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La disputacion de Aenee Silvian touchant la misere des curiaulx

p. 77-118


Texte intégral

1

[f. 1r] Cy commence joieusement la preface de

Aenee Silvuan, poete de lorier couronné, auquel pour la

dignité pontificale est le nom Pius attribué, en la

disputacion de la misere des curiaulz. A trés subtil

5

juriconsulte Jehan Ech, conseiller et orateur de trés serain

et divin prince Aubert Cesar, trés victorieux Albert, dis je,

duc glorieulx d’Aultriche2.

Aenee Silvius, poete de lorier couronné, dit trés ample

10

salut a trés ingenieulx et claer juriconsulte [f. 1v] Jehan de

Ech. Je doubte que aucuns me arguent et repreignent en disant

mal de moy si, par ceste epistre que escripre je te vueil, je

demonstre estre folz ceulz qui servent aux roys et si je te

preuve aussi que ceulz qui en court vivent menent vie

merveilleuse, meschante et miserable. Et certainement pas ne

15

fauldront de me alleguer aux princes et de curieusement

procurer que soie leur ennemy car, en ceste œuvre faisant, il

semble que de leurs services pretende coarter ou retirer les

hommes. « Car qui seront ceulz, ce diront ilz, qui

doresenavant les maisons des roys frequenter esliront, quant

20

ilz auront entendu que folz y devendront ? » Mais je ne le fais

pas en pretendant aux princes deroguer, mais mieulx de leurs

molestes grandes sublever, pource que trespluseurs nobles et

grans hommes les importunent continuellement, lesquelz par

leurs [f. 2r] instances estonnent leurs oreilles quant par prieres

25

souveraines justamment postulent qu’ilz soient en cours

receuz, lesquelz – comme les roys utilement ne puissent

recevoir ne honnestement aussi les repellir – pour ces choses

ilz sont en grant anxieté. Grace donc, non pas hayne, doivent

avoir a moy, si aucuns d’iceulz puis esmouvoir que

30

voluntairement et de son propre movement il renonce a la

court. Ne n’est pas a doubter que pour mes escripz peut estre

fait que les salez des roys feussent derelinquees, car tousjours

infini sera le nombre des folz qui jugeront que la vie bieneuree

puisse3 tant seulement devers les roys estre quise et trouvee.

35

Et les autres diront ce : « Considere et soies bien adverti qu’en

persuadent a eviter le service des roys ne soies contrariant aux

mandemenz divins », comme soit ainsi que Pierre, [f. 2v]

prince des appostres et chief de l’Eglise, nous amonneste et

dit : Soiez subjectz a toute humaine creature pour l’amour de

40

Dieu, ou a vostre roy comme preexcellent, ou a voz ducz

comme de Lui transmis. O ! si grant malefice soit trés

eslongné4 de moy qu’au saint appostre soie contredisant ou

que presume a dire qu’aux roys on ne doie obeir, comme ainsi

soit que la Verité ayt dit et commandé en la saincte Euvangille

45

qu’on rendist a Cesar ce qui est de Cesar et les choses de

Dieu feussent rendues a Dieu et attendu aussi ce que aux

Rommains Paol, le docteur des Gens, escript en son epistre :

Trestoute ame est subjette aux puissances hautaines : or n’est

nulle puissance que de Dieu seulement. De mesme doncques

50

crie : « Tout peuple, obeissiez aux princes ! » o « Toute gens,

soiez a voz majeurs subjectz ! Mais touteffoiz remembrés

vous que Pierre vous commande que non pas pour richesses,

puissance [f. 3r] et honneurs, mais pour l’amour de Dieu vous

vous rendez subgietz ! » Mais ces choses icy ne sont

55

contrarians a mes premiers escripz, si avec le prophete je diz :

« Ne vous fiez aux princes ne es filz des hommes esquelz n’est

point salut. » Je passe touttefoiz plusieurs objections

ausquelles te constitue respondeur, si aucuns5 doresenavant

me6 vouloient impugner. Je vueil venir a la chose, mais si par

60

avant aucun en ce me contraingnoit disputer, en petit de

parolles donrroie solucion.

Il me7 premet prohemialement que la voix

paternelle, c’est a dire le conseil de son pere, l’a8 esmeu

Disputer de la misere de ceulz qui sont en court, qu’i nome

65

curiaulz, laquelle voix son pere dit iceulz estre folz lesquelz

servent aux princes sans y estre contrains.

Mon pere Silvius, qui fut né postume, son pere

trespassé, duquel porta le nom, mena la fleur de son

adolescence chez l’antique duc de Milan, le pere de cestui qui

70

est aujourduy duc ; et lui, [f. 3v] finablement lassé des ennuis9

de la court, retourna en son hostel, et si prinst femme dont il

engendra filz, et jusques a ce jour a mené vie quiete, pacifique

et louable. Et quant vindrent a lui deus Senois, jouvenceaulx

moult nobles et gentilz, et enquissent de lui, assavoir mon

75

pere10, s’il les adreceroit et conseilleroit d’aler servir au roy,

ainsi leur respondit : « Comme Menippus, estant adolescent,

eust leu, es livres que Homere composa et Hesiode aussi,

divers faiz scelereux que avoient commis les dieux, lui

adolescent diz je, creoit qu’ilz feussent licitez et honnestes.

80

Car qui ne jugeroit que ce que11 lesdits dieux font ne fust bon

et honneste ? Et quant cestui parvint jusques a l’eage d’omme

et advertist que telles choses feussent par les loix prohibees,

incertain de courage, vint devers les philozophes [f. 4r] pour

instiguer et enquerir d’eulz laquelle c’est qui est vie trés

85

bonne. Mais les philozophes ne lui satisfirent point, pour ce

que entr’eulz discordans estoient, car les uns soustenoient que

volupté donnoit vie bien euree, et les autres disoient vacuité12

de douleurs, et les autres vertus, et les autres vouloient que les

biens des courages, des corps et de fortune, quant ilz sont

90

joinctz ensemble, donnent felicité. Et lui donc moins certain

que par avant n’estoit, affin que je use des parolles Therence,

il se delibera prendre conseil des mors, et adonc penetra vers

ceulz qui sont en bas et enquist de Thyresia, poete qui divin

fut et vaticinateur, c’est assavoir ou feust la vie bien eureuse.

95

Auquel, aprés que longuement eust differé respondre, cellui

divinateur lui murmura cachemment es oreilles, finablement

lui dist que vers les privéz hommes est trouvee [f. 4v] felicité

trés bonne. Aussi semblablement Cigés, roy des Lidiens, qui

devant tous les autres se reputoit le trés bien fortuné, prinst

100

conseil d’Appolin lequel homme en son temps estoit bien

fortuné ou plain de felicité. La responce duquel Appolin

desprisa les richesses des roys et leurs grans appareilz et si

certiffia que Aglaüs d’Archadie, ung cultiveur ou laboureur de

terres qui de son petit champ ne passa onc les metes, avoit

105

felicité. Vous doncques, jouvenceaulx, si de moy enquerez

comme trés bien vivrés, vous n’yrez point aux roys, car

comme il soit ainsi que de13 felicité n’aient aucune partie, par

quelconque maniere ne beatifieront ou seront bien eureux

ceulz qui a eulz s’ajoingnent. Certainement ceulz qui servent

110

aux princes ilz ne se laissent quelconque liberté affin que

acquerir puissent les choses desquelles, quant ilz ont joïssance

et en usent a leur desir, moult plus que par [f. 5r] avant

demeurent miserables. Les vertus, o jouvenceaulx, sont

effectives de vie beatifique, lesquelles sont excluses des

115

domicilles et des sales des princes : si aucunesfois, d’aventure

ou d’erreur, y avoient eu entree, soudainement leur en

convient fuyr, toutes espouentees des meurs sinistres esquelles

meurs ou manieres de verité [...] dedans les grans palais. Et si

m’estoit donné le temps d’en dire asséz, je vous

120

demonstreroie que tous homes sont folz, aians une autre vie

ou vivre honnestement puissent et converser, lesquelz se

precipitent dedans les cours des princes. Mais je n’ay point

loisir. Pour ce vous amonneste seulement que vous laissez

labourer cestui champ aux jongleurs ou adulateurs et aux

125

autres hommes qui les choses noires scevent tourner en

blanches, car envers les princes n’ont aucun lieu les hommes

qui sont bons ne de leurs labeurs aucuns emolumens [f. 5v] et,

affin que je resume les parolles de Juvenal, aujourdui est la

chose meindre qu’elle n’estoit hier, et celle mesmes quelque

130

petit diminuera demain. Ainsi Silvius leur dist ; et iceulz

jouvenceaulx senois, de leur conseil non sain et furieux

revoquéz, en14 contemplacion d’estude delibererent vivre, en

leurs hostelz, a l’utilité d’eulz. Mais la voix paternelle, c’est le

conseil mon pere, a eu son effect meindre en son filz que es

135

estranges, car cellui mon pere ne m’a peu rappeller des

services de court, jassoit ce touteffois que moult et souvent me

ait amonnesté que ne me alasse perdre aprés les forceneries ou

frivolitéz des princes. Mais en aprés j’ay experimenté ce que

premierement n’avoye voulu croire et creancé veritable la

140

sentence mon pere, laquelle sentence ay vouloir de declairer

en ceste presente epistre et de remectre toutes ces choses a ton

jugement autentique, car avec [f. 6r] les chiens curiaulx tu as

pluseurs ans abbaié. Je t’ay veu devers Albert Cesar en lieu

bien honnoré et, quant te congneu premierement, tu, comme

145

son orateur, demandoies15 ou concile de Bale, de l’assemblee

des peres la estans, la benediction pour lui, quant le diademe

receut du royaume de Hongrie, aprés la mort de son serourge

Sigismond Cesar ; et aprés le trespas de cellui Albert Cesar, tu

vins a son nepveu Albert le duc d’Autriche16 duquel es a

150

present encore conseillier. Pourquoy ne suis pas non saichant

que envers les ignorans des choses on puisse distraire et

diminuer ou adnichiler ma sentence. Car qui sera cellui qui

croire pourra l’infelecité des curiaulx et qu’ilz vivent

maleureusement, consideré que tu es bon homme et saige es

155

reputé, aprés que une fois as esté deslié des liens de la court,

tu n’y te soies derrechief envelopé ? Certainement je suis en la

cause [f. 6v] ou tu es, qui desja ay servi l’espace de quinze ans

a la servitude curiale, et maintenant ay suys les princes de

l’Eglise, et autreffois ay suys les princes seculiers, et ce non

160

obstant que aucuneffoiz en suis eschappé franc, neantmoins

tost aprés suis voluntairement retumbé es liens. Par quoy

quelcun porroit ymaginer que, affin que je tout seul ou avec

petit nombre puisse user et joÿr des voluptéz de court, que a

ceste occasion devant les autres ay je delaissé mes meurs qui

165

sont en court, comme fist a Milan cellui qui a Bernardin

predicateur accusoit les contraiz de usure, affin que tout seul il

usast des choses aux autres prohibees. Mais moult autrement

est, car je ne suis pas conversant en la court pour ce qu’elle

me plaise, mais affin que du crime de legiereté je ne soie

170

accusé quant je n’ay sceu tenir la maniere de vivre que j’avoie

commencee. Pareillement je juge que celle mesme chose te

retient en la court et saine[f. 7r]ment. Il nous advient ainsi

qu’il fait aux mariéz : car ilz sont trés beaucoup lesquelz,

vivant leur femme, comdannent mariage et qui convoitent la

175

mort de leur espouse, desirant liberté ; et tousjours se

remembrent du mandement saint Paol vers les Corinthiens :

Tu es solut et deslié de femme ? Ne chargie plus de femme !

Mais aprés que ceulz cy ont acquis liberté, incontinent

prennent une autre espouse, si que17 a paine peuent actendre

180

les exeques ou offices d’icelle qui est morte. Certainement il

est ainsi des hommes enchainés, c’est assavoir que la vie selon

laquelle ilz vivent et en quelle ilz ont bien longuement vescu,

jassoit ce touteffoiz qu’ilz la congnoissent estre mauvaise, si

ne la scevent ilz ou ne la peuent muer. Et pour ce dit Orace a

185

ceulz qui condannent leur vie et louent celle des autres : Je

feray a present, dist il, ce que voulez. Tu qui estoies

maintenant chevalier, veulz tu estre mar[ f. 7v] chant ? Et tu

qui estoies nagueires conseiller, veulx estre laboureur ?

Departez vous de la, departez vous de la, dis je, les parties

190

muees ! Sus doncques, sus ! Pourquoy differez vous ? Et ilz ne

veulent. Pluseurs choses sont, le mien Jehan, qui nous

contraingnent perseverer en court, mais il n’y a quelconque

raison qui antecede ambicion, laquelle comme imitateur de

charité supporte toutes charges jasoit ce que trés griesves,

195

affin que par les honneurs de ce siecle et les louenges

populaires puisse estre sublimee. Mais si nous estions

humbles et studieusement nous applicquions plus a nostre ame

gaigner que a venir querir et encerchier ceste gloire mondaine,

sans doubte bien peu de gens se captiveroient18 eulz mesmes

200

en ces ennuys. A ceulz doncques qui les roys suyvre19 veulent

pour ce qu’ilz veoient es cours des prelatz et homes lettréz,

vueil donner en objection les parolles [f. 8r] de Nostre

Seigneur Jhesucrist : Sur la chaire Moÿses se asserront les

scribes et les pharisiens ; ce qu’ilz vous diront, faites ; mais

205

ne faites pas selon les œuvres d’eulz. Ce n’est pas donc chose

opportune que soions ymitateurs des nobles hommes et

maistres quant aux choses qu’ilz font, mais les devons suir en

ce qu’ilz devroient faire. Et par ainsi cellui qui se veult

encoupler aux services des roys se doit bien balencer et soy

210

examiner si les labeurs qui y sont pourra bien tollerer, endurer

foin et soif et contumelie u ses injures soustenir. Aprés

diligemment il doit considerer si, de la court, il pourra

parvenir a ce qu’en son couraige il desire en avoir. Quant est

de moy, je veoy envers les princes angoisses infinies et

215

intollerables, et n’y treuvent les hommes nullement ce que ilz

quierent. Par quoy est fait que je extime la sentence mon pere

estre trés veritable, [f. 8v] de laquelle en present entrerons plus

parfont. La voix donc paternelle doit estre repetee, car tous et

chascun d’eulz il afferme estre folz lesquelz servent aux

220

princes sans qu’ilz en soient contrains. Ceste sentence est

clere ; touteffois, par aventure, semble elle trop dure.

Il demonstre en aprés que tous les curiaulz

tumbent en l’une de ces trois manieres defolz.

Mais entend a present quant a nostre propos comment

225

on le puet prover. Les hommes peuent estre diz folz en trois

manieres. Ung homme est fol, quiconque soit cellui, qui quiert

et cerche ce qui trouvé ne puet estre. Aussi cellui est fol qui

cerche ce qui nuist aprés qu’il est trouvé. Item cellui est fol

qui tend a une fin deliberee en soy, posé que a telle fin y ait

230

divers chemins, quant il eslist le pire et le plus perilleux,

comme se ung pelerin vouloit aler a Romme, auquel se

demonstrassent [f. 9r] deux voies toutes patentes, l’une bien

briefve et seure, et que l’autre feust longue et plaine de

larrons, et neantmoins il choisist la derreniere et veult et tend

235

par elle aler a Romme. Tous curiaulz doncques tombent en la

premiere folie ou en la seconde ou en la tierce : ce doncques

herchent ou ne peuent avenir, ou quierent ce qui est leur

detriment et a eulz dommagable aprés qu’ilz ont trouvé, ou ilz

elissent la sente qui est pire. Lesquelles choses adonc mieulz

240

congnoistrons, si nous pourvoyons les desirs des curiaulx, et

quelles sont les fins qu’i constituent a eulz.

Du tiers lieu, il determine qui sont les desirs des

gens de court et quelles fins ilz ordonnent a eulz, affin

que des chiens de court mieulz congnoissons la

245

discordance et fairosité, en protestant que par ces

presens escripz en riens il ne veult detretter a Frederic

Cesar ne aux autres bons princes.

[f. 9v] Tous ceulz qui a monceaulx seingnent et

environnent les costéz des princes me semblent querir

250

honneurs et la renommee du siecle, ou puissances, ou

richesses, ou voluptuosités et plaisances du corps. Et si ne

nyeray point que les aucuns ne extiment et jugent en eulx

mesmes gaigner leurs ames aux services des princes si que

merite ilz acquierent majeur d’autant que plus militent

255

strenueusement et en plus grant dangier. Il nous reste donc a

dire et a traicter de ces cinq manieres des hommes, lesquelz

qu’ilz soient distans de estre saiges si clerement

demonstrerons que ung chascun pourra facilement congnoistre

qu’ilz soient devoyéz et hors du droit chemin, sans

260

entendement, furieulx et trés foulz. Mais touteffoiz, premier

que je entame ceste œuvre, je vueil que tous soient de moy

suppliéz qu’ilz ne me jugent que quelcun des princes vueille

reprehender, prendre, ou diminuer, ou au[f. 10r] cunement

detrecter, desdaigneusement contempner nostre prince trés

265

serain et divin Frederic Cesar, car en disputant des princes,

jasoit ce que je les diray estre vicieulz et serfz de libidinositéz

et de folie, touteffois je ne pretens pas ne ne vueil que ce soit a

tous referé, ascript ou tribué. Car je ne ignore point que les

aucuns d’eulz ne honnorent et ayment vertuz et sainteté de

270

vie, qui leurs principaultéz par aucun don divin surmontent,

ainsi que envers les payens sont trouvéz aucuns bons princes,

c’est assavoir Auguste Cesar, Vaspacien, Titus, Trajan et

Anthoine le Piteulz, et envers les christiens Constantin,

Archadius, Honorius, Theodosius, Charles le Grant et Henry

275

le Saint, lequel Babembergue honnore, esquelz, si tu cerches

pitié ou mansuetude ou amour de paix ou zele de justice ou

affection de religion, en nulle chose ne trouveras pas moindre

nostre prince Frederic. Et tant seulement est ceste chose de [f.

10v] mes escripz absente que par eulz voulsisse contre lui

280

detrecter, mais ay deliberé decorer ses louenges en tant que je

pourray, tant en metres que en oroisons solues. Ne sa court a

present ne me detiendroit point, si non que sa bonté a elle

m’atirast. Mais je, qui pretens demonstrer combien grande est

l’infelicité des curiaulx, ne m’est opportune de dire et

285

racompter ce que il et les autres, qui sont ayméz de Jupiter le

juste, ont a coustume faire, mais les choses que font

conmunement les princes. Et se je disoie que trestous les

maulx qui plus bas seront recenséz feussent en la court de

nostre prince trouvéz, j’auroie manifestement menti ; et non

290

moins mentiroie, se je affermoie que de rien telz grans maulx

on ne trouvast en elle ; et je ne remordray quelconques, car la

vie des hommes est telle que partout est trouvé plus de mal

que de bien.

Ceulz sont en erreur et se forvoient lesquelz servent

295

aux princes pour acquerir honneur, [f. 11r] car en trés

petit nombre sont des princes subliméz et ceulz

certainement qui sont donnéz a vices.

Nostre entention est, en disputant, monstrer que ceulz

sont folz qui adherent aux princes. Venons doncques

300

maintenant a ceulz lesquelz servent aux princes comme

appetans honneur, contre lesquelz avecques Juvenal il nous

plaist a crier : O medicins, frapez ceulz cy ou milieu de la

voyne ! Car ilz sont esgaréz qui servent aux princes pour

acquerir honneur, desquelz a purger les pensees de mes

305

escripz ne seroit pas besoing, mais mieulx de l’elebore. Car

qui est cellui qui dire vouldra que es sales des princes on

puisse honneur trouver ? Sont les20 honneurs donnéz non pas

segon les meurs et selon les vertuz, mais d’autant que ung

chascun est plus riche ou puissant, il est plus honnoré ; car

310

quel povre fut oncques, posé qu’il fut orné de vertus

excellentes21, d’aucun roy sublimé ? J’entens ton objection. Ilz

ont esté aucuns, ce dis tu, [f. 11v] ainsi avanciéz sainement :

ce sont ceulx lesquelz ilz ont trouvéz conformez a leurs

meurs. Et a quelz meurs ? A luxure, avarice, a gloutonnie et a

315

crudelité. Il est ainsi seurement. Cellui plaist a roy avaricieulx

lequel de toutes pars peccune lui aporte. Et au luxurieux cellui

est agreable qui lui scet acoincter vierges et mariees. Et

l’ivroingne ayme chier cil qui boit comme lui. Et qui

habondamment espant le sang humain est au cruel plaisant. Il

320

n’est homme accepté ou de petit estat qui22 n’est eslevé sinon

que par aucun grant malefice le prince consilie et l’atire

envers soy. Cestui n’est pas vray honneur n’estable ne ferme

qui ne procede pas de la bonne racine. Gloire vraie, comme

dit Cicero, est illeustre et trés clere fame, ou renommee de

325

merites espandue et semee de pluseurs et grans, ou par leurs

cytoiens ou parmy leurs païs ou en tout genre d’ommes, a

laquelle les princes ne perviennent point ne ceulz [f. 12r] qui a

eulz servent, comme ainsi soit que presque tous soient a vices

donnéz ne ne facent quelconque œuvre bonne, sinon a

330

l’aventure. Mais, en passant par la cité, a toy s’enclinent les

hommes et descouvrent leurs testes et te donneront lieu et te

diront saluz et baiseront tes mains. Mais tost aprés que tu seras

passé, derriere toy ilz te tendront leurs doiz et te auront en

derrision disans : « Cestui est qui seduit nostre prince, qui lui

335

persuade et conseille la guerre, et est cellui qui acroist les

truages et qui nous accumule et amasse les charges

importables, qui pour tourner le poulce met a occision ceulz

qu’i lui plaist de nous tous. Les dieux et les deesses le veulent

destruire affin que ne soions plus longuement dessoubz sa

340

tyrannise ! » Veez cy l’onneur d’entre vous, curiaulz, lequel

honneur, s’il te vient a plaisir et en lui te dilittes, je ne

doubteray riens de t’affermer ung fol ou ung furieulz et

homme forcené [f. 12v] qui metz tes plaisances et

delectacions en une chose faulce et du tout deceptive. Mais

345

com grant chose et combien de louenge doit on attribuer aux

voix des gouliars qui a l’occasion et grace des mangiers23 te

exsaulsent et te louent, tu mesmes l’as congneu ! Je passe et

ne vueil ja dire les louenges des gesticuleurs, bateleurs et

jengleurs et de tout le vulgaire, lesquelles le prudent repute a

350

ung neant, car il n’est nulle vraie louenge sinon qu’elle

procede de ceulz qui sont louéz. Or y adjouste que ceulz qui

sont ou ensuivent la court ont leur regart non a ceulz qu’i

precedent et ausquelz ilz president, mais seulement a ceulz

desquelz sont surmontéz et tousjours s’esvertuent a monter au

355

plus hault ou a anteceder et preceder tous les24 autres ; adonc

aussi commancent former envye auz25 roys, car l’appetit de

gloire humaine ne peut estre rempli, mais est insaciable.

Auquel, aprés que tu lui auras donné, tousjours [f. 13r] auras

en la bouche ceste parolle de Ciceron : Quelconque chose

360

qu’il ait, jasoit ce que soit ample, certainement c’est peu26 ; et

quant il est quelque chose, elle est plus ample. Et aprés est la

sentence des philozophes et mesmement d’Aristote qu’on ne

doit point en honneurs mectre fin, car c’est chose incertaine

laquelle est situee en la puissance d’autruy ; et qui sert a

365

honneur et a la renommee de ce siecle, il est neccessité que

par contraincte il face pluseurs choses et est aucuneffois

contraint servir aux hommes plus qu’il n’est pas a Dieu.

Comme il soit doncques ainsi qu’ilz soient deux honneurs –

l’un est des hommes bons et l’autre de la multitude –, qui

370

charche le premier vers les roys, il est fol, car vray honneur ne

puet estre trouvé ou les vertus ne regnent ; mais cellui qui

quiert l’autre est encore plus fol, car il charche une chose [f.

13v] instable et incertaine. Et sainement ceulz cy sont affligiéz

de tourmens pardurables quant ilz veoient que pluseurs sont a

375

eulx preferéz, et souvent tresindignez. Et cil qui est

ambicieulx d’onneur n’est en lieu de la mer tant tourmenté

que es cours.

Il declaire que pour avoir ou acquerir puissance on

ne se doit point joingdre ne adherer aux princes, car

380

toute puissance est subjette a grant en vie.

Puis que jusques icy soyt asséz dit de honneur, passons

maintenant a puissance. Il semble a aucuns qu’il est beau

d’estre puissant envers le prince et d’estre appellé le tuteur du

roy, aux autres commander, commander les guerres et les

385

batailles et paix composer, pouoir nuyre a pluseurs ou pouoir

proufiter ; mais pluseurs sont deceupz quant ilz se confient

pouoir moult vers les roys. Seyanus fut tant puissant vers

Neron Claudium que, l’empereur seant contre [f. 14r] Capree

avecques le peuple caldeÿque, cellui Sejanus seul avoit

390

l’administracion de l’empire et lui faisoit on veneracion et

honneur comme au second chief de tout le circuit du monde.

Et certainement, si premiere que lui l’ancienneté de Cesar eust

esté opprimee, le peuple l’eust appellé nostre Auguste. Mais

chez les princes n’y a nulle diuturnité ne longueur de

395

puissance et n’est estat ou monde plus debile, nul plus

enferme, caduque et incertain qu’est l’estat de cellui qui

envers le prince semble estre plus puissant. Il y a moins

esguillons et pluseurs pointes et pluseurs haines et simulacions

furieuses. Toute puissance est a trés grant envye subjette :

400

suspicions y surviennent et eschauguetes y sont apparaillees et

de toutes pars bruient accusateurs ; et ainsi que d’un petit festu

l’ueil est trestout troublé, ainsi pareillement [f. 14v] chiet la

grace des princes par une offenselecte, voire encore trés petite,

et est aucune foiz sans nul crime perdue. Et tant a de

405

puissance en la maison des princes la langue frauduleuse, de

dolosité plaine. Et envers l’empereur Adrian les voix des

reporteurs eurent si grant valeur et si grande puissance que ses

amis, qu’il avoit eslevéz a souverain honneur, il les rejecta et

mist derriere l’uys. Mais je retourne a cellui Ceyan. Veulz tu

410

estre salué27 comme fut Seyan et si puissant qu’il fut ? Pour

une seule epistre du prince, cestui fut empoigné et avec ung

croc mené par toute la cité au spectacle commun, et sur le bort

ou rivage du Tybre, il ot le col trenchié ; et toutes les statues

qui en l’onneur de lui avoient esté drecees furent jectees

415

dehors du Capitole. Liz par les Sainctes Lettres combien Saül [...]

et combien Salomon, de ceulz qui envers eulz estoient

moult puissans, ont commandé occire. [f. 15r] Abrimelec jecta

hors du royaulme Ysaac, pource qu’il vit que envers soy estoit

puissant ; et par aventure l’eust commandé tuer, sinon que

420

avec Ysaac estoit le doy de Dieu. Et Alexandre Macedo occist

de sa main propre le filz de sa nourrice, nommé Cryto, pource

qu’il osa comparer les louenges [...] de Phelippe son pere. Et,

de nostre temps, on trouve moult d’exemples lesquelz je refuy

et non point sans grant cause, affin que contre aucun on ne me

425

note point que lui vueil detrecter ne procurer quelque

detraction. Mais de nul ne m’est faicte prohibicion que ne

puisse parler du grant seneschal du royaume de Poulle, pource

que reprehencion faite contre les mors est seure et sans

dangier. Cestui grant seneschal avoit le premier lieu envers la

430

royne Jehanne, cuidant que son pouoir fust plus stable et plus

ferme pour ses concubinages, esquelz soy mesmes avoit

tresmué. Mais la [f. 15v] royne, par amour convertie a ung

autre, lui envoia de nuit murtriers qui l’occirent ; auquel mort

substitua autres concubinaires. Trés clerseméz sont ceulz et en

435

moult petit nombre qui sont envers le roy perpetuellement

puissans. Et souvent il avient que cil qui plaisoit hier ne plaist

pas aujourduy ; et es maisons des princes n’y a majeur estude

que les uns precipiter les autres du degré ou ilz sont et les

jetter en bas, et de soy eslever et drecer au plus hault. Chascun

440

est anelant et appetant potesté en court : entre les curiaulx n’y

a nulle seure foy ne n’est trouvé le frere asseuré de son frere,

et si n’est point le filz favorable a son pere ne le pere a son

filz. Chascun y est pour soy et chascun tire a lui et estudie a

son prouffit singulier. Tous beent et veulent estre preferéz,

445

tous veulent commander. Et s’aucun est puissant, il a mille

yeulx et non [f. 16r] pas moins de langues dont est environné

lesquelz a sa ruyne et a la desgarder ne cessent aspirer : l’un le

foule deça et l’autre par dela. Pluseurs doncques doit craindre

qui pluseurs choses peut, et tous l’oppugnent28 et assaillent

450

cellui lequel est extimé plus gracieux au prince et lequel il

repputent estre mieulx en sa grace. Et les tours qui sont jouxte

le fleuve situees, qui les cours de l’eau continuel reçoivent,

finablement trebuchent. Mais que pourras tu faire, qui du

vouloir d’un homme tant seulement despens, en l’amour

455

duquel es tenu ung pou estaché, non par fer ne par plomb,

mais par petit de cyre, laquelle cire son amour reffroidié29

excutera et fera choir par grains, ou la ferveur et la chaleur de

son yre tantost l’aura fondue en fluxible liqueur ? A tous les

mortelz ne rit pas tant Fortune ne n’est favorisable autant

460

qu’elle est au chancellier de [f. 16v] nostre Cesar, Caspar Slik,

lequel, ou la clemence de destruire digne de admiracion, ou sa

trés singuliere prestance et vertu, qui est entres petit de

hommes trouvee, envers trois Cesars entre les plus premiers

l’a rendu moult puissant. Mais a peine veismes oncques les

465

autres en la court du successeur estre telz quelz ilz furent

envers l’antecesseur ; mais nous veoions pluseurs de leurs

degréz estre precipitéz, si que, de combien qu’ilz estoient par

avant jugéz plus honnorables et estre plus puissans, d’autant

consequenment ilz soient plus debilez et plus deshonnoréz et

470

soient aussi a joie et a tous leurs ennemis et a leurs

malveillans, mais a leurs amis et prouchains et a eulz mesmes

aussi a moleste et douleur et a grant deshonneur. Veez cy

donc la fin trés divulguee de ceulx qui vers les princes vous

mendient honneur ou cerchent puissance, lesquelz, ainsi

475

comprins en erreur manifeste, je juge que de moy [f. 17r] ne

seront pas nyéz qu’ilz ne soient trés folz.

Ceulz sont furieulx qui servent aux princes pour

amasser.

Procedons a present des richesses desquelles n’est pas

480

doubte qu’elles n’aient atrait pluseurs des mortelz aux chartres

curiales, lesquelz disent avec Orace qu’ilz portent grant labeur

affin qu’en leur vieillesse ilz entrent en repoz. Mais les autres

recitent les motz de Juvenal : Car je ficheray quelque chose

pour asseurer ma vieillesse de maison et de baton. Contre

485

lesquelz je pourroie alleguer les parolles de Nostre Sauveur

lequel a dit qu’il est tant difficile que le riche entre ou

royaulme des cielz comme il est q’un chamel puist par le

pertuiz d’une esguille passer. Pour laquelle chose, c’est folie

de chercher les richesses30 et perdre l’esperance du celeste

490

païs. Ne ne m’alegue aucun la crainte de famine : Jhesucrist

n’avoit quelconque chose dont peust nourrir ses pouvres. Les

[f. 17v] appostres laissans leurs naucelles et leurs rethz,

comme dit saint Jeroisme, [...] sont preferéz aux richesses

Cressus. Mais par avanture ces choses sont amenees trés

495

religieusement ne ne sont telles choses qui vulgarement

puissent estre prouvees. Traictions donc par une autre doctrine

qui soit exuberant et confessions avecques Juvenal et avec

Aristote que a la vie bien eureuse soit besoing de richesses,

car non facilement apparoissent ceulz desquelz la chose

500

estroicte, c’est a dire de petite valeur, qui est en leur hostel

obstacle aux vertus ou donne empeschement. Ilz sont aucuns

qui cuident qu’ilz pourront richesses cumuler aux services des

princes, mais ceulz cy vendent leurs libertéz pour achapter

richesses, et touteffois ilz n’en amassent point. Car si le prince

505

t’a conferé aucuns beneffices ou donné aucuns fiefz ou s’il t’a

eslargi aucunes autres choses, d’autant que sont plus grans [f.

18r] les dons qu’il t’a donné devant, plus longuement es tenu

le servir. Laquelle chose si tu ne scez d’ailleurs, aprens la de

Gregoire : Car ainsi, comme il dit, quant les dons sont acreuz,

510

les raisons aussi bien les choses donnees croissent.Pour

laquelle chose si veulz istre31 de court quant tu t’ez enrichy,

tantost as tout perdu : quelque chose est trouvee, et est

substitué aucun accusateur, et comme moult coulpable tu seras

convaincu, voire diz je, du crime que tu n’as pas commis. Les

515

biens te sont ostéz et, affin que jamais ne t’en puisses32

complaindre, on te ostera la vie. Mais si tu perseveres a resider

en court, il convient que tu soies tousjours apparaillé a tous

commandemens que le roy te fera : passer par les larrons, a

entrer en bataille ou a nager en mer et t’arrester es lieux ou est

520

la pestilance ; et a mille perilz fault exposer ta vie ; executer te

fault le [f. 18v] juste mandement et l’injuste aussi bien et

plourer aussi comme le roy, lower ce qu’i laura et vituperer ce

qu’il vituperera. Et par ainsi ne te demourra liberté ne en

parolles ne en faiz. Qu’est il doncques chose plus fole que

525

amasser les richesses par si divers tourmens, veu que ce n’est

q’une frenesie manifeste, comme dit Juvenal, mener vie

souffraicteuse affin qu’on meure riche ? N’est ce pas en oultre

male chose ordonnee pour ce que deux ou trois ont assemblé

[...] vauldroit mieulz ne considerer ou regarder pluseurs et

530

quasi infiniz qui en servant aux roys ont esté reduitz a povreté

extreme ? Et dit le curial, comme recite Perse : tantost on me

donrra tost et incontinent, jusques a ce que lui, deceu et33 mis

hors d’esperance, souspire en vain en parfonde misere qu’on

lui face aucun don. Souvent sont donnees aux riches les

535

richesses, ainsi comme les eaues sont portees en la mer :

jamais le povre, jasoit ce que long temps et utilement ait [f.

19r] servy, ne remportera loier si grant comme fera le riche

d’un petit service. Car en la court des princes ne sont pas les

services ponderéz, mais ce sont les personnez ; car aux petites,

540

choses petites, et aux grans affierent les grans dons. Et si n’ont

pas les roys a coustume donner qu’ilz ne puissent oster, quant

leur plaisir sera. Et par ainsi la chose a toy donnee ne puis

aliener, si tu le vouloies34 faire, ne en autre royaume ne la

pues transporter sans le vouloir du roy ne35 aucunement en36

545

disposer. Telles richesses ne sont doncques pas tiennes,

desquelles ne pourroies a ton plaisir user ; encore, qui pis est,

n’auras pas faculté d’en faire testament, car si tu n’as enfans,

le seul prince sera ton heritier ; et si tu as enfans et ne servent

au37 prince, ilz ne parviendront ja a ta succession. Je me tais

550

quant aux riches qui38 ont esté occis par le commandement de

ceulz qui les avoient enrichis. Certainement les princes ont a

coustume [f. 19v] a aucuns eslargir pluseurs choses en la

façon que paisçons les pourceaulx, c’est que nous les

devourions quant seront engrecéz. Ainsi que de Seneque et de

555

Longis lisons, lesquelz afferme Juvenal par les vers qui

s’ensuivent que par leurs richesses ilz ont esté tuéz :

Temporibus diris igitur iussuque Neronis Longinum et

magnos Senece39 prediuitis ortos clausit et egregias

Lateranorum obsidet edes tota cohors. Es temps de Neron

560

remplis de cruaulté et par son commandement, toute la

cohorte et effrenee compaignie extermina Longis et ferma les

grans possessions de Seneque trés riche et environna les

nobles maisons de ceulz de Latran, lesquelz certainement

perirent par richesses. Il est doncques sainctement escript et

565

veritablement que cil qui ayme les richesses, d’elles il ne

cueildra ja fruit. Tu y puez [f. 20r] adjouster qu’il n’est gueres

de roys qui leurs choses donnent, car pour donner aux ungs ilz

reçoivent des autres les choses qui ne sont point vrais dons ne

s’ilz ne sont justement possidéz. Et comme ainsi soit que a

570

difficulté peut on trouver aucun royaume qui ne soit acquis ou

continué par fraude, qu’est ce que les princes peuent justement

donner ? D’ou viennent les peccunes, d’ou viennent les

joieaulx qui sont envers les princes, si non de ravicement ou

de vendicion de justice ou despueilles d’eglises ? Lesquelles

575

choses sont les loiers d’iniquitéz, lesquelz ne peuent au roy

prouffiter ne estre a ton utilité s’ilz te sont donnéz. Or laissons

doncques ceste cupidité de richesses, car ung avaricieulx ne

peut estre rempli de peccune ; et comme dit Jheroime, et

Seneque l’avoit premier dit : Au tant deffault a l’avaricieulx

580

ce qu’il [f. 20v] a comme ce qu’il n’a pas. Nous savons bien,

et l’Escripture le nous dit, que ou temps de ulcion, c’est a dire

de vengence, les richesses ne proufitteront point ; car le riche,

quant il mourra, n’enportera pas toutes ne aucunes des choses

siennes, et la gloire de sa maison ne descendra pas avecques

585

lui. Vivons doncques, je vous em prie, comme si riens

n’avions et ainsi que comme possedans toutes choses. Le vivre

et la vesture, affin que je use derechief des parolles Jheroime,

sont les richesses des crestiens : lesquelles choses Nostre

Seigneur donner nous puet sans le ministere des princes et

590

sans servir a eulx. Certainement envers les roys, ou nous ne

trouvons point richesses, ou nous les trouvons celles que

moult mieulx nous vauldroit ne les avoir trouvees. Si nous

souffise avoir gousté ces choses des richesses, desquelles

choses, se je ne suis [f. 21r] deceuz, a esté demonstré que

595

ceulz labeurent follement et applicquent leur œuvre a folie qui

servent aux princes pour acquerir richesses.

Ci aprés est prové que ceulz sont souverainement

folz qui embracent les services des princes pour user de

leurs voluptéz et plaisances de corps.

600

Le temps a present nous admonneste que determinons

des voluptéz esquelles pluseurs mortelz ont mis beatitude, et

entre les premiers Epicurus, en autre matiere homme grant,

lequel les philozophes de nostre temps reprennent plus en

parolles qu’en leurs faiz. Mais aussi, je vous prie, le

605

quantiesme est cellui des theologiens qui ne serve aux

voluptéz ? Pour laquelle chose, si d’avanture vous entrouvez

quelcun40 qui reffuse en ses yeulx la grant beaulté des choses,

et qui par nulle odeur ne aucun touchement ou saveur ne soit

pris, et qui de ses oreilles seceue et rejette toute suavité, [f.

610

21v] les hommes cuideront, et par aventure le plus petit

nombre, qu’il ait les dieux propices, et pluseurs jugeront

qu’ilz soient yréz a lui en l’oroison faicte pour Marc Marcel,

nous trouvons Cyceron qui dit en ses parolles touchans tous

les cinq cens par lesquelz peuent estre voluptéz receues. Et

615

comme ilz soient deux voies esquelles est continuee la vie

humaine – l’une est des vertus, l’autre est des voluptéz – la

premiere est deserte et non cultivee et environnee d’espines et

de buissons, l’autre est tousjours hantee et baptue de la

frequence des hommes ; ne il n’est aucun qui ne suive la

620

volupté des hommes. Et sont en moult grant nombre lesquelz

pour servir et user de leurs voluptéz embracent les services

des princes, laquelle chose, qu’elle soit tresfole, est moult utile

a demonstrer.

Comme la veue des gens de court remporte de la

625

court plus d’amaritude que de doulceur. [f. 22r]

Disons doncques premierement de volupté, qui

premierement est par les yeulx discernee et conneue. Les

aucuns se delittent quant ilz regardent chevaucheurs

resplendans, et quant ilz veoient exercer les batailles, courir

630

les compaignies de chevaliers, et en veoiant les femmes de

formosité plaines, bien cointes et parees, et quant ilz regardent

les multitudes des hommes richement adournés, les jeulx

plaisans et les esbatemens, quant ilz veoient beaulz chevaulz,

draps de soye et paintures, les ungs draps de fin pourpre, les

635

autres batuz d’or, merveilleux vestemens, et les nobles citéz,

villes, et grans maisons exquises et haulx palais, temples

construiz de marbres, les sepultures et simulacres, belles

voultes, préz verdoians, les bois foilluz, fontaines, fleuves,

sauvasines, l’air serain, montaignes delictables, les valees

640

joyeuses et amables, les trouppeaulx de41 [f. 22v] grosses

bestes et les chiens, et telles manieres de choses ilz

contemplent. Mais toutes ces choses sont plus a iceulz

hommes qui vivent en privé que a ceulz qui sont a la court

obligiés ; car cil qui est au service du roy mancipé sera present

645

aux guerres et batailles, non pas comme regardeur, mais

comme militant, et si fauldra qu’il coure puis de ça, puis de la,

puis invader et ferir son ennemy et moult plus pensera se

deffendre que a delicter ses yeulz. Et si ne verra les femmes, si

non quant au roy plaira ; et adoncques regardera celles qui aux

650

autres sont agreables et a lui trés molestes et tristes. Et les

homes ornéz de vestemens precieulz plus lui donneront de

matiere d’envie qu’ilz ne feront de voluptéz ne de plaisir

mondain ; et si n’aura pas prins grant delectacion d’avoir veu

les chevaulx des autres meilleurs et plus poliz que ne sont pas

655

les siens. Tu seras moult tard es [f. 23r] gieux et esbatemens,

car tousjours au costé du roy te fault faire assistence.

Certainement les marchans et hommes privéz peuent plus

facilement regarder les palais et les temples et painctures que

ne font ceulz de court ; et veu que trestard yssent les roys hors

660

les limites et metes de leurs royaulmes, seulement pourras

veoir les citéz d’un royaulme et ne te sera point donné coppie

ne faculté de visiter ou avoir le regard de ce qui sera beau

envers les autres. Et sainement tu verras trestard les choses qui

aux champs sont a veoir delictables, qui es chambres seras

665

recluz et enfermé ainsi comme captif ou comme prisonnier ; et

jamais n’ytras hors si non quant le roy vouldra aler vener ou

autrement recreer son courage, qui adonc aviendra quant a trés

grant desir dedans l’ostel vouldroies demourer, c’est quant les

champs seront couvers de neiges ou quant le monde [f. 23v]

670

ardra de la ferveur et chaleur du souleil. Mais, le plus souvent,

la partie majeur des curiaulz pourrit dessoubz le tect, toute en

ordie et couverte de pouldre ; et si ne t’est donnee delectacion

aucune es sautemens ou es dances des femmes, car tu y veois

quelcune qui non pas a toy, mais s’en va a ung autre, laquelle

675

non seulement te desprise, mais aussi te het. Et ne passe aucun

jour pendant lequel tu veoies mille choses qui troublent ton

courage, ton ame et ta pensee. Et as tousjours tes ennemis

presens devant tes yeulx et es trés souvent contrainct a baisier

celle main laquelle tu vouldroies veoir de son corps tronquee,

680

tranchee et separee. Et facilement ton œil reportera de la court

plus d’amertume que de doulceur aucune.

Comme les curiaulz n’ont pas en l’ouÿe delectacion.

Mais en l’ouÿe, ce diras tu, prennent les curiaulx

delectacion grande, [f. 24r] quant de tout le circuit du monde

685

oyent les novitéz, les hommes tressaiges parler, les gestes des

grans hommes racompter et en oyant aussi des musiciens les

chans melodieux. Et je croy que ces choses deçoivent maintes

gens. Reste doncques a donner medicine a ceste partie cy affin

que aucun ne se astraingne ou envelope en la court, esperant

690

avoir delectacion en ses oreilles, et que pour volupté ne

reçoive moleste ; car si tu me argues et diz des novitéz, je le

confute de cil mesmes negoce, veu que la sont oÿes

desplaisances pluseurs que choses agreables, comme ainsi soit

que plus souvent on y racompte aucunes citéz prisez, vaillans

695

hommes occis, grandes pilleries y avoir esté faites, despeulles

prises et rapines commises, que les mauvais sont victorieux et

les bons sont vaincuz. Et sainement tu congnoistras en court

que les hommes lettréz, qui des meurs [f. 24v] y disputent et

des secretz de Nature, et ceulz aussi qui les ystoires

700

racomptent presens les princes, ne le font si non pour

adulacions. Et si quelquefois aucuns orateurs ou philozophes

disers et plains de facunde entrent es cours et que devant les

princes ilz facent oroisons ou proposicions, les oïr la, ou ilz

parlent en paour, n’est pas chose si doulce comme elle est aux

705

escolles, ou sont en liberté et ou ilz parlent selon la verité, non

pas a complacence ou pour complaire a homme. Et a ceste

occasion est ce que a Athenes, quant la cité demouroit en

franchise, et a Romme, quant les consulz gouvernoient la

chose publicque, trés grandement florissoient les estudes.

710

Mais en la court des princes chascune parole y est eue par

adulacion, on n’y dit rien de bien ; et les mauvais y sont en

commendation et les bons vituperéz. Aucuns sont qui

mençongierement et en ordre perverti narrent les ystoires des

anciens ; et ne croit [f. 25r] on point aux clairs ystoriens, mais

715

est adjoustee foy aux vaines confabulacions. Et croit on plus a

Guidon de la Coulonne, qui a escript plus poetiquement que

ystoriquement la bataille de Troye, ou a Marsilian de Padoue,

qui met les translacions de l’empire qui oncques ne furent, ou

Vincent le Moyne qu’on ne fait a Lyvie, Justin et Saluste, a

720

Quint Cursian, Plutarque ou Suetonius, acteurs trés excellens.

Mais les harpeurs et chanteurs – jasoit ce qu’en la court en a

tousjours de bons, car ceste maniere d’ommes plaist plus aux

princes que de bons poetes ou de bons philozophes – tu les

orras, non pas a ton plaisir ne a ta voulenté, mais a celle du

725

roy. Et quant vouldras dormir ou faire quelque autre œuvre,

adonc principallement et continuellement seras inquieté et

ennuyé de leurs sons et de leurs chans. Et a tous chantres,

ainsi que dit Orace, est ce vice commun [f. 25v] que jamais

entre amis ne ameynent leur couraige a chanter ne n’y

730

condescendent quant ilz sont depriéz, mais jamais ilz ne

cessent quant on ne le veult pas. Et par ainsi, quant tu n’en

vouldras point, adonc tu les orras ; et quant tu les vouldras

comparer, ne les puez. Et touteffois a chascune kalende tu

seras contraint leur eslargir et donner quelque chose. A quoy

735

diray je que tous les lieux sont plains de rixes et noises et que

l’un maudit l’autre et se tencent ensemble et se disent

blaphemez contre Dieu et les sains ? Tous parlent en

confusion ; tant de clameurs y a que ton compaignon, qui est

auprés de toy, pourras a paine oÿr. Chascun compte ses

740

malefices en derogant autruy. Les ungs loent leur païs et

vituperent l’autre. En toutes pars y sonnent parolles

deshonnestes, immondes et trés ordes ; et es parolles n’y a [f.

26r] point d’actrempance, ne aucune vergoingne, ne nulle

reverence. Les gouliars y sont tousjours oÿs, ou detracteurs ou

745

routeurs ; car ceulz cy seulement ont liberté de faire et dire

tout quanque leur plaira. Et si aucun est la rempli de sapience,

mieulx vauldroit estre sourd que escouter telles choses.

Comment on ne se devroit vouloir servir aux

princes pour le plaisir ou delectacion qui est ou

750

touchement.

Or traictons a present du sens du touchement, ou quel

concupiscence domine, mesmement Venus et luxure, laquelle

aucuns qui les choses ignorent se confient que es cours elle

soit blande et souefve, errans en ce que les femmes ont a

755

coustume ceulz aymer qui sont de vestemens ornéz, qui

ventilent leurs cheveulx, qui aux tournois se treuvent, qui

chantent et scevent mener dances, qui sont tousjours trouvéz

[f. 26v] joyeulz et esbatans, ainsi qu’il semble que les curiaulx

sont. Mais il n’est pas ainsi que dame Venus soit leans

760

agreable. Car si aucune femme est qui ayme ceulz cy, elle

touteffois ne se commet pas a ceulz lesquelz congnoist estre

jongleurs, instables et venteurs et qui ayment pluseurs, si non

par aventure que quelqune y soit qui parvifie et vilipende sa

renommee ; et adoncques pluseurs acourent autour d’une et ne

765

aymeras aucune sans avoir compaignon. De la viennent

noises, contencions et haines, aucunes fors paroles et aprés

homicides. Et de petit de chose ne nourriras aucune qui a

pluseurs amans environ soy lui promectans grans choses. Puis

ung autre viendra plus bel, plus accepté, plus plaisant que tu

770

n’es ; et nulle telle femme ne trouveras tant loyalle qui d’un

seul homme se vueille contenter. Et souvent quant tu

demanderas t’amye, ou adonc trouveras ung autre avec elle,

ou qu’elle […] sera envers ung autre alee. Mais s’il avient [f.

27r] que tu en ayez une agreable et loialle pucelle, tu ne

775

pourras, si non furtivement et comme par emblee, te trouver

avec elle ; et ne pourras au roy et42 a Amour servir, pour ce

que l’un et l’autre est seigneur insolent et qui a soy veult et

requiert trestout l’omme. Tu y puez adjouster qu’en court non

seulement t’amye, mais ta femme espousee, a dificulté y

780

pourras garder chaste : de toutes pars y a tant d’ommes qui les

prient, tant de beaulx jouvenceaulx et tant de promecteurs,

tant de conseilleresses inhonnestes que la femme trés caste a

bien grant peine resister porra a tant d’assaulz et

oppugnacions. Mais si elle est trés preude femme, soit ton

785

espouse ou soit ta concubine, il la fault amener touteffoiz, car

les cours des princes se meuvent de jour en jour. Et adoncques

auras angoisse de courage et douleur de pensee, car avecques

t’amye tu ne puez demourer ne avec toy mener ; et l’instabilité

de la femme qui remaint, qui se mue de heure en heure, as

790

tousjours [f. 27v] subsonnee. Adjoinctz y les yrrisions de

moquemens et detractions de cil qui la maintient ; or y poise

bien doncques quans dangiers il y a et suspicions. Et si ces

choses icy sont aux hommes privéz griefves, certes elles sont

aux curiaulx importables ; ne n’a le touchement en

795

quelconque autre lieu delectation moindre qu’il y a aux sales

et aux palais des roys.

Comment ceulz sont en erreur qui aux princes

servent pour les allechemens de la gueule.

S’ensuivent les deux autres sens, c’est de odorer et de

800

gouster, lesquelz sont conjoinctz en partie et en partie

disjointz. Car quant nous mangeons les viandes redolentes et

bien odorentes et savoureuses, l’un et l’autre sens s’esjoïst ;

mais s’aucun ensuyt la fragrance43 et bonne odeur des

oignemens, il delectera l’odourement, non pas le goust, et

805

quant ou palais sera la viande mastiquee, l’odourement adonc

y perdra son office. Mais ceulz sont folz [f. 28r] ausquelz la

cause de vivre est en leur seul palaiz et ensuivent la vie des

bestes brutes et non pas des hommes, car ceulz aussi

l’appostre vitupere desquelz leur dieu est leur ventre, pour ce

810

qu’ilz suivent une chose dampnee, jasoit ce que pluseurs pour

ceste occasion veulent servir aux roys principalement affin

qu’ilz boivent et affin qu’ilz mengeussent. Et attendu que les

princes usent de trés bons vins et d’exquises viandes, ilz ont

esperance qu’ilz en auront leur part et se confient menger et

815

boire avec les roys ; et ainsi que les mouches suivent les tables

graces, ainsi pareillement ilz suivent les cuisines et conviz des

seigneurs, jasoit ce que les mouches soient mieulz repeues des

viandes regalles que ne sont pas ceulz cy. Or veons doncques

envers l’estat et haultesse royalle quelle volupté de boire et de

820

mangier adviengne aux curiaulx, laquelle sainement est trés

bonne quant ilz ont fain et soif et quant l’une [f. 28v] ne

l’autre n’est pas trop estandue. Mais touteffois en court

tresatart sont avant mydi les viandes distribuees, ouquel temps

les hommes seulement ne sont pas affaméz, mais ilz sont

825

enragéz. Aux ungs la longue actente a soustrait l’appetit par la

debilitacion de leurs esperiz ; les autres ont fermé l’orifice de

leur estomach par petit de pain et petit de formage qu’ilz ont

premier gousté. Pour laquelle chose il advient que les autres

devourent ce qui est devant eulz si que ilz soient rempliz trés

830

gouliardement et les autres n’en peuent au moins prandre ung

petit. Aucunesfois, dés la poincte du jour et devant la lumiere,

les viandes sont devant toy presentees ; et si tu n’en menguës,

tu juneras de la jusques a la nuyt ; et touteffois ton estomach

n’a point encor fait son office et ton appetit n’est encores point

835

venu. Et si tu as disné aprés qu’il est midy, tantost une heure

aprés on baille le sousper. Et jamaiz en temps deu n’est la [f.

29r] viande preste ne n’en seras servy. De la vient mort

soudaine et vieillesse intestee, replection et grans

vomicemens, douleur des boieaulx, la pierre et toutes

840

manieres de maladies. Quel souper as tu quant on t’aporte

ung vin qui ne seroit pas digne qu’on en lavast la laine ?,

comme dit Juvenal, lequel, quant l’auras beu, te sera trés

malsain, tout aigre et aquatit, vin corrompu, qui pent et file

quant on le verse tant est gras et espéz, aigre, trop froit ou

845

tiede, de mauvaise couleur et de mauvaise saveur. Je me taiz

d’aucuns princes qui donnent a leurs gens la servoise pour

boire laquelle, comme elle soit par tous les lieux amere, elle

est es cours touteffois trés amere et stomacative qu’en

l’estomach cause et fait passion. Et ne te fault pas croire que

850

tu en soies servy en argent ou en verre : en ung44 lieu on craint

larcin et en l’autre briseure. Tu bevras doncques en ung hanap

de bois, noir, antique et tout puant, ou fons duquel est l’ordure

colee et ou quel les seigneurs ont coustume [f. 29v] pisser. Et

toy tout seul n’auras pas ung hanap affin que, si tu veulz, tu y

855

mesles de l’eaue ou tu la boives pure, mais bevras en com-

mun ; et la ou tu mordras, ou a baingné une barbe poulleuse,

ou levres saliveuses, ou les dens trés inmondes. Et entre ces

choses, en ta presence, on donnera au roy ung trés bon vin

antique qui a si grant fragrance que toute la maison en est

860

remplie d’odeur. Il bevra muscadel ou malvoisie ; de Gaules

et Matrigal, de la riviere de Januense, il commendera qu’on lui

apporte vins, de Homgrie et de Grece, et jamais ne t’en sera

communiqué ung trés petit hanap, non obstant que soies

tourmenté de la passion cordiaque. Et s’il se advient que bon

865

vin y ait devant toy, il n’aura point odeur joieuse, consideré

que ton odorement aura reçu la fragrance du meilleur.

Aucunes fois vouldroies bien boire, mais tu ne oses jusques a

ce que les majeurs commencent. Et aussi les familles ne

mectent point vin sur table jusques a my repeue ; [f. 30r] et si

870

devant tu le demandes, tu seras jugié importun, petulant et

yvroingne et, non obstant telles ignomenieuses parolles, si ne

obtendras tu pas ce que tu demandes et si ne bevras pas a

l’appetit de ta soif, mais a celle des plus grans. Et depuis que

le vin sera sur table, il passera par pluseurs mains devant qu’a

875

toy parveigne. [...] et bouteilliers y remectront du vin, jasoit ce

que au parfond y ait fenge colee et adherente ou jasoit ce que

aucun y ait dedens routé ; car ainsi comme es temples une

eaue benoite est adjoustee sur l’autre, ainsi es cours des

princes les vaisseaulx vinagiers, ou les familles boivent, sont

880

nectoiés une fois l’an, aprés qu’ilz sont vuidéz. Et non

seulement au vin y a tant de tourment, mais en l’eaue aussi

bien, car, comme dit Juvenal, si l’estomach du seigneur est

eschauffé par vin ou par viande, on demande tantost l’eaue

trés froide, cuite des pruynes de Getulie, esquelles en esté la

885

glace est conservee et par les [f. 30v] grans chaleurs en icelle

sont les vins refroidiés, et si ne t’en sera donné aucune

portion, encore trés petite, et par plus grande soif tu seras

tourmenté, car en ce voiant tu n’en gouteras rien.

Quelles sont les nappes des curiaulx ?

890

Pour quoy te parleray je des nappes noires, rompues

et oingtes, lesquelles seulement ne te feront pas ennuy, mais

se tiennent aux mains et te suivent si d’elles quelquefois tu

te veulz essuier ? Pour laquelle chose pluseurs, tous

vergoingneux, dessechent et torchent leurs mains moistes de

895

gras brouet a leurs vestemens propres. Et de la vient la

gresse que tu veoys es poictrines des curiaulx, si que asséz

mieulx seroit menger es estables des porceaulx que es cours

des grans seigneurs, car les belles nappes de soye, de

blancheur resplandissans et doublees, servent aux princes

900

seulement et sont de jour en jour muees, mais les tiennes

demeurent autant a ung tronc de bois [f. 31r] clouees

comme elles peuent estre des tables discernees, c’est a dire

tant que l’en peut congnoistre la difference entre elles.

Quelle volupté et delectacion y a il es viandes des

905

curiaulx ?

Or entens maintenant des viandes et y prent volupté,

si tu peuz, et delectacion. Nulles bestes ne sont pour toy

tuees si non beufs, chievres, porcs et ours, et n’ont pas a

coustume les dispensateurs les achapter recentes ou pou

910

machees, mais aprés ce qu’elles ont commencé puir, car de

tant ilz emblent plus qu’ilz les acheptent a moindre pris. Tes

chars sont froides, cuitez deux foiz, immondes et mal

nectes, puantes et sans saveur, plaines de charbons et fumee,

sans sel et sans saulce et sans espices preparees ; les choux

915

pourris, les ravez toutes seiches et moysies et tes potages

demy cuitz, les chiches mesléz de poys, feves et lentilles,

aucunes fois de pouldres et cendres. Le formage vient tart a

toy et, s’il vient, il est [f. 31v] tout vif et rempli de vers,

percé en toutes pars par dehors, ort et aspre et plus dur que

920

pierre. Le beurre tout puant et le lart rance donne poincte et

affaictement a tes viandes. Les œufs sont poséz devant toy

quant ilz nourricent ja les poussins. Les poires et pommes

ou seiches ou aigres, lesquelles si ne les mengeoies, seroient

la viande aux pourceaulx. L’uylle duquel tes choux ou tes

925

poissons sont cuitz est des lampes ou des lanternes prinse ;

la puanteur de laquelle pourroit chasser les serpens ; et est a

croire que telle huylle puet estre que celle par laquelle nul

ne vouloit a Romme estre lavé avec Bocor. Je rends graces a

homme magnifique et monsieur, monseigneur Caspar Slik,

930

chancellier, lequel m’a retiré de ceste sentine de

immondices et m’a mené a sa table polide, jasoit ce que45,

s’il ne feust, j’eusse ja renoncié aux attediacions et ennuiz

de la court. Mais je poursuivray le chemin commencé. Les

tiens poissons saléz ce sont [f. 32r] luz et carpeaulx et

935

harens. Et si le seigneur celebre le jour de sa nativité, tu

pourras gouster des conques puantes pour l’odeur de la

fenge en laquelle ont esté, ou de quelque anguille cousine de

la coulevre, ou des poissons qui sont nourris es retrais des

hommes. Et si aucun autre plus noble poisson est mis

940

devant toy, il sera de quatre jours et courrompu. Ton pain

est noir et si dur que a peine a doubles46 dens peut il estre

froissié. Et non obstant que le noir et le blanc soit a ung

mesme pris bien souvent achepté, affin que ne le preignes

par assuefaction ou coustume, on te paistra tousjours du

945

noir. Et veulent les seigneurs continuellement qu’entre soy

et les serviteurs y ait disparité notee et difference, jasoit ce

que aucunesfois n’y ait delectacion quelconque ne nul

prouffit aussi. En aprés tu es tousjours servy d’une mesme

viande : si peuz savoir facilement que tu devras [f. 32v]

950

mangier trestout le long de l’an, qui diminue beaucop la

delectacion qui en varieté a a coustume estre. Et pourroit

aucun par aventure tollerer telles choses s’il ne veoit

continuellement que meilleures viandes sont devant soy

portees, comme il advient aux gens de court. Lesquelz quant

955

ilz regardent le pain tout sourt, outant comme ilz devourent

la splete ou l’orge ainsi que les chevaulx ou pains d’autre

façon qu’ilz appellent casiates, ilz veoient apporter ung

mulet au seigneur – mais quel mulet ! – ung mulet, diz je,

que Corsique a transmis ou les roches thauromenitanes.

960

C’est affin que les gosiers forcenéz des princes puissent

estre saouléz, noz fleuves ne noz mers ne leur suffisent mye,

quant les pescheurs encerchent o leurs reths trestous les plus

prouches ne si ne laissent aucun poisson croistre en la

voisine mer. Veez en icy ung autre qui apporte au seigneur

965

ung poisson nommé [f. 33r] squille, de longue et large

poictrine toute saincte de notes, de laquelle la queue non

seulement desprise la famille, mais les hostes aussi,

s’aucuns y a, et les convoyéz ou a disner invitéz. Cestui cy

amene une lamproie de Cecile laquelle il a prinse entre deux

970

souverains perilz de mer – l’un est nommé Scilla, l’autre est

dit Caribdes – quant le vent austral ne souffloit nullement.

Pourquoy y nombreroie pluseurs autres poissons comme

tourtes, barbues et soles ? Tout tant qui est nourri plus

souefvement en l’eau devant le prince, tu le47 regarderas ou

975

roty ou cuit en l’uylle venafraine ou en trés bon vin entre

odoriferans herbes. Et adoncques te acroist entre les

poissons une trés grant envye, et pareillement non meindre

entre les chars, quant tu verras le prince qui mengera

d’48ung lievre, d’un cerf ou d’un castor, d’une [f. 33v]

980

chievre sauvage, d’un faisant, d’une grue, d’une perdris,

d’un paon, d’un oyson ou mauvis, d’un merle ou d’un

heron, d’un chevrau, d’un aigneau, d’un conny, d’un

senglier et de tout tant qui vole ou qui va a quatre piéz, et

toutes telles choses singulieres et esleues, appareillees et

985

confites en trés souesves espices. Lesquelles choses quant tu

regardes, tu ne puez mordre rien des choses qui devant toy

sont mises, mais tu actens, disant a ton compaignon : « Veez

cy, on nous donnera tost le demourant d’un lievre ou

quelque chose des hanches de chevrau ; nous aurons tantost

990

du poisson grillé, congellé d’un broet aromatique ;

maintenant nous envoiera d’un poussin gallinaire ; tantost

nous transmectra deux petis oyselins. » Mais tout tant que tu

as ainsi pourpensé tantost s’esvenoït ; car de toutes ces

choses on tend rien aux [f. 34r] curiaulx, si non que

995

d’avanture a ton desplaisir et ennuy on le transmist a ton

compaignon qui se siet emprés toy, pour laquelle chose

sauras qu’il est plus chieri et amé du prince que tu n’es. Et

casuellement et par fortune aucunes fois quelque tantinet

t’en sera donné, non pas que pour si pou en soyes ressaisi,

1000

mais que pour ce soies actedié d’ennuy, saichant combien

sont souefves les viandes du prince. Devant le seigneur

verras le pain aussi blanc comme nege et fait de meur

froment, pour l’apareillement duquel est esleu ung propre

boulengier et a grans gaiges retenu ; lequel pain si tu veulz

1005

touchier, tu seras asprement reprins et frapé, qui n’as pas

pris le pain de ton pennier et cellui du seigneur as presumé

toucher. Mais s’il est le temps de ver, quant on fait les grans

souppers, les herbes de la terre sont raises et depuis le païs

[f. 34v] de Libie sont apportéz les ortailles souverainement

1010

bonnes telz que souloit mangier Claudius devant cellui

potage ouquel sa femme lui ministra venin. Mais devant les

curiaulz sont apposéz champignons inhonnestes et moult a

doubter, esquelz bien souvent est mengee la mort. Les

pommes du prince sont telles que les Hesperides sont dictes

1015

avoir eues et en elles seulement tu te peuz delicter, car elles

sont tant odoriferans que non seulement sur ceulz qui sont

préz, maiz aussi qui sont loing distans, espandent leur odeur

 ; mais toutesfois ne les pourras toucher ne aucunement

gouster. De Yrcanie et Plaisance on ameyne formage suant,

1020

aveugle et gras, fait de brebis lesquelles sont tant seulement

de serpolet et de trés souefvez herbes nourries. Et entre

cestes choses regarderas l’escuier tranchant, saillant par la

maison, en sa main le cousteau [f. 35r] volant, tranchant en

gestes diverses devant le seigneur le lievre ou la geline et49

1025

aucune de ces choses esquelles te delictes ne permectra que

tu touches. Qui est cellui qui croie qu’en ces choses icy les

curiaulz aient delectacion ou quelconque plaisir ? Qui est

cellui qui plustost ne confesse que c’est une grant peine et

ung trés grant tourment, assavoir mon s’il n’est trés

1030

semblable a ce que faignent les pechiés de Tantalus, lequel

estant es eaues n’a puissance de boire ne entre les pommes

ne peut aussi mengier, jasoit ce que l’un et l’autre lui touche

a son menton ? Que dirons nous que le prince

continuellement compte a sa table confabulacions et choses

1035

de dire et qu’on ne devroit dire, et tu n’oses parler ne

seulement bailler ? Et si d’avanture tu presumes mueir tout

bas comme ung muet, ou signifier et par signe monstrer, ou

a autre ton vouloir declairer, seras [f. 35v] trayné hors par

les plantes des piéz, ainsi que fut Cacus, et seras appellé

1040

larron furtif ou ribault. Chacune grant maison, comme dit

Juvenal, est remplie de serviteurs orgueilleux. Cestui baille

le pain avecques grant murmure et l’autre est indigne, car

quelque chose lui demandes et fault qu’il serve debout et

que tu soies assis. Ou les serviteurs ne veoient pas le

1045

deffault de la table ou, s’ilz le veoient, ne daignent

l’amender. Souvent tu auras faulte ou de pain ou de vin, et

toutesfois ne l’oseras demander. S’aucunes fois tu

demandes de l’eau pour ton vin actremper, ou du vinaigre

pour mouiller ton poisson, ou ung petit de sal pour asperger

1050

ta char, chascun dira que tu es importun. Et certainement

ceulz qui se seent te font de grans ennuys, mais encor sont

plus grans les ennuys de ceulz qui servent en estant. Et

toutes les fois que tu meuz quelque chose, ilz [f. 36r] bayent

quant et toy et ne prennent que l’aer, qui sont peuz

1055

seulement des reliques des mangiers. Mais prens et

considere les autres molestes. On est servy es cours de

diverses viandes, car es soupers sont tard apparaillees moins

de quatre viandes ; et ces choses icy ne sont jamais donnees

ordonneement ainsi que tu vouldroies. Ce que desireroies

1060

que tu eusses darnier, tu l’auras le premier. Aprés que tu

auras esté saoulé de pain ou que seras empli de l’eschine

d’un ours, adonc on servira des meilleures viandes affin que

les refuses indigné ou que par gloutonnie a ton dommaige

grant adoncques les mengusses. Mais se aucun cas fortuit a

1065

concedé a l’assiete de table les meilleurs viandes,

incontinent elles seront ostees hors de devant tes œilz, car

les ministres mectent grant diligence que les choses plus [f.

36v] precieuses ilz ne premectent ou laissent bien

longuement sur table, car en les y mectant ilz sont asséz

1070

tardifz et a les enlever ilz sont trés diligens. Considere en

aprés quantes mains acourent au plat, combien de

cousteaulz se hastent autour des chars et viandes, quel

dangier c’est de mectre la sa main, sinon qu’on soit armé

d’un gantelet de fer, comme le cas avint devant l’arcevesque

1075

strigonencian, car il racontent que cellui qui estoit ou

segond lieu assis en telle façon tua ung Fleurentin. Car

aucunes fois il advient que l’un couppe le doy de l’autre ou

prend une porcion de sa main et la mort a bonnes dens,

extimant que ce soit char de veau ou de beuf. Les tables es

1080

cours sont de toutes pars environnees de mengans. Les

viandes sont apportees par dessus tes espaules et par dessus

ta teste, et souvent est sur toy le broet espandu. L’un est

dessus toy, l’autre [f. 37r] roupte et vomit en ta face. Entre

une viande et l’autre y a grant distance ; en les actendant se

1085

consume le grant temps. Et aucunes fois tu ne te peutz lever,

tu ne peutz escopir et si ne peuz cracher, si ne veulz estre

mis ou nombre des lecherres. Jamais de mengier n’y a heure

certaine ; mais neantmoins, si au commencement de la table

tu failloiez a venir, tu seras puny et frustré de ta cene ou par

1090

aigres parolles tensé seras et repris. Et entre ces choses tu ne

pourras manger des poretz, des ongnons ou des aulz, car

Orace les appelle venin ; ne les viandes que les princes

manguënt, car elles ne dangneroient entrer en son ventre ;

ne les choses aussi que ceulz des champs devourent ne seras

1095

tu permis a taster ou gouster, car elles engendrent aux

seigneurs punesie et mauvaise senteur. Mais tu useras de

viandes par graces, sans aucunes saveur ou pointure ou

doulceur, esquelles si volupté ou [f. 37v] delectacion y

avoit, elle cesseroit toutesfois, car tu en es servy

1100

continuellement et immuablement, car, ainsi que Juvenal

afferme, l’usaige tardif rend les voluptés et plaisirs

commendables. Mais en ces choses tant seulement deffault

qu’il y entreviengne aucune joie, affin que je ne estime pas

cellui mauvaisement jugier qui a mis en eulx souveraine

1105

misere et souveraine affliction de cuer. Mais le vulgaire mal

instruict et fol ne considere point ces ennuys, mais

seulement advertit et regarde les riches vestemens precieulz

et pendans et les grans chevaliers eslevéz et dextres sur

leurs chevaulz. Et quant il veoit les richesses, l’argent et

1110

l’or, les caterves et grandes compaignies de serviteurs, et

l’ornement qui dehors se monstre, il ne advertit nullement

les miseres50 interiores et qui sont par dedens. Et pour ce

Seneque, homme de souveraine [f. 38r] prudence, dit ainsi :

Ces hommes cy, les quelz vous regardés pour gens bien

1115

fortunéz et de felicité plains, si vous les veoiez en ce qui est

caché comme en ce qui se monstre, vous les jugeriés

miserables, letz et ors a la similitude de leurs murailles, qui

sont aornéz et peintz par dehors seulement. Pour laquelle

chose, sans faire inquisition majeur, je premetray aux

1120

curiaulz, qui pour les plaisirs de leur geule servent [...], non

seulement les citoiens privéz, qui avec leur51 femme joieuse

entre leurs doulz enfans vivent trés chastement et trés

modereement, ou les labeureurs, lesquelz ou milieu de leurs

ouyles avec le laict devourent les poulines doulces et

1125

boivent a grans traictz les eaues du clair fluvie, mais

anteposeray et premectray a eulz ceulz qui sont reconduz es

pertuiz des rochiers, ou qui sur les pontz ou aux portes des

eglises [f. 38v] mendient leur miserable vie, comme ainsi

soit qu’il ne leur succede ou aveigne [...] selon leur oppinion

1130

ou sentence et, si ainsi leur avenoit, non pourtant ilz n’en

seroient pas fais plus bien euréz. Ilz sont doncques tous sotz

qui, pour ces causes icy, reçoivent eulz mesmes aux services

des roys.

Ceulz sont folz lesquelz finablement pour consulter

1135

a leur ame s’abandonnent aux curiaulzservices.

Maiscomme au commencement nous ayons dit qu’ilz

sont aucuns lesquelz s’abandonnent aux services roiaulz et,

en ce faisant, pensent a leur ame consulter (car ilz extiment

qu’en conseillant aux roys et en promovant l’utilité de la

1140

chose publicque, en deffendant les causes des orphelins et

des vesves, en secourant aux pouvres et aux affligiéz,

d’autant plus plaire a Dieu de combien ilz font ces choses

icy avecques plus grant ennuy), a ceulz icy fault il [f. 39r]

doncques respondre affin que ceulz qui sont plus folz des

1145

autres ne soient pas veuz estre les plus saiges de tous. Jasoit

ce que je n’ay encore ame congneu qu’il n’estudiast aux

services des roys a acquerir aucun temporel prouffit,

faignons toutesfoiz qu’il soit aucun seulement a ce faire

esmeu par52 la raison du salut de son ame. Assavoir mon si

1150

celui peut avenir a la court, ne conseillerons nous mye a

l’omme bon qu’il se plunge aux services du roy ? Ne

cuiderons nous mie que ainsi gaingne son ame ? Par le dieu

Herculés ! point ne me semble vraysemblable que es cours

des princes, ou regnent tant de vices, ou tant de irritemens et

1155

provocacions retirent l’omme de l’exercice de vertuz, que

aucun bon homme y peust perseverer, car ainsi que ung bon

chevaucheur, seant sur ung cheval retif qui a l’esperon

recalcitre, sera secouz et finablement tunbe, tout ainsi

l’omme juste ou service53 des [f. 39v] roys trebuchera

1160

encore maugré lui par la licence des choses et

superabondance ; et lui, circuit et environné de tant

d’eschauguectes, tant d’ommes que de vices, declinera de sa

voie et entre les rochiers trebuchera, agité des forces des

grans vens et de leur tempeste impetueuse. Laquelle chose

1165

quant Platon aperceut estre en la court d’Athenes, il establi

en soy que mieulx lui estoit s’enfuir et plus utile que de

resider entre tant de inquinamens et occasions de vices.

Congnois doncques toy mesmes, qui te deliberes de la court

ensuir, et adverti et considere que tu n’es majeur que Platon

1170

et si tu as plus de vertus et puissance pour resister a la

coustume mauvaise que n’avoit Platon. Il fault es cours

obtemperer a tout et a tous obeir, ce que tu as a tous

conmuniquer, servir aux temps, tourner nature et la regir, et

selon le temps [f. 40r] tourner et fleschir puis de ça puis de

1175

la, avec les tristes fault vivre austerement, et avec les remys

vivre joieusement, et avec les anciens fault vivre gravement,

avec jeunesse souefvement, avec les maufaicteurs

arroganment et fierement, o les libedineuxluxurieusement.

Laquelle chose si tu ne vouloies faire, tu ne pourras estre

1180

grant ne avancé en court ne longuement y estre permanant.

Mais par aventure tu pourras replicquer que cellui Platon,

lequel ay escript dessus avoir fuy la court, parvint aprés a

Denis, tyrant de Cecile, et la servyt a lui. Il est comme tu

dis, mais il te reste a veoir comme il lui en est prins, car

1185

Platon, appellé de lui par esperance de doctrine, quant du

tyrant se prist les vices corrigier, frauduleusement du tirant

fut vendu. Et lui tout seul n’a pas experimenté l’ire du

prince, car Zenon, [f. 40v] philozophe moult ancien, fut de

Falaris le tyrant dilaceré de tout genre et maniere de

1190

tourment ; Anaxagoras philozophe fut occis et murtry de

Anacreon, roy des Cypriens ; Boece aussi, qui souffri mort

par le commandement du roy Theodoric. Longue demeure

seroit se je vouloie nombrer quelz hommes vertueulz et

bons les princes ont mandé tuer et mectre a mort. Ne n’ait

1195

nul qui m’allegue et reduise a memoire ou Moÿse ou

Eliezee ou aucun autre des philozophes ou prophetes, ainsi

comme si lui estoit licite ce que aux homes divins a esté

bien permis, car avec les roys ilz n’ont pas demouré, mais

quant ilz ont usé de la legacion laquelle Dieu leur avoit

1200

commandee, ilz s’en sont retournéz. Joseph seulement feist

sa demorance o le roy Pharaon, lequel Joseph l’ordonnance

divine et la vendition de ses freres avoit la envoié pour le [f.

41r] salut du peuple. Aussi que confesserai que Morice et

Martin militerent mondainement en habit seculier et

1205

servirent aux princes ; mais tantost qu’il fu sceu que Morice

estoit christien, incontinent le chief lui fut coppé avec toute

sa legion thebee ; et quant Martin parvint en l’eage d’omme,

il renuncia les armes et pavillons royaulz et se sequestra au

service de Dieu, car cellui saint homme savoit bien que les

1210

causes des pupilles et orphelins et celles des vesves n’ont

point d’entree aux princes, pour ce que le sabat envers eulz

n’est point sanctiffié, pour ce que toute justice y est

vendable et toute leur parolle est inmonde et non chaste,

pour ce que n’y demeure nulle misericorde, nulle amour de

1215

religion ne aucune charité, mais envye et ambicion y

dominent tant seulement, ausquelles choses resister a

homme trés fort appartient et qui les choses divi[f. 41v]nes

sent et savoure plus qu’il ne fait les humaines. Et jasoit ce

qu’il feust homme trés saint, […] s’il ne voulut pas plus

1220

celle vie militaire ensuir et si monstra par son exemple aux

autres qui ainsi devoient ilz fere. Et quant Nostre Sauveur

fut interrogué qu’il estoit de faire pour acquerir la vie, dist :

« Va non pas servir aux roys », mais il dist : « Va, et vends

toutes les choses que tu as, et viens t’en aprés moy : non pas

1225

aprés le prince, aprés moy ; non pas aprés le roy, mais aprés

moy. » Et s’il n’a pas dit : « Tu doiz servir la court. » Veoy

doncques a toy mesmes, bon homme et vertueulz qui pour

ton ame ensuis la court, que pour la court tu ne perdez ton

ame ; car molt de laz y a, mains obstacles et empeschemens,

1230

eschauguectes et espiemens de diables. Dure chose est

ambicion refrener, avarice refraindre, donder envye, ire

aprisier, luxure coarter, quant tousjours vers ces choses es

tourné. S’aucun toutes fois [f. 42r] scet que force si grant lui

a esté donnee qu’il puisse ces choses icy vaincre et qu’en la

1235

fenge il se puisse involver sans estre maculé ainsi que le

souleil, s’il puet toucher la poix sans d’elle estre souillié,

s’il puet sans se bruler entrer dedans le feu, je ne lui desfens

point qu’il n’ensuyve la court, pour ce que tant plus grant

merite il acquerra de tant que il militera plus perilleusement.

1240

Mais on m’a persuadé qu’il n’est homme vivant qui en

servant a court ne soit plus tost des vices surmonté que qu’il

vainque les vices, car, affin que je recense les mots de

Juvenal, tous summez plus dociles a ensuir les choses qui

sont laides, depravees et mauvaises. Pareillement est en

1245

Genese le divin oracle en la maniere qui s’ensuit :

Certainement le sens et la cogitacion du cuer humain sont

dés adolescence promps et enclins a mal. Je ne persuaderay

doncques a nul a demourer en court, car l’ame, ainsi come

[f. 42v] j’ay dit, y est soubzmise a ung trés grant dangier et

1250

plus souvent devant son temps y est la vie perdue, pour ce

que ou tu favoriseras au desir du prince et voluntairement a

ses vices aplaudiras, et par ainsi as tu perdu ton ame, ou tu

blasmeras ses mauvaises meurs et accuseras ses faitz

scelereux et iniques et, ce faisant, tu experimenteras que

1255

vault l’yre du prince. Cyrus, roy des Persens, a son familier

Arpalus qu’il aymoit moult chier par avant, pour ce que

d’un vice le reprinst, en ung convy lui donna ses enfans a

mangier. Et Cambisés tresperça d’une flesche le filz d’un

que trés chierement aymoit, pour ce que de ebrieté i l’avoit

1260

corrigé. Ne tu ne me puez objection donner de Aristote,

souverain philozophe suivant les chasteaux et tentes

d’Alixandre le Grant, car par quelle entencion ou plaisir il a

fait tu ne scez et si d’aultrement faire il avoit liberté. Mais

autres pluseurs ont Alexandre [f. 43r] ensuy comme

1265

Calistenés philosophe, Critho son frere et compaignon, et

Lysimachus54 chevalier et philozophe de grande renommee.

Calistenés, quant il prohiba qu’on adorast Alixandre en la

façon et maniere de Perse, fut contrainct en chartre mener

vie miserable, aprés qu’il ot les piéz et mains tranchiéz, les

1270

œils crevéz, les narines et oreilles couppees ; auquel pour ce

que Lysimachus lui donna venin au remede de ses

miserabletéz, cellui Lysimachus fut baillé au lyon. Et

Crithon, a cause qu’il redarguoit Alexandre detranchant et

diminuant les loenges de son pere Phelipe, fut en disnant tué

1275

d’icellui Alexandre. Ilz sont doncques folz selon mon

jugement et, ainsi que je extime, segon le tien, le mien

Jehan trés amé, qui pour les causes par cy devant touchees

et qui pour le gaing et prouffit de leur ame ambracent les

services des princes, pour ce que ou ilz quierent ce ou

1280

parvenir [f. 43v] ne peuent, ou ilz cerchent choses

pernicieuses, ou ilz cheminent par la voie espineuse et de

doubtez remplie, jasoit ce que a la fin qu’ilz quierent par

trés faciles et trés asseuréz chemins ilz pourroient cheminer.

Il seroit doncques desja satisfait aux choses qui du

1285

commencement nous avons proposees, et pourroie a present

mon epistre fermer, mais encores y a pluseurs autres

molestes des curiaulz desquelles trés briefvement faire

memoire ne sera point sans grande utilité.

Quelz ennuys touchant le dormir avient aux gens

1290

de court.

Pluseurs et moins ennuys quant a dormir viennent aux

gens de court. Aucunesfoiz leur fault dormir sur le bois, par

my les pailles, dessus les pierres, sur la terre toute nue, au

vent et a la pluie et aux aspres froidures. Et s’i te advient

1295

dormir au lit de plume, prepare toy aux poulz, aux [f. 44r]

pulces, aux punaises et a autres bestioles infinies ou qui te

mordront ou te feront trés orde punaisie. Jamais seul ne

dormiras, si non quant tu voulsisses55 avoir ung

compaignon. On te donnera linseulz qui seront inmondes,

1300

ors, puans et dessiréz, et esquelz il n’y a gueres qu’i sont

mors gens pestilenciéz. On te adjoindra ung compaignon

roingneulz lequel se gratera tout du long de la nuit, l’autre

qui toussira, l’autre te contraindra par son aleine puante.

Aucunes fois ung ladre jerra avecques toy. L’un est en

1305

froidure et ravit a soy trestous les vestemens ; l’autre en

chaleur de fievre, qui jecte dessus toy le loudier et toute

l’autre couverture : ou il te sera tousjours molestant et

contrestant, ou tu lui seras veu tousjours estre ennuyeulz.

On dort souvent en aucun lieu commun ou ilz sont dix ou

1310

aucunes fois vingt, ou l’un ronfle, l’autre pecte, l’autre

regibe des talons. [f. 44v] Il n’y a jamais silence jusques a la

mynuit. Les ungs sont yvres quant ilz viennent dormir : ilz

raillent, ilz crient, ilz routent, ilz font grans bruiz et grans

noises, ilz combatent pour leurs liz et frappent l’un l’autre,

1315

ilz se lievent en pissant souvent jouxte les estables ou56 sont

tes couches, dont tu oyes les chevaulz fremissans, trepillans

et soy mordans. Et si ne sauras ou tu devras dormir jusques

a ce que te voises coucher. Et sont par les logeis es

chambres diverses moins sourvenus estrangiers, pluseurs

1320

incongneuz. Et est la vie des curiaulx souvent finie et

terminee es hospitaulx publicques ou les larrons sont a

craindre et murtriers y sont a doubter. Et jamais tes choses

ne garderas a si grant diligence que ne les treuves

diminuees, car en ta chambre mesmes dormiront les larrons

1325

lesquelz se releveront quant tu dormiras et t’embleront les

choses qui dessoubz toy seront secretement cachees. La sont

[f. 45r] femmes publicques, servantes, ruffiens,

entrejecteurs, bateleurs, joueurs frians et gouliars, qui rixes

et noises jouent continuellement veoians tous ceulz qui la

1330

sont assistans ; et d’entre eulz yst si grant clameur que non

seulement tu ne porras dormir, mais – qui plus est – ton

compaignon qui est au préz de toy ne pourras pas oÿr.

Adjoustes y la loquacité des curiaulx qui, tant que la nuit

dure, ne prennent nul repoz. Le prodigue et dissipeur de

1335

biens, ainsi que dit Flacus, nautonnier et viateur, maintes

choses parlant, chante la sienne amie qui est de lui absente,

auquel il n’est donné nul repoz de dormir. Mais si quelque

fois le sommeil a vaincu celles rumeurs et les autres choses

et que tu ayes commencé tes œilz fermer, tout soudainement

1340

tu seras rappellé et pour aucun cas seras contrainct te lever.

Je croy qu’i mille foiz as cestes choses experimenté, pour ce

suis je brief. [f. 45v]

Les trés grans ennuys que ont les gens de court

pour estre logéz.

1345

Mais escoute et entens autres divers ennuys qui sont

pour le logis. Il te fault suplier le mareschal ou le fourrier et

fault pour aucun pris qu’il soit ton aloué ; aussi ses

serviteurs veulent estre priéz et par dons allechéz affin

qu’ilz te delivrent tollerable logis. Mais s’ilz le te ont

1350

promis, si n’en feront ilz riens, car ilz te logeront es lieux

trés reculéz ou en chambres trés puantes, punaises et

infectes. Et aucunesfois par menaces et par violence te

contraindra le fourrier a te partir de honneste lieu qu’il t’a

lui mesmes assigné et a le laisser a ung autre. Mais par

1355

aventure te seroit tolerable chose et a supporter humilier ta

teste envers le mareschal du logis duquel l’office n’est pas

inhonneste, maiz c’est trés griesve chose d’ensuir et supplier

a hommez regectéz et ors et de leur offrir peccune. [f. 46r]

Mais il te convient humilier et achater la benivolence des

1360

cusiniers, des pastissiers et boulengiers et a ceulz qui le pain

et vin distribuent. Et que diray je des huissiers ? A quantes

foiz bouteront ilz la porte contre ton estomach ? Quantes

foiz fermeront ilz la porte quant il te apercevront venir,

laquelle paravant estoit toute ouverte ? Quantesfoiz, tu

1365

forcluz, non obstant ce que tu as donné or, recevra il leans

ou ung menestrel ou quelque friandel ou le tien envieulz ?

Quantes foiz te mentira il, affermant que le prince dort ou

qu’il est en conseil ou qu’il est indisposé et malade ?

Quelle misere avient aux gens de court quant il

1370

fault en armes proceder.

Que diray je des movemens des tentes ? Qui pourra

les tourmens nombrer qui adviennent adoncques ? Comme

grant sollicitude fault avoir des chevaulz ! Combien grandes

armeures ! Quantes an[f. 46v] goisses contraignent ! Il fault

1375

passer les haulz fleuves, les montaignes dangereuses a

passer et est necessité de chevauchier de nuit, par pluye, par

neyges et par vens, par la fenge et par glace, par fleuves et

espines, par roches et par bois, par les caverneuses roches et

es concavitéz des montaignes, entre les larrons et entre les

1380

ennemis. Le partement du prince jamais n’est certain :

aucunes foiz est bruit que demain fault remuer les

herberges, et puis quant tu auras commencé ton chemin, on

mue oppinion. Et si d’avanture tu n’es pas encore prest,

soudainement sera le partement et s’en yra le roy avecques

1385

pou de gens et commendera que tout hastivement le suivent.

Et ce trés souvent aviendra quant tu seras malade, ou quant

tu auras receu medicine, ou aprés ta saignee, ou quant tes

serviteurs ou tes chevaulx seront indisposéz. Mais [f. 47r]

qui vouldra estre acertené du demourer ou du departement,

1390

des taverniers ou des femmes communes sera mieulx

informé et mieulz acertené qu’il ne sera des autres. Et

jamaiz ne sauras ou c’est qu’on doit aler jusques que tu y

soies. On se doubte souvent que le roy doie partir a la

poincte du jour et tous adoncques l’actendent a cheval

1395

jusques qu’il est midi, tant chevaulx que muletz, et que les

charioz demeurent tous chargiéz, et trés souvant, cuidans

estre deceupz, mectent a bas leurs charges. Et quant ilz sont

a chemin, trés souvent il avient qu’on demeure aux lieux

esquelz il n’y a ne viandes ne vins et esquelz on ne peut

1400

trouver herbergement ; et ou habundemment suppetent

toutes choses, jamais les ostz n’arresteront deux jours.

Certainement les roys sont57 en ennuy toutes fois qu’ilz

oient dire que leur multitude est joieuse et, a l’opposite, ilz

prennent leurs soulaz des afflictions et angoisse du peuple.

1405

Et pour ce aucunes [f. 47v] fois ilz ne cheminent pas en ung

jour mille pas […]. Et […] quant ilz entendront dire, ou que

tu auras perdu l’un de tes familiers, ou quelque cheval, ou

quant ilz congnoistront que tu seras tunbé en la riviere, ou

que tu seras enfroidy de froidure, ou que par grant ardeur tu

1410

as le cuer failly, comme ainsi soit qu’ilz soient bien arméz

et contre la chaleur et contre la froidure. Et en oultre

quantes pressures y a ou procés des herbergez ! Quantes

talonnees, quantes trusions et impulsions, quans

trebuchemens, quantes derrisions, quantes blasfemes !

1415

Maintenant ton cheval frappe ung autre et il t’en donne la

coulpe ; maintenant le tien est frappé, pour quoy encours

dommaige. Les familles et serviteurs noisent ensemble, par

quoy leurs maistres descendent en bataille et en bateures. Et

en cheminant il fault ordre garder : il n’est jamais licite soy

1420

partir de son lieu. Et quant les autres [f. 48r] se hastent, il

convient se haster, et differer son pas quant les autres se

tardent. Et cil qui est ton amy, que prés de toy voulsisses, te

sera distant ne ne porras vers lui aler au lieu ou il est. Et si

d’aventure tu te laisses tunber, nul est qui te relieve, mais de

1425

toute la compaignie tu seras eschachié et tant toy que ton

cheval serés en pouldre redigéz. Les tentes ou pavillons sont

en lieux palustreux et en la fenge aucunesfois assis,

autrefois en l’arene et en sterile lieu, duquel grant dangier tu

ne porras yssir pour aler abrever ne pour aler au boys. Car

1430

adoncques ou il sera esté, et seras des chaleurs alors tretout

brulé, et des gresillons, c’est des cicades, seras tout estonné,

et seras mors des mouches et intoxiqué des serpens, et de58

trés mauvaises exalacions et feteurs tu seras tourmenté ; ou

il sera yver, et adonc periras desnué de vestemens et de

1435

maison privé. [f. 48v] Et s’il advient que casuellement ou de

quelque adventure tu puisses evader, toutesfois tes familles

et chevaulz n’en pourront eschapper. Adjoustes y, quant les

ennemis sont prés, tresplus grandes molestes, car

maintenant il fault contregarder des pierres, et maintenant le

1440

tret vient a doubter, et jamais on n’est asseuré des larrons.

Tantost fault donner l’assault aux ennemis, maintenant se

fault garder que les ennemis ne nuisent a ceulz qui

assaillent. Il fault manger armé, il fault dormir armé :

tousjours fault qu’il y ait guet aux clotures des logis et aux

1445

portes pareillement. Il n’y a nulle heure de repoz, il n’est

jamais licite de demourer en paix. Jamais les corz ne se

taisent ne trompectes aussi, jamais eschauguetes ne cessent.

Com grande trepidacion, quantes clameurs toutes les fois

qu’on assault les murailles ou quant deux [f. 49r] ostz

1450

courent l’un contre l’autre ! Maintenant sont drecees les

bonbardes et maintenant on porte les fagotz, les dars volent

par l’aer, les escuçons sont tresperciés de tretz59, les espees

resplendicent. Soubz cestui la le cheval est tué, et cestui cy

est trespercé d’un dart qui est prest a tunber, et a l’ung est

1455

osté le chief et a l’autre la main couppee, les ungs sont

soubz les piéz des chevaulx prosternéz es fosses ou gisent

tous occiz, et par tous lieux sont veues mille faces de mort.

Et la n’y a quelque misericorde, nulle benignité ne aucune

humanité. Mais cil est bon homme jugé, et cellui noble

1460

chevalier, et cil trés fort empereur, qui de sa main en a

pluseurs occis et qui a rapporté son glaive fort sanglant des

gosiers de pluseurs hommes. Ilz sont aucunesfois

impugnacions qui a cheval se font, les aucunes de pié, [f.

49v] les autres en navire ; et par tout est la chose moult

1465

orrible et a enfer est la chose semblable. La ne pues tu

quelque chose gaingner que tu ne faces injure a ton

prouchain ne ne sont les choses tiennes que tu as

conquesteez en batailles injustes, ainsi que sont presque

toutes les batailles lesquelles sont commises contre les

1470

domestiques et amis de la foy. Et pues par elles perdre non

seulement tes choses, mais ta vie et ton ame. Ne ne te

confies pas que tu puisses la bataille eviter en laquelle ton

roy sera present ; ne ne doit aucun esperer qu’i puisse la mer

eviter quant son roy mesmes nagera. Ou le roy doit estre

1475

compaigné ou il doit estre perdu. Entre tant et si grandes

difficultéz, ou tu es jeune et ne pues souffrir choses

inacoustumees, ou tu es ancien et adonc, actendu que tes

forces deffaillent, tu ne pues sou[f. 50r] stenir fain ne soif ne

les labeurs quelzconques. Je passe les maladies qui nous

1480

assaillent quant ainsi summez pourmenéz et, nous ainsi

contrains, ou nous summez par les voies delaisséz ou entre

incongneuz ; et pluseurs y cloent ou ferment leur derrenier

jour, qui en leur maison demourans eussent peu vivre par

mains et pluseurs ans. Mais retournons ja aux citéz et

1485

demourons en ample espace ou quel lieu residera la court.

Ne y aura il pourtant aucuns cruciemens et laborieux

tourmens, assavoir, Monseigneur, se on ne fait pas de jour

en jour nouveaulx editz et neufves constitucions ausquelles,

quant tu te applicques et rens conforme, tous les jours

1490

singuliers tu aprendras nouvellement a vivre ? Et si le roy se

siet ou il se tient de bout, si fault il tousjours que soiez en

estant ne a aucune de tes jambes tu ne pourras contribuer [f.

50v] repoz. Et s’il avient que tu te soiez seiz, tu seras jugié

presumptueulz60.

1495

Quelle difficulté ont les curiaulz pour recouvrer

leurs gaiges.

Mais que pourrons nous dire a recouvrer ses gaiges en

la court ? Com grande dilacion y a et tardité de paiement,

com grande diminucion ! Jamais en temps deu tu ne seras

1500

payé, jamais n’auras solucion entiere ; tu seras maintenant

envoié a cestui et maintenant a l’autre, et tu es demoqué par

mençonges diverses. Et maintes choses sont pour lesquelles

je suis tenu a messire Gaspar, mais singulierement suis

obligié a sa magnificence, car il ne seuffre pas que de mon

1505

salaire je soie frustré comme je veoy les autres lesquelz

gemissent de leur salaire payé et61 jamais leurs gaiges ne

reçoivent, si non qu’ilz contribuent a leur distributeur. Et

n’est aucun qui tant clers puisse faire les chappitres [f. 51r]

de sa convencion que a la voulenté des officiers ne reçoive

1510

interpretacion, qui d’or sont trestout corrodeurs.

Comme les neccessaires et qui sont par sang

conjointz sont aux curiaulz atourment.

Mais disons presentement aucune chose des

neccessaires aux gens de court lesquelz accroissent les

1515

tourmens aux curiaulz, importuneement demandans

maintenant impetrer une chose, maintenant une autre. Et

non obstant qu’ilz demandent chose dure ou absourde, si

veulent ilz neantmoins que tu l’impetres. Mais les ungs sont

puissans et, la grace du prince moiennant, leurs prouchains

1520

pourront promouvoir ; mais leurs parens sont telz, ou qu’ilz

ne les osent promouvoir, ou, s’ilz osoient, ce ne seroit

nullement sans soustenir sur eulz62 l’infameté du peuple ou

l’indignacion de Dieu. [f. 51v]

Com grant amour des princes est vers lescuriaulx.

1525

Ores diray je de ce qu’il n’est homme qui acquerir

peust la vraie amour du prince, car ainsi que Ysocratés

tesmoigne en son livre qu’il a escript du royaulme, les

princes n’ayment homme si non par aucune impetuosité et

soudain mouvement mal consulté. Et si quelqun enayment,

1530

ilz ne l’ayment pas comme amy – car entre les pareilz est

amistié tant seulement trouvee –, mais ilz ayment les

hommes ainsi qu’ilz ayment leurs chiens ou leurs chevaulx,

c’est a dire affin que quelque fruit ilz en puissent tyrer. Que

ay je dit ? Certainement j’ay erré, car moult plus est ung

1535

chien ou ung cheval aymé que n’est aymé ung homme, car

quant un homme est mort, tantost en vient ung autre qui par

grandes prieres postule ou requiert [f. 52r] que le lieu du

deffunct soit a lui commis ; mais d’un chien ou d’un cheval

mort n’est pas autre introduit pour supplier son lieu s’il

1540

n’est achapté par pris certain ou par aucune grace. Encore

ay je pou dit, comme ainsi soit que non seulement ta mort

n’est point griefve ou doulente a ton prince qu’as

longuement servy, mais lui est desiree ; car ou il ne t’a point

remuneré des longs services lesquelz lui as faiz, et est

1545

rompue ton obligacion […], et de sa propre bouche il dira

doulcement : « Helas ! si cest homme ne fust mort, je

l’eusse trés bien recompensé » ; ou il t’a donné choses

grandes pluseurs lesquelles, toy mort, espere recouvrer, car

a paine aujourduy meurt aucun homme […] auquel ne

1550

succedent les princes.

Quantes molestes ont les curiaulz de la personne

duprince.

Mais entens a present quantez molestes [f. 52v] te

peuent advenir pour la personne du prince. A tard est ung

1555

bon homme trouvé non seulement entre les princes […].

Cicero dit es livres Des divinacions : Si aucunes choses sont

faites trés a tard, monstres doivent estre reputees : si est

ung homme bon plus grant monstre que l’enfantement d’une

mule qui produise ung poulain. Ainsi s’accorde Cicero a la

1560

sentence Juvenal lequel, ja soit ce que par avant eust dit :

Les bons sont clerseméz lesquelz a paine sont en nombre

autant qu’il y a de portes a Thebes ou combien y a de huyz

au riche fleuve Nyle, mais toutesfois, aprés ce, restraint plus

fort, disant que aussi jusques a sept on n’en pourroit

1565

trouver : Et si je veoy ung noble ou ung saint homme, ainsi

comme ung monstre je le compare a ung enfant de doubles

membres, et a une charrue soy merveillant d’avoir soubz

soy trouvé poissons, et a une mule qui est feconde enfruict.

Ne n’est pas plus remise l’Escripture divine, c’est [f. 53r] a

1570

dire qu’elle ne dit pas moins, si envers saint Paol sont les

parolles du prophete relatees : Certainement Dieu est

veritable, et tout homme menteur ; et derrechief est escript

que Aucun n’est qui soit juste ; il n’est nul intelligent ne nul

qui quiere Dieu et en aprés Il n’est nul qui bien en face ; il

1575

n’est, diz je, nul jusques au nombre de ung. Veoies tu donc

comment les orateurs et les poetes se concordent en la sainte

Escripture ? Ne veoies tu pas comment les bons sont en trés

petit nombre et les mauvaiz sont en nombre infiniz ? Si ainsi

est doncques que ton roy soit mauvais, tu auras douleur de

1580

son infameté et seras tourmenté par les vices de lui. S’il est

avaricieulz, tu seras angoisseulz, car il ne te reprenne point

ne les autres qui l’ont bien merité […]. Et s’il est

sumptueulz et large et bien magnifique, tu doubtes et as

crainte que, par trop grande effusion et mise, il lyme ton

1585

tresor et consume du tout. S’il est cruel, tu as grant paour [f.

53v] que contre toy mesmes ou contre tes amis sa cruaulté

exerce. S’il est piteulz, tu le portez molestement, car des

injures faictes il ne prend pas vengence. S’il est hardi, tu

doubtes les perilz ; et s’il n’a grant couraige, tu as envye

1590

contre ses ennemis qui l’insultent tousjours. S’il est

enlangaigié, asséz scez et congnois que langaige habondant

ne puet estre sans vice ; et s’il est taciturne et a pou de

langaige, il ne scet par parolle retenir ses amis ne ceulz qui a

lui servent. Et s’il ayme le vin, tu l’accuses d’ebrieté. S’il ne

1595

use point de vin, il t’est a grant grevance, car il est pou

joieulz. S’il est luxurieux, tu as douleur de ce que a pluseurs

fait injure. S’il evite les femmes, tu diz qu’il n’est point

homme ne n’a virilité ne virile puissance. S’il atrait a soy

pou de gens, il te desplaist que tu n’es de ceulz la. S’il est

1600

commun a tous, tu es yré que autant aux autres comme a toy

il se rend familier. [f. 54r] Si de toutes pars il est bon (qui

seroit quasi monstre), comme tu soies mauvais, tu es

doulant, car a tes vices il ne s’accorde pas. Ou si tu es bon

homme (qui est moult difficile), tu auras grant douleur que

1605

Fortune ne rit a lui, prince si bon, et seras tousjours de son

estat angoisseux ; quant il sera malade, et tu pareillement

comme lui et avecques lui souffriras, car le pere n’a point si

grant affection a son filz que le bon serviteur a a son bon

prince auquel, si Fortune favorise, tu doubtez et craings

1610

maintenant mutacion, maintenant eschauguectes, ne jamais

ne dormiras ne ne veilleras en paix.

Comme les curiaulz ont deffaulte de la volupté ou

plaisir des estudes.

En aprés la recreacion des grans hommes est la traicte

1615

de la sienne pensee, quant aucun se retraict en solitaire lieu ;

et la, ou il contemple, ou il [f. 54v] list ou escript, ou aux

sciences il s’abandonne tout, et maintenant il parle a Platon,

et maintenant a Aristote, maintenant a Tulles, maintenant a

Virgille, maintenant aux autres docteurs qui de piece a sont

1620

mors, mais sont par renommee ou par escrips vivans. Mais

de ceste volupté sont privéz les curiaulz lesquelz, jasoit

qu’ilz soient en oyseuse continnuelle, n’ont ilz jamais repoz.

Tousjours sont en multitude, en clameurs, en tumultes. Et si

aucunesfois aiez esleu pour toy aucune partie de table en

1625

laquelle ou tu lises ou escripves quelque chose, incontinent

quelcun surviendra qui te travaillera ; et si les autres se

cessent, le dispensateur ne sera pas absent, lequel auprés de

toy remue les gectons pour pratiquer son compte. Nul lieu

ne trouveras quelque cornet paisible ou quel tu puisses dire

1630

avecques Scipion : Jamais ne suis mains seul que quant je

suis tout seul. Tu [f. 55r] auras carence ou deffaillance des

sains hommes qui sont dessus nomméz et te fault vivre entre

les hommes lesquelz plus droictement nous appellerons

bestes, de toute vertu defaillans.

1635

Pour acquerir nobles meurs ne fault point aux

Princes servir.

Aucuns sont qui disent qu’ilz baillent leurs enfans aux

princes affin qu’ilz appreignent bonnes meurs et que par

vertuz ilz puissent mieulx valoir. Ilz diroient mieulz que

1640

c’est pour malice et turpitude apprendre qu’ilz ont baillé

leurs filz, car es cours sont hommes trés vicieulz, paroles

inhonnestes. Cestui loue luxure, l’autre voracité et nul n’y

est qui se vente de vertuz, mais bien se glorifie d’avoir violé

une vierge, ou commis adultere avecques la mariee, ou tué

1645

son hayneux, ou avoir conquesté quelque chose par rappine.

Lesquelz malefices ou œuvres scelereuses les adolescens

ensuivent tellement [f. 55v] et en sont tant abrevéz que ou

temps a venir ilz ne les peuent laisser. Ne tu ne doiz cuidier

que avecques les princes tu y puisses trouver ung chaste

1650

adolescent, ou soubre, ou vergoingneux, ou bien moriginé :

tous ces maistres icy sont esgaulz et semblables.

Certainement ce que Therence dit est une chose vraye que le

courage a la pire partie est applicqué souvent, si le disciple a

trouvé quelque maistre lequel soit importun et a telle chose

1655

inhonneste perseverant. Ainsi le veult Nature que plus tost et

plus facilement nous corrompent pervers et maulz exemples,

et principalement quant en noz entendemens ilz sont

impriméz de grans aucteurs. Je rends donc graces au

souverain Dieu qui m’a le couraige donné d’ensuir le

1660

prince, moy estant desja homme, quant j’avoie ja receu les

vertuz de mes parens, si que [f. 56r] doresnavant perdre ne

les pourray. Et si autre chose ne y a, au moins ay je cecy

que aucunes lectures ay apris desquelles j’eusse esté

totalement ignorant s’en mon enfance je feusse entré en

1665

court. Et certainement es cours des princes est chose

vicieuse avoir congneu les lectres, et estre appellé saige est

en lieu de reproche. Et sainement c’est grant moleste aux

hommes lectrés quant ilz se veoient estre despriséz et

mesmement par toutes choses et les trés grans choses estre

1670

de ceulz dirigees, je ne diray pas desprisees, qui a paine ont

congneu en leurs piéz et leurs mains combien ilz ont de

dois63. Et aux non lectrés est aussi turbacion trés grande

quant ilz veoient entrer en court hommes bien enseignéz et

qui parlent latin, lesquelz ne peuent entendre. Que puis je

1675

dire aprés de la tienne conscience laquelle est inquiete et

tousjours sans repoz, [f. 56v], qui tousjours te remort a

cause que tu scez que tu es maculé es delectacions

charnelles des hommes ? Et pour ce escript Seneque qu’il

n’est si grief tourment que en celle conscience. Et nous dit

1680

Juvenal : Quant tu cuidez avoir evadé et eschevé ceulz

lesquelz leur pensee coulpable de cruel fait tient liéz, c’est a

dire les hommes trés mauvais, plains de crudelité, le fleau te

frappe, destonne batement et sourt toutes les fois que ton

secret courage est ton cruciateur. Tant est la peine

1685

vehemente porter nuit et jour en son puys son tesmoing et

plus cruelle que toutes celles que Ceditus aggravé et

Adamanthus ne sont trouvéz porter. Mais entens, je te pri,

Ciceron in Pro Sextio, duquel, si bien me remembre, sont

les parolles telles : La fraude d’un chascun et son cruciateur

1690

mesmement le tourmente, et son propre fait vexacion lui

donne, et sa for[f. 57r]senerie le travaille, et ses males

cogitacions et consciences lui causent terreur : ce sont icy

les Furies domestiques et assiduelles aux mauvais,

lesquelles jours et nuitz repetent et demandent aux parens

1695

les peines de leurs filz malfaicteurs, trés iniques et mauvais.

Par quelconque lieu que tu te tournes, collucucions sont

faictes du roy, de ses conseillers et de toy mesmes, car ou

les subgietz sont trop grevéz ou les ennemis s’aprouchent,

tant que la court est occuppee en dances ou en venacions.

1700

Entre les choses de ce monde, n’est majeur don aux

hommes concedé, comme dit Cicero, que le don d’amitié.

Mais de cestui don tant souef, tant bon, tant utile et si trés

necessaire sont les gens de court privéz, car veu que presque

tous sont trés vicieulx, entre eulx ne pourroit estre

1705

amicabilité, mais quelque fiction et aucunefoiz

conspiracion. Aucuns [f. 57v] des curiaulx sont trouvéz

industrieux et laborieulx, mais en eulz ne sont que

umbrageulx et non pas expresséz les signes de vertuz.

Certainement ilz semblent liberaulz, mais ilz ensuivent

1710

rapine. Et s’ilz sont chastes, tu les trouveras ambicieulz et

orgueilleux ; et s’ilz sont humbles, ilz sont yvres et

nebuleux, remplis de vanité. Et en nul d’eulz n’est aucune

vertu64 que mille vices ne l’acompaignent. Et est haulte

chose qu’en ceste multitude on puisse homme trouver qui

1715

soit d’amistié digne. Mais si quelqun y est trouvé qui bon

soit, ou au roy ne sera pas plaisant, ou aux grans de la court.

Si ne pourras user de sa benivolence, pour ce qu’il n’est pas

licite es cours avecques iceulz conversacion avoir qui ne

sont acceptéz ; et aucunesfois verras ceulz que tu aymes et

1720

qui te sont adjoinctz par con[f. 58r]sanguinité estre raviz et

menéz a supplice, a tourment et a mort. Et non obstant ce

qu’il soit difficile toy taire en ta douleur, et si ne te pourras

tu plaingdre ne ouvrir ta bouche ; et si es contrainct a

converser souvent avecques cellui qui a ton pere ou ton

1725

frere occis. Et si tu es de condicion telle que tu puisses tenir

famille, tu trouveras tes serviteurs larrons, yvroignes,

gouluz, sedicieulz, plains de insolence, sans memoire et

negligens, pareceulz, adulateurs, homicides. Et derechief se

tu sers a ung autre, tu trouveras ung seigneur avaricieulz,

1730

rioteux, envieulx, rempli de vin et jengleur. Or65 discour et

procede par tous les estaz de court. Comme sont les

conseillers contens que a leurs conseilz les princes ne

acquiescent nullement ? Et les chancelliers se contentent ilz

bien quant leurs lectres, a l’onneur et utilité du roy escriptes,

1735

ne peuent passer sans estre corrompues et66 de [f. 58v] bien

en mal subverties et muees ? Comment sont bien contens les

maistres de la court, les mareschaulx aussi, quant ilz ne

peuent trouver aucune obedience ? Et comment sont joieulz

tous les maistres de la chambre quant leurs comptes sont

1740

corrigiéz ? Que peuent les chappellains quant sont

suspendus de celebrer le service divin ? Que pensent dire les

medicins quant ilz veoient despriser les choses qui sont

saines et les nuysantes estre acceptees et receues ? Que

dient les chevaliers et cubiculaires et chamberlains quant

1745

leurs gaiges leurs sont denyéz ? Que ymaginent les queux

qui sans reprehencion ne peuent riens preparer ? Et n’est nul

en la court qui n’aient molestes et tristesses infinies. Affin

que plus briefvement je dye, par tribulacions maintes entrent

les justes en la gloire de Dieu, mais par pluseurs tourmens

1750

s’estudient les curiaulz a s’acquerir enfer. [f. 59r] Des clers

je n’ay riens dit ne des religieux qui contrains sont avecques

Joseph de laisser leur manteau, avec Mathieu leur ouvrouer,

leur sindone avec Jehan, la cruche de cupidité o la

Samaritaine. Je me tais de ceulz la qui neccessairement et

1755

contre leur vouloir suyvent la court des princes, car ainsi

que dit Cicero in67 Pro Sextio Roscio : Ce que oultre mon

gré je fais et par neccessité, longuement et diligemment je

ne le puis pas faire. Je croy que a ma promesse j’aye ja

satisfait, en laquelle j’ay dit que je prouveroie tous ceulz

1760

[...] lesquelz, ayans autre vie en la quelle se peuent conduire

honnestement, ensuivent les molestes que les curiaulx ont.

Laquelle chose comme elle soit ainsi, laissons donc ceste

mer qui n’a point de repoz et nous radreçons en aultre

meilleur voie. Car si nous desirons paix, si nous aymons

1765

repoz et si vivre voulons a nostre utilité, si le salut de nostre

ame querons, il nous convient fuir les grans palais des roys

et les tumultes et noises [f. 59v] de court esquelz ne regne

nul repoz, ne l’exercitacion des bonnes sciences, ne aucune

amour de vertuz, mais avarice seulement y domine,

1770

crudelité, gloutonnie, libidinosité, envie et ambicion.

Ausquelz vices cil qui y est donné par quelconque

arguement ne pourroit soy deffendre qu’il ne soit convaincu

estre mauvais et fol envers les hommes saiges. Soies en

valeur, homme prudent selon mon jugement, si tu ne feusses

1775

l’un d’entre les curiaulx.

La disputacion de Aenee Silvian touchant la

misere des curiaulx a icy fin eureuse. Theo kari.

Notes de bas de page

1 Seul témoin de la tradition textuelle : ms. B.N., fr. 1988, f. 1r-59v – Le titre est repris à l'explicit (f. 59v) –

2 d’Aultruche

3 b. puissent t.

4 s. treslongné de

5 si aucun d.

6 d. ne v.

7 Il ne p.

8 p. la la e.

9 des emenus de

10 pere omis

11 que omis

12 d. vanité de

13 de omis

14 en omis

15 o. demandoie ou

16 d’Antioche d.

17 que les unes a

18 g. recaptiveroient eulz

19 r. suyvent v.

20 le mot les est barré dans le ms.

21 v. excellente d’a.

22 e. il n’est

23 des manmangiers te

24 le mot les est barré dans le ms.

25 e. au roys

26 peu en honneur ne doit on mectre fin car c’est chose incertaine et

27 e. sauvé c.

28 t. les oppignent et assaillant c.

29 a. reffroidier e.

30 les riches et

31 v. estre de

32 en puisse c.

33 d. est mis

34 le vouloie f.

35 ne omis.

36 en omis.

37 s. aux p.

38 qui omis.

39 m. Sence pr.

40 e. quelun qui

41 tr. de de gr.

42 roy ou a

43 la fragance et

44 en lieu ont cr.

45 que omis

46 a double dens

47 tu les r.

48 d’omis

49 g. ou a.

50 les misereres i.

51 a. leurs femmes j.

52 e. par par la

53 ou services des

54 et Lymachus c.

55 tu voulsisse a.

56 ou omis

57 roys ont en

58 de omis.

59 de tret les

60 j. presuptueulz

61 s. payez j.

62 sur lui l’i.

63 de drois et

64 a. vertus que

65 j. o d.

66 c. et de et de b.

67 in omis

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