Timaeus vol. IX ed. Bip
p. 39-109
Note de l’éditeur
Les « notes » correspondent aux notes de bas de page, tandis que les « notes de fin » correspondent aux notes de traduction.
Texte intégral
1Le principe selon lequel il faut apprécier la manière dont le discours est présenté dans le Timée, Platon l’indique lui-même p. 303 : «τòν ποιητὴν καì; πατέρα τοῦδε τοῦ παντòς εὑρεĩν τε ἔργον καì εὑρόντα εἰς πάντας ἀδύνατον λέγειν »1.
2Voici ce qui précède comme proposition capitale p. 301 : « Εστιν οὖν δὴ κατ’ έμὴν δόξαν πρῶτον διαιρετέον τάδε· τί τò ὄν μὲν ἀεί, γένεσιν δὲ οὐκ ἔχον, καì τί τò γιγνόμενον μὲν ἀεί, ὄν δὲ οὐδέποτε ; τò μὲν δὴ νοήσει μετὰ λόγου περιληπτόν, ἀει κατὰ ταὐτά ὄν, τò δ’ αὖ δόξῃ μετ’ αἰσθήσεως ἀλογου δοξαστόν, γιγνόμενον καì ἀπολλύμενον, ὄντως δὲ οὐδέποτε ὄν »2. Platon définit donc ici lui-même l’ὄν comme l’objet de l’intellect pur (ἄνευ αἰσθήσεως), que l’on peut connaître d’une manière pure et parfaite et qui n’est pas seulement l’objet d’une opinion (δόξα) incertaine et imparfaiteA. Ce sont là des caractéristiques qui conviennent aux Idées de l’intellect pur et de la raison pure. Mais le γιγνόμενον (i.e. l’empirique, ce qui provient de l’expérience), il le définit par ce qui est seulement objet d’opinion et d’une intuition indépendante des Idées, et même en contradiction avec elles (ἀλογου). (Les Idées – ce par quoi Platon comprend tous les concepts purs de la faculté de représentation – contredisent l’intuition dans la mesure où elles se trouvent en dehors de tout cercle de l’intuition. Mais au moins, aucune d’entre elles ne compte au nombre des objets de l’intuition, et l’intuition elle-même, considérée simplement comme telle, est indépendante de toute Idée).
A. Chez Platon, la δóξα semble habituellement être analogue à la πίστις. C’est ce que dit la p. 304i : ὄτιπερ πρòς γένεσιν οὐσία, τοῦτο πρòς πἰστιν ἀλήθεια. Ce que l’être est au devenir, la vérité l’est à la croyance. La γένεσις est à l'οὐσία ce que la πiστις est à l’ἀλήθεια. Ainsi s’éclaire à partir du passage cité ce qu’est pour lui la γένεσις quelque chose qui est seulement δόξῃ πειληπτόv ; tandis que l’οὐσία est λόγῳ και ϕρνήσει περιληπτόv. Mais ἀλήθεια, c’est ce qui, par exemple dans le Ménon et le Gorgias, s’appelle (ἐπιστήμη (γένεσις : < οὐσία > : = δόξῃ : ἐπιστήμη).
3L’autre proposition est : « πᾶν δὲ αὖ τò γιγνόμενον ὑπ’ αἰτίου τινòς ἐξ ἀνάγκης γίγνεσθαι »3.
4La proposition p. 302 découle de ce que Platon n’accorde la perfection (τò ; καλόν) qu’à ce qui existe indépendamment de toute expérience et de toute sensibilité : « ὅτου* μὲν οὖν ἂν ὁ δημιουργòς πρòς τò κατὰ ταὐτὰ ἔχον βλέπων ἀεί, τοιούτω τινì προσχρώμενος παραδείγματα τὴν ἰδέαν καì δύναμιν αὐτοῦ ἀπεργάζηται, καλòν ἐξ ἀνάγκης οὕτως ἀποτελεĩσθαι πᾶν οὖ δ’ ἂν εἰς γεγονός, γεννητῷ** παραδείγματι προσχρώμενος, οὐ καλόν »4.
5Ici, on présuppose donc déjà en quelque sorte que le démiurge a eu devant les yeux un idéal (Ideal), d’après lequel il a produit le monde. Une œuvre qui serait façonnée d’après un idéal éternel, incréé, c’est-à-dire d’après un idéal pur, indépendant de toute sensibilité, serait forcément parfaite. En revanche, un monde qui serait l’imitation d’une image sensible, serait forcément imparfait et irrégulier de part en part : car le caractère du sensible, c’est l’absence de régularité.
6La question suivante, p. 302, est : « Le monde est-il éternel ou a-t-il un commencement ? » Réponse : « Γέγονεν ὁρατòς γὰρ ἁπτός τέ ἐστιν καì σῶμα ἔχων, πάντα δὲ τὰ τοιαῦτα αἰσθητά, τὰ δ’αἰσθητά, δόξῃ περιληπτὰ μετ’αἰσθήσεως, γιγνόμενα καì γεννητὰ* ἐϕάνη»5.
7Cela découle des concepts déjà présentés ci-dessus, car tout ce qui est connaissable par l’expérience et la perception (δόξῃ, αἰσθήσει) est γενητòν (cf. plus haut).
8(Du reste, on voit bien ici pourquoi Platon définit la matière originelle comme quelque chose d’invisible).
9P. 303 « τόδε δ’ οὖν πάλιν ἐπισκεπτέον περì αὐτοῦ, πρòς πότερον τῶν παραδειγμάτων ὁ τεκταινόμενος αὐτòν ἀπηργάζετο » (On présuppose donc encore ici que l’auteur du monde a dû travailler d’après un idéal, car la question est seulement : πρòς πότερον еtс.) « πότερον πρòς τò κατά ταὐτὰ καì ώσαύτως ἔχον ἢ πρòς τò γεγονός, εἰ μὲν δὴ καλός ἐστιν ὅδε ὁ κόσμος ὅ τε δημιουργòς ἀγαθός, δῆλον ὡς πρòς τò ἀίδιον ἔβλεπεν εἰ* δὲ ὃ μηΒ δ’ εἰπεĩν τινι θέμις, πρòς γεγονός, παντì δὴ σαϕὲς ὅτι πρòς τò ἀίδιον ὁ μὲν γὰρ κάλλιστος τῶν γεγονότων, ὁ δ’ἄριστος τῶν αἰτίωνC. οὕτω δὴ γεγενημένος πρòς τò λόγῳ καì ϕρονή-σει περιληπτòν καί κατὰ ταὐτὰ ἔχον δεδημιούργηται » (Ici, τò κατὰ ταὐτὰ ἔχον est, une fois encore, mis en parallèle avec λόγῳ καì ϕρονήσει περιληπτòν »6. Le dernier terme mérite également l’attention en raison du νοῦς platonicien).
B. Certes, ce passage manque dans l’édition Bipontine, mais il est absolument indispensable pour comprendre le sens, et Ficin le traduitii.
C. Remarque : On découvrira un peu partout dans le Timée suffisamment de passages renvoyant à l’idée d’un unique iiiauteur du monde. Même celui-ci y fait référence. Platon parle toujours d’un δημιουργός au singulier (démiurge) et jamais de δημιουργοί au pluriel (démiurges). On comprend facilement pourquoi il s’exprimait à ce sujet avec tant de prudence, d’obscurité et d’ambiguïté. Avec quels scrupules cherche-t-il à se mettre à l’abri, et ce, pas seulement en raison des formules obscures qu’il a employées dans le Timée p. 304 ! Il parle précisément avec le ton qu’aujourd’hui encore, l’ami opprimé de la vérité doit adopter iv.« ἐὰν οὖν πολλὰ πολλών πέρι, θεῶν καì τῆς τοῦ παντòς γενέσεως, μὴ δυνατοì γιγνώμεθα πάντῃ πάντως αὐτοὺς ἑαυτοĩς ὁμολογουμένους λόγους καì ἀπηκριβωμένους ἀποδοῦναι, μὴ θαυμάςῃς ἀλλ' ἐὰν ἅρα μηδενòς ἧττον παρεχώμεθα εἰκότας, ἀγαπᾶν χρή, (il suffit que, de notre côté, la vraisemblance ne soit pas moindre qu’ailleurs) μεμνημένους ὡς ὁ λέγων ἐγὼ ὑμεĩς τε οἱ κριταì ϕύσιν ἀνθρωπἰνην ἔχομεν, ὣστε περì τούτων τòν εἰκότα μῦθον ἀποδεχομένους πρέπει τούτου μηδὲν ἔτι πέρα ζητεῖν »7.
C’est avec tout autant de réserve que Platon parle des démons p. 324 : « Περì δὲ τῶν ἄλλων δαιμόνων εἰπεĩν καì γνῶναι τὴν γένεσιν μεĩζον ἢ καθ' ἡμᾶς, πειστέον δὲ τοĩς εἰρηκόσιν ἔμπροσθεν, ἐκγόνοις μὲν θεῶν οὖσιν, ὡς (ςιιΐα) ἔϕασαν, σαϕῶς δέ που τούς γε αὑτῶν προγόνους εἰδόσιν »8. C’est tout comme chez nousv.
Ah, tout de même, la langue de la vérité est bien égale à elle-même à toutes les époques ! J’ai fait ces remarques, jusqu’à présent, parce que l’on croit si souvent rendre service à la Révélationvi (un service qui est, bien sûr, déplacé et que l’on pourrait plutôt appeler une flatterie), soit en cherchant à dénier autant que possible à tous les philosophes de l’Antiquité la connaissance d’un quelconque Dieu, soit, quand c’est impossible, en répétant le vieux radotage des pères de l’Église, qui prétend qu’ils l’ont tirée de la Révélation. Mais aucune de ces deux opinions ne peut trouver confirmation dans ce dialogue de Platon. D’ailleurs, cette manière de procéder, dans son ensemble, n’est rien d’autre qu’une promotion de la Révélation aux frais de la raison, ce qui ne peut jamais tourner à l’avantage, ni de l’une ni de l’autre. C’est une injustice incompatible avec la probité d’un historien impartial, une injustice qui oublie complètement ce qu’elle a pourtant quotidiennement sous les yeux : souvent ce n’est pas la conviction, obtenue à l’aide de preuves véritables, mais un pouvoir politique qui, ayant privilégié une fois pour toutes une certaine opinion, réduit au silence, ou du moins à un discours quasi inaudible, la voix de la contradiction ; une injustice qui n’est pas bien grande comparée à la raillerie des maîtres privilégiésvii qui triomphe de ceux qui pensent différemment d’eux, qui eux, n’ont de leur côté aucun autre pouvoir que celui de la vérité, ou du moins, celui de la conviction, et dont l’esprit, à force de voir tous les jours la suprématie de telles thèses qui, selon leur plus intime conviction, sont fausses, est déjà bien trop [texte corrompu], pour avoir besoin de surcroît d’être complètement rabaissé par la morgue entêtée des privilèges. À quoi l’histoire aurait-elle ressemblé si ce procédé avait fait autorité ? N’aurait-il pas été injuste d’affirmer par exemple qu’avant Luther, personne n’avait vu aussi loin que lui (ou même encore plus loin), parce qu’avant lui personne n’avait osé renverser le joug politique de la hiérarchie ? Et la postérité, comment nous jugera-t-elle, munie d’un tel présupposé ?
ibid. « τούτων δὲ ὑπαρχόντων αὖ πᾶσα ἀνάγκη τόνδε τòν κόσμον εἰ-κόνα τινòς εἶναι »9.
10Platon en vient donc à présent à la proposition selon laquelle le monde doit être la réplique d’un modèle, quel qu’il soit. Puisque Platon dépréciait si profondément le monde, parce qu’il était visible (mundum materialiter spectatum), et qu’il lui conférait une existence que seuls les sens peuvent appréhender (αἰσθήσει, δόξῃ), puisqu’il le voyait (en tant que simple objet de la sensibilité) comme différant en tout point de ce qui est formel, il fut alors à même de penser qu’il était impossible de considérer que la forme du monde, sa régularité et sa légalité, fût une forme inhérente à la matière, ou produite par la matière elle-même. Il lui fallait admettre que cette forme du monde était présente dans quelque chose de tout autre, qui, selon son essence, diffère de toute matière ; il l’a donc posée dans l’intellect et, d’après sa description, seul l’intellect peut l’appréhender (λόγῳ καì ϕρονήσει περιληπτòν). Et, parce qu’il ne pouvait trouver la cause de ce lien entre la forme (πέρας) et la matière (ἄπειρον), ni dans l’une ou l’autre exclusivement, ni dans les deux à la fois (puisqu’il a vu là deux choses qui tendent à s’opposer en permanence (régularité et absence de règle)), un troisième terme (cf. Philèbe)viii s’est avéré nécessaire pour les relier l’une à l’autre, autrement dit, pour « donner au monde une forme qui fût une réplique de la forme originaire et pure de l’intellect ».
Qu’est-ce qui a poussé l’auteur du monde à le produire ?
11« ἀγαθòς ἦν, ἀγαθῷ δὲ οὐδεìς περì οὐδενòς οὐδέποτε ἐγγίγνεται ϕθόνος·τούτου δ’ἐκτος ὢν πάντα ὅτι μάλιστα ἐβουλήθη γενέσθαι παραπλήσια έαυτῷ » – (Une idée à laquelle aucun Moïse ni aucun juif n’est parvenu) συβουληθεìς γὰρ ὁ θεòς ἀγαθὰ μὲν πάντα, ϕλαῦρον δὲ μηδὲν εἶναι κατὰ δύναμιν, οὕτω δὴ πᾶν ὅσον ἦν ὁρατòν παρλαβὼν οὐχ ἡσυχίαν ἄγον ἀλλὰ κινούμενον πλημμελῶς καì ἀτάκτως, εἰς τάςιν αὐτό ἤγαγεν ἐκ τῆς ἀταξίας, ἡγησάμενος ἐκεĩνο τούτου πάντως ἄμεινον »10 p. 305.
12L’idée la plus pure, la plus magnifique, de l’intention divine lors de la création du monde. – On présuppose ici la matière originelle et préexistante du monde. Elle est présentée comme inquiète, mue sans ordre ni régularité, parce qu’alors, elle ne participait pas encore de la forme de l’intellect. La formule : « οὐχ ἡσυχίαν ἄγον ἀλλά κινούμενον πλημμελῶς καì ἀτάκτως, etc. » devrait-elle être seulement une présentation rendue sensible de l’absence de régularité en général ?
13«θέμις δ’ οὔτ’ ἦν οὔτ’ ἔστιν τῷ ἀρίστῳ δρᾶν ἄλλο πλὴν τò κάλλιστον»11.
14Καλόν n’exprime pas seulement la beauté mais, en général, la perfection et la régularité parfaite. On le voit bien dans la suite du texte, puisqu’il pose le καλόν exclusivement dans la participation à la forme de l’intellect. Il dit du démiurge : « λογισάμενος οὖτ εὕρισκεν ἐκ τῶν κατὰ ϕύσιν ὁρατῶν οὐδὲν ἀνόητον τοῦ νοῦν ἔχοντος ὃλον ὃλου κάλλιον ἔσεσθαί ποτε ἔργον »12.
15Le sens est, en effet, le suivant : le démiurge a pensé qu’un monde visible (ἐκ τῶν κατὰ ϕύσιν ὁρατῶν ὃλον) qui ne participerait pas de la forme de l’intellect ne pourrait pas être une œuvre aussi belle qu’un monde qui lui serait uni (νοῦν ἔχοντος ὃλον)D.
D. Ce serait plus clair, s’il disait : « οὐδὲν ἀνόητον τοῦ νοῦν ἔχοντος ὃλον ὃλον κάλλιο <ς> ἔσεσθαι ». Mais Platon aime de telles métathèses. Ficin, si l’on suit sa traduction, semble n’avoir pas compris cette phraseix.
16« νοῦν δ’ αὖ χωρìς ψυχῆς ἀδύνατον παραγενέσθαι τῳ. διὰ δὴ τòν λογισμòν τόνδε νοῦν μὲν ἐν ψυχῇ, ψυχὴν δ’ ἐν σώματι συνιστὰς τò πᾶν συνετεκταίνετο, ὃπως ὃτι κάλλιστον εἴη κατὰ ϕύσιν ἄριστόν τε ἔργον ἀπειργασμένος »13.
17La première proposition se trouve également dans le Philèbe vol. IV, p. 248x. Platon présuppose donc déjà ici l’âme du monde originaire. D’après tous les passages que Plessingxi a rassemblés dans le tome 1 § 26, 27, 28, la ψυχή ne signifie, chez Platon, rien d’autre que : principe originaire de mouvement, ἀρχή κίνησεως. Cf. Tennemann dans les Memorabilienxii. Platon, parce qu’il tenait la matière et l’essence divine pour totalement hétérogènes et qu’il considérait que la matière était en contradiction avec la forme pure de la légalité dans l’intellect divin, avait présupposé que le monde présent n’avait reçu de Dieu rien d’autre que la forme. Dans la mesure où la forme que Dieu a communiquée au monde ne se rapportait qu’à la forme du mouvement du monde, il fallait que le monde ait, lui aussi, originairement, indépendamment de Dieu, un principe propre de mouvement qui, en tant que principe relevant de la matière, contredise toute régularité et toute légalité, et il n’a été ramené dans les limites de la légalité que par la forme (πέρας) que l’intellect divin lui avait donnée. Parler de « mouvement » n’est qu’une manière singulière de désigner la forme des changements du monde en général (species propria). Ψυχή ne désigne donc rien d’autre que le principe des changements dans le monde en général. En ce qui concerne la proposition « νοῦν χωρὶς ψυχῆς ἀδύνατον οὐδέποτε παραγίγνεσθαι τῳ », elle signifie en substance ceci : l’intellect n’a, en lui-même, aucune causalité ; si donc il doit être visible, cela ne peut se produire que s’il est lié à un principe d’activité. Cf. le passage du Philèbe cité plus haut.
18Puisque, selon Platon, l’âme du monde était originairement présente dans la matière, il faut comprendre que la Ψυχή dont il est question dans la locution « Ψυχὴν δ’ ἐν σώματι τιθείς » n’est pas l’âme du monde originaire, mais l’âme qui participe déjà de la forme de l’intellect. « Il a réuni l’intellect à l’âme du monde (originaire), et cette âme du monde (à présent rationnelle) à la matière, etc. ».
19Puis, Platon poursuit ainsi p. 306 :
«οὕτως οὖν δὴ κατὰ λόγον τòν εἰκότα δεῖ λέγειν τόνδε τòν κόσμον ζῷον ἔμψυχον ἔννουν τε τῇ ἀλήθείᾳ διὰ τὴν τοῦ θεοῦ γενέσθαι πρόνοιαν»14.
20Il n’est pas difficile de voir, d’après ce passage, ce que Platon comprend par ζῷον. Pour lui, ζῷον, c’est, de manière générale, ce qui possède une force originaire de mouvement (Ψυχή). (En effet, le νοῦς n’est pas une condition nécessaire de la Ψυχή, mais c’est l’inverse qui vrai). Le monde cependant, dans la mesure où il participe de la forme de l’intellect, est appelé e ἔννοῦς. Il est appelé pareillement, p. 305, ὄλον ἀνόητον, ὄλον νοῦν εχον, et autrement encore.
21Puisque le monde visible est la réplique d’un monde idéal, il s’ensuit qu’il doit y avoir au fondement de celui-ci également l’Idée d’un ζῷον (ζῷον νοητόν).
22Le monde ne peut être l’imitation (car ce monde est γενητόν τι ), d’une espèce singulière de vivant mais il est la réplique d’un modèle pur, idéal, donc la réplique d’une unique Idée de vivant qui est au fondement de tous les genres et de toutes les espèces dans leur singularité. Cette Idée contient tous les genres et toutes les espèces de vivants, comme le monde visible contient également toutes les espèces de vivantsE.
E. « Τίνι τῶν ζᾠων αὐτόν εἰς ὁμοιότητα ὁ συνιστὰς συνέστησεν. τῶν μὲν οὖν ἐν μέρους εἴδει πεϕυκότων μηδενὶ καταξιώσωμεν ἀτελεĩ γὰρ ἐοικòς οὐδέν ποτ’ ἂν γένοιτο καλόν οὗ δ’ ἔστιν τἆλλα ζῷα καθ’ ἓν καì κατὰ γένη μόρια, τούτῳ πάντων ὁμοιότατον αὐτόν εἶναι τιθῶμεν. τὰ γὰρ δὴ νοητὰ ζῷα πάντα ἐκεĩνο ἐν ἑαυτῷ περιλαβòν ἔχει, καθάπερ ὅδε ὁ κόσμος ἡμας ὅσα τε ἄλλα θρέμματα συνέστηκεν ὁρατά. τῷ γὰρ τῶν νοουμένων καλλίστῳ καì κατὰ πάντα τελέῳ μάλιστα αὐτόν ὁ θεòς ὁμοιῶσαι βουληθεὶς ζᾠον ἓν ὁρατόν, πάνθ’ ὅσα αὐτοῦ κατὰ ϕύσιν συγγενῆ ζῷα ἐντòς ἔχον ἑαυτοῦ, συνέστησε » 15
23En effet, Platon admet qu’au fondement de chaque objet qui apparaît (γενητῷ) il y a une Idée, dont il est en quelque sorte l’imitation. Cette Idée est au fondement du genre tout entier, elle contient toutes les espèces singulières, même si elle ne se réalise dans aucune. Au fondement du monde visible, il y a donc un κόσμος νοητός, un monde qui n’existe pas physiquement, comme le monde visible, sinon il serait lui aussi quelque chose d’engendré, d’empirique, de connaissable par expérience, mais un monde qui existe pour autant qu’il est dans l’idée (dans la mesure où il est νοητός). Ce monde idéal doit contenir toutes les déterminations singulières et toutes les parties du monde visible. Dans son Idée doit donc se trouver aussi un principe originaire de mouvement, le monde lui aussi doit être dans l’Idée, en tant que ζῷον ἔμψυχον. Il doit contenir en lui dans leur singularité tout à la fois tous les genres et toutes les espèces de créatures que contient le monde visible, et, en tant qu’Idée, en être le fondement. Il doit contenir tous les ζῷα comme νοητὰ, c’est-à-dire les contenir en lui (comme Idée).
24Quiconque lit ce passage dans son contexte s’aperçoit facilement que Plessingxiii, au § 31, le présente de manière complètement biaisée. Car, ce que Platon comprend par ζῷοις νοητῖζ, ce ne sont pas les Idées en général (par exemple, les Idées de quantité, de cause, etc) mais spécialement les idées qui sont au fondement des créatures (ζῴοις) du monde visible ; il comprend par là des ζῷα, des créatures, pour autant qu’elles sont νοητὰς ;, c’est-à-dire présentes dans l’idée, de même que par κόσμος νοητóς, il comprend l’Idée du monde, le monde comme νοητóς, pour autant qu’il est dans l’idée. En effet, il faut distinguer, chez Platon, deux sortes d’Idées (ce qui, pour autant que je le sache, n’a pas été fait jusqu’à présent).
Les Idées qui sont au fondement du monde, du point de vue matériel.
Celles qui sont au fondement du monde, du point de vue formel, ou qui, en général, ne se rapportent, en tant que telles, à aucun objet singulier (comme, par exemple, l’Idée du Bien, de la quantité, de la qualité, de la causalité, etc.).
25La clé pour expliquer la philosophie de Platon dans son entier tient dans la remarque selon laquelle il transposexiv partout le subjectif en objectif. C’est là l’origine, chez Platon, de cette proposition (qui existait déjà depuis bien longtemps avant lui), selon laquelle le monde visible n’est rien d’autre qu’une réplique du monde invisible. Mais aucune philosophie n’en serait venue à formuler cette proposition si elle n’avait eu son fondement philosophique en nous-mêmes. En effet, puisque la nature tout entière, telle qu’elle nous apparaît, n’est pas seulement un produit de notre réceptivité empirique, mais, au sens propre, une œuvre de notre faculté de représentation, dans la mesure où celle-ci contient les formes pures, originaires, fondées en elles-mêmes (de la nature), dans cette mesure, le monde relève, dans la représentation, d’une faculté supérieure à la simple sensibilité. Et l’on représente la nature comme le type d’un monde supérieur, lequel exprime les lois pures de ce monde-ci. Quand on remarquait cette légalité, prescrite à la nature par l’intellect pur, on pouvait donc être conduit un peu vite à l’idée selon laquelle le monde visible est le type d’un monde invisible, idée qui, dans la mesure où on la croyait simplement en rapport avec la légalité de la nature en général, avait bien son fondement en l’homme lui-même, mais dès qu’on l’a étendue jusqu’aux intuitions (selon sa matière), on a été conduit à la rêverie exaltée (Schwärmerei).
26Platon a admis que
le monde, si l’on en considère la légalité, est l’expression d’une légalité supérieure.
Il a admis qu’au fondementxv de chaque être vivant du monde il y a une Idée, qui contient le caractère du genre tout entier, sans toutefois qu’elle puisse être totalement réalisée par aucune espèce singulière.
27Si Platon avait admis qu’au fondement de chaque être du monde se trouve objectivement un être fondamental invisible, mais existant physiquement, contenant le caractère de son genre tout entier, cela aurait été une rêverie exaltée, c’est-à-dire une transposition du simple sensible, qui appartient seulement à l’intuition empirique, dans le supra-sensible. Mais c’est précisément contre cette opinion que proteste constamment Platon, et il est vraiment singulier, qu’on ait voulu pendant si longtemps lui attribuer le concept d’une existence physique, alors même qu’il avait déclaré son opposition à cela de la manière la plus vive, la plus expresse et la plus claire qui soit.
28Platon n’a admis les Idées qui sont au fondement des êtres du monde que dans la mesure où elles pouvaient être objets de la pensée pure, expression de la forme pure de la faculté de représentation. Il n’a donc dû admettre les Idées qui sont au fondement des objets en tant que tels, que dans la mesure où, elles aussi, dépendent directement ou indirectement, de la forme pure de l’intellect. Souvenons-nous en effet de sa théorie de l’origine du monde, et les choses se clarifieront aussitôt. Platon a admis une matière préexistante qui n’a absolument aucune forme empiriquement déterminée <comme preuve, cf. ci-dessous p. 22-23>. Dans la mesure donc où, selon sa théorie, tous les êtres du monde étaient l’œuvre du démiurge, ils ressortissaient non pas à la matière, mais à la forme que le démiurge avait unie à celle-ci. La matière, en soi et par soi, ne pouvait produire aucun ζῷα. Ce fut l’œuvre de l’architecte du monde qui a uni la forme de l’intellect à la matière, et qui, par là, a réussi à instaurer une légalité universelle de la nature, mais aussi la légalité de ses produits singuliers, ou, pour le dire autrement, il a permis que les lois universelles de la nature concourent pour produire des êtres singuliers et réguliers. Chaque être singulier du monde était donc l’œuvre non point de la matière, mais véritablement d’une concordance de lois pures singulières pour produire une totalité une, en d’autres termes, l’œuvre d’une idée, d’une représentation de la concordance de lois pures singulières pour former une totalité unique. En outre, cette concordance de lois pures pour la production d’une totalité une a elle-même eu lieu selon des règles, et la concordance de ces lois elle-même était à son tour l’œuvre (non point de la matière), mais d’une forme pure de l’unité, l’œuvre d’une intelligence.
29Par ailleurs, nous devons nous souvenir que Platon a conçu le monde dans sa totalité comme un ζῷον, c’est-à-dire comme un être organisé, donc, comme un être dont les parties ne sont possibles que par leur relation au tout, dont les parties sont les unes pour les autres, réciproquement aussi bien fin que moyen, et se produisent mutuellement entre elles, tant selon leur forme que selon leur liaisonF. Nous devons réfléchir au fait qu’en raison de l’orientation subjective de notre faculté de connaître, nous ne pouvons tout simplement pas penser la genèse d’un être organisé autrement qu’à travers la causalité d’un concept, d’une Idée, qui doit nécessairement déterminer a priori ce qui est contenu dans cet être. Nous devons en outre considérer que, si les parties singulières de l’être organisé ont entre elles un rapport de réciprocité, et produisent ainsi le Tout, inversement, l’Idée du Tout quant à elle, ne peut être pensée que comme précédant et déterminant a priori la forme et les parties dans leur harmonieG.
30Si donc Platon pouvait, et même devait nécessairement, admettre les Idées qui sont au fondement des êtres naturels – mais qui sont seulement idées, seulement ζῷα νοητὰ, seulement modèles – c’est dans la mesure où la raison peut penser que leur forme est établie en accord avec un Tout unique, un but unique.
F. cf. Kant, Critique de la Faculté de Juger § 65
G. ibid.
31Voici une grande idée de Platon, qui a facilement pu le transporter d’enthousiasme : il a voulu trouver non seulement l’harmonie qui existe entre les êtres naturels, mais également celle de chaque être singulier avec lui-même, et ce, non en procédant à une enquête empirique, mais en examinant la forme pure de la faculté de représentation elle-même. Rien d’étonnant à ce qu’il se soit exprimé au sujet de cette idée sublime dans un langage dont l’envol est inusité pour le langage philosophique habituel, ni à ce que même son langage soit l’œuvre d’un enthousiasme philosophique, qui ne peut manquer de naître quand on découvre en nous un principe supra-sensible de la forme et de l’harmonie du monde. Mais, c’est justement en raison de cette intuition enthousiasmante d’un principe sublime, au-delà de toute sensibilité, qu’il s’est exprimé avec tant de vigueur et d’énergie sur l’essence de ce principe, et sur sa pureté si éloignée de toute matérialité. C’est pourquoi il ne nous est vraiment pas possible de comprendre comment on a pu si souvent lui faire dire que ces Idées avaient une existence physique, alors que précisément il présentait la forme de leur existence comme étant exactement opposée à la forme de toute existence physique.
32Il dut être frappé aussi par l’observation qu’il y a en nous un concept au fondement de tous les êtres naturels, exprimant la forme de chaque objet singulier qui lui appartient, concept qui ne peut être réalisé par aucun de ces objets singuliers, mais seulement par le genre. Il ne pouvait penser une telle harmonie de tous les êtres en un unique concept que comme possible, car celle-ci n’est produite que par la causalité d’un concept, mis intentionnellement au fondement de la technique de l’architecte du monde, et qui seul peut contenir une universalité qui se réalise in concreto dans toutes les présentations singulières de ce concept, sans qu’aucune ne puisse l’exprimer en sa totalité. Un tel concept ne pouvait être l’œuvre de la matière. Il fallait qu’il soit le produit de la forme pure de l’intellect, forme grâce à laquelle seulement la matière est devenue capable de présenter des concepts. Ainsi s’éclaire le passage cité par Plessing au § 46xvi. Car, si la forme de l’unité, en laquelle concourent finalement tous les objets, était la forme originaire de l’intellect divin, alors les concepts des objets singuliers devaient, eux aussi, être déjà dans l’intellect divin dans leur universalité, avant même que les objets eux-mêmes ne soient produits.
33Un concept universel, en tant qu’il est dans l’intellect humain, peut n’avoir qu’une origine empirique (même s’il est issu de règles pures, indépendantes de l’expérience). Mais, dans la mesure où Platon considérait tous les concepts comme étant en relation avec une intelligence suprême, issus de la forme d’un intellect souverain, dans lequel se trouvait l’idéal du monde, il fallait bien qu’il considère ces concepts universels comme des concepts précédant originairement toute expérience. Non seulement ces concepts ne proviennent pas des objets de l’intuition sensible, mais encore ces objets eux-mêmes ont été d’abord rendus possibles, car c’est uniquement par la causalité de concepts préexistants que les objets singuliers du monde ont pu venir au jour, de telle sorte qu’un intellect empirique a pu à son tour être en mesure de les découvrir en eux par comparaison et abstraction. Il fallait que les concepts soient déjà là, pour donner à tous les objets le signe de leur provenance et pour qu’ils puissent apposer l’empreinte de leur origine. Il fallait que les concepts universels soient déjà là, dans une première intelligence supérieure, parce qu’elle est condition de possibilité de la loi universelle d’après laquelle les hommes engagent leurs enquêtes empiriques. C’est ce que dit Platon lui-même, avec suffisamment de clarté dans le Philèbe p. 217xvii : « Nous remarquons, dit-il, que cette forme, celle de l’unité dans la diversité, règne partout depuis toujours, dans tous les discours et dans toutes les enquêtes. Cette forme, on ne cessera jamais de la penser. Elle ne date pas d’hier, bien au contraire, elle est éternellement, sans jamais vieillir, le propre de toute enquête. Le jeune homme qui rencontre d’abord cette forme de philosopher, se réjouit comme s’il avait trouvé un trésor de sagesse ; sa joie l’enthousiasme, et, à chaque occasion, il s’adonne volontiers à toute enquête : tantôt saisissant ensemble dans un seul concept tout ce qui se présente à lui, tantôt, analysant et divisant toute chose ». D’après ce passage, la forme dont il est question dans cette enquête serait, selon Platon, une forme pure, originaire, sans laquelle il ne pourrait y avoir d’enquête empirique ; donc, une forme qui se trouvait aussi originairement dans l’intellect divin, que le démiurge avait ensuite appliquée à la matière et communiquée à l’intellect humain comme forme pure originaire. Cela apparaît encore plus clairement dans le passage suivant p. 219xviii : « Cette forme est un don des dieux fait aux hommes qui leur avait été envoyé autrefois par Prométhée, avec le feu le plus pur du ciel. C’est pourquoi les Anciens (hommes de plus grande valeur et plus proches des Dieux que nous) nous ont transmis ce récit, selon lequel toute chose qui est, est née de l’unité et de la multiplicité (pluralité), en ce qu’elle réunissait en elle l’illimité (ἄπειρον, universel) et la limite (πέρας, l’unité), de sorte que nous aussi, cet ordonnancement, nous devons le rechercher et présupposerH pour chaque objet une Idée une. – Ce seraient donc les dieux qui nous ont enseigné à penser, à apprendre et à enseigner ainsi ». L’idée d’un lien de l’unité et de la multiplicité, ou de la pluralité, est, chez Platon, une idée absolument maîtresse, dont il ne fait pas seulement un usage logique, mais qu’il emploie également (dans le même dialogue, par exemple dans le passage cité plus haut) comme concept de la naturexix, et qu’il considère partout comme une forme qui embrasse toute la nature, et dont l’application à la matière informe a non seulement produit des objets singuliers, mais aussi le rapport de ces objets entre eux, et a rendu possible leur subdivision en genres et en espèces.
H. Et c’est cela précisément l’essentiel. Il nous faut présupposer, dans toutes nos enquêtes empirico-logiques, une Idée ultime, déjà au fondement de tous les objets, pour pouvoir la rechercher – présupposer donc, selon Platon, qu’il y a dans l’intellect divin une telle Idée, posée au fondement des objets singuliers lors de leur production.
34Pour toutes ces raisons donc, Platon devait admettre qu’à chaque objet correspond une Idée originaire dans l’intellect divin, qui comprend toutes les espèces singulières et qui, dans la mesure où elle n’était pas née dans l’intellect divin par abstraction à partir des objets singuliers – c’est elle au contraire qui les rendait possibles – ne pouvait être rien d’engendré, rien de destructible, et en général, rien de soumis à la forme temporelleI.
I. Platon dit dans le Philèbe p. 216 : « Πρῶτον* μὲν εἲ τινας δεῖ τοιαύτας εἶναι μονάδας ὑπολαμβάνειν ἀληθῶς οὔσας* εἶνα πῶς αὖ ταύτας, μίαν ἑκάστην οὖσαν ἀεὶ τὴν αὐτὴν καì μήτε γένεσιν μήτε ὅλεθρον προσδεχομένην, ὅμως εἶναι βεβαιότατα μίαν ταύτην »16 ;
Mais partout, il pose ces monades pures uniquement dans l’intellect divin, (car ce n’est qu’en celui-ci qu’elles devaient se trouver originairement, et avant tous les objets). Il n’attribue en revanche à l’intellect humain que la forme générale d’une telle distinction logique, mais en ce qui concerne les concepts universels euxmêmes, il les fait naître (cf. le passage p. 220, cité plus haut) de manière empirique (par l’apprentissage et l’enseignement). Cf. également p. 219 : « πάντα ὅσα τέχνης ἐχόμενα ἀν ηυρέθη πώποτε διὰ ταύτης (ὁδου*) ϕανερά γέγονε »17. En règle générale, lorsque l’on étudie la théorie platonicienne des Idées, on doit constamment avoir à l’esprit que, d’après Platon, les Idées sont toujours les Idées d’un intellect divin, et qu’elles ne sont devenues possibles dans l’intellect humain que par la communauté intellectuelle qui existe entre l’intellect de l’homme et l’origine de tous les êtres.
35Il fallait donc que le monde, en tant que grand ζῷον, ait pour fondement dans l’intellect divin une Idée une, qui ne présentait pas seulement un genre particulier ou une espèce particulière d’êtres organiques, mais qui pouvait valoir comme Idée universelle pour tous. De même qu’il n’y a qu’une unique idée du monde, il ne pouvait y avoir qu’un monde visible unifié (τῷ γὰρ τῶν νοουμένων καλλίστῳ καὶ κατά πάντα τελέῳ μάλιστα αὐτòν ὁ θεòς ὁμοιώσαι βουληθεìς ζῷον ἓν ὁρατόν, πάνθ’ ὅσα αὐτοῦ κατὰ ϕύσιν συγγενῆ ζῷα ἐντòς ἔχον ἑαυτοῦ, συνέστησεν)xx. On voit bien clairement ici ce qu’est pour Platon le modèle, qu’il avait mis au fondement du monde. Rien d’autre en effet qu’une idée. Car seule l’idée du monde est nécessairement une et unique. Or Platon dit que le monde visible est une imitation du modèle le plus parfait, et pour cette raison, il doit nécessairement être seulement un et unique. De plus, il dit déjà par anticipation que le modèle du monde visible est seulement un. Mais s’il n’avait pas compris le modèle comme une idée, il n’aurait pu le dire par avance. Car seule l’idée du monde s’impose nécessairement sous la forme la forme de l’unité, parce qu’elle n’est produite que par la forme de l’unité absolue qui a son fondement dans la faculté de représentation. C’est précisément pourquoi on peut à nouveau voir ici la transposition du subjectif en objectif qui gouverne si complètement la philosophie de Platon dans son entier. Car le monde est – à proprement parler, seulement à titre de représentation en nous – unité, parce que la forme subjective de la raison s’oriente, en toute occurrence, vers l’unité absolue, et ainsi chaque partie du monde, que l’on pourrait considérer comme un monde particulier, est aussitôt conduite à la représentation du Tout par la raison qui s’oriente de manière irrépressible vers l’inconditionné. Que le raisonnement de Platon ait pris son point de départ dans la découverte au sein de notre raison de ce type déterminé de procédé, on le voit clairement p. 306-307. Il dit en effet : τò γὰρ περιέχον πάντα ὁπόσα νοητὰ ζῷα μεθ’ ἑτέρου δεύτερον οὐκ ἄν ποτ’ εἲη (cela ne peut se dire que du monde intelligible, pour autant qu’il est dans la forme de la faculté de représentation – donc uniquement de l’idée du monde.) πάλιν (alioquin) γάρ ἂν ἓτερον εἶναι τò περὶ ἐκείνω δέοι ζῷον, οὗ μέρος ἂν εἲτην ἐκείνω (une description fort simple de la façon dont procède la raison, preuve manifeste de ce que Platon parle seulement de l’idée du monde.) καì οὐκ ἂν ἔτι ἐκείνοιν ἀλλ’ ἐκείνω τῷ περιέχοντι τόδ’ ἂν ἀϕωμοιωμένον λέγοιτο ὀρθότερον. » (une fois encore, une description de la manière dont la raison produit subjectivement l’Idée du monde)18.
36(Mais ensuite, on peut encore relier les Idées singulières des genres singuliers à l’Idée universelle du monde en général. Platon s’exprime ainsi à ce sujet p. 322 : « Dieu a contemplé plusieurs Idées dans l’Idée du ζῷον en général ». Or, Platon n’affirme jamais que chaque individu dans le monde a sa propre Idée individuelle, mais il a donné seulement à chaque genre particulier d’objets une Idée comme fondement, et c’est justement parce qu’elle était l’Idée du genre, qu’elle était aussi comme Idée au fondement de chaque objet singulier (individu). C’est à la page p. 322, qu’on en voit le plus clairement le sens : « ᾗπερ οὖν νοῦς ἐνούσας ιδέας τῷ ὃ* ἔστιν ζῷον, οἷαί τε ἔνεισι καì ὅσαι, καθορᾷ, τοιαύτας καì τοσαύτας διενοήθη δεῖν καì τόδε** σχεῖν »19. Quelque soit le nombre et la variété de manières dont l’intellect contemplait en général les Idées contenues dans le ζῷον idéal (τῷ ὄντι), le ζῷον visible devait également contenir, de la même manière et en un même nombre, les imitations de ces modèles. Il s’explique encore plus précisément à ce sujet : « εἰσìν δὴ τέτταρες (ιδεαι)*, μία μὲν οὐράνιον θεῶν γένος (astres)*, ἂλλη δὲ πτηνòν καì ἀεροπόρον, τρίτη δὲ ἔνυδρον εἶδος, πεζòν δὲ καì χερσαῖον τέταρτον »20. On voit donc ici qu’il ne s’agit que de genres, d’idées en tant que concepts génériques).
37Puisque rien n’est visible sans feu, puisque rien n’est tangible sans quelque chose de solide (ἂνεν τινòς στεροῦ), les éléments matériels fondamentaux du monde sont donc le feu et la terre p. 307xxi. Pour lier les deux, il a eu recours au feuxxii et à l’eau, p. 308-309 : « ɸιλίαν τε ἔσχεν ἐκ τoύτων (το παν)*, ὥστε εἰς ταὐτòν αὑτῷ συνελθòν ἄλυτον ὑπό του ἄλλου πλὴν ὑπò τοῦ συνδήσαντοσ (θεου)* γενέσθαι »21.
38Dieu a fait entrer ces éléments en entier dans le monde, μέρος οὐδὲν οὐδενòς οὐδὲ δύναμιν ἔξωθεν ὑπολιπών22, 1) parce que le monde est le ζῷον le plus parfait, qui englobe toutes choses, 2) parce qu’il n’y a qu’un seul monde (et donc on ne peut pas laisser de côté quelque chose à partir de quoi un nouveau monde pourrait naître), 3) afin que l’ordre du monde ne soit pas troublé ou détruit par des forces extérieures à sa périphériexxiii.« διά δὴ τὴν αἰτίαν καì τòν λογισμòν τόνδε ἕνα ὅλον ὅλων ἐξ ἁπάντων τέλεον καì ἀγήρων καì ἄνοσον αὐτòν ἐτεκτήνατο »23.
39« Καì σχῆμα (forman) δὲ ἔδωκεν αὐτῷ τò πρέπον καὶ τò συγγενές. τῷ δὲ τὰ πάντα ἐν αὑτῷ ζῷα περιέχειν μέλλοντι ζᾠῳ πρέπον ἂν εἴη σχῆμα τò περιειληϕòς ἐν αὑτῷ πάντα ὁπόσα σχήματα διò καì σϕαιροειδές, ἐκ μέσου πάντῃ πρòς τὰς τελευτὰς, ἴσον ἀπέχον, κυκλοτερὲς αὐτò ἐτορνεύσατο, πάντων τελεώτατον ὁιότατόν τε αὐτò έαυτῷ σχημάτων »24 p. 309-310.
40En ce qui concerne le mouvement du monde, il lui a donné un τῶν ἑπτὰ (κινησεων) τὴν περὶ νοῦν καì ϕρόνησιν μάλιστα οὖσαν <p. 311>xxiv, c’est-à-dire celui qui, parmi les sept sortes de mouvements, est le plus apparenté à l’intellect. (Comment Platon en vient-il à considérer que les différentes formes et les différents rapports dans l’espace sont toujours en relation avec une Idée, par exemple, que la forme sphérique est la plus semblable à celle de la divinité, le mouvement circulaire, celui qui est le plus apparenté à l’intellect [et c’est aussi la raison pour laquelle le visage a été donné aux hommes (p. 338)]25 ? Sans doute toutes les constructions dans l’espace lui semblaient reposer sur des Idées, parce qu’il avait des idées si sublimes à propos d’une science qui pouvait être tirée simplement de la faculté de représentation elle-même, sans avoir besoin d’être guidée par aucune expérienceJ, et parce que, considérant toutes les Idées comme apparentées entre ellesH, il considérait également les formes de l’espace comme quelque chose d’apparenté d’un point de vue formel à la nature divine, et de manière générale, à l’idéal (νοῦς, ϕρόνησις) – « τὰς δὲ ἓξ ἁπάσας κινήσεις (τῳ παντι)* ἀϕεῖλεν καὶ ἀπλανὲς ἀπηργάσατο αυτων** »26 (ab eorum errore et pervagatione penitus liberavit, Ficin).
J. Cf. Kant, Critique de la Faculté de Juger.
K. Ménon p.xxv
41Maintenant, en ce qui concerne l’âme du monde, elle était plus ancienne que le corps du monde, et le démiurge l’a liée à celui-ci afin qu’elle le domine. p. 312 (τὴν) καì γενέσει καì ἀρετῇ προτέραν καì πρεσβυτέραν ψυχὴν σώματος ὡς δεσπότνι καì ἄρξουσαν ἀρξομένου συνεστήσατους27 (ὁ δημιουργός). Quant à la manière dont les deux termes ont été liés, il la présente ainsi <p. 312>xxvi : « à partir de l’οὐσία indivisible et immuable (l’âme du monde) et de la matière divisible et corporelle, il (le démiurge) a opéré un mixte, une troisième sorte de substance, intermédiaire entre les deux. Puisqu’elles s’opposaient toutes deux, l’une étant partout identique à elle-même et l’autre de part en part variable (τò ἀμερές, τò μεριστόν, τ’ αὐτο δύσμικτον), il les a maintenues ensemble avec violence, et de cette matière soumise à la contrainte, il a fait de nouveau un mélange avec le μεριστόν et l’ἀμερές, et a produit de cette manière un ToutL un.
42À partir de là, il décrit les différentes proportions selon lesquelles Dieu a construit le monde, cette harmonie pour nous à jamais incompréhensible !
43L’âme du monde a été répartie dans tout l’univers. Il l’a installée au milieu, et à partir de là, elle s’est étendue sur le Tout. <p. 315> : « ἡ δ’ ἐκ μέσου πρòς τòν ἔσχατον οὐρανòν πάντῃ διαπλακεῖσα κύκλῳ τε αὐτòν (τον ουρανον)* ἔξωθεν περτκαλύψασα, αὐτὴ ἐν αὑτῇ στρεϕομένη, θείαν ἀρχὴν ἤρξατο ἀπαύστου καì ἔμϕρονος βίου πρòς τον σύμπαντα χρόνον »28. – « θεαιν on a aussi, p. 312 « διὰ πάντα δὴ ταῦτα εὐδαίμονα θεòν (υοἱν θεο<υ> ?)* αὐτòν ἔγεψήσατο** »29.
L. « Ideo forte bis haec philosophus putavit miscenda, quod materia copulari sese materiae simplici, nisi accuratissime misceatur et proportio adhibeatur optima, non patitur » tiedemann, Argumenta Platonis p. 315xxvii.
44Concernant la manière dont la forme de l’intellect se communique à l’âme du monde, Platon s’exprime ainsi : « καὶ τò μὲν δὴ σῶμα ὁρατòν οὐρανοῦ γέγονεν, αὐτὴ δὲ ἀόρατος μέν, λογισμοῦ δὲ μετέχουσα καì ἁρμονίας ψυχή, τῶν νοητῶν ἀεί τε ὄντων ὑπό τοῦ ἀρίστου ἀρίστη γενομένη τῶν γεννηθέντων »30.
45(Il ne s’agit absolument pas ici de communiquer à l’âme du monde une substance, mais uniquement de lui communiquer le λογισμός (non pas le λόγος, l’intellect, mais ce qui est un produit de l’intellect, la forme de l’intellect) et l’ἁρμονία τῶν νοητῶν (une forme d’unité propre au monde intelligible)).
46Platon décrit ensuite l’activité de l’âme du monde rationnelle comme étant tout à fait analogue à celle de la raison humaine. C’est pourquoixxviii il dit que l’âme du monde, dans la mesure où elle est composée du divisible et de l’indivisible, opère d’elle-même d’emblée la séparation entre les simples objets de la sensibilité (τὰ γιγνόμενα) et les objets intelligibles (τὰ κατὰ τ’αὐτὰ ἔχοντα ἀεί). C’est un mouvement circulaire qui présente de manière sensible l’activité de l’âme du monde dans son ensemble. Lorsque l’âme du monde rapporte son activité (circulaire) à quelque chose de sensible (δóξα καὶ πίστις, cf. plus haut p. 1 et « sur la philosophie platonicienne » p. 1)xxix, dans la mesure où elle est composée de divisible, il en résulte l’opinion et la croyance, en revanche, dans la mesure où elle se rapporte à quelque chose d’intelligible (λογικός), il en résulte l’intellect et la science (νοῦς καὶ ἐπιστήμη). Cela s’accorde tout à fait avec ce qu’il dit de l’âme humaine. En effet, celle-ci reçoit par les objets sensibles seulement des δόξαι. L’âme du monde, pour autant qu’elle se rapporte à de tels objets, ne peut produire que des δόξαι, mais, par les Idées, elle accueille la science ; ainsi même l’âme humaine, dans la mesure où elle participe des Idées, produit la scienceM.
Μ. « λόγος δὲ ὀ κατά ταὐτòν ἀληθὴς γιγνόμενος περί τε θάτερον ὄν καì περὶ τò ταὐτòν, ἐν τῷ κινουμένῳ ὑϕ’αὑτοῦ ϕερόμενος ἄνευ ϕθόγγου καì ἠχῆς, ὅταν μὲν περὶ τò αἰσθητòν γίγνηται καì ὁ τοῦ θατέρου κύκλος ὀρθòς ἰὼν εἰς πᾶσαν αὐτοῦ τὴν ψυχὴν διαγγείλῃ, δόξαι καì πίστεις γίγνονται βέβαιοι καì ἀληθῖς, ὅταν δὲ αὖ περì τò λογιστικòν ᾖ καì ὁ τοῦ ταὐτοῦ κύκλος εὔτροχος ὤν αὐτὰ μηνύση, νοῦς ἐπιστήμη τε ἐξ ἀνάγκης ἀποτελεῖται »31 316. Il faut bien admettre que ce passage, dans son entier, est l’un des plus obscurs.
47P. 316. « Ώς δὲ κινηθὲν αὐτò καì ζῶν ἐνόησεν τῶν ἀιδίων θεῶν γεγονòς ἄγαλμα ὁ γεννήσας πατήρ, ἠγάσθη τε καì εὐϕρανθεὶς ἔτι δὴ μᾶλλον ὅμοιον πρòς τò παράδειγμα ἐπενόησεν ἀπεργάσασθαι »32.
48On ne peut pas encore déduire avec certitude de ce passage que Platon a appelé les Idées αϊδίους θεούς (Plessingxxx § 32). En effet, dans la mesure où les Idées sont aussi présentées comme les produits d’une intelligence divine, il pouvait appeler le monde formé d’après ces Idées non seulement image des Idées, mais aussi image des dieux éternels. En outre, Platon, à plusieurs reprises, nomme également θεοί les astres (dont la Terre fait partie), par exemple p. 322, comme plus haut, il avait donné le nom de θεόν au monde en général. Les θεοί αϊδίοι peuvent donc être les idées des corps célestes, que Dieu a imitées en produisant les astres – et qu’il appelle θεούς αϊδίους, non parce qu’elles sont des idées, mais parce qu’elles sont les Idées des astres, qu’il appelle θεούς, tout comme précédemment il avait appelé ζῷα νοητὰ; les idées de tous les êtres vivants, non au titre d’idées, mais au titre d’Idées d’êtres vivants. (cf. tiedemann, Argumenta Platonisxxxi p. 317)
49πρòς παράδειγμα – concerne à nouveau le modèle idéal du monde, d’après lequel celui-ci a été produit.
50(p. 317) « καθάπερ οὖν αὐτò τυγχάνει ζῷον ἀίδιον*, καὶ τόδε τò πᾶν οὕτως εἰς δύναμιν ἐπεχείρησε τοιοῦτον ἀποτελεῖν »33.
51Ce modèle idéal était éternel, parce que chez Platon tout ce qui est objet de la raison pure (tout ce qui a la forme de la nécessité et de l’immutabilité) est appelé éternel. Nouvelle preuve de ce qu’il ne pouvait admettre d’existence physique du παράδειγμα, car il distingue explicitement deux espèces d’existence seulement – l’existence pure et l’existence physique. Il ne peut avoir mis le modèle du monde dans cette dernière catégorie, précisément parce qu’il le tient pour éternel, tandis qu’il définit comme genhtovn tout ce qui existe de manière physique, comme nous allons le voir tout de suite. « Mais il lui fallait encore admettre une troisième espèce d’existence – réelle (real) quoique pure, par exemple, l’existence de Dieu ».
52Le concept d’existence, dès qu’il s’applique à quelque chose de supra-sensible, que se soient des idées ou des objets, dans la mesure où ils existent en dehors de leurs Idées, perd toute signification physique et ne conserve qu’une signification logique. L’Idée d’existence pour des objets supra-sensibles (réels) coïncide avec l’Idée d’existence de simples idées. Le concept d’existence appliqué à l’Idée de Dieu est un abîme pour la raison humaine – ou bien elle s’abandonne aux divagations de la rêverie la plus extravagante, ou bien elle ne fait aucun pas au-delà des limites de l’Idée. Car, au moment où elle veut élargir le champ de l’Idée (ajouter une détermination autre que logique), elle s’étrangle nécessairement parce qu’elle n’a, pour le concept d’existence, d’autre forme que celle qui se tient dans les limites de la nature et qui donc est infiniment trop étroite pour ce concept supra-sensible. Platon, qui avait compris avec autant de profondeur ce qu’est l’esprit humain, même si ce n’est que par un pressentiment – pressentiment cependant toujours suffisamment profond – Platon, qui a eu une connaissance de la raison, pour autant qu’elle est mère des Idées, plus profonde qu’aucun autre philosophe de l’Antiquité, Platon, qui vivait constamment dans le monde des Idées, avait sûrement dû toujours trouver ce concept d’existence trop étroit pour des Idées de cette espèce. Ce n’est pas une simple supputation – car il dit expressément que toute espèce d’existence, hormis celle qui subsiste aux yeux de la raison pure, s’anéantit lorsqu’elle s’applique aux Idées – et il parle ainsi, non seulement des Idées en tant que formes de la raison, mais aussi des idéaux (objets des Idées extérieurs à celles-ci). Ainsi dit-il, par exemple, que l’âme humaine, en tant que noumène, est semblable aux idées du point de vue de leur existence. Il ne connaissait donc aucun autre concept d’existence que celui qui subsiste dans la pensée pure, concept qui convient tant aux objets réels qu’idéels du monde supra-sensible. Il faut donc toujours être très prudent quand on dit qu’on ne peut pas trancher la question de savoir si Platon a attribué aux Idées une existence de la même espèce que celle qu’il attribuait à Dieu et à l’âme humaine (en tant que noumène), ou s’il se borne à leur conférer une simple existence logique – mais on n’est guère plus avancé, car les deux concepts coïncident – il n’y a, dans le monde supra-sensible, aucun objet existant avec lequel, du point de vue de son existence, on puisse aller plus loin qu’une existence à nouveau idéale.
53«ἡ μὲν οὖν τοῦ ζῴου ϕύσις ἐτύγχανεν οὖσα αἰώνιος, καì τοῦτο μὲν δὴ τῷ γεννητῷ παντελῶς προσάπτειν οὐκ ἦν δυνατόν»34
54«εἰκώ* δ’ ἐπενόει κινητόν τινα αἰῶνος (aiternitatis) ποιῆσαι, καì διακόσμῶν ἅμα οὐρανòν ποιεῖ μένοντος αἰῶνος ἐν ἐνὶ κατ’ ἀριθμòν ἰοῦσαν αἰώνιον εἰκόνα, τοῦτον ὅν δὴ χρόνον ὠνομάκαμεν»35.
55Il est impossible que le monde, selon sa forme matérielle, soit une image de l’éternité, seule peut l’être une forme pure, par laquelle justement Platon définit le temps qu’il présente comme une réplique de l’éternité. Le temps est image de l’éternité pour cette seule raison que c’est à partir de lui, et de lui seul, que la question de l’éternité est rendue possible ; le temps lui-même, en tant que forme à laquelle nous sommes liés, nous empêche constamment de pouvoir répondre à cette question. Toutefois, il s’avère, plus loin dans le texte, que ce que Platon comprend par αἰών n’est rien d’autre que la forme pure du temps en nous, lorsqu’elle ne s’applique pas encore aux phénomènes. Il faut d’ailleurs qu’une telle forme existe pour qu’elle puisse ensuite s’appliquer aux phénomènes. Le temps, dans la mesure où il est en lui-même succession (c’est-à-dire, pour autant qu’il est appliqué aux phénomènes), est eijkwvn de l’Idée de temps qui, pour autant qu’il n’est absolument pas appliqué aux phénomènes, connaît seulement un εἶναι.
56«ἡμέρας γὰρ καὶ νύκτας καὶ μῆνας καì ἐνιαυτούς, οὐκ ὄντας πρὶν οὐρανòν γενέσθαι, τότε ἅμα ἐκείνω συνισταμένῳ τὴν γένεσιν αὐτῶν μηχανᾶταν ταῦτα δὲ πάντα μέρη χρόνου, καὶ τό τ’ ἦν τό τ’ ἔσται χρόνου γεγονότα εἴδη, ἃ δὴ ϕέροντες λανθάνομεν ἐπὶ τὴν ἀίδιον οὐσίαν»36.
57La succession dans le temps ne commence qu’avec un substrat (οὐκ ὄντας πρὶν οὐρανòν γενέσθαι), et dans la mesure où le temps n’est qu’en tant que forme de notre intuition lorsque nous percevons des successions, il est possible de dire qu’il n’y avait pas de temps, avant que le monde, ou un substrat quelconque, n’ait été donné. Mais Platon semble connaître un simple εἶναι du temps, totalement indépendant de notre intuition, et à propos duquel il ne saurait absolument être question de succession. En effet, il dit bien que ce qui a commencé avec le monde, ce sont seulement les mois, les années, etc. – mais c’est à tort, et sans même qu’on le sache, que l’on rapporte la forme de la succession en général au temps lui-même, en tant qu’Idée, alors qu’en réalité on peut seulement en dire ceci : il est. – (οὐκ ὀρθῶς, λέγομεν γὰρ δὴ ὡς ἦν ἔστιν τε καὶ ἔσται τῇ δὲ τò ἔστιν μόνον κατὰ τòν ἀληθῆ λόγον προσήκει, τò δὲ ἦν τό τ' ἔσται περὶ τὴν ἐν χρόνῳ γένεσιν ιοῦσαν πρέπει λέγεσθαι)37 Platon affirme donc qu’il y a une forme temporelle qui existe indépendamment de toute succession ayant lieu dans la matière – une forme temporelle pure dont on peut seulement dire : elle est, et dont il ne faut pas confondre les déterminations avec celles du temps, pour autant qu’il est appliqué à la matière.
58– «τò δὲ ἦν τό τ’ ἔσται περὶ τὴν ἐν χρόνῳ γένεσιν ιοῦσαν πρέπει λέγεσθαι κινήσεις γάρ ἐστον, τò δὲ ἀεὶ κατὰ ταὐτά εχον ἀκινήτως οὔτε πρεσβύτερον οὒτε νεώτερον προσήκει γίγνεσθαι διὰ χρόνου οὐδὲ γενέσθαι ποτὲ οὐδὲ γεγονέναι νῦν οὐδ' εἰς αὖθις ἔσεσθαι»38
59– Platon distingue donc l’Idée du temps (τò κατὰ ταύτὰ ἔχον) du temps dans la mesure où il apparaît à même les successions de la matière. On peut dire qu’il y a tout simplement déjà en nous une forme pure du temps, dans laquelle n’advient ni changement ni succession, parce qu’en effet, ceux-ci ne sont produits que par l’intuition. Tant que l’on n’applique pas la forme du temps aux phénomènes, elle ne connaît pas de succession. À présent s’éclaire aussi ce que, plus haut, Platon comprenait par éternité. Rien d’autre que la forme temporelle pure en nous qui n’est pas encore appliquée aux phénomènes, et qui ne connaît de succession que lorsqu’elle est appliquée aux phénomènes (τò ἦν, τό τ’ ἔσται).
60Toutes les successions ne sont que des parties du temps, considéré comme simple imitation de l’Idée pure de temps qui, en tant que telle, ne connaît aucun changement (χρόνου ταῦτα αἰῶνα μιμουμένου καì κατ’ ἀριθμòν κυκλουμένου γέγονεν εἴδη)39, c’est-à-dire qu’elles ne sont rien d’autre que des parties de la forme temporelle appliquée aux phénomènes (car, indépendamment des phénomènes, il n’y a pas de succession dans le temps). La forme temporelle pure est seulement. Platon emploie à nouveau ici le εἶναι avec le sens éminent qu’il lui donnait déjà ailleurs et, pour en faire davantage ressortir le sens, il affirme précisément dans ce contexte que l’on ne peut absolument pas employer le εἶναι pour parler des phénomènes. Il dit avec suffisamment de clarté qu’il serait faux d’affirmer que : l’événement EST advenu (das Geschehne ist geschehen) etc., car dans toutes ces expressions, il est question du néant, pris comme changement, alors que c’est seulement des Idées qu’on peut prédiquer l’être au sens propre (immuable). « καì πρòς τούτοις ἔτι τὰ τοιάδε, τό τε γεγονός εἶναι γεγονός καì τò γιγνόμενον εἶναι γιγνόμενον, ἔτι τε τò γενησόμενον εἶναι γενησόμενον καì τò μὴ ὂν μὴ ὂν εἶναι, ὧν οὐδέν ἀκριβὲς λέγομεν »40. Tout le passage concernant le temps peut ainsi servir à déterminer le sens que Platon a donné à l’οὐσία des Idées.
61« χρόνος δ’ οὖν μετ’ οὐρανοῦ γέγονεν »41. Il est maintenant facile de comprendre en quel sens il faut prendre cette expression. En effet, le temps, dans la mesure où il est de manière générale γενητόν τι, est né avec le monde – le temps, c’est-à-dire celui qui est intuitionné à même les phénomènes, et non celui qui est une forme pure de l’intuition, car de celle-ci on ne peut absolument pas dire qu’elle ait été engendrée.
62P. 336xxxii Platon aborde les propriétés de la qualité. Ce passage s’éclaire à la lumière de celui du Philèbe que nous citions tout à l’heurexxxiii. Platon y affirme en effet que le monde est né de la liaison des éléments – dans la mesure où ils sont ἄπειρα, en d’autres termes, dans la mesure où ils sont seulement compris sous la catégorie de la qualité – avec la forme de l’intellect qu’il nomme πέρας, et par laquelle il comprend la quantité, ainsi que toute autre détermination, au moyen de la forme pure de la faculté de représentation.
63Les propriétés de la qualité, pour autant qu’elles appartenaient dès l’origine aux éléments, seraient, d’après lui, seulement ξυναίτια, et a non αἰτία τῶν πάντῶν. Ce qui revient à dire qu’elles ont collaboré à la genèse du monde, ou, comme il l’a dit précédemment, que Dieu s’en est servi comme d’auxiliaires (ὑπηρετούντων)xxxiv, pour présenter aussi parfaitement que possible l’idée du bien (dans le monde). Il reprend ainsi explicitement ce qu’il dit dans le Philèbe, à savoir qu’il faut encore un troisième terme qui détermine les éléments, contribuant ainsi à la réalisation des Idées dans le monde. Selon le Philèbexxxv, ce troisième terme doit être une αἰτία, et même une αἰτία qui possède une auto-activité intelligente. Ainsi, les propriétés de la qualité, qui appartenaient dès l’origine à la matière, (chaleur, froid, lumière, etc.), et qui selon les cosmogonies physiques des anciens Grecs avaient formé le monde, ne pouvaient en être la cause, car elles sont incapables d’intellect (en tant que force agissante) et doivent recevoir de l’extérieur la forme de l’intellect. Car l’intellect n’est possible que dans une âme. Or celle-ci est tout simplement invisible. Le feu, l’eau, l’air, la terre sont, eux, devenus visibles (même si, depuis le début, ils pouvaient être invisibles, ils sont cependant capables de revêtir les formes de l’intuition sensible). Platon dit donc qu’il faut rigoureusement distinguer deux types de causes : les unes qui produisent la forme du beau et du bien au moyen de l’activité rationnelle (ὅσαι μετὰ νοῦ καλῶν καὶ ἀγαθῶν δημιουργοὶ)42, p. 337, les autres, privées d’intellect, qui agissent sans règle et au hasard (ὅσαι μονωθεῖσαι ϕρονήσεως τò τυχòν ἄτακτον ἑκάστοτε ἐξεργάζονται)43 N.
N. «Δοξάζεται δὲ ὑπò τῶν πλείστων οὐ συναίτια ἀλλα αἴτια εἶναι τῶν πάντων, ψύχοντα καὶ θερμαίνοντα πηγνύντα τε καὶ διαχέοντα καὶ ὅσα τοιαῦτα ἀπεργαζόμενα. λόγον δὲ οὐδένα οὐδέ νοῦν εἰς οὐδὲν δυνατὰ εχειν ἐστίν. τῶν γὰρ ὄντων ᾧ νοῦν μόνῳ κτᾶσθαι προσήκει, λεκτέον ψυχήν τοῦτο δὲ ἀόρατον, πῦρ δὲ καὶ ὕδωρ καὶ γῆ καὶ ἀὴρ σώματα πάντα ὁρατὰ γέγονεν τòν δὲ νοῦ καὶ έπιστήμης ἐραστὴν ἀνάγκη τὰς τῆς ἔμϕρονος ϕύσεως αἰτιας πρώτας μεταδιώκειν, ὅσαι δὲ ὑπ’ ἄλλων μὲν κινουμένων, ἕτερα δὲ κατὰ ὅσαι δὲ ὑπ’ ἄλλων μὲν κινουμένων, ἕτερα δὲ κατά ἀνάγκης κινούντων γίγνον ται, δευτέρας ποιητέον»44 p. 336-337.
64Platon rapporte tout, y compris ce qui est dans le corps humain, à la finalité. Pour lui, le corps humain en entier n’est fait que pour admirer le grand ordonnancement du monde et pour rapprocher l’intellect propre de l’homme de l’image de l’intellect divin par la perception du mouvement du ciel.
65Platon appelle les mouvements du ciel τὰς τοῦ νοῦ περιόδους dans la mesure où ils dépendent de la forme de l’intellect humainO. L’intuition de ces mouvements, dit Platon, doit servir de modèle pour former l’activité de notre propre intellect (selon sa forme) p. 338 : « τούτου* λεγέσθω παρ’ ἡμῶν αὕτη ἐπὶ ταῦτα αἰτία, θεòν ήμῖν ἀνευρεῖν δωρήσασθαί τε ὄψιν, ἵνα τὰς ἐν οὐρανῷ τοῦ νοῦ κατιδόντες** περιόδους χρησαίμεθα ἐπὶ τὰς περιϕορὰς τὰς τῆς παρ’ ἡμῖν διανοήσεως, συγγενεῖς ἐκείναις οὔσας, ἀταράκτοις τεταραγμένας, ἐκμαθόντες δὲ καì λογισμονp κατὰ ϕύσιν ὀρθότητος μετασχόντες, μιμούμενοι τὰς τοῦ θεοῦ πάντως ἀπλανεῖς οὔσας, τὰς ἐν ἡμῖν πεπλανημένας καταστησαίμεθα »45.
O. Toutefois, la leçon n’est pas sûre. L’édition Bipontine propose : ἵνα τὰς ἐν οὐρανῷ τοῦ νοῦ κατιδόντος περίοδος xxxviχρησαίμεθα etc. Ici le τοῦ νοῦ se rapporte à l’intellect humain. Mais Ficin semble avoir lu κατιδόντεςxxxvii. P. Meliorandum λογισμου
66De même, dit-il, Dieu nous a donné l’ouïe et la parole, afin que l’activité de notre âme se détermine à l’unité par l’harmonie. Cf. Plessingxxxviii § 134.
67P.339 «ὅσον τ’ αὖ μουσικῆς ϕωνῇ χρήσιμον πρòς ἀκοὴν ἕνεκα ἁρμονίας ἐστὶ δοθέν. ἡ δὲ ἁρμονία, συγγενεῖς ἔχουσα ϕορὰς ταῖς ἐν ἡμῖν τῆς ψυχῆς περιόδοις, τῷ μετὰ νοῦ προσχρωμένῳ Μούσαις οὐκ ἐϕ’ ἡδονὴν ἄλογον καθάπερ νῦν εἶναι δοκεῖ χρήσιμος, ἀλλ’ ἐπὶ τὴν γεγονυῖαν ἐν ἡμῖν ἀνάρμοστον ψυχῆς περίοδον εἰς κατακόσμησιν καὶ συμϕωνίαν έαυτῇ σύμμαχος ὑπò Μουσῶν δέδοται καὶ ῥυθμòς αὖ διὰ τὴν ἄμετρον ἐν ἡμῖν καὶ χαρίτων ἐπιδεᾶ γιγνομένην ἐν τοῖς πλείστοις ἕξιν ἐπίκουρος ἐπὶ ταὐτὰ ὑπò τῶν αὐτῶν ἐδόθη»46.
68Platon passe à présent à ce qu’il appelle la nécessité qui était à l’œuvre lors de la genèse du monde, autrement dit, aux éléments qui préexistaient déjà, et à la manière dont ces éléments ont collaboré à la genèse de ce monde.
69La phrase capitale que Platon présuppose est la suivante, p. 339 : « μεμειγμένη* ἡ τοῦδε τοῦ κόσμου γένεσις ἐξ ἀνάγκης τε καὶ νοῦ. συστάσεως ἐγεννήθη »47.
70Voici comment il exprime de manière tout à fait imagée la relation réciproque des deux termes dans la production du monde : l’intellect (c’est-à-dire la forme de l’intellect) a dominé la nécessité aveugle (parce que la forme pure de l’intellect est immuable, qu’elle ne se règle pas sur la matière, mais qu’au contraire, elle se soumet la matière), en l’ayant persuadée de façonner tout ce qui naît jusqu’à obtenir une forme qui soit la plus excellente possible ; et c’est ainsi que le monde est né.Q (On voit mal pourquoi Platon emploie précisément l’image de la persuasion. Peut-être parce qu’il ne pouvait s’imaginer, au sein de la forme de l’intellect elle-même, une causalité en rapport avec la matière brute ? Et pour cette raison, il a eu recours à une personnification qui lui a permis d’employer une expression qui est au beau milieu des deux.
Q. «νοῦ δὲ ἀνάγκης ἄρχοντος τῷ πείθειν αὐτὴν τῶν γιγνομένων τὰ πλεῖστα ἐπὶ τò βέλτιστον ἄγειν, ταύτῃ κατὰ ταῦτά τε δι’ ἀνάγκης ἡττωμένης ὑπò πειθοῦς ἔμϕρονος οὕτω κατ’ ἀρχὰς συνίστατο τόδε τò πᾶν»48 p.339
71Concernant la naissance du monde, Platon avait déjà auparavant distingué :
le modèle qui est au fondement du monde (παράδειγμα αητόν, καὶ ἀεὶ κατα ταυτὰ ὄν), et
l’imitation de ce modèle par le monde visible (μίμημα παραδείγματος γένεσιν ἕχον καὶ ὁρατόν).
72À présent il parle du troisième terme, la matière du monde, que le deuxième présupposexxxix. La matière est-elle composée de ces éléments ?
73Que sont-ils ?xl demande Platon. Réponse : aucun élément n’est immuable – au contraire, il faut remarquer qu’ils passent continuellement l’un dans l’autre. L’eau, par exemple, se pétrifie sous l’action du froid. À la chaleur, elle redevient de l’eau ; fortement chauffée, elle donne de l’air, qui, fortement chauffé, donne le feu, d’où provient à nouveau l’air qui, quand il se condense, produit la pluie et les nuages, desquels à nouveau provient l’eau, etc. Et nous remarquons ainsi une circulation continuelle des élémentsR. Qui pourrait alors donner un nom particulier à l’un des éléments sans craindre d’être immédiatement réfuté, qui pourrait dire : ceci, c’est du feu, ceci, c’est de l’eau ! (On voit que Platon parle d’une mutabilité empirique et spéciale des éléments (cf. le passage du Philèbe cité ci-dessus et Miscellaneen), d’une mutabilité qui ne leur vient pas seulement de ce qu’ils sont des objets empiriques en général, opposés aux objets intelligibles : il parle d’une mutabilité empirique spéciale de ces objets). La manière la plus sûre de s’exprimer à ce sujet, continue-t-il, est la suivante : ce qui apparaît toujours sous une figure variée, mais qui apparaît le plus souvent sous celle du feu, n’est pas du feu, mais toujours seulement quelque chose d’igné – tout comme ce n’est pas de l’eau, mais toujours seulement quelque chose d’aquatique. Nous ne pouvons donc pas non plus donner aux éléments, quelle que soit la manière dont ils deviennent visibles pour nous, de nom déterminé, parce qu’ils sont toujours changeants. Les éléments se dérobent à toute désignation déterminéeS.
R. En choisissant de mettre l’accent sur cette circulation continuelle, Platon fait comprendre qu’à la base des éléments visibles, quelle que soit la manière dont ils circulent les uns dans les autres, il y a des matériaux (qui ont reçu des formes différentes) discrets, réellement différents les uns des autres, mais qui restent pourtant toujours empiriques ; car s’il n’y avait pas de tels matériaux, Platon ne pourrait pas dire que les éléments circulent continuellement. Sinon, il n’y aurait qu’un seul et unique élément.
S. « κύκλον τε οὕτω διαδιδόντα εἰς ἄλληλα, ὡς ϕαίνεται, τὴν γένεσιν (τα στοιχεα)*. οὕτω δὴ τούτων οὐδέποτε τῶν αὐτῶν ἑκάστων ϕανταζομένων, ποῖον αὐτῶν ὡς ὂν ὁτιοῦν τοῦτο καὶ οὐκ ἄλλο παγίως διισχυριζόμενος οὐκ αἰσχυνειταῖ τις ἑαυτόν; οὐκ ἔστιν, ἀλλ’ ἀσϕαλέστατα μακρῷ περὶ τούτων τιθεμένους ὧδε λέγειν' ἀεί ὃ καθορῶμεν ἄλλοτε ἄλλῃ γιγνόμενον, ὡς πῦρ, μὴ τοῦτο ἀλλὰ τò τοιοῦτον ἑκάστοτε προσαγορεύειν πῦρ, μηδὲ ὕδωρ τοῦτο ἀλλὰ τò τοιοῦτον ἀεί, μηδὲ ἄλλο ποτὲ μηδὲν ὥς τινα ἔχον βεβαιότητα, ὅσα δεικνύντες τῷ ῥήματι τῷ τόδε καὶ τοῦτο προσχρώμενοι δηλοῦν ἡγούμεθά τι ϕεύγει γὰρ οὐχ ὑπομένον τὴν τοῦ τόδε καὶ τοῦτο καὶ τὴν τῷδε καὶ πᾶσαν ὅση μόνιμα ὡς ὂντα αὐτὰ ἐνδείκνυται ϕάσις. ἀλλά ταῦτα μὲν ἕκαστα μὴ λέγειν, τò δὲ τοιοῦτον ἀεὶ περιϕερόμενον ὅμοιον ἑκάστου πέρι καὶ συμπάντων οὕτω καλεῖν, καὶ δὴ καὶ πῦρ τò διά παντòς τοιοῦτον, καὶ ἅπαν ὅσον ἂν περ ἔχη γένεσιν** »49 p. 342.
74Toutefois, Platon lui-même s’explique sur ce point de la manière la plus claire qui soit, en exposant la proposition universelle que voici : tout ce qui change à même le phénomène ne saurait être l’objet d’une connaissance empirique déterminée. (ἅπαν ὅσον ἂν περ ἔχη γένεσιν). Il ne veut manifestement pas désigner là tout ce qui, en général, relève de l’empirique – qu’il appelle ordinairement γένητόν καὶ ; ἀπολλύµενον par opposition à l’immuable intelligible. Puis, il explique ces mots eux-mêmes en procédant tout à fait autrement, à l’aide d’un exemple qu’il ajoute aussitôt. Voici ce qu’il dit pour élucider ce qu’il affirme au sujet des éléments : « supposons que quelqu’un ne cesse de transformer les unes dans les autres toutes les figures possibles qu’on pourrait produire à partir du même or, et qu’on lui demande à propos de l’une d’entre elles ce qu’elle est, il pourrait sûrement répondre : elle est or – mais qu’elle soit, par exemple, un triangle, il ne pourrait l’affirmer avec autant d’assurance, parce que ces figures connaissent un changement continuel »T.
T. p. 344xli
75On voit donc ici que Platon ne parle pas du changement à même les phénomènes dans la mesure où celui-ci est opposé à l’immutabilité des objets intelligibles, mais dans la mesure où il est opposé à la permanence de la substance dont les accidents changent. C’est ainsi, par exemple, qu’il parle des éléments comme étant totalement muables, et des choses changeantes, non point dans la mesure où ils sont en général des phénomènes, mais parce que, en tant que phénomènes, ils ne sont visibles que dans leur changement, tandis que la substance sous-jacente est invisible.
76Qu’il y ait, en permanence, à la base de ce changement des phénomènes, quelque chose comme une substance empirique, Platon le dit lui-même tout de suite après, p. 344xlii. Cette substance, base du changement des phénomènes, il l’appelle « πάσης γενέσεως ὑποδοχή οἷον τιθήνην »50 p. 341. Ce qui s’appelle ici γένεσις est déjà expliqué par ce qui précède. Cela exprime en effet le changement des phénomènes en général. Il l’explique très clairement p. 344 : « τὴν πάντα δεχοµένην σώµατα ϕύσιν ταὐτòν ἀεὶ προσρητέον »51. On voit qu’il oppose ici le permanent au changement. (Il ne peut être question ici du modèle intelligible du monde, car c’est bien d’objets purement empiriques, d’un substrat empirique qu’il s’agit – il dit même expressément p. 341xliii qu’il se propose de parler d’un troisième terme, distinct du modèle intelligible). On le voit de manière plus nette encore à partir de ce qui suit. Il dit : « ἐκ γὰρ τῆς ἑαυτῆς τò παράπαν οὐκ ἐξίσταται δυνάμεως ». C’est-à-dire : la substance, selon sa nature, ne s’altère jamais, elle reste toujours la même, elle ne fait que passer dans une autre (ἐξίσταται p. 344) – « δέχεταί ἀεὶ τὰ πάντα, καὶ μορϕὴν οὐδεμίαν ποτὲ οὐδενὶ τῶν εἰσιόντων ὁμοίαν εἴληϕεν οὐδαμῇ οὐοαμῶς ». Elle reçoit tout. En d’autres termes, tout ce qui change en elle peut être remarqué, mais elle-même (en tant que substance) ne prend jamais la forme de ces phénomènes qui changent en elle.
77Platon établit donc trois choses :
une substance, à laquelle toute forme doit être inhérente,
les formes elles-mêmes, qui sont prises dans un changement empirique continuel,
les formes pures originaires qui déterminent nécessairement les formes empiriques dans leur changement continuel.
78C’est donc la substance elle-même (qui a existé immuable de toute éternité, δι’ἀναγκῆς) qui a été le substrat de toutes les différentes formes nées de l’imitation des formes intelligibles, originaires et pures. À l’origine, la substance, en ellemême, ne participait pas de ces formes, elle en est par essence incapable ; elle n’est que le substrat des formes qui sont nées de l’imitation de ces formes du monde intelligible. C’est pourquoi Platon dit aussi que seules les formes qui changent toujours sont les imitations des formes intelligibles (qu’il distingue ainsi complètement du substrat permanent et empirique du monde). τὰ δὲ εἰσιόντα καὶ ἐξιόνταC τῶν ὄντων ἀεὶ μιμήματα, τυπωθέντα δύσϕραστον καὶ θαυμαστόν p. 345)52.
79C’est p. 345 qu’il s’exprime à ce sujet de la manière la plus nette : ἐν δ’ οὖν τῷ παρόντι χρὴ γένη διανοηθῆναι τριττά, τò μὲν γιγνόμενον, (formes empiriques des phénomènes qui changent) τò ἐν ᾦ γίγνετσι, (le substrat de ces formes) » τò δ’ ὅθεν ἀϕομοιούμενον ϕύεται τò γιγνόμενον (ce par quoi les formes des phénomènes sont déterminées nécessairement, la forme pure de l’intellect, ou, comme il l’appelle ailleurs, τò πέρας)53.
U. C’est-à-dire justement les formes qui changent à même la substance comme à même leur substrat.
80« Il faut que la substance, dans la mesure où elle doit être mère de toutes choses, et en même temps avoir la figure la plus variée possible, soit tout simplement ἄμορϕος, c’est-à-dire, comme on le voit bien dans ce passage de la p. 345xliv, qu’elle n’ait aucune forme empirique déterminée et immuable (d’après laquelle tout ce qui naîtrait en elle devrait se régler). (Sa forme ne doit exclure aucune autre forme). Si elle avait une forme déterminée, elle devrait être semblable à la forme quelconque qu’elle reçoit en elle (car elle doit recevoir en elle toutes les formes possibles). Et il y aurait aussi des formes qui seraient aussitôt opposées à la sienne, et qu’elle devrait cependant admettre, en tant que substrat universel de toutes les formes, sans qu’elle puisse parfaitement les présenter, parce qu’elle tendrait à leur communiquer seulement sa propre formeV. On voit très clairement le sens que Platon [a donné à ce passage] – tout différent des bizarreries qu’ont imaginées ses commentateurs ultérieurs – à partir de cette comparaisonW avec laquelle le texte devient aussitôt clair : un artiste qui voudrait imprimer diverses formes dans une pâte molle ne laisserait subsister en elle aucune figure ; il en va de même pour la matière sous-jacente au mondeX. Il n’est pas ici question d’une matière qui ne possède jamais aucune forme, mais uniquement d’une matière qui ne possède pas de forme déterminée, immuable, d’une matière disposée à recevoir toutes les formes – Cf. Miscellaneen, « sur la plus ancienne philosophie » p. 7.
V. ὅμοιον γὰρ ὂν τῶν ἐπεισιόντων τινὶ τὰ τῆς ἐναντίας τά τε τῆς τò παράπαν ἄλλης ϕύσεως ὁπóτ’ ἔλθοι δεχόμενον κακῶς ἄν ἀϕομοιοῖ, τὴν αὑτοῦ παρεμϕαῖον ὅψιν. διò καì πάντων ἐκτòς εἰδῶν εἶναι χρεὼν τò τὰ πάντα ἐκδεξόμενον ἐν αὑτῷ γένη 54
W. Tiedemann dit fort justement (Argumenta Platonis p. 328) « unde fit ut materia Platoni dicatur informis, si abstracte, i. e. secundo naturam suam consideretur ; concrete vero sumta, i. e ut re vera existit, aliquam semper formam – habet »xlv. X. p. 346xlvi.
81Platon poursuit : « διò δὴ τὴν τοῦ γεγονότος ὀρατοῦ καὶ πάντως αἰσθητοῦ μητέρα καὶ ὑποδοχὴν μήτε γῆν μήτε ἀέρα μήτε πῦρ μήτε ὕδωρ λέγωμεν, μήτε ὅσα ἐκ τούτων μήτε ἐξ ὧν ταῦτα γέγονεν ἀλλ’ ἀόρατον εἶδός τι καὶ ἂμορϕον, πανδεχές, μεταλαμβάνον δὲ ἀπορώτατά πῃ (modo vix explicabili)* τοῦ νοητοῦ καὶ δυσαλωτότατον αὐτò λέγοντες οὐ ψευσόμεθα. καθ' ὅσον δ’ ἐκ τῶν προειρημένων δυνατòν ἐϕικνεῖσθαι τῆς ϕύσεως αὐτοῦ, τῇ δ’ ἂν τις ὀρθότατα λέγον πῦρ μὲν ἑκάστοτε αὐτοῦ τò πεπυρωμένον μέρος ϕαινεσθαί, τò δὲ ὑγρανθὲν ὕδωρ, γῆν τε καὶ ἀέρα καθ’ ὅσον ἂν μιμήματα τούτων δέχηται »55.
82Platon a déjà affirmé plus haut que les éléments, pour autant qu’ils sont visibles, diffèrent totalement du matériau, leur base, qui lui, n’est jamais visible en tant que tel – et qu’à proprement parler, ils ne sont pas le matériau même, mais qu’ils en sont les formes, les déterminations qu’il a reçues de l’extérieur.Y Car, au commencement, les éléments étaient invisibles, parce qu’ils n’avaient pas encore reçu la forme de l’intellect (c’est seulement grâce à elle qu’ils peuvent apparaître, devenir objets de l’expérience). Cette forme, ils l’ont reçue de l’intellect divin. C’est elle, et non leur fondement empirique ultime, qui les a rendus visibles, car sitôt que les éléments nous apparaissent, c’est dans la forme déterminée, nécessaire, de notre intuition, et non pas tels qu’ils étaient à l’origine, dépourvus de leur forme actuelle et de toute forme nécessaire et déterminée. Or la matière, dans la mesure où elle est composée d’éléments, où elle est le substrat empirique ultime de toutes les formes qui ont été produites par la création du monde, ne peut être visible, parce que pour nous rien d’autre que ces formes (imitations, répliques de la forme pure de l’intellect) ne peut être visible. C’est pourquoi on ne peut pas dire non plus que la matière sous-jacente au monde soit terre, feu, eau, etc. Car la matière est devenue ignée, aquatique, etc., uniquement parce qu’elle a reçu de l’extérieur, d’une manière qui se laisse difficilement penser, une détermination grâce à laquelle ces formes lui sont communiquées ; cette détermination, lorsqu’elle s’applique au matériau originel, engendre les éléments qui apparaissent. Les éléments ne nous apparaissent pas comme objets, mais seulement à même les objets, c’est-à-dire qu’ils n’apparaissent pas comme un matériau homogène à la matière, mais comme de simples déterminations de la matière. C’est au travers des objets que celle-ci nous apparaît, et toujours sous une forme qui n’est pas la sienne, mais qui, née de l’intellect ordonnateur, a été communiquée à la matière comme une forme étrangère aux objets (ce n’est donc pas sous cette forme que l’on peut concevoir son essence originaire).
Y. Un des passages les plus clairs à ce sujet est celui que l’on trouve p. 385-386 : « ταῦτα ἀτάκτως ἔχοντα ὁ θεòς ἑν ἑκάστῳ τε αὐτῷ πρòς αὐτò καὶ πρòς ἂλληλα συμμετρίας ἐνεποίησεν, ὅσας τε καὶ ὅπῃ δυνατòν ἦν ἀνάλογα καὶ σύμμετρα εἷναι, τότε γὰρ οὔτε τούτων, ὅσον μὴ τύχῃ, τι μετεῖχεν, οὔτε τò παράπαν ὀνομάσαι τῶν νῦν ὀνομαζομένων ἀξιόλογον ἧν οὐδέν, οἷον πῦρ καὶ ὕδωρ καὶ εἴ τι τῶν ἂλλων ἀλλὰ πάντα ταῦτα πρῶτον διεκόσμησεν, ἔπειτ’ ἐκ τούτων πᾶν τόδε συνεστήσατο, ζῷον ἓν ζῷα εχον τὰ πάντα ἐν ἑαυτῷ θνητὰ ἀθάνατά τε »56.
83Le substrat ultime de tous les phénomènes, le matériau ultime à même lequel apparaissent les éléments, est ἀόρατον τι, parce qu’en tant que substrat originaire, il ne pouvait recevoir aucune forme nécessaire, mais dès qu’il l’eut reçue, il cessa d’être un substrat originaire ; en tant que tel, il était sans forme, c’est-à-dire, comme Platon le dit lui-même, susceptible de recevoir toutes les formes (πανδεχές), sans être soumis à une forme nécessaire qui lui appartiendrait en propre depuis l’origine. Que le monde, en tant que substrat des phénomènes, ne doive pas être compris comme étant le monde intelligible, on le voit bien lorsqu’il dit : « cette mère invisible de toutes choses n’est devenue apte à participer de la forme de l’intellect que d’une manière tout à fait incompréhensible ».
84C’est ici que prend place l’explication du passage du Philèbe, mal interprété dans Miscellaneen, p. 12 et sq.
85Les principales propositions de Platon concernant la matière sont les suivantes :
La matière originelle (qu’il présente aussi au moyen de la catégorie de l’ἂπειρον) était susceptible de recevoir toutes les formes, et n’avait à l’origine absolument aucune forme déterminée de manière nécessaire. Elle reçoit chaque forme seulement de l’extérieur.
La forme universelle qu’elle a reçue de l’extérieur, c’est l’unité, πέρας, par laquelle ensuite sont déterminées les formes singulières qui changent à même la matière, en tant que substrat.
La matière n’est pas composée de ces formes, par exemple, la matière n’est pas feu, ni eau, etc., car cela provient seulement de la forme que la matière a reçue de l’extérieur. Les éléments, dans la mesure où ils apparaissent, ne sont rien d’autre que des formes appliquées à la matière ; déterminations du matériau originaire, qui ne sont pas elles-mêmes propres à ce matériau et qui, pour cette raison, ne doivent pas être confondues avec lui. Ce qui apparaît donc dans les éléments, ce n’est pas la matière, mais les déterminations de la matière au travers d’une forme qui lui est étrangère, ce n’est pas le matériau originaire, mais ce sont des formes que le matériau a reçues ; la matière par elle-même n’est ni feu, ni eau, etc. mais elle est rendue ignée, aquatique etc., en d’autres termes, elle a reçu la forme du feu, celle de l’eau. Il faut à présent considérer le passage du Philèbe (vol. IV ed. Bip. p. 232 et sq.) entièrement dans son contextexlvii.
86Platon examine les concepts de ἡδονή et de ϕρόνησις. Afin de pouvoir les définir avec précision, il cherche toutes les formes sous lesquelles on peut subsumer des objets. Les premières qu’il expose sont les formes de l’ἄπειρον et du πέρας. Il divise ensuite les objets en ἄπειρα et en πέρας ἔχοντα. Comme phénomènes à subsumer sous le concept d'ἄπειρον, il évoque plus particulièrement les sensations (selon le principe de la qualité). « θερμοτέρου καὶ ψυχροτέρου πέρι πρῶτον ὅρα πέρας εἴ ποτέ τι νοήσαις ἄν, ἢ τò μᾶλλόν τε καὶ ἧττον ἐν αὐτοῖς οἰκοῦν τοῖς γένεσιν, ἕωσπερ ἂν ἐνοικῆτον, τέλος οὐκ ἂν ἐπιτρεψαίτην γίγνεσθαι· γενομένης γὰρ τελευτῆς καὶ αὐτὠ τετελευτήκατον »57 p. 234-235. Dans ces propos, on voit très clairement les traces du principe kantien de la qualité. Ce sont en particulier les derniers mots qui expriment de manière suffisamment claire la nécessité avec laquelle chaque réalité peut, dans la sensation, continuellement croître et diminuer, à l’infini. Croître et diminuer continuellement est la forme nécessaire de toute sensation, de sorte que, s’il n’y avait pas d’infini dans ce continuel processus de croissance et de diminution (γενομένης τελευτῆς), il n’y aurait pas non plus de sensation (καὶ αὐτὼ τετελευτήκατον). Il s’explique encore plus clairement à ce sujet p. 249xlviii, là où il dit : « le plaisir, dans la mesure où il appartient à la catégorie de l’ἄπειρον n’a par lui-même (ἀϕ’ἑαυτοῦ) ni commencement, ni milieu, ni fin ». Il n’a pas de commencement, pour cette raison assurément que le plaisir, en tant que sensation, augmente de manière continue des degrés les plus faibles aux plus élevés. On ne peut jamais trouver un degré qui soit le plus faible, mais de chaque degré peut tirer un degré plus faible encore. – il n’a pas de milieu, pas de degré intermédiaire, parce que, quelque degré que l’on choisisse, on trouve toujours à le diviser en plusieurs parties plus petites, parce que chaque grandeur intensive est continue, et donc, entre chacune des deux, d’autres sont toujours de nouveau pensables – il est sans fin, parce chaque degré que l’on voudrait admettre comme degré dernier, est à son tour divisible, car, entre « réalité » et « zéro » dans la sensation, il y a une infinité de degrés possibles de sensation – enfin, tout cela n’est pas par soi-même (ἀϕ’ἑαυτοῦ, natura sua), parce que cette liaison continue qui existe dans la sensation est la forme nécessaire de toute sensation. Donc, tout degré de la sensation, pris dans des limites, contredit le concept de sensation.
87On voit donc que ce que Platon comprend par ἄπειρον n’est rien d’autre que la catégorie de la réalité, et il subsume sous cette catégorie tous les objets qui adviennent dans la sensation, pour autant qu’ils y adviennent. Il le dit lui-même, et de la façon la plus claire qui soit, p. 236. « ὁπός ἂν ἡμῖν ϕαίνητατ μᾶλλόν τε καὶ ἧττον γιγνόμενα καὶ τò σϕόδρα καὶ ἠρέμα δεχόμενα καὶ τò λίαν καὶ ὅσα τοιαῦτα πάντα, εἰς τò τοῦ ἀπείρου γένος ώς εἰς ἕν δεῖ πάντα ταῦτα τιθέναι »58. L’expression μᾶλλόν καὶ ἧττον est, à vrai dire, indéterminée, car on peut tout aussi bien la rapporter à la quantité : mais Platon sépare ce concept très déterminé de celui d’ἄπειρον p. 237, et même, il sépare explicitement le majus et minus d’une sensation du majus et minus dans les nombres.
88Par πέρας, Platon comprend exactement l’opposé de l’ἄπειρον. Après avoir dit plus haut que tout ce qui est susceptible de degré entre dans la catégorie de l’ἄπειρον, il demande : « Οὐκοῦν τὰ μὴ δεχόμενα ταῦτα (το μάλλον τε καὶ ἡττον, καὶ το σϕοδρά καὶ ηρεμα, καὶ το λιαν καὶ ὁσα τοιαυτα)*, τούτων δὲ τὰ ἐναντία πάντα δεχόμενα, πρῶτον μὲν τò ἴσον καὶ ἰσότητα, μετὰ δὲ τò ἴσον τò διπλάσιον καὶ πᾶν ὅτιπερ ἂν πρòς ἀριθμόν ἀριθμός ἢ μέτρον ᾖ πρòς μέτρον, ταῦτα σύμπαντα εἰς τò πέρας ἀπολογιζόμενοι καλῶς ἂν δοκοῖμεν δρᾶν τοῦτο »59.
89À partir de là, il est facile de porter un jugement sur l’explication que Plessingxlix a donnée de ce passage. Il affirme p. 53 et sq. que Platon ne comprend par ἄπειρον rien d’autre que les éléments mus sans ordre qui n’ont pas encore été réunis ni ordonnés selon des quantités déterminées par les Idées. Comme si ce concept d’ἄπειρον n’était pas bien plus général, comme si Platon n’y avait pas aussi compris les objets pour autant qu’ils ne perdent jamais leur réalité, objets déterminés par le πέρας, et qui, par conséquent, sont déjà limités par la quantité. Au contraire, c’est même chaque objet qui, pour Platon, est un ἄπειρον τι, lié au πέρας, c’est-à-dire une réalité déterminée par la quantité. Ce n’est donc pas en raison de son désordre que Platon appelle ἄπειρον la matière originelle du monde qui n’a pas encore été ordonnée, mais avant tout parce qu’elle est matière (ordonnée ou non)Z.
90Encore un point. Platon cherche la catégorie sous laquelle il peut subsumer le concept de plaisir. S’il n’était ici question que de la matière originelle mue sans ordre, la manière dont Platon enchaînerait ses pensées serait la suivante : « Qu’est-ce que le plaisir ? – de quel concept relève-t-il ? – La matière mue sans ordre est l’ἄπειρον et les Idées sont le πέρας. Le plaisir appartient donc à l’ἄπειρον, ou (ce qui chez Platon, signifie la même chose) aux éléments mus sans ordre qui n’ont pas encore été réunis ni ordonnés par les quantités déterminées par les Idées ! ! ».
91Plessing aurait eu raison s’il avait dit : Platon subsume la matière en général (et pas seulement la matière désordonnée), sous la catégorie de l’ἄπειρον, mais il n’a plus raison lorsqu’il dit : Platon affirme que la matière privée d’ordre, c’est l’ἄπειρον. Platon le fait vraiment : il dit que, dans ce concept très général de l’ἄπειρον, il y a aussi la matière (en tant que réalité). C’est pourquoi il dit aussi p. 233 : « τòν θεòν τò μὲν ἄπειρον δεῖξαι τῶν ὄντων, τò δὲ πέρας »60 c’est-à-dire, Dieu (l’auteur du monde) a présenté tout ce qui existe dans le monde comme qualité (réalité) déterminée par la quantité, ce qui ne signifie pas que Dieu a produit le monde en partant de la matière mue sans ordre et des Idées de quantité, mais que (dans la mesure où toute réalité est ἄπειρον τι) Dieu a composé le monde selon sa matière, comme telle, en partant de l’ἄπειρον, et selon sa forme, en partant du πέρας.
Z. Plessing ne s’appuie pas sur le passage cité dans lequel Platon dit : τò πέρας οὐ δέχεται τò ἄπειρον et, a l’inverse, τὰ μὴ δεχόμενα ταῦτα μᾶλλόν τε καì ἧττον (...) εἰς τò πέρας ἀπολογιζόμενοι καλῶς ἂν δοκοῖμεν δρῶμεν. Car Platon le dit bien assez, les deux termes ne sont opposés que dans le concept.- quantité serait ce qui admet le contraire de la qualité, c’est-à-dire non pas un quantum donné in concreto, mais un quantum en général, pour autant que c’est un quantum. Cf. le passage p. 249 cité plus haut.
92À ces deux formes de toutes choses (πέρας et ἄπειρον), Platon en ajoute encore deux autres, τò κοινόν – ce qui provient de la liaison de ces deux termesAA – et le τò τῆς αἰτίας γένος la catégorie de la causalité, par laquelle les deux premières (πέρας et ἄπειρον) ont été liées dans le κοινόν. Platon considère ces formes comme les formes de tout ce qui existe, et il considère donc que c’est également avec elles, en tant que formes, qu’il faudrait penser l’origine du monde. Tò κοινόν est donc, selon Platon, non seulement le monde présent, mais aussi un concept sous lequel il faut subsumer le monde présent selon sa matière et selon sa forme ; τò τῆς αἰτίας γένος signifie non seulement la causalité divine à l’œuvre lors de la mise en ordre du monde, mais également le concept de causalité, qui comprend en lui cette dernière. De ce point de vue, le passage p. 240 est assez net : γένεσιν (c’est expliqué plus haut p. 32) εἰς οὐσίαν ἐκ τῶν μετὰ τοῦ μέτρου* ἀπειργασμένων μέτρων61. C’est précisément pour cette raison qu’il considère également ces formes comme des formes de l’intellect divin. Pour montrer qu’elles ne sont pas seulement des formes de notre intellect, mais des concepts universels du mondel <à partir desquels on devrait pouvoir expliquer l’existence du monde dans son entier>, il cherche à rendre cela vraisemblable en utilisant l’analogie avec le monde empirique. En effet infère-t-il, s’il est bien vrai que les éléments ne sont pas seulement présents à même les objets singuliers dans lesquels ils nous apparaissent, mais dans tout l’univers, a fortiori, ces concepts doivent-ils être des concepts universels du monde. Un tel raisonnement qui part d’objets empiriques pour aller jusqu’à des concepts purs indépendants de l’expérience est, chez Platon, d’autant moins surprenant qu’il s’autorise souvent de tels procédés et, conformément à sa philosophie qui soumet le monde sensible et supra-sensible à une forme unique de l’unité la plus accomplie, il peut à bon droit se l’autoriser.
AA. Plessing p. 53li comprend ici à juste titre : « les productions nées de la réunion du πέρας et de l’ἄπειρον ». Par conséquent, et pour Plessing lui-même, l’ἄπειρον serait la catégorie de la matière en général (ou de manière encore plus générale, de toute réalité) et non un synonyme de la matière mue sans ordre.
93Tous les corps vivants, dit-il, retournent vers quatre principes : le feu, l’eau, l’air et la terreBB. Tels qu’ils apparaissent, en nous et parmi nousCC, ces éléments sont faibles et en petite quantité, et ils n’apparaissent pas avec la pureté, la perfection et la force conformes à leur nature. Par exemple, le feu qui est dans les objets singuliers nous apparaît bien faible et impur (σμικρòν, ἀσθενὲς, ϕαῦλον), tandis que le feu qui est dans tout l’univers a une plénitude, une beauté, et une force infinies (πλήθει τε θαυμαστòν καὶ κάλλει καὶ πάσῃ δυνάμει τῇ περὶ τò πῦρ οὔσῃ. Ce feu n’est pas alimenté ni dominé par notre feu, celui qui apparaît en nous, ou de manière générale, dans les êtres vivants singuliers, mais c’est bien plutôt lui qui alimente et domine le feu singulier. Si nous réunissons tous les éléments en un seul, il en résulte un corps. De même, on peut considérer que le Tout est un seul grand corps, qui contient tous les corps singuliers, nourrit notre corps, lui communique tout ce qu’il possède. Une âme (une force motrice originaire) anime notre corps et d’où lui viendrait tout cela, si ce n’est de la plénitude de l’univers, qui contient tout ce que nous avons, mais à un degré encore bien plus pur, plus grand, et plus excellent ? On remarque ici partout le thème de l’élévation, de la progression de l’inférieur vers le supérieur, du subordonné au dominant. Cette remarque permet de passer d’autant plus facilement au raisonnement qui suit. – Ces quatre formes, la quantité (πέρας) la qualité (τò ἄπειρον), le produit de leur union (τò κοινόν), et ce qui constitue partout le quatrième terme, la causalité, ne devraient-elles se trouver qu’en nous ? Devrionsnous croire que la causalité, par exemple, pour autant que nous la découvrons seulement en nousDD, pour autant qu’elle nous procure une âme et un corps matérielEE, pour autant qu’elle enseigne des médecines toutes prêtes pour guérir le corps malade, et parce qu’habituellement elle instaure et restaure l’ordre de multiples façons, devons-nous donc croire qu’elle épuise le concept tout entier de causalité, qu’elle comprenne toute la sagesse possible (tout intellect possible, en tant que faculté de causalité) ? Bien au contraire, puisqu’il nous faut admettre que ces formes des choses sont comprises, de manière pure et excellence, dans le ciel tout entier (le Tout) et dans ses grandes (tout comme dans ses petites) parties, comment pourrions-nous croire que l’essence de tout de qui est beau et magnifique (qui est déjà là) n’a pas été pas produitFF par ces formes ? Ne faut-il pas admettre, à la suite de cela, que l’univers recèle une grande multitude de réalité déterminée par la quantitéGG, et qu’il existe une puissante force qui agit sur elle, qui a partagé les années en saisons et en mois, et qui, à ce titre, mérite bien de recevoir le nom de sagesse et d’intellect. Mais, puisque sans l’âme, ni sagesse ni intellectHH ne sont pensables, nous devons admettre qu’une âme royale est requise pour le souverain suprême, et, en raison de la puissance de sa causalité, une sagesse royale. L’intellect est donc une espèce du concept générique de la causalité universelle, qui compte parmi les quatre formes universelles que nous énumérionslii.
BB. p. 245 et sqliii.
CC. παρ’ἡμιν dans notre horizon, à même les objets singuliers, comme le montre l’opposition avec εν τῳ παντι
DD. C’est de cette manière que cette partie aurait certainement dû être traduite.
EE. Je crois devoir traduire ainsi σῶμα σκιαν εμποιουν. Platon a choisi cette expression sans doute parce qu’on exprime aussi par là une causalité visible en nous. Avec l’« ombre », on exprime la quantité et la qualité du corps.
FF. Voici le texte original de ce passage, p. 247liv : « Οὐ γάρ που δοκοῦμέν γε. ὧ Πρώταρχε, τὰ τέτταρα ἐκεῖνα, πέρας καὶ ἄπειρον καὶ κοινòν καὶ τò τῆς αἰτίας γένος ἐνἅπασι τέταρτον ἐνόν, τοῦτο ἐνμέν τοῖς παρ’ ἡμῖν ψυχήν τε παρέχον καὶ σωμασκίαν ἐμποιοῦν καὶ πταίσαντος σώματος ἰατρικὴν καὶ ἐν ἄλλοις ἄλλα συντιθὲν καὶ ἀκούμενον πᾶσαν καὶ παντοίαν σοϕίαν ἐπικαλεῖσθαι, τῶν δ’ αὐτῶν τούτων ὄντων ἐν ὅλῳ τε οὐρανῷ καὶ κατὰ μεγάλα μέρη, καὶ προσέτι καλῶν καὶ εἰλικρινῶν, ἐν τούτοις δ’ οὐκ ἄρα μεμηχανῆσθαι τὴν τῶν καλλίστων καὶ τιμιωτάτων ϕύσιν ». Les derniers mots, plessing, p.54lv, les traduit de manière tout à fait incorrecte, en suivant Ficin : « qu’on ne trouve pas dans ces genres de choses la nature de ce qu’il y a de plus beau et de plus magnifique ». 1) Je ne connais pas cette signification de memhcanh`sqai (reperiri, comme chez Ficin. 2) Je vois, selon la traduction ci-dessus, une bien meilleure articulation avec la suite, où il est manifestement question de l’ordonnancement du monde par l’intellect divin, et où memhcanh`sqai est le terme le plus approprié. On verra bientôt comment il faut comprendre le « ce qu’il y a de plus beau et de plus magnifique », produit par ces formes.
GG. À bien noter : απειρον ἐν τῳ παντι πολυ, et non απειρον ἐν τῳ παντι, οu το παν το απειρον ειναι, comme traduit Ficin « infinitum prorsus in hoc universo consistere ».
HH. C’est-à-dire, on ne peut pas penser l’intellect sans activité, ni l’activité, sans une force motrice originairement agissante (ψυχή). Cf. plus haut p. 6-7.
94Ce passage nous oblige à répondre essentiellement à deux questions :
1) Que veut dire Platon en affirmant que tous les éléments ont dans l’univers un degré de pureté et de perfection encore bien plus élevé que dans les objets singuliers ?
95Plessinglvi s’en explique de la manière suivante : « Platon affirme dans le Philèbe que toutes les choses dans l’univers avaient toujours reçu leur existence de natures qui les passent en perfection et en excellence, qui se communiquent à elles et qui sont leurs causes, et en parle de la manière suivante ». Ici, il cite le passage en questionlvii. Puis, toujours selon Plessinglviii, il serait question des modèles intelligibles substantiels des éléments qui apparaissent (en parallèle avec l’expression qu’il avait employée p. 53 à propos de la communication des Idées de πέρας, etc.). À l’opposé, je remarque ceci : dans tout ce passage, il n’y a jamais la moindre trace d’un discours de Platon concernant les modèles intelli-gibles des substances. Au contraire, il n’emploie même nulle part le mot νοητός. Il ne peut absolument pas être question des substances intelligibles des éléments, car Platon dit explicitement que les éléments sont apparus lorsque la forme de l’intellect s’est appliquée à la matière informe, si bien que l’Idée de feu, et elle seule, peut se trouver dans la forme pure de l’intellect. Il n’oppose pas, dans ce passage non plus, par exemple le feu qui apparaît au feu intelligible, mais le feu qui apparaît à même les objets singuliers, dans notre horizon, au feu présent dans tout l’univers, à la grande et unique masse de feu répandue dans l’univers entier et qui alimente le feu singulier. En outre, on voit bien qu’il s’oppose seulement au majus et au minus du matériau empirique, parce que, par exemple, c’est au corps du monde, pourtant empirique lui aussi, qu’il oppose nos corps empiriques, et non au modèle intelligible du monde.
2) Quelle est l’opinion de Platon concernant les quatre formes des choses que sont πέρας, ἄπειρον, κοινόν, αἰτία ?
96D’après ce qui précède, on voit déjà pourquoi Platon veut affirmer la nécessité de considérer ces quatre formes comme des concepts sous lesquels on peut subsumer tout ce qui existe dans le monde, bref, comme des concepts du monde qui ne se rapportent pas seulement aux objets singuliers, mais aussi à l’univers tout entier. C’est la raison pour laquelle il dit que les deux formes, πέρας et ἄπειρον, sont des concepts sous lesquels le monde doit être subsumé selon sa forme et selon sa matière – et, en ce qui concerne la liaison de ces deux formes, il faut aussi penser une cause en relation avec le monde, qui ait tout ordonné d’après elles, si bien qu’il nous faut penser partout, pour chaque effet singulier, une cause. Et par ces formes, il faudrait également penser l’existence et l’origine de ce qu’il y a de plus beau et de plus magnifique (c’est-à-dire du monde, ou, si l’on considère l’expression employée plus haut concernant les éléments – les éléments dans toute leur pureté et leur excellence <tels qu’ils existent dans tout l’univers>). L’explication que donne Plessing de ce passage est déjà dépassée par la traduction proposée précédemment, plus juste d’un point de vue philologique. En effet, pour lui, καλλιστοῖς καὶ τιμιωτατοῖς se rapporte aux Idées. Mais cette explication dépend de sa traduction de ce passage, et pour une part aussi, de sa définition de l’ἄπειρον que l’on a déjà réfutée tout à l’heure.
97Mais en même temps, on peut tirer de ce passage quelques éclaircissements concernant le sens de la théorie platonicienne des Idées.
98Manifestement, Platon comprend ces quatre formes, souvent citées, comme des concepts sous lesquels on pourrait subsumer tout ce qui existe dans le monde, bref, il comprend par là des Idées. À supposer que Platon ait cru que toutes les Idées aient été présentes dans le monde intelligible en tant que substances, quelles en auraient été les conséquences ? – Manifestement, les deux formes πέρας et ἄπειρον ne sont séparées l’une de l’autre que dans la faculté de représentation, car en dehors de celle-ci, chacune n’existe qu’en liaison avec l’autre. En conséquence, soit Platon parle ici des formes qui ne sont séparées que dans la faculté de représentation (dans l’intellect divin également, et seulement en lui), soit il admet qu’il y a dans le monde intelligible 1) une substance du πέρας 2) une substance de l’ἄπειρον et 3) encore une troisième substance du κοινόν qui fasse la liaison des deux premières. Ce serait une philosophieII insensée ! En outre, comment concilier la substance de l’ἄπειρον qui existe dans le monde intelligible avec les affirmations habituelles de Platon ? Il existe dans l’intellect une forme pure de l’ἄπειρον comme telle (la forme de la réalité), mais l’ἄπειρον lui-même, en tant que substance avec une existence physique, Platon l’a compris comme quelque chose qui est en conflit avec toutes les Idées (avec le πέρας qui contient la pure forme du monde en sa totalité). Platon comprend la forme du monde intelligible comme la forme de l’ordre le plus parfait et de l’unité la plus régulière qui soit – or, comment s’accorde une substance de l’ἄπειρον existant physiquement <dans le monde intelligible>, c’est-à-dire une substance de l’irrégularité et de l’illimitation, avec la forme du monde intelligible ?
II. Cf. Plessing, tome 1, p. 124lix
99On voit ici clairement que Platon ne parle de rien d’autre que des formes subjectives, sous lesquelles on se représente le monde, qu’il ne comprend par πέρας et ἄπειρον rien d’autre que de simples concepts formels du monde, et par αἰτία rien d’autre qu’un concept d’entendementlx sous lequel on doit penser la liaison des deux premiers dans le κοινόν, ce qui selon sa philosophie, se fait de manière objective. plessing est aussi vraiment embarrassé lorsqu’il doit montrer la manière dont on trouve dans l’ἄπειρον l’imitation (τò µίµηµα ; mivmhma) d’une substance qui existe dans le royaume intelligible. Son seul expédient consiste à dire : c’est dans la mesure où l’ἄπειρον était lié au πέραςJJ qu’on a trouvé en lui une imitation des Idées. Mais, même si Plessing a correctement expliqué ce passage de Platon, il doit montrer non pas comment on trouve l’imitation des Idées dans l’ἄπειρον en liaison avec le πέρας, mais comment on la trouve dans l’ἄπειρον en tant que tel. Car l’ἄπειρον est ici tout à fait à égalité avec le πέρας – et il veut à son sujet du moins, montrer comment on trouve en lui en tant que tel l’imitation d’une Idée ? Pourquoi l’ἄπειρον devrait-il tout à coup faire exception ? On le voit, M. Plessing a bien senti que c’est uniquement dans la faculté de représentation que l’on peut penser ces deux formes comme séparées – mais selon son système, il doit également pouvoir penser, s’il veut être conséquent, qu’en dehors de cette faculté (dans le monde intelligible) elles sont séparées de manière objective. C’est probablement la raison pour laquelle il écrit aussi p. 57lxi la proposition déjà citée : l’ἄπειρον est né seulement par la communication du πέρας – D’accord ! quand il est question de l’existence empirique, car, dans ce cas, ils n’existent que liés l’un à l’autre. Mais Platon parle de l’ἄπειρον en tant que tel, séparé du πέρας et il dit, si la traduction de ce passage est juste, que même dans l’ἄπειρον en tant que tel, on devrait pouvoir trouver l’imitation de ce qu’il y a de plus beau et de plus magnifique, c’est-à-dire des Idées.
JJ. Cf. Plessing, § 17.
100Selon le passage déjà cité plus haut p. 35, Platon admet que la matière, à proprement parler, n’est pas composée de feu, d’eau, de terre et d’air, mais seulement qu’elle est devenue ignée, aquatique, etc., en d’autres termes qu’elle a reçu les imitations du feu, de l’eau, de la terre et de l’air. Il a déjà expliqué cela tout à l’heure (p. 346) : la matière serait devenue ignée en raison de sa participation à la forme intelligible (μεταλάβουσα τοῦ νοητοῦ) en d’autres termes, parce que l’intellect divin l’a ordonnée selon une régularité pure, nécessairement déterminée. Puis il considère les éléments comme une forme du monde, et il affirme avec raison que nous ne pouvons pas dire quelle était la constitution de la matière avant la création du monde parce que nous ne pouvons rien penser sans la forme que la matière a reçue lors de la création du monde. La matière a été d’abord déterminée par cette forme de telle sorte que les éléments ont été rendus visibles, et dans cette mesure, les éléments sont nés grâce à la forme intelligible, ou, pour le dire autrement, ils sont des imitations, des répliques de la forme intelligible, ils présentent la forme intelligible.
101Platon en parle plus longuement encore p. 347. Il se demande s’il existe des formes intelligibles des éléments. « ἆρα ἔστιν τι πῦρ αὐτò ἐϕ’ ἑαυτοῦ καὶ πάντα περὶ ὧν ἀει λέγομεν οὕτως αὐτὰ καθ’ αὐτὰ ὄντα ἕκαστα, ἢ ταῦτα ἅπερ καὶ βλέπομεν, ὅσα τε ἄλλα διὰ τοῦ σώματος αἰσθανόμεθα, μόνα ἐστὶν τοιαύτην ἔχοντα ἀλήθειαν, ἂλλα δὲ οὐκ ἔστι παρὰ (praeter) ταῦτα οὐδαμῇ οὐδαμῶς, ἀλλὰ μάτην ἑκάστοτε εἶναί τί ϕαμεν εἶδος ἑκάστου νοητόν, τò δ’ οὐδέν ἄρ’ ἦν πλὴν λόγος »62.
102Voici comment Platon répond à la question. Il y répond simplement en constatant qu’il y a deux sortes de connaissance dans l’humaine faculté de connaître : l’expérience et la connaissance pure, indépendante de toute expérience. Elles se distinguent tellement l’une de l’autre que le seul moyen de les expliquer est d’admettre qu’elles ont des objets absolument distincts. Pour lui, l’expérience est δóξα (cf. ci-dessus, p. 1, et « sur la philosophie platonicienne »), et, parce qu’à nouveau il y a une différence entre diverses perceptions, dont quelques unes (en tant que simple apparence de l’intuition) n’apportent, au sens strict, aucune contribution à l’expérience, δóξα ἀληθής ; la connaissance pure, qu’il appelle également ailleurs ἐπιστήμη, est ici appelée νοῦς. La première produit uniquement une persuasion (πείθω) sans fondement solide, la seconde une conviction (théorie, διδαχή), solidement étayée. Celle-là est changeante, et tous les hommes y ont part, celle-ci, immuable, et seuls les dieux y ont part, ainsi que quelques hommes qui, selon Platon, sont les favoris des dieux. Il doit donc y avoir des objetsKK qui demeurent toujours les mêmes, qui n’ont pas été engendrés (de manière empirique), qui ne peuvent pas davantage être détruits, qui ne reçoivent rien en eux, et qui ne passent pas en autre chose (c’est-à-dire que rien ne les altère en leur nature propre), des objets entièrement invisibles qui ne peuvent tout simplement pas être objets de l’intuition sensible – les purs objets de la faculté de connaître intellectuelleLL. (Platon affirme que ces objets, selon leur nature et leur concept, sont immuables – il est impossible de le dire à propos des objets qui existent physiquement).
103S’éclaire à présent la question de savoir jusqu’à quel point Platon parle aussi d’éléments intelligibles. Il passe en effet immédiatement des éléments visibles aux idées en général. Par éléments intelligibles, il comprend non pas les substances intelligibles particulières, ayant une existence physique, celles du feu, de l’eau, etc., mais les idées de manière générale, la forme pure de l’intellect qui a ordonné le monde. En effet, selon la doctrine de Platon, absolument aucun élément n’était visible avant la création du monde, parce que la forme de notre faculté de connaître ne leur avait pas encore été communiquée. Le matériau originaire (les éléments) était en mouvement sans ordre ni règle. C’est alors seulement qu’ils reçurent d’un intellect ordonnateur une forme déterminée, et apparurent, grâce à elle, comme éléments visibles du monde. Les éléments actuels ne sont donc pas la matière elle-même, mais de simples formes de la matière – ou bien la matière, pour autant qu’elle a reçu une forme de l’extérieur, une forme empirique, imitation (µίµηµα) d’une forme intelligible. On voit donc bien en quel sens Platon parle de modèles intelligibles de chaque objet singulier. En effet, non pas en ce qu’il croyait que chaque objet singulier avait son modèle individuel et particulier, mais en ce qu’il affirmait que chaque objet singulier dépend de la forme universelle de tout ce qui existe.
KK. L’entêtement avec lequel tant d’hommes érudits et perspicaces affirment la substantialité des Idées s’explique assurément par le fait qu’ils ne voient pas comment Platon a pu parler de représentations pures montrant des objets intelligibles, tout simplement parce qu’ils ne distinguent pas les représentations des Idées des Idées elles-mêmes (la forme de notre faculté de représentation de l’objet de cette représentation).
LL. « εἰ μὲν νοῦς καὶ δόξα ἀληθής ἐστον δύο γένη, παντάπασιν εἶναι καθ’ αὑτὰ ταῦτα, ἀναίσθητα ὑϕ’ ἡμῶν εἴδη, νοούμενα μόνον εἰ δ’, ὥς τισιν ϕαίνεται, δόξα ἀληθὴς νοῦ διαϕέρει τò μηδέν, πάνθ’ ὁπόσ’ αὖ διὰ τοῦ σώματος αἰσθανόμεθα θετέον βεβαιότατα, δύο δὴ λεκτέον ἐκείνω, διότι χωρὶς γεγόνατον ἀνομοίως τε ἔχετον. τò μὲν γὰρ αὐτῶν διὰ διδαχῆς, τò δ’ ὑπò πειθοῦς ἡμῖν ἐγγίγνεταν καὶ τò μὲν ἀεί μετ’ ἀληθοῦς λόγου, τò δὲ ἄλογον καὶ τò μὲν ἀκίνητον πειθοῖ, τò δὲ μεταπειστόν’ καὶ τοῦ μὲν πάντα ἄνδρα μετέχειν ϕατέον, νοῦ δὲ θεούς, ἀνθρώπων δὲ γένος βραχύ τι. τούτων δὲ οὕτως ἐχόντων ὁμολογητέον ἓν μὲν εἶαι τò κατὰ ταὐτὰ ε ἶδος ἔχον, ἀγέννητον καὶ ἀνώλεθρον, οὔτε εἰς ἑαυτò εἰσδεχόμενον ἄλλο ἄλλοθεν οὔτε αὐτò εἰς ἄλλο ποι ἰόν, ἀόρατον δὲ καὶ ἄλλως ἀναίσθητον, τοῦτο ὃ δὴ νόησις εἴληχεν ἐπισκοπεῖν »63 p. 347-348. Platon ne pouvait sûrement pas s’expliquer plus clairement qu’il ne l’a fait dans ce passage.
Ll. <Mais cela n’est possible que dans la représentation. Nous ne pouvons penser de concept existant en dehors de la représentation que nous ne rattachions en même temps à un objet qui existe physiquement>.
104Selon la division déjà citée p. 33 et que Platon répète encore ici, il y a donc :
une forme pure, immuable, de tout ce qui existe. Cette forme apparaît
à même les phénomènes, pour autant qu’ils changent. En effet, c’est uniquement dans le changement que se rencontre la forme (il le dit de cette façon p. 348 : τò ὁμώνυμον, ὅμοιόν τε ἐκείνῳ (τῳ νοητῳ) αἰσθητόν, γενητòν πεϕορημένον ἀει. Il appelle ὁμώνυμον et ὅμοιóν τῳ νοητῳ le changement des phénomènes parce que ce changement porte en lui la forme des Idées, parce que ces imitations de la forme pure de l’intellect ne sont véritablement visibles qu’en lui).
Il y a quelque chose de permanent sous ce changement (τò αἰσθητòν γίγνεται ἔν τινι τόπῳ, καὶ πάλιν ἐκεῖθεν ἀπόλλυται), une substance, qui n’est sujette à aucun changement (ϕθορὰν οὐ προσδεχόμενον), mais à même laquelle se trouve tout ce qui change (ἔδραν παρέχον ὅσα ἔχει γένεσιν πᾶσιν)MM. Il dit de cette substance qu’elle est μετ’ἀανισθησίας ἁπτòν, perceptible sans les sens (intuition) – il n’a donc pas déduit de l’expérience ce concept d’entendement, il ne fait qu’exprimer de manière tout à fait naturelle le phénomène qui, pendant si longtemps, a mis la philosophie dans l’embarras – le sentiment qu’il y a une substance sous-jacente à tout changement, à laquelle toutefois on ne pourra jamais avoir accès, parce qu’elle est une simple forme de l’intellect que nous apposons aux phénomènes. Il n’a pas déduit cette forme des phénomènes, mais il décrit toute la connaissance que nous en avons comme λογισμῷ τινι νόθῳ μόγις πιστην64, comme une sorte de rêve (πρòς ὅ ὀνειροπολοῦμεν βλέποντες) que nous ne pouvons écarter ; en revanche, nous pensons nécessairement que tout ce qui existe, existe quelque part, et ce qui ne se trouve en aucun lieu nous ne pouvons absolument pas nous le représenter comme donné. Enfin, il ajoute que si nous n’admettions pas que toute chose existe dans un certain lieu, nous ne pourrions pas distinguer une chose d’une autre, et tout – quelle que soit la diversité des choses – viendrait se confondre dans notre représentation (p. 349).
MM. Ces explications sont trop précises pour que l’on puisse comprendre qu’il s’agisse ici de l’espace, comme l’ont fait la plupart des commentateurs, pour autant que je le sache. Cf. Tennemann, Memorabilien tome I. p. 40lxii. D’ailleurs, on ne peut pas ignorer, <comme Aristote le lui reprochait déjà>lxiii, que Platon se soit exprimé de manière tout à fait imprécise et que les deux représentations peuvent chez lui se confondre.
105P. 350, Platon résume tout dans la phrase suivante : « ὄν τε καὶ χώραν καὶ γένεσιν εἶναι, τρία τριχῇ, καὶ πρὶν οὐρανòν γενέσθαι »65. L’intelligible – cela est clair de soi seul – le permanent, la matière – mais le changement qui a lieu à même le permanent, car Platon dit lui-même ailleurs qu’avant la création du monde les éléments étaient mus, quoique d’un mouvement désordonné (cf. p. 350).
106P. 350. « τὴν δὲ δὴ *γενέσεως τιθήνην ὑγραινομένην καὶ πυρουμένην καὶ τὰς γῆς τε καὶ ἀέρος μορϕὰς δεχομένην, καὶ ὅσα ἂλλα τούτοις πάθη συνέπεται πάσχουσαν, παντοδαπὴν μὲν ἰδεῖν ϕαίνεσθαι »66. Ce qui précède l’explique suffisammentNN.
107Mais il ne suffisait pas que la matière ait reçu les formes des éléments. Il fallait que ces éléments, pour qu’ils ne restent pas perpétuellement en conflit les uns avec les autres, soient aussi déterminés par des formes déterminées de la quantité (πέρας dans le Philèbe, ou εἲδεσί καὶ ἀριθμοῖς dans le Timée p. 351)lxiv.
108Le développement qui suit, concernant l’engendrement mécanique et l’articulation physique des éléments, n’appartient pas à notre propos.
NN. p. 352 « τὰς δ’ἔτι τούτων* ἀρχὰς ἂνωθεν θεός οἶδεν καὶ ἀνδρῶν ὃς ἂν ἐκείνῳ ϕίλος ᾖ »67.
Notes de bas de page
i Tim. 29 c 3 « ὅτιπερ πρòς γένεσιν οὐσία, τοῦτο πρòς πίστιν ἀλήθεια ».
« ce que l'être est au devenir, la vérité l'est à la croyance »
ii Trad. Ficin : « pulcher est hic mundus, & opifex mundi bonus sempiternum certe exemplum maluit imitari : sin secus, quod ne dictu quidem fas est, generatum exemplar est pro aeterno secutus ». « Ce monde est beau et il est certain que l’artisan du monde, qui est bon, a préféré imiter un modèle éternel : dans l’hypothèse contraire, qu’il n’est même pas permis d’affirmer, il a suivi un modèle engendré au lieu d’un modèle éternel ».
iii Schelling omet ici de dire que le démiurge a des aides, des auxiliaires, auxquels il délègue une partie de son travail. Cette conviction, selon laquelle Platon aurait été monothéiste, se durcira avec les années. Dix ans plus tard, le premier février 1804, voici ce que Schelling répond à Windischmann qui vient de lui dédier sa récente traduction du Timée : « Mais que direz-vous si j’affirme que le Timée n’est pas une œuvre de Platon ? Je serais presque tenté de l’expliquer comme une œuvre chrétienne très tardive qui devrait compenser la perte de l’authentique, si cela ne l’a pas motivé ».
iv L’interprétation qu’il propose de l’eikòs mûthos est révélatrice de la façon dont Schelling reprend à son compte et instrumentalise le propos de Platon. Qu’il fasse du mythe l’expression d’une prétendue prudence de Platon vis-à-vis des autorités politiques est une manière à peine voilée de présenter propre situation. Au Stift, les livres nouveaux ne circulaient pas et les lectures étaient très surveillées. C’est l’injustice de la censure dont il fait les frais qu’il projette, en faisant de Platon son porte-parole.
v En français dans le texte. Il s’agit de l’une des formulations du « principe d’Arlequin » de Leibniz, exprimant la continuité universelle, que l’on trouve dans une Lettre adressée à Lady Masham : « c’est partout et toujours tout comme chez nous ». Leibniz, Die philosophischen Schriften, tome III. ed. Gerhardt, p. 340.
vi Le conflit entre Raison et Révélation est l’un des débats caractéristiques de l’époque des Lumières. L’enseignement des professeurs de théologie du Stift était insupportable à Schelling qui ne tarde pas à manquer les cours et à se faire punir pour absentéisme. La position de Schelling, à l’encontre du « radotage des Pères », est intéressante, puisqu’elle met en évidence le fait qu’une frontale opposition des deux termes ne mène à rien. Elle préfigure l’un des thèmes majeurs de la philosophie schellingienne qui, conciliant les deux termes sans les opposer, montre que l’Absolu de la raison ne peut se dire que dans une auto-révélation.
vii On trouve dans les lettres adressées à Hegel à la même époque un écho de ces plaintes. Dans une lettre datée du 04 février 1795, il évoque son projet de satire contre « les élucubrations des théologiens ». En effet, le kantisme des théologiens comme Flatt, qui réduisaient les fondements de la démarche critique à la seule affirmation d’un Dieu moral, irritait profondément Schelling qui attend de la Philosophie élémentaire de Reinhold l’accomplissement des espérances nées de « l’aurore » kantienne. « De ce dernier pas de la philosophie, j’attends aussi que le dernier voile tombe, que la dernière toile d’araignée de la superstition philosophique, tissée par les philosophes privilégiés soit déchirée ». Hegel, Correspondance, tome I, trad. J. Carrère. Paris, Gallimard, 1990, p. 26.
viii Il semble que Schelling ait ici en vue le passage du Philèbe allant de 23 b à 26 b.
ix Trad. Ficin : « Cum igitur excogitasset, invenit, nihil eorum, quae secundum naturam aspectui subjecta sunt, si expers intelligentiae sit, intelligente alio, totum toto pulchrius unquam fore » ; Ficin fait porter le οὐδέν (nihil), qu’il considère comme sujet, sur ἐκ τῶν κατὰ ϕύσιν ὁρατῶν, et considère totum comme l’attribut de nihil. Schelling en revanche, fait de ὅλον le sujet. « Comme donc il avait réfléchi, il trouva qu’aucune des choses visibles par nature, si elle est dépourvue d’intelligence, ne sera jamais plus belle comme Tout qu’un Tout qui, lui, est intelligent ».
x Phil. 30 c 9 – 10 « Σοϕία μὴν καὶ νοῦς ἂνευ ψυχῆς οὐκ ἂν ποτε γενοίσθην ».
« Mais, sans âme, il ne pourrait jamais y avoir de sagesse ni d’intellect ». (Trad. Pradeau modifiée).
xi Plessing, Versuche, §§ 26-28. On trouve plus spécifiquement p. 74 : « En plus de la matière, Platon a admis encore un autre principe, qu’il a appelé âme, dont l’essence est le mouvement, et qui habite la matière de toute éternité. Selon son système, l’âme était un être auto-moteur, et, ce qui se meut soi-même, est principe de tout mouvement ».
xii Tennemann « über den göttlichen Verstand aus der platonischen Philosophie », Leipzig, 1791, p. 42 : « Il a appelé la somme de ces forces originaires âme irrationnelle, non comme s’il s’était représenté par là un esprit (mauvais) ou un démon, mais parce que, dans la philosophie platonicienne, tout être qui possède une force originaire s’appelle âme ».
xiii Plessing, op. cit., § 31, p. 82-84 : « Les choses éternelles, immuables, qui se rapportent à elles-mêmes de manière toujours identique, dit-il dans le Timée, sont quelque chose d’incréé que seul l’intellect peut intuitionner et connaître. Or, si le démiurge regarde ces êtres éternels, immuables, et s’en sert comme d’un modèle (παράδειγμα), l’œuvre qu’il produira sera forcément belle et parfaite. Il nous faut à présent rechercher si le modèle, dont Dieu se sert pour produire le monde, était éternel et immuable ou s’il était sensible et fabriqué. Mais puisque ce monde est la chose la plus belle qui soit, et parce que son architecte est bon, on comprend qu’il a dirigé ses regards vers ce qui est éternel et immuable et qu’il s’en est servi comme modèle pour en tirer copie. Le monde né de cette manière a été produit selon ce qui subsiste par soi seul et que seule la raison peut connaître. De tout cela s’ensuit donc nécessairement que le monde est forcément une imitation, l’image de quelque chose. Platon a compris ce monde sensible comme un être animé, vivant et intelligent, et les créatures contenues en lui, il les appelle ζῷα, ou êtres vivants. C’est précisément de cette manière qu’il a représenté aussi le παράδειγμα ou monde intellectuel, qui contient chacune des natures intelligibles éternelles que Dieu a imitées lorsqu’il a produit le monde sensible. En effet, il a appelé le paradigme nature éternelle, être éternel, subsistant par soi seul, ζῷον ἀίδιον ; et les êtres qu’il contient, les modèles que Dieu a imités, s’appelaient ζῷα, ou êtres vivants. Ceux-ci étaient νοητὰ ; (c’est-à-dire que seul l’intellect peut les connaître), tout comme ce παράδειγμα, était un ζῷον, ou ἀεί κατ’αὐτά ὄν, qui contient en lui tous les modèles, ou ζῷα, et qui, en tant quel tel, fait partie des νοητὰ ou νοούμενα que l’intellect pur contemple et connaît ».
xiv Ce que nous traduisons par « transposer » est le verbe « übertragen » qui à l’époque avait une signification très étendue. Quelques années plus tard, en 1813, Schleiermacher écrira un traité intitulé Des différentes manières de traduire, dans lequel il distingue trois activités : übertragen, qui a la signification générale de « transport » ou de « traduction » d’un discours dans une autre langue ; übersetzen, très proche du premier terme, signifiant « traduire, transporter, transférer » ; et dolmetschen qui renvoie à la traduction simultanée, la simple translation, sans interprétation, de valeurs linguistiques équivalentes. On trouvera une présentation détaillée de ces problèmes dans la traduction de cet opuscule : Des différentes manières de traduire, trad. A. Berman, Points-Seuil, 1999. Nous signalons également que F. Fischbach dans son commentaire préfère traduire übertragen par « transférer ».
xv Nous traduisons « Grund » par « fondement » lorsqu’il s’agit des Idées ; en revanche, lorsque, dans la seconde partie, Schelling parle de la matière comme étant le « Grund » du monde sensible, nous traduisons ce terme par « base ».
xvi Plessing, op. cit., § 46, p. 114-116. Il s’agit d’une paraphrase de la République, X 596 b – 597 c : « Toutefois, Platon définit quelque part ailleurs encore plus clairement Dieu comme étant purement et simplement le créateur des Idées : « Nous avons coutume, dit-il, de réunir plusieurs choses singulières sous une Idée, et de leur donner le même nom que celui qu’exprime l’Idée. Nous allons à présent, si tu veux bien, poser certaines sortes de choses, réunies sous une Idée unique, celles de la table et du lit. De ces choses, il n’y a que deux Idées, celle qui concerne la table, et l’autre, le lit. Aucun des artistes, qui réalisent leurs œuvres d’après ces Idées, ne fabrique lui-même l’Idée. Il existe en revanche un artiste merveilleux, qui produit non seulement les Idées, que les artistes ordinaires imitent dans leurs œuvres, mais aussi tout ce qui provient de la terre, tous les êtres vivants – lui-même y compris-, la terre, le ciel, les dieux, ainsi que tout ce qui est dans le ciel et sous la terre, dans le monde d’en bas. Mais alors que fait celui qui fait le lit ? Ne disais-tu pas qu’il réalisait seulement un lit particulier, concret, mais non l’Idée de ce dernier qui, affirmions-nous, représente le lit en soi et pour soi ? (…) Il y a trois sortes de lit qui sont ainsi produites : l’une qui existe dans la nature et qui a Dieu pour auteur, l’autre produite par le fabricant de lits, et la troisième qui est l’œuvre du peintre. En ce qui concerne Dieu, soit c’est contre sa volonté, soit c’est par nécessité qu’il n’a produit dans la nature qu’un seul lit essentiel ; j’affirme donc qu’il n’a produit qu’un lit unique, à savoir le lit qui existe en soi et pour soi ».
xvii Phil. 15 d 4 - e 3 « Φαμέν που ταὐτòν ἓν καὶ πολλὰ ὑπò λόγων γιγνόμενα περιτρέχειν πάντῃ καθ’ ἓκαστον τῶν λεγομένων ἀεί, καὶ πάλαι καὶ νῦν. καὶ τοῦτο οὔτε μὴ παύσηταί ποτε οὔτε ἤρξατο νῦν, ἀλλ’ ἔστι τò τοιοῦτον, ὡς ἐμοὶ ϕαίνεται, τῶν λόγων αὐτῶν ἀθάνατόν τι καὶ ἀγήρων πάθος ἐν ἡμῖν' ὁ δὲ πρῶτον αὐτοῦ γευσάμενος ἑκάστοτε τῶν νέων, ἡσθεὶς ὣς τινα σοϕίας ηὐρηκὼς θησαυρόν, ὑϕ’ ἡδονῆς ἐνθουσιᾷ τε καὶ πάντα κινεῖ λόγον ἅσμενος, τοτὲ μὲν ἐπί θάτερα κύκλῶν καὶ συμϕύρων εἰς ἓν, τοτὲ δὲ πάλιν ἀνειλίττων καὶ διαμερίζων ».
« Nous pourrions dire, en quelque sorte, que l’affirmation de l’un et du multiple rôde en toutes circonstances aux alentours de tout ce que nous avons pu affirmer dans le passé ou de tout ce que nous disons maintenant ; c’est quelque chose qui ne date pas d’aujourd’hui et qui ne cessera jamais. Au contraire, il s’agit d’une propriété de nos discours qui, me semble-t-il, ne meurt ni ne vieillit jamais. La première fois qu’un jeune homme y goûte, il s’en réjouit, comme s’il avait découvert quelque trésor de savoir, il est enthousiasmé par son plaisir et se plaît à secouer toute proposition, tantôt dans une direction, enroulant et confondant tout en une même pâte, tantôt dans le sens contraire, en déroulant et découpant ». (Trad. Pradeau légèrement modifiée).
xviii Phil. 16 c 5 - e 4 « Θεῶν μὲν εἰς ἀνθρώπους δόσις, ὣς γε καταϕαίνεται ἐμοί, ποθέν ἐκ θεῶν ἐρρίϕη διά τινος Προμηθέως ἅμα ϕανοτάτῳ τινὶ πυρί καὶ οἱ μὲν παλαιοί, κρείττονες ἡμῶν καὶ ἐγγυτέρω θεῶν οἰκοῦντες, ταύτην ϕήμην παρέδοσαν, ὡς ἐξ ἐνòς μὲν καὶ πολλῶν ὄντων τῶν ἀεὶ λεγομένων εἶναι, πέρας δὲ καὶ ἀπειρίαν ἐν αὑτοῖς σύμϕυτον ἐχόντων. δεῖν οὖν ἡμᾶς τούτων οὕτω διακεκοσμημένων ἀεὶ μίαν ἰδέαν περὶ παντòς ἑκάστοτε θεμένους ζητεῖν εὑρήσειν γάρ ἐνοῦσαν ἐὰν οὖν μεταλάβωμεν, μετὰ μίαν δύο, εἴ πως εἰσί, σκοπεῖν, εἰ δὲ μή, τρεῖς ἢ τινα ἄλλον ἀριθμόν, καὶ τῶν ἓν ἐκείνων ἕκαστον πάλιν ὡσαύτως, μέχριπερ ἂν τò κατ’ ἀρχὰς ἓν μὴ ὅτι ἓν καὶ πολλά καί ἄπειρά ἐστι μόνον ἴδῃ τις, ἀλλά καί ὁπόσα·τὴν δὲ τοῦ ἀπείρου ιδέαν πρòς τò πλῆθος μὴ προσϕέρειν πρὶν ἄν τις τòν ἀριθμòν αὐτοῦ πάντα κατίδῃ τòν μεταξὺ τοῦ ἀπείρου τε καὶ τοῦ ἑνός, τότε δ’ ἤδη τò ἓν καστον τῶν πάντων εἰς τò ἄπειρον μεθέντα χαίρειν ἐᾶν. οἱ μὲν οὖν θεοί, ὅπερ εἶπον, οὕτως ἡμῖν παρέδοσαν σκοπεῖν καὶ μανθάνειν καὶ διδάσκειν ἀλλήλους ».
« Il m’apparaît à moi que c’est un cadeau que les dieux firent aux hommes, lancé en même temps que le feu le plus éclairant par quelque Prométhée depuis la demeure céleste. Et les anciens, qui valaient mieux que nous et qui étaient plus proches des dieux, nous transmirent cette tradition, que tout ce qu’on peut dire exister est fait d’un et de multiple et comporte dans sa nature de la limite et de l’illimité. Puisque c’est ainsi que les choses sont ordonnées, il nous faut donc supposer qu’il y a toujours et pour toute chose une nature unique, et la rechercher. On la trouvera, car elle y est. Et si nous devions la poursuivre, nous chercherions si, après cette nature unique, il y en a deux, et, sinon deux seulement, trois ou quelque autre nombre. Et nous devons traiter chacune de ces unités de la même façon, jusqu’à ce que soit établi non seulement que l’unité de départ est une et multiple et illimitée, mais encore, quelle est sa quantité. Quant à la nature de l’illimité, il ne faut pas l’appliquer à la multiplicité avant d’avoir aperçu le nombre total de cette multiplicité qui se tient dans l’intervalle entre l’illimité et l’un. Alors seulement on pourra laisser chacune de ces unités se disperser dans l’illimité et l’abandonner. Voilà donc, comme je le disais, ce que les dieux nous offrirent afin que nous puissions observer, connaître et enseigner les uns aux autres ».
xix Naturbegriff. Schelling reprend ici un concept élaboré par Kant dans la troisième Critique. Les concepts de la nature sont les catégories qui rendent possibles la connaissance théorique de la nature. C’est grâce à elles que l’entendement peut exercer son activité législatrice sur le champ des phénomènes.
xx Bip. 305, Tim. 29 d 7 - 30 a 6 ; cf. n. 10.
xxi Tim. 31b 4 - 8 « Σωματοειδὲς δὲ δὴ καὶ ὁρατόν άπτόν τε δεῖ τò γενόμενον εἶναι. χωρισθὲν δὲ πυρòς οὐδὲν ἄν ποτε ὁρατòν γένοιτο, οὐδὲ ἁπτòν ἄνευ τινòς στερεοῦ, στερεòν δὲ οὐκ ἄνευ γῆς ὅθεν ἐκ πυρòς καὶ γῆς τò τοῦ παντòς ἀρχόμενος συνιστάναι σῶμα ὁ θεòς ἐποίει ».
« C’est évidemment corporel que doit être le monde engendré, c’est-à-dire visible et tangible. Or, sans feu rien ne saurait devenir visible ; et rien ne saurait par ailleurs être tangible sans quelque chose qui soit solide ; or rien ne saurait être solide sans terre. De là vient que c’est avec du feu et de la terre que le dieu, lorsqu’il commença de le constituer, fabriqua la corps du monde ».
xxii Il s’agit probablement d’un lapsus calami de Schelling, qui écrit « le feu et l’eau », à la place de « l’air et l’eau ».
xxiii Tim. 32 c 5 - 33 b 1 « Τῶν δὲ δὴ τεττάρων ἓν ὅλον ἕκαστον εἴληϕεν ἡ τοῦ κόσμου σύστασις. ἐκ γὰρ πυρòς παντòς ὕδατός τε καὶ ἀέρος καὶ γῆς συνέστησεν αὐτòν ὁ συνιστάς, μέρος οὐδὲν οὐδενός οὐδέ δύναμιν ἔξωθεν ὑπολιπών, τάδε διανοηθείς, πρῶτον μὲν ἵνα ὅλον ὅτι μάλιστα ζῷον τέλεον ἐκ τελέων τῶν μερῶν εἴη, πρòς δὲ τούτοις ἕν, ἅτε οὐχ ὑπολελειμμένων ἐ ξ ὧν ἂλλο τοιοῦτον γένοιτ’ ἂν, ἕτι δὲ ἵν’ ἀγήρων καὶ ἄνοσον ᾖ, κατανοῶν ὡς συστάτῳ σώματι θερμὰ καὶ ψυχρὰ καὶ πάνθ’ ὅσα δυνάμεις ἰσχυράς ἔχει περιιστάμενα ἔξωθεν καὶ προσπίπτοντα ἀκαίρως λύει καὶ νόσους γῆράς τε ἐπάγοντα ϕθίνειν ποιεῖ, διὰ δὴ τὴν αἰτίαν καὶ τòν λογισμòν τόνδε ἕνα ὅλον ὅλων ἐξ ἁπάντων τέλεον καὶ ἀγήρων καὶ ἄνοσον αὐτòν ἐτεκτήνατο ».
« Or de ces quatre éléments pris un à un, la constitution du monde a absorbé la totalité. C’est en effet tout le feu, toute l’eau, tout l’air et toute la terre qu’utilisa celui qui constitua le monde pour le constituer, ne laissant hors du monde aucune parcelle, aucune propriété de quoi que ce soit. Voici quel était son dessein. Il souhaitait en premier lieu que le monde fût avant tout un vivant parfait, constitué de parties parfaites ; que de plus, il fût unique, dans la mesure où il ne restait rien à partir de quoi un autre vivant de même nature pût venir à l’être ; et qu’enfin, il fût exempt de vieillesse et de maladie, car le démiurge était bien conscient du fait que, si un corps est quelque chose de composé, la chaleur, le froid, et tous les autres phénomènes qui présentent des propriétés énergétiques arrivent, lorsqu’ils l’environnent de l’extérieur et l’affectent de façon intempestive, à le dissoudre et à y introduire maladies et vieillesse qui le font dépérir. Voilà en vertu de quelle cause et en vertu de quel raisonnement le dieu a construit un ensemble qui, formé à partir de tous ces ensembles, réalise une unité, un être parfait, exempt de vieillesse et de maladie ».
xxiv Tim. 34 a 1 - 4 « κίνησιν γὰρ ἀπένειμεν αὐτῷ τὴν τοῦ σώματος οἰκείαν, τῶν ἑπτὰ τὴν περὶ νοῦν καὶ ϕρόνησιν μάλιστα οὖσαν διò δὴ κατὰ ταὐτὰ τῷ αὐτῷ καὶ ἐν ἐαυτῷ περιαγαγὼν αὐτò ἐποίησε κύκλῳ κινεῖσθαι στρεϕόμενονυ ».
« En effet, des sept mouvements appropriés à un corps, il lui a donné en partage celui qui entretient le plus de rapport avec l’intellect et la pensée. Voilà pourquoi, en lui imprimant un mouvement de rotation uniforme dans le même lieu et sur lui-même, il l’a fait se mouvoir d’un mouvement circulaire ».
xxv Schelling omet de mentionner la page à laquelle il se réfère. Il s’agit probablement du passage de 81 d.
xxvi Tim. 35 a 1 - b 2 « τῆς ἀμερίστου καὶ ἀεὶ κατὰ ταὐτὰ ἐχούσης οὐσίας καὶ γῆς αὗ περὶ τὰ σώματα γιγνομένης μεριστῆς τρίτον ἐξ ἀμϕοῖν ἐν μέσῳ συνεκεράσατο οὐσίας εἶδος, γῆς τε ταὐτοῦ ϕύσεως [αὖ πέρι] καὶ γῆς τοῦ ἐτέρου, καὶ κατὰ ταὐτὰ συνέστησεν ἐν μέσῳ τοῦ τε ἀμεροῦς αὐτῶν καὶ τοῦ κατὰ τὰ σώματα μεριστοῦ καὶ τρία λαβὼν αὐτὰ ὄντα συνεκεράσατο εἰς μίαν πάντα ιδέαν, τὴν θατέρου ϕύσιν δύσμεικτον οὖσαν εἰς ταὐτòν συναρμόττων βίᾳ. µειγνὺς δὲ μετὰ γῆς οὐσίας καὶ ἐκ τριῶν ποιησάμενος ἕν, πάλιν ὅλον τοῦτο μοίρας ὅσας προσῆκεν διένειμεν ».
« Entre l’Être indivisible et qui reste toujours le même et l’Être divisible qui devient dans les corps, il forma par un mélange des deux premiers une troisième sorte d’Être ; et de nouveau, en ce qui concerne le Même et l’Autre, il forma un composé tenant le milieu entre ce qu’il y a entre eux d’indivisé et ce qu’il y a de divisible dans les corps ; et prenant ces trois ingrédients, il forma de la même façon par un mélange, où ils entraient tous, une seule réalité, en unissant harmonieusement par force la nature de l’Autre, rebelle au mélange, au Même, et en les mêlant à l’Être, formant une unité à partir de ces trois choses ».
xxvii « Le philosophe a pensé qu’il fallait qu’elle soit mélangée deux fois, parce que la matière ne peut être unie à une matière simple, à moins qu’elle ne soit mélangée avec le plus grand soin, et selon la meilleure proportion ».
xxviii Tim. 37 a 2 - c 3 « ἅτε οὖν ἐκ γῆς ταὐτοῦ καὶ γῆς θατέρου ϕύσεως ἔκ τε οὐσίας τριῶν τούτων συγκραθεῖσα μοιρῶν, καὶ ἀνὰ λόγον μερισθεῖσα καὶ συνδεθεῖσα, αὐτή τε ἀνακυκλουμένη πρòς αὑτήν, ὅταν οὐσίαν σκεδαστὴν εχοντός τινος ἐϕάπτηται καὶ ὅταν ἀμέριστον, λέγει κινουμένη διὰ πάσης ἑαυτῆς ὅτῳ τ’ ἄν τι ταὐτòν ᾖ καὶ ὅτου ἂν ἕτερον, πρòς ὅτι τε μάλιστα καὶ ὅπῃ καὶ ὅπως καὶ ὁπότε συμβαίνει κατὰ τὰ γιγνόμενά τε πρòς ἕκαστον ἕκαστα εἶναι καὶ πάσχειν καὶ πρός τὰ κατὰ ταὐτὰ εχοντα ἀεί. λόγος δὲ ὁ κατὰ ταὐτòν ἀληθής γιγνόμενος περὶ τε θάτερον ὂν καὶ περὶ τò ταὐτόν, ἐν τῷ κινουμένῳ ὑϕ’ αὑτοῦ ϕερόμενος ἄνευ ϕθόγγου καὶ ἠχῆς, ὅταν μὲν περὶ τò αἰσθητòν γίγνηται καὶ ὁ τοῦ θατέρου κύκλος ὀρθòς ἰὼν εἰς πᾶσαν αὐτοῦ τὴν ψυχὴν διαγγείλῃ, δόξαι καὶ πίστεις γίγνονται βέβαιοι καὶ ἀληθεῖς, ὅταν δὲ αὖ περὶ τò λογιστικòν ᾖ καὶ ὁ τοῦ ταὐτοῦ κύκλος εὔτροχος ὢν αὐτὰ μηνύσῃ, νοῦς ἐπιστήμη τε ἐξ ἀνάγκης ἀποτελεῖται ».
« Puis donc que l’âme a été constituée à partir d’un mélange de trois ingrédients qui proviennent du Même, de l’Autre, et de l’Être, qu’elle a été divisée et liée suivant des proportions et qu’en outre, elle se meut en cercle elle-même en revenant sur elle-même chaque fois qu’elle entre en contact avec quelque chose dont l’être est divisible ou avec quelque chose dont l’être est indivisible, un mouvement la traverse tout entière, et elle dit à quoi un tel objet est identique et de quoi il est différent, et relativement à quoi surtout et sous quel aspect et comment et à quel moment il arrive que chacun, eu égard à l’autre, soit et pâtisse à la fois chez les êtres en devenir et par rapport aux êtres qui restent toujours les mêmes. Or ce discours est dans le vrai tout autant quand il concerne une identité que quand il porte sur une différence. Chaque fois que, emporté sans son articulé ni bruit dans ce qui se meut par soi-même, il porte sur le sensible et que c’est le cercle de l’Autre, qui est régulier, qui transmet l’information à l’âme tout entière, se forment des opinions et des croyances, fermes et vraies ; et, chaque fois qu’il s’applique à ce qui se rapporte à la raison, et que c’est le cercle du Même, qui est parfaitement rond, qui révèle ces choses, le résultat en est nécessairement l’intellection et la science ».
xxix D’après les indications de H. Buchner, « Sur la philosophie platonicienne » renverrait à un cahier de Schelling consacré à des commentaires platoniciens.
xxx Plessing, op. cit., § 32, p. 84 : « Ces modèles, ou ζῷα νοητὰ, ont aussi été représentés comme des dieux éternels. En effet, comme je vais tout de suite le montrer, Platon a aussi appelé idées les ζῷα νοητὰ. Il leur attribue des propriétés divines : il dit ainsi que l’immuabilité n’appartient qu’aux êtres les plus divins. Or, ce qu’il comprend par ces êtres éternels, ce sont les Idées. (…) Il s’exprime encore plus clairement à ce sujet, lorsqu’il dit : « Lorsque le Père créateur vit l’image née des dieux éternels se mouvoir et vivre, il fut si satisfait, et si heureux qu’il décida de rendre cette image encore plus semblable au παράδειγμα. Qu’avec ces dieux éternels, il ait compris le παράδειγμα ou les ζῷα νοητὰ, cela vient de ce que, comme nous venons juste de le voir, il appelle le παράδειγμα, que Dieu a imité en produisant le monde sensible, – qui présente une image de ce παράδειγμα – un ζῷον ἀίδιον. Dans celui-ci, il y a les modèles singuliers, ou ζῷα νοητὰ ; que Dieu a imités lors de la création de ce monde sensible. Puisque Platon parle ici d’une image des dieux éternels, il faut que cette image soit celle du παράδειγμα précédemment évoqué, ou des ζῳων νοητὰ éternels, puisque précisément, ce qu’il appelle ζῷον ἀίδιον et ζῷα νοητὰ, il en fait le παράδειγμα : il s’ensuit que le monde actuel ne peut être qu’une réplique de ces modèles, appelés ζῷα νοητὰ, par conséquent ces dieux éternels, dont le monde est une image, sont forcément ces ζῷα νοητα ».
xxxi D. Tiedemann, Dialogorum Platonis Argumenta, Zweibrücken, 1786. p. 317 : « (…) Pourtant, il ne reste à peine rien d’autre, hormis les Idées visibles des dieux, en d’autres termes, celles des astres, qui se présentent à l’esprit divin au moment de la composition du monde. Si l’on admet que les révolutions du soleil et de la lune font naître les années et les mois, il faut encore admettre que ce sont les mouvements d’autres corps qui définissent une certaine partie du temps : ces périodes sont négligées par le commun des gens, et pourtant lorsque l’on considère la chose avec attention, il est évident que l’on a le nombre le plus parfait du temps, et l’année la plus parfaite, au moment où toutes les planètes se trouvent ensemble en même temps dans le même endroit du ciel. Lorsque l’âme du monde fut engendrée, et tandis qu’avec son mouvement commençant commençait le temps, les animaux n’existaient pas encore (les sphères des étoiles n’étaient pas encore non plus fabriquées, ni non plus le soleil, la lune, et le reste, que l’on a présenté par souci pédagogique) ; pour les faire venir au jour, Dieu en est venu à considérer le modèle de ce monde éternel, et il a orné le monde d’autant d’espèces que celles dont il a contemplé l’Idée et la nature au sein du Vivant. Celles-ci sont au nombre de quatre : l’espèce céleste des dieux, celle des animaux ailés et vivant dans les airs, celles des animaux aquatiques, et enfin terrestre ».
xxxii Schelling cite le passage dans la note N.
xxxiii Philèbe p. 244-248. (28 d 4 - 30 e 2 ; plus particulièrement 29 a 6 – 30 c 7)
xxxiv Tim. 46 c 7 - d 1 « Ταῦτ’ οὖν πάντα ἔστιν τῶν συναιτίων οἷς θεòς ὑπηρετοῦσιν χρῆται τὴν τοῦ ἀρίστου κατὰ τò δυνατòν ἰδέαν ἀποτελῶν ».
Ce passage a donné lieu à des traductions et à des interprétations divergentes. À titre indicatif, nous reproduisons la traduction de Ficin, dont disposait Schelling. La traduction de L. Brisson, optant pour un sens large d’ἰδέα, va à l’encontre de la tradition (dans laquelle s’inscrit Schelling, et qui se poursuit chez des traducteurs comme A. Rivaud ou L. Robin, qui comprend τὴν τοῦ ἀρίστου ἰδέαν comme l’idée du meilleur, assimilée à l’idée du Bien).
« Or, tout cela fait partie des causes accessoires dont un dieu se sert comme d’auxiliaires pour atteindre, dans la mesure du possible, le résultat le meilleur ».
Trad. Ficin : « Atque haec omnia ex eorum genere sunt, quae rerum adjuvant causas, quibus ut ministris utitur Deus ad optimi, quoad fieri postest, ideam perficiendam ». « Et toutes ces choses sont de ce genre, des causes adjuvantes, dont Dieu se sert comme d’auxiliaires pour réaliser, dans la mesure du possible, l’idée du meilleur ».
xxxv Phil. 26 d 7 – 27 c 1 et 28 d 4 - 30 e 3.
xxxvi Il s’agit sans doute d’un lapsus calami de Schelling qui note περιοδος pour περιόδους.
xxxvii Trad. Ficin : « Deum oculos genuisse, ut mentis circuitus, qui in coelo peraguntur, intuiti ». « Dieu a créé les yeux afin que l’on puisse contempler les révolutions que l’esprit accomplit dans le ciel ».
xxxviii Plessing, op. cit., § 134 p. 281 : « Puisque la musique exerce une grande influence sur la manière de diriger et de déterminer ce que nous ressentons, sur les passions, la musique humaine, en tant qu’elle est une imitation de la musique céleste, devrait, selon ce métaphysicien, conduire à connaître et à ressentir cette dernière, et de cette manière, éveiller les hommes, les mouvements de leur âme, à déterminer leurs sensations et leurs passions selon l’ordre et l’harmonie du mouvement céleste. Celui-ci peut être considéré comme le résultat de l’ordre et de l’harmonie produit par les mouvements de la divine âme du monde-par le biais de la participation au νοῦς et aux Idées – et c’est ainsi que son désordre initial a été supprimé. Car selon le Timée de Platon et le témoignage de Plutarque, Dieu, en communiquant le νοῦς à l’âme du monde originaire, en avait réglé les mouvements bruts selon des rapports de tonalité et selon des lois musicales, et il fut ainsi la cause de la formation de l’âme du monde, grâce à cette harmonie qu’il avait instituée ».
xxxix Tim. 48 e 2 - 49 a 4 « Ἡ δ’ οὖν αὖθις ἀρχὴ περὶ τοῦ παντòς ἔστω μειζόνως τῆς πρόσθεν διῃρημένη τότε μὲν γὰρ δύο εἴδη διειλόμεθα, νῦν δὲ τρίτον ἄλλο γένος ἡμῖν δηλωτέον τὰ μὲν γὰρ δύο ἱκανὰ ἦν ἐπὶ τοῖς ἔμπροσθεν λεχθεῖσιν, ἓν μὲν ὡς παραδείγματος εἶδος ὑποτεθέν, νοητòν καὶ ἀεὶ κατὰ ταὐτὰ ὄν, μίμημα δὲ παραδείγματος δεύτερον, γένεσιν ἔχον καὶ ὀρατόν. τρίτον δὲ τότε μὲν οὐ διειλόμεθα, νομίσαντες τὰ δύο ἕξειν ἱκανῶς·νῦν δὲ ὁ λόγος ἔοικεν εἰσαναγκάζειν χαλεπòν καὶ ἀμυδρòν εἶδος ἐπιχειρεῖ λόγοις ἐμϕανίσαι ».
« Or, dans ce nouvel exposé, il faut, concernant l’univers, considérer que le point de départ doit être plus différencié que dans l’exposé précédent. En effet, nous avions alors distingué deux genres d’être ; or, il nous faut maintenant en découvrir un autre, un troisième. Ces deux genres suffisaient pour notre exposé antérieur : l’un, nous avons supposé que c’était l’espèce du modèle, espèce intelligible et demeurant toujours identique, et le second, nous avons supposé que c’était la copie du modèle, sujette à la génération et visible. Nous n’avions pas alors un troisième genre, parce que nous avions estimé que ces deux-là suffisaient. Mais, maintenant, notre argumentation nous force, semble-t-il, à entreprendre une description qui permette d’élucider une espèce difficile et obscure ».
xl Tim. 49 a 6 - b 7 « εἴρηται μὲν οὖν τἀληθές, δεῖ δὲ ἐναργέστερον εἰπεῖν περὶ αὐτοῦ, χαλεπòν εἴρηται μὲν οὖν τἀληθές, δεῖ δὲ ἐναργέστερον εἰπεῖν περὶ αὐτοῦ, χαλεπòν δὲ ἄλλως τε καὶ διότι προαπορηθῆναι περὶ πυρòς καὶ τῶν μετὰ πυρòς ἀναγκαῖον τούτου χάριν τούτων γὰρ εἰπεῖν ἕκαστον ὁποῖον ὄντως ὕδωρ χρὴ λέγειν μᾶλλον ἢ πῦρ, καὶ ὁποῖον ὁτιοῦν μᾶλλον ἢ καὶ ἅπαντα καθ’ ἕκαστόν τε, οὕτως ὥστε τινὶ πιστῷ καὶ βεβαίῳ χρήσασθαι λόγῳ, χαλεπόν. πῶν οὖν δὴ τοῦτ’ αὐτò καὶ πῇ καὶ τὶ περὶ αὐτῶν εἰκότως διαπορηθέντες ἂν λέγοιμεν ».
« Ce qui vient d’être dit est vrai, mais il faut sur ce troisième genre dire quelque chose de plus précis. Or cela est difficile, notamment, parce que, pour y arriver, il faut, au préalable, affronter les difficultés relatives au feu et aux trois autres éléments. En effet, dire de chacun de ces éléments quelle propriété il doit présenter pour qu’on déclare que c’est réellement de l’eau plutôt que du feu, quelle qualité il doit présenter pour qu’on le désigne comme n’importe lequel d’entre eux plutôt que les autres pris ensemble et un à un, et cela en tenant un discours qui soit accessible et stable, voilà qui n’est pas facile. Dès lors, comment pourrions-nous dire pareille chose, de quelle manière et avec quel embarras bien justifié ? ».
xli Tim. 50 a 5 - b 5 « εἰ γὰρ πάντα τις σχήματα πλάσας ἐκ χρυσοῦ μηδέν μεταπλάττων παύοιτο ἕκαστα εἰς ἅπαντα, δεικνύντος δή τινος αὐτῶν ἓν καὶ ἐρομένου τί ποτ’ ἐστί, μακρῷ πρòς ἀλήθειαν ἀσϕαλέστατον εἰπεῖν ὅτι χρυσός, τò δὲ τρίγωνον ὅσα τε ἄλλα σχήματα ἐνεγίγνετο, μηδέποτε λέγειν ταῦτα ὠς ὄντα, ἅ γε μεταξὺ τιθεμένου μεταπίπτει, ἀλλ’ ἐὰν ἄρα καὶ τò τοιοῦτον μετ’ἀσϕαλείας ἐθέλῃ δέχεσθαί τινος, ἀγαπᾶν ».
« Supposons en effet que quelqu’un ait modelé toutes les figures possibles avec de l’or et qu’il ne cesse de les remodeler chacune en toutes les autres ; si on lui montre une de ces figures et qu’on lui demande ce que c’est, le parti de beaucoup le plus sûr au regard de la vérité est de répondre : « c’est de l’or ». Il ne faut jamais dire du triangle ni d’aucune autre figure qui dans l’or sont venues à l’être, « c’est ceci », comme si ce l’était, puisque, à l’instant même où l’on donne ces dénominations, ces figures sont en train de changer ; mais comme elles admettent qu’on les dénomme avec quelque sécurité « ce qui est tel ou tel », voilà la solution qu’on choisira de préférer ».
xlii Tim. 50 b 5 - c 2 « ὁ αὐτòς δὴ λόγος καὶ περὶ τῆς τὰ πάντα δεχομένης σώματα ϕύσεως. ταὐτòν αὐτὴν ἀεὶ προσρητέον ἐκ γὰρ τῆς ἑαυτῆς τò παράπαν οὐκ ἐξίσταται δυνάμεως δέχεταί τε γὰρ ἀεὶ τὰ πάντα, καὶ μορϕὴν οὐδεμίαν ποτὲ οὐδενὶ τῶν εἰσιόντων ὁμοίαν εἴληϕεν οὐδαμῇ οὐδαμῶς ».
« C’est bien le même type de discours qu’on doit tenir quand on parle de ce qui reçoit tous les corps. Il faut toujours lui donner le même nom ; car elle ne perd absolument aucune des propriétés qui sont les siennes. Toujours en effet, elle reçoit toutes les choses, et jamais en aucune manière sous aucun rapport elle ne prend une forme qui ressemble à rien de ce qui peut entrer en elle ».
xliii Cf. Tim. 49 a 6 - b 7.
xliv Tim. 50 d 2 - e 1 « καὶ δὴ καὶ προσεικάσαι πρέπει τò μὲν δεχόμενον μητρί, τò δ' ὅθεν πατρί, τὴν δὲ μεταξὺ τούτων ϕύσιν ἐκγόνῳ, νοῆσαί τε ὠς οὐκ ἂν ἄλλως, ἐκτυπώματοσἔσεσθαι μέλλοντος ἰδεῖν ποικίλου πάσας ποικιλίας, τοῦτ’ αὐτò ἐν ᾦ ἐκτυπούμενον ἐνίσταται γένοιτ’ ἂν παρεσκευασμένον εὖ, πλὴν ἄμορϕον ὂν ἐκείνων ἁπασῶν τῶν ἰδεῶν ὅσας μέλλοι δέχεσθαί ποθεν ».
« Et tout naturellement il convient de comparer le réceptacle à une mère, le modèle à un père, et la nature qui tient le milieu entre les deux à un enfant, et de comprendre que, si l’empreinte doit être diverse et présenter à l’œil cette diversité sous tous ses aspects, ce en quoi vient se déposer cette empreinte ne saurait être convenablement disposé que si elle est absolument dépourvue des caractéristiques de toutes les espèces de choses qu’elle est susceptible de recevoir par ailleurs ».
xlv « C’est pourquoi Platon a dit que la matière était informe, si on la considère abstraitement, c’est-à-dire selon sa nature ; mais si on la prend concrètement, telle qu’elle existe réellement, elle a toujours une forme quelconque ».
xlvi Tim. 50 e 8 - 51 a 3 « ὅσοι τε ἔν τισιν τῶν μαλακῶν σχήματα ἀπομάττειν ἐπιχειροῦσι, τò παράπαν σχῆμα οὐδὲν ἔνδηλον ὑπάρχειν ἐῶσι, προομαλύναντες δὲ ὅτι λειότατον ἀπεργάζονται, ταὐτòν οὖν καὶ τῷ τὰ τῶν πάντων ἀεί τε ὄντων κατὰ πᾶν ἑαυτοῦ πολλάκις ἀϕομοιώματα καλῶς μέλλοντι δέχεσθαι πάντων ἐκτòς αὐτῷ προσήκει πεϕυκέναι τῶν εἰδῶν ».
« De même tous ceux qui, en quelque substance molle, s’appliquent à modeler des figures, ne laissent subsister la trace d’absolument aucune figure, et s’arrangent pour aplanir cette substance molle et la rendre le plus lisse possible. Cela dit, il en va de même aussi pour l’entité qui doit sur toute son étendue recevoir maintes fois et dans de bonnes conditions les représentations de tous les êtres éternels ; il convient qu’elle soit par nature dépourvue de toute forme ».
xlvii Phil. 22 c - 25 b.
xlviii Phil. 31 a 8 - 10 « ἡδονὴ δὲ ἄπειρός τε αὐτὴ καὶ τοῦ μήτε ἀρχὴν μήτε μέσα μήτε τέλος ἐν αὑτῷ ἀϕ’ ἑαυτοῦ ἔχοντος μηδὲ ἕξοντός ποτε γένους ».
« le plaisir est en lui-même illimité et il appartient au genre qui, en lui-même et de lui-même n’aura jamais ni début ni milieu ni fin ».
xlix Plessing, op. cit., § 15, p. 53. Plessing cite les « quatre genres principaux » du Philèbe, et affirme, à la Remarque no°2 à propos du concept d’ἄπειρον : « Les éléments mus de manière désordonnée, et qui n’étaient pas encore réunis et ordonnés selon des quantités déterminées par les Idées, et par lesquelles seulement ils deviennent réellement des corps ».
l Les « concepts du monde » sont, selon Kant, « toutes les idées transcendantales, en tant qu’elles concernent l’absolue totalité dans la synthèse des phénomènes ».
li Plessing, op. cit., § 15, p. 53. Schelling le cite littéralement.
lii Schelling résume ici Philèbe 30 c 2 - e 2
liii Résumé de Philèbe 29 a 9 – 30 a 8
liv Phil. 30 a 9 - b 7 « En effet, Protarque, on ne peut pas croire que, des quatre genres – la limite, l’illimité, le commun et le genre de la cause, présent en toute chose –, ce quatrième qui donne une âme à nos corps, qui exerce les corps et fournit la médecine qui soigne leurs défaillances, et qui en d’autres choses encore introduit de l’ordre et de la réparation, et en appelle au savoir sous toutes ses formes, ne soit pas celui qui, alors que ces mêmes choses sont en grandes quantité dans la totalité du ciel, mais encore plus belles et plus pures, produise dans nos corps la plus belle et la plus estimable des natures ».
lv Plessing, op. cit., § 16, p. 54. Schelling le cite littéralement.
Ficin : « cumque eadem haec universo coelo ejusque partibus amplioribus insint, quae puriores praestantioresque exsistunt, in eis tamen praeclarissimorum pretiosissimorumque naturam minime reperiri ». « Alors même que ces mêmes choses sont présentes dans le ciel tout entier et dans ses parties plus vastes, qu’elles se manifestent avec plus de pureté et d’excellence, on ne peut pas du tout trouver en elles la nature de ce qu’il y a de plus magnifique et de plus précieux ».
lvi Plessing, op. cit., § 16 p. 51. Schelling cite le texte littéralement.
lvii Plessing, op. cit., § 15 p. 52. Il s’agit d’une paraphrase du Philèbe 29b 6 - 30 a 7 (p. 245-247 ed. Bip.) « Il existe par exemple du feu en nous, mais aussi dans l’univers ; le feu en nous est chétif et imparfait en comparaison de celui que l’on trouve dans l’univers. Car le nôtre provient du grand feu parfait qui habite dans l’univers ».
lviii Plessing, op. cit., § 15, p. 53. Remarque 1, à propos du concept de πέρας : « Les Idées, en tant qu’êtres originaires (Urwesen), permettent à toutes les espèces qui y participent d’exister et de durer ». Il parle des Idées comme d’« êtres originaires intelligibles », par exemple au § 17 ; au § 19, p. 61, il les qualifie de « substances intelligibles ».
lix Cf. Plessing, op. cit., § 51, p. 124 : « Mais, parler de modèles éternels, existants en dehors de l’intellect, de toutes les espèces et de tous les genres réels des choses, est si contradictoire et inconcevable que, si l’on n’en avait d’irréfutables témoignages dans ses écrits, on ne pourrait à mon avis, l’imputer à aucun homme de sens ».
lx Alors que nous avons choisi de traduire systématiquement « Verstand » par « intellect », nous optons, s’agissant du terme de « Verstandesbegriff », pour « concept d’entendement ».
lxi Plessing, op. cit., § 17 : « L’Un s’est communiqué à la matière. C’est là l’origine en elle d’une sorte d’unité, mais d’une foule infinie (ἄπειρον) d’unités (une infinité d’unités). (…) Par πέρας ou ἕν, Platon comprend, comme je l’ai monté par ailleurs, la forme, les êtres intelligibles originaires, les Idées. (…) il veut dire que les Idées se communiquent à l’ἄπειρον, ou plutôt à la matière. C’est par cette communication qu’ont été produits en elle (dans la matière) certains corps simples, les éléments – mais ils sont mus sans ordre, dispersés sans ordre dans une multiplicité de parties. Or c’est précisément cette multiplicité infinie qui n’est pas limitée par une quelconque mesure, ni par l’existence de rapports stables, c’est donc cette multiplicité de corps simples mus sans ordre les uns par les autres qui constitue l’ἄπειρον ».
lxii Tennemann : op. cit., p. 40 : « Platon a admis que ces trois choses, le pensable, le sensible, et ce qu’il y a de permanent dans le phénomène, existaient avant que le monde ne soit formé par la divinité. Mais on peut les ramener à deux concepts : le matériau qui est à la base (Grundstoff), (matière), et la forme du monde. D’après lui, la matière était le perceptible, les objets hors de nous avec leurs changements, la forme au contraire, était la liaison et l’ordre du matériau selon certaines lois intelligibles ou modèles, qui se sont imprimées dans la matière en même temps que celle-ci était informée. On peut facilement montrer que c’est la structure de la faculté de représentation qui a permis à Platon de trouver ces concepts ».
lxiii Schelling a probablement en vue le texte d’Aristote, De generatione et corruptione 329 a 13 - 27.
lxiv Tim. 53 b 4 - 5 « οὕτω δὴ τότε πεϕυκότα ταῦτα πρῶτον διεσχηματίσατο εἴδεσί τε καὶ ἀριθμοῖς ».
« Voilà quelle était leur condition naturelle au moment où ils commencèrent de recevoir leur configuration à l’aide des formes et des nombres ».
Notes de fin
1 « Cela dit, trouver le fabricant et le père de cet univers exige un effort et, lorsqu’on l’a trouvé, il n’est pas possible d’en parler à tout le monde ».
2 « Or, il y a lieu, à mon sens, de commencer par faire cette distinction : qu’est-ce qui est toujours, sans jamais devenir, et qu’est-ce qui devient toujours sans être jamais ? De toute évidence, peut être appréhendé par l’intellect, et faire l’objet d’une explication rationnelle, ce qui toujours reste identique. En revanche, peut devenir objet d’opinion au terme d’une perception sensible rebelle à toute explication rationnelle, ce qui naît et se corrompt, ce qui n’est réellement jamais »
3 « Tout ce qui est engendré est nécessairement engendré sous l’effet d’une cause ».
4 Bip. *ὅπου et **γενητῷ.
« Aussi à chaque fois qu’un démiurge fabrique quelque chose en posant les yeux sur ce qui toujours reste identique et en prenant modèle sur un objet de ce genre, pour en reproduire la forme et les propriétés, tout ce qu’il réalise en procédant ainsi est nécessairement beau ; au contraire, s’il fixait les yeux sur ce qui est engendré, en se servant d’un modèle sujet à la génération, le résultat ne serait pas beau ». (trad. Brisson légèrement modifiée).
5 Bip. * γενητὰ.
« Il a été engendré, car on peut le voir et le toucher, par suite, il a un corps. Or, tout ce qui est tel est sensible. Et ce qui est sensible, ce qui est appréhendé par l’opinion au terme d’une perception sensible, cela nous venons de le voir, est engendré et sujet à la génération ».
6 * Schelling ajoute un μὴ (ει δη μη) qui n’est pas dans l’édition Bipontine. « Mais il faut encore se demander au sujet de l’univers, d’après lequel des deux sortes de modèles son fabricant l’a réalisé, d’après ce qui reste identique et dans le même état, ou d’après ce qui est engendré ? Si notre monde est beau, et si son démiurge est bon, il est évident qu’il a fixé son regard sur le modèle éternel. Dans le cas contraire, (ce qu’il n’est même pas permis d’évoquer), c’est sur ce qui est engendré. Il est clair pour tout le monde, que c’est sur celui qui est éternel qu’il a fixé ses regards. Car notre monde est la plus belle des choses sujettes à la génération, son auteur, la plus excellente des causes. Donc, ce qui a été engendré, l’a été conformément à ce que l’intellect et la pensée peuvent appréhender, et qui reste dans le même état ». (trad. Brisson légèrement modifiée).
7 « Si donc, Socrate, en bien des points et sur bien des questions – les dieux et la génération de l’univers, il nous est impossible de proposer des explications qui soient totalement cohérentes avec elles-mêmes et parfaitement exactes, n’en sois pas étonné. Mais si nous proposons des explications qui ne sont pas des images plus infidèles qu’une autre, il faut nous en contenter, en nous souvenant que moi qui vous parle, et vous, qui êtes mes juges, sommes d’humaine nature, de sorte que si, en ces matières, on nous propose un mythe vraisemblable, il ne sied pas de chercher plus loin ».
8 « En ce qui concerne les autres divinités, dire et célébrer leur naissance, voilà une tâche qui est au-dessus de nos forces. Il faut faire confiance à ceux qui ont parlé avant nous, eux qui prétendent-ils, sont des rejetons des dieux, et qui savent exactement, j’imagine, à quoi s’en tenir du moins sur leur ancêtres ».
9 « Dans ces conditions, notre monde doit, de toute nécessité, être l’image de quelque chose ».
10 « Il était bon, or en ce qui est bon ne se trouve aucune jalousie à l’égard de qui que ce soit. Dépourvu de jalousie, il souhaita que toutes choses devinssent le plus possible semblables à lui. (…) Parce que le dieu souhaitait que toutes choses fussent bonnes, et qu’il n’y eut rien d’imparfait dans la mesure du possible, c’est bien ainsi qu’il prit en main ce qu’il y avait de visible – cela n’était point en repos, mais se mouvait sans concert et sans ordre – et qu’il l’amena du désordre à l’ordre, ayant estimé que l’ordre vaut infiniment mieux que le désordre ».
11 « Or il n’était pas permis, et ce ne l’est pas, à l’être le meilleur de faire autre chose que ce qu’il y a de plus beau ».
12 « Ayant réfléchi, il se rendit compte que, de choses par nature visibles, son travail ne pourrait jamais faire sortir un tout dépourvu d’intellect qui fût plus beau qu’un tout pourvu d’intellect »
13 « Il était impossible que l’intellect soit présent en quelque chose dépourvue d’une âme. C’est à la suite de ces réflexions qu’il mit l’intellect dans l’âme, et l’âme dans le corps, pour construire l’univers, de façon à réaliser une œuvre qui fut par nature la plus belle et la meilleure possible »
14 « Ainsi donc, conformément à une explication qui n’est que vraisemblable, il faut dire que notre monde, qui est un vivant pourvu d’une âme pourvue d’un intellect, a, en vérité, été engendré, par suite de la décision réfléchie d’un dieu ».
15 « Ce point établi, il nous faut maintenant parler de ce qui suit immédiatement. À la ressemblance de quel vivant en particulier celui qui a façonné le monde l’a-t-il façonné ? À la ressemblance d’aucun de ces vivants qui tiennent le rang d’espèce particulière dans la nature, estimons-nous, car rien de ce qui ressemble à un être incomplet ne saurait jamais être beau. Mais l’ensemble auquel appartiennent tous les autres vivants à titre de parties, soit individuellement, soit en tant qu’espèce, voilà, entre tous les vivants, supposons-nous, celui auquel ressemble le plus celui-ci. Effectivement, tous les vivants intelligibles, ce vivant les tient enveloppés en lui-même, de la même façon que notre monde nous contient nous, et toutes les autres créatures visibles. Car, comme c’est au plus beau des êtres intelligibles, c’est-à-dire à un être parfait entre tous, que le dieu a précisément souhaité le faire ressembler, il a façonné un vivant unique, visible, ayant à l’intérieur de lui tous les vivants qui lui sont apparentés par nature ».
16 Bip. * Πρῶτον σκεπτεον μὲν εἴ.
« En premier lieu, quant au fait de savoir si de telles unités existent réellement ; puis en second lieu, quant à la réalité de chacune d’entre elles : est-elle toujours identique à elle-même, soustraite au devenir comme à la mort ? Peut-elle entièrement conserver cette unité inébranlable ? ».
17 *Ajout de Schelling.
« Tout ce qui a jamais été découvert en matière de techniques l’a été grâce à lui ».
18 « En effet, ce qui enveloppe tout ce qu’il y a de vivants intelligibles ne saurait jamais venir après un autre au second rang. Car il faudrait encore un autre vivant qui enveloppe les deux précédents, et dont ces deux-là seraient chacun une partie ; et ce ne serait plus à ces deux-là, mais à celui qui les enveloppe que notre monde ressemblerait, serait-il plus juste de dire ».
19 L’édition Bipontine donne *τῳ ᾠ ; Schelling ajoute **τοδε (το γενητον ζωον). « Conformément à la nature et au nombre des espèces dont l’intellect discerne la présence dans ce qui est le Vivant, le dieu considéra que ce monde aussi devait avoir les mêmes en nature et en nombre ».
20 *Les deux ajouts sont de Schelling.
« Or, il y en a quatre : la première est l’espèce céleste, celle des dieux, la seconde, l’espèce ailée, c’est-à-dire, celle qui circule dans l’air, la troisième l’espèce aquatique, et la quatrième, celle qui va à pied et qui vit sur la terre ferme ».
21 *Les deux ajouts sont de Schelling.
« (…) et les rapports instaurés par cette proportion lui apportent l’amitié, de sorte que rendu identique à lui-même, il ne peut être dissous par personne d’autre que par celui qui a établi ces liens ».
22 Schelling écrit ὑπολειπων.
23 « Voilà en vertu de quelle cause et en vertu de quel raisonnement le dieu a construit un ensemble qui, formé à partir de tous ces ensembles, réalise une unité, un être parfait, exempt de vieillesse et de maladie ».
24 *Ajout de Schelling.
« Comme figure, il lui donna celle qui lui convenait et qui lui était apparentée. Au vivant qui doit envelopper en lui-même tous les vivants, la figure qui pourrait convenir, c’était celle où s’inscrivent toutes les autres figures. Aussi est-ce la figure d’une sphère, dont le centre est équidistant de tous les points de la périphérie, une figure circulaire, qu’il lui donna comme s’il travaillait sur un tour – figure qui entre toutes est la plus parfaite et la plus semblable à ellemême ».
25 Le texte à cet endroit du manuscrit est difficilement lisible.
26 *Ajout de Schelling ; **Schelling écrit ἀπηργάσατο αυτων, alors que l’édition Bipontine donne ἀπηργάσατο ἐκείνων.
« (…) et il l’a privé de l’ensemble des six autres mouvements, faisant en sorte qu’il ne connût pas les errements de ces mouvements ».
27 « C’est plutôt première et antérieure par la naissance et par l’excellence que le dieu constitua l’âme, pour qu’elle puisse commander au corps et le garder sous sa dépendance en utilisant les ingrédients suivants et en procédant de cette manière »
28 « Alors l’âme, étendue depuis le milieu jusqu’à la périphérie du ciel qu’elle enveloppait circulairement de l’extérieur, commença, à la façon d’une divinité, en tournant en cercle sur ellemême, une vie inextinguible et raisonnable pour toute la durée du temps ».
29 *Ajout de Schelling. Schelling modifie le texte de Bip. en écrivant **αὐτòν (τον κοσμον) εγεννησε.
« C’est par tous ces moyens, qu’il fit naître le monde, qui est un dieu bienheureux ». (Trad. Brisson légèrement modifiée).
30 « Et c’est ainsi que naquirent le corps visible du ciel, et l’âme invisible, qui participe au raisonnement et à l’harmonie, l’âme, qui est la meilleure des choses qu’engendra le meilleur d’entre les êtres qui sont rationnels et qui toujours subsistent ».
31 « Or ce discours est dans le vrai tout autant quand il concerne une identité que quand il porte sur une différence. Chaque fois que, emporté sans son articulé ni bruit dans ce qui se meut par soi-même, il porte sur le sensible et que c’est le cercle de l’Autre, qui est régulier qui transmet l’information à l’âme tout entière, se formant des opinions et des croyances, fermes et vraies ; et chaque fois qu’il s’applique à ce qui se rapporte à la raison, et que c’est le cercle du même, qui est parfaitement rond, qui révèle ces choses, le résultat en est nécessairement l’intellection et la science ».
32 « Or, quand le père qui l’avait engendré constata que ce monde, qui est une représentation des dieux éternels avait reçu le mouvement et qu’il était vivant, il se réjouit et, comme il était charmé, l’idée lui vint de le rendre encore plus semblable à son modèle ».
33 *Burnet donne ἀίδιον ὄν, et Bip. ἀίδιον.
« Comme effectivement ce modèle se trouve être un vivant éternel, le dieu entreprit de faire que notre univers aussi devienne finalement tel, dans la mesure du possible ».
34 « Or ce vivant, comme il était éternel, il n’était pas possible de l’adapter en tout point au vivant qui était engendré ».
35 Bip. *εἰκόνα δ' ἐπινοεῖ κινητήν τινα.
« le démiurge eut l’idée de fabriquer une image mobile de l’éternité ; et, tandis qu’il met le ciel en ordre, il fabrique de l’éternité qui reste dans l’univers une certaine image éternelle progressant suivant le nombre, celle-là même que précisément nous appelons le « temps » ».
36 « En effet, les jours, les nuits, les mois et les années n’existaient pas avant que le ciel fût né ; c’est en même temps qu’il constituait le ciel qu’il trouva moyen de les faire naître. Tout cela, ce sont des divisions temporelles, et les expressions « il était », « il sera » ne sont que des modalités du temps qui sont venues à l’être. C’est sans y prendre garde que nous les appliquons indûment à la substance éternelle ». (Trad. Brisson légèrement modifiée).
37 « Certes, nous disons qu’il était, qu’il est et qu’il sera, mais à parler vrai, seule l’expression « il est » s’applique à l’être qui est éternel. En revanche, les expressions « il était » et « il sera » c’est à ce qui devient en progressant dans le temps qu’il sied de les appliquer ».
38 « (…) car ces deux expressions désignent des mouvements. Mais ce qui reste toujours dans le même état, sans changer, il ne convient ni que cela devienne plus vieux ou plus jeune avec le temps, ni que cela soit venu à l’être dans le passé ou vienne à l’être dans l’avenir ».
39 « Et, de façon générale, à ce qui reste toujours dans le même état sans changer, n’appartient rien de tout ce que le devenir a attaché à ce qui est transmis par les sens, mais ce sont là des modalités du temps qui imite l’éternité et qui se meut en cercle en suivant le nombre ».
40 « Et en plus de celles qui viennent d’être mentionnées, nous utilisons des formules de ce genre : le passé « est » le passé, ce qui est en train de devenir « est » en train de devenir, et encore le futur « est » le futur, et aussi le non-être « est » le non-être, formules qui ne présentent aucune exactitude ».
41 « Le temps est donc né avec le ciel ».
42 « Celles qui douées d’intelligence produisent des choses belles, et bonnes ».
43 « Celles qui privées de raison produisent tout à coup leurs effets au hasard et sans ordre ».
44 « Mais le grand nombre croit qu’il s’agit là non de causes accessoires, mais de causes de toutes choses, parce que ce sont ces causes qui provoquent refroidissement et réchauffement, solidification et fusion, et tous les phénomènes du même genre. Mais ces « causes » ne peuvent faire preuve d’aucune conduite rationnelle, d’aucune intention intelligente en vue de quoi que ce soit. Car, de tous les êtres, le seul à qui il convient de posséder l’intellect, il faut le désigner comme l’âme, et cet être est invisible, tandis que le feu, l’eau, la terre et l’air sont tous par naissance des corps visibles. Or celui qui est amoureux de la raison et du savoir doit nécessairement rechercher, comme premières les causes qui ressortissent à ce qui par nature est raisonnable, et, comme secondes, toutes celles qui ressortissent à ce qui reçoit son mouvement d’autres êtres déjà en mouvement, et qui, en obéissant à la nécessité, transmet ce mouvement à d’autres ».
45 *Bip. τουτο (que retient Schelling) **Schelling note « του νου κατιδοντος κατιδοντες) περιοδους ». Βiρ. κατιδόντος.
« Mais de notre part qu’il soit dit que ce bien nous a été donné pour cette raison et dans cette intention : le dieu nous a découvert et donné la vue, afin que, ayant observé dans le ciel les révolutions de l’intellect, nous les utilisions, en les rapportant aux révolutions en nous de l’inintellect ; ces révolutions sont apparentées, même si les nôtres sont troublées alors que les autres sont exemptes de trouble ».
46 « Par ailleurs, tout ce qu’il faut à la voix de musique pour servir l’harmonie qui concerne l’audition lui a été donné. L’harmonie, qui est faite de mouvements apparentés aux mouvements de notre âme, n’apparaît pas à l’homme qui entretient avec les Muses un commerce guidé par l’intelligence comme tout juste bonne à procurer un plaisir étranger à la raison, ce qui est son utilité, comme le veut actuellement l’opinion. Mais, puisque la révolution de l’âme est en nous dépourvue d’harmonie, c’est pour y mettre de ordre et accord que l’harmonie a été donnée à l’âme comme alliée par les Muses. En outre, le rythme, c’est encore une fois parce que nous sommes, pour la plupart d’entre nous, étrangers à la mesure et que nous manquons de grâce, qu’il nous a été donné comme auxiliaire par les mêmes Muses, pour les mêmes fins ».
47 *Bip. μειγμένη
« la venue à l’être de notre monde résulta d’un mélange qui réunissait la nécessité et l’intellect ».
48 « Mais comme l’intellect dominait la nécessité, en la persuadant de réaliser dans les meilleures conditions possibles la plupart des choses qui sont soumises à la génération, c’est de cette manière et dans ces conditions que notre univers fut constitué, dès les commencements, par une nécessité soumise à une sage persuasion ». (Trad. Brisson légèrement modifiée).
49 *La parenthèse est un ajout. **Bip. ἅπαν ὅσονπερ ἂν εχῃ γένεσιν.
« Ainsi, puis donc que ceux-ci n’apparaissent jamais chaque fois sous la même forme, duquel d’entre eux pourrait-on de façon définitive soutenir fermement que c’est « ceci », quoique ce soit, et pas autre chose, sans se couvrir de honte ? On ne peut que leur donner des dénominations beaucoup plus sûres et parler de la façon suivante. De ce que nous voyons prendre tantôt telle forme, tantôt telle autre, du feu par exemple, ne pas dire « ceci est du feu » mais toujours « ce qui chaque fois est tel ou tel, c’est du feu », ni « ceci, est de l’eau », mais « ce qui est toujours tel, c’est de l’eau », ni même « ceci », comme si c’était quelque chose de permanent, « est autre chose », pour rien de tout ce que nous pensons présenter comme quelque chose de permanent quand, par moyen de désignation, nous employons le terme « ceci », « cela », « cet être ». Voilà quelque chose de fugitif et qui n’admet pas l’expression « ceci », « cela », « cet être » ou toute expression les désignant comme des réalités permanentes. Eh bien, il vaut mieux ne pas en parler comme de réalités distinctes, et qualifier ainsi le « ce qui est tel » qui se retrouve toujours semblable dans absolument tous les cas et dans chacun d’eux en particulier ; d’appeler « feu » notamment ce qui reste tel à travers tout, et ainsi de suite avec ce qui devient ».
50 « (…) de tout ce qui est soumis à la génération, elle est le réceptacle, et, pour employer une image, la nourrice ».
51 « C’est bien le même type de discours qu’on doit tenir quand on parle de ce qui reçoit tous les corps ».
52 « Les choses qui entrent en elle et qui en sortent sont des imitations de réalités éternelles, des empreintes qui proviennent de ces réalités éternelles d’une manière qu’il n’est pas facile de décrire et qui suscite l’étonnement ».
53 « Pour le moment donc, il faut se mettre dans la tête qu’il y a trois choses : ce qui devient, ce en quoi cela devient, et ce à la ressemblance de quoi naît ce qui devient ».
54 « En effet, si le réceptacle ressemblait à l’une des choses qui y entrent, chaque fois, que des choses dotées d’une nature contraire ou radicalement hétérogène à celle-là se présenteraient, le réceptacle en prendrait mal la ressemblance, étant donné qu’il montrerait en même temps l’aspect qui est le sien. Voilà pourquoi il faut que soit dépourvue de toutes caractéristiques ce qui recevra en elle des choses de tout genre ».
55 *Traduction de Ficin insérée.
« Voilà bien pourquoi nous disons que la mère de ce qui est venu à l’être, de ce qui est visible ou du moins, perceptible par un sens, c’est-à-dire le réceptacle, n’est ni terre, ni air, ni feu, ni eau, ni rien de tout ce qui vient de ces éléments et de tout ce dont ils dérivent. Mais, si nous disons qu’il s’agit d’une espèce invisible et dépourvue de figure, qui reçoit tout, qui participe de l’intelligible d’une façon particulièrement déconcertante et qui se laisse très difficilement saisir, nous ne mentirons point. Et, dans la mesure où ce qui vient d’être dit permet d’approcher sa nature, voici de quelle manière on pourrait en parler le plus correctement. Ce que, à chaque fois, on observe comme étant du feu, c’est la portion du réceptacle qui est enflammée ; de l’eau, la portion liquéfiée, de la terre et de l’air, toute la portion qui a reçu des images de terre et d’air ».
56 « Or donc, ainsi que nous l’avons déjà dit plus haut, alors que toutes choses se trouvaient dans le désordre, le dieu introduisit en chacune d’elles la mesure qui permet de les évaluer quantitativement et de les comparer sur ce plan les unes avec les autres, et cela dans tous les cas et de toutes les façons qu’il leur était possible de revêtir proportions et mesure. Auparavant en effet, elles ne participaient en rien de la proportion et de la commune mesure, si ce n’est par hasard ; et absolument aucune de ces choses n’était digne de se voir attribuer l’un des noms qui leur sont actuellement attribués, par exemple « feu », « eau » et toute autre dénomination de ce genre. Mais tout cela le dieu commença par y mettre de l’ordre, puis il s’en servit pour constituer cet univers-ci, qui est un vivant unique comprenant en lui tous les vivants mortels, aussi bien qu’immortels ».
57 « Vois d’abord, dans le cas du plus chaud et du plus froid, si tu peux en concevoir la limite, ou bien, si, au contraire, le plus et le moins résident en eux et, tant qu’ils y résident, ne permettent pas qu’un terme soit atteint. Car si un terme était atteint, tous deux à leur tour, seraient terminés ».
58 « Tout ce qui peut nous sembler devenir plus ou moins, ou susceptible d’intensité, de douceur, d’excès comme de toutes les qualités semblables ; tout cela nous devons le ranger sous le genre de l’illimité ».
59 *Ajout de Schelling.
« Mais tout ce qui n’admet pas ces qualités et reçoit plutôt les qualités opposées, d’abord l’égal et l’égalité, puis, après l’égal, le double et tout ce qui est comme un nombre à l’égard d’un autre nombre, ou une mesure par rapport à une mesure, ne semblerions-nous pas bien faire en mettant tout cela au compte de la limite ? ».
60 « Le dieu, (…) a révélé qu’il y a, dans les choses qui existent, de l’illimité et de la limite ».
61 Bip. *μετὰ τοῦ πέρατος ἀπειργασμένων μέτρων. μετρου est probablement un lapsus. « La naissance en vue d’une réalité produite par l’effet des mesures qui accompagnent la limite ». Concernant la traduction controversée de ce passage, nous renvoyons aux p. 250-252 de l’édition GF du Philèbe.
62 « Y a-t-il quelque chose comme le feu qui est absolument en soi et quelque chose comme toutes ces entités dont nous parlons toujours, en disant de chacune d’elles qu’elles sont absolument en soi ? Ou bien ces choses que nous voyons, et toutes les autres que nous percevons par le moyen de notre corps, sont-elles les seules à présenter une réalité de ce genre ? Et n’estil point d’autres réalités à côté de celles-là, en aucune manière sous aucun rapport ? Mais est-ce en vain que nous affirmons chaque fois qu’il y a une forme intelligible de chaque chose ? Ne serait-ce là que des mots ? ».
63 « Or, si l’intellect et l’opinion vraie sont deux genres, alors elles sont une existence absolument indépendante, ces Formes que nous percevons non par nos sens, mais par notre intellect seul. En revanche, si, comme le croient quelques-uns, l’opinion vraie ne diffère en rien de l’intellect, nous devons plutôt poser que tout ce que nous percevons par le moyen de notre corps est ce qu’il y a de plus certain. Pourtant, il faut évidemment reconnaître que l’intellect et l’opinion vraie sont bien deux choses différentes, car elles ont une origine distincte et une nature différente. La première est produite en nous grâce à l’instruction, l’autre par le moyen de la persuasion. En outre, la première s’accompagne toujours d’une explication vraie, alors que l’autre ne donne prise à aucune explication ; l’une ne peut être ébranlée par la persuasion, tandis que l’autre peut être modifiée par elle ; il faut encore dire qu’à l’une tout homme participe, tandis qu’à l’intellection seuls participent les dieux, et une toute petite catégorie d’êtres humains. Puisqu’il en est ainsi, il faut convenir qu’il y a une première espèce : la forme intelligible qui reste la même, qui est inengendrée et indestructible, qui ne reçoit pas autre chose venant d’ailleurs en elle-même et qui elle-même n’entre en aucune autre chose où que ce soit, qui est invisible et ne peut être perçue par un autre sens, voilà ce qui a été attribué comme objet de contemplation à l’intellection ».
64 Il s’agit d’un lapsus. Le terme correct, que l’on trouve dans la Bipontine, est πιστόν.
65 « L’être, le milieu spatial et le devenir, voilà trois choses distinctes et qui existaient avant la naissance du ciel ».
66 Bip. *γεννήσεως.
« Alors la nourrice du devenir, qui était mouillée, qui était embrasée et qui recevait les formes, aussi bien celle de la terre que de l’air, qui était soumise à toutes les affections que ces éléments amènent avec eux, la nourrice du devenir offrait à la vue une apparence infiniment diversifiée ».
67 Schelling note *Τας δε (των στοιχειων) αρχας.
« Quant aux principes encore antérieurs à ceux-là, dieu les connaît et parmi les hommes ceux que ce dieu a en amitié ».
Auteur
Enseignant-chercheur à l’Université de Paris I, prépare actuellement une thèse sur la figure du Démiurge dans la philosophie de Platon.
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