5. Fausse candeur du texte et souffrance d’Ulysse
p. 98-113
Texte intégral
L’Odyssée est l’épilogue de l’Iliade.
« Longin », Sur le sublime
1Après une navigation aisée vers la terre des Phéaciens, Ulysse est soudain menacé par une tempête que la colère de Poséidon déchaîne contre lui. Le héros reconnaît la vérité des paroles de Calypso (V, 300), et pourtant, contre toute attente, car la nymphe lui a assuré qu’il rentrerait chez lui sain et sauf, il se met à craindre pour sa vie1. En proie à cette peur, il prononce une lamentation pathétique (V, 309 ss.) où il regrette de n’être pas mort
« le jour où les Troyens en nombre m’accablaient de leurs lances de bronze auprès du cadavre du fils de Pélée. Alors j’eusse obtenu les honneurs militaires, les Achéens auraient chanté ma gloire [kleos]. Maintenant, le destin me livre à une mort atroce [leugalēoi thanatōi] » (V, 309-12).
2Dans ces vers, Ulysse se souvient de l’un de ses exploits héroïques : avec l’aide d’Ajax, il alla reprendre les armes et la dépouille d’Achille. L’épisode ne figure pas dans l’Iliade, mais se trouvait dans l’Ethiopide2. Le contexte rappelle cependant le cri pathétique d’Achille dans l’Iliade (XXI, 273), quand il déplore la mort imminente qu’il pense trouver dans les eaux tumultueuses du fleuve. Comment ne pas remarquer la similitude entre les situations des deux héros, que le texte souligne en répétant le même vers (Iliade XXI, 281 = Odyssée V, 312) : « Maintenant le destin me livre à une mort atroce » ?
3Une fois établi le pedigree héroïque d’Ulysse3, par un parallèle ingénieux avec Achille — le texte se cachant, ou se révélant, derrière une citation —, la description de son malheur et de la tempête se poursuit. Une divinité marine, Ino (Leukothea), prend pitié de lui, lui parle avec sympathie et lui offre son krēdemnon divin, le voile qui couvre ses joues, et qui devrait servir à Ulysse de bouée de sauvetage. Même au milieu de la tempête, face à la mort, le badinage sexuel affleure sous la forme d’une beauté divine au geste pudique4. La mort n’est pour Ulysse qu’une menace et, même si elle lui est envoyée par un dieu puissant, elle sera évitée comme le dit Ino dans un langage qui rappelle, et avec quel à-propos, le langage de l’intrigue :
« Misérable [kammore], pourquoi l’ébranleur de la terre, Poséidon, est-il dans une telle rage [odusat’] qu’il prépare [phuteuei] contre toi tant de maux ? Eh bien, il ne te détruira pas [kataphtheisei] quelle que soit son ardeur » (V, 339-41).
4Poséidon n’accomplit (telein) pas le mal promis, mais il le prépare (phuteuei), selon le sens figuré de phuteuō, un mot qui n’est utilisé qu’une fois dans l’Iliade (XV 134), mais apparaît souvent dans l’Odyssée : « préparer », « comploter » quelque chose, avec la notion implicite d’« embuscade » (XIV, 218, XVII, 82). Ino est justement là pour prévenir cette machination. Rien d’étonnant à ce qu’Ulysse imagine que tous les dieux, y compris Ino, « dressent des pièges » : huphainēisin dolon (V, 356).
5Le texte aussi complote. Ino parle de la rage violente de Poséidon, puis elle assure à Ulysse que les dieux « ne vont pas le détruire ». Mais le dieu lui-même, dans les vers précédents, n’a nullement parlé d’anéantir Ulysse :
« Le voilà presque en terre phéacienne où son destin le fera échapper aux malheurs qui allaient s’abattre sur lui. Mais je crois que je vais lui faire subir son poids d’épreuves [hadēn... kakotētos] » (V, 288-90).
6Poséidon ne parle pas à la légère : connaissant le destin final d’Ulysse, le dieu ne cherche pas du tout à le détruire. Mais le texte, avec son goût du complot, fait en sorte qu’Ino croie que Poséidon a réellement l’intention de détruire Ulysse : « il ne te détruira pas quelle que soit son ardeur » (V, 341). L’indécision textuelle de meneainōn, « être en rage » ou « être avide », révèle ici son sens : grâce à elle le texte devient le complice, volontairement ou non, de l’attitude comploteuse d’Ino qui dit à Ulysse plus qu’il n’en faut, puis le rassure et, à cause de son intelligence (voir le vers 342), l’invite à suivre ses ordres à la lettre.
7Qui plus est, le texte conspire et s’amuse en jouant sur le nom d’Ulysse. La rage de Poséidon (ōdusato) se retrouve dans le nom Odusseus, comme s’il portait son destin épique attaché à son nom (Odyssée XIX, 406 ss.). Nous nous souvenons qu’Achille (Akhilleus) lui aussi, selon l’analyse de Gregory Nagy5, a son destin épique écrit dans son nom : akhos (malheur) du laos (armée, peuple).
8Ainsi, le jeu de mots, la théologie, le récit et le logos se combinent dans une merveilleuse unité pour offrir un plaisir textuel aux auditeurs, qui sont invités à contempler cette grande unité et à noter combien le texte la contrôle parfaitement. Le langage et l’être épiques sont identiques, l’un reflète l’autre. L’indissolubilité de ce miroitement est en effet tout à fait rassurante.
9Le texte contrôle si bien cette grande unité qu’il nous la montre comme n’étant autre qu’une ruse de l’écriture. Car après tout, si l’odium de Poséidon peut être aisément évité, c’est parce qu’il apparaît comme tout à fait bénin et incapable de causer de réelles difficultés à Ulysse6. Il fonctionne donc comme un simple signe du nom d’Ulysse, un signe de l’écriture qui déclenche d’autres intrigues du texte et de l’écriture.
Troublantes scènes d’introspection
10Dans une telle atmosphère de complot et de conspiration, cette aide miraculeuse n’inspire aucune confiance au rusé Ulysse : il craint qu’un dieu n’ait « dressé un nouveau piège »7 et se décide à n’utiliser le krēdemnon qu’en tout dernier recours (v. 361-64) :
« Tant que ces madriers tiendront ensemble dans leurs joints, je resterai ici et j’endurerai [meneo kai tlesōmai] en souffrant mes peines [algea paskhōn], mais quand la houle aura démembré mon bateau, alors je nagerai ».
11Comme notre écoute est déjà déterminée par la rhétorique achilléenne des vers qui précèdent, par l’engagement d’endurer, tlēnai, qu’Ulysse a pris devant Calypso, et par le soudain langage de complot et d’intrigue qui vient d’être employé, il nous est difficile d’établir le ton exact de ces vers, où Ulysse se contente de commenter les seules possibilités raisonnables qui s’offrent à lui. Et pourtant leur nature héroïque8 ne fait aucun doute, car le vers 362 rappelle le vers 299 du chant II de l’Iliade par lequel Ulysse invite ses compagnons à rester à Troie et à endurer la guerre plutôt que fuir chez eux : tlēte philoi kai meinat’, « endurez mes amis, et restez ». Plus exactement, l’expression est en général utilisée par les héros qui décident de rester sur place et de résister : par exemple, Diomède en Iliade XI, 317 (egō meneō kai tlēsomai) et Achille en Iliade XIX, 308 (meneō kai tlēsomai), quand il indique qu’il va poursuivre son jeûne.
12En utilisant cette expression, meneō kai tlēsomai, et dans un tel contexte, l’Odyssée parvient presque à représenter un Ulysse qui s’accorde à la tonalité des passages iliadiques que j’ai cités et à la noblesse de sa réponse à Calypso. Il faut aussi penser à la formule plus odysséenne, algea paskhōn, qui souligne la facilité avec laquelle Ulysse affronte la douleur9.
13Toutefois, la situation de délibération, où Ulysse soupèse les différentes possibilités qui s’offrent à lui, n’a aucun rapport avec l’Iliade. Les mots qui dans l’Iliade notent une décision noble et périlleuse10 ne servent ici qu’à fixer le choix le plus raisonnable (rester sur le radeau aussi longtemps que possible). Il agit, comme il le dit, conformément à l’idée qui semble la plus approprié à sa survie : dokeei... moi einai ariston, « le meilleur plan me sembla être... » (Odyssée V, 360), variante de doassato kerdion einai, « il semblait plus avantageux », souvent utilisé dans les scènes de mermērizein. Le texte souligne ainsi son acceptation patiente des difficultés et le bon sens de sa décision11. Il penche donc vers l’idée d’un « prendre sur soi », c’est-à-dire vers un rapport à soi-même, et renvoie donc à une qualité intérieure du héros, un calme parfait et un parfait contrôle de soi12.
14Qu’est-ce à dire ? Percevons-nous ici les accents d’une nouvelle dimension de la « vie spirituelle » de l’homme ? Ou le puissant cri d’un héros de convention ? Le déguisement héroïque n’est-il pas simplement déplacé ici ? Tout cela à la fois, car le simple bon sens d’Ulysse et l’habile contrôle qu’il exerce sur lui-même nous sont suggérés à travers des paroles qui sont bien « héroïques », comme s’il était en train d’affronter une mort imminente (v. 305). Le texte doit donc provoquer l’admiration du lecteur, qui reconnaît ici la marque d’une prohairesis (d’une « décision » ou d’un « choix ») héroïque — tout en lui garantissant son plaisir, car il sait que son héros bien-aimé, à la différence de tant de héros de la tradition iliadique, ne l’abandonnera pas. Voici un homme de la trempe d’Achille, qui voit bien les avantages que lui offre son radeau et mesure avec précision la distance qui le sépare de la terre, et qui sait que cette terre est le lieu de son salut (v. 358 s.). Rien n’est plus plaisant que cette façon de braver et de tromper la mort, au pouvoir invincible et inattaquable13, jusqu’à ce qu’on découvre que l’on n’a affaire ici qu’à un simulacre de mort, à un travestissement. Nous nous rendons compte qu’Ulysse récite une tirade, et qu’il utilise les artifices du théâtre. Notre plaisir est alors tout autre ; il se rapproche du pur plaisir textuel. En fait, l’Odyssée manipule avec art les règles de la rhétorique héroïque tout en lui refusant son vrai monde de référence.
15Ulysse, finalement, arrive chez lui. Il ne peut cependant pas encore se jeter dans les bras de sa femme ou de ses servantes, dont on sait à quel point il veut regagner la dévotion, ni reprendre possession de ses biens. Il lui faut d’abord tuer les prétendants14. Le plaisir qui le poussa loin de Calypso est remis, différé, et cette attente exige qu’il se déguise en un vieux mendiant15 et subisse toutes sortes d’humilations.
16Comme Athéna l’avait annoncé16, Ulysse est immédiatement agressé et humilié. D’abord, l’un de ses vieux esclaves, Mélanthios, le frappe brutalement : Ulysse résiste à la tentation de le tuer et au plaisir de le faire tout de suite ; il prendra plus tard une revanche plus horrible :
Ulysse se demanda [mermerixen] s’il devait se ruer sur lui et l’assommer mortellement d’un seul coup de bâton ou l’enlever de terre et lui briser le crâne sur le sol. Mais il endura et se contint [epetolmēse, phresi t’eskheto] (XVII, 235-38).
17La décision intervient dans une scène de mermērizein, d’« introspection ». De telles scènes, où un personnage évalue les possibilités entre lesquelles il doit choisir, puis décide ou est poussé à prendre une décision, sont tout à fait conventionnelles et formulaires chez Homère. Mais en dépit de leur conventionnalité, elles introduisent une tension profonde au sein du personnage17. Ce type de scène suit divers schémas : l’un (a), où l’on voit le personnage évaluer les possibilités puis décider celle qui lui semble la plus avantageuse18 ; un autre (b), où l’alternative est mentionnée, puis la décision imposée par un personnage extérieur — dans l’Iliade, il s’agit souvent d’un dieu (I, 188 ss., etc.) ; et, enfin, un troisième cas (c), qui n’a aucun rapport avec notre propos, où le verbe signifie simplement « penser, inventer » (Odyssée II, 93, XXIV, 128). L’Iliade exploite cette scène de tension et de doute lors des moments les plus poignants. Par exemple en Iliade I, 188 ss., Achille envisage les options possibles : tuer Agamemnon ou calmer sa colère ; Athéna intervient soudainement et le pousse à épargner la vie d’Agamemnon. Le destin d’Achille et le récit de l’Iliade dépendent en fait de cette décision divine19. L’Odyssée semble porter un regard amusé ou sceptique sur le deuxième modèle (b) : seuls des humains viennent résoudre les angoissants dilemmes des personnages, jamais les dieux. Les compagnons d’Ulysse le dissuadent de punir Euryloque (X, 438-42) ; Hélène, plus astucieuse que Ménélas, résout pour lui le dilemme banal qui lui est posé (IV, 116 ss.). On peut aisément voir dans ce dernier passage une intention ironique ou, comme toujours dans une relation intertextuelle, un mépris absolu de la tradition, puisque le scénario dramatique du mermērizein est utilisé ici pour une alternative triviale et qu’Hélène, assimilée à Artémis, la chasteté même, v. 122, assume un rôle qui, dans l’Iliade, aurait été joué par une divinité. Et de fait, elle intervient ici comme la déesse Hélène-Artémis.
18Dans l’Odyssée, le schéma a est plus fréquent que b. L’Iliade insiste sur la force dramatique de cette scène, sur la gravité des tensions internes qu’elle met en jeu, et présente Zeus lui-même dans cette attitude dramatique. Il lui faut en effet décider si Patrocle doit immédiatement mourir sur le cadavre de Sarpédon ou s’il doit continuer à massacrer les Troyens (Iliade XVI, 643 ss.) ; ailleurs (II, 1 ss.), le dieu ne trouve pas le sommeil, car il se demande comment il va honorer Achille. Selon le modèle a, les personnages prennent par eux-mêmes la décision juste et avantageuse ; lorsque le thème est annoncé et que le schéma se développe grâce au vers doassato kerdion einai, « il semblait plus avantageux », le lecteur sait ainsi à l’avance que le dilemme sera tranché avec succès. C’est, bien sûr, ce schéma que reprend l’Odyssée pour les nombreuses introspections et délibérations d’Ulysse, pour ses doutes et ses hésitations, et la reprise indique que son choix est guidé par la sagesse et son avantage. Ainsi, lorsqu’il se trouve face à Nausicaa et se demande comment solliciter son aide (VI, 141-47)20, ou lorsqu’il rencontre Iros et hésite entre le tuer ou simplement le rouer de coups (XVIII, 90-94), ou encore lorsqu’il ne sait pas s’il doit révéler son identité à son père ou d’abord l’interroger (XXIV, 235 ss.) : dans tous ces cas, il choisit ce qui lui semblait le plus avantageux (doassato kerdion einai) et dans tous les cas, il obtient l’effet recherché.
19Dans quatre passages cependant, la formule qui note le succès du héros et la sagesse de son choix, est remplacée par des variantes nouvelles et extraordinaires. En V, 354 ss., le vers qui dit l’hésitation (« il se demanda ») est suivi par un discours direct où Ulysse pèse les options qui s’offrent à lui : rester sur le radeau ou l’abandonner, et exprime sa volonté de « rester et endurer » (meneō kai tlēsomai, V, 362)21. En X, 49 ss., il découvre à son réveil que ses compagnons ont perdu leur chance de retour parce qu’ils ont dénoué l’outre des vents. Lorsqu’il raconte cet épisode aux Phéaciens, il leur révèle le dilemme qui fut le sien :
« Moi cependant, éveillé, je me demandais dans mon noble cœur [kata thumon amunona mermērixa] si j’allais me jeter à l’eau pour y périr ou endurer en silence [akēon tlaiēn] et rester avec les vivants. Oui, j’endurai, je restai [etlēn kai emeina] : je couvris ma tête et m’allongeai au fond du navire » (X, 49-53).
20La décision est exprimée ici sans le vers doassato kerdion einai, « il semblait plus avantageux » ; il pourrait sembler légèrement ridicule qu’il lui apparût plus avantageux de vivre. En fait, le débat intime se termine par la décision stoïque d’endurer la crise, une décision qui implicitement devient, à travers la transposition du thème formulaire, la meilleure solution.
21En endurant, Ulysse choisit de vivre, mais lorsqu’il se cache au fond du navire, inanimé et silencieux, sa condition ressemble plus à l’autre option possible, à savoir la mort. Le texte déguise la survie d’Ulysse en la présentant dans la rigidité et le silence du trépas. En dépit ou peut-être à cause de cela, lorsqu’il raconte ce moment décisif aux Phéaciens, Ulysse évoque l’atmosphère de la scène en recourant à des expressions souvent répétées, dont la force tranche en fait avec cette atmosphère. Avec des mots comme « j’endurai, je restai », il magnifie ce qui était sur le moment un geste amer de résignation silencieuse et il donne une dimension vocale et éthique au silence et à l’immobilité qu’il a dû vivre comme des signes de défaite. Une fois de plus, il redevient un héros. L’épopée produit cet effet : elle monumentalise des gestes et des attitudes, fait parler les silences, donne sa pleine visibilité à l’homme en train de disparaître. L’Odyssée approfondit l’écart entre ces contraires ; elle insiste non seulement sur le pouvoir introspectif de la voix du poème, mais aussi sur le simple aspect vocal de ce pouvoir de l’introspection.
22Le thème du mermērizein est développé sur un mode plus extraordinairement nouveau encore en Odyssée XX, 10 ss., lorsqu’Ulysse, devant l’impudence des jeunes esclaves, se demande s’il vaut mieux les tuer toutes ou les laisser faire une dernière fois22. Le dilemme fait bruyamment rage en lui : « son cœur aboyait » (v. 13). La comparaison avec une chienne enragée, grondant pour défendre ses petits, renchérit sur le thème du cœur aboyant, et finalement Ulysse se met parler à son propre cœur :
« Endure, mon cœur [tetlathi, kradiē] ! Tu enduras [etlēs] bien pire chiennerie [kunteron] le jour où le Cyclope, emporté par la rage, dévora tes vaillants compagnons. Tu endurais [etolmas] jusqu’à ce que ma ruse [mētis] nous tirât de la grotte où je pensai mourir » (XX, 18-21).
23La description du dilemme rageusement sonore d’Ulysse est unique, mais l’encouragement qu’il adresse à son cœur rappelle la nouveauté de V, 354 ss23. Le thème du mermērizein, de l’introspection, est désormais le code expressif formel qui sert à représenter la sagesse d’Ulysse et l’endurcissement de son cœur. Comme l’écrit Walter Arend, « la prise de décision apparaît, avec insistance, comme un processus spirituel... Ulysse n’est pas l’homme « patient » mais celui qui, en fait, ne peut attendre. »24 Ce jugement peut s’appliquer aux quatre scènes de mermērizein que nous avons analysées25.
24Il faut cependant voir que le « processus spirituel » qui se dénoue grâce à la voix d’Ulysse et qui introduit l’image du cœur grondant n’est pas un phénomène simple. D’abord, le texte répète les expressions par lesquelles la voix d’Ulysse est bien celle de la mētis et de la patience, et évite de faire parler la voix du cœur qui gronde. Le texte fait en sorte que cette voix ait un effet sur Ulysse et sur nous-mêmes, comme si elle exprimait l’essence spirituelle et profonde du personnage. Je reviendrai sur ce point dans le chapitre suivant, mais il paraît clair qu’ici aussi l’attribution à Ulysse de la voix de la mētis n’est pas totalement justifiée et que, loin d’être la garantie de la cohérence psychologique du personnage, elle n’opère que comme une fonction de sa spécificité épique. Cette voix contient en elle toutes les lacunes, les manques et les difficultés du signe. Ainsi, par exemple, le privilège que le texte donne à la voix de la mētis rappelle, par contraste, la scène de XIV, 29-34 où Ulysse, homme de la mētis, ne parvient pas, en dépit de sa mētis, à calmer les chiens enragés. D’autre part, mētis apparaît entouré d’un groupe de mots qui ne peuvent fonctionner que si la mētis est en fait absente ou imprudente, ou bien dupe d’elle-même. Car il n’y a pas de doute qu’Ulysse a été imprudent en prenant le risque de se rendre chez le Cyclope26 ; mais sans cette décision imprudente, on ne pourraît pas représenter Ulysse comme l’homme qui souffre et résiste à la souffrance, et finalement comme l’homme de la mētis. Ulysse, ce Stoïcien avant l’heure, cet Héraclès épique, endure peines et malheurs, non parce que c’est là sa quintessence spirituelle et son inévitable destinée (en fait, nulle nécessité ne pousse Ulysse dans la grotte du Cyclope27), mais parce que l’endurance est le principe et la complice de la ruse (mētis). Cependant, la mētis doit parfois être une non-mētis pour produire le Cycle.
25Lorsque Ulysse parvient à calmer la rage que provoque en lui le spectacle des servantes infidèles, quel est le sens de son souvenir ? Bien sûr, maintenant comme alors, endurer est l’attitude la plus intelligente. En tuant les prétendants, il punit les servantes ; gagner du temps et rester calme signifie simplement remettre à plus tard le grondement de la chienne et l’assaut mortel qu’il voudrait porter immédiatement (XX, 11). Alors qu’il gagne du temps, nous pouvons — avec lui — envisager le châtiment des servantes.
26« S’il tue les prétendants ». C’est là la condition. Bien que le souvenir des victorieux usages de sa mētis calme la rage qu’il a au cœur28, il se demande s’il sera capable de les tuer tout seul. Nous assistons alors à une autre scène de mermērizein. Ce doute-là, cependant, n’ouvre aucune alternative, et sera effacé par l’intervention d’Athéna qui lui apparaît dans un rêve (v. 32) et le réconforte29. « Endurant » et mētis ne veulent alors plus rien dire. Le texte présente de façon drôle et sentimentale un Ulysse troublé et anxieux.
27Le quatrième passage où l’affirmation de l’endurance entre dans une scène de mermérizein qui s’écarte des réalisations « normales » du modèle est le suivant (XVII, 235-38) :
Ulysse se demanda [mermērixen] s’il allait se ruer sur lui (Mélanthios) et l’assommer mortellement d’un seul coup de bâton ou l’enlever de terre et lui briser le crâne sur le sol30. Mais il endura et se contint.
28La nouveauté formelle ne vient pas ici de ce que l’alternative ne contienne pas l’option finalement choisie par Ulysse (cela arrive à d’autres endroits : voir par exemple, Iliade X, 503ss.), mais de ce que le choix de ne rien faire ne semble être la meilleure décision qu’implicitement, sans qu’intervienne la formule attendue doassato kerdion einai, « il semblait plus avantageux », tout comme en Odyssée X, 49 ss. On a donc affaire à un raccourci : le thème se termine ici par un vers en quelque sorte lapidaire, qui établit que l’endurance et la patience sont la réponse la mieux adaptée à la situation, sans qu’il soit tenu compte des autres possibilités qu’Ulysse aurait immédiatement choisies s’il avait pu agir en tant que lui-même. Mais il est déguisé en mendiant et pour son propre salut et son propre intérêt, il doit protéger ce déguisement, qui est le fait de sa mētis.
29Je me suis volontairement attardé à ce détour par les quatre passages où l’endurance d’Ulysse renouvelle partiellement le thème formulaire du héros considérant un choix, afin de mettre en lumière plusieurs caractéristiques de l’Odyssée : le suspens dramatique de certains passages de l’Iliade y est remplacé par un monologue plus intime, plus intérieur sur les enjeux ; et l’endurance est, de manière répétée, la solution choisie par Ulysse, car elle reste la plus avantageuse pour sa survie et sa protection.
Notes de bas de page
1 Il utilise une expression pathétique : nun moi sōs aipus olethros, « maintenant pour moi, la brusque mort est sûre », que l’on trouve ici en Odyssée V, 305, et plus tard au chant XXII, vers 28. La même expression n’apparaît qu’une fois dans l’Iliade (XIII, 773), mais le tour aipus olethros, « brusque mort », plusieurs fois ; on peut donc considérer qu’elle entre dans le pathos de la tradition iliadique. Le passage odysséen semble être thématiquement organisé en consonance avec Iliade XXI, 276, où Achille, qui est à deux doigts de se noyer tout comme Ulysse dans notre passage, se plaint d’avoir été attiré dans ce danger par la fausse promesse de sa mère : « Elle prétendait que je périrais sous les flèches d’Apollon, après avoir tué Hector, alors que mon destin est d’être pris ici par une mort atroce » (Iliade XXI, 276-83).
2 Proclus, voir Bernabé, p. 69.
3 Pour apprécier pleinement cette affirmation, il faudrait éclaircir bien d’autres points, dont le sens du discours d’Ulysse en Odyssée V, 299-312, en particulier sa soudaine certitude de mourir, et la qualité formulaire de Iliade XXI, 281 = Odyssée V, 312, qui revient presque littéralement dans la description de la mort d’Agamemnon — mort bien réelle — en Odyssée XXIV, 34. Ceci appartient-il au thème de la « mort sans gloire du héros » ? Il semble que ce soit le cas, mais la notion de thème soulève plus de questions qu’elle n’en résout. Cette difficulté est analysée par Francis Cairns, Generic Composition in Greek and Roman Poetry, Edimbourg, 1972, qui interprète Odyssée V, 229-312 non comme je l’ai fait en relation avec d’autres textes épiques, ni comme une lamentation sur une mort non glorieuse, mais comme un « epibatērion inversé » (voir p. 61 ss.). Quoiqu'il en soit, la distribution de leugaleos, « misérable », « atroce », « déplorable », est intéressante. Dans l’Iliade, c’est une épithète, sans réelle fixité, de la bataille (polemos, XIII, 97 ; dais, XIV, 387), de l’esprit (phrenes, IX, 119), des mots (XX, 108) et de la mort (XXI, 281) : dans l’Odyssée ce terme fonctionne notamment comme épithète fixe pour le mendiant (XVI, 273, XVII, 202, 337, XXIV, 157), puisqu’il appartient à une expression formulaire. Une troisième remarque : comment comprendre et interpréter la stratégie littéraire qui permet à Ulysse de se souvenir d’un épisode de l’Éthiopide, et ce dans un passage qui fait une allusion textuelle à une section d’un épisode iliadique ? Nous avons affaire au même type de « double source » que l’on trouve pour Odyssée V, 105 ss. (voir plus haut, p. 63 s.). Pour une analyse de la double origine de l’allusion dans Virgile, voir Giorgio Pasquali, « Arte allusiva », dans Stravaganze quarte e supreme, Venise, 1951, p. 11-20.
4 Michael Nagler a analysé les passages où kredemnon fonctionne comme ce qu’il appelle « la branche chaste du motif de l’accompagnement » (Spontaneity and Tradition, Berkeley, 1974, p. 45 ss.). A propos du passage qui nous intéresse, il écrit : « Leucothée, en fait, offre son kredemnon à Ulysse au chant V de l’Odyssée, et seule l’interposition immédiate d’un substitut poétique (i.e. d’un allomorphe du même objet) la sauve de cette situation compromettante » (p. 46). L’auteur laisse entendre que la « vague » (kuma) qui couvre Ino (v. 353) fonctionne comme une sorte de voile (kalumma). Même sans cette dernière implication, le badinage sexuel est évident.
5 Gregory Nagy, The Best of the Achaeans, Baltimore, 1979, p. 69-82.
6 Odium nous rappelle l’« étymologie » d’Odusseus, objet de la colère de Poséidon (ōdusato).
7 Le problème de la malhonnêteté des dieux chez Homère est important, mais autant que je sache, n’a pas encore fait l’objet d’études. Dans quelques cas, les héros doutent de la sincérité des conseils des dieux amis (voir Iliade XXI, 275 ss. par exemple), et souvent les dieux ennemis mentent pour faire tomber les héros qu’ils n’aiment pas.
8 Pour le thème de mermērizein auquel se rapportent ces mots, voir plus loin p. 106 ss.
9 Cette phrase participiale se retrouve neuf fois chez Homère, deux fois dans l’Iliade, une fois pour décrire Tlépolème (II, 667) et une fois pour Philoctète (II, 721). Elle apparaît sept fois dans l’Odyssée, et dans trois des cas, l’expression se rapporte à Ulysse (V, 13, 362, XIX, 170). Notons aussi qu’Ulysse adresse sa plainte à son « cœur courageux » (megalētora thumon). Le vers okhthesas d’ara eipe pros hon megalētora thumon (v. 355) est formulaire ; il se retrouve sept fois dans l’Iliade et quatre dans l’Odyssée (toujours au chant V). La formule néglige le digamma et est donc considérée comme une addition récente au langage épique : voir Pierre Chantraine, Grammaire homérique I, p. 46 et Arie Hoekstra, Homeric Modifications of Formulaic Prototypes, Amsterdam, 1969, p. 69. L’expression ne se rencontre quasiment que pour Achille (Iliade XVII, 90, XVIII, 5, XX, 343, XXI, 53) et ses adversaires (Agénor, Iliade XXI, 552, Hector, Iliade XXII, 98). Elle est employée une fois pour Ulysse (Iliade XI, 403), la seule fois où on la rencontre en dehors des derniers chants de l’Iliade. Parfois, le héros est dans une situation angoissante et la présence de la formule accroît la dramatisation : Ulysse (Iliade XI, 404 ss.) se demande s’il doit fuir la bataille ou se battre seul contre les Troyens victorieux et finalement décide de résister (voir les cas semblables pour Agénor et Hector) ; Achille est torturé par l’absence de Patrocle et la défaite des Achéens (Iliade XVII, 90, XVIII, 3 ss.). Dans d’autres passages, cependant, sa fonction consiste simplement à introduire un discours amèrement ironique : Iliade XX, 343 ss., XXI, 53 ss.
10 En Iliade II, 299, Ulysse exige que ses compagnons restent à Troie pour se battre ; en XI, 317, Diomède s’engage à rester et à poursuivre la bataille, en aidant Ulysse autant qu’il le pourra ; en XIX, 308, Achille, en poursuivant son jeûne, mime par sympathie la mort de Patrocle. Voir mon livre, The Violence of Pity in Euripides’ « Medea », Ithaca, 1980, p. 50 s.
11 Se comporter en bon marin est loin d’être considéré comme un acte de courage. Lorsque Socrate demande à Lachès ce qu’il considère comme relevant du courage (andreia), son interlocuteur lui répond que le courage consiste à résister fermement dans la bataille (La. 190e, 4-6) ; c’est pour lui un concept identique à celui d’endurance (kartereia). Voir aussi Ethique à Nicomaque 1115 a, 28-31, où Aristote rappelle que le naufrage ou la maladie ne permettent pas des actes de courage, car le courage n’est possible que face à une mort noble. (Voir Terence Irwin, Plato’s Moral Theory, Oxford, 1977, p. 19). On peut rapprocher l’indignation d’Achille à l’idée de se noyer « comme un garçon de ferme », Iliade XXI, 282, et l’opinion semblable qu’exprime Ulysse en Odyssée V, 306 ss.
12 Une situation parallèle et une réponse similaire se retrouvent en Odyssée X, 49 ss., lorsqu’Ulysse raconte aux Phéaciens la grande déception qu’il ressentit devant ses compagnons qui avaient compromis leur retour en ouvrant l’outre des vents. Il se décrit comme ayant dû choisir (mermērixa, v. 50) à ce moment entre se laisser tomber à la mer et se noyer ou supporter le silence : « Cependant je restai, je subis [etlēn kai emeina] et caché, j’étais immobile au fond du navire ». À propos de la nouveauté de cette expérience psychique, qui indique qu’une décision a été prise lors d’un débat intérieur (mermērizein), voir p. 106 ss.
13 À propos de la représentation de la mort comme ce que l’on ne peut pas tromper, qui résiste à toutes les tentatives, amekhanos, voir Laurence Kahn, « Ulysse, ou La Ruse et la mort », Critique 393, 1980, p. 116 ss.
14 Que cette tuerie soit nécessaire et si complète (aucun n’est épargné, pas même leur prophète, Léiôdès) pose des problèmes critiques difficiles. Voir Fausto Codino, Introduzione a Omero, Turin, 1965, p. 114-22.
15 Ce n’est pas la première fois qu’Ulysse prend l’apparence d’un homme du peuple. Hélène dit qu’il s’est déguisé en serviteur pour entrer dans Troie (Odyssée IV, 244 ss.). Le déguisement est l’une des armes d’Ulysse, mais une arme qui le blesse : « Après s’être lui-même affreusement meurtri le corps, et revêtu de vieux haillons, semblable à un serviteur » (IV, 244 ss.). Son habileté et son intelligence à se servir des mots vont jusqu’à l’usage de son propre corps comme moyen de communication — une autre forme d’écriture.
16 Voir Odyssée XIII, 306-10 : « Je te dirai tous les soucis que le sort te réserve et que tu subiras (anaskhesthai) dans ta forte maison. Supporte-les bon gré mal gré (tetlamenai kai anankēi) et ne va jamais dire à personne, homme ou femme, que tu as cessé d’errer, mais sans un mot souffre (paskhein) tous les tourments, et endure (hupodegmenos) l’excès des hommes ». La connotation des formes en tle- est définie ici par l’ajout d’autres expressions, qui mettent l’accent sur l’endurance face à la douleur et à la violence, sans réagir, sans mot dire, avec retenue (anaskhesthai), en se contraignant (anankēi). Pour anankēi, voir Ameis-Hentze ad Iliade XV, 199 et ad Odyssée XIII, 307 : « auch mit Zwang », c’est-à-dire « même si tu dois t’y contraindre ».
17 Ce genre de scènes a été étudié par Walter Arend, Die typischen Szenen bei Homer, Berlin, 1933, réimp. 1975, p. 106-15 ; Christian Voigt, Uberlegung und Entscheidung, Meisenham am Glan, 1972 ; et Russo, Odissea, V, p. 170.
18 Les vers qui décrivent la décision sont : doassato kerdion einai, « il semblait plus avantageux », Iliade XIII, 458, XVI, 652 et Odyssée VI, 145 ; aristē phaineto boule, « le meilleur plan semblait être », Iliade II, 5, XIV, 161 ; et dokei moi einai ariston, « le meilleur me paraît », en Odyssée V, 360.
19 À l’exception de cet épisode, les scènes de mermērizein du genre b dans l’Iliade n’engendrent pas de décisions bouleversantes ou dévastatrices ; au contraire, la plupart du temps le dilemme posé au héros est de savoir s’il doit poursuivre le combat, et un dieu protecteur l’en dissuade (Iliade V, 668 ss., X, 503 ss.).
20 Notons que le texte allie avec élégance la formule de Odyssée VI, 145 : doassato kerdion einai, « il semblait plus avantageux », à l’expression du vers 148 : kerdaleon... muthon, « il dit ces mots astucieux ».
21 Voir plus haut, p. 102 s. Le sens du vers formulaire doassato kerdion einai, « il semblait plus avantageux », est remplacé par ces mots d’Ulysse en I, 360 : dokeei de moi einai ariston, « et le mieux me semble être... » En d’autres termes, Ulysse traduit le thème du mermērizein en discours direct.
22 Voir la description précise que donne Joseph Russo, Odissea, V, p. 262. La scène est unique dans le corpus homérique en ce qu’elle ne se termine pas par une prise de décision, mais par l’étrange métaphore du chien grognant. L’introspection angoissée d’Ulysse n’est pas totalement calmée par l’avertissement qu’il fait à son cœur (v. 18-21) : une seconde comparaison est introduite (v. 25-30), et, finalement, Athéna intervient et lui porte le réconfort du sommeil. En fait, cette scène contient aux vers 10-13 une prise de décision venant après quelques moments d’introspection, dans la demande qu’Ulysse fait à son cœur de se calmer, afin qu’il puisse décider de gagner du temps.
23 Alors qu’Ulysse exhorte son cœur à supporter, la scène commence à ressembler au modèle b, où la décision est provoquée par une intervention extérieure. Ulrich von Wilamowitz-Moellendorff, Die Heimkehr des Odysseus, Berlin, 1927, p. 189, note que le cœur d’Ulysse est un agent agissant par lui-même et non une « figure », comme dans de nombreux textes d’Euripide.
24 W. Arend, Die Typischen Szenen bei Homer, p. 113. Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, La Dialectique de la raison, trad. fr., Paris, 1974, interprètent cette confrontation entre le moi d’Ulysse et son cœur de chien comme une sorte d’allégorie du moi divisé qui doit utiliser la violence pour lutter contre sa nature profonde, tout comme le moi utilise la violence contre le monde extérieur : de cette confrontation le moi d’Ulysse ressort unifié.
25 Mermērizein apparaît trente fois dans l’Odyssée et seulement onze fois dans l’Iliade. Notons, par exemple au chant XX de l’Odyssée l’usage de mermerizem aux vers 10, 28, 38, 41, 93. À propos de l’intensité folle de la scène de mermerizein au début du chant XX de l’Odyssée, voir Joseph Russo, « Homer against His Tradition », Arion 7, 1968, p. 275-95 et également Odissea, V, p. 261 ss.
26 À propos de l’arrogance d’Ulysse dans cet épisode fatidique qui déclenchera la haine de Poséidon, voir l’article éloquent de Norman Austin, « Odysseus Polytropos : Man of Many Minds », Arche 6, 1981, p. 41-52, en particulier p. 49 ss.
27 Voir ibid., p. 49-52.
28 Le ton et les nuances du texte sont difficiles à déchiffrer. Alors que sans doute le texte exalte l’endurance et la mētis d’Ulysse (la simple répétition de ces vertus les met en relief), il introduit aussi un élément déconcertant : la comparaison implicite entre le Cyclope qui a dévoré ses compagnons et les prétendants qui séduisent les servantes ; la qualification de ces deux actions, celle des Cyclopes et implicitement celle des prétendants, comme étant des chienneries (kunteron) et la comparaison avec la panse farcie (XX, 24-30), qui dans des termes plus que prosaïques, comiques presque, représente la perplexité et l’angoisse du héros.
29 On présente Ulysse comme mermērizeon hoppōs (XX, 28 s.), « réfléchissant comment il pourrait seul tuer tous les prétendants ». Il est vrai que dans l’Iliade aucun dieu n’intervient après mermērizein hoppōs (voir Russo, « Homer against His Tradition », p. 292 s.) et que nous avons ici la seule intervention d’un dieu après un mermērizein. Puisqu’Athéna apparaît dans un rêve, le verbe mermērizein au vers 28 correspond à un verbe indiquant le mouvement de l’esprit qui peut introduire un rêve divin. Voir par exemple Odyssée IV, 787 ss., où hormainein (v. 789), mermērizein (v. 791) et hormainein (v. 793) se correspondent sémantiquement et constituent les prémisses du rêve qu’Athéna envoie à Pénélope. Cette équivalence se trouve aussi avec l’usage absolu de mermērizein : voir par exemple, Odyssée V, 354, 365. Voir aussi M. W. Edwards, « Convention and Individuality in Iliad I », Harvard Studies in Classical Philology 84, 1980, p. 14, n. 32, qui remarque à juste titre que l’arrivée d’Athéna en Odyssée XX, 30 est moins impressionnante qu’en Iliade I, 194.
30 Le terme amphoudis pose des problèmes et certains savants comme Chantraine, Dictionnaire étymologique, ont tendance à comprendre : « le prendre par les oreilles », ce qui serait assez comique.
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