Les stèles Pāla-Sena : évolution et chronologie
p. 57-97
Texte intégral
1Une période de paix politique, toute relative d’ailleurs, s’instaure au Bihār aux environs des VIIIe-IXe siècles ; elle durera avec des vicissitudes diverses jusqu’à la fin du XIIe siècle.
2Deux dynasties, celle des Pāla et celle des Sena, patronnent une production originale mais qui reste néanmoins en relation avec les autres provinces du monde indien. L’art Pāla se pose comme héritier de l’école post-gupta de la vallée du Gange et plus précisément de celle de Sārnāth, tandis que ses antécédents post-gupta au Bihār et au Bengale demeurent en partie dans l’ombre.
3Le statuaire pāla-sena est souvent traité avec un mépris qu’elle ne mérite pas toujours. Si les oeuvres sont inégales, certaines ne sont pas dépourvues de noblesse, occasionnellement même d’intériorité. Or cet art s’étend sur une période de quatre siècles (approximativement de 800 à 1200), plus que l’art angkorien. Il serait donc essentiel d’en connaître l’évolution, d’y distinguer différentes phases.
4Plusieurs études, dans l’ensemble fort anciennes1, ont déjà été consacrées à cette statuaire, leurs résultats ne sont pas toujours satisfaisants. Les dates proposées par ces différentes études et, à leur suite, par les catalogues se fondent en partie sur des critères paléographiques, en partie sur une impression générale, et il se trouve que dans quelques cas ces datations cadrent avec l’évolution ici proposée. Mais souvent elles apparaissent d’une extrême fragilité. Il a semblé que la méthode d’évolution des motifs pouvait apporter parmi cette incertitude une rigueur plus grande.
5La présente étude ne résout d’ailleurs pas tous les problèmes, mais un fil de référence certain en surgit, qui permettra par la suite de jeter une lueur plus précise sur différents points non encore éclaircis en partie ou dans leur totalité et qui ne seront pas traités ici.
Le passage de l’art post-gupta de la vallée du Gange à l’art Pāla est très mal connu, conséquence avant tout du manque de matériel ; les rapports de Pahārpur avec les Pala sont également à réétudier, la statuaire de ce site n’est peut-être pas exempte d’une évolution interne à rechercher et à comparer dans les résultats obtenus avec ceux déjà valables pour la statuaire pāla-sena. L’évolution de cette dernière doit permettre de jeter une lueur sur la période qui l’a justement précédée.
Seules les stèles en pierre sont présentement analysées : en sont exclues les figurations du Buddha Sakyamuni ; vu la pauvreté des motifs les ornant, on ne pourrait guère qu’en présenter une analyse typologique pour le moment.
Les très nombreux bronzes alors fondus mériteraient un arrêt. Mais nos renseignements en la matière sont trop pauvres pour permettre d’avancer des hypothèses. Néanmoins, ces bronzes nous apparaissent quand même comme pouvant éclairer peut-être l’origine de certains motifs de la sculpture de pierre.
Au vu des études en cours, le nord-est indien apparaît comme ayant été à cette époque (IXe-XIIe s.) un creuset où ont convergé de nombreuses influences et où l’esprit créatif a consisté à les recevoir et à les amalgamer (des ponts semblent être tendus vers Java, la Birmanie, Ellora et peut-être encore d’autres sites indiens).
Une autre analyse reste à faire, importante et complexe : la paléographie examine des motifs (les lettres), qui évoluent. Cette évolution n’a été amorcée par R. D. Banerji que pour la seule sifflante palatale śa ; les deux évolutions, l’artistique et la paléographique, devront si possible être comparées.
***
6Les stèles sont nombreuses, diverses et leur examen est d’abord déroutant. L’observation et l’analyse ont amené à constater : qu’il existe des motifs communs à certaines stèles ; que ces motifs peuvent y être figurés sous un aspect identique ; que plusieurs de ces motifs, chacun sous un même aspect, sont concomitants dans un lot particulier d’oeuvres. Ainsi l’aspect identique d’un certain nombre de motifs concomitants permet de cerner plusieurs groupes, au nombre de quatre ici, dans lesquels il n’est par ailleurs pas impossible de distinguer des sous-groupes (l’évolution interne d’une période peut se fragmenter en plusieurs phases : une de transition avec la période précédente, la période elle-même, et une phase qui annonce la période suivante, ou en groupes différents mais parallèles dans le temps : telle la quatrième période).
7Quels sont ces motifs ?
8La stèle se compose de divers éléments :
la dalle du fond et le socle (éléments d’armature),
les personnages divins qui y sont sculptés.
9De plus, une palette décorative composée de plusieurs motifs vient recouvrir cette construction apparemment simple.
10A chacun des niveaux, on observe des transformations ; toute l’oeuvre va de l’avant, chaque motif évolue (à des degrés divers parfois). Il est possible de n’envisager que certains motifs, de structurer l’étude autour de cette analyse limitée et ainsi, de laisser volontairement de côté un nombre appréciable d’éléments évolutifs. D est aussi possible de prendre tous ces éléments et de les hiérarchiser selon leur importance. Cette dernière solution sera adoptée ici, afin que l’évolution présentée ne paraisse pas trop squelettique.
11Les oeuvres présentant la totalité des caractéristiques énumérées sont en nombre suffisant pour établir l’existence de quatre périodes. Mais l’évolution est continue : d’autres oeuvres ne possèdent pas toutes les caractéristiques d’une période. Elles confirment que le changement en art ne saurait être que progressif. La constitution de périodes tranchées est artificielle. Elle seule permet d’introduire un peu de clarté parmi une production d’une richesse et d’une diversité déroutantes, mais elle ne révèle en quelque sorte qu’une armature.
12Or les signes dont la convergence a permis de démontrer au cours d’un premier plan l’existence des quatre périodes peuvent désormais servir de catalogue d’indices pour situer dans le déroulement de la chronologie les autres oeuvres, qui ne rentrent pas strictement dans le cadre étroit d’une période et dont l’abondance risquait d’abord de masquer une évolution qu’elles vont à présent contribuer à nuancer. Leur examen est important au moins de deux points de vue : il va montrer d’abord comment s’est effectuée la transition d’une phrase à l’autre, il constitue aussi une vérification, car ces charnières entre les périodes doivent confirmer l’évolution, et s’il venait à s’y révéler une incohérence, ce serait la preuve d’une erreur, et tout serait remis en question !
***
Première période
13Un premier lot d’oeuvres dont on trouvera des exemples aux figures 31 à 34 est caractérisé par les signes suivants.
14La dalle de fond est faite d’une seule venue, pleine arrondie à sa partie supérieure dans l’ensemble. On note toutefois à cet endroit une variante : quelques pièces se caractérisent par un sommet aplati, la dalle de fond y est rectangulaire, mais ses angles supérieurs sont adoucis par une ligne courbe (fig. 31-32, St. Kramrisch, frontispice et fig 5, E. Baktay, pl. X, EISMS, pl. LIXc) ; c’est parmi ces oeuvres à dalle de fond rectangulaire que l’on peut trouver les premiers exemples de stèle évidée (fig. 31-32) ; d’autre part, il semblerait que l’origine de ce lot de pièces soit le Bengale (la fig. 32 provient d’Āṭak, au sud de Lakṣmaṇakāṭi ; la fig. 31 paraît avoir une origine proche : la similitude des deux pièces est telle qu’elle exclut deux origines différentes2).
15La surface de la dalle de fond est sans décor : seul le bord est orné ; cette surface joue un rôle important pour l’établissement de l’évolution, et de son sens. Par sa structure (faite d’une seule venue), elle s’apparente directement aux Buddha et Bodhisattva post-gupta de la vallée du Gange. Par sa nudité bordée d’un seul décor, elle évoque également ces oeuvres.
16Le bord de la stèle est en effet décoré de motifs peu nombreux et d’une vague d’inspiration sobre ; simple rang perlé, suite de feuilles (ou de flammes ?) superposées dont l’extrémité se replie légèrement sur elle-même. Ces motifs simples sont figurés seuls ou ensemble (les feuilles épousant alors extérieurement le rang perlé).
17On notera également un motif typique de cette première période (il disparaîtra ensuite d’une manière irrémédiable) : bande grillagée décorée de fleurs (de lotus ?) stylisées à intervalles réguliers. On retiendra le fait que ce motif décoratif orne généralement la dalle de fond rectangulaire (qui est également sans lendemain) (fig. 31-32, St. Kramrisch, ibid., E. Baktay, ibid., EISMS, pl. XIII d, R. Chanda, pl. XIX).
18La dalle de fond repose sur un socle, élément fondamental puisqu’il partage avec elle le poids de l’oeuvre. Cet élément à évolution particulièrement nette est de ceux qui donnent le sens du mouvement général. Il est, pour le moment, composé d’une seule venue (ratha), décoré soit du véhicule divin (vāhana), Nandin et le lion pour Śiva et Pārvātī (fig. 33, 35, 39), les sept chevaux pour Sūrya (E. Baktay, ibid.), soit encore de fleurs de lotus stylisées avec grande simplicité et gravées, dans ce cas, il est surmonté d’un lotus en issant, sur lequel se tient la divinité (fig. 31). Hasard ou non ? Le décor à fleurs de lotus semble être propre aux stèles à dalle rectangulaire et à motif floral stylisé.
19Dalle de fond dont la partie supérieure est arrondie ou aplatie, bordée de motifs simples (rang perlé, petites feuilles : veine imaginative simple puisqu’ils consistent en une répétition, ininterrompue, d’un même motif) ou complexes (fleurs sur bande grillagée), socle fait d’une seule venue et décoré avec sobriété (nudité, vāhana, lotus gravé), la simplicité des motifs donc, dans leur traitement (voire dans leur conception) et enfin, leur rareté : telles sont les caractéristiques des “éléments d’armature”.
20Considérons maintenant les personnages représentés divinités, êtres secondaires (assistants, génies volants : vidyādhara), et les motifs importants pour la chronologie que l’on y découvre.
21Homme et femme portent une ceinture : orfévrie, située légèrement sous le nombril ; il en pend, entre les jambes, une lourde pendeloque orfévrie (éventuellement formée d’anneaux enchaînés) tri-partie. Un élément en fer-de-lance (probablement inspiré du motif similaire apparu lors de la deuxième période d’Ellora3) en termine très souvent la partie centrale. Cet ornement n’est attribué qu’à la divinité principale tandis que les personnages secondaires (et, plus rarement, la divinité principale) ont, entre les jambes, le plissé en tissu de la jupe. Sur ou sous la ceinture, à l’endroit d’une des hanches (droite en général), est posée une petite patte d’étoffe4.
22Chaque personnage porte deux bracelets par bras ; au poignet, les figures féminines ont un très large bracelet composé de plusieurs rangs et les figures masculines un simple (ou double) anneau. Permanence dans la représentation de ces bracelets tout au long de la période pāla-sena, à l’encontre du bracelet du bras qui évolue : celui-ci est commun aux hommes et femmes, c’est un petit triangle accroché à un anneau, l’ensemble est situé assez haut sur le bras.
23Un seul collier est figuré d’une façon constante : il est large et orfévri.
24Les femmes (fig. 33) portent un chignon rond situé sur le haut de la tête. Parfois, la partie dégagée du crâne, en avant du chignon, est ornée d’anses perlées.
25Viṣṇu et Sūrya portent une tiare (mukuṭa) en tronc de pyramide, ceinte d’une couronne, décorée de motifs floraux ( ?) compris dans des losanges (fig. 31-32, R. Chanda, ibid.).
26Un dernier élément reste, qui sera repris dans l’examen de chaque période d’ailleurs, c’est le cordon de brahmane (yajñopavīta) qui tombe verticalement depuis l’épaule gauche sur la cuisse correspondante ; le retour en arrière se fait par un angle droit.
27Groupe compact, bien défini par tous ces éléments communs. La concomitance de ces motifs ne saurait être fortuite. La simultanéité de représentation exclut l’intervention du hasard. Tous ces éléments ne persisteront naturellement pas.
***
Deuxième période
28D’autres pièces, nombreuses, dont certaines sont reproduites figures 35 à 48 offrent un alliage d’éléments tirés du groupe précédemment analysé, qui se présentent sous un aspect identique pour certains, légèrement différent pour d’autres, et d’éléments nouveaux.
29La contiguïté entre les deux groupes est prouvée par un certain nombre de signes, hérités de la période précédente :
la dalle de fond au sommet arrondi (la forme rectangulaire disparaît),
la persistance du rang perlé,
et la généralisation des petites feuilles (flammes ?) dont l’extrémité est davantage recourbée sur elle-même,
la constance du socle d’une seule venue, toujours décoré d’un motif foliagé, qui n’est plus gravé, comme avant, mais sculpté en léger relief, ou du vāhana divin, ou encore d’assistants et d’adorants,
la ceinture toujours ornée de la lourde pendeloque tri-partie et agrémentée de la petite patte d’étoffe (avec de subtiles modifications, voir ci-dessous),
le collier orfévri qui se maintient,
toujours le chignon circulaire sur le haut de la tête pour les femmes (voir ci-dessous pour les apports nouveaux),
toujours le mukuṭa de Viṣṇu et Sūrya en tronc de pyramide et orné de rinceaux (EISMS, pl. LIX a)5.
30On remarquera que le sommet aplati de la dalle de fond et la bande grillagée avec fleurs stylisées ont disparu de la liste.
31Certains motifs (dalle de fond arrondie, rang perlé, feuilles, socle en une seule venue) sont repris tels quels (la fermeture sur elle-même, davantage réalisée ici, de la petite feuille n’est pas un élément déterminant qui permettrait à lui seul d’inscrire l’oeuvre dans telle ou telle période), tandis que d’autres se transforment.
32On peut ainsi remarquer deux sortes de nouveautés : d’une part, évolution d’éléments hérités du premier groupe, donc continuité, et d’autre part, apparition de motifs authentiquement nouveaux, donc postériorité. De cette manière, si la contiguïté est assurée et prouvée par les motifs “conservés” fidèlement, la continuité et la postériorité seront déterminées par ces deux catégories de motifs.
Voyons d’abord la première d’entre elles.
33A côté du socle à une seule venue, on en trouve à avancée centrale, ce qui détermine trois surfaces (triratha). Dans l’état actuel de la question, il est peut-être aléatoire de le considérer comme propre aux stèles bouddhiques, et pourtant les oeuvres analysées nous porteraient à le croire. Ce socle connaît plusieurs manières d’être :
ses bords supérieur et inférieur sont marqués d’un filet (et de petites niches apparaissent ainsi, entre les deux bords),
sa surface est entièrement lisse et ne supporte aucun décor (sauf une éventuelle inscription).
34Par contre, comme on l’a déjà noté, le socle d’une seule venue est orné de fleurs, de rinceaux foliagés qui s’entrelacent et s’ordonnent en de belles crosses équilibrées6, décor gravé (survivance) ou en léger relief (apport nouveau). Le décor est alors plus harmonieux que dans le premier groupe (même quand il est gravé).
35Des modifications sont apportées à la ceinture : la petite patte d’étoffe passe, dans la majorité des cas, de la hanche droite à la gauche. Quelles furent, s’il y en eut, les motivations de ce changement ? Nous ne savons. Le nombre de ceintures double généralement (voir aussi EISMS, pl. LXV a). Une innovation (figurée encore isolément) : des anses perlées accrochées, par une jambe, à la ceinture7.
36Le bracelet triangulaire, plus orfévri, plus soigné dans sa réalisation, croît en hauteur, en même temps qu’il descend vers le coude.
37Le chignon circulaire des femmes (et des vidyādhara) est maintenant ceint d’une couronne : épaisse torsade perlée ou rang perlé épais supportant des fleurons triangulaires.
38Ces différents éléments de bijouterie ne naissent pas de rien : l’origine de l’ensemble couronne – trois fleurons est ainsi facilement décelable. La couronne semble bien faire corps avec les deux fleurons latéraux ; le fleuron central n’est pas de la même taille que les latéraux et il paraît figuré en léger retrait, directement appuyé sur le chignon ; enfin, et surtout, un ornement triangulaire, unique, accroché au chignon, est décelé à la Pārvatī de la fig. 33, pièce de la période I précédente. Que ce soit bien lui qui est repris maintenant, il me paraît qu’on ne peut en douter au vu des coiffes d’une Nāgī (fig. 47) ou d’une Gaja Lakṣmi (fig. 44) où il y a apparentement direct avec les deux exemples déjà cités. Quant à la couronne, elle se retrouve aux coiffures masculines et n’est pas sans évoquer celle du mukuṭa de Viṣṇu de la période I également. L’innovation aurait donc consisté ici à réunir une couronne (constante dans la première période) et un bijou (très rare pour cette même époque).
39Il reste à noter la croissance des fleurons, et surtout du médian, par rapport au groupe antérieur : phénomène de croissance que l’on a déjà pu observer pour le bracelet du bras qui se laisse suivre au cours même de cette nouvelle période. Il est quasiment certain que les oeuvres du début de la période II sont celles dont le fleuron médian est proche de celui de la période antérieure, voire identique. Cette marche s’observe d’ailleurs pour d’autres motifs, venant corroborer, étayer cette assertion (qui pourrait sembler gratuite, n’étant basée que sur un seul motif) : si le décor du socle de la fig. 44 est gravé et si le fleuron médian est de même dimension qu’à la période I, la grande stèle figurant Viṣṇu Varāha (fig. 48), et qui appartient à cette période-ci, a son décor sculpté en bas-relief et un fleuron de coiffure (Nāgī : en bas à gauche) pointu et dépassant en hauteur le chignon : état plus avancé donc de deux motifs différents. D’autre part, ce Viṣṇu Varâha présente des motifs qui n’apparaissent que dans un état semble-t-il plus avancé de la période, et qui sont encore ignorés des fig. 44 et 47 : feuillage complexe, torsade perlée, anses perlées à la ceinture.
Passons maintenant aux signes de postériorité.
40Epoque vivace, riche en mutations, mais aussi animée de sang neuf : plusieurs motifs apparaissent, des feuilles (flammes ?) dites d’aspect complexe, une torsade perlée, des flammes d’un type particulier, une bande non décorée, un rang emperlé au cou.
41Les feuilles complexes sont d’une tournure déchiquetée, dentelée et donc sont différentes des feuilles de la première période qui persistent à être figurées (voir ci-dessus).
42La torsade perlée est l’ornement principal des nimbes des figurations du Buddha8.
43Les flammes d’un type particulier également9.
44On remarquera que ces motifs apparaissant sur les oeuvres ici examinées concourent à définir maintenant un instant particulièrement fécond sur le plan des renouvellements.
45La bande non décorée est en relief arrondi ; ses bords (intérieur et extérieur) peuvent être marqués d’un léger creux. Apparition brutale que rien ne semblait devoir annoncer ou préparer. Pourtant dans la gamme des motifs énumérés ici, il en est un qui se rapproche nettement de ce qui, dans la suite du travail, prendra le nom de bandeau plat (consécutivement à la perte du relief, la bande arrondie est comme écrasée), motif qui, vu en coupe, présente la même courbure (et qui connaîtra le même traitement d’aplatissement) : on veut dire la torsade perlée qui, somme toute, n’est qu’une bande mais ornée. Innovations conjointes donc de celles de ces deux motifs dont l’un est à l’origine de l’autre : le bandeau uni succèderait à la torsade perlée, conséquence d’un inachèvement dans le rendu de cette dernière (et par la suite l’inachèvement aurait pris valeur de motif).
46La deuxième période semble bien correspondre à une plus grande production d’oeuvres. Groupe complexe et riche parce qu’outre les motifs caractéristiques présentés, il en est d’autres, plus rares, peu fréquents, non évoqués ici, car non déterminants en matière de chronologie, tels le chignon tressé (jaṭāmukuṭa) commun aux Bodhisattva et à Siva et qui semble connaître des modes diverses, et la forme des nuages des vidyādhara.
47D’autre part, par plus d’un de ses éléments, cette deuxième période s’affirme bien comme l’antécédent direct de la suivante. L’articulation entre les deux périodes est déterminée par un certain nombre d’oeuvres, où se marque encore l’intense désir de renouvellement et de modernisme qui coïncide avec cette période II et qui s’achèvera avec la suivante.
48Apparaissent ainsi quelques figurations sporadiques du vyāla – animal hybride, sorte de griffon (Musée Guimet MA 2480), du haṃsa – oie sauvage sur les côtés latéraux, de part et d’autre du personnage, motifs apparaissant en fin de période : tel que l’Avalokiteśvara de la fig. 3710.
49Le kīrtimukha – “tête de gloire”, tête monstrueuse que l’on retrouvera postérieurement, mais sous un aspect différent — est figuré au sommet de la stèle (fig. 37, 46).
50Un bouton de fleur (lotus ?) orne la couronne, comme dans le cas de la Tārā de la fig. 38, du Śiva de la fig. 39 ou encore de l’Avalokiteśvara de la fig. 37 : bien que la fig. 39 appartienne au tout début de la deuxième période, c’est surtout dans cette dernière proprement dite que le bouton figure ; mais c’est un indice moins net d’autant que les reproductions sont malheureusement parfois illisible à cet endroit ; sur la couronne également, peuvent pendre de petites pendeloques perlées, au milieu : fig. 37, 38, fait qui apparaît comme presque généralisé au cours de la seconde période et inexistant dans la première.
***
Troisième période
51Ces oeuvres de la deuxième période annonçaient déjà un nouveau groupe, illustré aux figures 49 à 60, où les quelques motifs qui y apparaissaient sporadiquement sont devenus beaucoup plus fréquents et même constants.
52La passage de la deuxième période à la troisième est assuré par la persistance de motifs non modifiés et par la transformation continue ou brutale d’autres motifs.
53La contiguïté est ainsi prouvée par :
quelques motifs décoratifs, non modifiés, de la fin de la deuxième période : le bandeau plat en bordure de stèle ou en décor de nimbre (fig. 49, 53, 55) ; le feuillage complexe en cette même dernière position (avec concomitance possible des deux motifs dans ce cas) (fig. 53) ;
la joaillerie dont l’évolution est comme endormie et beaucoup plus lente que celle d’autres motifs et, à cette époque, non déterminante : le bracelet triangulaire du bras repose presqu’au creux du coude (comme à la fin de la période précédente) (fig. 49, 53, 54) ; les deux ceintures sont toujours accompagnées de la petite patte d’étoffe (sur la hanche droite des pièces hindouistes, comme antérieurement, mais sur la gauche pour certains personnages de petite taille des mêmes stèles, comme c’était déjà le cas des personnages principaux des stèles bouddhiques à l’époque précédente ; s’agit-il d’une mode propre à l’art bouddhique du Bihār, qui, maintenant, se serait glissée dans l’art hindouiste ?) ; la pendeloque centrale tri-partie existe toujours, mais elle a perdu son éventuel ornement en fer de lance.
54Passons à présent aux critères de postériorité, transformations et innovations.
55Les éléments de la ceinture, hérités de la période II, subissent quelques transformations : quatre anses perlées avec petites pendeloques intermédiaires sont accrochées à cette ceinture, soit deux anses par jambe. Le thème révèle donc :
un maintien des deux ceintures de la deuxième période,
une évolution par multiplication par deux des anses perlées de la période II,
une innovation : les petites pendeloques qui alternent avec ces anses perlées.
56Une autre mutation est fort importante car déterminante (comme le sont les doubles anses perlées) pour la chronologie, transformation rapide accompagnée d’une innovation : le sommet de la dalle de fond n’est plus arrondi, il est légèrement, nettement pointu avec, parfois, dès cette époque des pans creusés, concaves ; l’innovation, c’est le “masque de gloire” (kīrtimukha) qui se situe à la clef de stèle (fig. 49, 53, 54).
57La dalle de fond prend donc une forme présentée comme une potentialité à la période précédente.
58Le nimbe, rarement figuré jusque-là, est maintenant généralisé. Non circulaire, il est aplati à son sommet ; sa constitution décorative se limite au feuillage complexe et au bandeau plat. Sans doute est-il possible de considérer l’étroit bandeau uni du bord de stèle comme descendant du thème complexe qui composait l’auréole de la deuxième période : on peut alors parler de concomitance du nimbe entourant la tête (mukhamaṇḍala, śiraścakra) et de l’auréole entourant le corps (prabhāmaṇḍala). Désormais et ce durant toute la suite de développement de l’art pāla-sena cette coexistence sera caractéristique.
59Une dernière évolution d’un motif reçu de la période précédente reste à décrire : le socle. Sa hauteur croît légèrement, mais surtout le nombre de redans passe à cinq, avec des exemples de sept ratha (stèles figurant Sūrya, où chaque ratha correspond à la représentation d’un des sept chevaux : fig. 59).
60Dans ce mouvement de transformation, quelques apports sont à remarquer : un tenon central figure sur les deux listels du redan médian (et qui est peut-être la figuration de la tige du lotus sur lequel se tient la divinité) ; le listel n’est plus plat mais à rebords successifs ; deux fleurs épanouies, enfin, s’ouvrent sur le ratha médian, elles sont sculptées en relief et donc s’opposent aux fleurs qui, gravées, pouvaient orner le socle auparavant, mais elles en procèdent sûrement : ici comme là deux fleurs s’ouvrent sur les côtés tandis que la troisième tige soutient le lotus de la divinité. Toutes nouveautés importantes.
61Il reste maintenant à considérer les motifs nouveaux qui ne trouvent pas leurs correspondants directs à l’époque antérieure.
62Figurés de plus en plus souvent en haut des stèles, les vidyādhara doublent en nombre (puisqu’ils composent deux couples) ; le chignon circulaire a disparu pour céder la place à un mukuṭa conique.
63Dans l’ensemble, les coiffures connaissent des bouleversements appréciables : le chignon circulaire des femmes a également disparu pour céder la place à un autre, posé sur une des épaules (en deux exemples : fig. 42 et EISMS, pl. XLIX c qui porte déjà les anses au bracelet et le troisième collier, le personnage principal porte le chignon ancien, seules les assistantes adoptent la nouvelle façon de se coiffer ; d’autre part, aucune stèle avec déesse comme représentation centrale ne semble alors offrir ce type de chignon, peut-être encore uniquement dévolu aux personnages de petites dimensions : tâtonnement, absence du goût du risque) ; le mukuṭa de Viṣṇu et de Sūrya, toujours en tronc de pyramide, est surmonté d’un ornement dérivé du myrobolan (āmalaka). Quant à la couronne qui le ceint, elle est décorée de fleurons triangulaires apparus précédemment, d’un bouton de fleur, que l’on trouvait à la période II, d’anses perlées séparées par de petites chutes de perles (ou orfévries). La jonction avec la période précédente avait vu l’apparition de ces petites retombées, seules, sans les anses perlées et parfois surmontées du bouton de fleur.
64Les divinités masculines peuvent porter un châle, qui tombe de l’épaule gauche pour recouvrir en travers la poitrine alors qu’à l’époque précédente, il s’agissait d’un élément vestimentaire uniquement dévolu aux femmes11 (on fait ici exception du vêtement dévolu à Khasarpana Lokeśvara, en peau de bête, et qui traverse sa poitrine, c’est un élément iconographique et il se rencontre dès la première période : fig. 36).
65Ornement constant, le cordon de brâhmane semble connaître des traitements divers : orfévri, en étoffe, de longeur normale ou s’arrêtant à la taille, à l’opposé de la période antérieure où un seul modèle existait.
66Les innovations du socle et de la coiffure apparues dès la phase de transition entre deuxième et troisième périodes sont à présent généralisées. De la même manière, les représentations, au cours de la période de transition, du vyāla, du haṃsa comme éléments du trône royal annonçaient le thème dans son entièreté tel qu’il figure durant cette troisième période et jamais auparavant (alors qu’à cette époque, il avait déjà été figuré tel quel dans d’autres régions de l’Inde). Durant cette première phase, seules des stèles bouddhiques en ont présenté des éléments. Or maintenant, le thème figure, complet, sur les représentations de Viṣṇu, de Sūrya (sauf en Oriental Art, IX, p. 189 où le makara fait défaut). Il faut probablement conclure à une nouvelle et meilleure compréhension du thème. C’est cette totalité qui nous intéresse : gaja (éléphant), vyāla (monstre hybride, griffon), makara (montre marin), haṃsa (oie sauvage) ou gandharva (musicien céleste) sont figurés en superposition.
67Tendance accrue à recouvrir la dalle de fond, dont l’achèvement final sera donné par l’apparition d’une tête de monstre, différente de celle entrevue sur certaines oeuvres de la transition. Cette tête de monstre, qui reçoit les noms de kīrtimukha, kāla ou encore siṃhavyāghra12 est diversement interprétée13.
68Le kīrtimukha, qui nous intéresse ici, se situe au sommet de la stèle (ou, éventuellement, dans une position similaire, à la clef d’une niche). On étudiera la morphologie de ce visage au cours de cette période-ci – analyse reprise à la période suivante. Une première approche met en lumière un cheminement évolutif qui, comme celui de certains autres motifs, ne semble pas être constant, ne tend pas à une seule et même fin : après une période initiale de développement complexe (= troisième période, actuellement envisagée), le motif semble en connaître une autre de décantation progressive, parallèlement à une autre de fantaisie accrue (= deux aspects de la quatrième période).
69Apparaissant dès maintenant, il s’écarte, morphologiquement, des quelques têtes entrevues à la charnière. Le motif est sculpté en haut-relief (à l’opposé donc des autres motifs qui ornent la dalle de fond). Sa morphologie évoque, à plusieurs égards, celle des vyāla qui figurent sur les mêmes stèles :
yeux globuleux mais non parfaitement circulaires, cernés par un léger rebord des paupières,
des sourcils, jaillissent deux cornes épaisses, horizontales (et filant vers l’arrière), dont les extrémités reviennent sur elles-mêmes, vers le haut, en une petite boucle,
moustaches parallèles sur la lèvre supérieure, avec extrémités s’enroulant sur elles-mêmes,
enfin, présence d’oreilles sous les cornes.
70Voilà pour les points communs avec le vyāla ; mais il en est d’autres, propres, ceux-là, au kīrtimukha :
nez à l’arête bien marquée mais dont les narines sont larges et épatées,
de la racine du nez, part du feuillage qui couvre la partie médiane du front et qui détermine la formation d’un losange : à partir de la pointe inférieure et ce, vers le haut, s’étagent différents rangs de feuillage, allant en hauteur décroissante,
absence de mâchoire inférieure (et des dents de cette mâchoire donc),
longue langue triangulaire, décorée d’un feuillage similaire à celui du front14, deux branches de feuillage dentelé se déroulent de chaque côté de la langue, en volutes, l’inférieure court vers le bas et est, dans son extrémité, proche du nimbe, la supérieure se relève, se scinde en deux : une partie se transforme en une très large boucle, l’autre rejoint l’extrémité de la corne et se fragmente en plusieurs petites volutes. L’effet le plus marquant, et peut-être le plus équilibré, le plus harmonieux, est obtenu par précisément ces deux larges crosses enroulées, ou plutôt fermées sur elles-mêmes, au bord de l’éclatement mais ne le réalisant pas, qui encadrent la tête (cette allure soignée des crosses semble caractéristique de la période : ainsi, elle existe en EISMS, pl. LVII d en dépit de l’aspect général négligé de la stèle).
71Tel est le kīrtimukha de la troisième période : équilibre et harmonie des volumes, puisqu’il s’agit bien de volumes quand on évoque la tête et les deux crosses latérales, entre lesquelles prennent place des branches plus déchiquetées et d’un traitement en aplat, aucune confusion n’est donc créée et l’unité est conservée.
72On notera que certaines pièces bouddhiques (fig.60)15 s’écartent du schéma type de l’oeuvre de la troisième période par quelques particularismes :
la stèle est évidée, son sommet est pointu, mais elle est privée du kīrtimukha, des vidyādhara, du thème du trône royal,
le bord est orné du feuillage complexe, extérieur au bandeau plat, seuls le nimbe et l’armature architecturale du trône décorent la dalle de fond,
les bords du socle à redans ne sont pas marqués : la surface est nue, seulement occupée d’adorants ; fait important, le ratha médian est orné de deux volutes foliagées et tournées symétriquement par rapport à la tige soutenant le lotus qui sert de sol à la divinité (le lotus jaillit donc directement du socle) : point commun avec le groupe principal s’il n’y avait absence des listels du socle (une Tara, Śakti Cult and Tārā, ed. by D.C. SIRCAR, Univ. of Calcutta, 1967, pl. VIII présente un socle d’état intermédiaire entre le socle à listels et petites niches de la deuxième période et celui caractéristique de la troisième période, puisqu’il présente une avancée médiane avec des boucles foliagées et lotus supportant la divinité et des listels aux redans latéraux). Disparition des listels. Point commun avec la troisième période : lotus issant d’un bouton d’où deux crosses s’échappent latéralement. Dissemblance avec la troisième période : socle à surface vierge.
deux ceintures sont portées, ornées d’une lourde pendeloque centrale, d’anses perlées et de petites pendeloques intermédiaires, de deux pattes d’étoffe, qui ne s’observent que dans les oeuvres de la période III, porteuses de signes avant-coureurs de la quatrième (on verra ci-dessous) ;
la fig. 60 présente tombant entre les seins un collier qui ne sera généralisé qu’à la période suivante,
elle porte également des anses perlées aux bracelets : élément de transition vers la période qui suit.
73On peut supposer que ces quelques rares pièces sont, par plusieurs motifs, des oeuvres de la transition vers la période IV ; mais, d’autre part, elles s’écartent de la veine créatrice alors généralisée : les motifs marquants de la troisième période en sont absents. La quatrième période secrétera aussi un noyau dissident fort important en nombre : on verra alors que certains de ses motifs procèdent de ceux présentement analysés dans ces Tārā.
Pièces qui composent la charnière entre les troisième et quatrième périodes.
74Sporadiquement, de nouveaux motifs font surface : leur rareté au sein des pièces groupées sous l’étiquette “troisième période” peut les faire ignorer, si on ne réalisait, a posteriori, leur importance puisqu’il seront repris, amplifiés, mis à la mode pendant la période suivante.
75Le fait n’est pas neuf : ces “épiphénomènes” ont déjà pu être notés, et dans une situation analogue, au groupe qui s’articule entre les périodes II et III, et ils sont devenus caractéristiques de cette dernière période. La situation se pose également ici. On citera donc ces quelques motifs (en se référant directement aux pièces), non caractéristiques de la troisième mais bien de la phase ultérieure :
apparition d’un mukuṭa conique, toujours surmonté de l’āmalaka côtelé (fig. 54),
large ceinture orfévrie, accompagnée de deux petites pattes d’étoffe (fig. 54 et 56), voire d’un noeud en étoffe (fig. 58),
apparition de fleurs sur d’autres ratha que le médian (fig. 58),
anses au bracelet triangulaire (fig. 56, EISMS, pl. XLIII c, où à côté de cet élément de nouveauté, se voit encore l’ancien chignon circulaire pour les épouses du dieu, Oriental Art, XV, 4, p. 283, fig. 1 et 2).
76Ces divers éléments n’apparaissent pas tous sur les mêmes pièces, la plupart de ces dernières étant encore caractéristiques de la troisième période. Il est donc impossible de définir strictement un groupe différent de III, différent de IV et se plaçant, chronologiquement parlant, entre les deux.
77De même, ces quelques oeuvres montrent que les périodes ne peuvent être envisagées indépendamment les unes des autres, mais qu’elles s’articulent les unes aux autres par ces charnières.
***
Quatrième période
78Un nombre encore croissant de critères communs étayent nos certitudes pour la quatrième et dernière période (illustrée aux figures 58 à 73). Le manque d’innovations est compensé par une modification subtile et infime parfois qui s’exerce sur le motif lui-même. Ces nuances légères scandent la période en différentes phases, à moins qu’elles ne la facètent avec richesse et variété.
79Il faut reprendre ces divers motifs qui apparaissent ici, simultanément sur pratiquement chaque pièce du groupe ainsi déterminé, car ces modifications évoquées plus haut n’existent pas d’une façon éparse, on le verra, leur gestation a été unique, une ligne directrice seule a prévalu à leur réalisation et développement. D’autre part, l’analyse permettra a posteriori d’établir une distinction claire entre deux lots d’oeuvres.
80Par les motifs qui la réunissent à la période III, et par leur état similaire ou peu évolué, cette nouvelle période se définit comme le prolongement de la période antérieure.
81La dalle de fond est évidée autour du dieu central. Elle conserve son sommet pointu d’une manière plus marquée qu’auparavant, les pans obliques sont nettement concaves, creusés avec fermeté.
82Le masque de monstre se modifie : celui-ci n’est plus en haut-relief, il est désormais aplati et la pointe “végétale” née du front et qui se développait en III, pratiquement horizontale (ou légèrement oblique) vers l’arrière est, dès lors, redressée verticalement. Rabattement vers l’avant donc qui répond à un traitement nouveau, presque en aplat, également marqué dans les boucles de feuillage surgissant des commissures de la bouche ; les belles et lourdes crosses de feuillage sont conservées, de part et d’autre de la tête ; en outre, le feuillage se disperse : il n’est plus centré, réservé à ces deux boucles, car plusieurs branches déchiquetées, tourmentées entourent la langue triangulaire elle-même dentelée. Cette exubérance va se développant au fur et à mesure que la période avance dans le temps.
83Cependant certains kīrtimukha (fig. 65, voir aussi L’Art Indien dans les Collections Belges, catalogue de l’exposition, Bruxelles, 1969, pl. 16, EISMS, pl. LIV e, g, LXIII, IBB, pl. XXV) se séparent nettement de ceux que nous venons de voir : front et langue y sont de simples triangles à peine décorés ; boucles de feuillage y sont ébauchées et seule leur forme extérieure est rendue. Comme les pièces caractérisées par cet aspect décanté présentent une coïncidence des autres motifs ici envisagés (si ce n’est la nudité de la dalle de fond), c’est là peut-être un épiphénomène, “sonnette d’alarme” à l’intérieur de la période (d’une part, la dalle de fond vierge, la simplification de la tête de gloire sont peut-être des signes avant-coureurs d’une évolution brutalement enrayée, d’autre part, on peut s’interroger sur les aboutissements de cet art lancé dans la voie de la surcharge décorative).
84L’unité des formes de jadis semble s’étioler, mise au service du foisonnement décoratif, en fait elle subsiste mais le thème même du motif – élément primordial pendant la période III, la tête de monstre s’orne d’un halo feuilleté ; une tendance s’accroît : développement des volutes, des branches vers le bas, cernant le haut du nimbe et rejoignant même parfois les queues des gandharva musiciens (fig. 59, 63, 64, 66, 68 ; voir aussi A. K. Coomaraswamy, pl. XXIV).
85Le nimbe est constant : il est aplati et ne dépasse généralement pas la coiffure de la divinité ; il est délimité par une large bande unie (qui peut être doublée) qui renvoie à la période précédente. Une bande étroite analogue court sur le bord externe de la stèle, parfois accompagnée d’une bande de feuillage complexe.
86Rappelons que la troisième phase artistique était marquée par la représentation intégrale du thème du trône royal : il en va de même maintenant mais des nuances vont être nécessaires. La grande simplicité du thème (éléphant, vyāla, makara, haṃsa/gandharva en superposition sont figurés comme ils l’étaient à l’époque post-gupta : fidélité absolue au thème) dans son traitement en III disparaît. Ce qui suit ne vaut pas pour toutes les oeuvres, les variations semblent en effet infinies mais elles témoignent toutes d’une même attitude artistique :
les animaux présentent un aspect tourmenté, tel le vyāla animé d’une véritable torsion sur lui-même, regardant le petit homme qui le chevauche (fig. 67), car
aux animaux, se mêlent de petits personnages (fig. 59, 66-68), entre les pattes du léogryphe ou assis sur sa croupe (EISMS, pl. XLIII a, b, d, XLIV b, c, LXI c) ; makara et vyāla peuvent cracher un élément végétal ou de perlage, et même de la gueule béante du monstre marin, peut jaillir un quelconque génie en une attitude d’envol gracile et harmonieuse (EISMS, pl. XLIII d à comparer avec nos fig. 66-67) ; on notera la présence de petits êtres non seulement avec le vyāla mais aussi dans les volutes latérales du kῑrtimukha (fig. 59, 67-68) !
cet aspect tourmenté s’accompagne d’une réelle vivacité de mouvement : le hiératisme de la période III a disparu ; dans ces animaux, surgit une vie inconnue auparavant ; ils jaillissent, se cabrent, vivent ;
le makara est tendu, sa trompe se relève avec fermeté, tout l’avant-corps désormais figure, puisque la patte avant est représentée avec soin et minutie ; type de makara dont nous découvrons le correspondant direct dans les admirables gargouilles découvertes à Gauda ou ailleurs au Bengale (fig. 69, EISMS, pl. LXXI, LXXXI d) et que l’on peut très certainement assigner à la même époque. Les abouts du linteau sont de véritables miniaturalisations de ces oeuvres, reproduisant dans le détail la moustache, l’oreille et l’oeil d’où semble jaillir cette corne si typique du makara ;
il semble que le haṃsa ait définitivement laissé sa place au couple de gandharva ; d’une manière irrémédiable, homme et femme entourent à gauche et à droite le nimbe, l’un jouant de la vina, l’autre agitant des grelots ( ?). Fantaisie, liberté laissée à l’imagination vagabonde ont donc cours ici.
87Demeurons encore un bref moment dans cet appareil décoratif où tout semble concourir à un décor couvrant, pouvant mener peut-être à créer une certaine confusion : les vidyādhara conservent de la période III leur mukuṭa pointus et leurs épouses. Quant à leurs nuages, ils sont résolument dentelés, le contour en est animé d’une ligne non ondulante, mais formée par à-coups, par petites bouclettes.
88La joaillerie ne connaît que peu d’innovations déterminantes : à la ceinture, sont accrochées les quatre anses perlées et petites pendeloques intermédiaires et, comme on a déjà pu le noter pour les animaux, un soin tout particulier est apporté à cette bijouterie, les pendeloques tombent plus bas sur les jambes qu’auparavant puisque leur extrémité dépasse la courbe inférieure des anses perlées ; entre les jambes, pend la pendeloque orfévrie, encore plus lourde, véritable joyau qui tombe jusqu’aux genoux (rejoignant parfois chez Viṣṇu sa guirlande de fleurs) ; enfin, autre élément déjà découvert aux périodes antérieures : la patte étoffée sur la gauche qui est animée d’un léger mouvement ondoyant, comme soulevée par un souffle. Un seul fait est typiquement (mise à part la largeur de la ceinture) de cette époque : un noeud d’étoffe tombe sur la hanche droite, pendant qui équilibre la patte d’étoffe de la gauche. C’est durant la charnière III-IV qu’était apparue une seconde petite patte (une patte sur chaque hanche), véritable transition entre la situation à la période III (une seule patte, sur la droite : pièces bengalies, ou sur la gauche : pièces bihāries) et celle de la période IV (une seule patte sur la gauche et à droite le petit noeud). Même souplesse d’étoffe, même nonchalance que pour la patte. Patte, noeud et anses perlées sont accrochés à la ceinture large et orfévrie (disparition de la seconde ceinture légère), dont le bord inférieur est marqué par un rang de clochettes ( ?) ou de perles.
89Un nouveau type de collier orne la poitrine des divinités féminines et maculines, déjà apparu dans la troisième période sur quelques pièces dissidentes (et comme ornement de divinités féminines, les Tārā). Collier généralisé donc que celui-là qui suit étroitement la courbe des seins et dont la ligne générale ainsi obtenue est curieusement appliquée sur la poitrine des dieux (qui le portent cependant moins souvent que leurs comparses féminines).
90Il reste une autre généralisation d’un fait apparu durant la transition qui n’est pas faite pour nous surprendre : les bracelets triangulaires du bras (à base étroite mais plus élevés qu’auparavant) s’ornent de petites anses perlées, vraisemblable emprunt à la ceinture.
91Quelques petites nouveautés donc (petit noeud, large ceinture unique, anses perlées au bracelet), en même temps qu’évoluent dans le sens de la complexité les motifs hérités du passé (anses de la ceinture, patte étoffée, lourde pendeloque).
92Pas de nouveautés mais uniquement une transformation suivie d’une évolution pour ce qui est des coiffes : le chignon féminin, posé sur l’épaule, s’orne d’une bande orfévrie (fig. 66-67, 70), la chevelure se fait plus lourde, la chute des cheveux est pesante et dénuderait le haut de la tête si la couronne de jadis ne s’y trouvait point, avec anses perlées et petites pendeloques accrochées à une fleur centrale, avec fleurons triangulaires (parfois exagérément développés).
93Le mukuṭa de Viṣṇu n’est plus pyramidal (fig. 65-68) : il est conique et même plutôt bulbeux, mais toujours surmonté de l’āmalaka apparu à la période III. Bulbe lisse et cerné de bandes étroites orfévries.
94Le jaṭāmukuṭa (chignon tressé) à été, jusqu’à présent, ignoré ; il est porté par Śiva, Brahmā, Lalitā Devī et différents personnages du parthéon bouddhique. Enchevêtrement de cheveux régulièrement mis avec, au sommet, un bouton de lotus épanoui (EISMS, pl. LIV a, e, g). Mais la texture du cheveu ne se laisse plus deviner. Durant la troisième période (C. Sivaramamurti, L’Art en Inde, Paris, 1974, fig. 70) et encore pendant la période charnière (fig.55), des mèches de cheveux tombent verticalement, resserrées et tenues par d’autres mèches, horizontales ; maintenant, seules ces dernières subsistent, le rendu des autres a cédé la place à de petites bouclettes (ibid., fig. 71, EISMS, pl. LIV a, LVI b, LX, b, et notre fig. 64)16.
95Cette évolution raffinée que l’on serait peut-être tenté d’appeler préciosité atteint également les attributs des divinités : un noeud d’étoffe, élégant dans son mouvement, prend place sur la massue de Viṣṇu déjà représenté antérieurement mais avec plus de simplicité, le disque du même dieu voit se développer un élément triangulaire apparu avec des tâtonnements divers au cours de la période précédente, maintenant, l’ornement est nettement formé : triangulaire, fait de joyaux (fig. 65-68).
96Déjà, on a noté l’exubérance des crosses de feuillage du kῑrtimukha. Un même amour du rinceau sculpté, de la courbe apparaît au décor du socle : les deux fleurs de la troisième période qui y occupaient uniquement le ratha médian sont conservées mais les rhizomes se développent sur les ratha latéraux, de nouvelles fleurs y apparaissent ; éléments végétaux lourds, aux larges arabesques pesantes qui ornent entièrement le socle. Un deuxième développement se décèle : de la troisième époque, subsistent les listels (des bords inférieur et supérieur) et les deux tenons médians du redan central, ces listels sont sculptés comme jadis mais de nouveaux petits tenons apparaissent aux extrémités de chaque redan, dont, désormais, le nombre n’est jamais inférieur à sept.
97Période nettement déterminée donc par : le sommet de dalle de fond de forme pointue avec kῑrtimukha traité en aplat dont les volutes de feuillage s’accompagnent désormais de branches ondoyantes qui tombent vers le bas ; l’évidement de la dalle de fond ; le nimbe aplati ; la fantaisie mise en jeu dans la figuration du thème du trône royal ; les mukuta pointus et les nuages dentelés des vidyādhara ; la ceinture large avec lourde pendeloque, anses perlées et petites pendeloques, petite patte et noeud en étoffe ; les trois colliers : perlé, orfévri, tombant entre les seins (nouveauté généralisée pour les déesses) ; les anses perlées au bracelet triangulaire ; le chignon féminin bandé d’un ornement orfévri et qui repose sur l’épaule ; le mukuṭa bulbeux avec āmalaka ; le jaṭāmukuṭa à boucles ; le socle entièrement recouvert de rhizomes de lotus et dont les deux listels sont sculptés avec de nouveaux petits tenons aux angles des redans.
98Cette palette décorative réunit des éléments propres à toute la période, mais il en est d’autres, de divers ordres, qui soit semblent attester de l’existence de deux courants artistiques à l’intérieur de la production des deux provinces, soit marquent une étape chronologique particulière, c’est-à-dire jalonnent la période, en font surgir l’évolution interne.
99Une dissidence rompt l’unité profonde, réelle et sentie de cette période (fig. 70 à 73)17. Certaines oeuvres présentent des motifs qui divergent dans leur conception et leur morphologie de ceux énoncés plus haut tandis que d’autres demeurent, spécifiques de toute la période. On soulève là un fort délicat problème qui est celui des éventuelles écoles régionales18.
100Le sommet de stèle est pointu mais non décoré du kīrtimukha (à sa place, se trouve soit un petit stūpa, soit un Jina à moins qu’il ne soit pas décoré). La dalle de fond ne possède qu’un décor modeste, car en sont absents non seulement le kïrtimukha mais aussi les vidyādhara et tout le thème du trône royal (avec éventuellement à la place du vyāla une chute de draperie). Du trône, il ne subsiste que l’armature architecturale, également visible dans le groupe principal (mais très souvent dissimulée par l’envahissant décor animalier).
101Un double bandeau marque le bord de la dalle de fond : le premier, intérieur au second, est le bandeau plat mais non toujours décoré des motifs abstraits du groupe principal (par ex. fig. 65 à 67), le second, externe, est cette bande de feuillage (flammes ?) mouvementé et complexe (et qui apparaît sporadiquement dans le groupe principal).
102Contrairement à la situation dans le groupe principal, on trouve encore ici quelques motifs simples réalisés au cours des premières périodes : le rang perlé et la torsade perlée.
103Le nimbe est constant mais jamais il n’est aplati, il adopte une forme soit circulaire soit ovale.
104Un développement particulier est très bien perçu : en début de période, un élément végétal à l’état encore embryonnaire apparaît comme jaillissant de derrière le nimbe. Progressivement, un entrelac de tiges de lotus envahit le fond de stèle primitivement nu. L’évolution est très bien sentie de la fig. 70 à la fig. 73, qui représentent les pôles extrêmes de cette évolution : un petit élément végétal apparaît au-dessus du nimbe de la fig. 70, peut-être raccroché – la lecture du cliché n’est pas nette – au lotus sur lequel est assis le Jina du sommet, tandis qu’en fig. 73, chaque petit lotus-siège est raccroché à une vigoureuse crosse foliagée. A ce moment, la nudité n’existe plus, le rhizome couvre tout l’espace ceignant le nimbe. Cette évolution d’un seul motif est irréversible. Le passage du foisonnement de la fig. 73 à la simplicité de la fig. 40 semble hautement improbable, d’autant plus que ce dernier caractère a été observé antérieurement sur quelques oeuvres dissidentes de la troisième période (fig. 60). Nous ferons d’autre part appel, une fois n’est pas coutume, à un élément de chronologie absolue : deux oeuvres sont datées du règne du roi Rāmapāla, nous ne nous soucierons pas de la situation historique de ce règne, mais seulement des dates respectives de ces deux oeuvres à l’intérieur du règne. La première est datée de l’an 2 du règne (fig. 70), la seconde figure un Khasarpana Lokeśvara, de l’an 42 (EISMS, pl. V b), soit près d’un demi-siècle postérieur à la Tara. L’oeuvre brisée dans sa partie supérieure nous permet, avec chance, d’observer encore la courbe inférieure d’une crosse de rhizome analogue à celles de la fig. 73 mais introuvables en fig. 70 ; la postériorité ne fait ici aucun doute (on verra aussi EISMS, pl. XXXIII a).
105Le chignon ceint d’une bande orfévrie repose sur l’épaule, mais l’iconographie peut obliger certains personnages féminins à porter une autre coiffure et il peut être impossible de représenter ce chignon (ainsi les personnages à plusieurs visages) (fig. 72-73). Autre analogie avec le groupe principal : des anses perlées et des petites pendeloques intermédiaires (perlées, le plus souvent) ornent le haut de la tête mais elles reposent directement sur la chevelure aplatie et sur une couronne. Toutefois, une certaine fantaisie n’est pas toujours absente de ces coiffures (E Baktay pl. IX).
106Le bracelet triangulaire du bras est conservé : il est orfévri et large à sa base, différent donc de celui du groupe principal avec lequel il diffère encore en ce qui concerne les anses perlées, absentes ici.
107La ceinture unique est large et orfévrie, il en pend une lourde pendeloque achevée par un gland. Inconstance dans la présence des anses perlées (cliché Musée Guimet 16613/27). La patte étoffée figure, rendue, semble-t-il, avec plus de minutie que dans l’autre groupe, tandis que le noeud en même matière est absent.
108Les trois colliers ne semblent être portés que par les personnages féminins ; excepté le dieu Jambhala, les Bodhisattva et assistants ne l’ont pas.
109La morphologie du socle n’est pas toujours identique dans tous les exemples mais on y décèle des lignes maîtresses et unitaires. Aucun bord, ni inférieur, ni supérieur, n’est marqué (et a fortiori donc pas de listels ornés de tenons). Le socle compte au moins trois redans entièrement recouverts de rhizomes foliagés, lesquels se développent en de puissantes et larges crosses à partir du ratha central : un bouton de lotus s’y ouvre pour laisser s’échapper trois tiges, dont deux correspondent aux fleurs qui ornent le même redan, la troisième supporte la double corolle sur laquelle se tient la divinité (double corolle dont le plateau supérieur est bordé par un rang perlé).
110En comparant les deux groupes – le principal, le dissident – on observe une simultanéité dans la représentation de plusieurs motifs mais il faut y apporter ici et là des nuances : permanence du sommet pointu avec pans concaves mais le kīrtimukha en est absent, du nimbe mais il n’est pas aplati, du bandeau plat bordant la dalle mais on n’y trouve pas toujours les motifs abstraits constants dans le groupe principal, du feuillage complexe, en position analogue, mais il y n’est pas constant dans le même premier groupe, de l’évidement de la dalle de fond mais il n’a pas la même fréquence que dans le premier groupe, du chignon qui a basculé sur l’épaule mais qui n’est guère fréquent, de la bijouterie (anses et pendeloques) qui orne le haut de la tête mais absence de la couronne ici, du bracelet triangulaire mais sa base est plus large et il est dépourvu d’anses perlées, de la large ceinture avec patte d’étoffe et lourde pendeloque mais on n’y trouve ni le petit noeud en étoffe, ni, sauf rares exceptions, les anses perlées, des deux colliers (orfévri, perlé) au cou des hommes et des trois colliers (orfévri, perlé, collier entre les seins) au cou des femmes, du châle porté par tous.
111En général, des motifs analysés dans le groupe principal ne se retrouvent que sporadiquement dans le second groupe et vice versa. Tout se passe comme si deux groupes particuliers d’oeuvres, caractérisés par certains motifs, évoluent parallèlement, et que, parfois, ils s’empruntent certains motifs alors que d’autres ne le seront jamais.
112En s’appuyant sur la concordance des deux groupes à se partager un grand nombre de motifs, une filiation d’un groupe à l’autre ne pourrait-elle être suggérée ? Non. Une certaine succession artistique existe depuis la période II, traversant la troisième période (“groupe dissident”) et s’achevant maintenant avec ce deuxième lot d’oeuvres “dissidentes”.
113Certains motifs en sont ici à leurs dernières et très rares représentations – agonie de ces motifs –, ils ne se retrouvent pas dans les périodes hindouistes III et IV (c’est-à-dire les groupes qui ont servi à la démonstration) ; ce sont : le rang perlé, la torsade perlée et, exceptionnellement, la flamme dite de type particulier.
114Il est aussi impossible d’évoquer deux évolutions indépendantes : les éléments communs et les emprunts respectifs et épisodiques que les deux groupes se font sont là pour démentir cette éventualité.
115Pendant la période III déjà, quelques oeuvres se séparaient de l’ensemble de la phase par certains détails, qui, certains d’entre eux du moins, annonçaient le groupe dissident actuellement envisagé : socle d’une surface unie, sans rebords sculptés (et seulement décoré de deux fleurs sur le redan central), forme pointue de la dalle de fond et absence du kīrtimukha, absence du thème du trône royal, des vidyādhara, présence de deux bandes sur le bord de stèle (unie, feuilles de type simple ou complexe).
116Ce groupe-ci hérite de certaines dissidences du précédent groupe dissident (période III), par exemple, la pointe de la dalle de fond est conservée mais en adoptant la courbe de celle du groupe principal. D’autre part, de nombreux éléments du quatrième groupe (principal) passèrent d’une manière toute sporadique dans ce groupe et vice versa : une relative constance s’observe dans la présence du feuillage complexe sur le bord de stèle dans le groupe dissident, or quelques exemples seulement sont décelés dans le groupe principal (fig. 66). De même le socle tel qu’il apparaît comme typique du groupe dissident trouve quelques correspondants dans l’art du groupe principal (EISMS, pl. XLIV a) et vice versa (fig. 73).
117Voilà qui suffit à exclure définitivement l’hypothèse d’une filiation dans un sens ou dans l’autre. Il reste alors :
que deux groupes sont l’un vis-à-vis de l’autre en de très étroits rapports, malgré des divergences externes,
que, dès ce moment, ils constituent deux aspects d’une même stylistique et appartiennent chronologiquement à une même période.
118Le problème peut paraître résolu, mais seulement en partie : des tendances différentes ont vu le jour dès la deuxième période, elles se sont maintenant précisées et ont été réalisées ; ces courants correspondent pour l’un à l’art bouddhique et bihāri (“groupe dissident”), pour l’autre à l’art hindouiste et bengali, avec entre les deux une frange où s’échangent des motifs, où une immixtion décorative s’opère, application du principe des vases communicants.
119L’examen a fait surgir une progression dans la vie de la statuaire pāla-sena, il en a défini les jalons dominants : en s’arrêtant à ces ronds-points que constituent les phases de transition, en provoquant une nouvelle escale aux périodes proprement dites, les unes entraînant les autres d’une manière irréfutable et irréversible ; toujours, les périodes sont analysées dans leurs rapports avec ce qui précède et avec ce qui suit. Maillon après maillon, nous avons atteint l’extrémité de la chaîne. Petit arrêt sur cet organisme vivant que représente cette dernière période.
Corollaire : vie interne d’une période
120Une période ne se définit que dans ses rapports avec celle qui précède et celle qui lui succède, les motifs qui la caractérisent ne peuvent être élus que dans le cadre d’une approche générale et comparative des oeuvres de l’époque pāla-sena. Dans le creuset plus réduit que constitue une période, il peut s’avérer des divergences importantes, telles celles aperçues et analysées plus haut, mais qui n’entraînent point une rupture dans la phase artistique, tandis que des nuances peuvent aussi exister mais qui sont moins nettement discernables, nuances qui, très souvent, sont aperçues a posteriori, lorsque la période est définie.
121Ces modulations subtiles parfois, décisives souvent pour le sens du déroulement chronologique, démontrent la vie de cet art : une période artistique ne correspond nullement à une stagnation au cours de laquelle on se satisfait des résultats acquis en début de période et que l’on répète à satiété. Au contraire, et ce corollaire va dans ce sens, on y décèle des mouvements, des allées et venues. Déjà on a, à plus d’une reprise, parlé d’“épiphénomènes” : de ces motifs qui, soudainement, surgissent dans une période, annonciateurs parfois de ce qui ne se développera qu’ultérieurement. Et l’on peut supposer peut-être encore d’autres épiphénomènes non remarqués par l’oeil parce que la sélection du goût n’a pas joué en leur faveur.
122Parallèlement à ces embryons naissants et les englobant même, toute une gamme de variations peut se révéler. Tel est le cas de cette dernière période, où l’on ne peut user du terme “épiphénomène” puisque de manière irréfutable, l’histoire interdit de connaître l’avenir de cet art.
123A proprement parler, il ne s’agit pas de motifs nouveaux, de motifs différents mais bien plutôt du traitement moderne qu’ils connaissent.
124Le châle qui recouvre la poitrine est plissé, des plis sont également indiqués à la jupe, courte pour les dieux, longue pour les déesses. Plis droits, marqués d’un ou, rarement, de deux traits incisés parallèlement : tel est leur aspect, similaire à celui de la période précédente, et donc probable élément de liaison avec cette dernière. Or, à un moment donné, la mode des plis ondulés naît et très rapidement, semble-t-il, se généralise pour bientôt n’être que seule à exister. Traitement qui a dû apparaître tôt dans la période. Pourquoi ? Les unes après les autres, les raisons surgiront au cours de cet appendice : on y appréhendera cette mutation vitale développée au cours d’une seule période ; mais d’une manière plus générale, il fera comprendre que la division en périodes ne s’opère parfois qu’après un certain nombre d’essais quelquefois infructueux et qu’elle n’exclut aucunement la notion de l’art vivant (l’accentuant au contraire).
125Un premier fait à déjà été noté : l’ondulation des plis des vêtements. Le cordon de brâhmane connaît une façon d’être analogue, or ce fait n’a pas été trouvé durant la période III. Quelques constatations, dès lors, s’imposent :
il est des oeuvres où la concomitance des deux faits n’est pas réalisée et où seuls les vêtements connaissent cette mode (fig. 63, 64),
là où le cordon de brâhmane ondule (fig. 65, 66), un nouvel élément est généralement apparu : au cou des divinités masculines, pend un collier qui adopte une étrange forme, qui s’explique lorsqu’on jette un regard sur la bijouterie féminine.
126En poursuivant le cheminement abordé, on découvre d’autres faits :
vêtements à plis ondulés alors que le cordon de brâhmane ne l’est pas (fig. 58). Les personnages secondaires n’ont pas à leur ceinture un noeud et une patte en étoffe mais bien une ou deux pattes de cette matière, comme lors de la charnière qui nous a menés de III en IV. Enfin, une oeuvre qui présente ces divers critères n’offre pas de tenons aux extrémités des différents ratha du socle : événement qui renvoie à la troisième période (on verra Indian sculpture, a travelling exhibition, London, 1971, fig 12).
vêtements à plis ondulés, cordon de brâhmane ondulé : les pièces qui possèdent ces critères s’accordent à la définition de la période IV fournie plus haut : présence du noeud à la ceinture des personnages – secondaires ou non –, présence des petits tenons sur les listels du socle (fig. 65, 67).
127Plusieurs sous-périodes peuvent être alors déterminées : la première, brève et héritant directement de la période III par l’intermédiaire de la charnière pour ses grandes caractéristiques déjà évoquées, où l’ondulation des vêtements et du cordon de brâhmane n’existe pas, où seules les femmes portent ce collier qui tombe entre les seins, où les personnages secondaires ont deux pattes d’étoffe à la ceinture ; une deuxième, où une modification voit le jour ; ondulation des plis du vêtement, tandis que subsistent les pattes d’étoffe, le collier entre les seins, le cordon de brâhmane en une situation identique à précédemment ; enfin une troisième et dernière au cours de laquelle non seulement les vêtements, mais aussi le cordon de brâhmane ondulent, le troisième collier (propre aux femmes antérieurement) est porté par les divinités masculines, les petits personnages (comme les grands) ont une ceinture avec patte et noeud d’étoffe.
128Cette division tri-partie de la dernière période permet en fait de saisir l’évolution à un niveau où, souvent, elle se marque à un moindre degré. Les motifs évoqués ici dans leur vie n’ont guère été très souvent remarqués antérieurement.
129Pourquoi ?
130Jusqu’à la quatrième période, l’évolution est nette, frappante : les éléments, déterminants, caractéristiques, imposent eux-même leur choix en tant que motifs directeurs de cette évolution, qui nous a conduits jusqu’à cette quatrième et dernière période. Au long de toute celle-ci, ses grandes acquisitions demeurent : les mutations s’effectuent sur le détail, permettant de raffiner davantage encore l’analyse de cette séquence vitale de l’art pāla-sena ; ces observations se posent en conséquence de l’évolution proposée qu’elles viennent, de fait, renforcer.
***
Survol chronologique de la stele Pala-Sena
131Tel l’écheveau dévidé dont les noeuds ont été dénoués, la statuaire pāla-sena a révélé un cheminement unique. Des motifs, d’une vie plus ou moins longue, d’une morphologie constante ou non, charpentent une évolution ; d’autres ont été laissés momentanément de côté parce que non déterminants en matière de chronologie, parce que trop rares. Mais ils participent aussi au même flux évolutif (nuage des vidyādhara, pétales du lotus sur lequel se tient la divinité, ūrṇā et tilaka sur le front).
132La période qui inaugure l’évolution est une phase de simplicité dans le choix des motifs décoratifs et de sobriété dans leur traitement : rang perlé, petites feuilles simplement recourbées, bande grillagée avec fleurs de lotus mettent en valeur la nudité de la dalle de fond. Discrétion de la bijouterie, des ornements, des attributs qui rehausse la nudité des corps.
133Participant au même mouvement, la constitution de la stèle est solide : socle de largeur étroite, dalle de fond d’une seule venue (l’évidement, quand il apparaît, est limité à la partie de la dalle entourant les jambes – sous les genoux), personnages “prisonniers” de cette dalle.
134Première phase esthétique que l’on pourrait dire “fermée”.
135Spatialement, l’oeuvre constitue un univers clos.
136La sobriété déjà remarquée met en valeur la divinité principale, chaque motif renvoie à celle-ci.
137La sensualité est discrète, timide mais chaude : les volumes sont ronds, pleins, le rendu de la chair est doux, délicat, il y a plus évocation qu’expression proprement dite (plis du ventre marqués sans ostentation, avec naturel ; sourire pensif, discret et à peine effleuré, rare, une certaine sévérité sobre semble être de rigueur).
138Effarouchement peut-être, mais l’ensemble de l’oeuvre reflète une limitation dans les moyens, un manque d’affirmation et une défaite momentanée face au problème posé : réaliser une oeuvre en haut-relief en ne lui supprimant pas le soutien qu’est la dalle de fond (ce qui provoque des difficultés, non existantes lors de la réalisation gupta des grands Buddha, privés de dalle de fond unitaire). L’éprouvette que constitue une oeuvre d’art voit tous ces éléments muter ou se stabiliser, car chacun participe au même courant évolutif et contribue à le définir, à le tracer et, dans cette première période, à l’humilité des motifs décoratifs qui ornent la surface, à la discrétion de la sensualité, s’allie une timidité dans l’expression (et la réalisation) des volumes.
139A la phase suivante (période II), correspondent les éléments nouveaux qui semblent bien tous appartenir à une même vague novatrice, afflux brutal que rien n’avait annoncé précédemment. Ce mouvement de renouvellement se poursuit d’ailleurs et s’achève au début de la période suivante. Phase de vitalité, d’enrichissement de la palette décorative.
140Ces motifs modernes sont très importants (torsade perlée, bandeau plat, kīrtimukha, flammes d’un type particulier, nouvelle forme de la stèle qui peu à peu se précise) en ce qui concerne les rapports de l’art pāla-sena avec les autres provinces de l’art indien (donc évocation partielle des origines de cette statuaire pāla-sena) et d’autre part avec l’art javanais. En effet, c’est à ce moment précis de l’histoire de la statuaire pāla-sena que correspond un faisceau d’éléments qui trouvent leurs exacts et, bien souvent, leurs uniques correspondants dans la statuaire de Java central.
141Ce qui caractérisait cette seconde période, c’était donc d’une part la mutation rapide d’anciens motifs, c’était, d’autre part, l’apparition de nouveaux motifs et c’était, enfin, la gestation perçue de motifs qui caractériseront la troisième période. Ainsi dès le début de celle-ci, sont définitivement acquis les motifs qui ornent personnages, dalle de fond, socle (et dont la longue liste ne sera plus reprise ici), même en connaissant des apports ou modifications mineures au cours de la quatrième période.
142Le parti pris de l’exubérance est ici annoncé.
143Qu’est la troisième période ?
144Malgré l’équilibre, la sobriété qui existent dans le décor, on sent déjà sous-jacente cette ardeur qui fera vibrer le moindre motif durant la dernière période. Si les préceptes iconographiques interdisent à la divinité principale d’être entraînée dans un mouvement, celui-ci jaillira du décor ambiant, des personnages subalternes. Référons-nous à ces derniers : leurs attitudes sont gauches, d’un naturel – peu naturel – forcé ; corps peu souples, figés en leurs positions (qu’imposent probablement les nouvelles motivations esthétiques), bhaṅga maladroitement rendus, corps fragmenté en lignes sèches rattachées entre elles par des angles aigus et froids. Précisément ces corps rappellent ceux de la deuxième période, cette sensualité chaude et lourde, sans pour autant y être disgracieuse qu’on y notait.
145Malheureusement, la troisième période doit allier à ces corps jeunes et tièdes de la période précédente une nouvelle sensualité non plus provoquée par la texture de la chair mais par les attitudes prises par le corps.
146Cette exagération mal seyante des attitudes si elle est caractéristique maintenant, se découvrait déjà à la période II (voir notamment IBI, II, fig. 14), bien que non généralisée, elle formait une dissonance à l’intérieur de ce groupe et pouvait laisser prévoir des bouleversements esthétiques. Mais ce n’est pas le lieu de développer des considérations esthétiques plus particulières sur la statuaire pāla-sena, où on peut, effectivement, suivre une vie parallèle à celle des motifs. Sur le plan formel, le résultat est négatif : les articulations raides, qui résultent de la nouvelle position instable des corps, amorce de la quatrième période, et, souvenir de la seconde, les volumes ronds qui enrobent ces mêmes jointures entrent en désaccord.
147Le sourire est maintenant généralisé : béat de dévotion pour les personnages secondaires, il n’y est certes pas une réussite, mais calme, paisible et empreint d’une certaine douceur pour la divinité.
148En cette période III, est donc définitivement constituée la palette décorative (bijouterie, lotus du socle, trône royal, kīrtimukha), aboutissement d’une tendance apparue dès les débuts de l’époque pāla-sena, et surtout développée pendant la période II ; la période IV ne constituera qu’un prolongement de la troisième en ce domaine.
149Cette période clôt donc une première époque de l’art pāla-sena, caractérisée par : des recherches et un enrichissement permanent du matériel décoratif ; une tendance à rendre ce décor couvrant. Ces deux courants seront toujours sous-tendants au cours de la période suivante mais domineront une sophistication, une exubérance croissante du décor, qui remplira la moindre parcelle vierge de la dalle de fond ou du socle qui aurait pu y subsister.
Quatrième période : prolongement de la troisième.
150Effectivement, il n’y aura que trop peu de nouveautés marquantes, le travail consiste à ciseler des faits potentiellement compris dans la période précédente. Ainsi, la vie encore contenue alors ne connaît, maintenant, plus aucune entrave, elle jaillit de chaque motif, tout élément vibre, la fantaisie n’a plus de frein mais éclate joyeusement.
151Eclatement de la stèle. Surcharge.
152Depuis la troisième période, la sensualité a évolué, rompant définitivement avec celle développée lors de la phase initiale. Il apparaît une relative préciosité qui se marque particulièrement bien dans la manière de traiter les personnages : les lèvres dessinent un sourire purement factice, posé, surperficiel qui ne traduit certes aucune spiritualité ou profondeur, sauf en de très rares exemples (fig. 72), les sourcils sont accusés par une ligne aiguë, l’arête du nez est très fine, le menton est en “galoche”, les bhaṅga sont exagérément rendus (mouvement encore plus accusé qu’en III), mais il n’y a plus opposition entre la charpente et les formes qui l’habillent, celles-ci en effet s’allient à des attitudes où se découvrent fragilité et déséquilibre (étranglement de la taille, poitrine lourde, tendance à aller au-delà du réel).
153La sensualité réside dans le visible, non dans le palpable : la pierre polie interdit à la texture chamelle d’être perçue dans sa réalité. Corps aux attitudes alanguies. Formes exagérées, déséquilibrées et irréelles : lourde poitrine, hanches fortes, taille étroite. Il appert donc que la forme extérieure (et plus encore que la forme, la ligne) acquiert plus d’importance que jadis, au détriment de la texture même de la chair.
154On se rappelera que c’est alors l’époque de Jayadeva (Gῑta Govinda) et de Govardhanācarya (Āryāsaptaśatī), tous deux auteurs à la cour de Lakṣmaṇasena qui développèrent une poésie essentiellement érotique. C’est aussi celle de Dhoyī (Pavanadūta), de Śrīdharadīsa (Saduktikarṇāmr̥ta), poésie qui, finalement, n’est pas à l’écart d’une certaine préciosité.
155La voie ainsi suivie dans les deux dernières périodes vaut pour la majorité des oeuvres. Un sentier parallèle l’accompagne (les groupes “dissidents”), qui trouve également ses fondements dans la deuxième période ; de celle-ci, la quatrième période hérite la nudité de la dalle de fond, dont seuls le bord et le nimbe sont marqués, mais qui se découvre un double aboutissement maintenant :
l’apparente nudité de la dalle de fond (fig. 70), maintenue pendant une grande partie de la période, semble-t-il, disparaît, recouverte par des rhizomes de lotus (fig. 73) (attestation dès le début du XIIe siècle peut-être : EISMS, pl. V b, XVII d),
un retour au passé se décèle avec netteté peut-être vers le milieu du XIIe siècle (EISMS, pl. VIB, Indian sculpture, a travelling exhibition, London, 1971, fig. 11) : tentative de renouvellement, sursaut face à l’exubérance sans cesse éclatante par un dépouillement puisé aux sources qu’est la deuxième période. Rien ne permet, à l’heure actuelle, de conclure à une succession dans le temps ou à la contemporanéité des deux types de décor.
156Plusieurs fils directeurs peuvent s’imposer, apparaître avec clarté lorsque l’histoire de la statuaire est bien suivie. Parmi d’autres, on peut étudier l’évolution de la mise en valeur de la divinité.
157Les rapports qui existent entre la divinité figurée et le décor environnant doivent conduire à une seule fin, établir la prééminence du dieu sur ce qui l’entoure.
158Au cours de la première période, la dalle de fond nue n’attire pas le regard, les personnages sont inertes ; pendant la deuxième période, apparaissent des motifs, tendant à une complexité et richesse toujours accrue, envahissant toujours davantage la stèle tandis que le mouvement (inertie à la phase précédente) anime maintenant la divinité (bhaṅga, mudrā, multiplication des bras dans le panthéon bouddhique) : période de renouvellement. Ce mouvement sur les stèles hindouistes fera vibrer, au cours de la troisième période, personnages subalternes et animaux du trône. Cette voie est adoptée et achevée par la quatrième période, sur l’exubérance de laquelle il est inutile de revenir. Eclatement du décor, tendance des animaux à briser le cadre extérieur imposé par les limites de la dalle, foisonnement, aspect “feuilleté” du décor de la dalle de fond, même ciselage de la pierre pour les ornements des divinités : ceci correspond aux zones sombres, au décor indistinct de la stèle, là où la lumière ne peut glisser mais demeure accrochée, prisonnière. Opposition mais équilibre de ces parties et mise en valeur de ces ciselures, les corps des divinités sont polis à l’extrême, luisants, constituant les régions de la stèle où glisse la lumière, non freinée par le rendu des volumes, le dieu est l’élément central et lumineux de la stèle.
Bibliographie
Notice bibliographique. (avec les abréviations employées dans le texte)
Ervin BAKTAY, Indian Stone Sculpture in the Budapest Museum of Eastern Asiatic Arts, Acta Orientalia, Budapest, III, 1953, pp. 135-165 (en abrégé : E. Baktay).
R. D. BANERJI, Eastern Indian School of Mediaeval Sculpture, Memoirs of the A. S. I., Delhi, 1933 (en abrégé : EISMS).
Nalini Kanta BHATTASALI, Iconography of Buddhist and Brahmanical Sculptures in the Dacca Museum, Dacca, 1929 (en abrégé : IBB).
Rai Bahadur Ramaprasad CHANDA, Médiaeval Indian Sculpture in the British Museum, London, 1936 (en abrégé : R. Chanda).
A. K. COOMARASWAMY, Catalogue of Indian Collection in the Museum of Fine Arts, Boston, 1923 (en abrégé : A. K. Coomaraswamy).
Alfred FOUCHER, Etude sur l’iconographie Bouddhique de l’Inde, Paris, 1900-1905 (en abrégé : IBI).
Stella KRAMRISCH, Pala and Sena Sculpture, Rūpam 40, oct. 1929, pp. 107-126 (en abrégé : St. Kramrisch).
Notes de bas de page
1 Les études de St. Kiamrisch et de R. D. Banerji datent respectivement de 1929 et de 1933. D’autre part, des présentations générales de l’art pāla-sena ont été faites, brèves ou plus développées : S. K. Chatterji, The Pāla Art of Gauda and Magadha, Modem Review, janv. 1930, pp. 241-248 ; J. C. French, The Art of the Pal Empire of Bengal, Oxford, 1928.
2 On verra aussi A. K. Coomaraswamy, Catalogue of the Boston Museum, pl. XXIV ; R. Chanda, Mediaeval Indian Sculpture in the British Museum, pl. XIX ; clichés Musée Guimet 16622/57 et 16622/68.
3 Ph. Stern, Colonnes indiennes d’Ajantâ et d’Ellora. Evolution et répercussions, P.U.F., Paris p. 135 et fig. 168.
4 Quelques oeuvres bouddhiques (M.-Th. de Mallmann, Introduction à l’étude d’Avalokiteçvara, P.U.F., Paris, 1948, pl. VIII c, IX c, X b, XI a et b, ainsi qu’un Avalokiteśvara à 6 bras photographié à Gayā par J. Schotsmans) portent une ceinture fine, souvent une chaîne, unique ou subordonnée à une autre, qui n’est pas sans évoquer Ellora : “c’est une ligne fine, métal ou cordon, qui dessine une anse tombante sur une cuisse, d’un côté seulement, passe sous la ceinture et se termine par un tracé vertical, bout de chaînette ou de cordon tombant en chute libre”. (Ph. Stern, ibid., p. 134 et fig. 167). Mais ici l’unique anse est devenue centrale. Pas toujours, il est vrai : on verra EISMS, pl. XI a, qui est une oeuvre du tout début de l’époque pāla et peut-être antérieure à elle.
5 Sūrya, coll. Boney, Tokyo ; EISMS, pl. LIX a ; cliché Musée Guimet 16622/1 (Munich), oeuvre de fin de période, qui annonce la suivante (III) par la représentation du thème du trône royal et des boucles du lotus sur le socle.
6 Voir aussi EISMS, pl. XIV a à rapprocher de notre fig. 36 (torsade perlée, feuillage complexe), de M. -Th. de Mallmann, ibid., pl. IX b, de CI. Jacques, Note sur une stèle d’Avalokiteśvara à Gayā, Arts Asiatiques, XVI, 1967, p. 124.
7 Voir EISMS, pl. LV a à rapprocher de notre fig. 35 ainsi que clichés Musée Guimet 16622/13 et/11.
8 Voir également cliché Musée Guimet 16613/22 (Gaṅgā) que ce motif et d’autres contribuent bien à dater en fin de période : rinceau ouvragé du socle (cfr. fig. 38) et de l’auréole, chignon posé sur l’épaule (alors que les assistantes portent encore le chignon circulaire), qui annonce la troisième période.
9 Par exemple EISMS, pl. III c ; Paris, Musée Guimet MG 17842 ; Berlin, Staatliche Museen Preussischer Kulturbesitz, Museum für Indische Kunst Iy 590 a, Iy 381 a.
10 Ou encore celui présenté par M. -Th. de Mallmann, ibid., pl. VIII c, où le makara apparaît dans les écoinçons formés par le nimbe et le linteau du trône. Cette dernière oeuvre serait attribuée au premier groupe s’il n’y avait pour trahir sa postériorité le feuillage complexe bordant le nimbe.
11 Alors que ces premiers résultats étaient déjà rédigés, nous avons pu observer le port du châle antérieurement à cette troisième période sur la poitrine de personnages masculins. Les exemples semblent provenir tous du Bihār : Nāgarāja de Nālandā (A. Ghosh, Nālandā, Archaeological Survey of India, 5th ed., New Delhi, 1965, pl. VIII A), Avalokiteśvara (M. Th. de Mallmann, ibid., pl. IX c - et peut-être IX d-), qui a, peut-être plus rapidement que d’autres divinités hindouistes ou personnages du panthéon bouddhique, porté ce châle par imitation de sa forme dite plus généralement Khasarpana à laquelle les sādhana attribuent le port de l’ajina, fait qui est prouvé par l’art.
12 M. -Th. de Mallmann, Les Enseignements iconographiques de l’Agni-Purāṇa, P.U.F., Paris, 1963, p. 235 note 13 : Matsya Purāṇa, 258,13 b-14.
13 Voir M. Benisti, Rapports entre le Premier Art Khmer et l’Art Indien, EFEO, Paris, 1970, p. 25 où les notes fournissent une abondante bibliographie.
14 La nudité de la langue, le relief bas de la tête de monstre du Viṣṇu, Oriental Art, IX, p. 189 suggèrent peut-être l’antériorité de cette pièce par rapport à celles présentement analysées. On y avait déjà (p. 15) remarqué l’absence du makara (thème du trône royal incomplet comme à la deuxième période).
15 On verra aussi M. Ganguly, Handbook to the Sculptures in the Museum of the Bangiya Sahitya Parishad, Calcutta, 1922, pl. VIII.
16 La transition de l'un à l'autre s’observe plus particulièrement en fig. 56 et en EISMS, pl. LVII b, LXIII d, ainsi que sur le cliché Musée Guimet 16612/60 (état de la chevelure qui trahit dans ce dernier cas la postériorité de la pièce, puisque les autres éléments de datation renvoient à des périodes révolues : deux ceintures, avec une anse par jambe, avec une patte d’étoffe,...).
17 Voir aussi EISMS, pl. V b, VI d, XVII c, d, XXXIII a ; IBB, pl. VII b ; IBI, II, fig. 7 et 28 ; A. K. Coomaraswamy, pl. XXXVI ; Berlin, Staatliche Museen Preussischer Kulturbesitz, Museum für Indische Kunst, Iy 576 a.
18 Nous ne faisons que présenter ce qui s’offre à nous d’une manière suffisamment claire et explicite en elle-même que pour éviter des explications peut-être ingénieuses mais toujours arbitraires et peu vraisemblables finalement. D’un autre côté, depuis l’état de la recherche exposé ici, nous avons pu observer que des différences ont dû aussi exister au sein du groupe principal, essentiellement hindouiste, et que les oeuvres alors concernées proviendraient (d’après les catalogues et les auteurs) de diverses régions du Bengale indien et du Bengla Desh.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Mythologies et mythes individuels
À partir de l'art brut
Anne Boissière, Christophe Boulanger et Savine Faupin (dir.)
2014
Au service d'une biologie de l’art. Tomes I et II
Recherches sur les arts de l’Inde et de l’Asie du Sud-Est
Jean Naudou, Claudine Picron et Philippe Stern
1978
Les fils d’un entrelacs sans fin
La danse dans l’œuvre d’Anne Teresa De Keersmaeker
Philippe Guisgand
2008
Tombeau de Léonard De Vinci
Le peintre et ses tableaux dans l’écriture symboliste et décadente
Jean-Pierre Guillerm
1981