13. Tromper la mort : retour
p. 209-217
Texte intégral
Question critique du savant : et si cette prétendue propriété, plus littéralement cette valeur d’immanence de la mort à la vie, si cette domesticité familière de la mort n’était qu’une croyance consolatrice ? Et si c’était une illusion destinée à nous rendre, comme dit encore le Poète, « supportable le fardeau de l’existence » (« um die Schwere des Daseins zu ertragen ») ? À le rendre plus supportable comme Ananke qu’il ne le serait comme accident ou hasard ? Traduisons : et si l’authenticité propre au Dasein comme Sein zum Tode, son Eigentlichkeit n’était que le leurre d’une proximité, d’une présence à soi (Da) du propre, fût-ce dans une forme qui ne serait plus celle du sujet, de la conscience, de la personne, de l’homme, de la substance vivante ? Et si c’était justement le poème, le poétique même, cette mort immanente et propre à la vie ? Un grand poème narratif, la seule histoire qu’on se raconte toujours, qu’on s’adresse à soi-même, la poétique du propre comme réconciliation, consolation, sérénité ? La seule « croyance » aussi, ou plutôt contre-croyance car cette croyance n’est pas originaire.
Jacques Derrida, La Carte postale
1Le retour d’Ulysse chez lui n’est pas une fin de conte de fées. Comme Charles Segal l’observe avec justesse, dans les retrouvailles d’Ulysse et de Pénélope « la joie de la redécouverte [...] est teintée de la tristesse de l’irréparable perte »1. La scène de reconnaissance prend fin lorsque Ulysse a été amèrement dupé par Pénélope (XXIII, 183), et que, pour justifier sa prudence, elle rappelle « le danger de commettre l’ergon aeikes de l’adultère »2. Ni le retour ni la vengeance ne donnent vraiment de kleos à Ulysse3.
2Qui plus est, les voyages d’Ulysse ne sont pas terminés :
« Femme, nous n’avons pas encore atteint le terme de nos épreuves ; il reste encore une tâche immense [ametrētos ponos]4, infinie et terrible qu’il me faut accomplir » (XXIII, 248-50).
3Le retour n’est que l’un des nombreux tours d’Ulysse. Sa prochaine tâche immense n’a pas pour principe la philotēs, « l’amitié », mais, semble-t-il, la volonté arbitraire des dieux, dont le caprice fait apparaître ce nouveau voyage comme une simple nécessité découlant de la polytropie d’Ulysse ou, ce qui revient au même, comme une nécessité requise par la dérive de l’écriture odysséenne.
4Ce mouvement de tour/retour a néanmoins une implication réconfortante ; à travers son constant déplacement, il diffère la fin ; tant qu’Ulysse est polutropos, il trompera la mort. C’est là que réside l’irrésistible ruse et la tentation du texte : faire en sorte qu’Ulysse dérive à jamais vers d’autres aventures, pour nous fasciner toujours et encore avec sa polytropie5. Mais le texte ne peut céder totalement à cette tentation, car si sa dérive (une polytropie décentrée, ou pantotropie) n’était pas mesurée et contrôlée, même arbitrairement, de manière à tendre vers un certain but, elle ferait éclater l’identité du héros et avec elle la cohérence du récit.
5C’est étrangement ce qui, d’une certaine manière, se produit, car rien en fait ne peut contrôler la dérive du mouvement de l’écriture. L’ajournement de la mort d’Ulysse signifie sa mort partielle à chaque moment de crise. Ses déguisements, ses moments d’inconscience sont des figures de cette ambivalence. Et, paradoxalement, l’anonymat sous lequel il apparaît souvent (entre autres, et avec force, au tout début du poème) renvoie à la multiplicité qui menace toujours d’annuler la singularité de son identité telle qu’elle se matérialise dans son nom6. En fait, cette figure nue du héros errant renaîtra dans les pages de fictions plus tardives, sous les traits d’Énée, de Jason, des Ulysse de Dante et de Joyce.
6La stratégie odysséenne, qui pose le « retour » à la fois comme un mouvement circulaire et comme l’infinie dérive de son héros, produit la menace constante de la mort et la tentation de jouer avec elle. D’une part, le retour, conçu comme un cercle fermé, implique que la boucle ait une fin et donc la mort ; d’autre part, l’infinie dérive trompe la mort en remettant toujours la fin à plus tard. Je soutiens que ces aspects du retour jouent en profondeur dans le texte de l’Odyssée et qu’ils expliquent entre autres choses le plaisir que prend l’Odyssée à parler de l’immortalité de certains héros et à représenter un monde magique.
7Ce sont des problèmes complexes que je ne peux pas examiner en détail ici ; je me contenterai de quelques suggestions. Dans l’Odyssée, les notions de nostos, « retour » (et re-tour), de noos, « esprit » ou « intelligence », de tlēnai, « prendre sur soi », et polutropos deviennent si intimement liées qu’elles forment un essaim d’images puissantes dont les prémisses métaphysiques sous-jacentes affirment la survie et la mise en échec de la mort. De plus, les doloi, la mētis et les muthoi ou ainoi (histoires) dont dispose Ulysse en grande quantité et qu’il utilise comme une arme pour sa survie, révèlent que le cadre conceptuel de son voyage anticipe constamment la possibilité de la mort. La complicité entre ce cadre et le jeu textuel avec la mort nous invite à prendre le monde magique de l’Odyssée comme la réalisation figurative de ce cadre. Les prémisses structurelles du voyage d’Ulysse (loin de l’ombre et de la mort), l’intelligence rusée du héros (mētis, doloi), son talent à survivre, et sa multiplicité — comme autant de forces capables de tromper la mort — sont pour ainsi dire transposées et magnifiées en devenant des entités extraordinaires (sorcières, ensorceleuses). De la même façon, les escarmouches entre Ulysse et la mort se métamorphosent en des menaces monstrueuses et concrètes.
8Prenons par exemple Calypso et son île : de ce point de vue, la nymphe et sa demeure hospitalière sont des entités concrètes et réelles qui assurent la survie d’Ulysse et rendent possible son retour. Ce sont des figures explicites de la même métaphysique réconfortante qui est à l’œuvre, mais plus discrètement, dans ce que les critiques appellent le « monde réel » de l’Odyssée. Quand on a compris la complicité totale qui existe entre le monde de la magie et les cadres conceptuels réconfortants du voyage de retour, la distinction entre le monde surnaturel de la magie et le monde « réel » d’Ithaque devient une simple question de degré de fictionnalité. La distinction affecte la perception que nous avons de ce qui est empiriquement imaginaire et de ce qui est réel, mais elle n’affecte pas les prémisses réconfortantes de la narration de l’Odyssée. Ceci est renforcé par la perception qu’Ulysse a lui-même des choses et sa perspective sur le monde : par exemple, il perd ses compagnons, réellement et pour toujours, dans la caverne du Cyclope et quand il passe entre Charybde et Scylla ; mais c’est dans ces mêmes aventures qu’il se sauve. Pour lui, le monde magique de son voyage n’est pas moins réel que le monde d’Ithaque vers lequel il retourne7.
9Ces observations devraient suffire à établir qu’il n’y a pas de contradiction entre les prémisses bien contrôlées du voyage d’Ulysse et les positions explicitement surnaturelles et métaphysiques de l’Odyssée. Parmi ces dernières, l’affirmation que des héros sont ou seront immortels. Alors que l’Iliade rejette absolument la possibilité de l’immortalité, l’Odyssée est moins rigide8. Non qu’elle trahisse l’idéal iliadique ; elle confirme bien la mort des héros de l’Iliade et annonce celle de son propre héros : mais l’Odyssée se plaît à jouer avec l’idée de l’immortalité, taquine le lecteur et émet quelques suggestions provocantes. En effet, il est dit que, parmi les héros qui apparaissent effectivement dans l’Odyssée, Ménélas obtiendra l’immortalité dans les Champs Élysées (IV, 563)9, et il semble évident qu’Hélène y sera avec lui. Le texte explique que Ménélas obtient cette faveur parce qu’il est « le mari d’Hélène et le gendre de Zeus » (IV, 569). Si cette prémisse, visiblement désinvolte, fonctionnait dans l’Iliade, l’immortalité serait reconnue à bien des héros de ce poème, car beaucoup sont fils de dieux ; parmi eux Sarpédon et Héraclès, fils de Zeus, Achille, fils de Thétis, et élevé par Héra elle-même. Mais l’Iliade leur refuse à tous l’immortalité. Dans le cas de Sarpédon, ce refus est accentué par l’acceptation pathétique de la part de Zeus de la mort de son fils (XVI, 439-57)10. Le sort différent que les deux poèmes assignent à Héraclès montre combien l’Iliade et l’Odyssée sont divisées sur ce sujet. L’Iliade lui refuse catégoriquement l’immortalité (XVIII, 117) tandis que l’Odyssée affirme qu’il fait partie des immortels (XI, 602)11. Cette nette différence entre les deux poèmes explique la destinée immortelle d’Hélène12 et de Ménélas ; elle fait aussi surface sous la forme de suggestions provocantes et de clins d’œil au lecteur concernant la destinée d’Ulysse. On est par exemple tenté de penser que les louanges qu’Héraclès adresse à Ulysse en font comme un frère spirituel et lui annoncent une destinée immortelle. L’offre de l’immortalité que fait Calypso est encore plus évocatrice, car elle implique que l’immortalité n’est pas inconcevable pour les héros — elle est même en train de se réaliser dans le temps narratif de l’Odyssée (V, 209). Si Ulysse n’est pas immortel, c’est qu’il a refusé de le devenir13.
10Qu’Ulysse seul se soit lui-même interdit l’accès à l’immortalité est bien la preuve que l’Odyssée suppose qu’il est facile de passer la frontière entre la mort et l’immortalité, comme si, pour les héros, les deux royaumes étaient contigus. Il est difficile de dire si une telle conception de la destinée héroïque est antérieure à l’Iliade, ou si elle est tout simplement plus populaire que la conception iliadique, ou bien si l’on doit la lire comme une interprétation ironique de l’idéologie héroïque. On peut seulement affirmer qu’une telle hypothèse est impensable dans l’Iliade. En fait, il y a un passage dans lequel les deux poèmes, par l’insistance de la répétition ou plus probablement de la citation, diffèrent ouvertement sur ce point. Ce différend concerne la destinée des Dioscures.
11En Iliade III, 243 s., le poète commente la destinée de Castor et de Pollux, après qu’Hélène a posé la question de leur résidence actuelle ; il sait qu’ils sont morts :
hōs phato, tous d’ēdē katekhen phusizoos aia
en Lakedaimoni authi, philei en patridi gaiēi
Elle parla ainsi, mais la terre qui fait pousser le blé les retient là, à Lacédémone, dans sol de leur patrie.
12Dans l’Odyssée, le héros raconte aux Phéaciens comment dans l’Hadès il vit Léda, la femme de Tyndare et la mère de Castor et Pollux, « que la terre qui fait pousser le blé renferme tous les deux vivants » (XI, 301) :
tous amphō zōous katekhei phusizoos aia.
13La répétition est marquée par phusizoos aia, expression rare qui n’apparaît que trois fois chez Homère14, et par l’expression poétique zoous katekhei phusizoos aia, avec le jeu de mots étymologique, déjà noté par les Anciens, entre zoous et phusizoos, qui souligne le fait que « la terre, source de vie, les enferme vifs », en contraste avec le vers de l’Iliade où la callida iunctura consiste dans l’oxymore d’une terre nourricière qui les retient solidement, c’est-à-dire, morts15. Parce que cette répétition est doublement marquée, elle semble clairement intentionnelle. D’autre part, le vers qui définit les jumeaux avec leurs épithètes est repris exactement (Iliade III, 237 et Odyssée XI, 300)16.
14La forme d’immortalité dont les Dioscures jouissent dans l’Odyssée mérite qu’on s’y arrête :
[eux,] que la terre source de vie [traduction selon l’étymologie introduite ici] enferme vifs : car, même sous la terre ils reçoivent un privilège de la part de Zeus, et ils demeurent un jour vivants, et l’autre morts : ils ont reçu ce privilège digne des dieux (XI, 301-4)17.
15C’est une bien étrange immortalité, qui semble suggérer que la frontière entre la vie et la mort est franchissable sans perte, comme si le royaume de la vie et celui de la mort étaient équivalents et le passage de l’un à l’autre toujours possible. Autre exemple de ruse qui permet à l’Odyssée d’insinuer qu’il est possible d’échapper à la mort et de la tromper. Cette possibilité donne à tous les moments magiques du poème leur poids et leur force de persuasion, en particulier la descente d’Ulysse dans l’Hadès et son retour à la vie ; mais aussi son séjour chez Calypso et sa décision de retourner chez lui ; sa perte d’identité (une mort figurative) sous tous ses déguisements (en particulier comme « Personne », dans la caverne du Cyclope) et son retour à lui-même et, peut-on supposer, à son identité ; son transport à Ithaque, endormi et inconscient, dans un état semblable à la mort ; le sommeil inébranlable, qui le prend à des moments décisifs et qui lui interdit de se réveiller à temps pour éviter les désastres, par exemple lorsque ses compagnons tuent les bœufs du Soleil. Dans tous ces cas, et dans d’autres situations analogues, Ulysse a une sorte de double existence, de mort et de vivant à la fois18.
Notes de bas de page
1 « The Phaeacians and the Symbolism of Odysseus’ Return », Arion 1, 1962, p. 17-63. Segal commente en particulier le vers 212 du chant XXIII de l’Odyssée, p. 30.
2 Voir mes remarques dans le chapitre 7, n. 19, et Leslie L. Collins, NEIKEOΣ APXH : Helen and Heroic Ethics, Dissertation de Ph. D., Ithaca, 1982, p. 118.
3 Voir plus loin chapitre 20, pour l’analyse que je fais du kleos d’Ulysse.
4 Sur ponos, « tâche », comme caractéristique de la vie d’Ulysse, voir Nicole Loraux, « Ponos », dans Annali del Seminario di Studi del Mondo Classico, Sezione di Archeologia e Storia Antica, 4, Naples, 1982, p. 182.
5 À propos de la prophétie de Tirésias (Odyssée XI, 134 ss.), voir John Peradotto, « Prophecy Degree Zero : Teiresias and the End of the Odyssey », dans Oralità, cultura, letteratura, discorso, Rome, 1985, p. 429-59.
6 C’est dans cette dynamique que l’on peut expliquer le renoncement d’Ulysse à sa « personnalité » comme c’est le cas dans la caverne du Cyclope, lorsque Ulysse s’appelle Outis, « Personne ». Le texte annonce que la stratégie d’Ulysse est le produit de sa mētis. De la même façon, lorsque Ulysse est déguisé à Ithaque, il prend un autre nom, Aithon (Odyssée XIX, 183). Sur les rapports entre l’anonymat d’Ulysse et sa multiplicité, voir mon étude, « The Proem of the Odyssey », Arethusa 15, 1982, p. 39-62, en particulier p. 55 ss.
7 Il faudrait analyser attentivement le langage du monde magique de l’Odyssée si l’on voulait apprécier l’usage étonnant que le texte fait du langage épique, avec son réalisme tragique, pour décrire des faits merveilleux. Par exemple, j’ai analysé plus haut l’intrigue textuelle dans le passage qui décrit l’apparition soudaine d’Ino pour sauver Ulysse de la mer. Ailleurs, j’ai montré le langage étonnamment iliadique des Sirènes lorsqu’elles demandent à Ulysse de s’arrêter et de les écouter : voir « The Song of the Sirens », Arethusa 12, 1979, p. 121-32 ; et voir plus loin chapitre 19, p. 288-93.
8 Voir Gregory Nagy, The Best of the Achaeans, Baltimore, 1989, p. 151-210. Bien que le cycle épique dans son ensemble confirme la destinée immortelle du héros — comme cela convient à des héros qui sont aussi des figures de culte —, l’Iliade et l’Odyssée montrent leur sophistication poétique, et leur indépendance à l’égard des cultes, en niant cette destinée. Les deux poèmes questionnent la terrible loi de la condition humaine dominée par l’inéluctabilité de la mort. Nagy reconstruit une possible allusion à la destinée immortelle d’Achille, en prenant comme indice l’amphore d’or d’Héphaïstos, où reposeront les os d’Achille et ceux de Patrocle : voir The Best of the Achaeans, p. 209 et n. 50.
9 Pour l’étymologie d’Elysion (cf. en-élusion : « place devenue sacrée par le fait d’avoir été touchée par un éclair »), voir Nagy, The Best of the Achaeans, p. 167, 190.
10 Au vers 456, l’expression tarkhusousi implique l’usage de techniques de conservation du corps, comme la momification égyptienne. Voir Gregory Nagy, « On the Death of Sarpedon », dans C.A. Rubin et C. W. Shelmerdine (éds.), Approaches to Homer, Austin, 1983, p. 187-217.
11 Voir Nagy, The Best of the Achaeans, p. 208, pour l’interprétation de la double figure d’Héraclès, qui est présent en Hadès tout en vivant parmi les dieux.
12 L’Iliade ne sait rien de la destinée future d’Hélène. Il y a aussi une certaine ambiguïté à propos de son père : en Iliade III, 140, son père est Tyndare, mais en Iliade III, 199 et 426 (tout comme en Odyssée IV, 184), l’épithète qui la qualifie, Dios ekgegauia, pourrait signifier qu’elle est « fille de Zeus ».
13 Calypso offre une raison différente : les dieux mâles sont jaloux des mortels qui ont accès au lit des déesses. C’est tout au moins l’interprétation que fait Calypso de l’ordre de Zeus de laisser partir Ulysse, et elle cite les destinées d’Orion et de Jasion, tous deux détruits par la jalousie des dieux. Cependant, nous savons que l’ordre de Zeus n’est pas motivé par la jalousie. Les exemples d’Orion et de Jasion sont intéressants en soi, car ils sont cités comme des cas récents, servant de précédents. Leur rapport au muthos est discuté avec bonheur par Ann Bergren, « Allegorizing Winged Words : Similes and Symbolization in Odyssey V », Classical World 74, 1980, p. 109-23, en particulier p. 116-17. Un autre exemple d’humain immortel se rencontre dans Odyssée V, 333 ss., où nous apprenons qu’Ino, la fille immortelle de Cadmos, a reçu les honneurs divins. L’Iliade aussi, parfois, se réfère à des mortels qui ont été séduits et immortalisés ; c’est par exemple le cas de Ganymède, XX, 232 s.
14 Iliade III, 243 ; XXI, 63 ; Odyssée XI, 301. Elle apparaît une fois dans l’Hymne à Aphrodite, 125.
15 Pierre Chantraine définit phusizoos comme « qui fait pousser le blé » (voir Dictionnaire étymologique de la langue grecque, s. v. phuomai) et « fertile » (s. v. zeiai). La terminaison -zoos est la même que la première partie de zeidoros, « qui fournit des céréales » une épithète de aroura, « terre cultivée ». Etymologiquement il y a un certain rapport avec le sanscrit yava- « grain ». Chantraine ajoute que dans phusizoos et zeidoros, les anciens reconnaissaient, par étymologie populaire, des thèmes liés à zen, « vivre », et zoe, « la vie ». Dans ce cas, comme dans d’autres, il est difficile de décider s’il faut traduire selon notre jugement linguistique ou selon le sens que le texte suggère. Le cas de meilikhios est semblable : le texte homérique l’utilise souvent en rapport avec meli, « miel », mais nous savons que c’est une fausse étymologie. Voir Pierre Chantraine, « Grec MEILICHIOS », dans Mélanges Emile Boisacq, 2 volumes, Annuaire de l’Institut de Philologie et d’Histoire Orientales et Slaves, vol. 5 et 6, 1937-38, réimpr. Bruxelles, 1969, V, p. 169-74.
16 La troisème fois où apparaît phusizoos, c’est dans le discours méprisant d’Achille en Iliade XXI, 63 : « il faut que je voie [...] s’il s’en reviendra aussi de là-bas ou si la terre, produisant le blé (gē phusizoos) saura, le retenir. » L’oxymore volontaire rehausse les commentaires sarcastiques d’Achille. Cependant, l’Iliade peut aussi répondre, quelque peu abruptement, aux affirmations fabuleuses de l’Odyssée selon laquelle il est possible de passer la frontière entre la vie et la mort. Réciproquement, l’Odyssée sourit peut-être à l’oxymore grossier de l’Iliade, tout en indiquant la destinée immortelle des héros soutenue par un culte et accordée en général par le cycle épique.
17 On peut interpréter ce passage obscur comme signifiant que les frères jumeaux ont le privilège d’être vivants dans l’Hadès et de retourner à la lumière (zōousi) un jour sur deux, mais on pourrait aussi le comprendre comme signifiant que les Dioscures sont vivants dans le sens que même dans l’Hadès, ils continuent à vivre, passant constamment d’un territoire à l’autre. À moins que les jumeaux n’aient « le privilège d’être vivants tour à tour, un jour sur l’autre, pendant que l’autre repose dans la tombe » (Stanford, I, 392). La première interprétation me paraît la plus convaincante.
18 Voir Laurence Kahn, « Ulysse » dans Yves Bonnefoy (éd.), Dictionnaire des mythologies et des religions des sociétés traditionnelles et du monde antique, Paris, 1981, vol. 2, p. 517-20.
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