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    Presses universitaires du Septentrion
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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral Vers 216-275. La proclamation Vers 216-218 Vers 219-221 Vers 222 Vers 224-226 Vers 227-229 Vers 230 s Vers 233-235 Vers 236 Vers 236 s Vers 238 Vers 239 s Vers 240 Vers 241-243 Vers 244-251 Vers 248 Vers 250 Vers 255-258 Vers 257 Vers 258-265 Vers 261 s Vers 265 s Vers 267 s Vers 269-272 Vers 273-275 Vers 276-299. La réponse des Thébains Vers 276-278 Vers 278 s. Vers 284 s Vers 287 Vers 288 s Vers 289 Vers 290 Vers 292 Vers 293-296 Vers 297 Notes de fin

    L’Œdipe Roi de Sophocle. Tome 2

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Premier épisode : l’exécration, v. 216-299

    p. 137-195

    Texte intégral Vers 216-275. La proclamation Vers 216-218 Vers 219-221 Vers 222 Vers 224-226 Vers 227-229 Vers 230 s Vers 233-235 Vers 236 Vers 236 s Vers 238 Vers 239 s Vers 240 Vers 241-243 Vers 244-251 Vers 248 Vers 250 Vers 255-258 Vers 257 Vers 258-265 Vers 261 s Vers 265 s Vers 267 s Vers 269-272 Vers 273-275 Vers 276-299. La réponse des Thébains Vers 276-278 Vers 278 s. Vers 284 s Vers 287 Vers 288 s Vers 289 Vers 290 Vers 292 Vers 293-296 Vers 297 Notes de fin

    Texte intégral

    Vers 216-275. La proclamation

    Quant à la demande des Thébains, Oedipe y répondra, et, s’ils consentent à l’écouter et à se soumettre au règne de la maladie, ils pourraient trouver la force de la subir et de soulager leurs maux (v. 216-218). Ce remède est dans le discours qu’il est contraint de tenir, n’étant pas lui-même partie, puisqu’il n’a rien à voir avec l’affaire (v. 219 s.). En effet, il n’aurait pas suivi cette procédure plus longue d’une action publique sous cette forme s’il avait eu un indice (v. 220 s.). Ainsi, puisqu’il est un citoyen récent de la ville de Thèbes, voici la proclamation qu’il fera aux Cadméens (v. 222 s.) :
    Quiconque d’entre eux sait qui est l’agent de la mort de Laïos, fils de Lab dacos, le roi ordonne que cet homme lui fasse tout savoir (v. 224-226).
    Oedipe envisage tour à tour que le coupable se trouve parmi les Thébains (v. 227-229) ou qu’il soit étranger à la ville (v. 230-232). Dans le premier cas, il se fera lui-même connaître :
    S’il craint l’accusation, qu’il sache qu’en parlant il instruira lui-même son propre procès devant le magistrat suprême. Il ne subira pas de châtiment odieux ; l’exil lui est garanti (v. 227-229).
    Dans le deuxième cas envisagé, celui de la conspiration :
    Il appartiendra à la personne qui connaît le meurtrier comme étant un autre, d’un autre pays, de ne pas garder le secret. Il est assuré de la récompense et en plus de la gratitude royale (v. 230-232).
    La publicité de la déclaration englobe toutes les personnes susceptibles de se trouver dans la ville, Thébains ou étrangers, auteurs ou complices.
    Si le coupable, meurtrier ou complice, écarte par crainte les effets de la parole sur un ami ou sur lui-même, il sera frappé par l’exécration qu’Oedipe formule (v. 233-235) : interdisant, dans cette terre où il jouit du pouvoir de juridiction, à cet homme d’ouvrir sa maison ou de s’adresser à qui que ce soit, d’associer personne à ses prières et ses sacrifices, ou de donner l’eau domestique ; il ordonne qu’il repousse tout autre Thébain de sa maison, parce que c’est là qu’est la souillure que l’oracle pythique lui a découverte (v. 236-243).
    Par cet acte, à savoir par l’appel et par l’exécration, Oedipe s’est lui-même mis au service du dieu aussi bien que du mort (v. 244 s.). Il prononce alors la malédiction en son nom et non plus comme étranger, vouant l’homme qui a commis le crime, seul ou avec plusieurs, à une vie de déshérité (v. 246-248), déclarant en plus, pour se donner en exemple, que si le coupable se trouvait sous son toit, avec sa connivence, il serait prêt à subir lui-même la malédiction qu’il vient de prononcer (v. 249-251).
    Quant aux Thébains, il leur enjoint de se conformer à ses ordres pour lui, le roi, en même temps que pour le dieu, mais aussi pour la terre qui dépérit, sans récoltes, et abandonnée des dieux (v. 252-254). En effet, s’il y avait là une affaire à laquelle le dieu n’était pas mêlé, il était même alors juste de l’éclaircir après la mort de leur roi, et qu’ils tirent l’affaire au clair (v. 255-258). Mais maintenant c’est à lui de le faire, et il n’est pas dépourvu des titres qui l’habilitent : il se trouve détenir le commandement qui était autrefois dans les mains du mort, il partage avec lui sa femme, étant entré dans son lit, et, si sa race n’avait pas péri, ils seraient frères par des enfants qui leur seraient communs (v. 258-262) ; Laïos, son prédécesseur, est mort par malheur (v. 263) ; dans cette situation, avec tout ce qui l’unit à lui, et comme il n’est plus, il se fait le champion de sa cause comme s’il était son fils ; c’est lui qui ira jusqu’au bout de l’enquête pour s’emparer de l’auteur du crime (v. 264-266), venant au secours d’un fils de Labdacos, et, par lui, fils de Polydore et de Cadmos avant lui, et, plus haut encore, d’Agénor (v. 267 s.).
    Ainsi il peut parler finalement en tant que Cadméen, et demander aux dieux, à ce titre, que, pour ceux qui se refusent à l’action, leurs biens, dans leurs moissons et dans leurs femmes, soient maudits et qu’ils restent livrés à un sort pire encore que celui qui les accable à présent (v. 269-272). Pour lui, et les Thébains qui le suivront, il forme le vœu que la Justice les aide (comme il aide lui-même le roi défunt et le dieu, cf v. 244 s.) et que tous les dieux l’assistent pour toujours (v. 273-275).

    Vers 216-218

    1Dans les traductions de αἰτεĩς, le contenu du verbe est la prière que le Chœur vient de prononcer dans la Parodos (voir Hartung : « du betest : was du betest… », ou Mazon : « j’entends tes prières, et à ces prières… » ; cf. Kamerbeek). On fait entrer le début de l’Épisode dans une évolution dramatique qui inclut la partie lyrique (comme on rattache inversement le Deuxième Stasimon trop directement aux doutes exprimés par Jocaste sur les prophéties ; voir ad l.). L’action scénique soutient alors aussi l’interprétation de la prière que le Chœur adresserait aux dieux devant Oedipe (« from the way in which Oedipus addresses the Chorus, it is evident he must have been on the stage during the delivery of the supplicatory ode just concluded », Blaydes ; cf. Bellermann, après Wolff, Jebb, Roussel, Kamerbeek, Dawe ; Calder III, 1976, p. 604 : « at least since 203 » ; pour une interférence analogue entre les paroles du Chœur et l’action proprement dite, voir Agamemnon 1, p. 478, n. 1). Or, Oedipe ne peut pas se dresser en protecteur tout-puissant, accordant aux Thébains les faveurs qu’ils demandent aux dieux, αἰτεĩς ne renvoie qu’à la demande faite par les Thébains dans la délégation du Prologue et noue une partie parlée à une autre (voir l’ordre donné par le roi, v. 143-145).

    2La reprise insistante du verbe de la demande (ἃ δ’ αἰτεĩς…), instrument d’une tension qui unit le peuple à son roi, entraîne une construction particulière. Ou bien l’unité syntaxique est réintroduite par le rattachement de ἃ δ’ αἰτεĩς à la principale comme un complément de ἀλκήν (voir la paraphrase du scholiaste : ὧν δὲ αἰτεĩς ἀλκήν λάβοις…, et de Thomas) ; la relative fournit un terme symétrique à κακῶν. D’autres, pour éviter la rupture, ont interprété ἀλκήν et ἀνακούφίσιν comme une apposition à ἃ δ’ αἰτεĩς (cf. Schneidewin et Nauck, Bellermann) ; pour Bruhn, ἀλκὴν… se substitue, au cours de la phrase, au premier complément, dépendant déjà de λάβοις (voir aussi Campbell), ce qui n’a aucun avantage sur le plan de l’action, à laquelle la parole dramatique de Sophocle est toujours soumise. Même lorsqu’on isole la relative comme un accusatif de relation (« of general reference », Jebb, avec changement de construction), on peut encore marquer plus ou moins la rupture. Ce n’est pas que ἃ δ’ αἰτεĩς suggère une première attente abandonnée (cf. Kamerbeek). Le groupe reste en suspens ; sa place ne se laisse pas comprendre sans qu’on établisse la relation entre les deux d des vers 216 et 219. Le vers 219 est généralement interprété comme un développement de ἔπη dans la protase (voir Thomas, Blaydes, Bellermann, Longo ou Dawe), à cause de ἐξερῶ. L’opposition principale dégage, face au « tu » : « toi, tu demandes » (αἰτεĩς), un « je » (ἃ ‘γώ) qui fournit l’objet de la demande. Le décrochage est au service de cette adéquation. Entre-temps, le développement a indiqué les conditions dans lesquelles la parole est efficace (voir ϑέλῃς… κλύων δέχεσϑαι ; voir aussi le v. 235), l’écoute. Le deuxième relatif a pour antécédent le contenu du premier, mais précisé par les termes de l’apodose du vers 218. Le dynamisme de l’exorde, avec la captatio, conduit à cette lecture : « tu es demandeur…, si tu écoutes, tu auras la réponse ; la réponse à ta demande est dans ce que je vais te dire ».

    3κακῶν, chez certains, ne détermine pas ἀνακούφισιν seulement (voir par exemple Blaydes) – avec pour conséquence la synonymie (cf. Jebb). Si l’on sépare, la force de résistance (ἀλκήν) est la condition de la disparition du mal.

    4τῇ νόσῳ ὑπηρετεĩν a déjà embarrassé le scholiaste, qui réunit d’après la présomption, dans le même terme, la défense et la collaboration (ἐπαρκεīν καὶ συμπράττειν). Les Byzantins balancent entre « servir contre » (Moschopoulos ; cf. Bellermann : « auf ihre Abhilfe bedacht sein ») et « s’empresser pour » (ὑπὲρ αὐτῆς σπουδάζειv, Thomas). Les modernes ont le plus souvent, avec en plus l’exemple d’Électre, 1305 s. : oὐ γàρ ἄv καλῶς ὑπηρετοίμην (corrigé en ὑπηρετοίην) τῷ παρόντι δαίμονι, construit ad hoc un sens rationnel : « subvenir ou suffire aux exigences de la maladie » (ea facere, quae morbi natura et ratio exigit, Musgrave, et la distinction chez Ellendt, s.v., p. 752 ; voir Campbell, Jebb, Masqueray, Kamerbeek, Longo ; « te plier aux ordres du fléau », Mazon, est une traduction métaphorique de « satisfaire »). Pas plus dans Électre que dans ce passage il n’est nécessaire de subvertir le terme ; au contraire on découvre, à l’aide du travail de la tradition sur ce mot, à quel point le concept sophocléen était devenu étranger. Le sens de « servir » étant laissé à ὑπηρετεῖν, il est parfois arrivé qu’on corrige τῇ vόσῳ (en τῷ ϑεῷ, Nauck, cf. Anhang, p. 164 ; M. Schmidt, 1864, p. 7 ; Earle ; voir aussi A.Y. Campbell, 1954, p. 9 s., qui propose de lire δὴ πρόσω). Se faire le serviteur du mal, ce n’est pas non plus « lui porter secours », dans le sens de « remédier à » (voir les exemples cités par Dawe), mais proprement « obéir au mal » qui en l’occurrence est Apollon, le Destructeur (voir v. 155-157, 1329).

    Vers 219-221

    5Quatre lectures, très différentes, pour les vers 220 s. Deux d’entre elles supposent qu’Oedipe affirme son indépendance et manifeste sa force.

    61. Oedipe s’engage dans l’enquête, bien qu’il soit étranger, parce que, malgré la longueur du temps écoulé, il ne pourrait dépister la cause du mal s’il n’avait quelque signe pour le guider. Ainsi la scholie, Erfurdt, Elmsley, Dindorf ou Mathewson, 1968, p. 3 : « for I could not have traced the cause of our trouble (avec αὐτό) to so remote a deed unless I had a due (given by the oracle) » (valant εἰ μὴ εἶχόν τι σύμβολον, Elmsley). C’est le sens « le plus naturel » pour Friis Johansen, p. 237, qui ajoute pourtant qu’Oedipe en fait ne dispose pas d’indice – cet indice, pour le scholiaste, pourrait ne pas exister, mais Oedipe cherche à inspirer confiance aux Thébains, ou, selon Thomas, à tromper le coupable pour le faire avouer ; il sait ou fait comme s’il allait découvrir : oὐ yàρ ἄv…, εἰ μὴ ᾔδειν καταληψόμενος, dans la scholie – et que, d’autre part, μακρàν ἴχνευον ne livre pas le sens de « je n’irais pas loin ». L’oracle ne fournit pas d’indication sur le coupable.

    72. L’orgueil d’Oedipe ne se fonde pas sur un indice réel ou imaginaire mais sur la certitude de réussir. S’il n’était pas étranger, il n’aurait pas besoin des Thébains ; avec leur aide, il réussira donc ; ainsi Wunder : neque enim, nisi totius rei ignarus essem, diu ipse investigarem quin aliquid indicii haberem, id est brevi tempore ipse sine vobis certum indicium reperirem (de même Martin, 1832). Sans doute μὴ ούκ ne peut pas prendre cette valeur consécutive (quin haberem, « sans trouver ») ; Hartung ajoute à sa critique que la fanfaronnade est déplacée (avec la même construction, « without having », Blaydes comprend que l’investigation n’a pas abouti, tandis que Wunder s’intéresse, à l’irréel, à son aboutissement).

    8Deux autres lectures accentuent au contraire la dépendance.

    93. Oedipe ne peut pas aller loin, parce qu’il manque de signes. Ainsi Brunck : neque enim investigando multum ipse promoverem, qui nullum indicium habeo, d’après Moschopoulos : ἐπεὶ οὐκ ἔχω. On préfère alors la leçon αὐτός, « par moi-même » (« auf mich beschränkt », Schneidewin), qui souligne la solitude. Comme la valeur causale donnée à μὴ oὐκ est aussi problématique que la conséquence, Schneidewin (avec ἦ yàρ ἄv pour oὐ yàp ἄv) substituait οὐκ à μὴ οὐκ (« indem ich ja nicht… habe », de même Nauck) ; Campbell cependant acceptait μὴ οὐκ (« combining supposition and fact ») : « since I knew nothing of what was relative to the matter », dans la première éd. (« unless I had…, and I had nothing », voir la seconde ; semblablement Bruhn, reliant οὐκ et ἔχων dans l’acception d’« être privé » : « wenn ich nicht… entbehrte » ; voir encore Earle : « the effect [οὐκ ἔχων…] is put for the cause », ou Macurdy, 1942, p. 244 ss.).

    104. La valeur hypothétique était davantage prise en considération quand la dépendance s’exprimait par une demande : je ne puis rien faire si vous ne me soutenez pas par quelque indice. Ainsi Hermann : parum ipse (αὐτός) investigando proficerem, nisi aliquid indicii reperirem (à savoir : par votre intermédiaire), suivi par Hartung ; Masqueray, p. 149, n. 1 ; Roussel, Mazon, Longo. Jebb, avec Goodwin, Syntax of the moods, p. 194 s., § 511, subordonnait la participiale (= εἰ μὴ εἶχον) à une première protase qu’il tirait de αὐτός (εἰ μόνος… : « if I were attempting to trace it alone [without a clue] »), si bien que la condition, pour avoir une portée négative, faisait partie d’une supposition irréelle (cf. Wilamowitz).

    11Kamerbeek a raison d’objecter que μακρὰν ἴχνευον suggère la rigueur et l’étendue de l’investigation plus que le succès (voir Trachiniennes, 317 : καὶ yàp οὐδ’ ἀνιστόρουν μακράν ; « I did not carry my inquiries far », Campbell ; Jebb rapproche notre passage dans Oedipe). μὴ οὐκ avec le participe, en outre, exprime la condition après une proposition négative (cf. Moorhouse, Syntax, p. 333 s., § 9), qu’on trouve dans oὐ γάρ… Ainsi dans Oedipe à Colone, 360, où le même tour introduit une hypothèse écartée à l’intérieur de la négation : μὴ οὐχὶ δεĩμ’ἐpoὶ φέρουσα τι, « à moins que ce ne soit, ce que je ne souhaite pas » (voir Moorhouse, p. 334). De même ici la négation générale est restreinte par une exception. Oedipe, en étranger qu’il est, ne sait rien directement de l’affaire (αὐτό) : « sinon (oὐ γάρ…) », il ne passerait pas par le détour d’une longue enquête juridique (le magistrat supplée ici à l’autorité de l’homme habile), à moins que, dans ce cadre même, il n’eût pas subi une contrainte en raison de l’absence d’indice, mais eût au contraire disposé d’un « signe » pour agir souverainement, sans l’aide d’autrui (Moorhouse ici n’applique pas sa propre définition). La leçon αυτό peut alors être préférée parce qu’il s’agit moins de sa personne que de l’objet.

    12De l’ignorance où il se trouve (v. 219 s.), Oedipe passe à la nécessité d’une procédure qui le dépossède symboliquement de son autorité. Or de la loi même il aurait pu se servir en juge souverain s’il avait eu quelque indice lui permettant de conduire l’affaire. Le retour à la réalité (νῦν δ’) lui représente son dénuement. L’indice, au demeurant, n’est pas le « signe » que la proclamation aurait pour fonction de lui procurer, c’est plutôt le témoignage qui lui fait défaut pour conduire un autre type d’action juridique.

    13Le référent du λόγος qu’Oedipe ne connaîtrait pas est introuvable (voir Dawe : « of vague reference. Oedipus means he was a stranger to the event at the time and everything said about it »). Ce qui a été dit autrefois, au moment du meurtre (l’information qu’il ne pouvait avoir reçue, Brunck ou Blaydes : « the report – of the murder of Laius), ou ce que dit maintenant le dieu (voir le scholiaste, ou Kamerbeek) ou les interprètes de l’oracle (Moschopoulos, Bellermann, Jebb, ou Longo) ? Dans le premier cas, on ne comprendrait pas τoῦδε ; dans le second, ξένος : il n’est pas « étranger » à ce que disent les Thébains. On a été parfois amené à y voir un vague équivalent de πραχϑέν (Hartung, Bruhn ; pour Earle, l’étrangeté se retrouve « dans la parole et dans l’action »), Schneidewin était sans doute beaucoup plus près du vrai en opposant au crime commis, comme objet du discours, la communication qu’il est maintenant appelé à faire (λόγος ὅδε, « der in Folge des Gôtterspruchs zu machenden Mittheilung »). Mais ce n’est pas une pointe dont il se sert pour affirmer son ignorance ; c’est qu’il mène l’enquête à la place d’un autre, qui aurait dû la conduire, de même qu’il est étranger à l’acte. La reprise de ξένος n’est pas « emphatique » seulement, elle souligne le parallélisme.

    Vers 222

    14Ou bien Oedipe renchérissant sur les vers 220 s., et son ignorance, rappelle qu’il est un tard venu dans la cité (l’accent est alors sur ὕστερoς ; cf. Schneidewin ; Blaydes : «‘subsequent-lyly to’the event in question » ; Jebb, Masqueray) ou bien, comme pour faire oublier son statut d’étranger (cf. Campbell), il met en avant sa qualité de citoyen (l’accent est alors sur ἀστός). Récemment l’étude des procédures en usage a fait de cette parenthèse une simple formule de légitimation devant un tribunal attique ou de capacité à porter plainte (Greifenhagen, 1966, p. 152 s. ; Dawe).

    15En partant du groupe remarquable ἀστòς εἰς ἀστούς, on s’aperçoit qu’Oedipe se met sur un pied d’égalité avec les Thébains. Il est, bien qu’étranger au contenu de son discours et à l’affaire (v. 219 s.), un citoyen comme eux ; le redoublement ἀστòς εὶς ἀστούς détermine la relation avec les Thébains. Le roi n’est plus ici qu’un organe, une parole à travers laquelle les citoyens trouvent leur soulagement. Cette conclusion d’un préambule persuasif utilise à la fois l’égalité qui l’autorise et le légitime et l’infériorité qui le diminue et le fait accepter : « moi qui suis venu en dernier, le dernier d’entre les égaux, c’est en tant que tel que je vous parle, à vous, Thébains ».

    Vers 224-226

    16Les constructions envisagées par Kamerbeek : πάντα, un masculin, sujet de σημαίνειν et τοῦτον complément (d’après Groeneboom), ou bien τοῦτον πἀντα (« quel qu’il soit ») complément, avec ὅστις… sujet, peuvent être écartées (mais ne méritent pas non plus l’étonnement juvénile de Diggle, 1969, p. 152). τοῦτον reprend ὅστις…, et πάντα, neutre, détermine σημαίνειν : hunc jubeo, ut rem omnem indicet mihi (Brunck). Le destinataire de la proclamation est défini par la connaissance qu’il a de l’affaire (κάτοιδεν), soit que (premier cas, développé dans les vers 227-229) il soit lui-même l’auteur du crime, soit qu’il connaisse l’auteur, qui n’est pas un Thébain (deuxième cas, v. 230-232). τοῦτον est donc le sujet de φοβεῖται d’abord (v. 227), puis il est représenté par τις (v. 230). Le premier groupe de vers forme une introduction, détachant le savoir dont Oedipe est dépourvu, on ne peut pas y mettre, comme le fait Jebb (ad v. 230), une première action par laquelle le roi demanderait aux Thébains de dénoncer l’auteur (thébain) s’ils le connaissent : ils le connaissent en tant qu’auteurs ou complices. Le décret n’exige aucune dénonciation qui ne soit liée, directement ou indirectement, à l’exécution du crime.

    Vers 227-229

    17L’apodose des vers 227 s. est elliptique ; la présence du participe isolé, si elle est maintenue, doit être interprétée comme une intention expressive. La lecture diffère évidemment selon que l’ellipse a été acceptée, atténuée ou supprimée.

    18En corrigeant, on a ou bien (1.) supprimé la protase en lui substituant un ordre, comme le fait Blaydes, écrivant καὶ μὴ φοβείσϑω (comme Heimsoeth, Kritische Studien, p. 92) pour κeἰ μὲν φοβεῖται, et en transformant d’autre part le participe en un infinitif (ὑπεξελεĩν, voir aussi Halm) ; la correction a été adoptée par Nauck (qui, en outre, est tenté de corriger aussi αὐτòς καϑ’ αὑτοῦ parce qu’il serait choquant qu’Oedipe soupçonne que l’un des choreutes puisse être le coupable).

    19Ou bien (2.) l’on choisissait d’introduire une apodose non elliptique en mettant un optatif ou un indicatif (voire un impératif : ἐπεξίτω, Hartung) à la place du participe. Ainsi pour Dindorf, l’optatif ὑπεξέλοι (Rauchenstein, 1857, p. 267, suivi par Mazon et Dain ; voir aussi Mazon, 1951, p. 15 s. ; renonçant à construire le texte transmis, il défend cependant la valeur du verbe, adaptée à la situation : « se débarrasser sans bruit de l’inculpation » – en s’éclipsant –, et propose donc de retenir ou l’infinitif, ou, de préférence, l’optatif, parce qu’Oedipe n’ordonne plus, mais souhaite seulement ; « I think the best solution hitherto proposed », Friis Johansen, p. 238) pouvait utilement remplacer un impératif (… idem paullo lenius significatur quod imperativo ὑπεξελέτω) ; Roussel, par une intervention plus violente (qui supprime l’auto-dénonciation), écrit ὑπεξελῶ (cf. κατ’ αὐτοῦ) : « j’abolirai personnellement le grief qui pèse sur lui » (d’après un emploi hérodotéen de ὑπεξελαύνω).

    20Ou bien (3.) on rattachait la protase, sous forme d’une conditionnelle concessive, à la proposition précédente, en se contentant de corriger, avec Blaydes, le participe en un infinitif : « even if he is afraid to remove the charge by his own action (thus bringing it) against himself », Rees, 1958, p. 203, avec le texte de Pearson, en supprimant la division logique entre les vers 226 et 227. Longo donne à l’infinitif la valeur d’un impératif.

    21On pouvait encore (4.) accepter une forme d’ellipse (ainsi Jebb : « κελεύω continued from 226 »), mais refuser le participe ; on construisait alors une proposition infinitive avec ὑπεξελεĩν et αὐτόν pour αὐτός : « and if… I bid him to take the peril of the charge out of his path (αὐτòν καϑ’ αὑτοῦ, à savoir σημαίνοντα, également par ellipse) by speaking against himself ».

    22D’autres, à l’inverse, estimaient (5.) que l’ellipse était intolérable, et maintenaient le participe en admettant une lacune ; « a corruption or the loss of a line seems likely enough » (Kamerbeek). Ainsi Dindorf en 1869, ou Dawe ; cf. West, 1978, p. 239 ; Earle suppose la perte de deux demi-vers entre καϑ’ αὑτοῦ et πείσεται (en acceptant en outre la correction ύπεξελεῖν, qui dépend de φοβεῖται ; l’apodose devant être suppléée : τοῦτον ἴστω… ; Earle s’opposait à Bruhn, pour qui, avec le même texte, l’apodose pouvait avoir été, sans lacune, suppléée par un geste).

    23L’histoire de la compréhension se présente sous un autre jour si l’on s’en tient simplement au sens présenté par les mots transmis ; on peut d’autant plus facilement faire abstraction des corrections, introduites en raison de l’allure elliptique de la formule, que la plupart des options remontent à une période plus ancienne que les interventions. Les conditions de la libération accordée au coupable ont été très diversement comprises.

    1. Pour les Anciens (mais voir aussi les Byzantins), Oedipe parlait pour combattre la peur qui pouvait empêcher le coupable de porter une accusation contre lui-même (le groupe αὐτòς καϑ’ αὑτοῦ est, dans la scholie, rattaché à τοὐπίκλημα, complément de φοβεῖται ; on supplée un λεγέτω, auquel les Byzantins rattachent αὐτòς καϑ’ αυτοῦ, et le participe, avec le sens de « extirper », a pour complément φόβου, tiré de κεἰ… φοβεῖται ; voir le scholiaste : τòυ φόβου ὑπεξελὼυ λεγέτω). Cherchant à lever un obstacle, le roi, en magistrat, encourage le coupable à ne pas craindre la justice et à se constituer en accusateur (ὥσπερ κατήγορος αὐτὸς ἑαυτοῦ γίυεται, Thomas). Le commentaire enseigne une conduite politique (voir aussi l’interprétation des scholies ad v. 219-221). Semblablement Hermann, en 1823, comprend : « que le coupable se rassure quand on lui demande de porter la chose au jour, si ei contra se ipsum promendum est indicium, il ne risque pas la mort (voir encore Pfeiff : « und fürchtet er, sich selber zu verklagen, wenn er die Schuld ans Licht zieht, büsst er doch nicht schwer », ou Wilamowitz).

    2. Ou bien alors le coupable, craignant d’avouer sa faute, la dissimule, et le roi le pousse à sortir de son mutisme. Brunck, sans changer profondément l’utilisation faite de ces vers dans les scholies, comprend différemment les mots ; τοὐπίκλημα est maintenant (depuis Heath) complément de ὑπεξελών ; lié à φοβεῖται, Brunck lui donne le sens de « accusation pesant sur le criminel » (proche de « faute »), dont celui-ci, en se taisant, cherche à se débarrasser : etiam si metus eum cohibeat, tacendoque cogitet crimen a se amoliri, indicet tamen, σημαιυέτω (voir aussi Kennedy apud Jebb, p. 222). La contrainte exercée est plus marquée, s’armant contre un double crime, meurtre et dissimulation.

    3. Le roi est moins tyrannique que maître des consciences quand il endoctrine le coupable en essayant de le persuader d’avouer sa faute pour se faire acquitter, τοὐπίκλημα est encore la faute, mais ὑπεξελών ne désigne pas la dissimulation, plutôt positivement l’expiation par l’aveu (crimen confitendo diluens, Elmsley ; ainsi Erfurdt, ou Longo, avec ὑπεξελεĩν : « qu’il supprime la faute par une confession spontanée qui atténuera la peine »). L’acquittement est mis en relation avec la collaboration du coupable – Campbell, en 1871, construisait, à partir de peu, un terme complémentaire : « s’il n’a pas peur, qu’il reste caché s’il y arrive ». La peur, d’abord répandue par le roi, permet au coupable de s’en défaire en fixant sa culpabilité (« taking away the guilt on his own head » ; cf. e., mais aussi g.).

    4. Ce sont des intérêts plus juridiques que moraux que l’on trouve chez ceux qui voient, dans l’expatriation, non l’appât, mais le moyen même de se purifier. Pour se débarrasser de la faute, l’exil, τοὐπίκλημ’ὑπεξελών anticipe γῆς δ’ἄπεισιν, v. 229 (πείσεται yàρ… porte logiquement sur ce dernier membre, dans l’ordre inverse du texte) ; le coupable se libère du crime en quittant la ville (voir Matthiae apud Wunder, Hermann, en 1833 ; cf. Dindorf).

    5. Revenant au moral (c.), on pouvait, en creusant encore davantage la lettre, dans une certaine tradition, trouver le salut dans la purification subjective de l’âme : « vous n’aurez pas à craindre si vous vous mettez en règle avec votre conconscience » (voir Schneidewin : « wofern er die Selbstanklage freiwillig aus seinem Innem, wo er sie versteckt hält – cf. b. —, hervorholt » ; cf. Bruhn ; ou Bellermann : « die Vorstellung ist, dass der Mörder das Geheimniss… dem eigenen Bewusstsein wieder vorgeführt hat, aber, indem er es bekennen will, zurückbebt » ; ὑπεξαιρεĩν : « von unten… [aus’des tiefen Herzens sichrer Wohnung’] heraufholen »).

    6. En supprimant cette dimension de la conscience profonde (voir aussi Roussel, ci-dessus 2.), Masqueray ou Mazon tirent de la proposition du roi un compromis ou un arrangement : si le coupable se dénonce (« qu’il parle », λεγέτω), il s’en sortira « en prévenant lui-même la dénonciation contre lui » ; voir aussi Mazon, p. 80, n. 2, pour ὑπεξαιρεĩν : « régler sans bruit leur compte à ses adversaires » ; « Oedipe souhaite que le coupable règle lui-même l’affaire sans éclat » (voir aussi Ellendt, s.v., p. 750 : crimen… tollitur, et quidem non tam palam et multo rumore, quam tacite et nemine sentiente).

    7. Sur le plan juridique (cf. d.), l’intérêt du passage gît simplement dans l’avantage que l’alternative de l’exil offre au roi pour montrer au coupable que sa peur de mourir n’a pas de fondement (cf. la reconstitution de Dawe pour combler la lacune ; voir ci-dessus 5.).

    24L’interprétation oscille entre trois penchants, la persuasion judiciaire avec recours à la psychologie (cf. a. ou bien f.), l’analyse des profondeurs du sentiment de la faute, refoulée ou extériorisée (cf. b., c., e.), l’application de notions sur le droit antique (cf. d. ou g.).

    25Le trait commun, dans toutes ces explications, c’est qu’elles utilisent la peur comme un moyen de pression, de libération, comme un effet cathartique. Or la signification de la peur est tout autre si on la réduit, dans la structure du discours, à la simple notation des cas envisagés. Au μέν du vers 227, sur lequel repose toute une construction (voir par exemple Campbell, c.), correspond le deuxième cas de la réticence, au vers 230, εἰ δ’ aὖ… Ce que le meurtrier peut redouter, ce n’est pas la mort elle-même, qui n’est pas la peine prononcée contre son forfait, mais l’accusation et la plainte qui le déshonorent, τοὐπίκλημα. On reviendra donc à la division de la phrase, telle qu’elle se lit à travers les scholies (anciennes et récentes), supprimée depuis Heath, où τοὐπίκλημα dépend de φοβεῖται. Les scholies ensuite, n’ayant plus de complément, ont de φοβεῖται tiré φόβον (voir ci-dessus a.), mais c’est le même terme qui est sous-entendu. ὑπεξαιρείν prend bien le sens de de medio tollere et non de recondita promere (comme le voulait Hermann, en 1823, et ad Electre, 1420, cf. Ellendt ; voir les occurrences réunies par Blaydes, qui opte ici contre les témoignages pour la deuxième acception, d’après l’attente que lui suggère αὐτòς καϑ’αὑτοῦ ; et par Jebb ; cf. Rees, 1958, p. 203 : « ὑπεξαιρεῖν always bears the basic sense of ’remove’ ») : « si c’est l’accusation qu’il redoute – qui n’est ni « la faute » ni un grief déjà formulé (il ne peut l’avoir été) —, qu’il parle lui-même contre lui-même (devant moi, cf. σημαίνειν ἐμοί, v. 226), en levant ainsi (ὑπεξελών) l’accusation ». Comme dans le cas envisagé il n’y a pas de complot, l’affaire peut être réglée, dans les conditions garanties par le roi (v. 228 s.), de lui à lui, sans tribunal public. Il connaît les termes du procès.

    Vers 230 s

    26La correction de Vauvilliers, ἢ ‘ξ pour ἐξ (il écrivait aussi ἀστόν pour ἄλλον), permettait de distinguer logiquement parmi les « autres » deux catégories de gens susceptibles d’être dénoncés, les Thébains et les étrangers ; elle a été jugée heureuse par Hermann, en 1823, adoptée par Hartung, Blaydes, Sheppard, « with some reluctance », Earle, Mazon et Dain, Longo ; préférée par Bellermann à la correction ἀμῆς pour ἄλλης de Seyffert, qu’avait retenue Wolff (puis encore par Roussel : « un habitant de mon pays »), en admettant la première catégorie (« sonst wäre der Fall übergangen, dass jemand einen im Lande befindlichen der Schuld ziehe »), mais au détriment de la seconde ; avec ἤ, ἄλλον désignait « un autre Thébain », distingué de ἐξ ἄλλης χϑονός (ἄλλον τιvà τῶν ἀστῶν ἢ ἐξ ἄλλης χϑονός, selon Earle, où le deuxième terme serait un « cautious afterthought » de la part, non du roi, mais d’Oedipe). Hermann, en 1833, préférait, d’une part, écrire χερός (malgré αὐτόχειρα) avec Neue, d’après Iphigénie à Aulis, 1178 : οὐκ ἄλλος οὐδ’ ἄλλῃ χερί (Neue, n’opérant pas avec le complot, qui inclut la possibilité d’une assistance étrangère, ne voyait pas comment l’indicateur – avec ἄλλος de Purgold, retenu par Elmsley, cf. ci-dessous – ou l’auteur pouvaient ne pas être thébains), avec, d’autre part, ἤ (suivi par Wunder, Bruhn ; ou encore Pfeiff, ne traduisant pas le texte de Pearson, qu’il imprime, mais ἤ… χερòς… : « doch kennt er einen andren, der es selbst oder mit fremder Hand tat ») ; au lieu de : un Thébain ou un étranger, on obtenait l’opposition : un Thébain ou ses complices (voire ses hommes de main).

    27On est à Thèbes et le roi n’a de pouvoir que sur les Thébains (Purgold, pour introduire l’étranger, l’autre par rapport aux gens de la ville, visés dans les vers 227-229, avait corrigé ἄλλον en ἄλλος ; mais cet autre ne serait pas le meurtrier, plutôt le dénonciateur ; Elmsley a défendu la correction, sur la foi du scholiaste, écrivant : εἰ δὲ ξένον τις oἷδεv τὸν φονέα μηνυσάτω, sans voir que le τις n’est pas lui-même un étranger, et encore Booth, 1959, p. 249 ; Campbell, sans juger pour autant la correction indispensable, estimait de son côté que la personne visée pouvait être un « fellow countryman of the’stranger-robbers’ », cf. v. 715).

    28Jebb maintient le texte des manuscrits, mais il partage la même représentation. Seulement le cas du Thébain à dénoncer par un Thébain, que l’on amène ici par des corrections, est déjà développé pour lui dans les vers 225 s., avec ἀνδρòς ἐκ τίνος… (voir ad l.).

    29En réalité, comme Hermann lui-même l’avait vu en 1823 (en hésitant à suivre Vauvilliers), le deuxième volet de la proclamation ne considère que le cas où l’auteur du crime serait un étranger, résidant dans la ville, avec qui le Thébain à qui il s’adresse serait hé par un pacte d’alliance. Le roi n’a de pouvoir que sur les membres de sa juridiction. Ce n’est que pour ce cas précis d’un complot (cf. v. 124 s.) qu’il demande au conspirateur thébain de dénoncer le complice étranger. On peut ainsi (avec Dawe, contre Kamerbeek) exclure l’éventualité que cet étranger réside ailleurs que dans la ville, où la souillure a été localisée par le dieu. L’auteur du crime peut être protégé à Thèbes par l’instigateur et ne pas être touché par le premier volet de la proclamation.

    30Quand on distingue (avec ἤ) l’étranger, ἄλλον désigne « un autre » parmi les Thébains ; sans la correction, on peut également comprendre, comme Jebb : « other than one of yourselves, the Thebans », on n’est pas obligé de traduire, comme Masqueray : « si quelqu’un sait que le meurtrier n’est pas Thébain (ἄλλον), mais d’un pays étranger ». ἄλλον, par opposition à αὐτòς κaϑ’ αυτοῦ (v. 228), fait du meurtrier l’autre de la personne interpellée dans la proclamation.

    31Jebb ou Roussel font de ἄλλον… le complément et de τòν αὐτόχειρα l’attribut (« as the assassin », Jebb), mais il vaut mieux intervertir le rapport, et faire de τὸν αὐτoχεĩρα, déterminé, l’auteur du crime (« sc. ὃv ζητοῦμεν », Earle), qui peut être « un autre » (cf. Mazon)1.

    Vers 233-235

    32Si l’on fait de φίλου et de αὑτοῦ les compléments de δείσας : « craignant pour… » (sur le modèle de κηδόµενος, cf. Wunder, ou de προδείοας, προκηδόμενος, cf. Dindorf, Schneidewin, etc.), l’action de résister concerne une personne qui n’est pas directement impliquée dans la proclamation et qui n’a pas de place dans le système qu’Oedipe établit. L’ami complice et « lui-même » couvrent les deux cas précédemment définis, dans un ordre inversé (cf. Bruhn). Ce sont les seules personnes à qui il est demandé de parler (εἰ… σιωπήσεσϑε ne correspond pas seulement à μὴ σιωπάτω, mais concerne l’une et l’autre catégories dans le cas négatif). C’est pourtant l’autre construction (δείσας ὑπὲρ…) qu’adoptent les Byzantins, et, depuis Brunck :… aliquis vel amico metuens, vel sibi ipsi, rejecerit haec mea dicta, presque tous les modernes (voir entre autres Matthiae chez Wunder, Dindorf, Schneidewin, Blaydes, Earle, Wilamowitz, Mazon, Schadewaldt ou Pfeiff), parce que l’on préserve l’existence d’un délateur qui ne serait ni le meurtrier ni un complice (voir ad v. 224-227 et ad v. 230-232) et hésiterait à livrer un nom (cf. φίλου). La logique de cette proclamation est assez singulière, autant que simple, pour qu’on ait été tenté de l’assimiler à d’autres récits d’attentats. Un Thébain pouvait avoir des scrupules de dénoncer un autre Thébain (Schneidewin), et Oedipe s’efforcerait de l’y pousser.

    33Nauck est le premier, il semble, à construire les génitifs avec ἀπώσει (voir ensuite Jebb, rapprochant l’usage homérique, Roussel ou Kamerbeek ; Campbell envisage une double construction ; Longo l’une plutôt, avec ὑπέρ, sans exclure l’autre ; Dawe est embarrassé). La parole est comme une arme qui agit par elle-même. Repousser la parole d’un ami, c’est l’en protéger ; avec « par crainte pour un ami rejeter la parole », on refuserait les effets de la proclamation ; c’est faire disparaître l’efficacité de l’action verbale.

    Vers 236

    34Étant donné la compréhension courante des vers 230-232 et 233-235, critiquée plus haut dans ce commentaire, où τις, deux fois, est le délateur, on attend qu’ici il soit désigné avec τὸν ἄvδρa… τοῦτον et forme l’objet de l’exécration. Aussi les commentateurs insistent-ils presque tous, depuis Moschopoulos, sur l’identification de « cet homme ». Bellermann explique tout le mouvement comme un effet de terreur recherché par Oedipe pour extorquer une dénonciation. Il s’agit bien du meurtrier, le seul à qui la formule d’exclusion s’applique, par sa solennité même, qui ne peut frapper qu’un régicide, à cause de la référence à l’oracle (v. 96-98) dans les vers 241-243, et enfin du retour de la formule employée pour le meurtre (v. 350-353 ; 817-819 ; 1381-1383). Bruhn s’explique l’incohérence dans la progression par l’obsession d’Oedipe, dont l’esprit est occupé par la figure du meurtrier. Il est certain qu’il s’agit de lui ; mais il s’agissait de lui, auteur ou instigateur, chaque fois. Si bien qu’on a ici l’exemple d’une imputation qui supplée à l’absence d’exploration du contexte. Indépendamment de l’analyse des vers précédents (v. 224-235), la conclusion à laquelle on est amené ici aurait pu pousser à réexaminer celles qu’on en avait tirées2.

    Vers 236 s

    35Si τιva, au vers 238, comme on le montre (ad l.), est complément, et non pas sujet, et de même πἀντας, au vers 241, et si donc τòν ἄνδρα τοῦτον est sujet de la proposition infinitive, on ne peut pas rattacher le génitif γῆς à l’indéfini τινa : pourquoi le meurtrier interdirait-il quelqu’un qui ne soit pas « de cette terre » ? Les auteurs, à savoir la plupart (voir Brunck : ne quis terrae hujus incola ; Wunder, Dindorf, Schneidewin, Blaydes, Campbell, Jebb ou Kamerbeek), réunissent τῆς γῆς et τινa pour en faire la collectivité thébaine interpellée par Oedipe, qui se sépare du meurtrier, dans l’hypothèse (irréalisée dans le contexte) où elle le connaîtrait déjà. Comme on s’attend, d’après l’analyse que l’on fait de l’enchaînement, à ce que le roi cherche à débusquer la réticence, et que, d’autre part (voir la note précédente), l’homme frappé par l’exécration est le meurtrier, il fallait que l’instance intermédiaire fût représentée dans la phrase. On est ainsi amené à dénaturer l’exécration en un discours persuasif adressé aux non-coupables – se rendant virtuellement coupables par la non-exclusion du coupable –, alors qu’au même titre que l’injonction (voir v. 227-229 et 230-232) elle veut agir directement sur un homme.

    36τῆς γῆς doit donc être construit différemment. Planude semble le faire dépendre de ἀπαυδῶ (ἀπò τῆς γῆς) avec une construction épexégétique des infinitifs du vers 238 (voir aussi Dawe). D’autres rattachaient étroitement le génitif, malgré la distance, à εἰσδέχεσϑαι (cf. Dindorf ; voir Phéniciennes, 451 : τόνδ’ εἰσεδέξω τειχέων). Il est bien plus simple d’en faire un génitif de lieu (« of the area within which the action occurs », Moorhouse, Syntax, p. 59, § 11, II), comme certains l’ont fait, avec Moschopoulos, tout en construisant τούτον… comme un complément (cf. Hartung, Wilamowitz, Mazon ou Longo) : « dans les limites de cette terre ». Il est naturel que le roi, en invoquant son autorité (κράτη τε καὶ ϑρόνονς), circonscrive la terre sur laquelle elle s’exerce3.

    Vers 238

    37Le meurtrier étant désigné par τòν ἄνδρ’… τοῦτον, lorsque c’est lui qui est exclu de la vie sociale, le groupe est pris pour complément de toute la suite des verbes, jusqu’à ὠϑεĩν… πἀντας, mais le roi, par la force de l’imprécation, doit agir directement sur l’auteur de la souillure dans l’éventualité où il ne se serait pas de son propre chef fait connaître (v. 224-232). La parole royale s’adresse directement au meurtrier pour le forcer à rompre avec ses concitoyens. La perspective est alors renversée. Le coupable est sommé de bannir tous ses proches. Il ne recevra personne sous son toit, n’adressera la parole à personne (v. 238) et n’associera personne aux actes rituels, qu’il accomplit pour son propre compte (v. 239 s.), interdira l’accès à l’eau lustrale de sa maison (v. 240), repoussera tous ceux qui pourraient venir le voir (v. 241). A défaut d’un exil librement choisi, le criminel mis au ban est isolé à l’intérieur de la cité et confiné dans un espace qui enferme la souillure, si bien que la cité est purifiée.

    38La forme traditionnelle de l’exclusion par la communauté est prise à rebours, comme déjà l’était la forme juridique, utilisée pour traduire le criminel devant un tribunal auto-constitué (voir ad v. 227-229).

    Vers 239 s

    39Comme un deuxième μήτε, devant ϑύμασιν, semble ne pas coordonner, ainsi que les quatre autres, une action verbale, les éditeurs ont parfois normalisé avec μηδέ, selon une proposition d’Elmsley (voir Blaydes, Earle, Pearson, Kamerbeek). Quand on explique μήτε (que Jebb hésite à corriger ici à cause de l’insistance produite par la succession des μήτε), on en fait le deuxième terme d’un binôme nominal compris dans le groupe de μήτ’… ποιεĩσϑαι, en suppléant en pensée un premier μήτε, omis par haplologie, devant ἐv εὐχαĩσι (ainsi Dindorf : omisso uno propter collocationem verborum ; Schneidewin et Nauck, Jebb, cf. Sheppard). Mais le choix de μήτε, au lieu de μηδέ, conduit plutôt à lire deux fois κοινὸν ποιεĩσϑαι, une première fois par ellipse, dans l’attente que crée l’interruption, après ἐv… εὐχαĩσι. On attend une suite. Il n’y a pas lieu de prendre ἐv en facteur commun, avec Moschopoulos, cf. Longo ; on peut, avec un zeugma, faire de ϑύμασιν le complément de κοινόν, ce qui détacherait plus encore le premier groupe, où κοινόν, au sens de « partenaire », est autonome. La série verbale ainsi ne serait pas interrompue.

    Vers 240

    40Les manuscrits ont χέρνιβας, complément à l’accusatif pluriel de νέμειν, sauf la première main de L, qui donne χέρνιβος (et N apud Dawe). Les anciennes éditions ont préféré le pluriel (voir Brunck, Elmsley, Hermann, Wunder, Dindorf, jusqu’à Schneidewin, Blaydes) ; depuis Bellermann ou Campbell (établissant une relation entre le partitif et κοινόν ; cf. Earle : « ἐv χέρνιβι κοινόν ποιεĩσϑαι, hence the gen. part. »), elles se partagent (voir pour l’accusatif, Pearson, Masqueray ou Colonna ; pour le génitif, Jebb, Earle, Bruhn, Roussel, Mazon-Dain, Longo ou Dawe). Jebb croit pouvoir exclure le pluriel, parce qu’il ne s’agit pas ici de purifier le meurtrier, mais de l’écarter d’une action rituelle (voir la décision dans LSJ, s.v., I : « water for washing the hands », pour le singulier ; II : « purifications with holy water », pour le pluriel). Pourtant, comme le montrent une expression de l’Agamemnon, 1037, κοινωνὸν εἶναι χερνίβων, pour la vie en commun, ou la loi de Dracon, citée par Démosthène, XX, 158 (Contre Leptine) : χέρνιβος (v.l. χερνίβων) εἴργεσϑαι τòν ἀνδροφόνον, σπονδῶν, κρατήρων, ἱερῶν, ἀγορãς (l’énumération semble distinguer l’eau du foyer, les rites de la maison avec le banquet, les sacrifices officiels et la vie publique), le pluriel peut aussi bien désigner l’eau lustrale domestique. Dans le contexte de l’imprécation, il ne s’agit pas en effet d’une purification pour le sang versé ; mais il n’est pas question non plus, après ϑύμασιν, qui se suffit, d’écarter le coupable d’un sacrifice ; il faut inclure toutes les situations que réunit l’excommunication. Les commentaires citent, depuis Brunck, un texte d’Athénée, 409 B, décrivant le rite dans lequel un brandon, pris sur l’autel, était trempé dans l’eau pour asperger les participants, de manière à rattacher l’eau lustrale au sacrifice, mais il vaut mieux dissocier les domaines et voir dans l’eau du foyer, selon la coutume homérique (dans le rite de l’accueil, cf. Odyssée I, 136 ; IV, 52 ; etc.), le symbole de la solidarité familiale et de l’hospitalité (voir Bellermann). Parmi les actes religieux, les prières (ἐv… εὐχαĩσι) sont également distinguées, dans ce contexte, des sacrifices (voir ad v. 239 s.).

    Vers 241-243

    41Dans le cadre général de la compréhension de l’exécration, Oedipe justifie, avec ὡς…, l’obligation faite aux Thébains de tenir le meurtrier éloigné de leur foyer, en se réclamant de l’oracle (ainsi Longo, pour l’emploi de ὡς… « per i cittadini si tratta di un pensiero di Edipo, anzi dell’oracolo »). On voit simultanément le roi représenter aux Thébains la souillure, pour que, terrifiés, ils renoncent à cacher le coupable (voir ad v. 236 et 236 s.), et en faire les exécutants du. jugement à sa place, puisqu’on en tire, en confondant l’exclusion avec le bannissement, qu’Oedipe, entre deux peines pouvant frapper le coupable, s’est prononcé pour la plus légère (voir par exemple Earle : « Oedipus chooses the alternative of banishment, and does not mention the death penalty »). Roussel n’a pas tort de demander : comment l’ordre peut-il être exécuté « si les Thébains s’étant tus, on ne connaît pas le criminel ? Faut-il entendre les vers 233-234 :’si un coupable silence cache le meurtrier, et que, cependant, il soit pris…’ ? » ; il relève la contradiction pour conclure que « la pensée est trouble ici », sans revenir sur les prémisses.

    42L’interprétation repose sur les deux erreurs discutées ci-dessus, qui se combinent ici, d’abord qu’Oedipe pousse les Thébains à la dénonciation (voir surtout ad v. 230-232), et ensuite qu’il les charge de punir eux-mêmes le criminel en le rejetant.

    43Dans cette perspective, Oedipe justifie l’ordre qu’il donne aux Thébains en identifiant l’anathématisé et la souillure, et en accentuant la part des autres dans le « nous » touché par le mal (comme s’il y avait « vous »), τοῦδε est alors un masculin (voir les commentaires, de Planude : τοῦ ἀνϑρώπου ἐκείνου, à Kamerbeek) : « car il est pour nous une souillure » (Masqueray ; μιάσματος, attribut), comme si Oedipe montrait du doigt l’exclu.

    44Si le coupable lui-même surgit au jour devant la force de l’anathème, τοῦδ’ ne peut plus être ce masculin, comme τòν ἄνδρ’… τοῦτον, v. 236, et c’est à lui que la parole s’adresse, au moment où il lui est enjoint de se séparer de tous (cf. globalement πἀντας). Dans ce cas, on prendra μιάσματος plutôt comme sujet dans le génitif absolu, et τοῦδε comme un neutre, ce que certains semblent avoir fait, dans les limites de l’interprétation ici critiquée (voir Jebb : « knowing that this is our defiling thing » ; cf. Wilamowitz) : « (il se séparera de tous) parce que la souillure est là, dans ce contact avec la communauté, comme le dieu nous l’a indiqué en nous demandant de chasser la souillure », ὡς τὸ Πυϑικòν… ἐξέφηvεv établit une relation explicite entre l’anathème postulant l’auto-séparation et l’ordre du dieu (cf. μίασμα… ἐλαύνειν, v. 97 s.). Le meurtrier s’infligera sa propre exécution et vivra sa souillure, conformément à l’oracle.

    Vers 244-251

    45C’est à lui, le roi, que le dieu a fait connaître l’oracle (ἐξέφηνεν… ἐμοί, v. 243). Il parle maintenant non plus seulement comme tel (v. 244 s.), mais aussi (à partir du vers 246) comme l’un des Thébains à qui la proclamation s’est adressée, répondant à son propre appel, pour donner l’exemple : « pour moi » (έγὼ μὲν οὖν…) s’oppose ainsi à « vous » (ὑμīν δέ), au vers 252.

    46En ayant agi comme il l’a fait (τοιόσδε, « ich also biet’ in solcher Weise hier mich dar », Hartung ; « on this wise », Jebb) dans la déclaration qui précède, il s’est fait l’allié du dieu, qui a envoyé la peste et a désigné la cause, aussi bien que de la victime du crime non expié (v. 244 s.). Si τοιόσδε se rapporte à l’action qu’il vient de conduire, il est difficile d’en tirer par double entente une désignation d’Oedipe comme cause de la souillure (« che specie di uomo », Longo) ; Dawe, en outre, en faveur d’une transposition (voir ci-dessous), rapporte le pronom aux titres qu’Oedipe se donne plus loin (v. 258-268) pour agir au nom du roi défunt.

    47Symétriquement, les Thébains sont invités à obéir à ses ordres (v. 252), d’abord pour lui, qui est leur roi (ὑπέρ τ’ ἐμαυτοῦ, v. 253), pour le dieu, qui, à travers le roi, a parlé (τοῦ ϑεoῦ τε), mais aussi pour leur terre ravagée (τῆς δέ τε γῆς… ἐφϑαρμένης, v. 253 s.) à cause de leur négligence. Il est lui, Oedipe, ce qu’ils ne sont pas, l’allié du roi mort, en défendant sa cause ; eux, les Thébains, l’ont trahi (voir v. 255-258).

    48L’action rappelée, Oedipe prend position, comme l’un des sujets virtuellement concernés par la déclaration qu’il a faite. Il prononce une malédiction contre le meurtrier, en relation avec les deux cas qu’il a envisagés (cf. v. 247, répondant aux vers 227-229 et 230-232), qui est le modèle de celle que chacun devrait faire. La malédiction n’est pas la parole du magistrat s’adressant à la ville : c’est lui, Oedipe, un entre tous, mais le premier à le faire, qui lance l’anathème et se distancie donc personnellement du meurtrier.

    49Les commentateurs, pour distinguer cette malédiction de l’exécration qui précède (v. 236-241), ont considéré qu’il s’agissait maintenant d’une invocation aux dieux ; après l’action qu’il a menée lui-même, une autre dont le résultat ne dépendait plus de lui, prenant la rupture marquée par ἐγώ (v. 244) comme le signe de ce passage. Ainsi Bellermann : « dies ist’s, was ich für jetzt tun kann ; ich fluche aber… » (de même Schneidewin, Bruhn ou Kamerbeek, distinguant entre « Acht » et « Fluch », « ban » et « curse ») ; auparavant, prenant l’exécration des vers 236-241 pour une partie de l’instruction (inquisitio), on fixait au vers 246, avec κατεύχομαί, le passage à l’exécration (cf. Schaefer apud Erfurdt : nunc, si inquisitio frustra sit, diras addit exsecrationes), donnant aux vers 246-251 la fonction qui revient en vérité aux vers 236-241. Ce qu’on prend comme un prolongement d’une action royale dans le domaine divin (surtout lorsque le μέν du vers 244 est mis en relation avec le δέ du vers 246) est un prolongement dans le domaine privé et l’utilisation d’une forme de discours à cette fin.

    50Quand Oedipe s’adresse aux dieux, on est tenté de traduire κατεύχομαι, sans le distinguer sémantiquement, en dépit du préverbe, de ἐπεύχομαι (v. 249), par « prier » (voir Hartung, Bruhn, Masqueray, Jebb), mais d’autres gardent le sens de « maudire », qu’indiquent à l’unisson la scholie et les Byzantins (exsecror, Brunck ; Schneidewin ou Bellermann). Jebb cite, à côté de Photius, et d’autres, une note de la Souda, κ 1015 Adler : κατεύχεσϑαι · τὸ καταρãσϑαι οὕτως Πλάτων. καὶ Σοφοκλῆς κατεύχομαι δέ τòν δεδpaκότα τάδε, avec référence à notre passage ; il préfère pourtant le sens de « prier solennellement » en raison de l’absence d’un génitif (de la personne maudite), mais « maudire » est requis à la fois par le contexte et par la formule de malédiction du vers 248 avec le polyptote : κακὸν κακῶς (voir aussi ἠρασάμην, v. 251, en homologie avec le vers 248).

    51On traduit souvent de la même manière les deux verbes, κατεύχομαι (v. 246) et ἐπεύχομαι (v. 249), soit « maudire » (Schneidewin, Bellermann ; « imprecate on myself », Jebb, ἐπ = contre ; Mazon, Longo), soit « adresser une prière » (Bruhn : « wünsche dazu ») ; d’autres, comme Brunck, avec les Byzantins, passent de la malédiction à la prière (exsecror, imprecor). Le choix de « malédiction » s’explique souvent par la ligne de l’interprétation générale (voir ci-dessus), mais l’action ne convient pas à ce dernier verbe ; et même, face à « prier » que l’on propose (« ich wünsche femer », Hartung), on préfèrera « faire le vœu » ou « prononcer une déclaration ». Oedipe, après avoir maudit, en son nom propre, le meurtrier, déclare solennellement, envisageant le cas de la non-dénonciation d’un ami (v. 233-234), qu’il se frappe lui-même s’il tombait dans ce cas. Ici encore, c’est un modèle de conduite qu’il offre aux Thébains. Comme dans le groupe précédent (v. 246-248), le malheur qu’il appelle sur le contrevenant, avec ἅπεp… ἠρασάμην, est l’exclusion, selon l’exécration qu’il avait prononcée (cf. v. 248).

    52Le pronom τοĩσδε, invoqué comme l’une des preuves de la transposition (cf. Ribbeck, 1858, p. 130), désigne, sans trop de mal, le coupable, qu’il soit auteur ou de connivence (voir v. 246 s. : εἴτε τις εἷς… εἴτε πλειόνων μέτα). Schneidewin, pour donner au texte la clarté qui lui manquait, corrigeait τοĩσδ’ ἀρτίως en τoĩς αἰτίοις ; un problème d’exégèse suscitait une solution plus radicale de la critique : avec la transposition, le pluriel se rapportait à τoĩς μὴ δρῶσιν du vers 269 (« the disobedient », Earle) ; pour Dawe, par la combinaison de deux transpositions, τoĩς μὴ δρῶσιν venait se loger après l’exécration et s’appliquait aux Thébains qui ne l’exécutaient pas, alors que τοĩσδε, se trouvant dans la partie qu’il rejette à la fin, désignait tous les complices possibles.

    53La transposition de Ribbeck (1858), plaçant les vers 246-251 après le vers 272, est loin d’être la seule (voir par exemple van Herwerden) ; elle a été largement adoptée (voir Dindorf, Nauck ou Earle : « … abundantly justified… and restoring the verses to the order in which Sophocles wrote them »), bien qu’elle méconnaisse la différence fondamentale des deux passages. Ici, dans les vers 246-251, on est encore, avec l’application qu’en fait Oedipe à sa propre personne, dans le domaine de l’exécration qu’il vient de dire, alors que plus bas, après le vers 269, l’exhortation appelle les Thébains à lui prêter leur assistance dans l’action qu’il a entreprise en tant que représentant de la lignée des Cadméens. Il s’est investi lui-même, entre-temps, après les vers 258-268, étranger qu’il était au début de son rôle, comme le successeur pleinement légitime de Laïos. L’une des fonctions de cette Königsrede est bien qu’il en arrive là.

    54A cela s’ajoutent d’autres effets négatifs. L’exhortation se termine sur un diptyque qui sépare les bons et les mauvais, selon une division classique des finales (voir par exemple le fragment d’Empédocle 699 B. [= B 110 DK]). Avec la transposition de Ribbeck, on a pêle-mêle : 1. la malédiction des défaillants, 2. celle du meurtrier, 3. de lui-même, et 4. la bénédiction des fidèles (2. et 3. brisent l’antithèse).

    55Dawe, qui n’est pas convaincu par les arguments (mécaniques) de Ribbeck, se laisse guider par l’analyse de Greifenhagen (1966), qui dégage les éléments traditionnels d’un discours judiciaire de l’Athènes de Sophocle ; il est amené ainsi à grouper les éléments du texte de façon à obtenir une instruction (v. 216-232), une « excommunication » de ceux qui se soustraient à elle par les citoyens (v. 233-243), à laquelle il ajoute la malédiction des défaillants dans le finale (v. 269-272, transposés après le vers 243), ensuite les titres d’Oedipe à mener une action criminelle (v. 255-268), que suit, chez lui, avant les vœux de prospérité adressés aux fidèles (v. 273-275), la malédiction solennelle du meurtrier et de lui-même (κατεύχομαι…, ἐπεύχομαι…, v. 244-251). A la transposition de Ribbeck il ajoute celle des vers 244 s. pour réunir dans un groupe les titres du procureur. On gagnerait ainsi, selon le résumé de l’argumentation chez Lloyd-Jones, 1978, p. 220, en adoptant une transposition, dont l’origine est pourtant difficile à expliquer, d’être, d’une part, débarrassé d’une malédiction qui, après l’ostracisation prononcée contre le refus d’information, se présente comme un « somewhat lame appendage » et, d’autre part, d’appliquer au refus d’information les vers où les réfractaires sont voués à leur perte, à quoi il faut répondre : 1. que l’exclusion ne touche pas l’informateur, mais le criminel qui ne s’est pas fait connaître (voir ad v. 236-241), 2. que la malédiction qui suit (v. 246-251) s’adresse au même individu (il n’y a pas de différence entre le meurtrier et l’informateur), dans la bouche d’Oedipe, parlant pour lui (ἐγὼ μὲν οὖν, voir ci-dessus), 3. que le refus d’obéissance (τοĩς μὴ δρῶσιν, v. 269-272) ne prend son sens qu’à la suite de la résolution d’Oedipe d’agir au nom de la tradition thébaine, transformant l’enquête en une action politique de réparation (voir aussi la critique de Erbse, 1981, p. 34). L’organisation interne est donc sacrifiée à une division rhétorique, alors que tout laisse à penser que les éléments traditionnels de la pratique juridique ont été transformés par Sophocle pour être soumis à la loi du drame.

    Vers 248

    56Une correction de Porson, Praefatio ad Hecubam, p. VIII, a substitué à ἄμοφον, définitivement, semble-t-il, l’adjectif ἄμορον, qui supprime l’anapeste du troisième pied (avec vιv ἄμορον). Si la graphie transmise est conservée – elle est aussi dans la Souda, s.v. ἀμοφῆσαι, a 1664 Adler, et toutes les scholies la commentent –, le souci de respecter la norme métrique fait supprimer vιv (ainsi Burton et Ebner, cités par Blaydes ; cf. Dawe, Studies, p. 220), dont l’emploi, comme élément de reprise, cf. τòν δεδρακότ’, v. 246, est pourtant bien sophocléen (cf. Trachiniennes, 289, rapproché par Porson ; voir Jebb).

    57Le sens peut-il décider ? Si les deux adjectifs font partie du même champ sémantique du malheur, avec l’un, c’est proprement, par la transparence de l’étymologie, « celui qui n’a pas de part (aux rites et même à la sépulture) » (voir le scholiaste, en second :… μηδενòς τῶν νενομωμένων μετειληφότα ἀλλ’ ἄταφον ἐκβλϑῆναί), sens bien adapté à une formule de malédiction et de rejet (cf. κακὸν κακῶς, v. 248, et ἠρασάμην, v. 251) ; l’autre, « infortuné » (voir LSJ, s.v. : dans ce sens pour ce passage uniquement), laisserait au polyptote seul une valeur sacramentelle, et, caractérisant la vie (βίoν, voir ci-dessous), la définirait d’une façon large comme malheureuse. En fait on peut se demander si la création de ce dernier sens pour ἄμορος et la correction même ne sont pas parties, plutôt que du mètre, du besoin de différencier les deux termes voisins, κακὸν κακῶς et ἄμοιρον, pour faire de l’un un attribut du sujet, de l’autre une épithète du complément (ἄμορον βίoν), et ne sont donc pas beaucoup plus liées à la syntaxe et au sens du vers qu’il ne semble d’abord. Dans les traductions en effet, ἄμορον, « unblest » (Jebb), « sans joie » (Mazon), épithète de βίoν, développe, assez pauvrement d’ailleurs, la malédiction. La leçon de L, κακὸν κακῶς vιv κἄμοιρον (consignée dans les éditions de Dain et Colonna, bien qu’elle ne se lise pas), pousse Karmerbeek à envisager un vιv κάμμορον, sans grand profit en dehors de l’homérisme (la critique de Diggle, 1969, p. 151, est davantage dirigée contre le « conservatisme » que contre le fond).

    58En acceptant le sens propre d’un verbe qui se différencie de τρίβω, comme de διατρίβω (en dépit de Roussel : « on peut se risquer à donner ici à ἐκτρίβω le sens premier de διατρίβω – qui était trop affaibli :’arracher en entier par usure’ »), pour qu’il signifie par son préverbe « éradiquer », « détruire », « effacer », mais conserve, d’autre part, avec βίoν comme complément, la figure τρίβειν βίoν, « vivre sa vie », jusqu’à la nier : « vivre sa vie en la détruisant » (ἐκτρίβειν), on est amené à donner à ἄμορον (ou ἄμοιρον) la fonction d’un nouvel attribut du sujet vιv, détaché du premier, κακòν κακῶς (expression consacrée de la malédiction) : « maudit qu’il est, détruire sa vie, en homme exclu de tout ».

    59Chez Euripide, Médée, 1395, on lit στείχω, δισσῶν γ’ ἄμορος (v.l. : y’ ἄμμορος Bp : γ’ ἄμοιρος LV : ἄμοιρος Α) τέκνων, dans l’acception requise ici. On peut alors retenir la forme métriquement plus satisfaisante, à condition de lui donner le sens (celui de ἄμοιρον) que l’on avait exclu.

    Vers 250

    60Brunck, suivant Markland, introduisait une négation devant ξυνειδότος (μὴ oὐ pour ἐμοῦ, in ipsius mei nescientis aedibus) ; il lui paraissait absurde d’avoir recours à la malédiction contre un individu que l’on avait tout loisir d’éjecter ou de traduire en justice, puisqu’on le connaissait (la malédiction concernait toujours, comme dans les vers précédents, 246-248, le criminel, sujet de πaϑεĩv au vers 251). Il est remarquable que, pour défendre le texte (Schaefer, repris par Erfurdt et Hermann ; ou Elmsley), les interprètes se soient reportés au sens « second », illustré par le scholiaste (ἀyvoῶv ἐπαρãται ὲαυτῷ εἰ σὐνοιδε τὸν φονέα διὸ καὶ περὶ παϑέστερος γίveτaι ὸ λόγος). La première malédiction (v. 246-248) touchait le « parricide », et la seconde (v. 249-251) sa complicité avec un étranger, qui, si elle était destinée à terrifier les citoyens, avait surtout pour but de rendre l’inconscience d’Oedipe plus pathétique (à cause de ξυνειδότος). Mais la division entre auteur et complice rend le sens premier inévitable.

    Vers 255-258

    61La traduction de ces vers bute sur une difficulté que les commentateurs bagatellisent. En effet, ayant donné à πρᾶγμα, au vers 255, à cause de l’oracle, le sens d’« investigation », ordonnée par le dieu (ϑεήλατον), on passe, au vers 256, à « meurtre » pour que ἀκάϑαρτον (hapax chez Sophocle) garde son sens religieux d’une souillure « non purifiée » (inexpiatus, Ellendt, s. v., p. 20 ; voir Brunck ou, plus explicitement, Wunder : investigationem caedis, puis caedem ; alia notione accipiendum est in eo membro, in quo positum, alia in eo, in quo intelligendum, à savoir relatum ad ἀκάϑαρτον ἐᾶν ; comme lui : Dindorf, Schneidewin, Blaydes, Nauck, Campbell, Bruhn, Kamerbeek, Longo ; Jebb passe d’un « matter » à un « guilt » ; Mazon de « avis » à « tache » ; Masqueray de « purification… prescrite » à « pays souillé » ; ou Longo : « si riferisce specificamente all’indagine… », puis, pour le vers 256 : « sopratutto…’ciò che si doveva purificare’ »).

    62D’autres solutions, plus rigoureuses, n’ont pas été retenues. On concluait, à cause de ἀκάϑαρτον, que πρᾶγμα devait désigner le meurtre (Erfurdt), et on entendait par conséquent ϑεήλατον de façon large, non comme « voulu par le dieu », ainsi qu’on le faisait pour l’oracle (etsi Deus non jusserat, Brunck), mais comme « qui touche le dieu » (quod ad Deos pertinet, Erfurdt) ; c’est ainsi que comprenait Thomas : ὸ φόνος ; et pour ϑεήλατον : ἐκ ϑεoῦ ἐλϑòν εἰς ζήτησιν ; le sens de πρᾶγμα était adapté à ἀκάϑαρτον et en même temps la valeur rejetée, « l’avis » ou « l’ordre » de l’oracle, transféré sur ϑεήλατον (voir aussi Hartung ou Earle). Le fait que le dieu, par son oracle (ϑεήλατον), avait révélé la relation entre le meurtre et le fléau permettait à Hermann (1833) de réunir dans une seule notion (universam rem, voir aussi Ellendt, s.v. πρᾶγμα, p. 651) le « meurtre » et l’enquête négligée.

    63Le scholiaste prenait πρᾶγμα pour l’impureté révélée, avant l’oracle, par le fléau « envoyé par le dieu », « l’action » d’Apollon qui devait se mêler de cette affaire ; les Thébains auraient dû ne pas attendre la peste pour faire leur enquête : καὶ γàρ εἰ μὴ ἦν ὅλως τὸ ἄγος ὑπò ϑεῶν ἐλαννόμενον καὶ oἱovεὶ πολυπραγμονούμενον (cf. πρᾶγμα) ὑμᾶς ἔδει κινoυμένους οἴκοϑεν… ἀναζητεῖν. Il trouvait ainsi le sens commun aux deux références de πρᾶγμα dans « l’impur ».

    64Tout autre est l’interprétation de Moschopoulos ; πρᾶγμα est franchement l’enquête ordonnée par le dieu, à savoir l’oracle : ἤγουν τὸ ζητεĩν τòν φονέα, ὑπò τοῦ ϑεοῦ κεκινημένον (pour ϑεήλατον). Il concluait alors que ἀκάϑαρτον, si πρᾶγμα était l’affaire à éclaircir, devait viser l’exploration même, non conduite (ἀνεξέταστον) ; il mettait l’adjectif en relation avec ἀλλ’ ἐξερευvãv. Le mot perdait ainsi sa valeur religieuse.

    65A partir de la purification tirée de ἀκάϑαρτον, on construit un irréel, appliqué soit au meurtre soit à l’enquête. Le dieu étant impliqué, les Thébains ont fait comme s’il ne l’était pas : « quand bien même le dieu n’eût pas été dans l’affaire… » (voir Wunder : etiamsi non iussisset…, aequum erat… ; Blaydes : « for not even if this matter were not enjoined by the god, was it [would it have been] reasonable… » ; voir encore Jebb, analysant l’emploi de ἔδει sans ἄv suivi d’un infinitif, avec la valeur d’une conditionnelle ; « si sarebbe dovuto », Longo ; un irréel du présent dans la protase, pour Bruhn). Or si ἀκάϑαρτον a un sens profane, le dieu a pu ne pas être, aux yeux d’Oedipe, concerné dans le meurtre. C’est lui que le dieu investit, non les Thébains ; cf. ἐμoí, v. 243. La non-intervention d’Apollon autrefois dit l’importance aujourd’hui du successeur de Laïos. Il faut traduire la protase, en chargeant ἦν d’une valeur existentielle : « car si (et non pas « même si » que tous les interprètes ajoutent, tirant la valeur concessive de οὐδ’, mais οὐδ’ porte sur l’apodose) l’affaire avait une existence, sans qu’un dieu y fût mêlé (μὴ ϑεήλατον a une certaine autonomie dans la phrase), ce n’était encore pas une raison (οὐδ’… εἰκòς ἦν) pour ne pas l’éclaircir ». ϑεήλατον, à lui seul, n’est pas l’oracle (voir au vers 992 : ϑεήλατον μάντευμα, où l’oracle est qualifié comme étant d’origine divine), mais l’action du dieu (voir Antigone, 278).

    66On peut alors revenir à la compréhension de ἀκάϑαρτον chez Moschopoulos, « non examiné », « non éclairci », relier l’adjectif, sans difficulté, à τὸ πρãγμα, « l’affaire (du meurmeurtre)», et maintenir l’antithèse entre ἀκάϑαρτον… ἐᾶν et ἐξερευνᾶν. Avec le sens de « non purifié », l’opposition ne peut pas être établie, et l’on est amené à prendre ἐξερευνᾶν absolument (cf. Longo : « l’ogg. … non è però espresso, e non si può più cercare in πρãγμα »). On a, dans un autre domaine, un emploi tout à fait comparable de καϑαίρειv pour l’élucidation de problèmes de la physique (voir Empédocle, fr. 699, 2 B. [= B 110, 2 DK] : καϑαρῆσιν… μελέτῃσι, et mon commentaire, Les Origines, III, p. 578 s. ; cf. aussi Epicure, Lettre à Pythoclès, 86, 3, et notre commentaire ad l., pour κάϑαρσιν).4

    Vers 257

    67La plupart des éditeurs (de Brunck ou Wunder à Pearson ou Colonna) ont adopté la particule τ’ après βασιλέως (elle n’est pas dans G, et réécrite dans L) ; c’est qu’on voyait dans le deuxième substantif une progression : « un excellent homme, et en plus votre roi » (ainsi Brunck : fortissimo viro, eodemque Rege ; cf. Jebb : « there is a climax… » ; il voyait dans ἀνδρòς ἀρίστον la naissance, mais aussi le mérite personnel ; de même Kamerbeek ; ou Hermann, contre Elmsley, avec un premier τ’ à la place de γ’ : duplex argumentum, dans l’édition de 1833). Elmsley avait préféré, sans τ’, prendre ἀρίστον βασιλέως comme une apposition (quum quidem vir, qui optimus rex fuit, perisset, dans la traduction de Hermann ; cf. Blaydes). Le mérite ne fait rien dans l’affaire, et la naissance ne se distingue pas de la royauté (cf. Roussel : « il ne s’agit pas de l’excellence du caractère ou des mœurs de Laïos, dont il [Oedipe] ne sait rien, mais bien de sa situation sociale. Cette situation consiste à être roi »), Earle regroupait άνήρ et βασιλεύς, selon le tour connu qui distingue la qualité (voir LSJ, s.v. άνήρ, VI, 1 : « joined with tities »), si bien que ἀρίστον prenait la fonction d’une épithète du groupe, sur lequel porte γ’ (voir Mazon : « le meilleur des rois avait disparu », sans indication sur le choix dans l’apparat ; Longo). Mais la raison de l’épithète n’apparaît pas, si bien que l’on peut préférer, avec Schneidewin, voir dans βασιλέως (et βασιλέως seulement) l’apposition, sans distinguer l’excellence de la royauté : « quand le premier des hommes, le roi, était mort ».

    Vers 258-265

    68Les interprètes, une fois adoptée, depuis Erfurdt et Elmsley, la conjecture de Burton : ἐπεὶ κυρῶ pour ἐτηκνρῶ au vers 258, pour des raisons métriques (on a ensuite retrouvé la leçon dans des recentiores, cf. Colonna ; Dawe, B.T., n’en mentionne qu’un seul ; cf. Studies, p. 220 ; on lisait auparavant une principale, νῦν δ’ ἐπικνρῶ τ’ ἐγώ, dans l’Aldine, paraphrasée par Moschopoulos : καὶ ὁ ϑεòς κιvεĩ καὶ ἐγὼ ἐπιβεβαιῶ ; vῦv δέ y’… chez Brunck : nunc vero auctor sum ipse quoque), trouvaient l’apodose dans ἀνϑ’ ὧν du vers 264, où le relatif avait la fonction d’un démonstratif (Elmsley se réclamait d’un passage de l’Orator, XIV, 45, de Cicéron, où l’on a quibus – ut uti possit orator, pour iis que l’on attendrait ; ainsi Wunder, Dindorf, Blaydes, Campbell, Jebb, Earle, Roussel, Kamerbeek ou Dawe). Il s’ensuit que toute la partie intermédiaire, non seulement les deux propositions coordonnées (κυρῶ τ’…, v. 258, κοινών τε… ἦν, v. 261 s.), mais aussi la reprise de νῦν δέ, au vers 263, devait être considérée comme un prolongement de ἐπεί, et donc le vers 263, qui ne s’y rattache pas syntaxiquement, comme une parenthèse. Les deux νῦν δέ ne se trouvaient donc pas sur le même plan.

    69Pour Hermann pourtant, qui procédait à une analyse logique, νῦν δ’ ἐς τὸ κεívoυ… répondait aux vers précédents (v. 255-258) : « vous auriez dû agir par vous-mêmes, après la mort de votre roi ; mais la Fortune (τύχη, v. 263, que Hermann, en 1833, reprochait à Brunck de traduire par mala fortuna), en s’abattant sur Laïos, a rétabli les choses, en me donnant l’occasion de me substituer aux vengeurs défaillants » (opportune factum est, ut huius sit caedes ulciscenda). La mort n’était pas considérée comme un malheur, mais, pour Oedipe, comme la justification de son intervention substitutive. Il renversait ainsi le point de vue, et prenait les subordonnées, avec νῦν δ’ du vers 258, comme une parenthèse (voir aussi Bellermann, ad v. 258).

    70Les autres interprètes cependant, s’en tenant à la corrélation de έπεί… (v. 258) et ἀνϑ’ ὧν… (v. 264), ont considéré le deuxième νῦν δ’ du vers 263 comme une interruption parenthétique. Tantôt on la rattachait à la conditionnelle des vers 261 s., εἰ κείνοῳ γένος μη ’δυστύχησεν : « mais en vérité il est mort sans avoir eu le temps d’avoir une progéniture » (c’est l’opinion combattue par Hermann : nunc igitur obiit ille sine liberis, et celle de Wunder ; ou Blaydes : « closely connected with what has immediately gone before » ; à la suite de Musgrave, Blaydes rapportait cependant κείνου, non à Laïos, mais à son fils, corrigeant τάδ’, au vers suivant, en τοῦδ’ pour mieux distinguer les personnes concernées : « mais celui-ci, à qui le devoir aurait incombé, a été frappé par le destin », Oedipe parlant comme s’il connaissait la mort de l’héritier : « as Laius’son… met with an untimely end » ;voir au contraire Campbell : « Oedipus says this in ignorance of Laius having had a child » ; Jebb, Kamerbeek ; voir ad v. 261 s.). Plus souvent, on rapportait le coup du sort au meurtre de Laïos, qui expliquait l’absence de demi-frères, selon les vers 261 s., mais au point où en sont les choses, « νῦν δ’in its idiomatic use (= ὡς δ’ ἔχει τὰ πράγματα)… ἀπέϑανε πρὶν παĩδα οὶ yεvέσϑaι » (Earle ; cf. Schneidewin : « eigentlich solite der Gedanke… das zweite Glied des Vordersatzes bilden » ; de même Nauck : « das parenthetisch eingeschaltete νῦν δ’… bezieht sich auf die Worte εἰ κείνῳ yέvoς… » ; Beller-mann, mann, Jebb, Bruhn, Longo ou Dawe : « … swooped on Laius’head before he could have children » ; Roussel commente : « l’expression ἐνήλατο, à propos d’un malheur – très grand aux yeux des anciens, puisque dans Eur. Suppl. 66 c’est δυστυχία qui s’oppose à εὐτεκνία… – a quelque chose de forforcé »).

    71Sans que l’analyse soit en rien modifiée, certains auteurs, plutôt que de construire une période continue, voient à la fin du vers 263, avant la reprise par ἀνϑ’ ὧν, une anacoluthe (ainsi Schneidewin, Bellermann, Nauck ou Longo : « l’anacolutocoluto appare in tutta la sua forza nell’ἀνϑ’ ὧν »). Il y a certes anacoluthe, mais la figure ne prend son sens que si les deux νῦν δέ sont mis en relation étroite, sur le même plan, comme deux énoncés complémentaires. Le meurtre n’est pas l’explication de l’absence d’héritiers, mais le malheur qui a fait que sa mort n’a pas été vengée. L’analyse de la période, dans la tradition, néglige de voir que l’itération, unissant les propositions, répond étroitement au système conditionnel qui précède (voir sur ce point ci-dessus Hermann ; Bruhn, pour restreindre la portée de νῦν δ’, v. 258, restreignait la référence au fait de la mort du roi, « es steigert 257 »).

    72Les Thébains, unis par un lien aristocratique à un roi excellent (voir ad v. 257), auraient dû entreprendre la recherche par eux-mêmes, de leur propre chef, c’est-à-dire sans attendre l’intervention d’Oedipe, alors qu’ils agissent maintenant seulement, à travers Oedipe, sur les instances du dieu, qui leur fait de la recherche du meurtrier une obligation (voir ad v. 255-258 ; εἰ… μὴ ϑεήλατον, en relation avec les vers 241-243 : ὡς… ἡμὶν ὄντος, ὡς… ἐξέφηνεν… ἐμοί) – la cité n’étaitelle pas visiblement délaissée des dieux (cf. ἀϑέως, v. 254) avant que l’ordre de purification ne fût arrivé de Delphes ? Ils ne l’ont pas fait (οὐδ’… εἰκòς ἦν οὕτως ἐãv, ἀλλ’…, v. 255-258). L’idée n’est certainement pas que la volonté exprimée par le dieu rend maintenant cette obligation plus impérieuse (νῦν δέ, ἐπεὶ ἒστι ϑεήλατον, πολὺ μãλλον ὑμãς δεῖ ἐξερυãv, Bellermann) ; l’accent est mis sur les raisons qu’ils avaient de s’intéresser au sort de Laïos avant l’intervention du dieu et l’intermédiaire du fléau, à cause du meurtre. Or c’est bien à la suite de cette intervention divine qu’Oedipe agit, étant donné que l’investigation spontanée n’a pas eu lieu (voir aussi v. 126-131), et le roi défunt maintenant reçoit son dû : « mais maintenant (à la fois temporel et logique, cf. Earle) – s’il me revient de par la volonté du dieu de mener l’investigation à votre place, bien que Laïos n’ait pas été mon roi comme il a été le vôtre –, je ne suis pas sans titres pour me substituer à vous ». Si telle est la liaison, la subordonnée : ἐπεὶ…, n’est pas la protase où serait justifiée la résolution exprimée dans la principale : ἀνϑ’ ὧν… ὑπερμαχοῦμαι…, v. 264-268 ; l’antithèse introduite par νῦν δέ (v. 258) suppose, par ellipse, selon le contenu du système conditionnel qui précède : « en réalité il me revient d’agir à votre place ». La causale énumère plus précisément les raisons grâce auxquelles Oedipe peut se sentir habilité à épouser la cause du roi défunt, non seulement pour le venger mais pour le faire à la place des Thébains. L’exercice du pouvoir (ἀρχάς, v. 259) comme le mariage avec la femme du mort (v. 260) et la descendance issue du même lit (voir ad v. 261 s.) unissent Oedipe à son prédécesseur. Mais cette union est en même temps une séparation, puisqu’elle est fondée sur la mort. D’un côté, ils auraient pu avoir des enfants « communs », si la « race » de Laïos n’avait pas disparu, de l’autre, le roi a été damné par le destin : « la fortune s’est abattue sur lui ». Ce qu’on a pris pour une parenthèse est en fait un complément antithétique de la première proposition dans les mêmes termes syntaxiques : « en réalité, c’est à moi de conduire l’enquête… (νῦv δ’, v. 258) », « et j’ai les titres pour le faire (ἐπεὶ…, v. 258-262) », puis, dans le prolongement de cette argumentation, une cause parallèle et contraire à la fois : « mais en réalité ce même roi à qui j’ai été si intimement uni a été victime d’un terrible destin (vῦv δ’…, v. 263) ». A l’explication des liens particuliers se superpose, dans la reprise, l’obligation qui découle de la rupture. Laïos lui a légué sa place, mais Laïos est mort. La phrase, on le voit, doit être détachée de la causale qui précède, elle introduit l’exacte contrepartie de la légitimation qu’elle spécifie.

    73Les vers 264-268 présentent la résolution d’Oedipe d’agir pour son propre compte, et non plus seulement au nom du pouvoir qui lui a été conféré, en tant que découlant avec nécessité de la relation personnelle qui s’est établie entre Laïos et lui, comme entre un fils et son père (ὡσπερεὶ τοὐμοῦ πατρός, v. 264), médiatisée par la virtualité d’une descendance commune. Ce qui vaut pour le passé, vaut pour l’avenir, dans un état de rupture. Oedipe s’est identifié avec Laïos au point que sa race est devenue la sienne (voir ad v. 267 s.).

    74« Je suis habilité à poursuivre l’action par les liens qui m’unissent au mort, et sa mort m’en fait une obligation » : le deuxième terme (v. 263) ne peut plus alors faire partie de la protase. La période est achevée. Plutôt que de traiter le relatif comme un démonstratif se référant aux titres positifs seulement, le sceptre, le lit et la femme, on suppléera, après le vers 263 : « autant de raisons (les liens et la mort, selon Moschopoulos) – pour lesquelles… (ἀνϑ’ ὧν…) ». L’antécédent est dans la double justification, légitimant et imposant la résolution, que l’on tire des deux propositions complémentaires. Il lui appartient d’agir (cf. ἐγώ) en allié (σύμμαχος) du dieu, et, pour le mort, non en allié seulement, comme il l’a fait dans la proclamation royale (v. 245), mais en s’engageant pour lui comme on le fait pour un ami et pour un frère (ὑπερμαχοῦμαι, v. 265).5

    Vers 261 s

    75Le redoublement κοινῶν… κοίν’ ἄv est traité en général, dans les traductions modernes, comme un renforcement, exprimant le partage, dans le même clan, d’enfants nés d’un même lit, de deux pères différents : « des enfants communs eussent été notre lot commun » (Mazon ; Pfeiff ne traduit que l’un des deux termes : « wären uns Kinder… gemeinsam… entsprossen » ; cf. Pignarre : « moi… qui aurais ses enfants pour enfants » ; voir Hermann). En effet, la figure est interprétée soit comme un pléonasme (pleonastice dictum pro κοινοὶ παῖδες, Wunder, comme Erfurdt : « j’aurais considéré comme miens des enfants partagés avec lui » ; cf. Campbell), soit stylistiquement comme une diction tragique (« eine Gemeinschaft gemeinsamer Kinder », Bellermann – « des enfants qui nous appartiendraient en commun » ; voir déjà Wolff ; cf. Schadewaldt : « … gemeinschaftlichen Kindern…/…/Gemeinsam »), soit comme une expression superlative par la figure du polyptote (voir Moorhouse, Syntax, p. 14 s. : « … better taken as personal, ’children most nearly kin’ », et 170 ; Longo rapproche de ἄρρητ’ αρρήτων, v. 465). On en est arrivé à l’éliminer comme indigne de Sophocle, par la correction, ce qui n’est pas très différent de l’omission dans la traduction (σώματ’ pour κoíν’ ἄv, Hartung ; σπέρματ’, Blaydes ; κύματ’, Nauck, cf. Dindorf ; και νῷν τά pour κοινῶν τε, Μ. Schmidt, 1864, p. 9, « eine Konjektur, die gegenüber der äusserst ungewöhnlichen Verbindung der Überlieferung sehr ansprechend ist », Bellermann, Anhang, p. 261 ; cf. le verdict de Nauck, Anhang, p. 165 : « 261 f. hat Burges… mit Recht getilgt »).

    76L’explication pléonastique est la conséquence du mal que l’on avait à différencier les référents, et cela d’autant plus que le sujet était plus indéterminé. Pour Brunck, une amorce de différenciation était fournie par (κοινὰ) γέvη (tiré de la protase), mais c’était parler deux fois de la même filiation (« une fraternité, κοινά = ἀδελφά – au sens institutionnel – d’enfants communs » ; de même Schneidewin : « gegenseitig Geschwister »). Dindorf tire de l’expression un abstrait qui formerait le sujet (κοινῶν… κοινωνία ; cf. Roussel : « un pur substantif » ; Longo : « κοινότης… communitas communium liberorum »). Ce formalisme n’évite pas la lecture par le pléonasme. La variation concret/abstrait n’est pas exploitée. Développant l’amorce de Brunck, Jebb a un nom concret pour sujet : « fies » (cf. Bruhn). La première lecture, à savoir l’expression dans la bouche d’Oedipe, produirait d’abord le sens : « des enfants nés de la même mère auraient créé entre nous des liens » (voir Bruhn), mais on pourrait également lire à travers les mots que ces enfants « communs », étant fils de Laïos, étaient frères de leur père (« … subtle emphasis – so ghastly, ξυνετοῖσιν », Jebb ; cf. Campbell, Kamerbeek ou Dawe). L’analyse de Jebb repose sur une valeur chaque fois différente de κοινός : pour les enfants, la fraternité physique, pour Laïos et Oedipe, le lien d’alliance créé par elle (voir Roussel : « les enfants en question auraient un lien avec ceux d’Oedipe ; ils ne lui seraient, à lui, rigoureusement rien… L’idée, bien qu’on puisse un peu la légitimer, garde quelque subtilité saugrenue, dont est cause le désir de mélodramatiser »). Le problème est là : différencier les référents en maintenant le sémantème. Pour ce qui est de la double entente, elle pèche par l’absence de rapport entre les deux plans du discours.

    77De même, lorsque la protase, εἰ κείνῳ…, est interprétée à double fond comme signifiant à la fois : « si sa descendance ne s’était pas éteinte » et « son fils, à savoir Oedipe, a eu un mauvais destin » (« ill-fated », Jebb ; cf. Campbell, Kamerbeek ou Dawe), le sens « second » diverge du premier jusqu’à le contredire.

    78L’hiatus entre les deux plans est comblé par le scholiaste. S’appuyant sur Antigone, 1 : πολλάιας δἑ ὀ Σοφοκλῆς ἐπὶ τοῦ ἀδελφοῦ τίϑησι τò κοινόν (cf. Ellendt, s.v., p. 390 : inprimis de cognatis), il comprend plus hardiment la fraternité physique dans les deux cas : « communs, à savoir frères de mes enfants et de moi » (ἀδελφà τοĩς ἑξ ημῶν oἷov καὶ ἡμĩν ἄv ἐγένετo εἰ…). « Nous aurions partagé, Laïos et moi, en frères, des fils frères ». Dans ce cas, Oedipe envisage la fraternité sur deux générations (Thomas paraphrase : κοινὰ διὰ τὸ τὴν αὐτήν ἐκείνῳ γυναĩκα ἔχειν). On peut, à partir de cette double fraternité, construire une « conception » (voir ἐκπεφυκότα) fraternelle, égalisant les deux pères d’enfants frères entre eux. La situation est tout à fait irréelle (voir l’embarras de Thomas qui remarque que si Laïos avait vécu, il n’aurait pas laissé son lit à Oedipe : καὶ οὐδεὶς ἂv αὐτῷ ἐκοινώνει τῆς τῶν τέκνων σπορᾶς, si bien que, devant la hardiesse – παρακεκινδυνευμένον – de l’assimilation des engendreurs, il envisage comme les modernes, une autre communauté, qui, au niveau des engendrés, rapprocherait les enfants qu’ils auraient partagés ; l’hypothèse d’un Laïos engendrant avec Oedipe lui paraît plus risquée que celle d’une descendance commune qui aurait pu, plus logiquement – κατὰ τὴν πρέπουσαν ἀκολουϑίαν –, se succéder dans le temps).

    79La communauté est idéale, elle n’est pas physique ; elle est construite par Oedipe, qui la recherche dans la communauté des enfants ; d’où la répétition qui fait sortir du génitif concret κοινῶν l’abstrait, qui est ainsi engendré par la naissance (ἐκπεφυκότα n’est pas une métaphore : le lien « naturel » entre les deux rois est paradoxal, il est produit par leur progéniture). Laïos et Oedipe sont liés par l’ensemencement d’un même sillon (cf. ὁμόσπορον, avec une valeur passive, v. 260 ; pour la valeur active, voir le vers 460), par la femme qu’ils ont partagée dans un même mariage (cf. « lit », v. 260). A travers ses enfants, Oedipe renforce l’alliance avec le roi dont il défend la cause et dont il se fait consanguin, sans savoir qu’il l’est.

    Vers 265 s

    80La tradition est unanime, depuis les Byzantins, pour donner à ἐπὶ πάντ’ ἀφξίομαι le sens de « tout entreprendre pour » (ἐπὶ πᾶσαν μηχανήν, Moschopoulos ; πᾶσαν ὁδὸν ἐρευνῶν, Planude ; πᾶσαν σπουδὴν…, Thomas) ; voir Brunck : omnia experiar, ut… ; Wunder, ad Philoctète, 259 ; ou Jebb : « leave nought untried in seeking to find » (Bruhn, Kamerbeek ou Longo). Les tours que Ton compare, comme ἐπὶ πᾶν ἐλϑεĩv (cf. Blaydes, Jebb), pour justifier cette acception, ne sont peut-être pas comparables (pour Bellermann, le sens courant serait « s’exposer au plus grand danger », cf. LSJ, s.v., 2 : « come into a certain condition »). On rapproche (depuis Musgrave, voir Dindorf, Wolff, Bellermann ou Jebb, et LSJ, s.v., 1) un passage de l’Hippolyte, 284 : ἐς πᾶν (v.l. : πάντ’) ἀφīγµαι κοὐδὲν εἴρyaσµαι πλέον, que Ton traduit par : « j’ai tout essayé et je ne suis arrivé à rien » (cf. Barrett), mais on fait sans doute mieux de comprendre : « je suis allé jusqu’au bout sans rien obtenir » ; on peut dans ce cas comparer un vers d’Ajax, 48 :… κἀπὶ τέρμ’ ἀφίκετο ; : « a-t-il poussé jusqu’au bout ? ». Oedipe se promet de faire toute la lumière, d’arriver jusqu’au bout de la connaissance, « dans la recherche du meurtrier… » (ζητῶν τòν αὐτόχειρα…) – cette possession totale de l’affaire, il y arrivera au terme du drame (voir au vers 1182 : τὰ πάντ’ ἂν ἐξήκοι σαφῆ). La concomitance dans le participe présent (« dans la recherche de… ») est ainsi mieux rendue (dans les traductions courantes, on arrive à faire du participe l’équivalent d’une proposition finale ; cf. Wilamowitz : « dafür eintreten…, den zu erreichen, der… », ou Pfeiff : « lass… nichts unversucht, den Mörder zu finden »).

    81Brunck, suivant les glossateurs byzantins (cf. Moschopoulos, Thomas), a construit le datif du vers 267 (τῷ…) avec τοῦ φόνου (peremptorem filii ; voir aussi Hartung). Cette construction s’est maintenue jusqu’aux dernières traductions (voir par exemple Wilamowitz, Masqueray, Mazon). Campbell citait un emploi de la Poétique, 1452 a 9 : τὸν αἴτιον τοῦ ϑανάτου τῷ Μίτυϊ, et Longo expliquait le complément comme le datif incommodi (τòν αὐτόχειρα… valant τòν ἐργασάμενον τòν φόνον) des modèles homériques du type φόνον φυτεύειν, τεύχειν τινι, cf. Odyssée II, 165 ; XI, 430. D’autres ont fait dépendre le datif plus largement de la proposition entière et donc du verbe ἀφίξομαι (cf. Blaydes : « on behalf of » ; cf. Roussel : « satisfaisant au… ») ; Campbell hésite entre cette dernière interprétation (prolongeant l’idée d’assistance ou de vengeance exprimée dans ὑπερμαχοῦμαι) et la première, Kamerbeek, entre la première et une troisième, où la vengeance (et donc « l’intérêt ») est représentée dans la participiale du vers 266 (cf. Jebb : « followinglowing ζητῶν… as = τιμωρούμενος »). Cette troisième analyse s’impose avec l’interprétation de la phrase proposée plus haut, sans qu’il soit même nécessaire d’introduire le terme de vengeance : la recherche (ζητῶν) du meurtrier, qu’Oedipe veut mener « jusqu’au bout », s’effectue dans l’intérêt des rois de Thèbes (voir un emploi comparable dans Ajax, 1045 : Mενέλαoς, ᾧ δὴ τόνδε πλοῦν ἐστείλαμεν ; Moorhouse, Syntax, p. 84).

    Vers 267 s

    82Les ascendants de la lignée royale des « Labdacides » se distribuent sur trois groupes (les noms du second étant soudés par τε καί et le troisième rattaché au second par re) ; le premier comprend deux générations proches : Laïos, Labdacos ; le second, Polydore et Cadmos, fondateur de Thèbes ; le troisième isole dans l’hémistiche Agénor, « à l’origine » de la dynastie, fils de Poséidon, plus proche des dieux (ἀπò τοῦ ἄyαv καὶ τοῦ άνήρ est l’étymologie de Planude). En examinant de près cette énumération, et parfois pour l’éliminer (voir Burges dans Nauck), la critique a bien désigné ce qu’elle a de particulier : sa place (« zwecklos und widersinnig », Nauck ; cf. Roussel), sa forme (« ungeschickt », id.). L’adjectif possessif (patronymique), alternant avec le génitif, pour le fils de Labdacos, a dans ces vers une allure héroïque (Eustathe, ad Il. V, p. 601, 40 Van der Valk, cité par Brunck, donnait ce passage pour montrer l’équivalence du possessif et du génitif)· Les coordinations (τε καί, τε), si elles manquent dans un énoncé comparable en prose chez Hérodote (… Λάιov τòν Λαβδάκου τοῦ Πολυδώρου τοῦ Κάδμου, V, 59), ne viennent pas d’un « arrangement poépoétique » (cf. Roussel). Outre qu’elles distinguent les trois âges de la famille, elles secondent la tournure différenciée par le patronymique, qui associe Laïos et son père, pour réunir encore plus haut les ancêtres. Les génitifs ne sont rattachés par aucune particule à l’adjectif, il n’y a donc pas « équivalence » (voir ci-dessus) ; les coordonnants regroupent, d’une part, le premier et le second des ancêtres (τε καὶ) et détachent le dernier. Comme « Labdacide » (Λαβδακείῳ), Laïos descend aussi de son grand-père, de son arrière-grand-père, et de tous ses aïeux. L’adjectivation prépare cette fonction d’intégration : Laïos devient le fils de Polydore parce que sa filiation première est fixée dans une épithète qui finit par prendre une valeur qualitative. Ainsi il occupe la position de fils qui reviendra à Oedipe, et celui-ci pourra porter tous les titres qu’il lui accorde, étant, ni plus ni moins que lui, « Labdacide ». Le nom de Laïos manque, celui d’Oedipe pourrait lui être substitué (c’est pour lui qu’il cherche, ζητῶν… τῷ, voir ad v. 265 s.). D’abord, il se donne une généalogie. La place, à la fin du discours d’investiture (voir par exemple ad v. 258-265), conclut la consolidation progressive et « idéologique » de sa « thébanité ». Si la généalogie, invoquant les esprits vengeurs de la famille (Kamerbeek reprenant une idée de Ribbeck), est ascendante (κατὰ ἀναποδισμόν, selon l’expression de Planude), contrairement à un usage plus courant (voir Longo), c’est qu’elle permet à Oedipe d’entrer dans son lignage en homme qui le conquiert à partir de sa propre position, sans savoir qu’il en hérite.

    Vers 269-272

    83Si γῆv est le sujet de la proposition infinitive, où ἀνιέναι a pour complément aussi bien ἄροτον que παῖδας, ϑεούς va avec εὔχομαι : « à l’adresse des dieux ». Moschopoulos glose ainsi : εἰς ϑεούς, mais Thomas note que « certains », comme le complément est d’ordinaire au datif, écrivaient ϑεοῖς (τινὲς μὴ δννάμενοι το ’ϑεούς’ συντάξαι, ’ϑεοῖς’ γράφουσι πρòς τὸ ’εὔχομαι’ ; Thomas prenait ϑεούς comme le sujet de la proposition infinitive, et avait donc le problème d’expliquer άροτον… γῆν comme complément de ἀνιέναι ; il prenait ἄροτον pour un adjectif, valant ἠροτριασμένην : « faire lever la terre labourée », alors qu’on attendait « les semences »). Brunck suivait Moschopoulos : iis precor Deos, ne… proferat (ϑεούς cohaeret cum εὔχομαι, non vero cum ἀνιέναι) ; Elmsley trouvait un autre emploi de l’accusatif dans Thesmophories, 350 s. : τοὺς ϑεοὺς εὔχεσϑε (Dindorf, bien qu’il adopte la correction γῆς au vers suivant – voir ci-dessous –, prend ϑεούς avec εὔχομαι aussi, l’accusatif ayant été préféré pour distinguer le complément de τοĩς μὴ δρῶσιν).

    84Le problème se posait aussi de savoir si γῆν ἀνιέναι pouvait, avec le même sens du verbe, avoir παĩδας en même temps que ἄροτον pour complément. Brunck acceptait que la terre fût deux fois le sujet, mais à condition de faire passer le verbe à un sens « analogue », adapté au deuxième complément (τρέφειv ou αὔξειν, « faire croître », puis « favoriser le développement » ; il réunissait des exemples de ce zeugma sémantique, « dans les deux langues » ; voir aussi Blaydes, pour ἀνιέναι, contre Schneidewin ; Schaefer proposait de donner au verbe, avec γῆς pour γῆv, une valeur intransitive, prodire, existere ; Hermann, n’admettant pas l’accusatif avec εὒχομαι, lui objectait, en 1833, que, dans ce cas, il faudrait corriger ϑεούς en ϑεοĩς) ; pour Elmsley, il faut avec παῖδας sous-entendre γίγνεσϑαι. C’est donc autant pour répondre à cette deuxième difficulté que les interprètes ont fini par accepter la correction γῆς de Vauvilliers (en même temps de Musgrave – et de Spalding, selon Bothe), défendue par Erfurdt avant Hermann (voir aussi Elmsley, qui, imprimant γῆν, note pourtant : magnopere tamen arridet γῆς, quod post Musgravium aliosque recepit Erfurdtius ; « now generally adopted », Blaydes ; tous les éditeurs ont depuis adopté la correction ; voir cependant Kamerbeek – et le commentaire cinglant de Diggle, 1969, p. 151). Si « les dieux » étaient le sujet de ἀνιέναι, on passait plus facilement d’une acception à l’autre ; cf. Campbell : « the Ms. reading γῆν involves too harsh a change of subject in what follows (μήτ’ οὖν γυναικῶν παῖδας) ». Schneidewin avait pourtant remarqué que, pour les Grecs, « les femmes sont des ἀρώσιμοι γύαι et que les notions de la semence et de l’engendrement coïncident », mais la remarque ne tendait qu’à justifier la reprise du verbe ἀνιέναι avec παĩδας (cf. Longo : « è in leggero zeugma » ; alors que, selon d’autres, le deuxième complément requiert un autre verbe, cf. Earle : βλαστάνειν ἑᾶv ; voir ci-dessus Elmsley, avec γῆν).

    85Que le « pays » soit conçu comme un terrain commun à toutes les productions, réunissant des fertilités diverses, dans les champs et les familles (voir de même pour πόλις, φϑίνουσα μὲν…, v. 25-27), et que la même métaphore serve pour l’une et pour l’autre n’a (plus) rien d’inacceptable (plutôt que d’admettre l’extension d’une valeur première mieux adaptée à l’un des termes, il s’agit d’une application à deux domaines d’une valeur primordialement symbolique, figurée au départ). Pour l’accusatif avec εὔχομαι, Kamerbeek envisage que l’emploi s’explique à la fois sur le modèle de ἐπεύχομαι τί τινι (mais là il s’agit de l’objet de l’imprécation), et sur l’accusatif de la puissance invoquée, avec ἀράομαι, que l’on trouve une fois dans l’Odyssée (II, 135 : στυγερàς ἀρήσετ’ Ἐρινῦς) ; rien n’interdit de reconnaître dans l’accusatif, par contraste avec le datif, une mise en relief de la personne concernée : « et contre ceux qui refusent de s’associer à cette action, c’est aux dieux que je m’adresse, leur demandant de faire en sorte que la terre… » (voir Moorhouse, Syntax, p. 35 s., § 3, « accusative in address »). On a sans doute raison de voir dans ταῦτα le complément de δρῶσιν (cf. Schneidewin, Kamerbeek ou Bruhn), symétrique à τάδε (v. 274), et se rapportant à la recherche du meurtrier (selon Moschopoulos : τοĩς μὴ ὑπερμαχομένοις καὶ ζητοῦσι τòν φονέα ; et non l’exclusion du coupable selon l’exécration, comme le pensait Thomas), on peut même en restreindre l’application à la résolution prise dans les vers précédents d’épouser la cause de la famille des Cadméens.

    86ἀviέvαι, au présent, est, dans la deuxième proposition, suivi d’un futur (à valeur passive), φϑερεĩοϑαι. Thomas s’en étonnait (et y voyait une assimilation au vœu, pris comme une promesse). Elmsley notait qu’il ne connaissait pas d’autres exemples du futur avec εύχομαι (Dindorf lui répond qu’il s’en trouve et Schneidewin rappelle l’emploi du futur après βούλομαι, par contamination de la valeur sémantique ; cf. Wolff, Bellermann, Jebb, Kamerbeek : « after verbs of wishing »). Moorhouse, à partir de la différence des temps, envisage une différence sémantique de εύχομαι : « I pray the gods to…, but vow that… » (Syntax, p. 209, « Oedipus would pass from a prayer to a confident prophesy of disaster » ; cf. Thomas, et Jebb) ; il s’agit d’une malédiction, mais sous la forme d’une prière, qui a deux mouvements ; les deux parties, négative, puis affirmative (ἀλλὰ…), sont étroitement liées entre elles : après la carence des biens, dans les champs et la maison, la destruction positive qui touche leur personne ; cf. αὐτούς, que l’on supplée à partir de αὐτοĩς comme sujet de φϑερεĩσϑαι. La différence des temps, marquée par le futur, résulte de la progression : « que la terre les prive de tous les biens – au point qu’ils finissent par être emportés eux-mêmes par le malheur qui sévit déjà, et par un autre, plus terrible, dans l’avenir ». Au temps qui se consume progressivement dans la néantisation, d’un côté (voir aussi le vers 248), répond, dans l’autre volet, la qualité du temps rempli par la présence des dieux (εἰσαεί, v. 275).

    Vers 273-275

    87Le choix qu’offrent les manuscrits entre ἡμĩν (qui est dans L) et ὑμĩν est rarement discuté. Kamerbeek est seul à défendre la leçon ὴμĩν, en suggérant qu’Oedipe s’identifie peut-être avec ses « loyaux sujets », représentés par le Chœur. Les éditeurs, depuis Brunck, ont imprimé ύμĩν. Elmsley, contre ὴμĩν, invoquait le fait qu’Oedipe n’était pas un Cadméen (voir aussi Blaydes ; et Campbell, pour qui on pourrait tout au plus invoquer le vers 222 : ἀστὸς εἰς ἀστοὺς τελῶ, cf. la première éd.). Mais la perspective change du tout au tout si Ton tient compte des vers précédents (v. 258-268), où Oedipe s’affirme précisément Cadméen par la filiation qu’il se construit. L’argument d’Elmsley n’est pas fondé si l’on considère le contexte.

    88A cela s’ajoute, d’une part, que la relative ὅσοις… (dont certains, comme Earle, ont pensé faire une apposition à τοĩς ἄλλοις) prend un sens plus juste avec la valeur inclusive que ἡμĩν permet de lui donner : « nous tous, les autres Cadméens (autres que les récalcitrants de la catégorie damnée dans les vers 269-272), pour qui… », alors que, si l’on fait de ὅσοις le pendant de ταῦτα τοĩς μὴ δρῶσιν (v. 269 ; voir encore Longo), la relative détermine une catégorie déjà déterminée par un mot distinctif, ἄλλοις. La relative ne distingue pas, elle justifie la solidarité. Surtout, pour que τάδ’ ἔστ’ ἀρέακονϑ’ dise le contraire de… μὴ δρῶσιν, on est obligé de forcer le sens des mots (voir Mazon : « qui obéiront ici à ma voix » ; ou Wilamowitz : « dem mein Befehl genehm ist »). Il ne s’agit pas d’un ordre ; ἀρέσκονϑ’ exprime un accord avec un avis exprimé, dans l’ordre du discours. C’est ici la résolution de défendre la cause du roi mort et de sa lignée, à laquelle Oedipe ne peut que s’associer.

    89La formule de bon augure enfin, sur laquelle se termine le discours, n’est pas la contrepartie de la malédiction qui précède ; le vœu concerne le succès de l’entreprise. Pour traduire : « je souhaite de trouver comme aide et compagne la Justice, ainsi que les dieux… » (Mazon), on est obligé de faire de σύμμαχος un attribut (ainsi par exemple Schneidewin ; Wolff, suivi par Bellermann et Nauck : « proleptisch », ou Masqueray) ; Blaydes, à ce compte, préférerait ἡ Δίκη τε à ἥ τε Δίκη (ἥ τε Δίκη – εὗ ξυνείη – σύμμαχος, χοἱ πάντες ϑεoὶ εὗ ξυvεĩεv – σύμμαχοι – εἰσαεí). Jebb insistait : à la place où l’adjectif se trouve (entre l’article et le nom), σὐμμαχος ne pouvait qu’être épithète (voir aussi Campbell, Bruhn, Earle, ou encore Dawe ; Longo cumule : « una sfumatura predicativa – come se fosse σύμμαχος συνείη »). Mais si la valeur prédicative est confinée dans eu ξυvεĩεv, le tour prend toute sa force avec ἡμῖν : si la décision de se rallier avec le roi à la cause de Laïos est l’affaire commune de la cité, il ne reste qu’à former le vœu, pour le succès, que « Justice, qui est l’alliée naturelle d’une action réparatrice, puisse, avec les autres dieux, protecteurs du droit, être avec nous, ἡμĩν… ξυvεĩεv (à savoir : nous assister), pour le bien (εὗ) ».

    Vers 276-299. La réponse des Thébains

    Le coryphée répondra dans les termes de l’imprécation qui le lie (v. 276) : il η’est ni le meurtrier ni celui qui pourrait le désigner (v. 277s.). Mais le dieu, quel que soit l’auteur du crime, s’il a demandé qu’on le cherche, saura dire ce qu’il en est ; si énigme il y a, il connaît aussi la solution (v. 278s.).
    Oedipe en convient : la justice serait là ; mais à cette exigence s’oppose l’impuissance des hommes à imposer leur volonté aux dieux. La justice des hommes n’est pas la leur
    (v. 280 s.). Ainsi d’emblée, après la réponse des Thébains, l’action d’Oedipe s’est révélée insuffisante. Il semble que le roi ait parlé pour rien. La force qu’il a déclenchée pour un temps s’éteint (cf. v. 296). Il reste, puisque le dieu se tait, la deuxième voie, que le Chœur connaît (v. 282) : Apollon a son substitut, Tirésias est le mieux placé pour voir ce que voit le dieu. C’est avec son aide qu’Oedipe, dans sa recherche, arriverait à la certitude (v. 284-286). Le roi reste maître de la situation : cela non plus, pas plus que la proclamation, qu’il lançait, poussé par le dieu, il n’a attendu l’avis des Thébains pour l’entreprendre. Sitôt après le rapport de Créon, il a aussi envoyé quérir le devin. Le temps que prend cette action entre dans l’action du drame, comme contraire à son désir (v. 287-289).
    Le reste qu’Oedipe avait engagé le coryphée à lui dire en.plus (v. 283) est dans le savoir humain, incertain et lointain (v. 290). Rien pourtant, dans la recherche en cours, n’est inutile (v. 291). On racontait que le meurtre avait été l’œuvre de voyageurs, sur la route (v. 292). C’est ce qu’on venait de dire à Oedipe, mais l’absence du témoin oculaire est inexplicable (v. 293). Le coryphée le rassure :ce témoin, si, en dépit de son impudence, il est capable d’être touché par la frayeur, ne pourra pas résister à la force de la malédiction (v. 294 s.). Mais Oedipe n’y croit pas, il voit maintenant que la parole ne peut rien sur la résolution du crime (v. 296). Le dieu est là, lui répondent les Thébains, pour confondre le criminel (v. 297).

    Voici qu’on amène en effet le devin que l’on représente comme celui qui seul porte en lui la vérité (v. 297-299).

    Vers 276-278

    90Depuis la scholie, les interprètes, sans exception, font porter les adverbes corrélatifs sur l’adjectif ἀραĩoς, que l’on reprend donc, après ἀρaĩov ἔλαβες, en pensée avec ἐρῶ (voir le scholiaste : καὶ αὐτὸς ἐπομνύμενος καὶ κατά τàς αὐτàς ἀρàς ἐπαρώμενος, puis Moschopoulos : οὕτως ἐρῶ ἐν ταĩς αὐταĩς κατάραις ; Planude, jusqu’à Jebb, Kamerbeek : « ὥσπερ and ὧδ’ refer to ἀpaĩov », ou Longo : « consideran-domidomi soggetto alla stessa ἀpά se mentirò » ; Kamerbeek cite la traduction de Mazon comme rendant admirablement l’idée : « tu m’as pris dans les liens de ton imprécation, ô roi : je te parlerai comme elle l’exige »). On rapproche, pour (ἀραῖος) ἐρῶ, des tours comme ὅρκιος δέ σoι λέγω, Antigone, 305 ; ἐπώμοτος λέyωv, Trachiniennes, 427. Or les deux adverbes portent de toute évidence sur l’action verbale, et non sur l’adjectif seulement, si bien qu’à ἀpaῖov ἔλαβες répond ἐρῶ. Ce n’est donc, dans la comparative, pas seulement : « tout comme tu m’as contraint par tes imprécations », mais « de la manière où tu m’as… » (voir pour λαμβάνειν, valant καταλαμβάνειv, les occurrences dans Hérodote, IX, 106, 4 : πίστι… καὶ ὁρκίοισι, ou Thucydide, IV, 86, 1 : ὅρκοις, citées par Kamerbeek), et, dans ce cas, la corrélation qu’établit le coryphée n’est pas entre la malédiction proférée et la malédiction qui le lie quand il parle, mais entre les termes dans lesquels elle a été formulée et les termes de sa réponse.

    91On donne à γάρ une valeur affaiblie (« asseverative », Kamerbeek), en relation avec le démonstratif (Nauck), développant ὧδ’ (ἀραĩος) : « c’est que je dis que ». Pourtant ce qu’il dit ne s’accorde pas à la malédiction (ajoutée aux ordres, dans les vers 236-241), mais à la demande, selon les deux cas distingués, le meurtre (v. 227-229) : οὕτ’ ἔκτανον, et le complot (v. 230-232) : οὔτε’ ἔχω δεĩξαι. La comparative, ὥσπερ…, rappelle les termes dans lesquels, par la malédiction ajoutée aux demandes, il a été assujetti. La particule a sa valeur explicative : c’est bien en accord avec l’une et l’autre des situations envisagées qu’il répond : « car (je puis dire) οὔτ’… οὔτε… ».

    Vers 278 s.

    92La phrase a été analysée diversement. Certains ont renoncé à établir une cohérence syntaxique en supposant une rupture de construction (ainsi Campbell, dans la première éd. : « τὸ δὲ ζήτημα is at once the nominative to ἦν, and accusative with what follows », ou Bruhn : la phrase commencerait avec τò δὲ ζήτημα comme si l’on devait avoir Φοίβου ἦν λύειν, puis se poursuivrait sous une forme modifiée ; voir aussi Jebb ou Longo). Sans rupture, ou bien l’on prenait τὸ ζήτημα avec πέμψαντος (pour le complément placé avant l’article, mais faisant partie du groupe, Earle rapproche les vers 139, mais voir ad l., ou v. 269 : ταῦτα τοĩς μὴ δρῶσιν ; voir Thomas, Erfurdt, Elmsley, Wunder, Blaydes, Wolff, repris par Bellermann, Earle, Masqueray, Roussel) ; τόδ’ εἰπεĩv était détaché de τò δὲ ζήτημα : « it was the duty of Phoebus who sent the order for it, to declaré… » (Blaydes). Ou bien πέμψαντος était sans complément (valant qui responsum dedit, Wunder ; cf. Longo : « senza oggetto, col valore pregnante di’inviare un messaggio’, ’dare un responso’ »), et τὸ ζήτημα était rattaché, avec τόδε, à εἰπεĩv, malgré la distance du démonstratif dans la phrase ; ainsi Moschopoulos, suivi par Hermann, Mazon : « mais c’était à Phoebos, en nous répondant (πέμψαντος), de nous dire ce que nous cherchons » (τò δὲ ζήτημα… ἐπεĩν τόδε ; voir les objections de Thomas : τò τόδε oὐ πρὸς τὸ ζήτημα συναπτέον, ἀλλὰ πρòς τὸ ὅστις). On pouvait concilier les deux positions en prenant τό δὲ ζήτημα à la fois avec πέμψαντος et avec εἰπεĩv (voir la traduction de Brunck, qui, parmi les analyses entre lesquelles il hésite, préfère l’accusatif de relation : sed quaestionem hanc explicare debebat qui eam proposuit… ; explicitement Schneidewin et Nauck ; voir aussi Longo). Comme εἰπεĩv, dans la compréhension que l’on en avait, introduisait la subordonnée, considérée comme une interrogative : « à savoir qui est le meurtrier », et que τόδε était alors un annonciatif, on pouvait difficilement compléter l’infinitif en même temps par un autre groupe, et Ton préférait voir dans τò δὲ ζήτημα un accusatif de relation (voir Brunck : quod attinet ; « acc. of general reference », Jebb, Kamerbeek). La solution qui traitait l’accusatif comme une annonce du sujet avait sur la première (avec τò δὲ ζήτημα complément de πέμψαντος) l’avantage de faire de τόδ’ εἰπεĩv un développement de τὸ δὲ ζήτημα : « à savoir de nous dire ceci, qui il est… » (l’anacoluthe qu’admettent Bruhn ou Longo n’apporte pas un sens très différent).

    93En fait, on admettait ainsi que deux phrases se superposent, d’abord, « pour le problème (de la recherche du meurtrier), il appartenait à Phoibos, qui nous a donné cette réponse, d’en donner la solution » (cf. Kamerbeek : τοῦ πέμψαντος, Φοίβου, ἦν λῦσαι τὸ ζήτημα τόδε), puis, dans un deuxième temps (cf. καὶ εἰπεῖν, Kamerbeek ; « instead of a verb which could govern ζήτημα, τόδ’ εἰπεĩv is substituted », Jebb) : « et de nous dire qui est… ». L’impasse, il semble, provient de l’analyse de la subordonnée, qui, si l’on y voit le prolongement de τόδ’ εἰπεῖν, entraîne la phrase dans une deuxième direction. Maniérisme, ou déficience de l’interprétation ? Dawe, érigeant la difficulté en symptôme, découvre à l’une entre autres des phrases sophocléennes un sens « parfaitement clair », « but which Sound hideous when an attempt is made to render them with a close regard for the grammatical framework » ; d’où provient la clarté, sinon d’une attente figée ? Il n’y a pas d’autre moyen pour dépasser l’aporie que de la reconnaître, et de chercher la « clarté » par l’exploration grammaticale.

    94Les hésitations de la critique montrent qu’il faut remettre en question la prémisse essentielle, à savoir que le dieu est appelé « à indiquer le nom du criminel ». La phrase s’analyse sans difficulté si l’on voit plutôt dans ὅστις… une relative indéfinie : « quel qu’il soit, l’auteur du crime » (comme au vers 139 : ὅστις γàρ ἦν…, ou au vers 236 : ὅσης ἐστί). Rien n’empêche alors de prendre τò ζήτημα (ni « la recherché », ni « l’objet recherché », mais « l’énigme » que pose l’oracle) comme complément de πέμψαντος, et de reconnaître, de façon différenciée, dans τόδε la réponse, à savoir « l’objet recherché », « quel qu’il soit ». Si ce n’est pas un Thébain, et qu’aucun Thébain ne sait rien de certain, c’est bien au dieu qu’il revient de nommer l’introuvable. « Dans son désarroi, le Chœur se retourne vers le dieu », dit le scholiaste (ἀπορῶν ὁ χορός ἐπὶ τὸ δεĩον πάλιν ἀνατρέχει). L’aporie est dans l’incapacité qu’il découvre de pouvoir assister le roi. Le dieu sait, puisqu’il a parlé, il a les moyens de conduire l’enquête plus loin et de faire trouver l’auteur, « quel qu’il soit », étranger ou Thébain (l’indéfini comprend Oedipe)6.

    Vers 284 s

    95Les éditeurs, depuis Brunck, à la place de ταῦϑ’ dans les manuscrits (conservé par la vulgate), écrivent ταὔϑ’, si bien que le datif va avec le pronom : scio eadem, quae rex Apollo, videre (μάλιστα n’est pas rendu) ; voir aussi Moschopoulos : τà αὐτά, et Thomas : ὅμοια, à la différence de Planude. On fait de ταὔϑ’ un complément d’objet interne (voir Bellermann, Earle) ou une expression adverbiale (« seeing in the same manner », Jebb ; cf. Kamerbeek), en rapportant le plus souvent μάλιστα, non au participe ὁρῶντ’, mais au pronom (« les mêmes choses mieux qu’un autre » ; cf. Ellendt, s.v. μάλιστα, p. 425 : τà αὐτά μάλιστα rectius quam òρῶντ a μάλιστα iungentur) : « is the seer most like » (Jebb), ou « più o meno le stesse cose » (Longo ; Masqueray : « … voit aussi bien que… », ou Mazon, ne rendant pas l’adverbe ; Wilamowitz ou Pfeiff introduisent une limitation : « fast ailes », « fast das Gleiche », qui n’est pas dans les mots, mais montre que l’on cherche instinctivement à atténuer la portée de la construction choisie). La difficulté de rendre à la fois τà αὐτά et μάλιστα est l’indice d’une difficulté plus profonde. Les Thébains peuvent-ils soutenir que le devin a « la même vision » que le dieu ? Le rapport entre sa clairvoyance et son inspiration pourrait être différent, et être spécifié dans la phrase. Le démonstratif des manuscrits (ταῦϑ’) mérite d’être reconsidéré, si la leçon permet de donner au datif une autre fonction. Planude y voyait un instrumental en fonction de nom d’agent (ὑπò τοῦ Ἀπόλλωνος), mais il est peut-être plus juste d’y reconnaître un datif d’intérêt avec le sens de « pour », « au service de » (voir les exemples, Moorhouse, Syntax, p. 84, § 9).

    96En raison de l’organisation symétrique des noms apposés (a a1 b1 b), le scholiaste insistait sur l’assimilation de l’art divinatoire au pouvoir divin : καταφεύyoυσiv εἰς τὴν ὁμοίαν μαντικήν (1.), τῷ αὐτῷ δὲ ὀνόματι προσαγορεὐει τòν Τειρεσίαν ᾧ καὶ τòν ϑεòν (2.) καὶ τà αὐτà ὁρᾶν ἐκείνῳ φησίν (3.). Le devin (cf. Odyssée XI, 144 et 151) porte comme le dieu un « titre » homérique. Moschopoulos souligne la différence : iis sont appelés ἄναξ, l’un et l’autre, mais l’un pour une supériorité « naturelle » et l’autre pour le prestige de son pouvoir parmi les hommes (τòν μὲν ὡς φύσει ἀνάσσοντα, τὸν δε Τειρεσίαν ὡς ὑττò τῶν ἀνϑρώπων οὕτω τιμώμενον διà το κράτος τῆς μαντικῆς). Oedipe est gratifié, à son tour, du même titre, au vers suivant (v. 286), dans un troisième ordre. La figure si marquée est passible d’une interprétation différente. Si le devin a une vision parfaite de l’affaire (ταῦϑ’ ὁρῶντ’… μάλιστα, l’adverbe portant sur le participe), c’est qu’il est prince au service d’un prince (un vice-roi), il est Tirésias au service de Phoibos. L’association développe une dépendance.

    Vers 287

    97La figure qui associe une expression de sens négatif, ἐν ἀργoĩς, et un verbe de sens positif, ἐπραξάμην, dans une phrase doublement niée, οὐκ… οὐδὲ…, a été l’objet de réexamens successifs et inopérants. Dès les Byzantins, cependant, le groupe au datif, expliqué comme un adverbe (cf. Planude : τò ὄνομα ἀντὶ ἐτιρρήματος, jusqu’à Blaydes, ou Moorhouse, Syntax, p. 106 : « in adverbial sense…’sluggishly’»), est considérablement affaibli et finit par ne plus être traduit (cf. Brunck : sed ne hoc quidem neglexi ; Masqueray, Mazon ; ou encore Dawe : « if this line contained not ἐπραξάμην but εἰασάμην…, there would be no problem of sense »), Wunder rend le mot par segniter. Par ailleurs le moyen du verbe quand, modifié (cf. Thomas : οὐκ ἐν ἀμελείᾳ τοῦτο ἐποίησα), ou non, par ἐv ἀργoĩς, il équivaut à « faire », ne va pas de soi : Moschopoulos glose par l’actif ἒκραξα, les modernes le traduisent toujours ainsi, et l’ont parfois corrigé (‘ϑέμην, Blaydes ; ἐπράξαμην, Meineke ; Nauck, Anhang, p. 165, est tenté, comme Bruhn, par la correction de M. Schmidt, εἰάσαμεν, et voudrait en plus se débarrasser de ἐv ἀργοĩς en lui substituant ἄπρακτον). Le groupe prépositionnel est identifié à un ἐv ἀκράκτοις, lui-même tiré de ἐπραξάμην = ἒκραξα, si bien qu’aucun des deux choix (le moyen, et l’adjectif au datif) ne se laisse plus justifier (voir la paraphrase aussi chez Earle, qui, sans corriger, pose, pour le sens « = ἀpyὸv εἴaoa », et pour l’expression l’emploi d’un ἐπραξάμην pour ἐποιησάμην, parce que la phrase dans l’esprit du poète était d’abord : οὐδὲ τοῦτ’ ούκ ἔπραξα ; cf. Longo, qui combine οὐκ ἀpyov εἴaoa, ἀλλ’ ἔπραξα et οὐκ ἐv ἀpyoĩς ἐποιησάμην). Tantôt le moyen prend le sens sans exemple de « faire » (Earle, Dawe), tantôt on le tolère comme exceptionnel en renvoyant (cf. Kamerbeek) à Ajax, 45 : κἂν ἐξεπράξατ’ (à quoi certains préfèrent l’actif, dans d’autres manuscrits ; cf. Pearson, Dawe, Studies, p. 126 ; mais Colonna retient le moyen de L). Jebb commente : « here = διαπράσσσεσϑαι, effect for oneself » (cf. Ellendt, s.v., in fine, p. 652 : sua sententia constat, ut ’perficientis plurimum ut perficiatur interesse dicatur’ ; Campbell : « subjective use of the middle voice »). L’analyse ne justifie que l’exception, elle ne fait pas entrer en considération les données lexicologiques ; l’emploi du moyen est lié à des différences sémantiques (cf. LSJ, s.v., VI : « med.,’exact for oneself »). S’il est juste de considérer l’expression comme un quasi-oxymore (cf. Campbell), encore importe-t-il de définir le champ de la métaphore. Les deux termes ἐv ἀργoĩς et ἐπραξάμην se soutiennent l’un l’autre. Le moyen de πράσσειν s’emploie spécialement pour le tribut que l’on lève dans son propre intérêt, la voix renforçant l’idée de demande, ἀργός (opposé à ἐvepyός, LSJ, s.v., II) appelant celle d’un champ ou d’un argent qui ne rapporte pas ou n’est pas travaillé. L’action niée : ne pas lever de tribut, est elle-même niée par ἐv ἀργoĩς : « sur un terrain sans rendement », dans une double litote qui laisse à penser non seulement qu’Oedipe a fait venir le devin, mais qu’il espère beaucoup de lui, comme encore, malgré les doutes qu’il exprime plus loin, cf.ad v. 296, des Thébains qui le conseillent (οὐδέ porte en effet sur τοῦτο, à savoir le discours dans lequel il s’est adressé à eux). Ce n’est donc pas l’équivalent de : « I saw to this in such a manner that it also should not be among things neglected » (Jebb) ; l’accent doit être déplacé : « cette exaction que mon pouvoir exerce, ce n’est pas non plus dans le vide qu’elle le fait ». Le tribut est levé sur une terre qui rend. L’efficacité est l’exigence d’un gouvernement comme celui d’Oedipe, qui se veut royal.

    Vers 288 s

    98Oedipe ayant pris la décision, en roi vigilant, d’appeler Tirésias, la circonstance concomitante, Κρέοιτος εἰπόντος, est en contradiction, semble-t-il, si l’on comprend, comme Brunck, Creontis monitu (« auf Kreons Mahnung », Hartung ; « at the bidding of Creon », Blaydes ; Jebb, Earle, etc.), avec son caractère et sa figure de souverain.

    99On adopte cette lecture en se fondant sur la suite. Ainsi les scholies (πιϑαvòv εἰς τà ἑξῆς ἵva ὴ ὑπόνοια αὐτοῦ πίατιν ἔχοι), Musgrave : « pour diminuer l’absurdité de l’accusation ultérieure d’Oedipe », ou encore Kamerbeek : « in view of Oedipus’subsequent suspicions on that score (cf. 378, 387, 555,572) ».

    100Une scène se devinerait en dehors du spectacle, après le vers 146 (cf. Bellermann, ad v. 145 s.), dans laquelle le roi et Créon se seraient consultés en privé, et cette technique apparaît naïve ou artificielle (voir Dawe, p. 13).

    101Lorsqu’on traduit le génitif absolu, sans forcer le sens, comme une simple indication temporelle : « dès que Créon eut parlé », cette lecture modifie du même coup celle de la suite. ἔπειϑες, au vers 555, ne renvoie pas à cet élément improbable, et proprement ἔξω τοῦ δράματος, mais aux conséquences impliquées par l’exégèse de l’oracle dès la première scène qui réunit Oedipe et Créon (voir Planude : ἅμα γàρ τῷ εἰπεĩν τòν Κρέοντα τà μαντεύματα, et, pour εἰπόντος : τò μάντευμα τò ἀπò τού Ἀπόλλωνος). Les paroles de l’un et de l’autre tendent à cette conclusion (voir les vers 110 s. ou 136).7

    Vers 289

    102Le devin n’est pas arrivé aussitôt. Le retard se laisse comparer à celui auquel Oedipe se heurte dans la suite de la pièce, lorsque le berger ne vient qu’à la seconde semonce (cf. v. 765-769, et 1054 s., 1069 s.). Dans le temps parallèle à l’action dramatique, on trouve non seulement un intermédiaire, une réplique de la durée historique et mesurable, un temps brisé, qui, doublant celui de l’illusion, et se différenciant de lui, happe en dehors d’elle un fragment de ce qu’il faut pour la soutenir, mais aussi, pour l’action même, le signe du freinage d’une volonté à laquelle les autres personnages se dérobent. On ne comprend pas que l’adjectif διπλοῦς (v. 288) ait pu être rendu par le numéral comme s’il fallait à l’aveugle une garde d’honneur de deux hommes (cf. Brunck, Hartung, Bruhn, Masqueray, Mazon, Kamerbeek). La double délégation (comme dans Schneidewin, Jebb, Calder III, 1976, p. 604, Longo : « due πομποί distinti, in tempi diversi ») se succède de manière à agrandir l’espace de ce qui se refuse à entrer dans le jeu. La résistance de Tirésias pèse avant qu’elle ne s’exprime.

    103L’absence d’accomplissement, le « non là », est transférée dans l’expression même de l’attente, sous la forme négative (… μὴ παρὼν θαυμάζεται, v. 289), lorsqu’elle cerne un manque (voir, pour la même négativité logée dans l’expectative, l’attente de Créon, ad v. 74 s.). Toutes ces phrases ne sont pas de pures utilités, elles ont une véritable fonction de « remplissage », en comblant non le vide entre les scènes, mais une durée qui se désintègre en elles. L’action est arrêtée, et « depuis longtemps » (cf. πάλαι, v. 289), mais le suspens fait finalement partie d’elle.

    Vers 290

    104Deux compréhensions, avec une analyse grammaticale pour chacune. Ou bien le coryphée, ayant appris par Oedipe que Tirésias allait venir, exprime, non sans déférence (Earle) ou avec une feinte naïveté, son assentiment, par la dépréciation d’une autre voie : « certainly the other rumours are forgetten… » (Blaydes), τά γ’ ἄλλα… ἔπη sujet, c’est-à-dire : « tu as bien fait d’avoir recours au devin, il n’y a rien à espérer ailleurs » (Brunck : enimvero cetera quae vulgo feruntur, nihili sunt, et inanes rumores ; παλαιά comme μάταια, selon Planude ou Thomas ; aussi Campbell, Jebb, Earle, Wilamowitz, Masqueray : « sans doute, les autres bruits sont vains et surannés »), « Autres » que les paroles que l’on peut attendre du devin (cf. Earle) ; mais pourquoi « rumeurs », ce que les paroles du devin ne sont pas ? Aussi Jebb précise-t-il la valeur de ἄλλα : « les rumeurs qui couraient par ailleurs, loin des connaissances certaines de Tirésias », mais la relation entre les deux sources reste étrange, si l’une n’est que le repoussoir de l’autre.

    105τά γ’ ἄλλα détache plutôt une troisième solution, après les deux autres, le dieu, ou à défaut son vicaire, « le reste, qui est (ou : n’est que) ». Oedipe, quand le coryphée lui proposait un autre avis (v. 282), l’engageait à ne pas en négliger un troisième, s’il existait (v. 283), comme si, au-delà du divin, s’esquissait malgré tout un savoir plus obscur, purement humain. Au vers 290, le coryphée, la venue de Tirésias annoncée, revient à cet autre savoir qui correspond à ce que les Thébains ont entendu dire. D’abord le vide : le meurtrier, ils n’ont pas les moyens de l’indiquer. Puis les ressources : la plus sûre est dans l’absolu, le dieu, ensuite dans son substitut. Enfin, pour satisfaire le roi, les quelques connaissances que malgré tout, eux-mêmes, ils détiennent. On traduira donc τά γ’ ἄλλα par « le reste », sans référence à ἒπη. καὶ μὴν présente un nouveau point de vue (« pour ce qui est de… », cf. LSJ, s.v. μήν, II, 2 : « tointroduce something new », et Denniston, Greek Particles, p. 351 s.) ; dans l’autre interprétation, les particules tantôt soulignent l’approbation : « c’est bien (parce que si l’on écarte le savoir du devin)… » (cf. Jebb), tantôt opposent : « et pourtant » (« concessive », Earle). κωφὰ (« qui ne parle pas », « confus », cf. Bruhn : « undeutlich » ; les exemples autres que celui-ci, pour « senseless », LSJ, s.v., 5, b – par exemple Campbell – proviennent de prosateurs tardifs ; voir déjà Moschopoulos : ἀνυπόστατα, « sans fondement », ou Thomas : ψεῦδῆ, toujours par contraste avec la parole du devin) καὶ παλαí’ ἔπη est l’attribut : « le reste, ce sont des paroles peu claires, et déjà anciennes » (ainsi Hartung, Bruhn, Dawe ou Kamerbeek ; voir aussi la discussion de ce dernier ; Roussel ou Longo mettent les deux constructions en balance). Selon cette analyse même, on a vu le coryphée approuver « implicitement » (Dawe) le choix d’Oedipe, en dénigrant « naïvement » (« comme on le fait dans le peuple » ; voir l’interprétation de ἄλλα chez Bruhn) « le reste » (voir aussi Schneidewin). En réalité, τά γ’ ἄλλα est distinctif (voir la particule) : ce sont les éléments dont le Chœur dispose, par lui-même, et dont il veut également faire profiter l’enquêteur. Le thème de la rumeur publique se dessine avec toutes ses conséquences pour l’affaire du meurtre (Deuxième Episode). Le vrai a une présence diffuse dans l’ensemble de l’action, jusqu’au dénouement.

    Vers 292

    106Les commentateurs insistent sur la différence entre les deux versions du crime, le rapport du témoin, d’après Créon, concluait à un acte commis par une bande de brigands (v. 116-126 ; voir v. 122 : λῃστàς ἔφασκε, et v. 715 s. : ξένοι… λῃισταί). La rumeur que rappelle ici le coryphée s’est fixée sur l’image d’un petit nombre de voyageurs (πρός τινων ὁδοιπόρων ; cf. v. 123 : σὺν πλήϑει χερῶν).

    107La divergence est supprimée quand le substantif est remplacé par un participe, dans une lecture réaliste où Laïos est représenté dans son voyage même (ὁδοιπορῶν, Sehrwald, Observationum crit., p. 9 ; Earle ; Laughton, 1938, p. 210). Quand elle est maintenue, l’explication serait dans la vérité du dévoilement à venir ou dans la progression dramatique vers la solution de l’énigme (voir Schneidewin ou Jebb ; cf. Dawe). Schneidewin, en même temps, comprenait la seconde version comme une reprise, légèrement modifiée pour la forme, de la première, parce que les brigands entrent également dans la catégorie des voyageurs (d’où le τινων) ; Dawe en vient même à se demander si ὁδονπόρων ne signifie pas « voleurs de grands chemins ». La différence est interprétée comme telle quand elle est vue comme le signe de l’imprécision propre à la rumeur (voir Wolff, suivi par Bellermann : « des voyageurs avaient par cupidité commis un meurtre non prémédité »).

    108Créon, en commentant l’oracle, reproduisait la version du palais, que Jocaste reprend (v. 715 s.), selon les renseignements fournis par le serviteur. Ce qu’on dit dans la ville, c’est que l’affaire s’est produite dans un domaine qui échappe à toute juridiction ; la route est par définition le lieu qui part on ne sait où et qui s’oppose à la terre délimitée et cadastrée.

    109On s’est en même temps étonné que, sur le plan de l’enquête, Oedipe, que Créon avait renseigné, n’ait pas exploité la piste du témoin oculaire, et on l’explique par les nécessités de la progression ou du retardement dramatiques, réservant l’utilisation du berger. Oedipe saurait se servir de cette source à un moment ultérieur, parce que l’illusion commence à se dissiper (cf. Campbell). Mais la logique même de l’action entreprise veut que la recherche soit remise. Le dieu a chargé Oedipe d’une élucidation au service de laquelle il a mis son pouvoir, dans la proclamation, et qu’il a doublée en mandant le serviteur du dieu. On reste ainsi dans l’ordre du divin, qui conduit à une action politique quand les paroles du devin sont interprétées. La rumeur, dans ses mots évasifs, n’y a pas de place. La troisième voie qu’elle indique (v. 283, 290) ne se poursuivra qu’à la fin, dans l’emboîtement implacable des différentes paroles, quand on cherchera à l’intérieur du palais la réponse que l’on n’avait pas trouvée sur la place publique.

    Vers 293-296

    110δ’ ἰδόντ’ a été corrigé assez tôt dans l’histoire de l’édition sophocléenne en δὲ δρῶντ’ (par un anonyme dans la Pentalogia de J. Burton, 1758, cité par Erfurdt ; la correction a été adoptée par Erfurdt, Dindorf, Blaydes, Nauck, Earle : « δ’ίδόντ’ a correction of δὲ δρῶντ’, miswritten δὲ δρῶντ’ » ; Pearson, jusqu’à Dawe). La ténacité de cette intervention textuelle montre qu’elle correspond à un besoin de la compréhension : le sujet de la phrase suivante ne pouvant être que le meurtrier, seul assujetti dans l’interprétation commune aux malédictions, et non le témoin (ce que l’on voyait confirmé par δρῶντι, v. 296, qu’on prend pour une reprise : « indeed this conjecture is fully established… by 296 », Blaydes), il était naturel qu’on le trouvât déjà dans ce vers. La correction n’est pas ponctuelle seulement, elle est liée à la lecture de la proclamation ; et même lorsqu’elle n’est pas retenue, l’analyse du cas est la même, si bien qu’elle est le signe d’une lecture générale. « On peut se passer d’un indicateur, dirait le Chœur, pour répondre à l’embarras d’Oedipe, le coupable se désignera lui-même » (cf. Hermann, défendant le texte contre Erfurdt, qui avait, cependant, ajouté lui-même : stare tamen potest vulgata, si verbo ἔχει… non τòν ἰδόντα, sed, qui loquentis animo obversabatur,interfectorem respici putes ; on exprime donc le sujet sous-entendu : scilicet interfector, Wunder ; cf. Schneidewin, Bellermann, Campbell, Jebb, Bruhn, Roussel, Mazon ou Kamerbeek : « the murderer is uppermost in the mind of the Chorus as well as of OeOedipus »). Quand on a défendu ἰδόντ’ plus positivement, c’est en raison de l’antithèse ἐλέχϑη (v. 292), ἤκουσα et ἰδόντ’ (v. 293), qui amène à créer le personnage fictif d’un témoin oculaire inexistant, distinct du survivant mentionné par Créon, aux vers 118 s. (voir l’insistance sur ce point chez Bellermann, Bruhn ou Kamerbeek) ; l’analyse grammaticale du singulier comme un collectif, et de l’article avec le participe, généralisant (cf. Moorhouse, Syntax, p. 2 et p. 257 : « pos-siblysibly general’anyone who saw’ »), repose sur cette prémisse erronée ; le référent est bien particulier (voir ci-dessous). On s’accrochait plutôt à « l’ironie tragique » d’un Oedipe qui ne sait pas que, dans l’affaire, il est le témoin principal (voir Schneidewin et Nauck, Blaydes ou Longo). Mais le sens « second » ne doit pas aider la grammaire ; c’est le contraire.

    111S’il est problématique de changer de sujet, il vaut mieux retrouver le témoin dans les deux phrases. L’absence actuelle (oὐδєìς ὁρᾷ) du témoin (ἰδόντ’) l’accuse. Comme le bruit répandu, tout en désignant le crime, le couvrait par l’imprécision même des indications fournies, Oedipe, en opposant la clarté d’un témoignage sûr au défaut de l’homme qui l’a fourni, conclut à la complicité ; il s’agit alors du second cas envisagé par lui (v. 230-232), si bien que le coryphée peut dire que, tombant sous le coup de la malédiction, le rétenteur viendra, et qu’Oedipe peut faire de lui ensuite un acteur au même titre que l’auteur même du crime, avec lequel il se confond (δρῶντι, v. 296). Thomas s’était déjà demandé pourquoi l’on passait de ἰδόντ’à δρῶντι ; il répondait que le témoin n’était pas spectateur seulement (καὶ φαμεν ὡς τòν ἰδòντα οὐ ϑεατήν μόνον τοῦ φόνου, ἀλλά καὶ συμπράκτορα νοεῖ ad v. 296 ; la paraphrase de Planude, ad v. 294 s. : ἀκούων… οὐ μενεῖ, ἀλλ’ἐξaγγєλєῖ, laisse penser qu’il entendait, aux vers 294 s., que l’homme susceptible d’être frappé était le témoin ; Thomas, ad v. 294).

    112Au vers 294 un γ’ est venu remplacer dans les éditions le τ’ des manuscrits (voir Brunck, Elmsley ou Hermann, jusqu’à Mazon-Dain ou Colonna). Il arrive que l’on considère τ’ comme une simple faute, issue de γ’ (Roussel), mais d’autres, insatisfaits de ce qu’ajoute la particule (cf. Wunder ou Dawe), se demandent si le τ’ qu’on lit n’est pas une corruption d’un γ’fautif (ainsi Dindorf). Aussi, puisque la métrique contraint, a-t-on souvent corrigé (τρέφει pour γ’ ἔχει, Wunder, cf. Blaydes ; στέγει, Schneidewin ; δειμάτων, avec Hartung, Dindorf, Tournier, Campbell, Roussel). Triclinius, à qui l’on prête la leçon γ’, a τ’ (cf. Dawe, Studies, p. 226). Thomas justifie τε : « il faut le rattacher à εἴ τι… ». Ce n’est pas, avec τ’, sur le modèle du tour : « s’il lui reste une parcelle de pudeur, d’honneur, etc. » qu’il faut entendre la phrase. On peut voir dans la particule le signe de l’ellipse d’un premier terme plus global : « le criminel, si, à côté de toute son effronterie, il lui reste une parcelle de peur ». Le μέρος, la part, entre dans un total qui est principalement fait du contraire. C’est ainsi qu’a compris Moschopoulos (εἰ μὲν δὴ καὶ φόβου τι μέρος ἔχει).

    113Dans la phrase suivante, les interprètes hésitent entre deux constructions, avec µενεῖ, « tenir » (souvent pris absolument), et τὰς σὰς… τοιάσδ’ ἀράς complément de ἀκούων, et, d’autre part, avec τοιάσδ’ άράς complément de µενεῖ, « résister à », et τὰς σὰς (ἀράς) de ἀκούων. Kamerbeek ne se décide pas (voir aussi Longo ; Dawe, qui opte pour la première, hésite cependant entre « tenir » et « rester dans le pays », mais ce dernier sens ne va avec rien dans le contexte). Les Byzantins, puis Brunck, ont choisi la première : quum tuas tam diras (τοιάσδ’) audierit imprecationes, eas non sustinebit (Brunck, qui, tout en conservant la même analyse, reprenait tout le groupe pour en faire le complément de µενεῖ ; voir, de ce côté, Wunder, Blaydes, Jebb, Earle ou Dawe). Mais il est clair que τοιάσδ’ qualifie la force des paroles : « s’il vient à entendre les imprécations que tu as proférées (τὰς σάς, scil. ἀράς), il ne saura se soustraire à leur force (oὐ μεvεῖ τοιάσδ’ ἀράς) » ; ainsi Hartung, Schneidewin, Wolff, repris par Bellermann, Nauck, Bruhn ou Roussel.

    Vers 297

    114La première phrase de la réponse du Chœur pose trois problèmes : 1. faut-il préférer le futur ou le présent du participe ; 2. quel sens donner à ἔστιν ; 3. comment comprendre l’emploi du verbe « convaincre », s’il s’agit de rechercher l’identité du coupable ?

    115Pour rattacher le verbe « être » à l’action dramatique, à savoir l’arrivée de Tirésias (cf. γάp), on a été amené à lui donner la valeur de « être là », qu’il ne peut prendre (cf. Brunck :… adest qui eum redarguet ; Earle : « γàp refers to something implied, viz. καὶ πάρεστιν » ; Masqueray : « voici celui qui va le découvrir » ; etc.). La compréhension impossible a été inscrite dans la lettre par Heimsoeth, Kritische Studien, p. 178 s. : oὑξєλέγξων νιν πάρεστιν (ou εἶσιv pour ἔστιv, Wecklein ; Nauck, Anhang, p. 165). ἔστιv n’est susceptible que d’une seule traduction plus ou moins accentuée : « il existe » (cf. Hartung : « es lebet, der… » ; Wilamowitz ; « there is one », Jebb), souvent affaiblie, et se laissant assimiler à une indication locale : « il y a… (il n’est pas loin) » (cf. Mazon ; Longo : « ’c’è’, acquista qui il collaterale valore di πάρεσην ’è qui’, perché Tiresia sta arrivando… »).

    116Presque tous les éditeurs adoptent le futur οὑξελέγξων (de Brunck, Elmsley jusqu’à Pearson ou Colonna), à l’exception de Hermann, en 1833, et de Campbell. Le présent est réfuté à partir de la situation au moment de l’arrivée du devin ; contre Campbell : « there is one already present (voir ci-dessus) to convict him » (première éd.), Jebb soutient que l’action devrait déjà être en cours ; or Tirésias arrive seulement. Le futur impliquerait la destination : « one to convict him » (Jebb). La question ne peut pas être résolue sans que l’on considère le sens du verbe. Tirésias, dans la suite, n’examine pas Oedipe pour le « confondre », mais il le confondrait sans examen (c’est l’interprétation un peu lâche du terme, cf. Dawe). Il serait préférable de n’avoir pas recours à ce détour, et le seul sujet qui convienne au sens et à la situation est Apollon dans son serviteur ; c’est lui qui détient la solution (cf. v. 278 s.). Ainsi le présent pourrait convenir si, avec Hermann, on insiste sur la faculté (fere quemadmodum substantivum…, in quo potestas est arguendi), le futur, si on envisage plutôt la certitude de la révélation. Le présent est davantage appuyé par le contexte, puisque ce que le Chœur veut dire, c’est que le dieu apporte effectivement la preuve : « celui qui confond le coupable existe ».

    117Devant le doute qui saisit Oedipe, à la suite de l’échec qu’il a subi (voir ad v. 280 s.), le coryphée aussitôt le renvoie, comme il Ta déjà fait (v. 278 s.), à une instance supérieure, plus sûre. « Celui qui réussira, dans l’affaire où tu as échoué, existe » ; ἐξєλέγχειv αὐτόν double alors la proclamation. Avec γάρ, on n’annonce pas la preuve en même temps que l’arrivée du serviteur d’Apollon, mais la preuve, qu’est son arrivée, de l’action du dieu8.

    Notes de fin

    1 vers 231 s. *

    2 v. 236-241, cf. p. 501

    3 v. 237, cf. p. 389

    4 v. 255-258, cf. p. 350, 1067

    5 v. 258-268, cf. p. 339

    6 vers 280 s. *

    7 v. 288 s., cf. p. 346

    8 vers 298 s. *

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    Bollack, J. (2010). Premier épisode : l’exécration, v. 216-299. In L’Œdipe Roi de Sophocle. Tome 2 (1‑). Presses universitaires du Septentrion. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.septentrion.67279
    Bollack, Jean. « Premier épisode : l’exécration, v. 216-299 ». In L’Œdipe Roi de Sophocle. Tome 2. Villeneuve d’Ascq: Presses universitaires du Septentrion, 2010. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.septentrion.67279.
    Bollack, Jean. « Premier épisode : l’exécration, v. 216-299 ». L’Œdipe Roi de Sophocle. Tome 2, Presses universitaires du Septentrion, 2010, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.septentrion.67279.

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    Bollack, J. (2010). L’Œdipe Roi de Sophocle. Tome 2 (1‑). Presses universitaires du Septentrion. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.septentrion.67254
    Bollack, Jean. L’Œdipe Roi de Sophocle. Tome 2. Villeneuve d’Ascq: Presses universitaires du Septentrion, 2010. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.septentrion.67254.
    Bollack, Jean. L’Œdipe Roi de Sophocle. Tome 2. Presses universitaires du Septentrion, 2010, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.septentrion.67254.
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