Traduire l’Ethique d’Aristote : Leonardo Bruni et ses critiques
p. 133-159
Texte intégral
1Pendant les années 1416-1417, alors que le Concile de Constance scellait le sort de la chrétienté occidentale, un ancien secrétaire papal d’une quarantaine d’années, exilé à Florence en raison des vicissitudes de la politique ecclésiale, était en train d’achever une nouvelle traduction de l’Ethique à Nicomaque d’Aristote. Il s’appelait Leonardo Bruni et devint plus tard l’homme de lettres le plus célèbre de son temps. A ce moment de sa carrière, il était principalement connu comme l’un des hommes de lettres italiens guidés par l’émigré byzantin Manuel Chrysoloras, qui s’employaient à rendre disponible en latin l’héritage littéraire de la Grèce ancienne. Mais la traduction de l’Ethique par Bruni constituait, à un certain égard, un nouveau départ pour les élèves de Chrysoloras. Les autres textes traduits jusque là par Bruni et ses associés humanistes – des œuvres de Plutarque, de Démosthène, Platon, Xénophon et Ptolémée – étaient presque inconnus de l’Occident latin. L’Ethique, en revanche, avait été traduite plusieurs fois pendant le Haut Moyen Age, et la version latine de Robert Grosseteste (en diverses rédactions) était largement usitée dans les universités européennes comme texte de cours. Bruni lui-même avait étudié son Liber Ethicorum pendant deux ans, lorsqu’il était jeune étudiant à l’Université de Florence.
2La nouvelle traduction, en d’autres termes, entrait directement en compétition avec la culture scolastique de l’époque, d’une façon bien différente des traductions humanistes précédentes. Ainsi Bruni écrivait-il en 1418 :
J’ai vu dès le début que j’étais contraint d’entrer dans des controverses, spécialement avec ceux qui s’imprègnent des vieilles confusions, comme je dois les nommer en vérité, de la vieille tradition1.
3Mais la conduite de Bruni lui-même n’était pas exactement diplomatique. Un an plus tard à peu près, il décida de dédier sa version de l’Ethique au nouveau Pape, Martin V2, en ajoutant une préface polémique dans laquelle il attaquait le travail du traducteur médiéval comme « ignorant », « puéril », « gauche » et « clownesque ». Bruni ne connaissait pas le nom du traducteur, mais il pensait « qu’il était manifestement un Dominicain3 ». Grâce à cette remarque, Bruni gagna immédiatement pour lui-même et pour sa traduction une foule d’ennemis : des représentants de l’ordre des Dominicains et leurs nombreux amis et protégés. Mais, comme nous le verrons, ce n’était pas seulement les Dominicains qui s’opposaient à sa nouvelle façon de restituer Aristote.
4La critique de Bruni à l’égard de la version médiévale l’entraîna dans une controverse qui dura jusqu’à la fin de sa vie et se poursuivit quarante ans après sa mort. Ce conflit a été longtemps considérée comme un affrontement entre la culture scolastique traditionnelle des ordres religieux et la culture humaniste de Pétrarque et de ses successeurs. On a même soutenu que cette controverse nous permet de mettre en lumière les « prémisses philosophiques » de la nouvelle philologie humaniste et sa philosophie du langage implicite, et de parvenir ainsi à la racine du conflit culturel entre l’humanisme et la scolastique4. C’est très possible, bien qu’à mon sens les arguments utilisés en ce sens s’appuient sur des interprétations des sources un peu idiosyncrasiques, si je puis dire. Toutefois ma contribution n’a pas pour ambition de réviser cette littérature consacrée aux « prémisses philosophiques » du conflit sur l’Ethique. Je crains bien de ne pas aller à la racine de quoi que ce soit. Je pourrais cependant apporter un peu de lumière sur quelques aspects de la controverse.
5Pendant la vie de Bruni, la controverse sur l’Ethique connut deux phases distinctes. La première dura presque une décennie, après la publication de la nouvelle version. La seconde eut lieu durant les années 1436-1438, et fut appelée Controversia alphonsiana, d’après Alfonso de Burgos qui était le principal critique de Bruni.
6La première phase commença avant même la dédicace par Bruni de son œuvre à Martin V. La nouvelle traduction, qui paraît avoir circulé, dès 1418 (voire dès la fin de 1417), fut critiquée par un opposant anonyme comme étant peu fiable parce que, selon l’adversaire, elle contenait des gloses étrangères, absentes du texte original. L’exemple le plus célèbre de la perfidie philologique de Bruni provenait de la première page de la traduction (I.2, 1094a), où Bruni avait rendu τἀγαθóν, ‘le bien’, par summum bonum. Le traducteur médiéval avait utilisé seulement bonum. Bruni se défendit de l’accusation de ne pas être un traducteur fidèle dans une lettre à son ami, le podestà humaniste Giannicola Salerno5. Un an plus tard à peu près, il présenta formellement sa version à Martin V, avec la préface polémique déjà mentionnée. Cela suffit à faire durer la controverse. Au début des années 1420, Bruni fut contraint de répliquer à une critique de Démétrios Scaranos, un Byzantin converti à la chrétienté latine, et protégé du moine camalduin, Ambrogio Traversari. Traversari était un érudit, un théologien notable, et à partir de 1431 le général de son ordre, et également un critique féroce des traductions de Bruni ainsi que de ses priorités culturelles6. Le Camalduin était probablement derrière la critique de Démétrios envers Bruni7.
7Peu après, la controverse sur le τἀγαθóν fit de nouveau surface. Bruni répliqua une fois de plus à ses critiques dans une lettre à Ugo Benzi (V.1), une version plus élaborée de la lettre précédente à Giannicola Salerno. Elle ne marqua pourtant pas la fin de la controverse, loin de là. La question du τἀγαθóν agitait toujours les esprits à l’Université de Bologne, tard dans les années 1420, comme on le sait par deux lettres de Francesco Filelfo, écrites au philosophe bolonais Niccolò Fava (voir le second Appendice, à la fin de cet article). Filelfo disait que tous deux, Bruni comme le traducteur médiéval, s’étaient écartés de la fidélité littérale au texte, mais que les péchés de Bruni étaient véniels au regard des péchés mortels du traducteur médiéval. Filelfo briguait, à ce moment, une place à l’Université de Florence et avait sans doute besoin de se montrer diplomate à l’égard de Bruni, lequel fut manifestement très sensible à la critique, comme on le voit aux nombreux échos de la controverse dans ses autres œuvres, écrites pendant cette période. Cela s’est reflété dans son De Interpretatione recta (c. 1420), qui expliquait ses idées sur les compétences et la méthode requises pour une traduction droite ; dans son Isagogicon moralis doctrinae (1424/1425), qui contenait le résultat de sa recherche sur les anciennes conceptions du summum bonum ; et dans la Vita Aristotelis (1430), où il défendit longuement son idée selon laquelle Aristote avait aspiré, dans ses écrits, à l’éloquence et à l’élégance rhétorique.
8La controverse passa à un autre niveau dans les années 1430, avec les interventions d’Alfonso de Cartagène, l’évêque de Burgos et le fils du fameux converso Paul de Burgos. A l’époque de la controverse, Alfonso assistait au Concile de Bâle comme représentant du roi de Castille8. Son Libellus contra Leonardum (c. 1430) relate le commencement de la controverse. Il entendit pour la première fois le nom de Bruni en 1426, alors qu’il assistait à une réception savante à Salamanque. On y lut quelques discours d’Eschine et de Démosthène traduits par « le célèbre orateur italien, Leonardo Bruni ». Alfonso les approuva hautement et était prêt à fêter en Bruni un novellus Cicero. Mais quatre ans plus tard, quand il prit connaissance de la traduction de l’Ethique par Bruni, sa réaction fut différente :
Après que j’eus lu sa préface et jeté un coup d’œil sur plusieurs passages du livre de façon superficielle, j’étais prêt à applaudir l’éloquence de l’homme et le côté brillant de son style, mais j’étais horrifié par le résultat qu’il pensait avoir accompli, et j’étais fâché de ce qu’une œuvre si importante, qui a influencé toutes les sciences sous des rapports divers, dût ainsi être chevauchée à bride abattue9.
9Alfonso n’aurait eu aucune objection, il aurait même loué Leonardo si sa traduction n’avait été conçue que comme une sorte de glose, ou de soutien de la version ancienne. Mais puisque l’intention de Bruni était manifestement de supplanter la version ancienne, jusque dans les écoles, Alfonso se sentit obligé de défendre le traducteur médiéval.
10Le Libellus d’Alfonso fut écrit vers 1430, mais il n’atteignit pas l’Italie avant 1435 ou 1436, lorsque, au Concile de Bâle, Alfonso se noua d’amitié avec Francesco Pizolpasso, l’archevêque de Milan. Pizolpasso était un ami et un ancien collègue de Bruni depuis son séjour à la curie papale. Alfonso montra son livre à Pizolpasso, qui le mentionna à son tour à ses amis humanistes à Milan, spécialement à Pier Candido Decembrio, secrétaire du Duc de Milan, aussi bien qu’à Bruni lui-même à Florence. C’est alors que débuta la Controversia alphonsiana, comme Bruni l’appelle, dans laquelle Pizolpasso eut, en quelque sorte, le rôle d’arbitre. La controverse dura deux ans avant qu’Alfonso ne quitte le Concile de Bâle pour une mission diplomatique en 1438. Bruni écrivit plusieurs longues lettres pour défendre sa position10. Il fut secondé par Pier Candido, qui rédigea un dialogue, maintenant perdu, et un certain nombre de lettres qui furent réunies plus tard sous le titre de Declamationum libri sex11.
11La controverse sur l’Ethique continua à susciter des passions pendant presque quarante ans après la mort de Bruni. Peu de temps après l’année 1439 (mais probablement après 1450), la traduction de Bruni fut critiquée par un lecteur de San Domenico à Bologne, un Franciscus Bononiensis, O.P.12. La traduction proposée par Bruni pour τἀγαθóν devint une pierre de discorde à Rome pendant les années 1460, au cours de la célèbre controverse entre George Trébizonde et le Cardinal Bessarion au sujet des mérites relatifs de Platon et d’Aristote13. En 1465, Trébizonde écrivit une lettre à son ami, le diplomate Alfonso Fernandez de Palencia, dans laquelle il défendait l’interprétation de Bruni et critiquait la tentative du protégé de Bessarion, Jean Argyropoulos, de surpasser la traduction de l’Ethique de Bruni par sa propre version latine14. Bessarion défendit Argyropoulos dans son œuvre imposante contre Trébizonde, In Calumniatorem Platonis (1469)15. Finalement, en 1481/1484, Baptista de’ Giudici, O. P, évêque de Ventimille, écrivit un traité critiquant la traduction de Bruni, l’Apologia traductionis antique libri ethicorum Aristotelis contra invectivam traductionemque Leonardi Aretini16. De’ Guidici appartenait à un groupe de clercs assez conservateurs qui avaient défendu le Pape Paul II, hostile aux humanistes, pendant la « conspiration académique » de 1468 ; il fut, plus tard, un intellectuel important de la Cour de Sixte IV17. Mais dans les années 1460, il était professeur de théologie au couvent dominicain de Bologne, où il a dû connaître et peut-être été influencé par le Franciscus Bononiensis, évoqué ci-dessus18.
12Nous devons remarquer que les Dominicains n’étaient manifestement pas les seuls à trouver approximative la nouvelle traduction de Bruni et choquante sa critique de la version médiévale. Outre les Dominicains, Bruni était dénigré par des humanistes, des moines de culture humaniste, des Platoniciens, des émigrés byzantins, des membres du clergé séculaire, des laïcs professeurs d’université et des Franciscains19. Il est difficile, d’après des critères seulement empiriques, de réduire la controverse à une querelle entre les humanistes et les scolastiques. Assurément, il devait y avoir une certaine conscience de groupe unissant les défenseurs de Bruni contre leurs adversaires20, mais leurs genres et espèces ne se laissent pas facilement identifier avec des milieux professionnels particuliers. Les lignes de front étaient loin d’être nettement tracées. Scaranos, Traversari, Alfonso de Burgos, Argyropoulos et Battista de’ Guidici, bien qu’ils aient été profondément plongés dans la culture scolastique en quelque moment de leur vie, avaient cependant tous de la sympathie, chacun à sa manière et à des degrés divers, pour la nouvelle culture littéraire. D’un autre côté, Francesco Filelfo et Ugo Benzi avaient de fort liens de fidélité avec la tradition scolastique, et même Bruni et Decembrio ne s’étaient pas tout à fait dégagés de son influence. Cependant, même si la fidélité à l’égard de la tradition scolastique était manifestement une des raisons des si nombreuses critiques suscitées par la traduction brunienne de l’Ethique, en comparaison à ses autres traductions du grec, la controverse, comme nous allons le voir, était moins un conflit entre les humanistes et les scolastiques qu’une lutte entre les méthodes et les buts des grammairiens et des rhétoriciens d’un côté, et ceux des philosophes et des théologiens de l’autre.
13Or, l’une des raisons pour laquelle les critiques des philosophes à l’égard de la traduction de Bruni furent si acérées résidait, à mon avis, dans le fait qu’ils étaient en train de perdre la bataille contre la nouvelle traduction humaniste. La traduction de Bruni était rapidement devenue la version la plus populaire de l’Ethique en Italie. Parmi les 279 manuscrits contenant tout ou une partie du Liber Ethicorum de Grosseteste, indiqués dans l’Aristoteles Latinus, cinquante-six seulement ont été copiés au XVe siècle, dont la grande majorité fut transcrite hors d’Italie21. En revanche, la traduction de Bruni survit dans quelques 285 manuscrits du XVe siècle22. La plupart de ceux-ci furent écrits en Italie dans le deuxième et troisième quartier du XVe siècle. Le nombre d’éditions incunables est plus équilibré, treize pour la version de Grosseteste, quatorze pour celle de Bruni, ce qui pourrait indiquer que les lecteurs de la fin du XVe siècle retournaient à Grosseteste, ou ressentaient peut-être le besoin de compléter Bruni par Grosseteste23. Ou bien cela pourrait simplement indiquer que les premiers imprimeurs, une fois le commerce du livre organisé au niveau international, trouvèrent nécessaire de s’adapter aux goûts de l’Italie aussi bien que de l’Europe du Nord.
14Le triomphe de la traduction de Bruni est donc indiqué par un certain nombre de témoignages anecdotiques. Bruni lui-même était fier de son succès :
Quelle traduction eût jamais une carrière si facile et si fortunée que la nôtre ? Aussitôt publiée, on se l’arracha, si bien qu’en un clin d’œil, à peu près, non seulement toute l’Italie fut remplie d’exemplaires, mais elle avait même volé aux confins de la terre et est maintenant discutée dans les leçons publiques à l’université24.
15La vantardise de Bruni est confirmée par un témoignage de la tradition manuscrite. Son Ethique, nous le savons, était utilisée pour les cours universitaires à Florence par Ugo Benzi, Francesco Filelfo, Jean Argyropoulos, Niccolò Tignosi (le maître de Ficin) et Ange Politien25. En Espagne, elle avait presque fait place nette des autres, vers le milieu du XVe siècle (nous avons un certain nombre d’exemplaires annotés des cours de Salamanque de Pedro de Osma)26 ; en France, elle continua d’être imprimée tout au long du XVIe siècle, en même temps que les versions d’Argyropoulos et de Grosseteste ; d’Allemagne, nous avons un certain nombre de commentaires anonymes sous forme de leçons de cours à l’université27.
16Bruni nous fournit également une explication du succès de sa version. Dans la préface de sa traduction des Politiques d’Aristote, écrite vers 1436, il écrit ainsi :
Ma motivation pour traduire et interpréter [les Politiques] est la même que celle qui m’a conduit, il y a dix-huit ans, à traduire l’Ethique. Quand j’ai vu que ces livres d’Aristote, qui sont en grec d’un style si élégant, avaient été réduits, par la faute d’un mauvais traducteur, à quelque chose de ridiculement absurde et comportaient de nombreuses erreurs, spécialement sur les sujets de la plus grande importance, j’entrepris le travail d’une nouvelle traduction, espérant que cela serait utile aux peuples de cette partie du monde. Car quel autre travail de ma part aurait-il pu être plus utile que celui-ci ? Que pouvais-je faire de plus méritoire que de permettre en premier lieu à mes concitoyens, puis à d’autres qui utilisent le latin mais ignorent le grec, de lire le texte d’Aristote non plus par le biais des énigmes et des absurdités des traductions dépourvues de sens et fausses, mais face à face, tel qu’il l’écrivit en grec ? J’étais aussi encouragé par le bien qui était ressorti, comme je pouvais le voir, de ma traduction de l’Ethique. Des personnes éduquées libéralement, qui avaient été auparavant repoussées par l’absurdité et la barbarie de l’ancienne traduction, acquirent, après cela, une haute considération de ces livres, d’où il résulta que le savoir contenu en eux devint largement répandu. Voilà ce qui sera j’espère le cas des Politiques. Et cela d’autant plus que leur matière civile appelle une terminologie différente de celle utilisée par les scolastiques dans leurs disputes, et un style beaucoup plus élégant. Le traducteur précédent n’était pas simplement incapable d’honorer ces deux exigences ; elles excédaient son imagination28.
17La revendication de Bruni est ici que sa traduction de l’Ethique a rencontré un accueil bien plus étendu que celui dont avaient pu jouir les traductions scolastiques : sa version a été adoptée non seulement par les érudits et les spécialistes, mais aussi par les concitoyens et les personnes ayant reçu une éducation libérale en général. (C’est un jugement – soit dit en passant – confirmé par les manuscrits subsistants de l’Ethique de Bruni, dont une large part peut être suivie à la trace, jusque dans les bibliothèques princières et aristocratiques du Quattrocento). La traduction de Bruni était effectivement adressée au (et elle profita de lui) nouveau lectorat créé par les éducateurs humanistes. A partir de 1390, les humanistes s’étaient imposés comme les instituteurs de la classe supérieure des cités italiennes. Par là, ils avaient créé un nouveau public pour la littérature latine, ayant des exigences et des goûts nouveaux. Un noble italien, tout à sa carrière politique et à ses investissements, n’avait pas d’ordinaire le temps de perdre des mois dans une classe, plongé dans un texte obscur, avec la seule aide de gloses et de questions. Il avait besoin d’un texte qu’il pouvait choisir à sa guise et comprendre aisément. Les traducteurs qui espéraient séduire un tel homme devaient lui fournir un texte écrit dans un style semblable à celui des auteurs classiques qu’il avait appris à apprécier à l’école humaniste. Tel était le type de lecteur que Bruni s’était acquis, en retraduisant l’Ethique en latin cicéronien. Sa nouvelle méthode de traduction ad sententiam servait ainsi la visée humaniste plus large d’enseigner la vertu, maniant les pouvoirs de la rhétorique ainsi que les attraits de la grande littérature. Une traduction ne devait pas seulement être précise mais aussi éloquente, si elle voulait avoir une influence morale sur la société.
18Ainsi le nouveau public des gentilhommes, d’éducation libérale, souhaitait-il un nouveau genre de traduction, qui fût à la fois transparente et éloquente. Les traductions obscures et rébarbatives de la scolastique étaient désormais obsolètes, au moins pour les objectifs des éducateurs humanistes. Ce cadre nous permet de comprendre plus clairement quelques uns des développements de la controverse sur l’Ethique dans ses différentes phases. Dans la première phase, par exemple, où il répondait à Démétrios et à d’autres critiques, Bruni cherchait à établir qu’Aristote avait été lui-même un écrivain éloquent. C’était un défi, puisque les œuvres d’Aristote transmises depuis l’Antiquité, y compris l’Ethique, sont des notes de cours qui n’ont pas été retravaillées, probablement réunies dans l’école d’Aristote après sa mort. Les philologues modernes n’ont pas une haute opinion de leur qualité littéraire. Les arguments de Bruni en faveur de leur éloquence sont largement a priori, ou fondés sur l’autorité29. Aristote rédigea des traités sur la rhétorique, donc il connaissait les règles de l’éloquence ; c’était un génie qui voulait écrire avec éloquence, et il a dû y parvenir. Cicéron disait qu’Aristote était éloquent ; Cicéron était le plus éloquent des écrivains latins et parlait couramment le grec, il avait étudié la rhétorique grecque en Grèce, donc il n’a pas pu se tromper dans son jugement. Pareillement, l’objection de Démétrios et d’autres, avançant que la traduction médiévale avait été produite par Boèce, devait être fausse. L’admettre aurait été désastreux pour l’argument de Bruni, puisque Boèce était un écrivain ancien, et par là, selon la logique humaniste, éloquent. Heureusement, il était possible de prouver que la traduction scolastique était postérieure à Averroès, même si Bruni ne parvint pas à montrer que le traducteur était un Dominicain.
19Le débat interminable sur la traduction de τἀγαθóν concernait davantage le problème de la transparence. Le mot ne pouvait pas être traduit littéralement en latin. τἀγαθóν était un mot formé de la crase de l’article défini τó, « le », avec l’adjectif substantivé ἀγαθóν, « bon ». Mais, bien sûr, le latin n’a pas l’article défini. Le traducteur médiéval, sachant que le texte comporterait des gloses, a simplement laissé tomber l’article défini dans le livre I, bien que dans le livre X – où le terme réapparaît dans un contexte qui définit sa signification plus clairement – il le glosa par la traduction per se bonum, le bien en soi, étant opposé aux biens subordonnés. Bruni emprunta une méthode différente. Il pensait que τἀγαθóν était un terme technique qui devait avoir sa contrepartie dans l’ancien latin philosophique. Il étudia le commentaire consacré par Eustrate, le commentateur byzantin, à ce passage, afin de déterminer sa signification correcte en grec. Puis il examina la littérature philosophique latine à sa disposition, en particulier les De Finibus de Cicéron, les Lettres philosophiques de Sénèque, le De Summo bono d’Augustin et la Consolation de la philosophie de Boèce, et en conclut que la traduction correcte devait être summum bonum. Son idée était qu’un lecteur, ayant une éducation humaniste, familier de textes aussi connus que ceux-ci, serait capable de donner immédiatement un sens à l’expression summum bonum, dans le livre I, sans avoir besoin de la glose d’un maître. Il serait ainsi parvenu à ses fins, à savoir à rendre le texte plus transparent et ainsi plus efficace sur le plan rhétorique.
20Malheureusement, Bruni ne comprenait pas qu’Aristote ait utilisé parfois le terme τἀγαθóν simplement pour indiquer un bien abstrait et générique (opposé aux biens particuliers ou spécifiques). Pour Aristote, toutes choses, y compris les objets dépourvues de sensibilité, comme les cailloux ou l’eau, tendent à quelque fin ou à quelque bien, mais seuls les êtres purement intellectuels peuvent tendre au Bien Suprême, identifié avec l’εὐδαιµoνία ou la béatitude des dieux. L’humanité, située dans la hiérarchie naturelle entre les dieux et les animaux, a un bien composite (τó ἀνθρώπινoν ἀγαθóν, le bien humain), ni purement divin, ni purement animal. Bien que les humains puissent s’efforcer de réaliser les éléments les plus divins de leur nature, ils ne peuvent pas parvenir complètement à se diviniser. Les biens corporels et « externes » font inévitablement partie de leur bien, ou en sont, au moins, une cause partielle. La traduction par Bruni de τἀγαθóν par summum bonum (identifié avec felicitas et Dieu) représentait ainsi une platonisation de la doctrine aristotélicienne du bien suprême pour l’homme. Bruni semblait ne pas avoir conscience qu’Eustrate et les sources latines qu’il avait consultés pour interpréter τἀγαθóν, étaient profondément teintés de platonisme. Il avait compris la nécessité d’une recherche philosophique et lexicale à la fois, mais avait échoué dans son interprétation d’Aristote.
21La tendance de Bruni de sacrifier la précision philosophique sur l’autel de la transparence et de l’éloquence était donc le thème principal de sa controverse avec Alfonso de Burgos, mais je ne m’y attarderai pas, car je n’en ai parlé de façon plus étendue ailleurs30. Je ne discuterai pas non plus le traité de Baptista de’ Guidici contre Bruni, bien que le sommaire qu’en a fait Grabmann n’en épuise aucunement l’intérêt. Je voudrais ici seulement commenter brièvement deux textes qui n’ont pas été étudiés par les précédents interprètes de la controverse sur l’Ethique, à savoir les gloses de Franciscus Bononiensis à la préface de Bruni pour sa traduction de l’Ethique et la lettre de George de Trébizonde à Alfonso Fernandez de Palencia.
22Les gloses de Franciscus n’ont pas été analysées pour la très bonne raison qu’elles n’ont été portées à l’attention des chercheurs que très récemment31. Nous savons peu de choses de lui. Dans la mesure où il n’a pas laissé d’autres écrits, il n’apparaît pas dans les répertoires des scriptores Dominicains ; la seule mention que j’ai pu trouver de lui est l’enregistrement de sa présence à la réunion des Dominicains et des Augustiniens à Bologne en 1460 – une réunion à laquelle, de façon intéressante, Battista de’ Guidici prit également part32. C’était un homme d’un certain savoir humaniste, qui pouvait citer Cicéron, Sénèque, Jérôme, Ambroise et le commentaire de Nicholas Trevet sur Boèce33 aussi bien que Thomas d’Aquin.
23La critique de Franciscus n’était pas originale. Comme Démétrios Scaranos, il pensait qu’il était vraisemblable d’identifier en Boèce le traducteur médiéval. De même qu’Alfonso de Burgos, il privilégiait la vérité philosophique par rapport à l’éloquence, et défendait les néologismes et les translittérations du traducteur médiéval. Il mentionne Jérôme pour expliquer, contre Bruni (et Cicéron), que le latin est inférieur au grec pour exprimer le discours philosophique. Il cite les Topiques d’Aristote pour soutenir l’idée que les hommes cultivés devraient préférer les idées aux mots. Il montre de l’impatience à l’égard de la tentative de Bruni pour circonscrire précisément la signification des mots, en se référant aux seules autorités classiques. Bruni, comme tout grammairien médiéval, pensait que la propriété devait être établie sur le fondement du bon usage, c’est-à-dire de l’usage des meilleurs auteurs. Franciscus l’accordait, leurs références différaient. Bruni ne voulait accepter que les auteurs classiques antérieurs à l’époque de Boèce. Franciscus, en revanche, voulait inclure également des autorités scolastiques comme Thomas d’Aquin et les traductions médiévales d’Aristote et de saint Jean Damascène. Il aurait certainement été d’accord avec Coluccio Salutati, qui défendit les éléments médiévaux de Pétrarque dans une controverse (vers 1405), avec ses jeunes protégés cicéroniens, Leonardo Bruni et Poggio Bracciolini. Salutati avait avancé que l’autorité dérivait des res autant que des verba ; que la possession de la vérité chrétienne devait être prise en compte à côté de l’éclat oratoire pour établir un canon des autorités34 Pour Bruni et Poggio, c’était l’Antiquité qui comptait (y compris l’Antiquité chrétienne), c’était elle qu’ils tenaient pour garante du bon usage. La chrétienté en elle-même ne rendait pas éloquent ou digne d’être imité35.
24Une bonne illustration de l’attitude de Franciscus est sa remarque à propos de la distinction faite par Bruni entre delectatio et voluptas. Bruni, venant de la tradition grammaticale médiévale tardive, représentée par son maître Giovanni Malpaghini de Ravenne, maintenait que delectatio devait être définie comme la cause de voluptas, quelque chose venant ab extra causer l’expérience intime du plaisir, comme une flèche touchant une cible. C’est là parfaitement le bon usage classique36. Franciscus, cependant, connaissait seulement la signification technique que les mots avaient acquise dans le discours théologique médiéval. En citant Thomas d’Aquin, il définit delectatio comme un terme générique comprenant à la fois le plaisir physique, résultant du toucher, et le plaisir psychique, issu des œuvres de vertu, lesquels sont le bien de la raison. Voluptas, pour lui, est seulement un terme péjoratif pour delectatio : delectatio est un terme scientifique qui est moralement neutre. Le bien corporel, « tactile », et le bien de raison, pris ensemble, forment un « bien conjoint » qui est la cause de la delectatio. Delectatio n’est cause de rien, mais une passion située dans la partie sensitive de l’âme. Franciscus pense que l’incapacité de Bruni à saisir ceci est une grave erreur, un signe d’ignorance philosophique. En fait, c’est un signe que Franciscus lui-même ne comprenait pas les méthodes et les prémisses de la nouvelle philologie.
25Une contribution bien plus intéressante à la controverse sur l’Ethique est la correspondance de George de Trébizonde avec Alfonso de Palencia sur la signification de τἀγαθóν. George écrivit pour défendre la traduction de Bruni contre les critiques de Jean Argyropoulos. Argyropoulos était un émigré byzantin qui jouissait de la confiance de la nemesis de George, le Cardinal Bessarion. Il avait reçu une éducation scolastique à Padoue (où il étudia avec le célèbre philosophe Paul de Venise) et était venu à Florence à l’invitation de Côme et de Piero de Médicis pour faire cours sur Aristote. Dans ses leçons sur l’Ethique à Nicomaque, Argyropoulos critiquait la traduction de Bruni, et plus tard, il s’embarquait dans sa propre traduction, dans le but de remplacer la version de Bruni37. George et son correspondant, Alfonso Fernandez de Palencia, se déclaraient scandalisés que les Florentins aient laissé Bruni, qui avait apporté tant de gloire à sa ville, être critiqué, in media civitate, par un « monstre affreux » comme Argyropoulos. Alfonso écrivait que c’était autoriser la « faveur des adolescents » (les étudiants d’Argyropoulos le suivant) à menacer le « décret immortel » des « pères conscrits » de Florence (i.e. les honneurs publics que Bruni avait reçus de la ville). C’était de l’ingratitude absolue. En outre, George avait de la sympathie pour Bruni parce qu’il vivait une situation analogue. Car, de même que le travail de Bruni, ses traductions d’Aristote avaient été prises pour cible par un des protégés de Bessarion, notamment par Théodore Gaza. George admirait donc le style de Bruni et il partageait ses vue politiques ainsi que son aristotélisme38. Comme humaniste, il pensait que Bruni avait raison d’employer le vocabulaire moral des anciens Romains en traduisant la théorie éthique des Grecs. L’usage du latin d’Argyropoulos, en revanche, était inculte et peu châtié. Toutefois, George se sentait lui-même embarrassé dans sa tâche d’apologiste, car la défense de la traduction de Bruni avait été si erronée. Selon George, ni Bruni ni ses défenseurs ne comprenaient réellement ce qu’Aristote avait voulu dire par τἀγαθóν.
26La discussion du τἀγαθóν est significative parce que George fut le premier humaniste à montrer une véritable intelligence de l’esprit de la philosophie morale d’Aristote. Depuis la fin des années 1430, George avait défendu Aristote contre les Platoniciens, comme Pléthon et Bessarion, qui souhaitaient voir Platon préféré à Aristote dans la philosophie occidentale. George s’y était opposé : dans sa interprétation, Platon était, littéralement, l’Antéchrist. Toutefois, bien que Platon occupât une position plutôt originale dans son eschatologie, George n’avait pas une connaissance superficielle de la philosophie platonicienne. En fait, son étude comparative de Platon et Aristote témoigne d’une intelligence beaucoup plus nuancée des différences entre les deux philosophes que ne l’avaient eue Bruni ou d’autres humanistes. En particulier, il reconnaissait que l’objet du raisonnement moral aristotélicien était le complexe totalement intégré, hylémorphique, du corps et de l’âme constituant l’être humain. La philosophie morale platonicienne s’était égarée, selon George, en établissant des règles centrées sur la seule âme sans prendre en compte, par conséquent, la réalité de la nature humaine enracinée dans cette vie. En somme, George était capable de saisir la distinction aristotélicienne entre τἀγαθóν, le bien suprême ou felicitas en tant que telle – la felicitas de l’âme seule – et τò ἀνθρώπινoν ἀγαθóν, le bien propre à l’homme. Cet aspect fut fréquemment méconnu par les interprètes médiévaux comme Eustrate, qui tendait à mêler le suprême bien humain avec Dieu, ou la vision béatifique. Bruni, suivant Eustrate, avait commis une erreur semblable.
27Mais Georges saisit la distinction, bien qu’il ne la comprît pas tout à fait dans le même sens que les interprètes modernes d’Aristote. L’Ethique d’Aristote, prétendait Georges, portait d’abord sur le suprême bien humain qui consistait en une activité vertueuse, soutenue par des biens corporels et « externes », tels que la santé. En vérité, toutes les anciens systèmes éthiques, selon George, portaient sur le bien des êtres humains en tant que corps dotés d’une âme. Le bien suprême simpliciter, la felicitas ou beatitudo de l’intellect contemplatif, consistait dans la compréhension de la nature conduisant à une vision de la cause première et de la fin dernière. Or ce n’était pas la fin de la vie humaine en tant que telle, mais plutôt « la béatitude d’une vie plus haute et immortelle ». Ceci suggère que George voyait la vie contemplative comme essentiellement inhumaine, quelque chose relevant avant tout de la vie ultérieure plutôt que de cette vie là. Dans ce cas, cela représente un pas remarquable en direction d’une compréhension sécularisée de l’ancienne philosophie morale.
28Cela me conduit à mon dernier point. J’ai soutenu que la controverse sur l’Ethique ne peut être décrite comme mettant aux prises des humanistes d’une part et des scolastiques de l’autre. Les acteurs des deux côtés de la dispute ne peuvent pas être si facilement classés. Il serait plus exact, je crois, de dire que la dispute révèle un conflit entre les méthodes et les fins des philosophes, restés loyaux à l’égard de la culture universitaire traditionnelle, et les méthodes et les fins de l’humanisme de Pétrarque. Ce que montre le cas de George de Trébizonde, pourtant, est que l’approche de la philosophie du mouvement humaniste n’était pas statique, mais dynamique. Il ne suffit pas de dire (avec une critique déjà ancienne) que les scolastiques ont privilégié, avant tout, la précision philosophique alors que les humanistes ont préféré un style élégant et la puissance rhétorique. Cela était peut-être juste du Bruni des années 1420, mais dans les années 1460, les humanistes étaient plus ambitieux. A ce moment, des hommes comme Lorenzo Valla ou George Trébizonde étaient prêts à combiner la maîtrise du latin et du grec classique avec une compréhension très subtile des problèmes philosophiques. Au seizième siècle, on pouvait soutenir que les traductions humanistes d’Aristote étaient supérieures aux versions médiévales à tous égards. En fait, une fois qu’il était devenu usuel pour l’éducation humaniste de commencer par une formation universitaire en philosophie, tout avantage comparé que les traductions médiévales aient pu avoir à un moment donné était dès lors perdu. Vers la moitié du seizième siècle, le seul argument en faveur des traductions médiévales, qui faisaient encore le poids, était que les étudiants modernes d’Aristote ne pouvaient comprendre la tradition des commentaires médiévaux sans avoir à leur disposition les éditions des traductions médiévales. Presque tous, et même les scolastiques hostiles à l’humanisme, reconnaissaient que les traductions modernes reposaient sur de meilleurs textes grecs, une meilleure maîtrise de la langue grecque, et une bien plus grande familiarité avec la tradition des commentaires grecs39. Ce n’est pas à dire que l’humanisme était supérieur à la scolastique, mais repérer le fait que les humanistes et les scolastiques, les philologues et les philosophes, étaient parfois capables, une fois reposée la poussière de la controverse, d’apprendre les uns des autres.
Annexe
APPENDICE I. Gloses de Francesco da Bologna, O.P., sur la Préface à l’Ethique d’Aristote de Leonardo Bruni à Turin, Biblioteca Nazionale Universitaria, MS G III 16
Description physique du codex
Cart., s. XV 2/4, 290 x 215 mm (surface écrite : 205 x 135), I (ajouté par le relieur) + I (s. XV) + 47 (numérotation moderne) + I (s. XV) +I (ajouté par le relieur), 35/37 longues lignes par page, réglé à l’encre lavis, lignes rectrices singulières, reliure moderne mi-cuir. Deux mains, toutes deux semigothique du Nord de l’Italie (probablement du Bolonais). Première main, ff. 1r-3r ; seconde main, ff. 4r-47v. Seconde main date le MS de ‘pridie Kal. Januarii… 1439’. Cahiers : [a-f]8 + [g]1. Quelques parties illisibles dues à l’eau ou au feu. Les pages ont été massicotées par le relieur, occasionnant la perte de certaines parties des gloses.
Contenu du codex
ff. 1r-2v : Leonardo Bruni, Praemissio quaedam ad evidentiam novae translationis Ethicorum Aristotelis, éd. Hans Baron, Leonardo Bruni. Humanistisch-philosophische Schriften, Leipzig, 1928, p. 76-81.
ff. 2v-3r : idem, Praefatio in libros Ethicorum Aristotelis ad dominum Martinum papam V, ibid., p. 75-76.
f. 3v : vide
ff. 4r-47r : Aristote, Ethique à Nicomaque, traduite par Leonardo Bruni, avec des gloses et des notabilia de plusieurs mains.
Gloses de Francesco de Bologna, O.P.
(Les gloses renvoient aux pages et aux numéros des lignes de l’édition Baron. Chaque glose est suivie par la référence au folio du manuscrit de Turin. La ponctuation et la mise en capitales a été modernisée. Les lemmata sont en italiques, m. g. = marge de gauche ; m. d. = marge de droite ; m.b. = marge du bas.)
76, 10. Instituisti quidem Aristotelis libres latinos facere et ignorantiam tuam posteris tuis ostendere. Qui te, si exordium istud pretermisisses, aliqualem scientiam habere forte suspicati forent. At nunc, quia te doctum arbitratus es si aliis detrahas, contigit tibi iuxta id quod beatus Ieronimus inquit, ‘Multi, cum aliorum ignorantiam reprehendere nolunt, ostendunt suam’. [f. lr, m.d.]
76, 12. Magis autem constat fuisse [ad] Boetium, tum ex stilo qui similis est aliis libris philosophicis quos Boetius transtulit, ut inquit beatus Thomas de Aquinate in commento libri De anima, cum etiam ex historiis, in quibus habetur, ut refert Traueth in prologo expositionis Boetii De consolatione, quod Boetius libres Aristotelis latinos fecit, [f. 1r, m.g.]
78, 1. Hoc autem falsum esse beatus Ieronimus ostendit. Nam contra Iouinianum disputans in uirginitatis laudem, apostoli Pauli sententiam prima ad Corinthios epistola contra ipsum in medium adducit, dicens, ‘Proprietatem grecam latinus sermo non explicat, quibus enim verbis quis possit edicere’, etc. Unde et in latinis codicibus ob translationis difficultatem hoc penitus non inuenitur. Ex hac ergo sententia apparet latine lingue inopia. Que quidem, si ad omnia et transferenda et omanda locuplex esset, beatus Ieronimus non ignorasse<t>, qui et greco et latino eloquio peritissimus fuit. [f. 1r., m. g.]
79, 3. ioco dicendum reor. Et ignoranter quidem. Nam apud Aristotelem, quem nobis latinum facere disposuisti, hunc loquendi modum minime reperisti, sed rationes potissimas et effic<ac>es demonstratiue concludentes. Hic autem dicendi modus, michi uidetur, reor<um> et huiusmodi, pedaticorum et uocem propriam ignorantium est. [f. 1v, m.g.]
79, 14. Num hec latine posse did uidentur ? Respondetur quod etsi ornatius his uerbis forte dicantur, non tamen ita proprie. Seque<re>, ut beatus Ieronimus ait ad papam Damasum de calculo et seraphin, ‘Multo siquidem melius est uera rustice quam falsa diserte proferre’.
Nec ignorantie attribuendum est si aliquando translatores, omissis latinis, uerbis grecis utantur, cuius rationem beatus Ieronimus assignat in epistola ad papam Damasum de osanna : ‘Lucas autem1 qui inter euangelistas greci sermonis eruditissimus fuit, quippe ut medi<c>us et qui <in> grecis euangelium scripsit, <quia> se uidit proprietatem sermonis serua<r>e2 non posse, melius est arbitratus tacere, quam id ponere quod legenti faceret questionem’. [f. 1v, m.g.]
79, 23. Non adeo absurde factum est ut opinaris. Nam honestum, utile et delectabile, etsi ratione differant, idem tamen sunt subiecto. Nec potest esse bonum hominis nisi sit honestum, et omne utile bonum hominis necesse est esse honestum, ut probat Tullius in primo De offitiis et beatus Ambrosius eodem libro. Potuit ergo pro honesto bonum poni, cum de bono hominis hic agatur, quod idem est cum honesto, utili et delectabili. [f. 1v, m.b.]
79, 35. Hoc autem turpe malum quidem est quod uicium appellamus. Bono enim hominis nihil contrariatur nisi uicium seu peccatum. Etenim honesto quod idem est uirtuti, peccati turpitudo contraria est. Que quidem nomina, videlicet malum et turpe, si modo qualecumque in philosophia pericium habuisses, numquam distinxisses. [f. 2r, m.d.]
79, 39. Cum cecus sis et de coloribus iudicare minime possis, errorem putas ueritatem. [f. 2r, m.g.]
80, 10. Respondemus non esse uirorum doctorum3 curare de nominibus, sed de sententiis, ut Philosophus inquit in libro Topicorum. Nec tamen omnino uoluptatis nomen spernit, quin ipsum ponat ubi est ponendum. [f. 2r, m.d.]
80, 17. Respondemus quod uerbum nouum non quesiuit, sed a doctissimis4 uiris id accepit. Dicimusque uero delectationem esse idem uoluptati, excepto quod uoluptas semper in malo5, delectatio uero in bono et in malo accipi consueuit. [f. 2r, m.d.]
80, 24. non dolorem sed grauitatem. Pace tua dixerim ignoranter loqueris, nam a doctissimis uiris, scilicet Iohanne Damasceno, beato Thoma de Aquino, prima secunde, concluditur tristiciam esse dolorem, gaudio delectationique contrariam. [f. 2r, m.d.]
80, 29. Insuper delectatio ut mihi quidem uidetur. Et ignoranter. Cum enim delectatio sit passio, sicut et uoluptas, in parte anime sensitiua est. Ait enim beatus Ieronimus in epistola ad Fabiolam de ueste sacerdotali, ‘voluptas et concupiscentia, iuxta eos qui de physicis disputant, consistit in iecore’. [f. 2r, m.d.]
80, 32. Ut igitur ictus sagitte. Videtur ergo velle Leonardus quod delectatio sit causa voluptatis, et hoc patet ex exemplo quod inducit, quod est contra Philosophum et omnes theologos. Nam bonum coniunctum est causa delectationis. Sciendum tamen ‘quod duplex est delectatio : una quidem corporalis que consequitur tactum corporalem, alia autem animalis que consequitur apprehensionem anime. Et hec6 proprie consequitur opera uirtutum, quia in eis consideratur bonum rationis’. Tho<mas de Aquino> secunda secunde, qu. 123, ar. 8, ex qua sententia apparet quam grauiter errat Leonardus. [f. 2r, m.b.]
Frater Franciscus Bononiensis ordinis predicatorum.
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76,10 s. Hieronymus, In Matt. = PL 26, c. 108 76,12 s. Thomas Aquinas, Comm, in De anima, I.1 – Exposicio Fratris Nicolai Treveth Anglici Ordinis Predicatorum super Boecio de Consolatione, cit. iuxta edit. ined. viri docti Edmundi Silk (vid. supra adn. 33), p. 5 : ‘Translacio-nibus enim tuis [sc. Boecii] Pictagoras musicus, Ptholomeus astronomicus leguntur Itali, Nicomachus arithmeticus, geometricus Euclides audiuntur Ausonii, Plato theologus, Aristoteles logicus Quirinali uoce disceptant’. – 78,1 s. Hieronymus, Adv. Jovin. = PL 23, p. 229, 79,14 s. Hieronymus, Epist. – PL 22, p. 363 – ibid. – PL 22, p. 377 – 79, 23 Rectius ad Ciceronis De off. lib. II, iii, 9 – Ambrosius, De off. I, 9.27 – 80,10 Aristoteles, Top. I, 18 (108a) – 80,24 Thomas Aquinas, S.T., Ia Ilae, q. 35, a. 2, resp. : ‘Sic igitur tristitia est quaedam species doloris, sicut gaudium delectationis.’ – 80,29 s. Hieronymus, Epist. = PL 22, p. 608 – 80,32 Thomas Aquinas, S.T., IIa IIae, qu. 123, a. 8
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1 autem] igitur edd. – 2 servare] transferre edd. – 3 virorum post doctorum bis MS – 4 doctissimos MS, ut vid. – 5 malum MS – 6 hec edd.] hoc MS
APPENDICE II. LETTRES DE FILELFO A NICCOLÒ FAVA
Les deux textes proviennent de la Biblioteca Trivulziana de Milan, MS 873, un codex de la correspondance de Filelfo en 48 livres, écrit pour Filelfo et corrigé par lui (T). De ce codex fut imprimée une édition des 37 premiers livres : Francisci Philelfi… epistolarum familiarium libri XXXVII, Venise : Johannes et Gregorius de Gregoriis, 1502 (V). Elle reste l’édition la plus largement usitée des Lettres de Filelfo, en dépit de ses nombreuses erreurs et omissions. L’orthographie s’appuie sur le codex Trivulziana ; la ponctuation et la mise en capitales sont de l’éditeur.
1. T, f. 6r-v. V, f. 5r. (Du Livre I)
Franciscus Philelphus Nicolao Fabae philosopho ac medico salutem
Quaeris a me certior fieri utrum Aristoteles in Aethicis ad
Nicomachum circa principium primi libri scriptum reliquerit apud
graecos, ideo : ‘bene ostenderunt bonum esse quod omnia appetunt’,
an potius ‘bene ostenderunt summum bonum quod omnia appetunt’.
[5] Ego autem etsi mihi uideor coniectare quid ea me roges, obsequar
tamen uoluntati tuae et id quidem, non ea ratione ut sus Mineruam
doceam, sed, ne uel imprudentior uel insolentior iudicer, ubi minus ad
rogata respondero. Tu uero quae a me disserentur, consyderabis omnia
diligenter, dein quod tibi uisum fuerit minus recte dictum, id mihi ut
[10] significes, rogo ; longe enim discere malim quam docere, praesertim
abs te eruditissimo grauissimoque philosopho.
Omnium primum haec duo audeo profiteri : nec ‘esse’ uerbum
copulatiuum, ut dialectici uocant, nec item ‘summum’ eo loco apud
Aristotelen scriptum inueniri. Quorum etiam alterum non sit admodum
[15] necessarium, ‘esse’ uero omnino absurdum, et ambo quidem hac
ratione. Proponit Aristoteles in hoc prohoemii sui principio ea quae in
uniuerso Aethicorum opere praecepturus accedit. Ea uero duo sunt
praecipua secundum duplicem finem eorum quae expetuntur in uita.
Quaedam uero expetuntur propter se et propter aliud, quiddam uero
[20] propter se tantum. Sola felicitas est quae expetitur propter se, quippe
quam consecutus qui fuerit, nihil est reliquum in bonis quod sibi expe-
tendum ducat. Ac reliqua bona omnia, etsi propter se digna sunt quae
expetantur, ea tamen natura sunt, ut etiam cui contigerint, ei non satis
sint quo minus aliquid appetat. Nunquam enim quiescit hominis desy-
[25] derium quoad non id fuerit adeptus supra quod bonum aliud est nihil.
Hoc autem cum summum uocamus et ultimum et maximum bonum,
turn uno comunique uerbo uel felicitatem uel beatitudinem.
Recte igitur Aristoteles in huiusmodi propositione a bonis particu-
laribus rem ipsam aggreditur, ut ex iis quod omnium ultimum est per
[30] inductionem inferat. Quis enim ambigat si finis cuiusque artis quoad
uitam actiuam appetitur, tanquam bonum quoddam ipsius, et eodem
modo quoad uitam contemplatiuam finis cuiusque scientiae affectatur,
consentaneum esse ut quidam sit finis omnium ultimus ad quem reli-
qui referantur, hoc est, quod reliqua omnia affectent ; bonum enim et
[35] finis (ut nosti) conuertuntur. Actio autem duplex est, interior et exte-
rior, et interior quidem ea quam graeci ἐνέργειαν nominant, nos uero
suo proprioque uerbo ‘agilitatem’ ; hanc uos plaerique ‘operationem’
appellatis, aut actum primum. Ac exterior simpliciter actio dicitur, ad
quam ipsam interior est ueluti dux ad res gerendas. Idem etiam de elec-
[40] tione ostendit secundum quam omnis est actio.
Cum igitur caetera bona omnia partieularesque fines ad ultimum
finem ilium bonumque referantur, subdidit Aristoteles non absurde
superiores philosophos pulchre ostendisse bonum illud, scilicet sum-
mum, quod omnia affectant, id est ad quod inferiora omnia referuntur.
[45] Quare si ‘summum’ etiam appositum minus fuerit, intelligitur. Itaque
quod proposuerat latius ac dilucidius ostensurus, continuo subiicit :
differentiam quandam esse finium, cum alii sint quaedam ἐνέργειαν,
hoc est interiores actiones seu agilitates tantum, ut in speculatiuis
scientiis ; alii praeter illas opera quaedam ut in actiuis facultatibus usu
[50] fieri uidemus. Et ita multa percurrens tandem docet qui sit agibilium
omnium finis. Nam quod aiunt per definitionem dixisse Aristotelen,
‘bonum esse quod omnia appetunt’, stulta sane definitio uideri queat,
non solum quod nulla est copula huiusmodi in textu graeco, sed etiam
quod ea definitio non magis boni esset quam aliarum rerum propre
[55] innumerabilium. Quod, si definiendi peritiam tenerent, numquam in
tanto uersarentur errore. Praeterea de hominis bono loquitur
Aristoteles, non ignis, non lapidis, non pecudis. Et ita infinita sunt quo
dammodo quae a tuis istis philosophis deprauantur corrumpunturque.
Quo fit ut eo sis dignus maiore laude quod nullum uelis errori
[60] locum apud te esse. Caeterum quod modo dicebam, haec uelim expen-
das argutius et mihi sententiam tuam liquido declares.
Vale. Bononiae ex aedibus nostris pridie Idus Maias MCCCCXXVIII
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3-4 Aristoteles, Eth. Nic. I, 1 (1094a) – 42-44 ibid., I, 4 (1095a) – 47-50 ibid., I, 5 (1095b)
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8 a] ab V – 20 expetuntur T – 22 etsi scripsi : est TV – 50 tandem V] eandem T
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2. T, ff. 9v-10r, V, f. 6v (livre I)
Franciscus Philelphus Nicolao Fabae philosopho ac medico salutem
Pridie Idus Maias unas ad te litteras dedi quibus ad id responderam,
quod ex me quaesieras de Aristotelis textu in prohoemio primi libri
Aethicorum ad Nicomachum filium circa principium. Quaesieras enim
[5] sitne in textu graeco, ideo : ‘bene ostenderunt summum bonum quod
omnia appetunt’an potius ‘bonum esse quod omnia appetunt’. Ipse
autem respondisse memini neque ‘summum’inueniri apud graecos, id
quod felicitatem per inductionem significaret, nec item ‘esse’, quod
ipsum uerbum quandam prae se ferre uideretur uel definitionis uel des-
[10] criptionis speciem. Multaque in earn rem sum locutus quae tibi audio
probari, utpote quae a philosophiae praeceptis non abhorrent. At ego
sane cupiebam te disserentem audire, quod ea de re sentires.
In presentia uero, posteaquam admisisse te animaduerto quae per id
temporis scripta a me sunt illa ad te epistola, aperte loquar ut textus ille
[15] apud graecos habet ; dicit enim ideo, ‘pulchre ostenderunt illud bonum
quod omnia appetunt’. Nam toto articulus est quo nos caremus, is uero
articulus hoc loco demonstratiuus est et pro illo ponitur bono quod ulti-
mum est bonorum omnium. Nosti enim finem et bonum inuicem
conuerti. Quare cum proposuisset ‘omnem artem et omnem scientiam
[20] eodemque modo et actionem et electionem bonum quoddam appetere’,
ex iis conclusionem quandam inducit superioris philosophos pulchre
ostendisse uel etiam affirmasse aut statuisse potius bonum, scilicet
illud quod omnia appetunt. Non enim ratione solum, sed etiam ui natu-
rae omnia feruntur ad finem suum.
[25] Hanc autem propriam esse ac ueram Aristotelis sententiam patet
alio loco, cum in secundo Magnorum Aethicorum libro de voluptate
loquens, quam ipsam bonum quoddam esse uult, ita scriptum reliquit
ad uerbum : ‘Propterea uideretur uoluptas esse illud bonum quod
omnia appetunt’. Ex quibus quidem uerbis haud obscure patet
[30] Aristotelen intellexisse de bono rei sensitiuae quod non cadit neque in
ignem neque in lapidem neque in aliud quodquam quod sensu careat.
Sed hac de re alias.
Habes tu sane et qualis sit apud graecos Aristotelis textus et quo
pacto intelligi oporteat. Nam reliqua tu pro singulari tua eruditione et
[35] ingenii magnitudine summaque prudentia, si uniuersum Aristotelis
prohoemium diligenter consyderare uolueris, dilucide perspicies.
Inuenies enim ex multiplicibus finibus unum tandem offerri finem ad
quern caeteri omnes sint referendi.
Vale. Bononiae ex aedibus nostris Nonis Augustis MCCCCXXVIII
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5-6 Aristoteles, Eth. Nic. I.1 (1094a) – 19-20 ibid. – 28-29 Aristoteles, Magn. Mor., II, 7, 20 (1205b)
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4 enim s.s. T – 6 an potius… appetunt in marg. add. man. Philelphi in T – 14 a] ab V – 16-18 Nam… omnium om. V-23 illud V] illius T – 27 quoddam om. V 28 videlicet post videretur add. V – illud om. V – hanc post quod V- 32 hoc T 33 textui T
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Notes de bas de page
1 Leonardi Arretini epistularum libri VIII. éd. L. Mehus, Florence, 1741, 2, p. 230 (Ep. X. 26) ; cf. F.P. Luiso, Studi su l’Epistolario di Leonardo Bruni, éd. L. Gualdo Rosa, Rome, 1980, p. 91-92 (Ep. IV. 15). Dans les citations des lettres de Bruni, je donne les références selon l’ordre de F.P. Luiso, suivi par celui de L. Mehus dans les parenthèses.
2 Cette œuvre a très probablement été présentée à Martin V quand ce dernier était à Florence, entre février 1419 et septembre 1420.
3 Leonardo Bruni, Humanistisch-philosophische Schriften, éd. H. Baron, Leipzig, 1928, p. 76 : « quem tamen ordinis praedicatorum fuisse manifestum est ». E. Franceschini, « Leonardo Bruni e il vetus interpres dell’Etica a Nicomacho », dans : Medioeo e Rinascimento : Studi in onore di Bruno Nardi, Florence 1955, p. 300-319, croyait que la traduction médiévale sur laquelle Bruni avait travaillé était une rédaction du Liber Ethicorum de Guillaume de Moerbeke, mais l’idée que cette rédaction puisse être attribuée à Moerbeke est maintenant généralement rejetée. Cf. éd. R.A. Gauthier, Aristoteles Latinus, vol. XXVI, 1-3, fasc. 1 : Ethica Nichomachea, Praefatio, Leyde/Bruxelles, 1974, p. CCXICCXXXXIX, et J. Brams et W. Vanhamel (éds.), Guillaume de Moerbeke : Recueil d’études à l’occasion du 700e anniversaire de sa mort, Louvain, 1989, p. 337-339.
4 Cf. H.B. Gerl, Philosophie und Philologie : Leonardo Brunis Übertragung der Nikomachischen Ethik in ihren philosophischen Prämissen, Munich, 1981. Pour d’autres références sur la controverse, cf. les notes 8, 11, et 16, infra, et G. Gentile, Storia della filosofia italiana, dans ses : Opere, Florence, vol. XI, 1962, p. 307-332 ; S. Troilo, « Due traduttori dell’Etica Nicomachea : Roberto di Lincoln e Leonardo Bruni », Atti del R. Istituto Veneto di scienze lettere ed arti 91.2, 1931-1932, p. 275-305 ; E. Franceschini, « Leonardo Bruni e il vetus interpres » ; J. Seigel, Rhetoric and Philosophy in Renaissance Italy, Princeton, 1968, p. 121-133 ; H. Harth, « Leonardo Brunis Selbstverständnis als Übersetzer », Archiv für Kulturgeschichte 50, 1968, p. 41-63 ; G. Griffiths, J. Hankins, et D. Thompson (éds.). The Humanism of Leonardo Bruni, Binghamton/New York, 1987, p. 201-208. J. Hankins, « Notes on Leonardo Bruni’s Translation of the Nicomachean Ethics and Its Reception in the Fifteenth Century », dans J. Hamesse (éd.). Les Manuscrits des traducteurs : Reconstitution de leur méthode de travail. Textes et études du Moyen Age, Louvain-la-Neuve, sous presse.
5 L. Bruni, Ep. IV.15 (X. 26), cité à la note 1. F.P. Luiso date la lettre de la seconde moitié de 1418. L’adversaire de Bruni est peut-être le Lorenzo de’ Monaci mentionné dans Bruni, Ep. IV. 12 (IV. 14) à Guarino (cf. F.P. Luiso, p. 89).
6 Cf. L. Gualdo Rosa, « Leonardo Bruni, l’Oratio in hypocritas, e i suoi difficili rapporti con Ambrogio Traversari », Quaderni di vita monastica 45, 1987, p. 89-111 ; J. Hankins, Plato in the Italian Renaissance, Leyde, 1990, 1, p. 59-60 et p. 69-70.
7 La réplique de Bruni à Démétrios est dans ses : Ep. IV. 29 (IV. 22), éd. L. Mehus, 1, p. 137-140. Dans le courant de la lettre (p. 138), Bruni mentionne « praeceptorem ilium tuum hominem, ut audio, magna theologiae scientia, sed nullarum penitus litterarum », en se référant probablement à Traversari. La lettre n’est pas datée, mais le terminus ante quem est la mort de Scaranos en Septembre 1426.
8 Cf. A. Birkenmajer, « Der Streit des Alonso von Cartagena mit Leonardo Bruni Aretino », Beiträge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters 20. 5, 1920, p. 129-210.
9 Cf. A. Birkenmajer, « Der Streit », p. 164-165.
10 Les lettres de Bruni sur la controversia alphonsiana sont les suivantes : IV. 4 (IV. 4), VIII. 1 et VIII. 2 (X. 24).
11 Sur l’histoire textuelle de la controversia alphonsiana et particulièrement sur le rôle de P. C. Decembrio, cf. V. Zaccaria, « Pier Candido Decembrio and Leonardo Bruni », Studi medievali 8, 1967, p. 504-554. Les Declamationes ont été perdues, mais des parties en ont été préservées dans le second et le troisième recueil de la correspondance de Decembrio.
12 Discuté plus amplement plus bas ; cf. également l’Appendice I.
13 Pour la controverse, cf. J. Hankins, Plato, 1, p. 161-263.
14 Les textes sont publiés dans : J. Monfasani (éd.), Collectanea Trapezuntiana : Texts, Documents and Bibliographies of George of Trebizond, Binghamton/New York, 1984, p. 101-107. Dans la lettre à George, Alfonso (p. 103) parle de la : « controversiam diutissime habitam aliquorum adversus Leonardum Aretinum super Ethicorum translatione », suggérant que la traduction de Bruni a été durablement un objet de conflit. Les textes sont discutés plus en détail infra.
15 Edités par L. Mohler, dans son Kardinal Bessarion als Theologe, Humanist, und Staatsman, 3 vol., Paderborn. 1923-1942, 2, p. 317.
16 Cf. M. Grabmann, « Eine ungedruckte Verteidigungschrift der scholastischen Übersetzung der Nikomachischen Ethik gegenüber den Humanisten Lionardo Bruni », dans : M. Grabmann, Mittelalterliches Geistesleben, Munich, 1926, p. 440-448. Le texte est toujours inédit, mais de longs extraits sont cités par M. Grabmann.
17 Pour Battista de’ Giudici da Finali, cf. C. Piana, Ricerche su le università di Bologna e di Parma nel secolo XV, Florence, 1963, p. 283-284 ; T. Kaeppeli, Scriptores Ordinis Praedicatorum Medii Aevi, Rome, 1970, I, p. 139-141 ; P.O. Kristeller, Medieval Aspects of Renaissance Learning, éd. E.P. Mahoney, 2e édt., New York, 1992, p. 128-129 ; J.F. D’Amico, Renaissance Humanism in Papal Rome, Baltimore/Londres, 1983, p. 95 et la note.
18 Un document cité par C. Piana, Ricerche, p. 283 note, réfère que Franciscus participa à une rencontre universitaire avec Battista.
19 Cf. Assise, Biblioteca Comunale (dans la Bibliothèque du Couvent), MS Com. 665, s. XV med. (C. Cenci, Bibliotheca manuscripta ad sacrum convention Assisiensem, 2 vol., Assisi 1981, 2, p. 474, no. 869). Dans une note introductive à un texte intitulé Tabula super Ethicam <et Politicam> Aristotelis, un érudit franciscain écrivait : « Sed unum obmittendum minime decreui, viz., quod si ad manus tuas fastuosam et arrogancie plenam nouam translationem nouiter adinuentam e grego in latinum egregii uiri domini Leonardi de Aretio super libros ethicorum – ac si <n>ullus umquam a principio Aristotelis hucusque latinus periciam habuerit grammatice grecorum nisi prefatus dominus Leonardus – peruenisse conspexeris, ipsam ymitari uolendo has duas tabulas minime proficuas noueris, quia, quamuis sententia sit eadem. verborum, licet magis lucide et clare, tamen non seruat ordinem ». La grammaire est incertaine, mais l’idée semble refléter certaines critiques d’Alfonso.
20 Une mentalité opposant « eux » à « nous » à l’encontre des scolastiques est clairement manifestée par F. Filelfo dans les lettres éditées plus bas comme Appendice II ; cf. également la remarque de Battista de’ Giudici citée par M. Grabmann, « Eine ungedruckte », p. 447, note.
21 La liste la plus complète des manuscrits du Liber Ethicorum est donnée par l’édition de R.A. Gauthier, Aristoteles latinus, p. CLII-CLXVIII.
22 Cf. J. Hankins, Repertorium Brunianum : A Critical Guide to the Writings of Leonardo Bruni. Handlist of Manuscripts, Rome, 1997, 1 vol., ad indices.
23 Pour les éditions incunables du Liber Ethicorum, cf. R.A. Gauthier, Aristoteles latinus, p. CLXIX-CLXX ; pour les incunables des traductions de L. Bruni, cf. le second volume à paraître de mon : Repertorium Brunianum. En Europe du Nord, l’édition la plus populaire de l’Ethique dans la première moitié du XVIe siècle était une édition contenant les versions de Grosseteste, de Bruni et d’Argyropoulos : Decem librorum Moralium Aristotelis tres conversiones, imprimée à Paris par divers imprimeurs en 1497, 1502, 1505, 1510, 1516, 1528 et 1542.
24 L. Bruni, Ep. VII. 4 (VII. 4), éd. L. Mehus, II, p. 82 ; cf. F.P. Luiso, Studi, p. 127, qui date la lettre de 1435.
25 Pour Ugo Benzi, cf. L. Bruni, Ep. V. 1 (V. 1) ; pour F. Filelfo cf. K. Muellner, Reden und Briefen italienischer Humanisten, Vienne, 1899, repr. Munich, 1970, p. 158-160 ; pour Argyropoulos, ibid., p. 18 et L. Bertalot, Studien zum italienischen und deutschen Humanismus, éd. P.O. Kristeller, Rome, 1975, p. 274 (cf. aussi l’Université de Bologne, MS 2703 qui comprend des notes de Benedetto Colucci, un associé de Ficin, prises aux conférences d’Argyropoulos en 1457 ; les notes indiquent les passages des conférences où Argyropoulos critiquait Bruni) ; pour N. Tignosi cf. L. Bertalot, Studien, p. 274-275 ; pour A. Politien, ib., p. 274 n. En addition au MS cité par L. Bertalot (Laur. Strozzi 54), Politien annota les premiers folios d’un MS de l’Ethique de L. Bruni, Laur, Plut. 79, 11.
26 Cf. A. Pagden, « The Diffusion of Aristotle’s Moral Philosophy in Spain, ca. 1400-ca. 1600 », Traditio 31, 1975, p. 287-313. Les conférences de Petrus de Osma à l’Université de Salamanque sont conservées à Tolède, Archivio y Biblioteca Capitolar 47, 13 ; Cordoba, Cabildo codd. 132 et 136 ; Salamanca, Biblioteca Universitaria cod. 2604 ; et Segovia, Archivo de la Catedral Vit. 29. Une repetitio de ces conférences peut être trouvée à Madrid, Biblioteca Nacional MS 7687. On trouve des gloses anonymes de conférences universitaires à Madrid, Biblioteca Nacional MS 19538 et Seville, Biblioteca Colombina y Capitular MS 84-1-13 ; cf. P.O. Kristeller, Iter Italicum, Leyde/Londres, 1963-1992, IV, p. 500, p. 554, p. 578, p. 607, p. 609, p. 633 et p. 643. Petrus de Castrovol, O.F.M., composa un commentaire de l’« Ethique » et des « Economiques » pseudo-aristotéliciennes qui furent imprimées à Lerida en 1489 (Copinger 1481) et Pampelonne en 1496 (Hain-Copinger-Reisling 4654).
27 Il y a des gloses anonymes de leçons universitaires à Bâle, Universitätsbibliothek AN IV 19 ; Freiburg i. Br., Universitätsbibliothek MS 246 (sous le sigle « M. Y. de M. », a. 1478) ; et à la Bibliothèque du Vatican, Pal. lat. 1010. Munich, Staatsbibliothek CLM 14993a possède les leçons in gymnasio Ingolstadii de Magister Nicolaus Bernauer Ratisbonensis (a. 1485) ; et Bâle, Universitätsbibliothek MS F.VI.l possède des leçons copiées par Bernardus Egelin (a. 1473) ; cf. P.O. Kristeller, Iter, V, p. 70.
28 Le texte latin est dans : L. Bruni, Schriften, p. 73-74.
29 Cf. en particulier W. Jaeger, Aristotle : Fundamentals of the History of his Development, 2e édt., Oxford, 1968.
30 Cf. J. Hankins, « The Ethics Controversy », dans : G. Griffiths et al. (éds.), The Humanism, p. 201-208.
31 Elles ont été citées pour la première fois dans : J. Hankins, Repertorium Brunianum, p. 179, no. 2427.
32 Cf. C. Piana, Ricerche, p. 283 n.
33 Le passage est cité dans l’apparatus fontium de l’Appendice I depuis une version inédite donnée par le classiciste de Yale, E. Silk, que m’a gentiment procurée la Prof. Mary Louis Lord. Nicolas Trevet était un Dominicain anglais du début du XIVe siècle : sur son commentaire de Boèce, cf. P. Courcelle, La Consolation de Philosophie dans la tradition littéraire : Antécédents et postérité de Boèce, Paris 1967, p. 318-319 ; M.L. Lord, « Virgil’s Eclogues, Nicholas Trevet, and the Harmony of the Spheres », Mediaeval Studies 54, 1992, p. 186-273. Bien que N. Trevet, dans le passage cité, dise uniquement que Boèce traduisit « Aristoteles logicus », ce qui suggère que Franciscus manipulait le témoignage.
34 Sur la controverse, cf. R. Witt, Hercules at the Crossroads : The Life, Work, and Thought of Coluccio Salutati, Durham, 1983.
35 Cf. L. Bruni, De Studiis et literis, dans : Leonardo Bruni : Opere letterarie e politiche, éd. P. Viti, Turin, 1996, p. 250.
36 Voir Oxford Latin Dictionary, éd. P.G.W. Glare, Oxford, 1982, p. 507 : « a. The conferring or gaining of pleasure or delight, b. a source of delight or enjoyment ».
37 Cf. la note 25.
38 Sur Georges de Trébizonde et Leonardo Bruni, cf. J. Monfasani, George of Trebizond : A Biography and a Study of His Rhetoric and Logic, Leyde, 1976, p. 42 ; J. Hankins, Plato, 1, p. 174-175.
39 Cf. Ch.B. Schmitt, Aristotle and the Renaissance, Cambridge (Mass.), 1983.
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