, une relation doit s’instaurer ; et il va ainsi entreprendre l’étude des conditions d’émergence du sujet dans l’acte musical en nommant aida (L’Entre) l’espace, à la fois intérieur et extérieur dans lequel agit le musicien et qui n’est ni un « entre-deux » ni un « entre-nous ». Il ne met pas en rapport des existences séparées mais désigne un lieu d’où jaillit la vie et que seul l’acte musical peut faire éprouver dans sa plénitude. C’est pourquoi il va se référer à la phénoménologie car, « nous ne vivons que par le maintien d’une relation à ce fond, dans le sentir et l’agir »62, considérant qu’« avant d’être humains, nous sommes des vivants »63 issus de cet entre qui unit nos existences multiples. C’est cette relation qui fait défaut dans la schizophrénie conçue comme une pathologie de la subjectivité.
33En tant que rapport à ce fond de la vie, le flux musical est assimilable au flux du vécu et réunit toutes les conditions d’émergence du sujet.
34Ainsi, grâce à la pratique musicale, chaque soliste d’un ensemble pourra faire l’expérience de sa propre subjectivité en éprouvant différents niveaux de perception qui sont autant de niveaux d’une réalité complexe.
35Dans la pratique musicale collective, chaque musicien peut accéder à au moins quatre niveaux de perception :
le niveau noématique de la précision métronomique de celui qui joue les notes
le niveau noétique64, dans lequel un accord s’établit entre les sons et entre les musiciens qui prennent quelqu’un d’entre eux pour guide
le niveau de la volonté du groupe et
le niveau de La Musique (avec un grand M) qui surplombe tous les autres et que chacun éprouve comme émanant à la fois de soi et de l’ensemble. Ce lieu d’où provient la musique peut aussi bien se déplacer d’un musicien à un autre.
36Le monde qui s’ouvre au musicien par le jeu instrumental n’est pas un simple assemblage de sons. La musique suscite en lui une activité qui entre en résonance avec celle des autres membres de l’ensemble tout en s’éprouvant en lui comme une auto-affection. Sa relation au monde est alors double et il peut accéder à ce « fond de la vie » que seule l’expérience musicale lui fait toucher.
37Même s’il a l’impression que c’est lui qui produit l’ensemble du morceau, la musique circule entre les musiciens et n’appartient à aucun, bien qu’étant partagée par tous : lieu virtuel et non localisable, la musique absorbe la conscience de soi de chacun des musiciens qui peut, à tout moment, y mettre fin et conserver ainsi sa propre individualité sans se soumettre à la volonté de l’ensemble. De son côté, la musique produite par tous les participants, parvient à une autonomie qui finit par les guider :
« Imaginons un pianiste et un violoniste jouant ensemble : bien que chacun fractionne sa partie dans la création de sons particuliers, chaque musicien entend la musique comme si elle était entièrement jouée par lui seul […] Dans la conscience de chacun se constitue une correspondance noético-noématique, collective et intersubjective au-delà de la subjectivité des consciences individuelles »65
38Lorsque tous ces différents niveaux sont perçus par chacun, alors La Musique (avec un grand M) a lieu, dans l’accord des ma, c’est-à-dire des silences et des timbres propres à l’ensemble, dans l’instant de l’acte musical : « Le vieux mot japonais « ma » a en lui-même cette intentionnalité créatrice du futur et le son à venir sera orienté par cette intention noétique… La condition essentielle pour qu’une harmonie idéale se réalise… réside moins dans l’accord des sons joués par les musiciens… que dans l’accord entre chaque ma propre à la partie d’un musicien par rapport à celui des autres »66.
39Cette sensibilité aux « ma » est manifeste chez G. Bachelard qui écrit dans L’intuition de l’instant : « L’oreille musicale entend le destin de la mélodie, elle sait comment s’achèvera la phrase commencée. Nous pré-entendons l’avenir du son »67.
40Le philosophe laisse supposer dans ce « nous » l’existence chez lui d’une oreille musicale lui permettant de pratiquer cette « intentionnalité » créatrice dont parle K. Bin et qui est le propre du musicien. Pour le dire autrement, G. Bachelard savait que le ma intérieur au musicien et le ma de l’ensemble de la musique devaient être accordés pour que La Musique advienne.
41Cela se produit également chez l’interprète isolé pour qui l’intention est ce moment où le corps tout entier se met en activité et sent l’attaque du son à venir, avant même qu’il ne soit produit au dehors. On voit ici que ce n’est plus la musique en tant qu’objet qui importe mais le mouvement ou l’activité qu’elle met en œuvre dans le corps propre de l’auditeur, lequel se définit, grâce à cette activité comme un sujet.
42S’il entre en résonance avec ces mouvements musicaux (sonores ou silencieux) qu’il les sent en lui, chacun aura l’impression de pénétrer dans un monde de forces dynamisantes. L’émotion n’est pas autre chose que cet effet kinésique éprouvé au contact de la musique, comprise comme la saisie d’un mouvement ayant sa source dans le corps humain, et créant un point de rencontre entre l’homme et le monde.
Je et tu de Martin Buber
Préface de Gaston Bachelard
43Cette conception de la musique comme expérience humaine, capable de créer, dans le jeu musical, un sujet se rapportant à la fois à la réalité extérieure et à un fond originaire et vital, apparaît en filigrane de l’ouvrage de Martin Buber, Je et tu68 pour lequel Bachelard a écrit une préface. Chez ce philosophe, le « sujet » était aussi le produit d’un double rapport au monde (extérieur et intérieur) duquel dépend la relation avec les êtres, appelés à communiquer directement, à partir de ce « fond de la vie » que Bachelard appelle le « fond-du sans-fond », dans une relation de réciprocité immédiate : « Je crois pouvoir dire que Martin Buber et moi, nous avons éprouvé une surprise analogue, quand chacun de nous, pour son propre compte, a constaté que l’autre, parallèlement à lui et à son insu, avait poursuivi une même recherche sur l’originalité du Toi… »69.
44Il est significatif que Bachelard ait utilisé la musique pour commenter cette ontologie de la relation évoquée par le philosophe allemand et que lui-même avait pu éprouver de par son expérience de poète et de musicien : dans sa présentation de l’ouvrage, il montre qu’être musicien c’est avant tout être réceptif aux vibrations, aux « silences et aux timbres » qui émanent des corps vivants et tissent les relations humaines. Ainsi, quand elle est véritable, « la relation avec le Tu est immédiate » et de nature essentiellement musicale d’après Bachelard qui nous invite à développer « une oreille active », à tendre l’oreille pour pouvoir répondre »70 au monde et à autrui. Et il prône une « philosophie de la personne », « une psychologie qui saurait interpréter les silences et les timbres, les vivacités et les lenteurs, toutes les résonances et tous les arpèges de la sympathie »71 :
« Toute la philosophie de la personne, d’après Martin Buber, doit tenir dans cette interrogation mutuelle. Cette philosophie donne au verbe une tonalité particulière qui est faite de confiance et d’étonnement. Cette philosophie multiplie… cette nuance délicieuse et souvent insaisissable qui joue dans l’ambiguïté de l’interrogation et de l’exclamation. Nous sentons bien qu’il faudrait un signe moyen entre ? et ! Nous sentons bien que du ? au ! il y a place pour toute une psychologie qui tonaliserait toutes les paroles, qui saurait interpréter les silences et les timbres, les vivacités et les lenteurs, toutes les résonances et tous les arpèges de la sympathie »72
45Dans cette perspective, le livre de M. Buber lui apparaît comme « un traité de la responsabilité »73 qui apprend à écouter l’entre de toute relation authentique, laquelle implique la réciprocité. La musique devient ici le lieu d’une nouvelle psychologie, fondatrice d’une « philosophie de la rencontre » d’autant plus nécessaire aujourd’hui que « dans le monde où nous vivons, le Tu devient immanquablement un Cela… observait déjà M. Buber. Chaque Tu ici-bas est condamné à devenir chose ou tout au moins à retomber sans cesse dans le monde des choses »74. Pour G. Bachelard, ce monde du Cela est celui de la science, un monde d’expérimentation, auquel de nouvelles techniques, doivent fournir une approche exclusivement objective et scientifique de l’homme. Or ce monde-là, n’est pas celui de la vie qui doit tout son contenu à la sensation et dans lequel les hommes vivent et agissent. Aujourd’hui, constatait déjà M. Buber, « le temps des personnes est infiniment rare… au regard du temps des choses » : ce qui appelle ces commentaires de Bachelard :
« Notre dispersion spirituelle dans le règne du cela au détriment du règne du tu, a envahi peu à peu les relations sociales et nous a fait considérer les personnes comme des moyens… quand on veut vivre uniquement en face des choses… une nuance d’égoïsme remplace le duvet des choses par un vernis… Il manquera la réciprocité… c’est la catégorie bubérienne la plus précieuse : sur l’axe où vibre le je-tu… l’être rencontré se soucie de moi comme je me soucie de lui… une oreille active puisque tendre l’oreille c’est vouloir répondre… »75
46Soit, d’un côté les choses, de l’autre les personnes : le Cela et le Tu. Ainsi, « le monde est double pour l’homme parce que son attitude est double ». Nous vivons en effet sur deux plans : un plan empirique où nous avons du mal à nous comprendre et un plan imaginaire susceptible de créer une communion entre les hommes. Mais ceux-ci ont tendance à réifier les êtres en les percevant comme des choses dans un monde bien ordonné qui leur demeure étranger ; un monde où « la fonction d’expérimentation et d’utilisation, se développe généralement au détriment de l’aptitude à la relation »76.
47Ce monde-là est « un monde cassé » selon l’expression de Gabriel Marcel (1889-1973)77,
« Tu n’as pas quelquefois l’impression que nous vivons (si cela peut s’appeler vivre) dans un monde cassé… Tu comprends, le monde, le monde des hommes… autrefois, il devait y avoir un cœur. Mais on dirait que ce cœur-là a cessé de battre ? »78
48L’auteur de la seconde préface au livre de M. Buber avait ainsi plus d’une affinité avec Bachelard : entre autres, le fait d’être musicien.
Deuxième préface de Gabriel Marcel
49L’importance de la musique dans la vie et la philosophie de G. Marcel, est attestée par de nombreux écrits. Dans une conférence intitulée : « la musique dans ma vie et mon œuvre », donnée à Vienne le 15 octobre 1959, le philosophe affirme la primauté de l’expérience musicale sur la philosophie dans sa vie : « je ne crois pas inutile de chercher à montrer que mon chemin a bien été celui d’un musicien transplanté dans la philosophie ». Il explique que sa découverte de la philosophie s’est faite en 1905-1906, alors qu’il était musicien. Il attendait d’elle une confirmation de l’expérience spirituelle (« une ouverture vers le haut »)79 vécue dans et par la musique. Sa démarche de philosophe a consisté à « s’affranchir du monde regardé »80 pour s’ouvrir à l’expérience intérieure que la musique lui a permis d’intensifier, étant pour lui de l’ordre de l’être : « ce n’est pas à partir d’une donnée visuelle que s’est développée en moi la recherche ontologique mais à partir d’une expérience qu’il est aussi malaisée à traduire en un langage presque toujours élaboré à partir des objets, à partir des choses »81.
50L’aspect non-visuel de cet art a été propice à la réalisation d’une expérience spirituelle qu’il a reconnue lui-même au principe de sa pratique de philosophe : « c’est à partir de la musique que j’ai été amené à penser sur l’être ou à affirmer l’être »82. Or, l’être n’est pas réductible à une activité de la pensée. Il doit être éprouvé dans le corps ou plutôt, dans la chair qui désigne ici le fait, pour le corps propre, de s’éprouver de l’intérieur, comme souffrant ou jouissant de soi (et non pas comme un corps-objet inerte). C’est pourquoi, le philosophe s’est détourné de la théorie de la connaissance qui considère le savoir objectif comme le seul savoir vrai pour suivre les leçons de la musique qui « nous enseigne le réel »83 et porte un témoignage ontologique que G. Bachelard va également développer dans sa « phénoménologie du verbe écouter », conçue comme une « ontologie de l’invisible et de l’inaudible » comme on le verra dans le chapitre IV.
51C’est aussi à partir de son expérience musicale que G. Marcel va analyser les rapports humains qui ont en commun avec la musique cette immédiateté et spontanéité de la vie sur laquelle Bachelard voulait bâtir une doctrine et dont la philosophie traditionnelle ne parle jamais (ou trop peu).
52Seuls les artistes (les musiciens en particulier) peuvent nous apprendre à sentir et à voir l’invisible et l’inaudible qui sont pour eux le monde réel, occulté par la pensée scientifique :
53« Le musicien génial est comme un prisme à travers quoi le Passé anonyme et neutre qui fait le fond de chacun de nous se décompose, se spécifie, se colore de nuances individuelles »84. Mais ce passé n’est pas une portion du devenir, « une succession cinématographique », il constitue le fond, « en soi inexplicable, par rapport à quoi le présent s’ordonne »85.
54Nous retrouvons-là le « fond de la vie » intuitionné par Kimura Bin à partir de son expérience de musicien et « le fond du sans-fond » bachelardien, d’où surgit un sujet sentant et senti, désigné comme « l’infra-moi » ou « cogito souterrain ».
55Contrairement aux philosophes ayant traité la musique d’un point de vue « esthétique », en tant qu’objet de réflexion, G. Marcel a considéré la musique comme « une source de pensée »86 qui fait faire retour à l’« immédiat » de la sensation. Il a montré ainsi que la vie précède et nourrit la pensée87, ce dont témoigne l’œuvre de G. Bachelard qui nous invite à remonter à la racine des images et des phénomènes pour éprouver cette auto-affection de la vie en soi.
56Si une esthétique de la musique peut se construire à ses yeux, ce n’est qu’à partir de la reconnaissance d’un rapport direct, d’être à être, fondée sur la notion d’intersubjectivité. En cela, G. Bachelard demeure proche de G. Marcel qui se définissait avant tout comme « un homme à l’écoute »88. Il insiste dans son Journal Métaphysique sur la nécessité de construire une ontologie de la relation à partir de l’expérience musicale de l’écoute :
« … Le parfait n’est pas ce qui se suffit à soi-même… cette perfection est celle d’un système. À quelles conditions le rapport qui lie un être à ce dont il a besoin peut-il présenter une valeur spirituelle. Il semble qu’il doive y avoir une réponse, une réciprocité, un éveil. Seul un rapport d’être à être peut être dit spirituel… Ce qui compte, c’est le commerce spirituel entre des êtres, et il s’agit ici non de respect mais d’amour… »89
Une philosophie de la chair
57Pour G. Bachelard qui est à la recherche d’une « esthétique concrète », « une esthétique qui ne serait pas travaillée par les polémiques de philosophes, une esthétique qui ne serait pas rationalisée… »90, c’était aussi « dans notre chair, dans les organes, que prennent naissance les images matérielles premières »91.
58Dans cette perspective, un enfant ou tout être souffrant dans le monde en sait tout autant, sinon plus, qu’un savant parvenu au terme de son existence, comme l’a si bien exprimé Dostoïevski dans son œuvre où il fait de la vie, une science : « la vie est partout la vie, la vie est en nous et non dans le monde extérieur. À mes côtés il y aura des hommes et être homme parmi les hommes et le rester à jamais dans tous les malheurs possibles, ne pas perdre espoir et courage, voilà où est la vie, où est son but »92. C’est que pour cet écrivain, la vie était avant tout ce qui nous affecte :
« … J’en ai pris conscience. Cette idée m’est entrée dans la chair et le sang. Oui, c’est la vérité ! Cette tête qui créait et vivait de la vie suprême de l’art, qui avait connu les besoins élevés de l’esprit et s’y était accoutumée, cette tête-là est déjà séparée de mes épaules. Ne reste que la mémoire et les images créées et que je n’ai pas encore incarnées. Elles me rongeront c’est vrai ! Mais en moi demeure un cœur, et cette même chair, ce même sang qui peut également aimer et souffrir, désirer et se souvenir, et cela c’est tout de même la vie ! »93
59C’est de cette expérience commune à tous les hommes que nous parle Bachelard pour qui l’écriture était un mode d’existence lui ayant permis de faire face à l’inacceptable et de prendre sa place dans le monde : « Mais aujourd’hui, après tant de labeur, confie-t-il au terme de son existence, maintenant que mon herbier des images commentées s’étend sur plus de deux mille pages, je voudrais avoir tous mes livres à réécrire… je saisirais peut-être les instants où la parole crée de l’humain… Je développerais alors,_folle ambition !_une doctrine de la spontanéité… »94
60En travaillant à affiner sa perception, il a appris à vivre et à surmonter ces épreuves. Cette autre forme de connaissance fut aussi l’objet de la recherche de Joë Bousquet (1897-1950), un contemporain dans lequel Bachelard voyait « un nouvel esprit littéraire » occupé, dans son écriture, à agir sur la vie des hommes et non sur leurs pensées95.
61Paralysé à vingt ans des suites d’une blessure de guerre, Joë Bousquet (pour qui « le véritable écrivain… ne se mêle que de vivre »96) s’est donné pour tâche de rendre compte dans son écriture du rôle du corps dans la vie de l’esprit97. Son immobilité forcée (« Mon corps est ma prison »)98 ne l’a pas empêché de mettre en œuvre son activité propre pour (re) naître par l’écriture, dans laquelle il engageait l’entièreté de sa personne99.
62C’est aussi à partir d’une expérience vécue, celle de la Résistance, et non à partir d’une réflexion abstraite, que le philosophe Michel Henry (1922-2002) a été amené à éprouver et à penser la vie en son caractère double :
« L’expérience de la Résistance… a eu une profonde influence sur ma conception de la vie. La clandestinité m’a donné… d’une manière aiguë le sens de l’incognito… Pendant toute cette période il a fallu dissimuler ce que l’on pensait, ce que l’on faisait… Grâce à cette hypocrisie permanente, l’essence de la vraie vie se révélait en moi, à savoir qu’elle est invisible. Dans les pires moments, je l’éprouvais en moi comme un secret à protéger et qui me protégeait. Une manifestation plus profonde et plus ancienne que celle du monde déterminait notre condition d’homme »100
63Il a ainsi distingué « le corps » visible de « la chair » invisible, s’opposant nous dit-il comme « le sentir et le non-sentir »101. « Un abîme sépare depuis toujours les corps matériels qui peuplent l’univers, explique-t-il, et… le corps d’un être « incarné » tel que l’homme », qui n’est homme que parce-qu’il éprouve dans sa chair souffrances et joies102. Ici, la vie peut se résumer par un mot : l’affectivité. Cela désigne « tout ce qui se manifeste, qu’il relève de l’intérieur ou de l’extérieur, du sujet ou du monde »103.
64Contre les philosophes et scientifiques ayant appréhendé « le corps des hommes comme des sortes d’ordinateurs programmés sans participation active, M. Henry appelle « chair » cela qui « s’éprouvant, se souffrant, se supportant soi même et ainsi jouissant de soi selon des impressions toujours renaissantes, se trouve… susceptible de sentir le corps qui lui est extérieur, de le toucher aussi bien que d’être touché par lui »104. Car seule notre chair nous permet de connaître, conclut M. Henry pour qui « la vie » était comme une intériorité radicale, définie comme une « auto-affection originelle »105
65Si seule la perception de cette vie invisible est pour l’homme digne d’intérêt, faut-il cesser de philosopher pour vivre ?
66Nul doute que pour Bachelard, connaître c’était avant tout sentir, c’est-à-dire s’ouvrir à la nouveauté de la relation au monde d’où découle la relation à soi et aux autres.
67« Je hais tout ce qui ne fait que m’instruire sans augmenter ou stimuler directement mon activité »106 écrivait déjà Goethe pour qui la connaissance était aussi une manière singulière d’être au monde. Mais si connaître n’est pas savoir, à quelle(s) condition(s) la connaissance est-elle possible ?
68Jacques Ricot rappelle dans sa leçon sur savoir et ignorer que le verbe « savoir » est l’équivalent en français de deux verbes latins scire et sapere.107 Le premier désigne tout ce qui appartient à la science tandis que le deuxième fait plutôt allusion à la sagesse qui est une autre forme de connaissance, comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents. Le sens de scire s’est imposé jusqu’au XVIIe siècle où le sçavoir appartient au sçavant (en maintenant, par la cédille la racine scire). La sagesse (sapientia) a ainsi été réduite à la science alors qu’à l’origine, sapiens désignait aussi bien le sage que le savant.
69Dans l’avant-propos de La psychanalyse du feu, G. Bachelard met en garde le lecteur qui penserait trouver dans ce livre des « connaissances ». Loin de poursuivre une « vérité scientifique », il avoue s’être employé au contraire à énumérer « des erreurs », conscient de l’abîme entre le monde de la vie (d’où il tire sa poétique) et le monde scientifique :
« Quand notre lecteur aura achevé la lecture de cet ouvrage, il n’aura en rien accru ses connaissances. Ce ne sera peut-être pas tout à fait de notre faute mais ce sera plutôt une simple rançon de la méthode choisie. Quand nous nous tournons vers nous-mêmes, nous nous détournons de la vérité. Quand nous faisons ces expériences intimes, nous contredisons fatalement l’expérience objective. Encore une fois dans ce livre où nous faisons des confidences, nous énumérons des erreurs »108.
70Et il montre dans ce livre que même chez l’homme de science, qui se croit objectif, la rêverie demeure toujours en action. C’est ainsi par exemple que le feu, loin d’être un « objet scientifique », est d’abord pour l’homme, un élément de rêverie : « la rêverie reprend sans cesse les thèmes primitifs, travaille sans cesse comme une âme primitive, en dépit des succès de la pensée, contre l’instruction même des expériences scientifiques »109. C’est pourquoi il va entreprendre une « psychanalyse » du feu afin de démêler ce qui appartient à la science et ce qui relève de la poésie, deux domaines qui sont à ses yeux, complémentaires. En tant que symbole de la vie, le feu est à l’origine d’une conception active du monde dont la science n’est jamais parvenue à se défaire tout à fait et qui culmine dans l’alchimie. C’est à cette pensée de la vie, occultée par toute la science moderne, que va pourtant puiser G. Bachelard pour « rendre la poésie et la science complémentaires »110.
71En cela il se détourne de toute la tradition philosophique qui, à la suite d’Aristote, a dissocié l’activité intellectuelle de la vie, estimant que le propre de l’homme était l’activité de penser et de connaissance, et non pas celle de vivre :
« Le simple fait de vivre est, de toute évidence, une chose que l’homme partage en commun avec les végétaux ; or, ce que nous recherchons, c’est ce qui est propre à l’homme. Nous devons donc laisser de côté la vie… »111
72C’est toute la pensée européenne qui se trouve ici engagée dans un avenir privilégiant avant tout la science des « scientifiques » et l’esthétique des « philosophes ».
73G. Bachelard a tenté d’aborder autrement ces questions, conscient que le monde où l’on vit n’est pas celui où l’on pense. Sa démarche peut être rapprochée de celle de L. Wittgenstein pour qui la pensée scientifique, aussi brillante soit-elle, ne résout pas les problèmes de vie : « nous sentons que, même si toutes les questions scientifiques possibles avaient reçu une réponse, nos problèmes de vie n’auraient pas encore été abordés »112. On observera que les tentatives de fonder une théorie générale de l’art et de l’esthétique ont été généralement initiées par des philosophes et non par des artistes, davantage occupés à vivre leurs expériences qu’à les fixer définitivement dans des formules. Pourtant, « qu’y a-t-il de plus important que les sujets et qu’est-ce que toute l’esthétique sans eux, demandait déjà Goethe ? »113
74Parmi ces philosophes ayant cherché à fonder une esthétique « concrète », non plus sur des théories et des « systèmes » mais sur la vie des hommes agissant en ce monde, Nietzsche fut un précurseur. Pour ce philosophe-musicien qui était aussi compositeur et interprète, la musique demeurait étrangère au monde mécanique de la science, et fondamentalement rebelle à l’analyse : « Qu’aurait-on saisi de la musique une fois que l’on aurait calculé tout ce qui est calculable en elle et tout ce qui peut être abrégé en formules, se demande Nietzsche ? Rendre le monde calculable, exprimer en formules tout ce qui s’y passe, est-ce vraiment le « concevoir ? » »114. Ailleurs, il fait le portrait de « l’homme objectif » assimilé au philosophe, lequel a méconnu la vie des sens et demeure pour cette raison même « un homme sans forme ni contenu »115. Seule la musique peut lui faire retrouver le sens de la vie qui est inquantifiable. Dans Le Gai Savoir, il écrit encore : « Si l’on mesurait la valeur d’une musique à ce qu’on peut en calculer et compter, à ce qu’on peut traduire en chiffres… de quelle absurdité ne serait pas cette évaluation « scientifique » ! Qu’aurait-on bien saisi, compris, connu, d’une mélodie ainsi jaugée ? Rien, et littéralement, rien, de ce qui fait justement sa « musique »116 et qui est pour Nietzsche le pur mouvement de la vie ou « l’excédence » de soi. Rejetant le savoir issu des vérités immuables de la science, il a préféré s’en remettre à l’art qui lui parlait du monde et des hommes vivant et agissant. La musique fut aussi pour Bachelard une manière de vivre à l’écoute de ses vibrations et de celles des corps invisibles qui dialoguent comme les membres d’un « orchestre invisible » :
« Je dirais qu’à partir du moment où nous nous rendons nous-mêmes perméables à ces infiltrations de l’invisible, nous qui n’étions peut-être au départ que des solistes inexercés et pourtant prétentieux, nous tendons à devenir les membres fraternels et émerveillés d’un orchestre… »117
75Appelé à solliciter sans cesse « la conscience créante » du lecteur dans la rêverie et l’amenant ainsi à se fonder en liberté, Bachelard rejoint la notion marcellienne de « création » qui, selon ce philosophe, n’appartient pas uniquement au domaine de l’art :
« La notion de création ne s’applique pas seulement aux artistes…, aux musiciens ; il y a des êtres auxquels il est donné… d’être des créateurs simplement par exemple au plan de l’amour. Des êtres qui vivent selon le sens du prochain, des gens qui vivent selon ce que nous avons appelé le sens de l’admiration. Je pense que tous ces êtres-là contribuent, si modestement que ce soit sans s’en douter, à une sorte d’immense création, la seule chose qui puisse vraiment donner un sens humain, au fond »118
76Ailleurs, le philosophe pose la question : « Il s’agit de savoir si… ne se crée pas, au fur et à mesure que nous vivons, de façon immanente au corps-objet, un corps qui est d’une autre essence »119. Il ajoute que ce corps est « susceptible de survivre au corps-objet et de passer dans un autre domaine ». Ce sont ces corps-là, corps de chair, souffrant et jouissant, qui tissent les relations humaines et que les artistes nous apprennent à accorder à cet orchestre invisible sis en chacun.
77Mais, dans une société du spectacle comme la nôtre, qui aura encore le courage de faire entendre cette vie invisible, source de toute poésie, évoquée par François Cheng dans son roman Le Dit de Tianyi120 ?
« Il est vrai que pour ces artistes, il n’y a point de hiatus entre le théâtre et la vie… En se déplaçant, ils répandent autour d’eux une onde d’énergie souple. La plupart d’entre eux n’avaient pas fait d’études ou peu… Un même sens du rythme et du style réglait l’ensemble de leurs actes les plus utilitaires. C’était plaisir de les voir marcher, se saluer, s’asseoir, manger et boire, ou même soulever des charges. On les eût dits constamment accompagnés par un invisible orchestre, un orchestre installé au-dedans d’eux-mêmes, une fois pour toutes. En sorte que les choses qu’ils touchaient acquéraient une présence et une saveur inconnues jusque-là, qu’eux seuls savaient révéler. »
78Toute la « philosophie de la rencontre » bubérienne tient dans cet art d’interpréter les silences et les timbres qui suppose une oreille fine, capable d’entendre en-dessous du seuil normal de l’audition. C’est à cette perception que veut nous amener G. Bachelard qui nous invite à « Ultra-voir et ultra-entendre, s’entendre voir »121, dans ses livres qui sont de véritables leçons d’écoute et où la vue y est subordonnée à l’ouïe, au point que l’on ne peut plus voir sans entendre.
Notes de bas de page
1 G. Bachelard, EEPC, p. 47.
2 PE, p. 15.
3 F. Nietzsche, La Naissance de la Tragédie, Paris, Librairie générale française, 1994, p. 129.
4 ER, p. 12.
5 Debussy, op. cit. 23.
6 Ibid.
7 Physique, VII, 3, 247 b cité par F. Jullien, dans Quand parler va sans dire, Seuil, 2006, p. 73.
8 J. Barraqué, dans Debussy, Paris Seuil, 1962, p. 147.
9 Ibid.
10 Ibid.
11 L., p. 79.
12 DR., p. 157.
13 EEPC, p. 74.
14 Op. cit. p. 43.
15 Op. cit. p. 74.
16 Op. cit. p. 73. Bachelard fait ici allusion au Principe d’Incertitude d’Heisenberg (1901-1976) conçu comme une propriété de la matière par le physicien allemand qui a montré que l’univers n’était ni prévisible ni déterministe. En 1927, il formule avec ce principe l’impossibilité de mesurer à la fois la position et la vitesse d’une particule.
17 Op. cit. p. 46.
18 Op. cit. P. 42.
19 Op. cit. p. 54.
20 II, Stock, 1931, p. 17.
21 Ibid.
22 Bachelard, DR, p. 16.
23 II, Stock, 1931, p. 17.
24 Ibid.
25 EEPC, p. 47.
26 op. cit. p. 138.
27 Ibid.
28 op. cit. p. 73.
29 Baudelaire, Salon de 1846, in Baudelaire Critique d’art, Paris, Gallimard, folio Essais, 1976.
30 Sergiu Celibidache, « La fin est dans le commencement » in Phénoménologie de la musique, revue Prétentaine, no 22, octobre 2007 p. 20.
31 op. cit. p. 99.
32 op. cit. p. 68.
33 op. cit. p. 51.
34 FPF, p. 29.
35 Op. cit. p. 18.
36 Ibid.
37 J-P Sartre dans sa préface au livre de R. Leibowitz, Le compositeur et son double, Paris, Gallimard, 1976.
38 R. Barthes, Fragments d’un discours amoureux, Le Seuil, 1977, p. 92.
39 Pour expliquer l’autonomie de la musique par rapport au langage verbal, Sartre propose de distinguer le sens de la signification : « un objet est signifiant lorsqu’on vise à travers lui un autre sens… le sens, par contre ne se distingue pas de l’objet… un objet a un sens dont il est l’incarnation d’une réalité qui le dépasse mais qu’on ne peut saisir en dehors de lui » in ibid.
40 Ibid.
41 Ibid.
42 Ibid.
43 « L’impression qui naît en écoutant La Mer n’est en aucune manière définissable, commente Celibidache. On ne peut pas la formuler… Un des maîtres de chœurs m’a dit : « Je voudrais dire quelque chose mais je ne sais pas quoi dire ». C’était le compliment suprême car les mots n’arrivent pas à expliquer ou à décrire un état… », in op. cit. p. 42.
44 op. cit. p. 37.
45 Op. cit. p. 100.
46 Op. cit. p. 19.
47 Ibid.
48 Op. cit. p. 27.
49 Op. cit. p. 29.
50 Ibid.
51 Op. cit. p. 93.
52 FPF, p. 47.
53 Ibid.
54 Puiss, II, livre IV, § 591, p. 381.
55 Puiss, II, IV, § 175, p. 272.
56 Nietzsche, Lettre à Paul Deussen, cité dans La Naissance de la tragédie, Paris, Librairie française, p. 11.
57 Nietzsche, Tragédie, p. 231.
58 FPF, p. 47.
59 Kimura, Bin, L’Entre. Une approche phénoménologique de la schizophrénie, traduit du japonais par Claire Vincent, Grenoble, Ed. Millon, 2000, p. 22.
60 op. cit. p. 23.
61 TRR, p. 260.
62 L’Entre, p. 23.
63 Op. cit. p. 85.
64 Le « noétique » est défini par l’auteur comme « l’aspect agissant » de l’acte musical tandis que son aspect « noématique » a trait à « la conscience de l’acte », c’est-à-dire à la musique actualisée dans la mémoire ou de celle anticipée par l’imagination (in op. it. p. 35).
65 op. cit. p. 51.
66 op. cit. p. 44.
67 II, Stock, 1931, p. 50.
68 M. Buber, Je et TU, Aubier Montaigne, 1938.
69 Bachelard, in op. cit. p. 12.
70 Ibid.
71 Ibid.
72 Ibid.
73 op. cit. p. 14.
74 M. Buber, op. cit. p. 37.
75 G. Bachelard, op. cit. p. 12.
76 M. Buber, p. 71.
77 Contrairement à Bachelard et à Wittgenstein, G. Marcel a toujours insisté sur le rôle essentiel qu’a joué la musique dans sa philosophie et notamment sa pratique d’improvisation.
78 G. Marcel, sa pièce Le monde cassé (1929) citée dans Présence de Gabriel Marcel, cahier 2-3 : « L’esthétique musicale de Gabriel Marcel, » sous la dir. de Jeanne Parain-Vial, Aubier, 1959, p. 114.
79 Op. cit. p. 95.
80 op. cit. p. 100.
81 Ibid.
82 G. Marcel, conférence donnée à Vienne le 15 octobre 1959, « l’esthétique musicale de Gabriel Marcel », in op. cit. p. 93.
83 p. 162.
84 Ibid.
85 Ibid.
86 Ibid.
87 P. Ricoeur à propos de G. Marcel : « le problème marcellien n’est pas de savoir comment on fait du sens avec l’expérience, mais de quelle manière ce sens nous échappe parce-qu’il nous précède… » dans op. cit. p. 76.
88 « Cherchant à me définir moi-même… je suis avant tout, un homme à l’écoute » G. Marcel, « La musique dans ma vie et mon œuvre », conférence donnée à Vienne le 15 oct 1959, dans Présence de Gabriel Marcel, op. cit. p. 89-115.
89 G. Marcel, Journal métaphysique, le 21 octobre 1919, Paris, NRF Gallimard, 1927, p. 207.
90 FC, p. 5.
91 ER., p. 12.
92 Fedor Mikhailovitch Dostoïevski, lettre à son frère Mikhailovitch Dost, datée du 22 sept 1849 in Correspondance, Paris, Bartillat, 1998, p. 321.
93 Ibid.
94 FPF, p. 29.
95 « Il faut que mes paroles marquent sur la vie des hommes et non sur leurs pensées », écrit Joë Bousquet dans Papillon de neige (Journal 1939-42), Paris, éditions Verdier, 1980, p. 40-41. Dans TRV en particulier, Bachelard a témoigné de son intérêt pour cet écrivain qui a travaillé spécialement sur le rôle du corps dans l’écriture. Lettres à Marthe, Paris, Gallimard, 1978, p. 90).
96 Ibid.
97 « Travaille bien le rôle du corps dans la vie de l’esprit, conseille-t-il à une amie. C’est mon sujet à moi » in Joë Bousquet, Lettres à Ginette, Paris, Albin Michel, 1980, p. 133.
98 Joë Bousquet, Traduit du silence, Paris, Gallimard, 1941, 1995, p. 92.
99 « Deviens l’homme de tes malheurs » écrit-il dans D’une autre vie, Limoges, Rougerie, 1970, p. 78.
100 Paul Audi, Michel Henry, Paris, Les Belles Lettres, 2006, p. 29.
101 M. Henry, Incarnation. op. cit. p. 9.
102 Paul Audi, Michel Henry, op. cit. p. 21. Il faut cependant préciser que l’affectivité n’est pas l’affection.
103 Ibid.
104 M. Henry, Incarnation, Une philosophie de la chair, Paris, Ed du Seuil, 2000 op. cit. p. 9.
105 Michel Henry in La barbarie, PUF, 1987, p. 111 la vie est « l’autoaffection originelle qui ignore l’ek-stase ».
106 Goethe, à Schiller, cité par F. Nietzche, OC, II, Considérations inactuelles, De l’utilité et des inconvénients de l’histoire pour la vie, Paris Gallimard, 1990, p. 93.
107 Jacques Ricot, leçon sur savoir et ignorer, Paris, PUF, 1999.
108 PF p. 14.
109 Op. cit. p. 12.
110 Op. cit., p. 10.
111 Aristote, L’éthique à Nicomaque, I, 6, cité par F. Julien dans Nourrir sa vie, Paris, Le Seuil, 2005, p. 15.
112 Wittgenstein, Tractatus, 6, 52.
113 Goethe, Conversations avec Eckermann, Paris, Gallimard, 1988, p. 40.
114 La volonté de puissance, op. cit. I, livre II, § 344, p. 304.
115 Nietzsche, Par delà le bien et le mal, § 207, Aubier Montaigne, 1951, p. 229-30.
116 Nietzsche, Le Gai Savoir, livre V, § 373, Flammarion 1997, p. 207-208.
117 L’esthétique musicale de Gabriel Marcel, op. cit. p. 8.
118 Op. cit. p. 263.
119 Gabriel Marcel, in colloque organisé par la Bibliothèque Nationale et l’association « Présence de Gabriel Marcel, 28-30 septembre 1988, textes réunis par Michèle Sacquin, p. 386-7.
120 F. Cheng, Le Dit de Tianyi, Paris, A. Michel, 1998 p. 155-156.
121 PE, p. 167.
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