15. Auguste et la naissance des services publics à Rome
p. 341-360
Résumés
Suétone, au paragraphe 37, 1 de la Vie d’Auguste, énumère plusieurs fonctions qui furent confiées par Auguste à des sénateurs désireux de s’impliquer dans la gestion de la Res publica ; il s’agit des travaux publics, des voies, des eaux, du Tibre et des distributions frumentaires. On propose de voir dans cette énumération une suite chronologique, celle des curae successivement remises à Auguste et déléguées par lui à des commissions sénatoriales. Trois des fonctions citées par Suétone sont ici étudiées : la charge des travaux publics, qu’Auguste pourrait avoir reçue en 22 av. J.-C., celle du Tibre, pour laquelle est proposée la date de 5 ap. J.-C. et celle des distributions, reçue en 22 av. J.-C. mais que Suétone cite en dernier du fait des remaniements apportés au secteur du ravitaillement et des frumentationes vers 8 ap. J.-C. Ces charges se muèrent peu à peu en de véritables services administratifs, ceux que Suétone pouvait voir fonctionner. Le pragmatisme d’Auguste, qui sut profiter des circonstances pour se faire confier différentes responsabilités liées à la vie quotidienne des habitants de l’Vrbs, mérite d’être souligné.
Suetonius, in the Vita Augusti, 37, 1, enumerates several charges which were commited by Augustus to senators desirous of being involved in the administration of the Res publica; those are the public works, the roads, the aqueducts, the Tiber, the wheat distributions. It is proposed to see in the enumeration a chronological suite, that of the curae succesively demited to senatorial commissions. Three of the charges quoted by Suetonius are studied here: the public works, that Augustus should have received in 22 BC, the Tiber, for which the date of AD 5 is proposed, and the wheat distributions, received in 22 BC but quoted at last because of the modifications brought to the revictualling and to the frumentationes ca AD 8. These charges turned little by little into real administrations, those that Suetonius could see functionning. The pragmatism of Augustus, who took advantage of circumstances to obtain several responsibilities concerned with the daily life in the Vrbs, merits to be underlined.
Remerciements
Je tiens à remercier Stéphane Benoist de m’avoir conviée à intervenir dans le cadre de ce séminaire. De Metz à Lille, c’est toujours avec grand plaisir que je réponds à ses invitations. Ma réflexion reprend pour partie une question abordée en novembre 2004, lors du colloque organisé en Sorbonne (EPHE, 4e Section) à la mémoire de H.-G. Pflaum : celle des débuts de la cura operum publicorum (voir infra, n. 3). Je voudrais réexaminer ici l’ensemble du dossier concernant la naissance des premiers services publics ayant eu en charge la vie matérielle des habitants de l’Vrbs.
Texte intégral
1Dans un passage bien connu de la Vie d’Auguste (37, 1), l’historien Suétone, traitant du Sénat et de ses membres, glisse une remarque instructive concernant les débuts de l’administration impériale :
« Et pour qu’un plus grand nombre [de sénateurs] puisse prendre part à l’administration de l’État, il imagina de nouvelles fonctions : la charge des travaux publics, des voies, des eaux, du lit du Tibre, du blé à distribuer au peuple, la préfecture de la Ville, un triumvirat chargé de la révision du Sénat, et un autre qui passerait en revue les escadrons de chevaliers, chaque fois que cela serait nécessaire1 ».
2Je ne reviendrai pas ici sur l’attention qu’il convient, à mon sens, d’accorder à certains mots de l’historien, qu’il s’agisse du terme officia ou du verbe excogitare par lequel il définit les initiatives d’Auguste2.
3En ce qui concerne cette citation, il y a lieu de se demander quel ordre Suétone a retenu pour cette énumération des nouvelles charges conçues par Auguste, sachant qu’une énumération est rarement laissée au hasard chez les Romains ; j’ai, peut-être à tort, acquis la conviction que cet auteur a opté pour celui qui vient le plus naturellement à l’esprit, c’est-à-dire celui de la chronologie, celui qu’il aura trouvé dans ses sources.
4Parmi les charges imaginées par Auguste, Suétone énumère successivement cinq fonctions réunies sous le vocable au singulier de cura, suivi du nom, au génitif, de chacune ; il s’agit, dans l’ordre adopté par l’historien, des travaux publics (opera publica), des routes (uiae rayonnant autour de Rome), des eaux (et aqueducs, aquae), du Tibre (alueus Tiberis), des distributions frumentaires (frumentum populo diuidundum) ; viennent ensuite les mentions de la préfecture urbaine, puis, pour finir, de deux commissions triumvirales affectées, l’une à la révision de l’album sénatorial, l’autre à la revue des turmes de chevaliers. Toutes ces fonctions ne concernent que des sénateurs ; parce que ce sont eux qui intéressent Suétone, à cet endroit de la Vie d’Auguste, l’auteur ne dit rien des autres innovations de l’empereur en matière d’administration urbaine, qui touchèrent l’ordre équestre (création des vigiles ou du service de l’annone par exemple). Je me fixerai, dans le cadre de cette étude, sur ces différentes curae énumérées par Suétone, laissant de côté la question de la préfecture de la Ville, mais aussi celle des deux commissions triumvirales, qui n’ont eu qu’une existence éphémère.
5Parmi les curae ainsi énumérées par Suétone, deux peuvent être précisément datées : la cura uiarum, qui vit le jour en 20 av. J.-C., si l’on en croit Dion Cassius3, et la cura aquarum, dont Frontin date l’apparition de 11 av. J.-C., au lendemain du décès d’Agrippa (12 av. J.-C.)4 ; ce dernier, qui avait été édile en 33 av. J.-C., avait conservé une sorte de tutelle sur ses propres ouvrages et sur l’ensemble du réseau d’adduction d’eau de l’Vrbs. Je ne m’étendrai pas davantage sur ces deux charges puisque leurs débuts sont bien datés.
6Une troisième charge peut à première vue l’être également : il s’agit de la cura frumenti populo diuidundi, comme l’appelle Suétone, qui apparaît, aux dires de Dion Cassius, en 22 av. J.-C., avant d’être légèrement modifiée en 18 av. J.-C.5. Vu la place occupée par cette fonction dans l’énumération de Suétone (après les travaux publics, les routes, les eaux et le Tibre, avant la préfecture urbaine), il faut soit renoncer à voir dans la série suétonienne une suite chronologique, soit en conclure que cette charge a subi des modifications postérieures aux années 22/18 av. J.-C., sur lesquelles l’historien a jugé bon de se fonder. C’est cette option que je retiens et que je développerai plus loin.
7Suétone cite deux autres charges, dont la date de création est moins aisée à déterminer. Il s’agit de la curatèle des travaux publics et de celle du Tibre, qui occupent respectivement la première et l’avant-dernière place de son énumération. S’il est régulièrement admis que la cura operum publicorum résulte d’une initiative d’Auguste, celle du Tibre, en revanche, est tenue, depuis les travaux de Th. Mommsen et ceux de J. Le Gall6, pour une innovation de Tibère, survenue en 15 ap. J.-C. C’est sur ces deux points que je reviendrai dans un premier temps ; en effet, un examen minutieux des sources permet de préciser la date à laquelle Auguste se chargea de la cura operum publicorum ; c’est ce que j’ai évoqué lors du Colloque consacré à H.-G. Pflaum ; je me contenterai de résumer les conclusions auxquelles je suis alors parvenue et qui ont, depuis, légèrement évolué.
8Quant à la cura aluei Tiberis, il ne me semble pas qu’il faille en attribuer la création au seul Tibère, comme le fait depuis Th. Mommsen et jusqu’à une date toute récente7 la tradition historiographique.
La cvra opervm pvblicorvm
9Je ne reviendrai pas en détail sur les débuts de la cura operum publicorum ; ces derniers demeureront entourés d’un halo d’incertitude tant que de nouveaux documents ne seront pas apparus au grand jour. Je me contenterai de résumer ici les conclusions auxquelles je suis parvenue et les raisons pour lesquelles je pense que c’est en 22 av. J.-C. qu’Auguste s’est vu confier par le Sénat la charge des travaux publics. Une remarque préalable mérite toutefois d’être faite. Les curae, dont il sera ici question, avant d’échouer à des curateurs de rang sénatorial, ont été confiées par le Sénat et le peuple romain à l’empereur ; missionné par le SPQR, Auguste résolut de déléguer ces charges à des hommes de son choix, ne pouvant les assumer toutes en personne. Suétone dit ou sous-entend donc deux choses : d’une part, qu’Auguste s’est vu remettre par le Sénat et par le peuple plusieurs charges (curae) ayant trait à la vie quotidienne des habitants de l’Vrbs ; d’autre part, qu’il a imaginé de les confier (si l’on veut être exact de les faire confier par le Sénat) à des sénateurs, afin qu’un plus grand nombre d’entre eux puisse ainsi participer à la gestion de la Res publica ; ces nouvelles fonctions, il les énumère ensuite : ce sont celles qui existaient toujours de son temps et qui s’étaient muées en de véritables services administratifs.
10À quelles conclusions suis-je parvenue concernant la cura operum publicorum ? Outre Suétone, on dispose du témoignage tardif de Jean Lydus8, qui attribue lui aussi à Auguste la création d’un bureau des travaux (Tò γὰρ τῶν ἔργων σκρινίον), qui ne peut être que le bureau des travaux publics. L’épigraphie apporte quant à elle son lot d’informations, pour le règne d’Auguste ou les débuts de celui de Tibère : plusieurs inscriptions attestent l’existence de curatores locorum publicorum iudicandorum9 et d’au moins un curator aedium sacrarum monumentorumque tuendorum10. Il est possible qu’Auguste ait institué la seconde charge, la première étant plus vraisemblablement une innovation de Tibère. Ce qui est certain, c’est qu’une fois passées les hésitations du début du Principat, la curatèle des travaux publics prit la configuration qui était toujours la sienne au temps de Suétone, c’est-à-dire un service bicéphale, ayant à sa tête un curateur des édifices sacrés (curator aedium sacrarum) et un autre voué aux travaux et lieux publics (curator operum locorumque publicorum). Les curatores locorum publicorum iudicandorum disparurent une fois leur mission accomplie, c’est-à-dire lorsqu’ils eurent rétrocédé au domaine public les parcelles illégalement occupées par des particuliers. Un rééquilibrage des attributions s’opéra entre les deux curateurs affectés, l’un aux aedes sacrae, l’autre aux opera et loca publica. C’est au plus tard sous Claude que la mutation intervint.
11Il est difficile de dater précisément l’apparition de cette cura operum publicorum. Si l’on veut tenter de le faire, il faut revenir à la distinction que j’ai évoquée plus haut entre cura reçue et cura déléguée ; au point de départ, il y a ces charges dont Auguste s’est vu revêtir par le Sénat et le peuple romain, et qu’il a ensuite confiées à des collaborateurs issus de l’ordre sénatorial. Il faut donc distinguer deux temps : celui de la remise à Auguste d’une cura, en règle générale sous la pression d’événements extérieurs, et celui de sa délégation à des collaborateurs.
12Pour ce qui est de la cura operum publicorum, j’ai proposé l’année 22 av. J.-C. comme date de remise à Auguste de cette charge11. En effet, l’année précédente, Auguste avait renoncé au consulat et, partant, à l’imperium afférent qui lui permettait d’intervenir à sa guise, et sans discontinuer depuis 31 av. J.-C., dans le secteur des opera publica notamment. La puissance tribunicienne qu’il reçut en échange en cette même année 23 ne lui était d’aucune utilité en ce domaine. Il faut ajouter que c’est précisément en 22 av. J.-C. qu’une tentative eut lieu de restaurer la censure, expérience qui fut de très courte durée puisque les censeurs se démirent le jour même de leur entrée en charge ; Dion Cassius, qui rapporte cet épisode12, signale qu’Auguste entendait bien, de toute façon, exercer certaines des fonctions qui étaient jusqu’alors de leur ressort. J’ajouterai qu’en 23 et en 22, Rome fut particulièrement éprouvée par deux crues successives du Tibre, la première ayant rendu la ville navigable pendant trois jours, la seconde ayant provoqué de nombreuses destructions13. Un incendie détruisit en 23 plusieurs édifices ; enfin, une famine, due sans doute à la destruction des entrepôts situés à proximité du fleuve, frappa les habitants tandis qu’une épidémie à caractère pestilentiel sévissait en Italie14. Je pense que, dans ce contexte particulièrement lourd, Auguste pourrait s’être vu remettre la cura operum publicorum, nombre d’édifices de la ville ayant été endommagés par les flammes ou les eaux en crue. Ce faisant, je rejoins pour partie une opinion de J.-L. Ferrary qui, dans une étude sur les pouvoirs d’Auguste, parue en 2001 dans les Cahiers du centre Gustave Glotz, écrit :
« Après l’échec des deux censeurs qui furent élus en 22, la tradition eût voulu que, de la même façon, les fonctions censoriennes fussent dévolues aux consuls. Mais l’astuce fut de considérer que les fonctions censoriennes pouvaient l’être à Auguste sans qu’il eût à exercer le consulat, dès lors qu’il se trouvait à Rome et qu’il y était pourvu d’un consulare imperium… Et ce consulare imperium… doit tout simplement être celui qu’il avait conservé en 23 pour exercer le gouvernement de ses provinces. Après qu’en 19 Auguste se fut vu reconnaître le droit d’en porter les insignes et de l’exercer à Rome même, c’est sur lui qu’on greffa les fonctions censoriennes15 ».
13C’est, à mon sens, dès avant 19, qu’Auguste pourrait avoir récupéré certaines fonctions propres aux censeurs16.
14Si l’on accepte ma proposition, se pose alors la question de savoir à qui Auguste a délégué cette cura. Il convient de ne pas oublier que Suétone mentionne explicitement ces charges comme ayant été confiées à des sénateurs désireux de prendre part à l’administration de l’État. Pour tenter de répondre à la question posée, il faut reprendre le dossier des constructions publiques effectuées à Rome, depuis les premières années du Principat17. Depuis 31 av. J.-C., Octavien-Auguste géra chaque année le consulat et il lui arriva de recevoir en outre la puissance censorienne. Il lui était donc loisible d’intervenir à sa guise dans le domaine des travaux publics, ce qu’il ne manqua pas de faire ; ainsi mentionne-t-il dans les Res Gestae, les quatre-vingt-deux temples restaurés en la seule année 2818. Selon toute vraisemblance, c’est le fidèle Agrippa qui l’assista dans cette lourde tâche, lui qui depuis son édilité, gérée en 33, supervisait l’ensemble des travaux d’adduction d’eau de l’Vrbs et qui se lança, entre 27 et 25, à titre personnel, dans un programme de constructions évergétiques sans précédent, sur le Champ de Mars19. En 22 av. J.-C., quand Auguste fut, comme je le pense, investi de la cura operum publicorum, Agrippa était absent de Rome et il ne devait plus y faire que de brefs séjours avant sa mort (12 av. J.-C.). Il n’est donc pas certain que ce soit à lui qu’ait été confiée la charge des travaux publics. Auguste pourrait avoir délégué cette cura à un (ou plusieurs) sénateur(s), quelque temps après l’avoir reçue, ce qui expliquerait pourquoi cette charge vient en tête de l’énumération de Suétone. Je n’exclus donc pas qu’un (ou plusieurs) curateur(s) du type du curator aedium sacrarum monumentorumque publicorum tuendorum, attesté plus tardivement, ait été désigné par Auguste, chargé de veiller sur les monuments, sacrés et profanes, qui venaient de subir les assauts des eaux et des flammes. Il n’est pas impossible que, dans un premier temps et à l’instar d’autres curatèles – eaux, Tibre –, la fonction n’ait été pourvue que par intermittence, principalement lorsque le besoin s’en faisait sentir ; on sait qu’il y eut de nouvelles crues du Tibre en 13 av. J.-C. puis en 5 ap. J.-C.20 et de nouveaux incendies en 16, 14, 12, 7 av. J.-C., puis en 3, 6 et 15 ap. J.-C.21. Les occasions ne manquèrent donc pas de confier à des sénateurs le soin de veiller sur le patrimoine monumental de Rome et sur son entretien. Il est possible qu’en année normale, les magistrats ordinaires, à commencer par les édiles, aient pu suffire à veiller sur ce patrimoine et sur son entretien. Il est clair, en revanche, comme l’intitulé du poste mentionné ci-dessus le laisse d’ailleurs entendre, que les nouvelles constructions et certaines grosses restaurations, au demeurant moins nombreuses que précédemment, demeurèrent un domaine réservé au prince, à ses proches, au Sénat et à quelques magistrats, au premier rang desquels figurent les consuls, que nous voyons intervenir à plusieurs reprises au cours du règne, notamment en 222 et en 10 ap. J.-C.23, dans le cadre de la réfection des portes du mur servien24. La cura operum publicorum telle que Suétone l’entend n’inclut donc que la surveillance d’édifices publics, profanes (monumenta) ou sacrés (aedes sacrae), mais non la construction d’édifices nouveaux, devenu un apanage du pouvoir impérial.
La cvra alvei Tiberis
15Venons-en à la cura aluei Tiberis en laissant de côté celle des uiae, dont Dion Cassius dit qu’elle fut remise à Auguste en 20 av. J.-C. et aussitôt déléguée à des sénateurs, ainsi que celle des eaux, dont on sait par Frontin qu’elle est liée à la mort d’Agrippa et qu’elle fut confiée à une commission sénatoriale en 11 av. J.-C. Depuis les travaux de Th. Mommsen, on considère, sauf exception25, que la curatèle du Tibre est une création de Tibère, instituée en 15 ap. J.-C., d’après les témoignages de Dion Cassius et de Tacite26 ; des cippes existent par ailleurs, qui attestent que des curatores riparum, qui primi fuerunt (ou qui primi terminauerunt), opérèrent une révision générale du bornage27 ; Th. Mommsen fit un rapprochement entre les sources littéraires et ces bornes et en conclut que ces premiers curateurs remplirent leur mission en 15 ap. J.-C. Suétone se serait donc trompé en attribuant l’initiative de cette charge à Auguste ; c’est en réalité Tibère qui en serait à l’origine. J. Le Gall, dans sa synthèse sur le Tibre28, reprit l’examen de cette question et aboutit aux mêmes conclusions, se fondant sur les mêmes cippes et sur les trois mêmes passages de Suétone, Tacite et Dion Cassius29. Le premier et le dernier s’opposeraient, selon lui, mais Tacite viendrait heureusement les départager.
16Chacun de ces trois témoignages demande à être réexaminé de près, car je ne crois pas à une erreur de Suétone, non que cet auteur soit infaillible, mais parce que l’œuvre d’Auguste me semble infirmer cette théorie. Il faudrait en effet, si l’on suivait Th. Mommsen et J. Le Gall, accepter l’idée que le princeps reçut, dans le cours de son règne, toutes les curae ayant trait à la vie quotidienne des habitants de l’Vrbs, à l’exception de celle du Tibre ; on reconnaîtra qu’il y a là une incohérence dont il est d’autant plus difficile de se satisfaire que l’on sait, par Suétone30 et par l’épigraphie, qu’Auguste s’est effectivement intéressé, dans le cours de son règne, au fleuve nourricier de Rome.
17On a vu que Suétone, dans son énumération, place la cura aluei Tiberis en quatrième position. Tacite, pour sa part, mentionne dans les Annales, l’inondation de 15 et la réaction qu’elle suscita :
« La même année [15 ap. J.-C.], le Tibre, grossi par des pluies continuelles, avait inondé les bas quartiers de la ville ; son retrait causa la perte d’un grand nombre d’édifices et de vies humaines. En conséquence, Asinius Gallus proposa de consulter les Livres Sibyllins. Tibère refusa, aussi mystérieux quand il s’agissait des choses de la religion qu’en matière profane, mais on chargea Ateius Capito et L. Arruntius (de trouver) un remède propre à contenir le fleuve… Le Sénat examina ensuite, sur rapport d’Arruntius et d’Ateius si, pour régler les débordements du Tibre, il fallait détourner les fleuves et les lacs qui le grossissent, et on entendit les délégués des municipes et des colonies… Les prières des colonies ou la difficulté des travaux ou encore la superstition eurent pour effet qu’on se rangea à l’avis de Pison, qui avait conseillé de ne rien changer »31.
18Dion Cassius, enfin, livre l’information suivante, qui concerne l’année 15 de notre ère :
« Lorsque le Tibre en crue eut submergé une grande partie de la ville, au point qu’on circulait en barques, les gens recevaient cet événement comme un présage… Tibère, lui, jugeant que la cause en était plutôt l’excès du courant, demanda qu’il y ait toujours cinq sénateurs, tirés au sort, pour s’occuper du fleuve, afin qu’il ne déborde pas l’hiver, ni ne s’assèche l’été, mais coule toujours avec le débit le plus régulier possible »32.
19Les deux témoignages de Tacite et de Dion Cassius permettent de reconstituer les faits : en 15 ap. J.-C., devant l’ampleur d’une inondation, assortie, semble-t-il, d’autres fléaux (tremblements de terre, foudres), Tibère – qui avait refusé le recours aux Livres Sibyllins33 – et le Sénat chargèrent dans un premier temps deux sénateurs d’un rapport ; ceux-ci conseillèrent rien moins qu’une dérivation des affluents du Tibre ; après audition des représentants de plusieurs municipes et colonies d’Italie, deux décisions furent prises : on renonça à ces travaux titanesques et l’on mit sur pied une commission de cinq sénateurs, chargés de surveiller en continu le débit du fleuve. Ce seraient eux qui, sans dire leurs noms, auraient procédé à cette révision du bornage du fleuve, dont l’épigraphie a conservé le souvenir. Tacite, confortant les dires de Dion Cassius, J. Le Gall a conclu à une erreur de Suétone, ce que je ne pense pas être la bonne solution. Il me semble, au contraire, qu’à l’instar des autres secteurs de l’administration urbaine (ou de ce qui en tenait alors lieu), la charge de l’entretien du Tibre a bien été remise à Auguste, à une date qu’il faut tenter de déterminer. Je rappellerai que c’est avant tout sous le poids des événements que le princeps s’est vu confier plusieurs curae ; il n’y a guère de raison de penser qu’il n’en est pas allé de même pour la cura aluei Tiberis, dont l’apparition est certainement à mettre en rapport avec une crue du fleuve34.
20De ces débordements, quatre sont signalés par Dion Cassius pour le règne d’Auguste ; ils survinrent respectivement, on l’a vu35, en 23, 22, 13 av. J.-C. et en 5 ap. J.-C. On sait, par ailleurs, qu’en 8 av. J.-C. les consuls C. Marcius Censorinus36 et C. Asinius Gallus procédèrent à une terminatio du lit du Tibre, prenant la suite lointaine des censeurs de 55/54 av. J.-C., les derniers à avoir mené une telle opération37. Si borner le lit du fleuve revenait de manière privilégiée aux censeurs, il arrivait qu’en leur absence la charge échouât aux consuls, à défaut aux préteurs. Opérer la terminatio d’un fleuve consistait à délimiter ses rives en plantant, à distance régulière, des cippes mentionnant l’autorité ordonnatrice du bornage, éventuellement ceux qui l’effectuaient, enfin la distance par rapport au cippe suivant. Plus d’une vingtaine de cippes ont été retrouvés pour le bornage de 8 av. J.-C., qui présentent tous un formulaire standard : G(aius) Asinius G(aii) f(ilius), G(aius) Marcius L(ucii) nepos Censorinus, consules, ex s(enatus) c(onsulto) termin(auerunt)38.
21À la fin de leur année de charge, le bornage du fleuve n’était apparemment pas achevé ; ce que voyant, Auguste décida de le mener lui-même à son terme, désireux sans doute de laisser imprimée dans le sol des rives du Tibre une trace de son gouvernement39. En 7/6, de nouveaux cippes furent donc implantés sur les bords du fleuve, qui portent le texte suivant : Imp(erator) Caesar diui f(ilius) Augustus, pontifex maximus, tribunic(ia) potest(ate) XVII, ex s(enatus) c(onsulto) terminauit40.
22Comme on le voit, entre 8 et 7, les responsables de l’opération changèrent ; ce ne sont pas les consuls qui achevèrent la supervision du bornage, mais l’empereur, mandaté par le Sénat. Doit-on conclure que c’est en 7 av. J.-C. qu’Auguste revêtit la cura aluei Tiberis et qu’il la délégua à des curateurs de rang sénatorial ? Ce n’est guère possible, même si plusieurs des cippes du bornage augustéen mentionnent en outre ces fameux curatores qui primi fuerunt, traditionnellement rapportés à la crue de l’année 15 ap. J.-C. Mais ces curateurs, demeurés anonymes, apparaissent également sur certaines des bornes remontant à la terminatio opérée par les censeurs en 54 av. J.-C. et sur celles de 8 av. J.-C., mises en place sous l’autorité des consuls. Il faut donc en conclure que cette mention a été ajoutée après coup, une fois la remise en place des bornes de 54, 8 et 7/6 effectuée.
23C’est pourquoi une autre solution est de penser que c’est à l’occasion de la crue de l’année 5 ap. J.-C. – la dernière du règne – qu’Auguste aura reçu du SPQR la cura aluei Tiberis. Dion signale qu’à cette occasion, les bas-quartiers de Rome furent navigables sept jours durant41. Dans ce contexte, d’autant plus dramatique que beaucoup de constructions et de restaurations avaient été réalisées dans les zones basses de la Ville au cours des décennies précédentes, Auguste pourrait avoir décidé de mettre sur pied une commission de curateurs chargés de veiller sur le fleuve. C’est pourquoi, je propose de rapporter la commission de curateurs demeurés anonymes, non à la crue de 15 ap. J.-C, mais à celle de 5 ap. J.-C. ; la commission fut chargée par Auguste (officiellement par le Sénat) de remettre en place d’anciennes bornes déplacées lors de l’inondation ; là s’arrêtèrent toutefois leurs interventions, car ce n’est pas une commission à caractère administratif qui allait prétendre dompter le fleuve ; tout au plus pouvait-elle faire disparaître les traces de son courroux ; par crainte révérencieuse peut-être (envers le fleuve si ce n’est envers le prince), ces curateurs pourraient avoir préféré garder l’anonymat et s’être démis sitôt leur mission accomplie. On ne saurait oublier, en effet, que le fleuve était en même temps un dieu et qu’il réclamait, de ce fait, un traitement particulier.
24Si c’est bien de l’année 5 ap. J.-C. qu’il convient de dater la remise à Auguste de la cura aluei Tiberis et l’entrée en fonctions des premiers curateurs, comment comprendre les propos de Dion Cassius, qui signale la création par Tibère d’une commission de cinq sénateurs, chargés de veiller sur le débit du fleuve42 ? Il me semble qu’un mot de l’historien est passé jusqu’à présent inaperçu ; Dion dit, en effet : « Tibère, lui, jugeant que la cause en était plutôt l’excès du courant, demanda qu’il y ait toujours cinq sénateurs, tirés au sort, pour s’occuper du fleuve »43.
25Le mot n’ayant pas retenu l’attention est cet ἀεὶ ; qu’emploie l’historien ; la nouveauté de Tibère pourrait avoir consisté, non à créer la charge collégiale de curateur du Tibre, mais à avoir décidé qu’il y aurait désormais, en permanence, une commission de cinq sénateurs tirés au sort chargée de veiller sur le fleuve et travaillant à contrôler son débit44. Tibère aurait ainsi fait le pas qu’Auguste n’avait pas osé franchir, misant sur une réforme administrative pour calmer les débordements du dieu-fleuve. Son pragmatisme, appelons-le ainsi, n’échappa d’ailleurs pas à Tacite45.
26Suétone ne se sera donc pas trompé ; c’est à juste titre qu’il aura mentionné la curatèle du Tibre au nombre des charges nouvellement conçues par le princeps ; Tibère aura repris cette initiative à son compte, décidant d’en faire une fonction collégiale exercée en continu. Dion Cassius et Tacite ne viennent donc pas contredire Suétone, mais le complètent fort utilement.
Les distributions frumentaires
27La dernière des charges mentionnées par Suétone avant la préfecture de la Ville est la cura frumenti populo diuidundi, qui supervisait les distributions de blé accordées aux ayants droit de la capitale. Ces distributions régulières existaient, on le sait, depuis l’époque des Gracques. Si les fluctuations du nombre des bénéficiaires du blé public peuvent être suivies avec une assez bonne précision, plus incertaine, en revanche, est notre connaissance de l’administration qui avait à sa charge l’organisation matérielle des distributions46. Par Suétone et Dion Cassius, nous savons qu’en 46 ou 44 av. J.-C., deux nouveaux magistrats avaient fait leur apparition, à Rome, chargés de la cura annonae47 ; il s’agit des aediles ceriales, à qui incombèrent à la fois la régulation de l’approvisionnement en blé et les distributions. En 22 av. J.-C., on l’a vu plus haut, plusieurs catastrophes s’abattirent sur Rome, au nombre desquelles une sévère famine, qui imposa à Auguste de prendre quelques mesures drastiques, dont Dion Cassius se fait l’écho :
« Fatigués par la maladie et la famine (la peste, en effet, avait régné dans toute l’Italie, et personne n’avait cultivé la terre)… ils [les Romains] allèrent trouver Auguste, le priant de se laisser nommer dictateur et intendant de l’annone, comme autrefois Pompée. Auguste accepta par force cette dernière fonction, et ordonna que deux commissaires seraient choisis pour la répartition du blé [en les prenant] toujours parmi les citoyens qui avaient été préteurs cinq ans auparavant… [Après l’échec essuyé dans sa tentative de ressusciter la censure, Auguste] abolit complètement certains banquets, et en ramena d’autres à la frugalité. Il confia tous les jeux publics aux préteurs… Il chargea du soin d’éteindre les incendies les édiles curules »48.
28Le peuple et le Sénat, dans un mouvement consensuel, se tournèrent en cette circonstance dramatique vers l’empereur, le suppliant d’assumer sinon la dictature du moins la cura annonae. Auguste accepta, prenant le relais des édiles républicains, qui ne disparurent pas pour autant49.
29Désormais, cette charge ne devait cesser d’incomber aux empereurs ; le soin d’organiser les distributions fut confié à deux sénateurs de rang prétorien (ou théoriquement tels), renouvelés chaque année, qui, d’après les sources épigraphiques, portèrent le titre de curatores frumenti puis de praefecti frumenti dandi ex s(enatus) c(onsulto). On ignore quand s’opéra le changement de titulature50. En 18 av. J.-C., une légère modification intervint, qui porta le nombre des sénateurs responsables de deux à quatre. En outre, au lieu d’avoir géré la préture au moins cinq ans auparavant, on exigea seulement que trois années séparassent la préture de la « préfecture » des distributions51. Les titulaires de la charge se contentaient de procéder aux distributions frumentaires, sans s’occuper de la régulation de l’approvisionnement en blé et des cours, sur laquelle les aediles ceriales continuaient de veiller.
30En 2 av. J.-C., Auguste entreprit de réformer les frumentationes, réduisant drastiquement le nombre des bénéficiaires du blé public ; la mesure ne s’accompagna apparemment d’aucun changement dans le mode d’administration des distributions. En 6-7 ap. J.-C., en revanche, une nouvelle disette sévit à Rome, dont Dion Cassius se fait à deux reprises l’écho :
« Les gladiateurs et les esclaves à vendre furent éloignés de la ville… ; permission fut accordée aux sénateurs de voyager partout où il leur plairait… De plus, des consulaires furent préposés au blé et au pain, pour en vendre à chacun une quantité déterminée. Quant à ceux qui avaient part aux distributions, Auguste leur donna gratuitement une quantité de blé double de celle qu’ils avaient reçue en tout temps ; mais comme cette quantité même était insuffisante, il [Auguste] ne permit pas de célébrer son jour natal par des festins publics. Dans ce même temps, une grande partie de la ville ayant été détruite par le feu, il établit en sept endroits des postes d’affranchis destinés à porter des secours »52.
« Ainsi, il confia de nouveau l’administration de l’annone à deux consulaires auxquels il donna des licteurs »53.
31Dion Cassius, dans ces deux passages du livre 55, distingue clairement l’approvisionnement et la vente aux particuliers, des distributions publiques. Dans les deux cas, Auguste prit des mesures d’urgence : concernant les ventes, il institua temporairement, en 6 puis en 7, des consulaires, chargés de pourvoir au ravitaillement de la Ville en blé et de rationner les ventes de froment et de pain, dans un souci d’équité ; concernant les frumentationes, il fit distribuer gratuitement à la plèbe frumentaire une quantité double de celle qu’elle avait l’habitude de recevoir. Il s’agissait là d’un geste exceptionnel, permettant à l’empereur de manifester sa sollicitude et sa liberalitas d’évergète.
32À lire Dion Cassius, il ne semble pas qu’Auguste ait modifié l’organisation des distributions. L’empereur, en revanche, prit un train de mesures annexes, dont certaines sont identiques à celles de 22 av. J.-C. : expulsion d’esclaves et de gladiateurs, interdiction ou frein mis à l’organisation de banquets publics, lutte renforcée contre les incendies qui pouvaient toucher les horrea de la capitale… Au témoignage de Dion Cassius, on a la chance de pouvoir joindre celui de Suétone :
« Lors d’une terrible disette, difficile à combattre, il avait chassé de Rome les esclaves à vendre, les troupes de gladiateurs et tous les étrangers, à l’exception des médecins et des professeurs, ainsi qu’une partie des esclaves ; aussi, lorsqu’enfin le ravitaillement fut assuré, “il eut, écrit-il, la pensée de supprimer pour toujours les distributions de blé faites par l’État, parce que le peuple, comptant sur elles, abandonnait la culture de la terre ; mais il ne s’y arrêta point, dans la conviction que le désir de la popularité pourrait un jour les faire rétablir”. Par la suite, il le réglementa de façon à ménager les intérêts des agriculteurs et des commerçants, aussi bien que ceux du peuple »54.
33Auguste, une fois la crise passée, amenda la réglementation des frumentationes dans le sens de la modération (temperauit) ; peut-être agit-il ainsi en 8 ap. J.-C., année qui constitue par ailleurs un terminus post quem pour l’apparition de la préfecture de l’annone55. De cette même année, C. Virlouvet date un second recensus d’Auguste ; pour cet auteur, la réforme alors accomplie ne consista pas en une diminution des rations octroyées, mais en une réduction du nombre des bénéficiaires, désormais porté à 150.000 environ56.
34L’année 8 ap. J.-C. fut donc capitale pour le secteur des distributions et du ravitaillement urbain, autrement dit pour la cura annonae au sens républicain du terme, assumée depuis 22 av. J.-C. par le princeps. Les frumentationes ne furent apparemment pas modifiées dans leur organisation et leur fonctionnement, mais le nombre des bénéficiaires fut revu à la baisse ; quant à l’approvisionnement de la Ville, il incomba désormais à un nouveau fonctionnaire, le préfet de l’annone, de rang équestre. Ces charges devaient demeurer pratiquement inchangées jusqu’à l’époque tardive.
35On a donc le sentiment que les mesures prises depuis 22 av. J.-C. trouvèrent leur point d’orgue dans les réformes de 8 ap. J.-C., qui donnèrent une organisation définitive à ce secteur clef de l’administration, dont dépendait pour une bonne part la sécurité urbaine.
36Aussi, et pour revenir à la citation de Suétone, point de départ de ma réflexion, je suggérerai de voir dans la cura frumenti populo diuidundi – la dernière des curae citées par l’historien – une formule qui synthétiserait en quelque sorte les différentes initiatives prises par le princeps dans le secteur des frumentationes. Derrière cette formule se cacheraient les mesures successivement prises en 22, 18 et 2 av. J.-C., ainsi que celles suscitées par la famine de 6-7 ap. J.-C. Suétone, à dessein, n’emploie pas l’expression cura annonae, qui pourrait prêter à confusion, intégrant le ravitaillement de la Ville, dont il ne parle évidemment pas dans ce paragraphe consacré aux sénateurs. On peut s’étonner, en revanche, qu’il ne donne pas à la fonction le titre qui devint le sien dès le règne d’Auguste, et qui était toujours en vigueur à sa propre époque : praefectura frumenti dandi, titre attesté par Frontin, qui reproduit un sénatus-consulte de 11 av. J.-C., mentionnant les praefecti frumento dando57. Ce choix particulier de Suétone s’explique sans doute par la présence voisine des autres charges citées par l’historien, qui les englobe toutes sous le terme de cura, employé au singulier.
37En définitive, je pense que la place qu’occupe la cura frumenti populo diuidundi dans l’énumération de Suétone n’a rien d’incongru, l’historien ayant fait le choix de retenir la dernière des interventions impériales, celle de 8 ap. J.-C., comme critère d’insertion58. J’ai rappelé plus haut que cette réforme fut la plus importante d’une certaine manière, puisqu’elle toucha à la fois les distributions et l’approvisionnement, secteur que l’auteur n’aborde délibérément pas mais qu’il avait assurément en tête. La place occupée dans l’énumération par les distributions, prises isolément, se justifie de toute façon par le seul fait que la réforme de 8 ap. J.-C. a achevé de donner à la charge sa configuration définitive ; désormais, tant le contenu de la fonction que l’autorité responsable et les sujets bénéficiaires étaient précisément définis et identifiés. On pourrait tout au plus reprocher à Suétone une légère inexactitude, puisque cette cura exista dans les faits depuis 22/18 av. J.-C., mais l’historien a fait apparemment un autre choix, qui se justifie par l’importance de la réforme de 8 ap. J.-C.
38Au terme de cette analyse et pour la résumer, il me semble qu’un certain nombre de conclusions méritent d’être formulées concernant la genèse des administrations urbaines. Il convient, en premier lieu, d’insister sur l’importance des événements, à la fois institutionnels et naturels, survenus en 23-22 av. J.-C. En 23, Auguste renonça au consulat et à l’imperium qui en dépendait, recevant en échange la puissance tribunicienne, sans grand intérêt pour ce qui était des programmes d’urbanisme. L’année suivante, une restauration de la censure fut tentée, qui demeura sans lendemains. En ces mêmes années, en outre, deux crues du Tibre, une disette et d’autres catastrophes naturelles incitèrent le Sénat et le peuple romain à remettre à l’empereur plusieurs charges vitales pour les Romains, parmi lesquelles la cura annonae et, à mon sens, la cura operum publicorum. La cura aquarum fit exception, en raison du rôle prédominant joué en ce domaine par Agrippa, de même, semble-t-il, que la cura aluei Tiberis. Il faut par ailleurs insister sur l’habileté d’Auguste, qui sut profiter des circonstances pour se faire remettre un certain nombre de charges administratives, naguère apanage des censeurs. Qu’il s’agisse d’un vide institutionnel, du décès d’Agrippa ou encore de catastrophes naturelles (disette, débordement du fleuve), le princeps sut saisir les bonnes occasions pour mettre la main sur des secteurs clef de l’administration urbaine. Ses initiatives ne doivent donc pas être comprises comme la mise en œuvre d’un plan préconçu ; elles témoignent, bien au contraire, d’une remarquable réactivité et d’une éminente capacité à savoir s’adapter et tirer parti des circonstances.
39En définitive et pour en revenir aux propos de Suétone, il me semble que l’historien énumère dans un ordre chronologique les nouvelles curae reçues par Auguste et peu à peu déléguées par lui à des commissions sénatoriales ; celles-ci n’apparurent que lorsque leur nécessité se fit sentir. Le critère retenu par Suétone aura été celui de la réception des charges par Auguste et de leur remise à des sénateurs. En 22 av. J.-C., à mon sens, Auguste aura reçu plusieurs curae : celle de l’annone et celle des travaux publics ; en 20, il reçut la cura uiarum, aussitôt confiée à une commission de sénateurs. Celle des eaux ne vit le jour qu’en 11 av. J.-C., au lendemain de la mort d’Agrippa. En ce qui concerne le Tibre, mon sentiment est que la première commission sénatoriale fut mise sur pied en 5 ap. J.-C., à la suite d’une forte crue. Enfin, le secteur de l’annone ayant été fondamentalement réorganisé vers 8 ap. J.-C., c’est cette date que Suétone aura selon toute vraisemblance retenue.
40Dans cette sèche énumération, Suétone ne se sera donc pas contenté de citer en vrac les différentes initiatives prises par le princeps en matière d’administration urbaine ; il les aura au préalable classées dans l’ordre a priori le plus logique et le plus naturel, celui de la chronologie. Ce faisant, il laisse transparaître le remarquable pragmatisme dont Auguste sut faire preuve tout au long de son règne. Bien que ses qualités de restaurateur (restitutor) soient louées sur tous les tons par les auteurs anciens et par lui-même, c’est bien à un véritable fondateur (conditor) que les Romains, à commencer par ceux de Rome, confièrent leur destinée et leur vie quotidienne. S’il arrive de tenir les Romains pour un peuple rustique, dénué d’imagination et n’ayant rien inventé59, à l’inverse des Grecs, avouons qu’en matière d’administration et de logistique urbaines, il est difficile de ne pas leur reconnaître un certain talent, dont le monde occidental sut, à bon droit, s’inspirer.
Notes de bas de page
1 Suet., Aug., 37, 1 : Quoque plures partem administrandae reipublicae caperent, noua officia excogitauit : curam operum publicorum, uiarum, aquarum, aluei Tiberis, frumenti populo diuidundi, praefecturam Vrbis, triumuiratum legendi Senatus, et alterum recognoscendi turmas equitum, quotiensque opus esset. Quelques remarques sur ce passage dans C. Bruun, « Der Kaiser und die stadtrömische curae : Geschichte und Bedeutung », dans A. Kolb (éd.), Herrschaftsstrukturen und Herrschaftspraxis. Konzepte, Prinzipien und Strategien der Administration im römischen Kaiserreich, Berlin, 2006 (= Administration), p. 89-114, part. p. 91. L’auteur s’interroge sur les mobiles ayant conduit Auguste à mettre sur pied les services administratifs couramment appelés les « grandes curatèles urbaines ». Il met en avant deux raisons, qu’il convient, à son sens, de combiner : le désir pour Auguste d’intégrer dans son système administratif (« Herrschaftssystem ») un certain nombre d’éminents sénateurs et la nécessité pour le princeps de se décharger sur ces derniers d’obligations qu’il ne pouvait assumer toutes en personne. J’éprouve personnellement une grande réserve à l’égard du concept de « système administratif » ; les initiatives administratives d’Auguste résultent d’une adaptation aux circonstances plus que d’un plan ou d’un système préconçu auquel l’expression « Herrschaftssystem » pourrait conduire à penser.
2 A. Daguet-Gagey, « Auguste et la cura operum publicorum », dans S. Demougin, X. Loriot, P. Cosme, S. Lefebvre (éd.), H.-G. Pflaum. Un historien du xxe siècle, Genève, 2006, p. 435-456 (= Auguste). Voir aussi A. Kolb, Die kaiserliche Bauverwaltung in der Stadt Rom. Geschichte und Aufbau der cura operum publicorum unter dem Principat, Stuttgart, 1993 p. 21-28.
3 Dio Cass., 54, 8, 4 (éd. U. P. Boissevain-trad. E. Cary-H. B. Foster, « Loeb Classical Library », Cambridge (U.S.A.)-Londres, 1961, revue) : τότε δὲ αὐτος τε προστάτης τῶν περὶ τὴν ‘Ρώμην ὁδῶν αἱρεθεὶς καὶ τò χρυσοῦν Μίλιον κεκλημένον ἔστησε, καὶ ὁδοκοιοὺς αὐταις ἐκ τῶν ἐστρατηγηκότων. ῥ̳αβδούχοὶς δύο χρωμένοὺς. προσέταξε ; « pour le moment, nommé curateur des voies à l’entour de Rome, il éleva ce que l’on appelle le Mille d’or, et il établit pour entretenir ces voies d’anciens préteurs qui avaient droit à deux licteurs ». La mention vient après l’épisode de la restitution, en 20 av. J.-C., des enseignes prises à Crassus par les Parthes ; ce n’est qu’en 54, 10 que Dion Cassius passe à l’année 19 av. J.-C. ; l’initiative d’Auguste de confier la supervision des grandes routes partant de Rome à un collège de deux anciens préteurs, disposant chacun de deux licteurs, remonte donc logiquement à 20 av. J.-C. ; ces personnages prenaient la suite des deux commissaires républicains, naguère chargés des routes au-delà des murs (cf. D. C., 54, 26, 6). Voir W. Eck, « Cura viarum und cura operum publicorum als kollegiale Ämter im frühen Prinzipat », Klio, 74, 1992, p. 237-245 (= Die Verwaltung des römischen Reiches in der Hohen Kaiserzeit. Ausgewählte uns erweiterte Beiträge, 1. Band, Bâle, 1995, p. 281-293) ; id., « Costruzione e amministrazione stradale », dans L’Italia e l’impero romano. Stato e amministrazione in epoca imperiale, Bari, 1999, p. 27-91, part. p. 27 et 39.
4 Fron., aqu., 99, 2 ; 4 (éd.-trad. P. Grimal, CUF, Paris, 1961) : Post eum Q. Aelio Tuberone Paulo Fabio Maximo cos., in re quae usque in id tempus quasi potestate acta certo iure eguisset, senatus consulta facta sunt ac lex promulgata… et rei continendae exercendaeque curatorem fecit Messalam Coruinum cui adiutores dati Postumius Sulpicius Praetorius et L. Cominius pedarius ; « après Agrippa, sous le consulat de Q. Aelius Tubero et Paulus Fabius Maximus, dans cette matière qui jusque-là avait été traitée en vertu des pouvoirs particuliers des magistrats sans législation définie, on prit des sénatus-consultes et on promulgua une loi… et, pour gérer cette administration, il nomma curateur Messala Corvinus avec, comme seconds, Postumius Sulpicius, un ancien préteur, et L. Cominius, qui n’avait pas encore exercé de magistrature » ; voir sur ce service C. Bruun, The Water Supply of Ancient Rome. A Study of Roman Imperial Administration (Commentationes Humanarum Litterarum 93), Helsinki, 1991 ; id., « Der Kaiser und die stadtrömische curae : Geschichte und Bedeutung », dans Administration, p. 89-114. Sur Frontin et son ouvrage, voir M. Peachin, Frontinus and the curae of the curator aquarum (Alte Geschichte 39), Stuttgart, 2004.
5 Voir infra, p. 354-356.
6 Th. Mommsen, Das römische Staatsrecht3, Leipzig, 1871-1887, 2, p. 1046 (= Le droit public romain, Paris, 1894-1896, réimpression 1984, 5, p. 346 [= DP]) ; J. Le Gall, Le Tibre, fleuve de Rome dans l’Antiquité, Paris, 1953 (= Le Tibre), rééd. récente avec traduction italienne : Il Tevere, fiume di Roma nell’antichità. A cura di G. Mocchegiani Carpano, G. Pisani Sartorio, Rome, 2005 (= Il Tevere).
7 Voir G. S. Aldrete, Floods of the Tiber in Ancient Rome, Baltimore, 2007, p. 199 (= Floods of the Tiber).
8 Jo. Lyd., Περὶ ἀρχῶν τῆς Ρωμαίων πολιτείας, 1, 34, 7 :, 1, 34, 7 : Τò γὰρ τῶν ἔργων σκρινίον οὐκ ὂν ἀπ’ ἀρχης ὁ Αὔγουστος προσένειμε τῇ ἀρχῇ, τὴν ἐν τῇ Ῥώμῃ βασιλικὴν ἀνεγείρων, ὡς ὁ Τράγξυλλος εἷπε ϕιλολόγως ; « quant au bureau des travaux, qui n’existait pas à l’origine, Auguste le réunit à ce service [i. e. la préfecture urbaine], au moment où il fit construire, à Rome, la basilique, comme le rapporte Tranquillus, en érudit qu’il est ». Dans la récente édition parue aux Belles Lettres (M. Dubuisson-J. Schamp éd.-trad., CUF, Paris, 2006), le passage est ainsi traduit : « Les archives des travaux n’existaient pas au départ ; c’est Auguste qui les assigna à cette magistrature en faisant bâtir la basilique de Rome, comme le dit l’érudit Tranquillus ». Je ne suis pas cette traduction.
9 Première série : CIL, VI, 1267 a et p. 4366 ; CIL, VI, 1267 b ; CIL, VI, 31573 (ILS, 5940) ; deuxième série : CIL, VI, 31574 (ILS, 5941) ; CIL, VI, 37037 ; troisième série : CIL, VI, 1266 (ILS, 5939) et p. 4366 ; quatrième série : CIL, VI, 40883. Quelques décennies auparavant, César avait doté la cité de Vienne, en Narbonnaise, de IIIIuiri locorum publicorum persequendorum, magistrats chargés de rechercher et de récupérer pour le compte de la cité des terrains publics sans doute accaparés par des particuliers ; CIL, XII, 1869-1870, par exemple.
10 Il s’agit de Q. Varius Geminus, originaire de Superaequum (Samnium) : CIL, IX, 3306 (ILS, 932) ; cf. Suppl. It., 5, p. 98.
11 A. Daguet-Gagey, Auguste, p. 450-452.
12 Dio Cass., 54, 2, 1-3 : Οὔτε γὰρ τὴν ἀρχὴν ὑπέστη, καὶ εὐθύς ἑτέροὺς τιμητάς. Παῦλóν τε Αἰμίλιον Λέπιδον καὶ Λούκιον Μουνάτιον Πλάγκον. τοῦτον μὲν ἀδελϕòν τοῦ Πλάγκου ἐκείνου τοῦ ἐπικηρυχθέντος ὄντα. τòν δὲ δὴ Λέπιδον αὐτòν τότε θανατωθέντα. ἀπέδειξεν... καὶ μετὰ τοῦτ’ οὐδένες ἅλλοι τιμηταὶ ὅμοιοι αὐτοῖς ἅμα ἐγένοντο. Καὶ τότε δὲ ὁ Αὔγουστος, καίπερ ἐκείνων αἱρεθέντων. πολλὰ τῶν ἐς αὐτοὺς ἀνηκόντων ἕπραξε ; « au lieu de se charger de cette magistrature, il nomma sur le champ censeurs, Paullus Aemilius Lepidus et Lucius Munatius Plancus, l’un, frère de ce Plancus qui avait été proscrit, l’autre, Lépidus, condamné à mort à cette époque. [Ils furent les derniers des simples citoyens qui exercèrent ensemble la censure, comme le leur signifia, à l’instant même un prodige : la tribune sur laquelle ils devaient remplir quelques-unes des fonctions de leur charge s’écroula, lorsqu’ils y montèrent, le premier jour de leur magistrature, et elle se brisa] ; et, après eux, il n’y eut plus d’exemple de deux censeurs ainsi créés. D’ailleurs, Auguste, bien qu’ils aient été choisis, remplit plusieurs des fonctions qui leur appartenaient ».
13 G. S. Aldrete, Floods of the Tiber, p. 24.
14 Dio Cass., 54, 1.
15 J.-L. Ferrary, « À propos des pouvoirs d’Auguste », CGG, 12, 2001, p. 101-154, ici p. 126.
16 En 22 av. J.-C., Auguste consacre le temple de Jupiter Tonnant ; ce dernier avait sans doute été commencé en 24.
17 A. Scheithauer, Kaiserliche Bautätigkeit in Rom. Das Echo in der antiken Literatur, Stuttgart, 2000, p. 27-74 ; M. Tarpin, Roma Fortunata. Identité et mutations d’une ville éternelle, Gollion, 2001, p. 200-239, avec la bibliographie antérieure ; dernièrement, L. Haselberger, Urbem adornare. Die Stadt Rom und ihre Gestaltumwandlung unter Augustus. Rome’s Urban Metamorphosis under Augustus (JRA suppl. 64), Portsmouth, 2007 (= Urbem adornare), p. 256-265 (liste des monuments érigés à Rome sous Auguste).
18 RGDA, 20 4 (éd.-trad. J. Scheid, CUF, Paris, 2007). Deux raisons expliquent l’importance de ce chiffre : la première tient à la négligence dans laquelle le patrimoine monumental de la Ville avait été tenu au cours des décennies précédentes, la seconde aux incendies, véritable pandémie de la Rome antique. En reprenant les cas recensés par R. Sablayrolles dans son étude sur les vigiles (Libertinus miles. Les cohortes de vigiles, Rome, 1996 [= Libertinus miles], p. 778-781 et n. 33), on arrive aux conclusions suivantes : entre 58 et 44 av. J.-C., pas moins de neuf incendies sont attestés ; entre 41 et 31 av. J.-C., c’est à quatre reprises encore que Rome a en partie brûlé : sur une période de vingt-sept ans, l’Vrbs aura donc été victime de quatorze sinistres, soit en moyenne un tous les deux ans, auxquels il convient d’ajouter ceux dont aucune trace n’a été conservée. C’est dire l’urgence et l’ampleur de la renouatio Vrbis, et l’ardeur qu’Auguste mit à l’accomplir. L’attention précocement prêtée par Auguste à l’urbanisme de Rome est confirmée par Vitruve, dans sa préface du livre I du De architectura (praef. 1-3) ; sur ce passage, voir P. Gros, « Munus non ingratum. Le traité vitruvien et la notion de service », dans Le projet de Vitruve. Objet, destinataire et réception du De architectura. Actes du Colloque international, Rome, 26-27 mars 1993, Rome, 1994, p. 75-90 (= P. Gros, Vitruve et la tradition des traités d’architecture. Fabrica et ratiocinatio, Rome, 2006, p. 311-326), part. p. 80-84 (= 316-320).
19 F. W. Shipley, Agrippa’s Building Activities in Rome, St Louis, 1933; J.-M. Roddaz, Marcus Agrippa (BEFAR 253), Rome, 1984, p. 231-298.
20 G. S. Aldrete, Floods of the Tiber, p. 242.
21 R. Sablayrolles, Libertinus miles, p. 782-784.
22 L. Haselberger, Urbem adornare, p. 28-32 et p. 64-69. Sur les travaux orchestrés par les consuls : CIL, VI, 1385 : P. Lentulus Cn. f. Scipio, / T. Quinctius Crispinus Valerianus, / co(n)s(ules), / ex s(enatus) c(onsulto) / faciundum curauerunt idemque / probauer(unt) ; voir F. Coarelli, Il foro boario dalle origini alla fine della Repubblica, Rome, 1988 (= Il foro boario), p. 42-50.
23 CIL, VI, 1384 : P. Cornelius P. f(ilius) Dolabella, / C. Iunius C. f(ilius) Silanus, flamen Martial(is), / co(n)s(ules), / ex s(enatus) c(onsulto) / faciundum curauerunt idemque probauerunt ; F. Coarelli, Il foro boario, p. 45 sv.
24 C. Bruun, dans Administration, p. 99.
25 Cf. E. Kornemann, RE, 4, 2, Stuttgart, 1901, col. 1790-1791, un des premiers à avoir donné crédit au texte de Suétone. Mais la « vulgate » mommsenienne, confortée par la thèse de J. Le Gall (Le Tibre), s’est ensuite imposée ; voir encore M. M. Segarra Lagunes, Il Tevere e Roma. Storia di una simbiosi, Rome, 2004, p. 307-308. Tout récemment cependant, G. S. Aldrete, Floods of the Tiber, p. 198-199, a rendu à Auguste l’initiative de la curatèle du Tibre.
26 Th. Mommsen, Das römische Staatsrecht, 2, p. 1046 (= DP, 5, p. 346) : « La cura du cours du Tibre a seulement été instituée par Tibère en l’an 15 ap. J.-C. ».
27 Curatores riparum qui primi fuerunt ex s. c. restituerunt : CIL, VI, 31541, g (= 1235, f = CIL, VI, 8, 2, p. 4360), o (= 1235, g = CIL, VI, 8, 2, p. 4360), r (= 1235, r = CIL, VI, 8, 2, p. 4360), s (= 1235, m = CIL, VI, 8, 2, p. 4360) : cippes de 8 av. J.-C. ; CIL, VI, 31557 d (= CIL, VI, 8, 2, p. 4363) : fragment illisible. Curatores qui primi terminauerunt ex s. c. restituerunt : CIL, VI, 31540, l (= 1234, g = CIL, VI, 8, 2, p. 4360) : cippe de 54 av. J.-C. ; CIL, VI, 31541 f (= 1235 e), g, h (= ILS, 5923, d), i, k, o ; u (= CIL, VI, 8, 2, p. 4361) : cippes de 8 av. J.-C. ; CIL, VI, 31542 s (= ILS, 5924, d = CIL, VI, 8, 2, p. 4362) : cippe de 7/6 av. J.-C.
28 J. Le Gall, Le Tibre.
29 Voir ci-après les textes de Tacite et de Dion Cassius.
30 Suet., Aug., 30, 2 : Ad coercendas inundationes alueum Tiberis laxauit et repurgauit, completum olim ruderibus, et aedificiorum prolationibus coartatum ; « … il fit élargir et curer le lit du Tibre, à la longue rempli de décombres et rétréci par l’extension des édifices ».
31 Tac., ann., 1, 76 et 79 (éd.-trad. P. Wuilleumier, CUF, Paris, 1974) : Eodem anno, continuis imbribus auctus Tiberis plana urbis stagnauerat ; relabentem secuta est aedificiorum et hominum strages. Igitur censuit Asinius Gallus ut Libri Sibyllini adirentur. Renuit Tiberius, perinde diuina humanaque obtegens ; sed remedium coercendi fluminis Ateius Capito et L. Arruntio mandatum… Actum deinde in senatu ab Arruntio et Ateio an ob moderandas Tiberis exundationes uerterentur flumina et lacus, per quos augescit ; auditaeque municipiorum et coloniarum legationes… Seu preces coloniarum, seu difficultas operum, siue superstitio ualuit ut in sententiam Pisonis concederetur, qui nil mutandum censuerat.
32 Dio Cass., 57, 14, 7-8 (trad. J. Auberger, La Roue à Livres, Paris, 1995) : Τοῦ τε ποταμοῦ τοῦ Τιβέριδος πολλὰ τῆς πόλεως κατασχόντος ὥστε πλευσθῆναι, οἱ μὲν ἄλλοι ἐν τέρατος λόγῳ καὶ τοῦτο... ἐκεῖνος δὲ δὴ νομίσας ἐκ πολυπληθίας ναμάτων αὐτò γεγονέναι πέντε ἀεὶ βου-λευτὰς κληρωτοὺς ἐπιμελεῖσθαι τοῦ ποταμού προσέταξεν, ἵνα μήτε τοῦ χειμῶνος πλεονάζῃ μήτε τοῦ θέροῦ ἐλλείπῃ, ἀλλ’ ἴσος ὅτι μάλιστα ἀεὶ ῥέη.
33 La consultation des Livres Sibyllins, fréquente en pareilles circonstances, fut proposée par le XVuir sacris faciundis Asinius Gallus (PIR2, A 1229). Ce dernier, consul en 8 av. J.-C., avait supervisé un bornage du fleuve avec son collègue C. Marcius Censorinus.
34 Sur ce sujet, voir l’ouvrage récent de G. S. Aldrete, Floods of the Tiber.
35 Supra, p. 344, 348 et n. 20.
36 PIR2, M 222.
37 J. Le Gall, Le Tibre, p. 149-154 (= Il Tevere, p. 173-178). C’est sans nul doute à l’invitation d’Auguste que les consuls engagèrent une nouvelle terminatio. Or, c’est en cette même année qu’Auguste procéda à un census et à la division de Rome en quatorze régions (première mention en 7 av. J.-C. chez D. C., 55, 8, 7 ; voir F. Coarelli, Il foro boario, p. 54-56) ; le prince aura voulu donner l’impression de respecter les pratiques républicaines, en l’occurrence censoriennes, en faisant coïncider recensement, division de la Ville en régions et terminatio. En cette même année 8, Auguste fit également restaurer les portes du mur servien (F. Coarelli, Il foro boario, p. 54-59).
38 Les références des cippes sont données par J. Le Gall, Le Tibre, p. 152-154 (= Il Tevere, p. 176-178). Ajouter aux vingt-quatre cippes CIL, VI, 40859-40861.
39 La même alternance consuls/empereurs s’observe pour la réfection des portes de la Ville ; voir supra, p. 348-349.
40 J. Le Gall, Le Tibre, p. 154-155 (= Il Tevere, p. 178-179) ; F. Coarelli, Il foro boario, p. 57-58. Vingt-deux cippes portent ce texte. La 17e puissance tribunicienne reporte à la période 1er juillet 7-30 juin 6 av. J.-C.
41 Dio Cass., 55, 22 : ... καὶ ὁ Τίβερις τήν τε γέϕυραν κατέσυρε, καὶ πλωτὴν τὴν πόλιν ἐπὶ ἑπτὰ ἡμέρας ἐποίησε ; « le Tibre entraîna le pont [Sublicius] et rendit pendant sept jours la ville navigable ».
42 Une autre question se pose : qui a supervisé, au nom d’Auguste, la fin du bornage de 7/6 av. J.-C. ? Il est probable que les entrepreneurs retenus par les consuls auront achevé leur travail, sur la base des contrats précédemment conclus ; il reste qu’on ignore qui, du prince ou de son entourage, s’est occupé de la probatio, c’est-à-dire de la réception des travaux.
43 Dio Cass., 57, 14, 8 : ἐκείνõς δὲ δὴ νομίσας ἐκ πολυπληθίας ναμάτων αὐτò γεγονέναι πέντε ἀεὶ βουλευτὰς κληρωτοὺς ἐπιμελεῖσθαι τοῦ ποταμοῦ προσέταξεν.
44 C’est exactement le point de vue défendu par G. S. Aldrete, Floods of the Tiber, p. 198 sv.
45 Tacite oppose clairement le pragmatisme de Tibère, mis sur le compte d’un comportement mystérieux en matière religieuse, et la superstition qui fit repousser les travaux conseillés par les rapporteurs du Sénat ; le dieu Tibre, en effet, « ne voulait pas, privé de ses affluents, continuer à couler avec une gloire amoindrie » (nolle prorsus accolis fluius orbatum minore gloria fluere, ann., 1, 79, 3).
46 D. van Berchem, Les distributions de blé et d’argent à la plèbe romaine sous l’Empire, Genève, 1939, p. 15-31 (= Les distributions de blé) ; H. Pavis d’Escurac, La préfecture de l’annone, service administratif impérial d’Auguste à Constantin (BEFAR 226), Rome, 1977, p. 3-10 (= La préfecture de l’annone) ; G. Rickman, The Corn Supply of Ancient Rome, 1980, p. 48-62 ; B. Sirkks, Food for Rome, Amsterdam, 1991, p. 12-13 ; C. Virlouvet, Famines et émeutes à Rome des origines à la mort de Néron (CEFR 87), Rome, 1985, p. 102-110 ; ead., Tessera frumentaria. Les procédures de la distribution du blé public à Rome (BEFAR 286), Rome, 1995, p. 165-196 (= Tessera frumentaria) ; E. Lo Cascio, « Le procedure di recensus dalla tarda Repubblica al tardo antico e il calcolo della popolazione di Roma », dans La Rome impériale. Démographie et logistique (CEFR 230), Rome, 1997, p. 3-38 ; E. Höbenreich, Annona. Juristische Aspekte der Stadtrömischen Lebensmittelversorgung im Prinzipat (Grazer Rechts-und Staatswissenschaftliche Studien 55), Graz, 1997 (= Annona).
47 Suet., Caes., 41 ; D. C., 43, 51, 3 ; Dig., I, 2, 2, 32. Certains historiens optent pour l’année 46, celle où César fit un recensus qui ramena à 150.000 le nombre des bénéficiaires du blé public (ainsi C. Nicolet, Rome et la conquête du monde méditerranéen. Tome 1 : Les structures de l’Italie romaine, Paris, 1979, tableau III). L’année 44 est donnée par Dion Cassius. Le nombre des bénéficiaires du blé public devait de nouveau augmenter après la mort du dictateur.
48 Dio Cass., 54, 1-2: Πονούμενοι ον ὑπò τε τῆς νόσου καὶ ὑπò τοῦ λιμού (ἔν τε γὰρ τῇ Ἰταλίᾳ πάσῃ ὁ λοιμòς ἐγένετο. καὶ τὴν χώραν οὐδεὶς εἰργάσατο) ... προσῆλθον αὐτῷ. δικτάτορά τε ἅμα δεόμενοι λεχθῆναι, καὶ ἐπιμελητὴν τοῦ σίτου, καθάπερ ποτὲ τòν Πομπήιον, γενε-'σθαι. Καὶ ὃς τοῦτο μὲν ἀναγκαίῶ έδέξατο, καὶ ἐκέλευσε δύο ἄνδρας τῶν πρò πέντε που ἀεὶ ἐτῶν ἐστρατηγηκότων πρòς τὴν τοῦ σίτου διάομὴν κατ’ ἔτος αἱρεῖσθαι·... Τῶν τε συσσιτίων τὰ μὲν κατέλυσε, τὰ δὲ πρòς τò σωϕρονέστερον συνέστειλε. Καὶ τοῖς μέν στρατηγοῖς τὰς πανηγύρεις πάσας προσέταξεν... τοῖς δ’ ἀγορανόμοις τοῖς κουρουλίοις τὴν τῶν ἐμπιμπραμε ’νων κατάσβεσιν ἐνεχείρισεν.
49 H. Pavis d’Escurac, La préfecture de l’annone, p. 11-19 ; E. Höbenreich, Annona, p. 35-36.
50 Voir D. van Berchem, Les distributions de blé, p. 68-69 ; H.-G. Pflaum, « Du nouveau sur les agri decumates à la lumière d’un fragment de Capoue, CIL, X, 3872 », BJ, 163, 1963, p. 224-237, part. p. 234 (= Scripta Varia, II : Gaule et empire romain, Paris, 1981, p. 85-98) ; le premier titulaire connu est L. Memmius, C. f. Gal., frumenti curator ex s. c. (CIL, VI, 1460 [ILS, 887]) ; on connaît encore pour le règne d’Auguste l’anonyme CIL, VI, 1480 (= ILS, 907), cur(ator) fru(menti) ; tous deux gérèrent cette fonction avant la préture semble-t-il ; Q. Varius Geminus, étudié ci-dessus, fut, également avant la préture, praef(ectus) frum(enti) dandi ex s. c. ; il géra apparemment cette charge après son vigintivirat, alors qu’il n’était sans doute encore que chevalier ; voir supra, p. 346 et n. 11. On ne connaît depuis lors que des préfets de rang prétorien. Dion Cassius pourrait avoir anticipé ou abusivement généralisé la qualité d’anciens préteurs attribuée aux responsables des distributions.
51 Dio Cass., 54, 17, 1.
52 Dio Cass., 55, 26: ὥσθ’ ὑπ’ αὐτοῦ τούς τε μονομαχοῦντας καὶ τὰ ἀνδράποδα τὰ ὤνια ὑπὲρ πεντήκοντα καὶ ἐπτακοσίους σταδίους ἐξωσθήναι... ἐκδημεῖν τε τοῖς βουλευταῖς ἔνθα ἂν ἐθελήσωσιν ἐπιτραπῆναι... καὶ προσέτι καὶ ἄνδρες ὑπατευκότες ἐπί τε τοῦ σίτου καὶ ἐπὶ τοῦ ἄρτου κατέστησαν, ὥστε τακτòν ἐκάστῳ πιπράσκεσθαι. ἐπέδωκε μὲν γὰρ καὶ προῖκα ὁ Αὔγουστος τοῖς σιτοδοτουμένοις τοσοῦτον ἕτερον ὅσον ἀεὶ ἐλάμβανον ὡς δ’οὐδὲ ἐκεῖνό σϕισιν ἐξήρκεσεν, οὐδὲ ἐς τὰ ἑαυτοῦ γενέθλια δημοσίᾳ αὐτοὐς ἑστιαθῆναι εἴασεν.
53 Dio Cass., 55, 31: δύο αθις ἐκ τῶν ὑπατευκότων ἐπιμελητὰς τοῦ σίτου σὺν ῥαβδούχοις ἀπέδειξε.
54 Suet., Aug., 42, 4-5: Magna uero quondam sterilitate, ac difficili remedio, cum uenalicias et lanistarum familias, peregrinosque omnes, exceptis medicis et praeceptoribus, partemque seruitiorum, Vrbs expulisset; ut tandem annona conualuit, «impletum se cepisse, scribit, frumentationes publicas in perpetuum abolendi, quod earum fiducia cultura agrorum cessaret: neque tamen perseuerasse, quia certum haberet, posse per ambitionem quandoque restitui». Atque ita posthac rem temperauit, ut non minorem aratorum ac negotiantium, quam populi, rationem duceret.
55 Voir H. Pavis d’Escurac, La préfecture de l’annone, p. 29-30 ; E. Höbenreich, Annona, p. 36 sv.
56 C. Virlouvet, Tessera frumentaria, p. 193-196.
57 Front., aqu., 100, 3 : Quique ita delegati essent, iis praetoris aerarii mercedem cibaria quanta praefecti frumento dando dare deferreque solent annua darent et adtribuerent ; « à ceux qui seront ainsi déclarés, que les préteurs du trésor donnent et attribuent comme traitement une indemnité de vivre pour l’année égale à celle que donnent et délivrent habituellement les préfets chargés des distributions de blé » ; en 101, 1 (suite du sénatus-consulte), on trouverait la mention des curatores frumenti : itemque, cum uiarum curatores curatoresque frumenti iudiciis uacarent priuatis publicisque… ; « et, de même, lorsque les curateurs des routes et les curateurs de l’annone sont libres de vaquer aux procès publics et privés… ». Ce dernier passage est très altéré. Il est surprenant qu’une même fonction soit citée de deux manières différentes à quelques lignes d’intervalle, dans un texte officiel de surcroît. H. Pavis d’Escurac (La préfecture de l’annone, p. 23) justifie, à juste titre sans doute, cet emploi particulier par la présence voisine de la formule uiarum curatores. Il faudrait donc en conclure que le changement de titulature est antérieur à 11 av. J.-C.
58 La place de cette charge dans l’énumération de Suétone ne doit pas donner à penser qu’Auguste aurait provisoirement reçu la cura annonae en 22, et qu’il l’aurait abandonnée une fois la crise frumentaire passée ; sur ce débat, voir H. Pavis d’Escurac, La préfecture de l’annone, p. 17-19.
59 R. Brague, Europe, la voie romaine, Paris, 1992, p. 41-46.
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