Vingt ans après
Notes sur le prologue et les parties lyriques
p. 771-798
Texte intégral
1Dans ces pages, je reviens sur certains passages déjà commentés dans les volumes publiés avec Jean Bollack en 1981 et 1982 sur le prologue et les parties chorales, soit parce que l’interprétation qui avait alors été donnée me paraît devoir être modifiée (ces modifications ont évidemment été discutées avec Jean Bollack), soit parce que des publications plus récentes obligent à apporter des précisions.
Prologue
v. 2
2Malgré W.J. Verdenius (Mnemosyne 39, 1986, p. 165 s.), je crois toujours avec J. Bollack qu’ἔτειος signifie ici « qui dure un an », et non « d’une durée qui se compte en années ». Ce dernier sens n’est pas « usuel »1. « Annuel » se dit d’événements (comme des jeux, cf. Isthmiques IV, 67), et non de durées. Μῆκος signale bien (cf. D.-P.) que l’année est ici à prendre comme le cadre d’une durée vécue. Le garde a eu le temps d’observer un cycle complet du ciel.
Parodos
v. 50
3Le syntagme ὕπατοι λεχέων2 est bien construit à partir de formules du type ὕπατος χώρας (cf. le v. 509), où l’adjectif a le sens de « qui domine », « maître de ». Mais si cette valeur est sans doute présente ici, elle ne l’est que secondairement : Eschyle resémantise le mot, en faisant entendre « au plus haut de », « loin au dessus de ». Les oiseaux ne sont désormais des êtres « élevés » que par rapport à un nid ravagé. Ils vont être entendus par de vrais « souverains » (v. 55), à savoir les trois dieux chez qui ils ne sont que « métèques ».
v. 69
4Si l’on peut hésiter entre la leçon transmise ὑποκλαίων et le ὑποκαίων de Casaubon (la faute d’onciale étant tellement repérable), le groupe οὔτε δακρύων, que West met entre cruces3, a une fonction bien définie et marque une progression : après les rites d’apaisement adressés aux Érinyes, le rite funèbre de leurs victimes indique l’inutilité des sacrifices ; ces rites eux-mêmes n’arrêtent pas les déesses dans leurs propres sacrifices.
v. 78
5Dans une étude très détaillée, A. Lorenzini4, d’une part, défend l’authenticité d’Ἄρης δ’ οὐκ ἐνί (cf. Suppliantes, 749, Sophocle, Électre, 1243 s.)5, et, de l’autre, argumente pour substituer à ἐνὶ χώρᾳ, considéré comme évidemment fautif, ἐνὶ χλωρῷ : « Il n’y a pas d’Arès chez un être de vive jeunesse » (i.e. chez un enfant ; la proposition s’appuie, entre autres, sur Hésychius χ 556 Schmidt, dont le texte, inexact, χλωρῷ πέδαῳ∙ νεαρῷ, pourrait être lu comme : χλωρῷ∙ παιδί. νεαρῷ). Mais, comme J. Bollack, je crois que le texte transmis est bon. Tout d’abord, ἐνὶ χώρῃ, en fin de vers, est formulaire chez Homère (les anapestes permettent à la tragédie de citer littéralement la lexis de l’épopée) : cf. Iliade XVII, 394, XXIII, 349, Odyssée XXI, 366, XXIII, 186. Cela devrait déjà inciter à ne pas se débarrasser trop vite de ce tour. On peut voir assez précisément comment Eschyle a travaillé ; il a repris l’expression (sans doute déjà figée) « Arès n’y est pas » en lui adjoignant un terme homérique, et construit un énoncé à la fois paradoxal et clair. Au lieu de dire qu’Arès ne réside pas (ou, paradoxalement, réside) chez des être normalement privés d’esprit guerrier (comme les femmes dans les deux passages cités), il emploie un terme qui a pris un sens militaire, χώρα : « Arès n’y est pas à son poste ». En Iliade XXIII, 349, χώρη signifie le lieu qu’occupait Nestor avant de se lever pour parler à son fils Antiloque (ὣς εἰπὼν Νέστωρ Νηλήϊος ἂψ ἐνὶ χώρῃ / ἕζετ’) ; chez Thucydide, le mot est attesté au sens de « poste de combat » (cf. II, 87, 8 : χώραν μὴ προλείποντες ᾗ ἂν τις προσταχθῇ). Le paradoxe vient de ce qu’au sujet d’enfants, naturellement étrangers à la guerre, le chœur parle d’un lieu où Arès devrait être : c’est que la situation des enfants est présentée ici en fonction de ce qui fait l’objet premier du discours du chœur, à savoir sa condition de vieillard, d’ancien guerrier ; pour le chœur, Arès a quitté son poste. Pour le dire en termes logiques, le chœur décrit une négation (l’impossibilité de la présence d’Arès chez les enfants) sous la forme d’une privation (le retrait d’Arès, chez les vieillards).
v. 83-87
6Sur le problème, tant débattu, de la présence ou de l’absence de Clytemnestre pendant la parodos anapestique : examinant la construction linguistique de l’adresse à la reine et des questions du chœur, qu’il considère pour leur valeur illocutoire, comme actes de parole, E.H. Pool (Mnemosyne 36, 1983, p. 71-116) conclut à la présence momentanée et silencieuse de la reine ; il serait sans exemple que des interpellations de ce genre ne soient pas adressées à un interlocuteur présent. Mais cette conclusion néglige la différence nécessaire entre valeur illocutoire (c’est-à-dire entrant dans la constitution de l’énoncé lui-même) et la valeur perlocutoire (relatives aux effets produits) d’un discours. Ce n’est pas parce que ces adresses sont construites comme de véritables questions qu’elles supposent la présence effective d’un répondant. L’absence de l’interlocuteur peut être aussi considérée comme un événement dramatique. Quant à l’argument de l’exception, il n’est pas utilisé systématiquement : l’auteur souligne avec force qu’on n’a jamais de telles questions en l’absence de l’interlocuteur, mais accepte qu’une présence scénique comme celle qu’il suppose soit sans parallèle. En fait, le point à interpréter ici est la répétition des mêmes questions à la fin de la parodos anapestique et au début du premier épisode. On a à se demander pourquoi le chœur parle deux fois de la même manière, la première fois en préalable à son lyrisme, la seconde pour entamer un vrai dialogue. Le contraste entre ces deux espaces de parole, lyrique et dialogique, est ainsi mis en valeur.
v. 87
7Le verbe θυοσκεῖν indique bien que la reine n’a pas un comportement normal (la traduction « faire sacrifier » est en-deçà du commentaire), comme l’a rappelé de son côté R. Tosi (Lexis 3, 1989, p. 3-24 ; voir p. 7-9). Clytemnestre ne se contente pas de sacrifier ou de consulter les interprètes, elle interprète elle-même. Le mot rend visible une action ; R. Tosi souligne à juste titre qu’une présence physique de la reine priverait la phrase de son effet.
v. 104
8Les trois mots ὅδιον κράτος αἴσιον montrent comment Eschyle retravaille un matériau traditionnel. Il est sans doute parti de ὁδοιπόρον... αἴσιον, « passant de bon augure », pour Hermès, en Iliade XXIV, 375 s., qu’il a transformé, de manière à créer un nouveau sens pour αἴσιον. Si κράτος désigne bien le commandement de l’armée (cf. la note suivante), αἴσιον a difficilement le sens habituel de « favorable » ; le mot signale plutôt que ce commandement, qu’on rencontre sur les routes, est porteur d’une bonne fortune (parce qu’il est conforme à l’αἶσα) ; l’allusion au présage ne peut être niée.
v. 104 s
9La répétition de κράτος au vers 104 et au vers 108 nous avait incités à ne pas donner le même sens aux deux emplois, et à faire d’ἐκτελέων non pas un adjectif déterminant ἀνδρῶν, mais un participe présent (« alors que je mène à son terme la faculté de faire route qui est le lot des hommes »). Mais l’argument peut se renverser : le chœur pose d’abord le thème général de son récit, pour le développer ensuite, selon une habitude du récit archaïque6. Si l’on réfère κράτος aux Atrides, la correction ἐντελέων (« hommes en charge d’un pouvoir ») pour έκτελέων (« hommes ayant achevé leur croissance ») ne s’impose pas (cf. West, Studies, p. 175).
v. 106
10R.D. Dawe (Classical Philology 83, 1988, p. 101) considère qu’il est exclu (« impossible Greek ») de faire de πειθώ l’objet de καταπνείει et de μολπᾶν ἀλκάν l’apposition à cet objet7 (« Ma vie, de par les dieux, souffle encore la persuasion, qui est la force des chants », selon la compréhension retenue par J. Bollack) ; il coupe la phrase en deux et écrit μολπᾷ δ’ ἀρκεῖ σύμϕυτος αἰών (« La persuasion souffle, et ma vie est assez forte pour le chant »). Mais la complexité de la syntaxe, dans le texte transmis, vient de ce que le chœur compose ici un proème, ouvrant sur un récit quasi épique (les vers 104 = 122, 111 = 129 et 118 s. = 136 s. sont des « hexamètres dactyliques »), tout en rompant avec la norme homérique. L’inspiration est divine (θεόθεν), mais elle ne suffit pas à faire chanter « l’aède » ; le don des dieux (la Muse n’est pas nommée) consiste ici à donner encore assez de vigueur au « moi », compris comme entité physique.
v. 122-1248
11La discussion de la syntaxe de cette phrase est très délicate. Comme J. Bollack, M. West (Lexis 17, 1999, p. 48 s.) argumente pour le maintien du τ’ dans πομπούς τ’ ἀρχάς, mais avec une autre interprétation syntaxique. La question essentielle est de savoir s’il faut, avec lui9, dissocier le premier accusatif δύο λήμασι δισσοὺς Ἀτρείδας10 d’ἰδών, et en faire l’objet d’ἐδὰη, avec μαχίμους λαγοδαίτας comme attribut : « Voyant, il comprit que les deux Atrides... étaient les belliqueux mangeurs de hases », ou, au contraire, avec, entre autres, Fraenkel et Bollack, construire δύο... Ἀτρείδας avec ἰδών : « Le devin, voyant les deux Atrides..., comprit... » Denniston-Page avaient écarté rapidement cette seconde solution : « There is no point in saying that at this moment he saw the Atreidae, who had been present throughout. » M. West ne revient pas sur l’argument. La nouveauté de sa proposition tient au maintien du troisième groupe comme entité autonome, avec la coordination πομπούς τ’ ἀρχάς ; ces mots « may properly be appended by means of the connecting particle », avec, semble-t-il, également la fonction d’attribut (sinon le verbe serait construit avec deux syntaxes différentes : « Il comprit que les Atrides étaient..., et il comprit les ἀρχαί). On devrait donc comprendre : « Il comprit que les Atrides étaient... et qu’ils étaient les ἀρχαί ». Le terme ἀρχαί désignerait alors les aigles, et non les Atrides, dont on verrait mal comment ils pourraient être eux-mêmes qualifiés de πομποί (cf. H.L. Ahrens, p. 276) – encore qu’on ait en Perses, 59, δειναῖς βασιλέως ὑπò πομπαῖς ; c’est en fait le contexte, avec l’emploi thématique dans notre passage de πέμπειν, qui amène à cette conclusion : dans la fonction de πομπός, nous avons l’oiseau au v. 111, Apollon, Pan ou Zeus en 59 (qui « envoient » l’Érinye) et Zeus en 60 s. (qui « envoie » les Atrides). Les aigles seraient appelés ἀρχαί « presumably » en tant que « dirigeants parmi les oiseaux ». Ils rempliraient ici le rôle d’« envoyeurs » que leur donnait le chœur dans la strophe (v. 111, πέμπει ὄρνις).
12Cette lecture est tentante, mais la difficulté qu’il y a à justifier pleinement ἀρχάς si on y voit les aigles, incite, je crois, à suivre une autre piste, et à revenir à la syntaxe proposée par J. Bollack. Tout d’abord, le préalable selon lequel δισσοὺς Ἀτρείδας ne peut être objet d’ἰδών ne me paraît pas contraignant. Il ne s’agit pas seulement de « voir » les Atrides physiquement ; on a à tenir compte de la qualification qui est donnée ici aux rois ; ils sont « deux » (δύο va avec Ἀτρείδας) et « divers » (δύο λήμασι δισσούς), bien qu’unis dans la même entreprise guerrière. Après le ϕανέντες du vers 116, ἰδών indique que le regard professionnel du devin a su se fixer sur l’autre face du présage, son signifié ; la dualité des volontés, qui reproduit celle des aigles, permet l’identification. Dès lors, il identifie, selon le sens normal de δαῆναι, ce que sont en fait les « belliqueux dévoreurs de hase ». Μαχίμους λαγοδαίτας décrit une scène déréglée, mêlant l’horreur d’un festin anormal à la guerre. À l’inverse, πόμπους τ’ ἀρχάς renvoie à un ordre constitué. Il est vrai qu’ἀpχαί peut valoir ἀρχοί, « commandants » (cf. Phéniciennes, 973), mais le choix du mot s’explique mieux s’il garde le sens habituel de « commandements ». Le devin a indentifié l’autorité qui envoie l’armée, à savoir Zeus, dont les aigles sont les « chiens » (κυσὶ πατρός, v. 136) ; c’est parce que les aigles viennent de Zeus que Calchas peut affirmer que la Moire s’emparera de Troie (v. 130) ; l’issue est certaine. Ces deux déchiffrements du signe (avec le τε, qui à la fois les distingue et les relie) lui permettent de construire l’histoire à venir. Il devine les protagonistes, les Atrides, et le cadre divin dans lequel ils vont agir.
v. 136
13Il nous avait semblé préférable de donner un sens actif à αὐτότοκον, « qui enfante par soi-même » (plutôt qu’« avec sa portée », selon l’interprétation traditionnelle), de manière à souligner la tension entre « les petits » (-τόκον) et la frustration de la mère (πρὸ λόχου). Mais le contraste n’est pas moindre (au contraire) avec le sens traditionnellement admis pour l’adjectif. Le discours de Calchas explicite le récit de la vision : à ἐρικύμονα ϕέρματι γένναν (« race toute gonflée de sa portée », v. 119) il substitue αὐτότοκον πρò λόχου11 : bien qu’ils ne soient pas encore nés, ce sont bien aussi les petits qui ont été tués.
v. 140
14M. West (Studies, p. 177 s.) écarte ά καλά parce que l’article ά est clairement une conjecture de Triclinius et parce qu’un dimètre iambique de la forme est mal attesté. Il propose de reprendre la conjecture de Badham Ἑκάτα pour ἁ καλά. Mais s’il est vrai que l’article est de Triclinius, il peut s’agir d’une bonne conjecture (cf. O.L. Smith, Studies in the Scholia of Aeschylus, vol. 1, p. 236)12. Quant aux dimètres semblables que l’on trouve chez Eschyle, ils ne se laissent pas tous facilement écarter : notamment, dans l’ordre de probabilité, Prométhée, 567 et Perses, 28613.
v. 144
15La compréhension de ce vers (τούτων αἰτεῖ ξύμβολα κρᾶναι) est évidemment décisive si l’on veut reconstruire la logique d’Artémis. La discussion, précise, du passage par R. Thiel (Chor und tragische Handlung im ‘Agamemnon’ des Aischylos, p. 72 ss.) permet de revenir sur notre interprétation. Nous avions pris deux décisions : référer τούτων non pas à la situation (le présage) mais aux substantifs qui précèdent juste (les petits des animaux), et faire de ξύμβολα un contre-signe, à savoir le sacrifice d’Iphigénie, et non pas le présage des aigles (ξύμβολα se distinguant ainsi des ϕάσματα du vers suivant) : « Elle demande d’accomplir un signe qui soit le leur. » Le sacrifice, qui consiste à consacrer un jeune vivant à la déesse, compense ainsi le repas sanglant des aigles. La requête d’Artémis paraît bien obéir à cette logique, mais selon une autre grammaire (comme souvent, une compréhension juste, quant au fond, s’appuie d’abord sur une lecture nouvelle et forcée de la lettre, pour revenir ensuite à la lecture grammaticale admise ; au moins, le détour par cette première lecture a-t-il permis de dégager les possibilités de sens offertes par le texte). Τούτων se comprend mieux s’il renvoie à la situation : on rend ainsi mieux compte de l’asyndète explicative avec la phrase suivante, qui concerne le présage. Mais cela n’implique pas que τούτων ξύμβολα soit, comme ϕάσματα, le présage des aigles, dont Artémis demanderait la réalisation : comme on ne comprendrait pas pourquoi elle réclamerait une action qui va contre elle, et qui, de toutes manières, doit avoir lieu (l’illogisme de la lecture habituelle est étonnant), il faudrait introduire l’idée qu’elle demande que ce signe soit réalisé sur un mode particulier ; or cette idée est clairement absente du texte. Vu les emplois de κρᾶναι, une phrase comme ξύμβολα κρᾶναι ne signifie pas, contrairement à ce que pensent les inteprètes, « réaliser un signe » (« to make valid » ou « to fulfill portents », « ein Zeichen erfüllen »), à savoir passer du signe à la réalité, mais « effectuer » un signe, le produire (cf. μαντεύματα κραίνει, pour Apollon, Ion, 464). Artémis demande donc que quelque chose de nouveau, dans l’ordre du symbolique, se produise. Pour donner un sens à la phrase, il faut redonner au mot ξύμβολα sa valeur première, « ce qui vient s’ajointer », ce qui fait contre-partie ; Artémis demande « un événement qui complète la présage », à savoir le sacrifice.
v. 151-155
16En 1986, W. Furley14 était revenu à la vieille interprétation qui faisait du « second sacrifice » (θυσίαν ἑτέραν) la mort d’Iphigénie, et non celle d’Agamemnon, et donc du « premier » le repas de Thyeste. Mais on ne voit pas en quoi le sacrifice d’Iphigénie pourrait être qualifié de οὐ δεισήνορα, « qui ne craint pas l’homme » (ou « ... le guerrier ») ; ce qualificatif a une connotation nettement héroïque : Δεισήνωρ est un Lycien de l’Iliade (XVII, 217). Eschyle a repris le terme en en inversant la valeur (« qui craint l’homme », au lieu d’« homme à craindre »). Le mot se réfère clairement au sacrifice d’Agamemnon. Récemment, L. Käppel15, tout en tenant compte des objections, est revenu à une interprétation voisine, qui fait du repas de Thyeste la cause de la colère d’Artémis. Il comprend qu’Artémis, qui défend les enfants, va demander un « second sacrifice » (celui d’Iphigénie) car, d’ores et déjà (cf. le présent μίμνεν), guette la Colère qui venge l’enfant ; mais ce second sacrifice annoncerait déjà la vengeance de Clytemnestre, « qui ne craint pas l’homme », et qui, comme Artémis, venge l’enfant. Mais il y a une inconséquence à faire de la vengeance demandée par Artémis (la mise à mort d’Iphigénie comme prix à payé pour les enfants de Thyeste) la lésion qui demanderait une autre vengeance du même type (avec le meurtre d’Agamemnon) ; les deux mises à mort d’enfant(s), par Atrée, par Agamemnon, ne sont pas sur le même plan. Ce qu’il faut interpréter, c’est plutôt pourquoi le discours de Calchas, qui se borne à parler d’Aulis et de ses conséquences, comporte, lexicalement, des motifs rappelant le repas de Thyeste ; l’histoire se répète, mais sans qu’une logique linéaire relie les épisodes entre eux.
v. 151
17A.M. Van Erp Taalman Kip (Mnenosyne 39, 1986, p. 74-81) argumente contre la compréhension la plus répandue, que nous avions reprise16, de σύμϕυτον : genti innatum (Schneidewin, Fraenkel). Comme le mot σύμϕυτος, plus employé dans la prose que dans la poésie, et différent, pour le sens, de σύγγονος, ne peut signifier que « né avec » ou « croissant en même temps que », l’auteur (qui écarte à raison ici toute idée de malédiction ancestrale) propose de comprendre que « l’artisan » est né avec le second sacrifice : quand Iphigénie sera tuée, un processus de violence se mettra en route. Mais il me paraît difficile qu’un terme notant un lien de famille, et qui concerne donc deux entités différentes, caractérise la relation entre deux notions qui sont en fait assimilées : « artisan » n’est en effet pas coordonné à « sacrifice », il en est l’apposition ; le sacrifice est lui-même un « fabricant de querelles ». La relation notée par σύμϕυτον ne peut donc renvoyer à lui ; il faut un autre terme. L’analyse doit tenir compte de la nature oraculaire, et donc énigmatique de l’énoncé : la phrase où figure σύμφυτον est expliquée par une seconde (μίμνει γάρ... οἰκονόμος), qui développe la métaphore de « l’inné » (cf. τεκνόποινος). Le lieu où va croître la querelle17 est bien, comme le suggérait déjà σύμφυτον, la famille.
v. 160-19118
18Lors du colloque sur le texte d’Eschyle organisé par V. Citti à Cagliari en 1997, R. D. Dawe a développé de nouveaux arguments en faveur de sa proposition (faite en 1966)19 de transposer les vers 160-191 après 21720. Je reste attaché à l’ordre des vers transmis pour les raisons suivantes21 :
Avec l’ordre donné par les manuscrits, nous avons un effet de composition en anneau : « l’Hymne à Zeus », qui ouvre la partie iambique de la parodos, énonce la loi du savoir par la souffrance ; cette loi est reprise, et spécifiée, à la fin du chant (et de cette partie iambique) en 250 s. : « Justice pèse de tout son poids sur ceux qui subissent pour qu’ils sachent. » Il ne s’agit pas là à proprement parler d’un argument, mais d’un constat qui n’est pas sans valeur pour un composition poétique.
Si l’on adopte la transposition, il faut expliquer pourquoi le lieu de l’action (avec la géographie donnée aux v. 190 s.) est désigné et précisé si tard, alors que le récit est déjà engagé : quel serait le sens de cette précision géographique à ce moment-là du récit ? Avec l’ordre transmis, « Strymon » suit juste la mention d’autres lieux (« Chalcis », « Aulis »).
Avec l’ordre des manuscrits, la proposition temporelle en 188 ss. (εὖτ’ ἀπλοιᾳ κενναγγεῖ...) pose un thème général, le blocus, qui est ensuite analysé et développé par 192 ss., selon une technique bien connue des récits. Avec la transposition, il faudrait dire quelle fonction pourrait avoir une telle phrase : pourquoi un tel retour en arrière, pourquoi une phrase dont le contenu informatif, après 194 ss., serait vide ?
-Le v. 187 (μάντιν οὔτινα ψέγων) ne fait pas vraiment difficulté (Dawe se demande pourquoi Agamemnon aurait à blâmer un devin qui n’a pas encore parlé du sacrifice). En effet, il est sans doute exclu d’y voir une anticipation des vers 202 ss., avec la réaction des Atrides à l’évocation d’Artémis par Calchas (encore qu’un tel type d’anticipation n’est pas impossible dans un récit lyrique, et non épique, qui a souvent pour règle de commencer par ce qui se révélera être le point décisif du récit). Ce qui a été dit de Calchas dans la triade qui ouvre la parodos lyrique suffit déjà à créer la situation qui motive 187. Agamemnon (dans une sorte de contre-scène d’Iliade I, 106 ss.) ne conteste pas l’interprétation du présage par le devin : les vents et le blocus qu’il annonçait (v. 149 s.) sont devenus réalité.
J’ai l’impression que Dawe minimise la rupture marquée par ἐπεὶ δὲ καί en 199. Or c’est visiblement avec cette phrase que l’injonction d’Artémis est introduite. Auparavant, ce n’était encore qu’une crainte du devin, à laquelle il voulait opposait une prière à Apollon (v. 149 ss.). La situation a changé.
Peut-on vraiment dire que « πνέων and the rest in 219 [= ϕρενòς πνέων δυσσεβῆ τροπαίαν] (is) a restatement of 187 [= ἐμπαίοις τύχαισι συμπνέων] » ? S’il y a un « tournant » du souffle (τροπαίαν), c’est qu’il y avait, avant, un autre souffle. On doit, je crois, distinguer deux dispositions psycho-physiologiques dans le comportement du roi, correspondant à deux moments distincts. En 187 s. (μάντιν οὔτινα ψέγων et ἐμπαίοις τύχαισι συμπνέων), « il est simplement dit qu’Agamemnon accepte la fatalité des vents, sans se révolter contre elle »22 ; par ailleurs, « les coups qui s’abattent » (ἐμπαίοις τύχαισι) ne concernent sans doute pas directement le père, mais l’armée (cf. εὖτ’ ἀπλοία...). Le roi est d’abord passif, soumis aux coups venus de l’extérieur. En 219, le souffle change ; le roi devient actif. Son souffle n’est plus simplement en harmonie (cf. συμπνέων) avec les circonstances ; il se renverse de manière à produire une audace sans limite (τò παντότολμον ϕρονεῖν ; Dawe a raison de donner un sens causal à τόθεν).
Quant au fond. Le déplacement des vers 160-191 a pour point de départ l’idée que l’Hymne à Zeus concerne d’abord la souffrance d’Agamemnon à Aulis, p. 19 s. : « Why this brutal choice ? (205-17). Answer : because that is how Zeus operates. Men have to learn the hard way (160-83). » Mais, tout d’abord, peut-on dire qu’Agamemnon apprenne quelque chose ? Il apprend seulement que la réalisation du but de guerre qu’il s’est fixé et que Zeus impose passe par le sacrifice de sa fille. Il ne s’agit clairement pas d’une connaissance positive, d’un « bien penser » comme le dit ϕρονεῖv au vers 17623. Au contraire, cette « souffrance » conduit Agamemnon à agir contre la raison (τὸ παντότολμον ϕρονεῖν, v. 221). La reprise des termes mêmes de l’Hymne à la fin de la parodos, v. 250 s., laisse entendre que la conversion de la souffrance en savoir n’a pas encore eu lieu, qu’elle est attendue, avec angoisse, par le chœur. La leçon de l’Hymne ne s’est pas encore appliquée.
19On est donc plutôt amené à dire que l’Hymne, laissé à sa place, dessine le cadre théologique de toute l’action entreprise contre Troie, action commencée à Aulis avec le sacrifice, mais dont le chœur ne connaît pas encore le terme (on comprend ainsi le sens de la composition en anneau de cette partie de la parodos). Il sait seulement que le πάθος déjà vécu ou encore à vivre (Agamemnon aura peut-être à souffrir pour ce qu’il a fait)24 va produire du « savoir », mais il ne sait pas lequel précisément25. Le chœur est donc dans une véritable aporie. La contradiction angoissante (cf. le refrain) entre l’annonce du succès futur des Grecs à Troie et le prix à payer pour ce succès (le sacrifice d’Iphigénie), l’amène à se tourner vers Zeus, dont il pose qu’il est le seul être qui puisse véritablement libérer de l’angoisse (v. 160-166). Zeus a ce pouvoir libérateur non seulement parce qu’il a définitivement vaincu d’autres dieux (v. 168-175), mais parce qu’il sait transformer la douleur humaine en connaissance positive (v. 176-183). Or, et de là vient l’aporie, ce même dieu pousse Agamemnon à prendre Troie et donc, implicitement, à tuer sa fille, à savoir à commettre un acte impie. L’Hymne sert moins à rendre compte du désarroi d’Agamemnon, de son πάθος (qui, en fait, ne débouche sur aucun μάθος véritable), qu’à poser le sens a priori nécessaire de toute l’entreprise grecque. Or il est impossible de dire comment ce sens va se réaliser : l’angoisse n’est pas encore supprimée, parce qu’Agamemnon s’est rangé du côté des criminels, même s’il l’a fait pour obéir à Zeus.
v. 178 s
20L’interprétation proposée pour τῷ πάθει μάθος θέντα κυρίως ἔχειν : « avoir le savoir par la souffrance », est artificielle ; un syntagme μάθος ἔχειν est improbable. Mieux vaut ne pas dissocier les deux substantifs et écarter une construction comme « le savoir est souverain par la souffrance » (on voit mal pourquoi l’autorité du savoir dépendrait de la douleur), et donc accepter la syntaxe habituelle : « posant que le savoir par la souffrance avait force de loi. » Les arguments de Fraenkel pour le maintien du τῷ des manuscrits (savoir et souffrance ne sont pas sur le même plan : c’est une souffrance particulière, « telle ou telle », qui conduit à un savoir général) et contre le τόν de Schütz (qui met les deux participes ὁδώσαντα et θέντα sur le même plan, alors qu’ils sont hiérarchisés) n’ont malheureusement pas été pris en compte par les interprètes récents.
v. 182
21À la leçon transmise βιαίως nous opposions que le groupe « assis violemment » ne faisait pas vraiment sens ; la correction de Turnèbe βίαιος paraissait s’imposer. Mais ἡμένων est à prendre comme une métonymie pour « gouverner ». Quant aux arguments qui contraindraient à faire de la phrase une interrogative (avec la graphie ποῦ), voir leur réfutation dans V. Di Benedetto, Rivista di Filologia e di Istruzione Classica 120, 1992, p. 129-132.
v. 205-227
22Dans une discussion méthodique et très utile de l’interprétation du dilemme d’Agamemnon par M. Nussbaum26, J. Jackson et M. Vermaak27 relèvent plusieurs points criticables dans cette interprétation et rappellent que le chœur ne peut être considéré comme le porte-parole d’Eschyle, et que la critique du chœur à l’égard d’Agamemnon ne porte pas sur la manière dont le roi choisit le seul parti possible, mais sur son choix lui-même. Comme elle, cependant, ils ont tendance à détacher les aspects formels du choix d’Agamemnon (son caractère contingent, à savoir qu’aucun événement préalable, aucune faute envers Artémis, ne met Agamemnon dans l’obligation de choisir ; son aspect libre et rationnel) du contenu de la décision prise (tuer sa propre fille, à savoir, en fait, tuer sa propre vie) ; du coup, il leur est difficile de cerner la culpabilité d’Agamemnon : s’il a agi rationnellement à Aulis (« He succeeds in his difficult dilemma at Aulis », p. 99), sa faute devrait être trouvée ailleurs que dans le meurtre de sa fille, et, par exemple, cherchée dans le massacre qui a accompagné la prise de Troie ; Agamemnon se serait rendu coupable d’hubris, comme Paris. La lecture fait comme si elle devait questionner la régularité de la décision (en se demandant si Agamemnon a raison, ou non d’agir comme il agit), et non pas comme si elle avait d’abord affaire à un récit, qui présente dans une certaine perspective, et donc qui interprète déjà, le déroulement effectif de ces procédures (cf. ma critique de la lecture de M. Nussbaum supra, p. 45, n. 54).
23Ainsi, pour reprendre la question de la « contingence » du dilemme, le choix d’Eschyle de ne pas motiver la situation de contrainte où est mis Agamemnon par une faute qu’il aurait commise envers Artémis, tout comme l’insertion de l’exigence d’Artémis dans une prophétie qui annonce la victoire sur Troie, font bien apparaître une interprétation des événements d’Aulis tels que la tradition poétique les racontait : dans l’Agamemnon, la vraie motivation du dilemme (qui, dès lors, n’est pas contingent) est le succès même de l’entreprise ; Agamemnon, le justicier, est condamné par Zeus à la faute (avec la violence de la conquête), et par là à l’auto-destruction (avec le meurtre de sa fille et ses conséquences) : la « volonté de Zeus » (punir Troie) ne peut que léser ce qu’Artémis représente (la vie innocente) ; comme Artémis ne peut s’opposer à la volonté de son père, elle n’agit que sur les modalités de sa réalisation ; elle demande que le justicier offre ce qu’il a de plus beau du côté de la vie innocente, à savoir sa fille ; et, par là, elle le condamne à l’auto-destruction. En ne désignant pas de cause événementielle de la colère d’Artémis (une impiété d’Agamemnon par exemple), Eschyle savait qu’il surprendrait son auditoire ; comme cette colère est déduite par Calchas du repas des aigles, le spectateur devait à son tour analyser cette scène pour reconstruire l’origine du comportement de la déesse.
24Eschyle propose par là une vraie réflexion sur la nature du droit (qui est censé rétablir un ordre après une faute, mais qui, en fait, condamne à la transgression). Le texte ne présente pas un cas d’école (un dilemme éthique analysé pour lui-même), mais un événement qui, d’une part, refigure et réinterprète l’ensemble de la tradition poétique antérieure et, de l’autre, donne la signification du sort que subit celui qui en est l’acteur principal. Même si la présentation des procédures de sa décision relève bien d’une théorie éthique, Agamemnon n’est pas n’importe quel sujet éthique, mais, confronté à ce choix précis, une exception ; aucun être humain, dans la vie « réelle », ne peut être mis dans la situation où il se trouve. On ne peut donc dire qu’Agamemnon agit rationnellement, puisque c’est en fait la rationalité de tout comportement humain qui est mise en question par la situation que créent les dieux (avec la double contrainte imposée par Zeus et Artémis) ; la rationalité est ailleurs, dans la nécessité, posée par Zeus, de prendre Troie, avec les catastrophes irrationnelles que cette raison supérieure impose. On est donc dans un schéma de ruse de la raison, et la position rationnelle du chœur (qui condamne, justement, le massacre de la jeune fille) ne peut que s’avouer impuissante ; elle n’est au mieux que partielle, puisque le but rationnel visé par ce crime sera bien atteint. Le chœur en fera lui-même l’aveu au début du troisième épisode : si Agamemnon lui est apparu monstrueux à Aulis (« Je ne te cacherai pas / qu’alors tu étais bien mal peint à mes yeux / et que tu ne tenais pas bien le gouvernail de ton cœur », v. 802-804), dix ans après, devant le succès de l’entreprise, il doit dire que « pour ceux qui ont réussi, la peine fait fête » (v. 806) ; le terme de l’action rachète les déboires qui y ont mené. On a un conflit, sans issue, entre deux formes de rationalité.
v. 212
25R. Drew Griffith rappelle que la désertion (ici, λιπόναυς, qui fait penser au terme technique λιποτάξιον) n’était un crime que selon la jurisprudence de l’Athènes classique, et était totalement absente, comme faute, de l’éthique homérique28, pour qui le manquement principal était d’agir contraint et non selon son propre vouloir (Agamemnon commet cette faute en se soumettant au « joug de la nécessité », v. 218) ; il serait donc erroné d’interpréter avec des critères du Ve siècle le comportement d’Agamemnon, qui est clairement présenté dans l’ensemble de la parodos comme un héros homérique, et de dire qu’il n’avait pas le choix : « In not deserting Agamemnon makes a real choice and, most significantly, makes the wrong choice » (American Journal of Philology 112, 1991, p. 173-177 ; cf. p. 177). Mais il faudrait expliquer pourquoi Eschyle aurait tenu à cette fidélité philologique envers Homère. En fait, il reprend l’Iliade en fonction de ce que l’on sait du rôle d’Agamemnon dans le poème : le roi ne pouvait qu’être lui-même, un chef de guerre victorieux ; cette donnée poétique peut, après coup, être réinterprétée en termes modernes, comme refus de déserter.
v. 216 s
26Il n’est nécessaire ni de faire d’Agamemnon le sujet d’ἐπιθυμεῖν (« Il est légitime que je désire le sang d’une vierge »), ni d’introduire un σϕ’ (« eux ») avec Bamberger pour préciser que ce désir est celui de l’armée29. L’argument qui emporte l’adhésion d’Agamemnon est qu’il ne peut trahir l’alliance (ξυμμαχίας), qui est donc – peut-on compléter – favorable au sacrifice ; ici, de manière impersonnelle, il pose que, dans ces conditions, le désir du sacrifice est légitime. Il y a de la distance dans cet énoncé, comme le montre le contraste entre θέμις et la nature du désir ; Agamemnon se résigne à accomplir un acte qu’il sait monstrueux30. On ne peut donc pas dire avec M. Nussbaum que le vœu εὖ γὰρ εἴη montre un Agamemnon ayant viré à l’optimise (p. 35), et qui tue sans remords, en oubliant « the sorrow and the struggle » (p. 36) ; le texte dit exactement le contraire31.
v. 218
27La phrase « quand il eut passé sur lui le joug de la nécessité » (ἐπεὶ δ’ ἀνάγκας ἔδυ λέπαδνον) est en fait assez simple à comprendre ; il ne s’agit pas d’une nécessité logique (Agamemnon n’ayant le choix qu’entre X et Y, selon M. Nussbaum), mais bien d’une nécessité contenue dans la situation telle que Calchas l’a déchiffrée : pour atteindre A, la prise de Troie, terme voulu par Zeus, il faut passer par B, le meurtre d’Iphigénie. Comme A est inévitable, B l’est aussi. Il n’y a là aucun fatalisme, mais bien une vraie décision de la part d’Agamemnon (le concept de double motivation ne fonctionne pas ici) : Agamemnon adhère pleinement à A, qui correspond aux valeurs qui font qu’il est ce qu’il est, et ces valeurs sont contraignantes en ce qu’elles correspondent à l’ordre des choses tel qu’il est posé par Zeus ; Agamemnon doit donc accepter B, alors même que B implique la suppression de l’agent. Agamemnon aurait pu refuser B, ce qu’il formule comme possibilité en 206 ss., et choisir ainsi une autre forme d’anéantissement (le non-sens). C’est après avoir calculé qu’Agamemnon se soumet. Ce que le chœur interprète comme un dérègement de l’esprit ne vient qu’après (τόθεν).
v. 239
28Les arguments pour faire de κρόκου βαϕάς (« les teintures de safran ») le sang d’Iphigénie immolée et non son vêtement ne sont peut-être pas si décisifs que nous le pensions. La phrase « versant au sol des étoffes teintes de safran » n’implique pas qu’Iphigénie se soit d’une manière ou d’une autre délivrée de l’emprise des hommes qui l’ont saisie (ce qui serait, de fait, improbable). Après l’ordre donné par Agamemnon et la violence de la résistance d’Iphigénie, nous avons une pause, soulignée par la ressemblance entre la victime et les images peintes (le présent des trois participes χέουσα, πρέπουσα, θέλουσα va dans le même sens). Sur un mode propre au récit lyrique, la narration est discontinue : un tableau apaisé succède à la brutalité de la scène précédente. Par ailleurs, on ne voit pas pourquoi le sang aurait une couleur de safran (en 1121, la coloration, avec κροκοβαϕὴς σταγών, vient de sa nature viciée, à cause de l’angoisse). S’il s’agit du vêtement d’Iphigénie, qu’elle laisse tomber à terre (selon une tournure homérique, cf. Iliade V, 734, πέπλον μὲν κατέχευεν έανòν πατρòς ἐπ’ οὔδει, à propos d’Athéna), cela veut dire que le vêtement ne peut plus lui servir de refuge, comme c’était le cas avec πέπλοισι περιπετῆ de 233 (où il ne peut s’agir du vêtement d’Agamemnon : πέπλοισι ne serait pas indéterminé)32. Au récit de l’immolation, absent, est substituée une scène figée, pacifiée, qui correspond à la beauté de la jeune fille chantant autrefois dans la salle des hommes (les connotations rituelles et poétiques33 du safran sont évidemment présentes, ainsi que celle du sang, remplacé ici par le vêtement : elle perd sa vie de jeune fille). Cette prétérition n’oblige pas à lire dans τὰ δ’ ἔνθεν δ’ οὔτ’ εἶδον οὔτ’ ἐννέπω (v. 247, « La suite, je ne l’ai pas vue et ne la dis pas ») une mention indirecte de l’égorgement. La phrase suivante, reliée par δέ (τέχναι δὲ Κάλχαντος οὐκ ἄκραντοι, « Mais l’art de Calchas n’est pas sans pouvoir »), oblige à voir dans « la suite » ce qu’il est advenu des Grecs après Aulis.
Premier stasimon
v. 355
29Il n’y a finalement pas d’argument décisif pour faire porter ϕιλία sur l’amitié entre la Nuit et Zeus et non sur la relation favorable entre la Nuit et les Grecs. Le chœur rend grâce aux dieux (cf. v. 352 s.).
v. 356
30Le pluriel et le contexte ne sont en fait pas en faveur de la compréhension « mondes » pour κόσμων. La nuit est plutôt « détentrice de grands ornements ». Cela ne minimise pas la signification cosmologique de la nuit ; elle est d’une part vaporeuse, et engloutit dans le noir (avec « le filet qui couvre », v. 358) ; de l’autre, parée de constellations, elle est une puissance visible et souveraine.
v. 412 s
31M. West (Studies, p. 186) reprend le texte de Hermann et de Fraenkel, σιγὰς ἀτίμoυς ἀλοιδόρους... ἀϕειμένων ἰδεῖν34 (au lieu de σιγᾶς ἄτιμος ἀλοιδόρος... ἀϕειμένων ἰδεῖν, qui fait sens mais est amétrique). On atteint là, je crois, une limite de la philologie : en quoi le respect d’une contrainte métrique peut-il contraindre à admettre comme authentique une métaphore comme « il est possible de voir des silences sans honneur », alors que le texte transmis donne, hors métrique, « silencieux, il [Ménélas] est là, sans honneur... » ? L’écart entre les deux niveaux de discussion, régularité métrique et pertinence de la métaphore, est tel qu’on ne peut conclure de l’un à l’autre.
v. 418
32M. West (Studies, p. 186) suit Heath, qui attribue les yeux (dans ὀμμάτων δ’ ἐν ἀχηνίαις) à Hélène et non à Ménélas, parce que le génitif complément d’ἀχηνία est toujours objectif : « le manque de quelque chose » (cf. Choéphores, 301, Aristophane, fragment 20 K.-A.). Ménélas souffrirait de l’absence du regard, i.e. de la présence vivifiante des yeux d’Hélène35. Mais l’argument n’est pas contraignant. À la différence des deux autres passages, on a ici le pluriel ἀχηνίαι, qui indique un ensemble de situations concrètes. Les yeux de Ménélas sont indéfiniment soumis au manque.
v. 469 s
33R. Tosi (Lexis 3, 1989, p. 20 s.), qui prend à juste titre ὄσσοις comme un instrumental, trouve qu’il est vain de chercher dans cette phrase une univocité syntaxique absolue, et de refuser, comme le fait J. Bollack, de construire Διόθεν à la fois avec « yeux » et avec « foudre » (Bollack rattache le mot seulement à κεραυνός) : « L’autore tragico non bada alla puntualità sintattica. » Le propos d’Eschyle serait de susciter l’émotion ; il ne faudrait donc pas réduire les potentialités sémantiques de son texte. Mais avec une construction ἀπὸ κοινοῦ de Διόθεν, je ne crois pas qu’on enrichisse vraiment le sens ; on perd plutôt un effet ; les « yeux » (sans Διόθεν) sont mis en valeur : « La phrase n’évoque pas seulement un châtiment, mais, avec l’œil, introduit le pourquoi de ce type de destruction »36. L’univocité est souvent sémantiquement plus ouverte que l’ambiguïté.
v. 485
34S’il était rigoureux, N. O’Sullivan devrait appliquer son verdict à sa propre lecture : « To Fraenkel’s necrology of previous attempts to explain ὁ θῆλυς ὅρος may now be added that of Bollack »37, car son interprétation diffère en fait peu de celle qu’il dit rejeter. Comme J. Bollack, il voit que nous sommes ici dans un contexte cognitif, et que le chœur parle de la manière dont, selon lui, la femme appréhende la réalité, et comprend par ὅρος « the standards by which she decides whether something is true » (cf. Bacchylide, fr. 11, 1, S.-M.) ; chez Bollack : « la limite fixée aux choses, une interprétation du réel qui caractérise la femme » (p. 485). Quant à πιθανός, il préfère lui donner un sens passif (« easily persuaded ») ; mais le mot, en tête de phrase, explique sans doute plutôt pourquoi le « critère féminin » se répand, ἐπινέμεται ; il séduit.
Deuxième stasimon
v. 717-736
35Chr. Nappa propose de revenir à l’interprétation ancienne du passage, qui assimilait le lionceau à Paris, et non à Hélène (cf. Triclinius ad loc.)38. Il est clair qu’un discours de portée universel, comme un fable, peut trouver plusieurs applications (cf. l’étude de B. Knox), et plusieurs traits du comparant rappellent effectivement Pâris (qui est, par ailleurs, le dernier mentionné avant la fable). Mais une fable a valeur d’argument dans un contexte précis ; or les raisons opposées à l’interprétation moderne dominante, qui y voit d’abord Hélène, ne me semblent pas déterminantes. « She is, first, not from Troy, and therefore not from the ‘house’ which is destroyed... Paris is responsible for her presence » (p. 83). Mais le lionceau non plus n’est précisément pas de la maison. « The lion parable represents the destruction of a house from within » (p. 85). « De l’intérieur » est, à nouveau, forcé. La fable illustre le désastre troyen causé par la venue d’un être du dehors. Ce qu’on a à interpréter est plutôt le fait que cette histoire, qui a sa logique propre, annonce thématiquement, dans la matière du récit de la fable, le monde qui sera montré dans la suite de la pièce et de la trilogie, où s’imposeront des violences internes au palais. Le chœur devra réélaborer son interprétation des événements, et faire de l’épouse qui est resée au foyer, Clytemnestre, une figure d’Hélène (v. 1455 ss.). Ce déplacement de la scène (on passe de l’épopée iliadique aux conflits d’une demeure) correspond au changement qui interviendra dans la définition de la compétence des Érinyes : elles ne seront plus, comme ici, en charge de tout crime, mais, dans les Euménides, seulement des crimes entre consanguins.
v. 773 s
36L’idée que la Justice aurait selon le chœur son « lieu naturel » dans les maisons pauvres, noires de fumée (Δίκα δὲ λάμπει μὲν ἐν δυσκάπνοις δώμασιν), nous avait semblé incongrue. Dans ce stasimon, le chœur insiste que sur le fait que seules les actions, et non les conditions sociales, sont concernées par le couple de contraires hubris/Dikè. La justice n’est pas liée à la pauvreté en tant que telle. Comme le dit la suite du texte, « elle honore la vie qui s’en tient à sa part » (τὸν δ’ ἐναίσιμον τίει βίον), quel que soit le niveau social de cette part. L’or n’est réprouvé que s’il est « sali par les mains ». Nous avions donc fait de δυσκάπνοις une épithète de nature de « maisons ». Dans les demeures, qui sont par définition sombres, coupées du soleil, seule l’idée de justice peut servir de lumière (de référence éclatante), tandis que dans les maisons injustes l’or (accumulé par « la crasse des mains », par la transgression) joue ce rôle. Mais δυσκάπνοις semble quand même noter une existence pénible (« les maisons âcres de fumée »), qui s’oppose à celle des riches. Le terme est socialement distinctif.
37En fait, nous avions refusé, à tort, d’assimiler « où la fumée est pénible » à « pauvre » parce que nous commettions la même erreur que les autres interprètes, qui pensaient que la phrase fait des « maisons enfumées » le lieu exclusif où Dikè se manifeste. Or elle ne dit pas cela ; le chœur ne fait pas un éloge de la pauvreté (ce qui contredirait tout ce qu’il dit par ailleurs), mais analyse les conditions d’un maitien de Justice dans les maisons. Si la Justice est éclatante là où domine le noir de la fumée, c’est qu’elle peut, là, apparaître dans toute sa force, tandis qu’elle s’écarte des maisons où un éclat concurrent a été établi contre elle. La strophe ne distingue que deux extrêmes au sein d’un système de possibles : les pauvres (justes), dont l’obscurité ne nuit pas à l’éclat de la justice, au contraire ; les riches (injustes), dont elle se détourne. Restent, entre ces extrêmes, toutes les autres possibilités (désignées en fait par « la vie qui s’en tient à sa part »).
L’accueil du roi (v. 782-809)
v. 795-798
38H. Neitzel a voulu démontrer que l’accueil anapestique ne devait pas se lire comme un avertissement donné au roi, mais comme un « modèle d’hommage authentique adressé à un homme puissant et triomphant » (« Zur Interpretation von Aischylos, ‘Agamemnon’ 783-809 », Hermes 114, 1986, p. 19-36 ; voir p. 21)39. Tout tourne autour des vers 795-798 : le coryphée, selon Neitzel, ne met pas en garde le « bon connaisseur du troupeau » contre les expressions fausses d’une amitié « mouillée d’eau » (ὑδαρεῖ... ϕιλότητι, v. 798), c’est-à-dire inauthentique, mais proteste de la réalité profonde de son bonheur et de son affection. « Humide » renverrait aux larmes sincères qu’il verse : en accord avec les emplois du mot dans Aristote (notamment Génération des animaux, V, 1, 779 a 31 s., pour l’œil du mouton), ὑδαρής devrait prendre le sens concret de « wäßrigglänzend » ; le prince ne manquera pas de remarquer l’éclat des yeux baignés de vraies larmes (on est en fait loin de l’emploi du mot dans le passage d’Aristote, où il s’agit de la couleur de l’œil). À la lecture traditionnelle, Neitzel objecte, entre autres, que le bétail peut difficilement être « malveillant » (comme le seraient les hypocrites), puisqu’Aristote rappelle que le mouton est εὔηθες (Histoire des animaux, IX, 3, 610 b 23 – mais Aristote poursuit :... καὶ ἀνόητον∙ πάντων γὰρ τῶν τετραπόδων κάκιστόν ἐστι ; il ne s’agit pas vraiment de qualités positives). Il ajoute que cette lecture ne peut correspondre à aucune situation concrète : comment le roi serait-il en mesure de départager l’apparence vraie de l’apparence fausse ? Mais c’est précisément la qualité que le chœur lui reconnaît dans son éloge, comme bon προβατογνώμων : il sait « identifier » (-γνώμων) la nature de son objet : en cela, le vrai roi se distingue de la « foule des mortels » qui estiment chez les autres davantage le paraître que leur être véritable (v. 788-794)40. Une fois précisées les conditions dans lesquelles Agamemnon doit l’écouter, le coryphée développe le discours juste sur le roi victorieux, discours à la fois critique et élogieux, sans arrière-pensée (la critique, en 799-804, ne vient donc pas « sans transition »). L’interprétation discutée ici s’appuie fortement sur des « parallèles », mais écarte, sans l’examiner (p. 22, n. 12), celui qui lui ferait difficulté : Politique, II, 4, 1262 b 15, où devenir « humide », pour l’amitié (τὴν ϕιλίαν... γενέσθαι ὑδαρῆ), signifie bien se diluer. L’arbitraire, dans le choix des références, tient à la méthode elle-même. On renverra toujours, pour l’inconsistance herméneutique de l’utilisation habituelle en philologie des passages « parallèles » comme base de l’interprétation – sans que chaque fois ait été apportée la preuve qu’il y a bien parallélisme –, aux critiques développées par P. Szondi dans l’introduction à ses Hölderlin-Studien, « Über philologische Erkenntnis »41.
Troisième stasimon
v. 984-987
39Ces vers n’ont toujours pas trouvé de remède approprié. J.F. Gannon (Classical Quaterly, n.s. 40, 1990, p. 46-53) propose de lire dans la phrase χρόνος δ’ ἐπεὶ... στρατός un élément positif, qui devrait rassurer le chœur : « The Chorus, after having rehearsed its forebodings (975-83), is likely to be turning to something consoling and reassuring in 984-7 as it certainly does in 988-9. » La colère d’Artémis et sa disparition avec le départ de la flotte sera alors à chercher sous les mots transmis (avec χρόνος δέ τοι πρυμνησίων ξὺν ἐμβολαῖς ψαμμίοις ἄγᾳ παρήβησεν). Mais outre que la fonction du datif ἄγᾳ (le mot rappellerait le v. 131, où il a été introduit par Hermann, à raison) n’est pas claire avec παρήβησεν, le lien avec la scène de la parodos (un seul mot) serait ténu, et, surtout, on s’attend plutôt à ce que la phrase, loin de mentionner un élément rassurant, explique pourquoi la « confiance » (θάρσος), cette fois, ne rejoindra pas son séjour habituel dans le corps. L’élément rassurant, mais dont le chœur sait qu’il n’est qu’apparent, est donné avec le début de l’antistrophe. Même s’il voit Agamemnon revenir, le chœur n’a que trop attendu ; il s’est épuisé.
v. 995-997
40W. Thalmann42 me reproche une certaine incohérence dans ma critique du « dualisme » auquel les interprètes de ce texte seraient attachés. Par dualisme, je n’entendais pas l’opposition entre un pôle plus rationnel de la « subjectivité » (quelle qu’elle soit) et des mouvements irrationnels, mais bien une opposition entre le « mental » et le « physiologique » ; ce type de contraste, moderne, est étranger au texte. Au-delà de cette critique, j’essayais de montrer qu’aux fonctions cognitives nettement différenciées (et là je suis en fait d’accord avec l’analyse de Thalmann) correspondent indissociablement des instances physiologiques différentes. Ce n’est pas parce que les ϕρένες (que j’assimile au diaphragme, en tout cas à un organe, cf. le πρός de 996) sont plus stables et « habités par la justice » (ἐνδίκοις) qu’ils sont à prendre au sens de « conscience morale ». Le chœur analyse des oppositions au sein d’un corps divisé.
41Selon Thalmann, les trois termes θυμός/καρδία (ou κέαρ)/ϕρήν (ϕρένες) correspondent à trois facultés distinctes : le θυμός (qu’on peut sans doute identifier avec Onians à une vapeur du sang) accompagne la naissance d’une émotion ; le « cœur » donne un lieu et une forme d’identité à cette émotion ; le ϕρήν contient une pensée plus rationnelle. On peut accepter ce schéma. Tout le problème réside dans la manière dont le chœur l’utilise ici. Thalmann repère une lutte entre l’affect (obscur) et l’instance de la représentation que cet affect n’arrive pas à pénétrer : « The chorus cannot express what is in the kardia because that has not entered the phren » (p. 500) ; la frontière n’est pas franchie (πρός, qui est construit avec κυκλούμενον plutôt qu’avec ματᾴζει, indique bien la séparation des domaines).
42Mais cette lecture a pour effet d’affaiblir le sens de τελεσϕόροις, pris simplement au sens de « prophétiques », alors que le mot note bien qu’un but a été atteint, et d’ἐνδίκοις, qui note la présence de la Justice au sein des ϕρένες : le mot est lu comme signifiant « capables de juger le bien et le mal » (p. 505), sans référence précise à la situation présente. Or les strophes et antistrophes 2 développent bien le concept de justice et, avec l’évocation du guerrier mort, évoquent le sort probable d’Agamemnon, que le chœur déduit de l’injustice manifeste du roi au cours du troisième épisode. Si le chant qu’entonne le θυμός est celui de l’Érinye, ce n’est pas sans rapport avec une justice bien définie.
43Je faisais des « tourbillons (du sang) roulant jusqu’à leur accomplissement » (τελεσϕόροις δίναις) un mouvement du centre du corps vers la périphérie ; cela n’est pas nécessaire ; on peut imaginer au contraire un mouvement du cœur vers le centre, portant par vagues (κυκλούμενον) l’effroi vers les ϕρένες (cf. pour un mouvement du cœur vers le ϕρήν, Prométhée, 881, κραδία δὲ ϕόβῳ ϕρένα λακτίζει) ; c’est la rencontre de ce mouvement sanguin, qui, prophétique, porte en lui l’idée d’accomplissement, et de la représentation de justice qui hante les ϕρένες qui garantit la véridicité des « entrailles » (qui encadrent les ϕρένες)43. La prophétie, malgré son désordre, rejoint un concept déjà là. La perception angoissante d’une catastrophe à venir, particulière, est confirmée par la connaissance de la règle générale de justice que le chœur s’est déjà acquise. Les tourbillons, malgré leur violence, sont bien arrivés à leur but, et, par là, indiquent une réalisation nécessaire. L’angoisse, d’abord suscitée par le spectacle dérangeant du retour, est en fait rationnelle.
v. 1001 s
44« No one has explained how a τέρμα – clearly in this context a limit set by the adjency of health’s opposite, disease – can be ἀκόρεστον » (M. West, Studies, p. 208). Mais, précisément, nous avons un oxymore. L’obsession de la maladie fait que l’on repousse toujours plus loin la limite de la santé (cf. mon commentaire, p. 212). Le chœur ne dénonce pas, platement, l’insatiabilité humaine, mais analyse son mécanisme : les contraires, santé/maladie, richesse/pauvreté, agissent l’un sur l’autre, dans une opposition qui, dès lors, n’est pas fixe.
v. 1025-1029
45Deux problèmes arrêtent la lecture : de quelles « moires » s’agit-il, et quel est le référent de τάδε ? La seconde question est en fait plus facile que nous ne l’avions cru. La phrase suivante, qui oppose la réalité (νῦν δέ) à l’irréel (...ἂν τάδ’ ἐξέχει), dit bien ce que la situation exclut. Le cœur est condamné à gronder dans le noir, sans espérer rien sortir de lui qui soit approprié. « Cela » (τάδε) que le cœur pourrait dire serait hors propos. Plutôt que de chercher un référent ponctuel tiré de la phrase précédente (nous avions pensé à l’approbation de l’excès, πλέον ϕέρειν, c’est à dire à l’acceptation spontanée de la démesure manifestée dans l’éclat du retour), mieux vaut donner sa valeur pleine au déictique, et y voir ce qui préoccupe le chœur pendant tout le chant, à savoir le pressentiment de la catastrophe. Le chœur dit simplement qu’en parler (en public) maintenant, le « déverser au dehors », serait vain (avec la valeur habituellement négative du verbe ἐκχεῖν).
46La protase (εἰ δὲ μὴ τεταγμένα μοῖρα...) énonce la règle qui interdit un tel débordement de paroles. Selon les interprétations, cette règle opère ou du côté du sujet – c’est l’opinion que plusieurs admettent maintenant, avec la distinction entre la moire du cœur et celle de langue (cf., après W. Thalmann, P. Pucci)44 –, ou du côté de ce qu’il y a à dire : un certain ordre objectif des choses rend inutile toute prise de parole du chœur.
47L’interprétation de cette phrase très difficile doit partir du fait que le chœur n’exprime pas ce qu’il voudrait dire : ses propos sont énigmatiques parce que son « cœur » est condamné à l’aphasie ; les mots analysent le processus qui mène au silence plus qu’ils ne délivrent un message destiné à être compris par d’autres. Contre l’interprétation subjective, avec l’idée que les deux « moires » sont celles de la langue et du cœur (interprétation qui a d’abord une certaine apparence, puisqu’aux deux μοῖραι correspondraient les deux substantifs les plus proches dans la phrase), on peut dire qu’on ne verrait pas bien quel serait le contenu des « parts », ni en quoi elles devraient être réglées par les dieux. Dans une strophe qui commence par l’évocation de la mort d’un guerrier et de son caractère irréversible à cause de Zeus, on peut s’attendre à ce que l’évocation des parts et de leur délimitation stricte par les dieux concerne la mort, qui, avec « le thrène des Érinyes » (v. 992), était déjà au centre du chant jailli au sein (ἔσωθεν) de l’organisme du chœur. La « langue », dans ce contexte, note l’extériorisation de cette parole interne : le cœur, vu l’intensité de l’angoisse et son objet (la mort du roi), aurait tendance à s’épancher, à aller plus vite que toute forme réglée de discours ; la suite du texte (καὶ οὐδὲν ἐπελπομένα ποτὲ καίριον ἐκτολυπεύσειν, « sans l’espoir de rien démêler qui soit juste », v. 1031 s.) laisse entendre que la langue, à l’inverse du cœur, se soumet plus facilement à l’exigence de « dire des choses qui atteignent le but », λέγειν τὰ καίρια, cf. Sept, 1), dans un langage qui concerne vraiment le bien de la communauté. Ce qui fait que la parole précipitée, mais sincère, du cœur serait vaine est donc moins à chercher dans une répartition stricte des rôles du cœur et de la langue, que dans la règle qui structure la situation objective où il faudrait parler : le cœur ne sait que trop que ce qu’il pressent correspond à l’ordre des choses, à la répartition des « moires » dans le monde ; si l’esprit (le ϕρήν) est embrasé, c’est parce qu’il est pénétré de l’idée de justice (ἐνδίκοις ϕρεσίν), dont le chœur craint par dessus tout l’application. Mais la langue, à savoir une instance qui ne s’oriente pas seulement, comme le cœur, selon l’idée de vérité, mais selon l’idée de l’efficacité publique de la communication, ne suit pas cette impétuosité interne, et renonce à essayer de parler contre l’accomplissement de la moire du roi.
v. 1028
48Je n’ai pas convaincu B. Schnyder45 quand j’ai parlé d’un renversement des fonctions du cœur entre le début et la fin du chant. En fait, je suis parti d’une simple observation : dans la première antistrophe, après l’évocation des mouvements du κέαρ46, le chœur (à savoir un locuteur scindé entre les actions de son corps et une instance linguistique, le « je », qui est extérieure à ces actions et les décrit) dit souhaiter que « de [son] angoisse il tombe des mensonges voués à l’inaccompli » (εὔχομαι δ’ ἐξ ἐμᾶς ἐλπίδος ψύθη πεσεῖν ἐς τò μὴ τελεσϕόρον, v. 998 s.). Le cœur angoissé est alors une instance véridique, touchant à l’accomplissement, et à laquelle on ne peut opposer, vainement, que la parole d’un souhait venu de l’extérieur, celle du « je ». À la fin de la seconde antistrophe, au contraire, le cœur (καρδία) « n’espère rien démêler de son écheveau qui soit juste » (οὐδὲν ἐπελπομένα ποτὲ καίριον ἐκτολυπεύσειν, v. 1031 s.). Les deux phrases renvoient clairement l’une à l’autre. Dans un cas, le corps est habité par la représentation violente d’un accomplissement redouté par le « je » (représentation qui anéantit l’espoir, ἐλπίδος, v. 994) ; dans l’autre, le corps sait que ce qu’il souhaite (ἐπελπομένα), à savoir le salut du roi, est vain. Du début à la fin du chant, la première personne, avec son espérance inutile, s’est à son tour condensée en un mouvement physiologique qui peut être décrit du dehors. D’une phrase à l’autre, il s’agit évidemment du même cœur, traversé de la même connaissance, celle du τέλος à venir. Mais, à la fin du chant, le cœur se révolte clairement contre l’accomplissement de ce qu’il porte en lui, tout en constatant que la connaissance du τέλος (connaissance malheureuse qui embrase le ϕρήν) rend toute intervention inutile, sans καιρός.
Notes de bas de page
1 Cf. Verdenius, « Notes on the Prologue of Aeschylus’ Agamemnon », dans Arctus, 1982, p. 430.
2 Je ne vois pas bien pourquoi ce regroupement créerait, comme le dit G.T. Cockburn (Liverpool Classical Monthly 5, 6 [juin 1980], p. 131), une syntaxe « difficile, voire impossible ».
3 R. Tosi revient au δι’ ἀγνῶν de Wilamowitz (Giornale Filologico Ferrarese 5, 1982, p. 17-19).
4 Eikasmos 3, 1992, p. 75-92.
5 Soit, respectivement : γυνὴ μονωθεῖσ’ οὐδέν∙ οὐκ ἔνεστ’ Ἄρης, « Laissée seule, la femme n’est rien ; Arès n’y est pas », et : ὅρα γε μὲν δὴ κἀν γυναιξὶν ὡς Ἄρης ἔνεστιν, « Mais considère que chez les femmes aussi il y a Arès ».
6 Kaimio (Mélanges Iiro Kajanto, Arctos, suppl. 2, 1985, p. 79-97, voir p. 86) insiste, contre B. Daube, sur le caractère négatif que prend le mot κράτος dans la pièce, et même dans ce passage, où, avec A. Lebeck, il lit une ambiguïté ; selon lui, le mot renverrait non seulement au pouvoir, mais aussi au présage (« They are sent away from Greece and thus from the sphere of their rule by the divine omen »). Mais s’il est possible d’admettre une certaine ouverture du sens des mots en raison des tendances sémantiques profondes de leur contexte, cela ne doit pas faire oublier la précision du sens construit par l’auteur ; ici le travail qu’opère Eschyle sur αἴσιον sert à montrer la légitimité de ce pouvoir dans cette occasion extraordinaire.
7 Cf. également E. Degani, qui propose μολπᾶν τ’ ἀλκάν (Αἰών da Omero ad Aristotele, Padoue/Florence, 1961, p. 59 ; (cf. R. Tosi, Museum Criticum 21-22, 1987-1988, p. 48, qui préfère, quant à lui, la solution de H. Lloyd-Jones, qui fait dépendre μολπᾶν de πειθώ : « ispira come unica forza la persuasione dei canti »).
8 Cf. Lexis 17, 1999, p. 104 s.
9 Après E.A.J. Ahrens, Karsten, Schneidewin, Rose et D.-P.
10 Ce groupe de mots a été fortement modifié par J. Lasso de la Vega (« Nuevas apostillas criticas al texto de Esquilo : ‘Agamenon’, 119-170 », Cuadernos de Filologia Clasica, n. s. 3, 1993, p. 9-21 ; voir p. 13 s.).
11 Artémis est lésée en tant que Λοχία (cf. la scholie de M ; voir E. Belfiore, Maia 35, 1983, p. 3-12 ; mais je ne sais pas s’il faut restreindre l’action d’Artémis à la défense de la fertilité en soi ; αὐτότοκον inclut les petits dans sa colère).
12 Voir par exemple ad v. 1164.
13 Cf. J. Lasso de la Vega : « ejemplos, no todos eliminables » (p. 16). Pour sa part, il propose de lire ἀ Ἁγνά.
14 Motivation in the Parodos of Aeschylus’ Agamemnon », Classical Philology 81, 1986, p. 109-121.
15 Die Konstruktion der Handlung der Orestie des Aischylos (Zetemata 99), Munich, 1997, p. 86-93.
16 L’auteur remarque à juste titre une incohérence entre le commentaire, qui écarte l’interprétation de Wilamowitz pour l’adjectif σύμϕυτον, à savoir κατἀ τῆς ἑαυτῆς ϕύσιν (le sacrifice produirait « par soi-même » un artisan de querelles), et la traduction proposée, qui la reprend : « fabriquant de lui-même la discorde. »
17 On ne voit pas pourquoi σύμϕυτον ne s’appliquerait pas à un processus futur.
18 Cf. Lexis 17, 1999, p. 76-78.
19 Eranos 64, p. 1-21.
20 Lexis 17, 1999, p. 63-74. Voir, p. 74-81, les interventions de V. Citti, A. Garvie, M. West, en plus de la mienne, et les répliques de R. Dawe.
21 Certains de ces arguments ont pu être déjà proposés. Je n’ai pas vérifié à chaque fois. Quelques-uns des éléments que je développe ici ont été déjà présentés par J. Bollack.
22 Bollack, p. 260.
23 R. Dawe me réplique (p. 81) que dans « Men have to learn the hard way », « apprendre » est, selon un usage courant dans la langue, une manière de dire (comme on dit : « Ça t’apprendra ! ») ; mais « l’apprentissage », au sens plein, est bien un thème majeur de l’Hymne à Zeus.
24 L’analyse du chœur a une portée universelle, mais concerne d’abord le sort, encore inconnu, qui attend l’être qui intéresse vraiment le chœur, à savoir Agamemnon. Je n’arrive pas à entrer dans l’argumentation de P.M. Smith, On the Hymn to Zeus in Aeschylus’ Agamemnon (American Classical Studies 5), Chico, 1980, qui fait de Paris la personne principalement concernée par cette théodicée (R. Thiel l’a suivi). S’il est vrai que, comme « réfractaire », Paris est promis à la souffrance et donc au savoir, ce n’est pas son cas qui est au centre de ce chant : on ne verrait pas pourquoi sa punition, qui est un événement futur, clair, justifié et réconfortant, devrait être liée à une angoisse du chœur, qui ne pourrait que s’en réjouir. Or c’est bien cette angoisse qui motive l’Hymne.
25 En effet, en faisant de la « souffrance » l’accès au « savoir », à la sagesse, le chœur s’exclut lui-même de ce savoir : trop vieux, il n’agit plus, et ne peut donc, au sens propre, connaître aucun πάθος.
26 The Fragility of Goodness, Cambridge, 1986.
27 « Blaming Agamemnon. Moral Conflict and the First Choral Sequence of Aeschylus’ Agamemnon », Akroterion 35 (3/4), 1990, p. 90-99.
28 Mais cf. la condamnation par Héra et Athéna de la débandade de l’armée après le discours d’Agamemnon au début du chant II de l’Iliade.
29 Contre la correction περιοργῷ σϕ’, R. Tosi rappelle que περιόργως semble bien attesté par Hésychius, π 1786 (cf. supra, n. 7, p. 52).
30 Pour l’état de la tradition manuscrite concernant cette phrase et une discussion argumentée de la proposition de M. West (qui écrit περιόργως· ἀπὸ δ’ αὐδᾷ Θέμις), voir V. Di Benedetto, Rivista di Filologia e di Istruzione Classica 120, 1992, p. 133-135.
31 Voir les critiques de la lecture de M. Nussbaum par B. Williams, dans Shame and Necessity, Berkeley/Los Angeles, 1993 ; p. 181, n. 1, de la trad, fr., par J. Lelaidier, sous le titre La Honte et la nécessité, Paris, 1997.
32 Je ne sais pas si on peut arriver pour ces mots au sens de « with her arms flung about his robes », comme le propose G. Ferrari (Classical Philology 92, 1997, p. 3), plutôt que « se blotissant dans sa robe ». Sinon, cet article sur les métaphores et les énigmes dans la pièce renouvelle nettement la question : cherchant la multiplicité des sens, tout en refusant l’idée de se réfugier « in a broad notion of polysemy » (p. 30) qui neutralise les effets de sens, il dégage les règles de la production des sens multiples et insiste sur la fonction interactive de l’énigme qui « met au travail » l’auditeur.
33 Voir maintenant l’étude de M. Lynn-George, « A Reflection on Homeric Dawn in the Parodos of Aeschylus Agamemnon », Classical Quarterly, n.s. 43, 1993, p. 1-9.
34 Au lieu du ἀπίστους de Wilamowitz, il propose ἀλίστους. Pour une défense du ἀϕημένων de Dindorf, voir C. Casali, Orpheus, n.s. 5, 1984, p. 393-395, qui insiste sur la valeur ablative du préverbe.
35 West renvoie à Choéphores, 671 et Perses, 169, pour faire de l’œil l’équivalent du maître (ou de la maîtresse) de maison. Le contexte est ici plutôt érotique.
36 J. Bollack, p. 469, avec le renvoi à οὐκ ἄσκοποι θεοί de 461 s.
37 « Ο ΘΗΛΥΣ ΟΡΟΣ (Aeschylus, Agamemnon 485) », American Journal of Philology 110, 1989, p. 484-487 ; voir p. 484.
38 « Agamemnon 717-36 : the Parable of the Lion Cub », Mnemosyne 47, 1994, p. 82-87.
39 Voir également, Gnomon 59, 1985, p. 4-7, le compte rendu de mon volume de commentaire.
40 La réponse du roi montre que c’est bien comme cela qu’il faut lire. Dans son analyse précise du début de l’épisode, R.M. Harriott compare méthodiquement le discours politique d’Agamemnon et l’avertissement que le chœur lui avait donné ; Agamemnon fait de lui-même le portrait d’un « bon connaisseur de troupeau » quand il rappelle qu’Ulysse était le seul à le suivre de son plein gré (v. 841 s.) ; sinon, il n’entend pas ce que lui dit le chœur parce qu’il reste pris dans les schémas intellectuels propres à sa fonction (Classical Quarterly, n.s., 32, 1982, p. 9-17).
41 Texte de 1962, repris dans : Schrifien, vol. 1, Francfort-sur-le-Main, 1978, p. 263-286 ; trad. fr. par A. Laks (« Sur la connaissance philologique »), dans : P. Szondi, Poésies et poétiques de la modernité, Lille, 1982, p. 11-29
42 Aeschylus’ Physiology of the Emotions », American Journal of Physiology 107, 1986, p. 489-511.
43 J.F. Lavery (Liverpool Classical Monthly 12, 1987, p. 154-156) refuse de faire de κυκλούμενον κέαρ un nominatif « pendant » : « Guts are not hearts » (p. 154). Mais l’objection ne vaudrait que si « cœur » était pris en apposition à « entrailles », ce qui n’est pas le cas. Traversées par le sang que le cœur envoie en tourbillons, les entrailles disent le vrai ; la participiale dit bien la condition de l’action donnée dans la phrase principale.
44 « ΠΕΙΘΩ nell’Orestea di Eschilo », Museum Criticum 29, 1994, p. 75-138 ; voir p. 100, n. 54. P. Pucci développe une interprétation du passage qui diffère fortement de celle de Thalmann. Il rejette notamment, et je crois à raison, l’idée qu’on aurait ici un mouvement « centripète » bloqué, comme si le phrèn ne pouvait être pénétré par les angoisses du cœur ; on a plutôt un mouvement vers le dehors, qui est brisé. Comme c’est la langue qui parle, et non le cœur, en raison de la limite qui sépare leurs « moires », l’angoisse ne peut s’articuler et entrer dans un processus de persuasion ; le ϕρήν, à cause de ce blocage, est embrasé, « c’est-à-dire dans un état d’excitation et de confusion ».
45 Angst in Szene gesetzt. Zur Darstellung der Emotionen auf der Bühne des Aischylos (Classica Monacensia 10), Tübingen, 1995 ; cf. p. 58, n. 82.
46 Mouvements que je crois toujours être ceux du sang (même si je leur donne maintenant une autre orientation, cf. supra), non pas parce que κέαρ désignerait cette humeur, ce qui serait de fait sans parallèle, mais à cause de κυκλούμενον. Eschyle retraduit en termes médicaux, « modernes », l’action notée par une phrase comme οἱ κῆρ / ὥρμαινε ϕρεσὶν ᾗσιν chez Homère (Odyssée XVIII, 344 s. ; voir mon commentaire, p. 235, n. 3, qui pouvait prêter à confusion). L’une des difficultés de ce texte est que pour retrouver la logique des représentations physiologiques qu’il comporte, il faut tenir compte aussi de l’héritage poétique qu’il transforme.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le visage qui apparaît dans le disque de la lune
De facie quae in orbe lunae apparet
Alain Lernould (dir.)
2013
Commenter et philosopher à la Renaissance
Tradition universitaire, tradition humaniste
Laurence Boulègue (dir.)
2014
Diego Lanza, lecteur des œuvres de l'Antiquité
Poésie, philosophie, histoire de la philologie
Rossella Saetta Cottone et Philippe Rousseau (dir.)
2013
Figures tragiques du savoir
Les dangers de la connaissance dans les tragédies grecques et leur postérité
Hélène Vial et Anne de Cremoux (dir.)
2015
La représentation du « couple » Virgile-Ovide dans la tradition culturelle de l'Antiquité à nos jours
Séverine Clément-Tarantino et Florence Klein (dir.)
2015
Hédonismes
Penser et dire le plaisir dans l'Antiquité et à la Renaissance
Laurence Boulègue et Carlos Lévy (dir.)
2007
De l’Art poétique à l’Épître aux Pisons d’Horace
Pour une redéfinition du statut de l’œuvre
Robin Glinatsis
2018
Qu'est-ce que la philosophie présocratique ?
What is presocratic philosophy ?
André Laks et Claire Louguet (dir.)
2002