Conclusion générale
p. 173-175
Texte intégral
1. Limites de l’interprétation
1Nous ne prétendons certes pas que notre méthode permette d’avoir une vision complète des Morins à l’époque de la conquête par César. Il y a pour abandonner cette idée fausse une raison déterminante que nous avons souvent évoquée. La présence romaine, puis la présence germanique et enfin l’établissement de la civilisation romane ont fait disparaître beaucoup d’indices toponymiques ou hydronymiques. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes refusés à spéculer sur l’absence presque complète de termes celtiques en vidu- désignant les forêts, indiqués néanmoins pour deux rivières. Mais ces limites ne nous ont pas empêché de découvrir des faits importants.
2. Ce qui a été trouvé
2Essayons donc pour conclure de reprendre les questions en suspens, que nous avions indiquées au début, questions qui subsistaient après avoir utilisé les méthodes éprouvées de la lecture des textes, de l’archéologie, de la numismatique. La toponymie permet-elle de présenter quelques réponses nouvelles sur les gens de la Morinie au temps de César ? Certainement, puisque sa nature celte a souvent été préservée, en particulier dans les noms de cours d’eau, et que l’on peut parfois reconstituer ceux qui ont disparu derrière des noms germaniques.
3N’insistons pas sur les problèmes de préhistoire, encore que la toponymie puisse poser de façon sérieuse, sinon assurée, la question du nom préceltique de la Canche : Orna. Mais ce qui nous intéressait était le domaine celtique.
4Dans ce domaine notre analyse a rencontré sur certains points des impossibilités. Nous n’avons rien avancé de nouveau sur la question des pagi, même si nous avons apporté plusieurs précisions sur le nom des Boulogne et Thérouane au temps de César Cersiaci du Boulonnais. Et malgré nos tentatives nous n’avons pas fait sensiblement progresser la question des voies gauloises.
5Mais pour d’autres questions, la toponymie ou l’hydronymie apporte des résultats substantiels. D’abord sur la question de l’ethnie belge des Morins, l’hydronymie nous permet de répondre. Nous avons remarqué que le nom Thérouanne, probablement d’abord un hydronyme, ne se trouvait que de l’Oise à la Wallonie. Il importe peu ici de savoir s’il est vraiment hydronyme à l’origine, et si nous avons raison de lui découvrir une signification religieuse. Ce qui compte ici est sa forme, son âge et sa position géographique. Or, si l’on trouve d’autres hydronymes en Gaule contenant le nom du taureau, les seuls formés en Tarvanna sont situés dans la zone que nous venons d’indiquer. Elle correspond évidemment à l’espace envahi par les Belges venus d’Europe centrale vers le iiie siècle av. J.-C. Ces Belges avaient gardé le souvenir de leur migration, et formaient encore au temps de César un ensemble particulier avec sa ligue propre (BG 2, 4). Grâce à cette particularité lexicale, nous pouvons donc dire que les Morins faisaient bien partie de l’ensemble belge. Un autre signe pourrait être utilisé dans le même sens, celui d’un nom en -apa à Guemps, mais ces noms en -apa posent trop de problèmes pour être des signes univoques.
6Pour ce qui est du commerce routier, la toponymie nous fournit peu d’indices. Et pourtant le gain n’est pas négligeable. Sur la route venant d’Amiens, au passage de la Canche, à la frontière entre Ambiens et Morins, le lieu en -magos, qu’il fût Lindomagos ou Brivomagos ou les deux, est désigné par un mot qui évoque un lieu de marché. On ne peut guère douter que ce mot ou ces mots si celtiques ne remontent à l’époque de l’indépendance, et ne portent ainsi témoignage. Malheureusement sur l’autre voie ancienne la germanisation a effacé les traces celtiques, sauf celle de Thérouanne. Le rôle de cette agglomération dans la vie de la route et comme relais paraît évident. Nous avons même suggéré que son rôle routier aurait pu précéder son rôle comme centre administratif qu’on lui connaît au temps des Romains.
7Il reste que ces noms gaulois nous autorisent à envisager un trafic commercial.
8Pour la question du commerce maritime, les ports nous fournissent des indications plus explicites. Certains ont gardé jusqu’à nos jours leurs noms celtiques, quand ils n’ont pas été remplacés par la germanisation.
9Il est donc légitime de postuler une origine remontant à l’indépendance pour ces établissements, étant entendu que cette affirmation devrait être corroborée par l’archéologie.
10D’autre part on constate assez généralement une structure de couple entre un port sur la mer, et une place de commerce ou point de défense ou refuge en retrait. C’est le cas pour Bononia/Gaesoriacum, Wissant/Sombres, Sangate/Sclives, Wimereux/Wimille, peut-être Calais/Marck, mais sans qu’on puisse retrouver nettement un tel couple à Ambleteuse et à Étaples.
11De telles dispositions doivent correspondre à des échanges avec la grande île voisine. Ils étaient déjà prouvés, nous le savons, par la similitude des trouvailles monétaires en Kent et en Morinie. Ces échanges permettent aussi de comprendre la présence des Morins dans une ligue maritime antiromaine (BG 3, 9, 10) ; ils nous rappellent que deux de ces ports ont permis à César de préparer ses expéditions vers la Bretagne en 55 et 54 : Boulogne pour les deux expéditions, Ambleteuse comme port secondaire en 55.
12Mais sur cette question des ports de César, nous avons recouru à des arguments de bon sens déjà développés par de nombreux auteurs, plutôt qu’à la toponymie. Car reconnaissons que le Portus Itius de César nous a échappé dans l’analyse toponymique, puisque le mot n’a laissé aucune trace locale sûre.
13Sur la religion des Morins, nous en savons plus désormais grâce à une hydronymie conservatrice, qui nous a fait connaître le caractère sacré prêté aux sources et cours d’eau. Eaux divines, ou patronnées par les divinités : une controverse qui n’a pas de solution dans notre analyse, pas plus qu’ailleurs en Gaule.
14Ce point est important, car il correspond à un aspect de la religion gauloise que César a négligé dans sa présentation de cette religion. Et cela compense, dans une certaine mesure, l’absence de sanctuaires connus qui nous gêne dans la présentation des Morins.
3. Que savons nous donc des Morins ?
15Disons encore une fois qu’il faut écarter l’image des Morins comme peuple mineur, puisqu’ils ont fourni dans la guerre de l’indépendance deux fois des contingents importants. Ce peuple n’était pas non plus un reste de populations établies anciennement, tenues à l’écart des Belges arrivés récemment chez les peuples voisins. Les Morins ont reçu comme les peuples du Nord de la Gaule l’apport belge. Leur marginalité relative doit s’expliquer par leur éloignement des grands centres culturels de la Gaule. Mais on perçoit chez eux grâce à la toponymie et à l’hydronymie celtiques une vie d’une assez forte intensité.
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