Observations sur la traduction
p. 13-40
Texte intégral
1Sans compter au nombre de ces translations qui s’en tiennent à un « mot à mot insupportable et entaché d’erreurs », selon la formule sévère de M. Charles Brucker1, la transposition en moyen français de la lettre anticuriale d’Æneas Silvius Piccolomini pèche par différents types de défauts. Nous en avons mis quelques-uns en lumière dans une contribution parue en 19952. Nous proposons maintenant une analyse plus approfondie, qui prenne en compte de manière plus systématique les éléments proprement philologiques, les faits de style liés à la réduplication synonymique ainsi que les innovations lexicales.
Le respect de la version originale
2La De curialium miseriis epistola n’a pas encore fait l’objet d’une édition savante complète, conforme aux exigences de la critique philologique d’aujourd’hui, c’est-à-dire pourvue d’un relevé exhaustif des variantes relevées dans l’ensemble très large des copies de la version latine. Publiée une première fois en 1909 par Rudolf Wolkan, qui avait choisi le ms. Munich, B.S.B., Clm 12725 comme texte de base3, elle a été rééditée en 1928 par Wilfred P. Mustard, à partir de trois imprimés anciens (les éd. Paris, 1472 ; Mainz, 1517 et Bâle, 1571)4. Notre travail de comparaison se fonde sur la confrontation du texte en moyen français avec ces deux éditions scientifiques modernes, la seconde étant, pour sa date et sa qualité, préférée à la première. Nous avons toutefois vérifié toutes les leçons du texte latin dans une copie manuscrite ancienne dont nous pouvions disposer aisément, le ms. Bruxelles, B.R., 10856-57.
3D’une manière générale, quand elle paraît insatisfaisante, la traduction française laisse voir des lacunes, ou propose des additions plus ou moins utiles. Parfois aussi, le translateur moule trop étroitement l’expression des idées sur le modèle de la phrase latine, au point de contrevenir aux règles expressives usuelles du moyen français.
4Dans l’ordre des omissions, on a relevé quelques manquements véniels, qui affectent peu la compréhension du texte. Ils concernent souvent les modalités de l’action, exprimées par des adverbes ou des compléments : si qui sint qui uelint me amplius impugnare (p. 22, ll. 15-16)5 > si aucuns doresenavant me vouloient impugner (ll. 58-50) ; Clara uox, dura tamen fortasse nonnullis uidetur (p. 26, ll. 26-27) > Ceste sentence est clere ; touteffois, par aventure, semble elle trop dure (ll. 220-221) ; Stulti quoad propositum nostrum tribus modis dicuntur homines (p. 26, ll. 27-29) > Les hommes peuent estre diz folz en trois manieres (ll. 225-226) ; omnes qui regum uel principum latera stipant (p. 27, ll. 13-14) > Tous ceulz qui a monceaulx seingnent et environnent les costéz des princes (ll. 248-249) ; Dantur honores in curiis non secundum mores atque uirtutes (p. 29, ll. 1-2) > Sont les honneurs donnéz non pas segon les meurs et selon les vertuz (ll. 307-308) ; Nemo acceptus est, nemoque ex paruo statu praefertur aliis (p. 29, ll. 15-16) > Il n’est homme accepté ou de petit estat il [corrigé en qui] n’est eslevé (ll. 319-320) ; At uero parasitorum uocibus qui te cœnarum gratia laudant, quantum tribui debeat, tu ipse nosti (p. 30, ll. 8-10) > Mais com grant chose et combien de louenge doit on attribuer aux voix des gouliars qui a l’occasion et grace des mangiers te exsaulsent et te louent, tu mesmes l’as congneu (ll. 344-347) ; et optata tonitrua cœnas maiores reddiderint (p. 48, l. 6) > quant on fait les grans souppers (ll. 1007-1008) ; ubi uero ubertim omnia suppetunt (p. 58, ll. 28-29)> et ou habundamment suppetent toutes choses (ll. 1400-1401) ; nunquam tamen ocium habent (p. 64, l. 22) > n’ont ilz jamais repoz (l. 1622).
5Parfois, les lacunes touchent à la caractérisation nominale ou adjectivale : Sic Siluius genitor (p. 24, l. 12)> Ainsi Silvius leur dist (l. 130) ; Quis enim uerum honorem in aulis principum dixerit inueniri ? (p. 28, l. 29-p. 29, l. 1) > Car qui est cellui qui dire vouldra que es sales des princes on puisse honneur trouver ? (ll. 305-307) ; Quem dii deaeque omnes perdant (p. 30, ll. 2-3) > Les dieux et les deesses le veulent destruire (ll. 338-339) ; quia et rem pernitiosam sequitur et uiciosam6, et instabilem et incertam (p. 31, ll. 1-2) > car il charche une chose instable et incertaine (ll. 372-373) ; At haec omnia multo iocundiora sunt priuatis hominibus (p. 38, ll. 8-9) > Mais toutes ces choses sont plus a iceulz hommes qui vivent en privé (ll. 642-643) ; aut isse illam ad alium reperies (p. 41, l. 21) > ou qu’elle sera envers ung autre alee (l. 773) ; qualia sorores dicuntur Hesperides habuisse (p. 48, ll. 11-12) > que les Hesperides sont dictes avoir eues (ll. 1014-1015) ; fingamus aliquem fore, quem sola salutis animae ratio mouerit (p. 51, ll. 28-29) > qu’il soit aucun seulement a ce faire esmeu par la raison du salut de son ame (ll. 1148-1149) ; Nec is solus ex sapientibus iram principis expertus est (p. 53, ll. 1-2) > Et lui tout seul n’a pas experimenté l’ire du prince (ll. 1187-1188)7.
6Des négligences s’observent souvent dans la transposition d’éléments coordonnés ou juxtaposés : uitamque tum infœlicem tum miserrimam ducere curiales (p. 21, ll. 1-2) > ceulz qui en court vivent menent vie merveilleuse, meschante et miserable (ll. 13-14) ; quot Saul, quot David, quot Salomon ex his qui apud se potentes erant occidi iusserunt (p. 32, ll. 5-7) > combien Saül […] et combien Salomon, de ceulz qui envers eulz estoient moult puissans, ont commandé occire (ll. 415-417) ; ridere et flere cum rege (p. 35, l. 1) > plorer aussi comme le roi (l. 522) ; dinumera discrimina, pondera suspitiones (p. 42, ll. 7-8) > or y poise bien doncques quans dangiers il y a et suspicions (ll. 790-792).
7Suivant une tendance relativement marquée, la traduction néglige certaines phrases indépendantes ou juxtaposées assez simples. Ces amputations n’oblitèrent pas profondément la compréhension du texte : Repetenda est igitur paterna uox. Quid ille ? Stultos esse autumat singulos (p. 26, 24-25) > La voix donc paternelle doit estre repetee, car tous et chascun il afferme estre folz (ll. 218-219) ; qui si te, quisquis es, oblectat (p. 30, ll. 5-6) > lequel honneur, s’il te vient a plaisir et en lui te dilittes (ll. 340-341) ; quos in errore tam manifesto compraehensos stultissimos esse nemo negauerit. Nec plura de potentia. Nunc diuitias prosequamur (p. 33, ll. 20-22) > lesquelz, ainsi comprins en erreur manifeste, je juge que de moy ne seront pas nyéz qu’ilz ne soient trés folz. Procedons a present des richesses (ll. 474-479) ; Heu, quotiens ille ualuas in pectus detrudet tuum ? Quotiens te pugno uel calce repellet ? Quotiens, ubi te uiderit uenientem, portam quae patebat statim recludet ? (p. 57, ll. 27-29) > A quantes foiz bouteront ilz la porte contre ton estomach ? Quantes foiz fermeront ilz la porte quant il te apercevront venir, laquelle paravant estoit toute ouverte ? (ll. 1361-1364)
8En revanche, certaines omissions, imputables au traducteur ou au copiste8, rendent la lecture du texte en moyen français malaisée : Vinum postquam in mensa fuerit, per multas manus transibit, antequam ad te ueniat. Nec speres mundari sciphum, dum pincernae remiscent, (p. 44, ll. 17-19) > Et depuis que le vin sera sur table, il passera par plusieurs mains devant qu’a toy parviengne et bouteilliers y remectront du vin (ll. 873-875) ; cum illis nec ex sententia succedat quod appetunt (p. 51, ll. 14-15) > comme ainsi soit qu’il ne leur succede ou aveigne […] selon leur oppinion ou sentence (ll. 1128-1130) ; Ideo nonnumquam mille passus per diem proficiscitur, interdum quinquaginta millia obambulabit. Gaudebitque cum te uel familiarem perdidisse uel equum accipiet (p. 59, ll. 3-6) > Et pour ce aucunes fois ilz ne cheminent pas en ung jour mille pas […]. Et […] quant ilz entendront dire, ou que tu auras perdu l’un de tes familiers, ou quelque cheval (ll. 1405-1407) ; uix enim hodie diues aliquis moritur, cui principes non succedant (p. 62, ll. 26-27) > car a paine aujourduy meurt aucun homme […] auquel ne succedent les princes (ll. 1549-1550) ; qua stultos esse me probaturum dixi omnes qui aliam uitam habentes, in qua se possent honeste traducere, curiarium molestias sequerentur (p. 68, ll. 18-20) > en laquelle j’ay dit que je prouveroie tous ceulz […] lesquelz, ayans autre vie en la quelle se peuent conduire honnestement, ensuivent les molestes que les curiaulx ont (ll. 1759-1761)9.
9Il arrive que la lacune ne procède nullement de la distraction ou de l’ignorance du traducteur, mais de sa volonté délibérée. Comme nous l’avons déjà signalé, c’est par attachement à la dignité du clergé et aux valeurs du christianisme que le translateur tait diverses allusions : Audio quod obiicis. Fuerunt nonnulli, dicis, obscuro nati loco atque inopes quondam, qui nunc omnibus sunt prælati ; sic enim principes uoluerunt. Sed quos, oro, sic prælatos ais ? Nempe quos suis moribus conformes inuenerunt. (p. 29, ll. 6-10) > J’entens ton objection. Ilz ont esté aucuns, ce dis tu, ainsi avanciéz sainement : ce sont ceulx lesquelz ilz ont trouvéz conformes a leurs meurs (ll. 311-314) ; Nullum inter res mundanas maius munus est hominibus a deo concessum, ut Cicero dicit, quam amicicia (p. 66, ll. 26-28) > Entre les choses de ce monde, n’est majeur don aux hommes concedé, comme dit Cicero, que le don d’amitié (ll. 1700-1701).
10S’il est souvent difficile de départager, dans la catégorie des omissions, les faits qui relèvent de la négligence du copiste ou les manquements qui procèdent de la responsabilité du traducteur, on peut légitimement se convaincre du fait que les additions observées par rapport à la version latine de base résultent (plus fréquemment) de l’intention du translateur.
11Dans le cas présent, par souci de caractère pédagogique, l’auteur de la traduction apporte un certain nombre de précisions utiles à la compréhension d’un texte assez largement pourvu d’évocations étrangères à la culture ambiante dans la France des années 1470. Par souci de clarté dans son exposé, il recourt volontiers à la glose de définition10, généralement introduite par des marqueurs du type assavoir ou c’est a dire : Is, cum ad se duo Senenses iuuenes admodum nobiles accessissent, et an regi seruire conduceret percunctati fuissent, sic respondit (p. 22, ll. 25-27) > Et quant vindrent a lui deux Senois, jouvenceaulx moult nobles et gentilz, et enquissent de lui, assavoir mon pere, s’il les adreceroit et conseilleroit d’aler servir au roy, ainsi leur respondit (ll. 73-76) ; At paterna uox minus in filio quam in extraneis potuit (p. 24, ll. 14-15) > Mais la voix paternelle, c’est le conseil mon pere, a eu son effect meindre en son filz que es estranges (ll. 133-135) ; non facile emergunt, quorum uirtutibus obstat res angusta domi (p. 34, ll. 11-13) > non facilement apparoissent ceulz desquelz la chose estroicte, c’est a dire de petite valeur, qui est en leur hostel obstacle aux vertus ou donne empeschement (ll. 499-501) ; quia non proderunt diuitiae in tempore ultionis (p. 36, ll. 22-23) > ou temps de ulcion, c’est a dire de vengence, les richesses ne proufitteront point (ll. 581-582) ; in curiis tamen et amarissima et stomachosissima est (p. 43, l. 23) > elle est es cours touttefois trés amere et stomacative qu’en l’estomach cause et fait passion (ll. 847-849) ; tua truncis affixa tamdiu iacent, quamdiu discerni a mensa possunt (p. 45, ll. 10-11) > mais les tiennes demeurent autant a ung tronc de bois clouees comme elles peuent estre des tables discernees, c’est a dire que tant que l’en peut congnoistre la difference entre elles (ll. 900-903) ; cicadis obtunderis (p. 59, l. 25) > et des gresillons, c’est des cicades, seras tout estonné (l. 1431).
12Quelquefois, l’information supplémentaire livrée par la traduction concerne plus directement le domaine de la culture, voire de la morale : Paulus, doctor Gentium, dicat (p. 22, l. 5) > Paol, le docteur des Gens, escript en son epistre (l. 47) ; Menippus, cum adolescens apud Homerum Hesiodumque diuersa deorum scelera legisset, (p. 22, ll. 28-29) > Comme Menippus, estant adolescent, eust leu, es livres que Homere composa et Hesiode aussi, divers faiz scelereux que avoient commis les dieux, (ll. 76-78) ; Idem et te arbitror retinere (p. 25, l. 17) > Pareillement je juge que celle mesme chose te retient en la court et sainement (ll. 171-172) ; Contempsit oraculum regias opes et apparatus (p. 23, ll. 18-19) > La responce duquel Appolin desprisa les richesses des roys et leurs grans appareilz (ll. 101-102) ; pergere ultimam uelit (p. 27, ll. 6-7) > et neantmoins il choisist la derreniere et veult et tend par elle aller a Romme (ll. 234-235) ; quam inter Scyllam et Charibdim cepit (p. 47, ll. 5-6) > laquelle il a prinse entre deux souverains perilz de mer – l’un est nommé Scilla, l’autre est dit Caribdes (ll. 969-971).
13Dans d’autres occurrences, le traducteur cherche simplement à renforcer le caractère déclaratif de la proposition, au moyen d’une incise ou grâce à l’usage additionnel d’un verbe assertif : Nec enim deerunt qui me principibus deferant et hostem reddere curent, quoniam uidear homines ab eorum obsequiis arcere (p. 21, ll. 4-6) > Et certainement pas ne fauldront de me alleguer aux princes et de curieusement procurer que soie leur ennemy car, en ceste œuvre faisant, il semble que de leurs services pretende coarter ou retirer les hommes (ll. 14-18) ; At ego non id ago, ut principibus derogem (p. 21, ll. 8-9) > Mais je ne le fais pas en pretendant aux princes deroguer (ll. 20-21) ; uel regibus dicam non esse parendum (p. 22, l. 2) > ou que presume a dire qu’aux roys on ne doie obeir (l. 43) ; hinc uos mutatis discedite partibus (p. 26, l. 1) > departez vous de la, dis je, les parties muees (ll. 189-190).
14Dans des circonstances bien plus nombreuses, l’auteur de la traduction ajoute une précision absente de l’épître de Piccolomini, mais susceptible de favoriser la compréhension du lecteur : Apud priuatos, inquit, optimam uitam, hoc est, fœlicitatem, inuenies (p. 23, ll. 14-15) > finablement lui dist que vers les privéz homes est trouvee felicité trés bonne (ll. 96-98) ; quae nos cogunt perseuerare (p. 26, ll. 2-3) > qui nous contraingnent perseverer en court (ll. 191-192) ; nec qui honoris est auidus usquam magis quam in curiis angitur (p. 31, ll. 4-5) > Et cil qui est ambicieulx d’onneur n’est en lieu de la mer tant tourmenté que es cours (ll. 375-377) ; mille circa se oculos habet et totidem linguas ad ruinam eius aspirantes (p. 32, ll. 27-29) > il a mille yeulx et non pas moins de langues dont est environné lesquelz a sa ruyne et a la desgarder ne cessent aspirer (ll. 445-447) ; et has est potens Dominus nobis absque ministerio principum tradere (p. 36, ll. 27-29) > lesquelles choses Nostre Seigneur donner nous puet sans le ministere des princes et sans servir a eulx (ll. 588-590) ; plus enim hoc genus hominum quam philosophorum uel pœtarum principibus placet (p. 40, ll. 12-13) > car ceste maniere d’ommes plaist plus aux princes que de bons poetes ou de bons philozophes (ll. 722-723) ; [uinum] quod cum biberis, insanus fias, acetosum, aquaticum, corruptum, pendulum, acerbum, aut frigidum nimis aut tepidum, colore saporeque malo (p. 43, ll. 18-22) > lequel, quant l’auras beu, te sera trés malsain, tout aigre et aquatit, vin corrompu qui pent et file quant on le verse tant est gras et espéz, aigre, trop froit ou tiede, de mauvaise couleur et de mauvaise saveur (ll. 842-845) ; Interea uinum antiquum in tua praesentia regi propinabitur (p. 44, ll. 3-4) > Et entre ces choses, en ta presence, on donnera au roy trés bon vin antique (ll. 857-859) ; Sed euanescit omnis cogitatus tuus (p. 47, l. 24) > Mais tout tant que tu as ainsi pourpensé tantost s’esvenoït (ll. 992-993) ; nec magnus in curia esse poteris (p. 52, l. 23) > tu ne pourras estre grant ne avancé en court (ll. 1179-1180) ; Fatebor et Mauricium et Martinum militasse ac principibus seruiuisse (p. 53, 15-17) > Aussi que confesserai que Morice et Martin militerent mondainement en habit seculier et servirent aux princes (ll. 1203-1205) ; non principem, sed me, non regem, sed me, non curiam sed me (p. 54, ll. 5-7) non pas aprés le prince, aprés moy, non pas aprés le roy, mais aprés moy. Et s’il n’a pas dit : « Tu doiz servir la court. » (ll. 1224-1226) ; qui iurgia continuo proludunt, tantusque clamor exoritur ut nedum dormire sed nec qui prope te est loquentem socium intelligere queas (p. 57, ll. 2-4) > qui rixes et noises jouent continuellement veoians tous ceulx qui la sont assistans ; et d’entre eulz yst si grant clameur ne non seulement tu ne porras dormir mais, qui plus est, ton compaignon qui est aupréz de toy ne pourras pas oÿr (ll. 1328-1332) ; Deeruntne propterea cruciatus, an non fient dietim noua edicta et constitutiones nouae (p. 61, ll. 11-13) > Ne y aura pourtant aucuns cruciemens et laborieux tourmens, assavoir, Monseigneur, se on ne fait pas de jour en jour nouveaulx editz et neufves constitucions (ll. 1486-1488) ; Quid uero in stipendis exigendis ? (p. 61, l. 17) > Mais que pourrons nous dire a recouvrer ses gaiges en la court (ll. 1497-1498) ; oblimet aerarium (p. 63, l. 23) > il lyme ton tresor et consume du tout (ll. 1584-1585) ; secuntur curiam (p. 68, l. 15) > suyvent la cour des princes (ll. 1755).
15Ce souci légitime de renforcer l’intelligence du texte source n’évite pas toujours la redondance11 ou l’usage de tournures pléonastiques qui obvient à la clarté de l’expression : Menippus, cum adolescens apud Homerum Hesiodumque diuersa deorum scelera legisset, ea licita esse atque honesta credebat (p. 22, ll. 28-29-p. 23, l. 1) > Comme Menippus, estant adolescent, eust leu, es livres que Homere composa et Hesiode aussi, divers faiz scelereux que avoient commis les dieux, lui adolescent diz je, creoit qu’ilz feussent licitez et honnestes (ll. 76-79) ; quis enim infœliciter uiuere curiales crediderit (p. 25, ll. 2-3) > Car qui sera cellui qui croire pourra l’infelecité des curiaulx et qu’ilz vivent maleureusement (ll. 152-154) ; quia inexplebilis est humanae gloriae appetitus (p. 30, l. 17) > car l’appetit de gloire humaine ne peut estre rempli, mais est insaciable (ll. 356-357) ; At regina, conuerso in alium amore, percussores ad illum noctu transmisit (p. 32, ll. 18-19) > Mais la royne, par amour convertie a ung autre, lui envoia de nuit murtriers qui l’occirent (ll. 432-433) ; Quilibet sibi studet (p. 32, l. 26) > Chascun y est pour soy et chascun tire a lui et estudie son profit singulier (ll. 443-444) ; Ornati uestibus homines plus inuidiae quam uoluptatis praebebunt (p. 38, ll. 15-16) > Et les homes ornéz de vestemens precieulz plus lui donnerunt de matiere d’envie qu’ilz ne feront de voluptéz ne de plaisir mondain (ll. 650-653)12 ; ubi sunt liberi et ad ueritatem, non ad complacentiam, fantur (p. 39, 26-27) > ou sont en liberté et ou ilz parlent selon la verité, non pas a complacence ou pour complaire a homme (ll. 705-706) ; Iam de tactu pergamus, in quo Venus potissime dominatur (p. 41, ll. 4-5) > Or traictons a present du sens du touchement, ou quel concupiscence domine, mesmement Venus et luxure (ll. 751-752) ; dum piscatores proxima quaeque scrutantur retibus (p. 46, ll. 28-29) > quant les pescheurs encerchent o leurs reths trestous les plus prouches (ll. 962-963) ; Nam si forte mutire praesumpseris aut nutu aliquid significare (p. 48, l. 30-p. 49, l. 1) > Et si d’avanture tu presumes mueir tout bas comme ung muet, ou signifier et par signe monstrer, ou a autre ton vouloir declairer (ll. 1036-1038) ; miserias interiores nequaquam considerat (p. 51, l. 2)> il ne advertit nullement les miseres interiores et qui sont par dedens (ll. 1111-1112) ; quos pro fœlicibus aspicitis (p. 51, ll. 3-4) > les quelz vous regardés pour gens bien fortunéz et de felicité plains (ll. 1114-1115) ; Si quae rarissime fiunt monstra putanda sunt magis, monstrum erit uir bonus quam partus mulae (p. 63, ll. 2-4) > Si aucunes choses sont faites trés a tard, monstres doivent estre reputees : si est ung homme bon plus grand monstre que l’enfantement d’une mule qui produise ung poulain (ll. 1556-1559).
16D’autres écarts entre le texte source et le texte cible peuvent être observés. Ils relèvent de la négligence ou de l’infidélité du traducteur et présentent des degrés divers de gravité.
17Parmi les manquements véniels, qui n’affectent pas tragiquement l’esprit de la lettre de Piccolomini, on relève la tendance à utiliser le pluriel pour un singulier : dum in curiam summis praecibus recipi postulant (p. 21, l. 12) > quant par prieres souveraines justamment postulent qu’ilz soient en cours receuz (ll. 24-26) ; bellum indicere (p. 31, l. 9) > commander les guerres et les batailles (ll. 384-385) ; Quidam potentes sunt qui ex gratia principis promouere propinquos possent, sed tales sunt et consanguinei, ut uel eis benefacere non audeat, uel si audeat, infamiam populi et indignationem supra se Dei sustineat (p. 62, ll. 4-7) > Mais les ungs sont puissans et, la grace du prince moiennant, leurs prouchains pourront promouvoir ; mais leurs parens sont telz, ou qu’ilz ne les osent promouvoir, ou s’ilz osoient, ce ne seroit nullement sans soustenir sur eulz l’infameté du peuple ou l’indignacion de Dieu (ll. 1518-1523).
18L’inverse se produit également. Un élément au pluriel en latin est traduit par un singulier en moyen français : Iunge irrisiones ac detractiones quae fiunt amantibus (p. 42, ll. 6-7) > Adjoinctz y les yrrisions de moquemens et detractions de cil qui la maintient (ll. 790-791) ; iam curiarium taediis renuntiassem (p. 46, ll. 5-6) > j’eusse ja renoncié aux attediacions et ennuiz de la court (ll. 932-933) ; quae solet uarietatibus (p. 46, l. 21) > qui en varieté a a coustume estre (l. 951) ; ubique res sunt horrendae (p. 60, ll. 23-24) > et par tout est la chose moult orrible (1464-1465) ; in celebratione diuinorum officiorum (p. 68, ll. 2-3) > de celebrer le service divin (l. 1740).
19À côté de confusions sur le nombre, on constate aussi, mais plus rarement, des confusions sur le genre. Le masculin est alors employé au lieu du féminin : quae tanquam aemula caritatis omnia fert onera quamuis grauissima (p. 26, ll. 4-5) > laquelle comme imitateur de charité supporte toutes charges jasoit ce que trés griesves (ll. 193-194) ; rapiunt enim ut donent, quae nec uera sunt dona nec juste possidentur (p. 36, ll. 9-10) > car pour donner aux ungs ilz reçoivent des autres les choses qui ne sont point vrais dons ne s’ilz ne sont justement possidéz (ll. 567-569).
20À l’égard de l’ordre des termes dans la phrase, le translateur ne manifeste pas une attention très soutenue. S’il respecte souvent l’ordonnance des éléments coordonnés en latin, il la bouleverse aussi parfois, sans entraîner de conséquences préjudiciables à un bon entendement de la pensée : qui et ipse uates diuinatorque fuit (p. 23, ll. 11-12) > poete qui divin fut et vaticinateur (ll. 93-94) ; in re fallaci, (…) atque omnino falsa (p. 30, ll. 7-8) > en une chose faulce et du tout deceptive (l. 344) ; nulliusque status debilior, nullius incertior, nullius infirmior (p. 31, ll. 18-19) > n’est estat ou monde plus debile, nul plus enferme, caduque et incertain (ll. 395-396) ; Sunt aemuli multi, simultates, odia (p. 31, ll. 20-21) > Il y a plusieurs pointes et plusieurs haines et simulacions furieuses (ll. 397-399) ; oportet te ad quaeuis imperia regis esse paratum, ire in bellum, per latrones transire, nauigare in mari, manere in peste (p. 34, ll. 26-28) > il convient que tu soies tousjours apparaillé a tous commandemrens que le roy te fera : passer par les larrons, a entrer en bataille ou a nager en mer et t’arrester es lieux ou est la pestilance (ll. 517-520) ; dum pulchros equos, dum picturas, dum sericeos pannos (p. 38, 2-3) > beaulz chevaulz, draps de soye et paintures (ll. 633-634) ; nulla in uerbis modestia, nulla reuerentia, nullus pudor (p. 40, 28-29) > et es parolles n’y a point d’actrempance, ne aucune vergoingne, ne nulle reverence (ll. 742-744) ; quos loquaces agnoscit iactatores, instabiles plurium amatores (p. 41, ll. 12-13) > ceulz lesquels congnoist estre jongleurs, instables et venteurs et qui ayment pluseurs (ll. 761-762) ; quanta sit curialium edendi atque bibendi uoluptas (p. 42, 28-29) > quelle volupté de boire et de mangier adviengne aux curiaulx (ll. 819-820) ; Carnes tuae frigidae, bis coctae, immundae, insipidae, fœtentes, fumo et carbonibus plenae (p. 45, ll. 17-18) > Tes chars sont froides, cuitez deux foiz, immondes et mal nectes, puantes et sans saveur, plaines de charbons et de fumee (ll. 911-913) ; dumque in morem equorum uel hordeum uel speltam uorant (p. 46, ll. 24-25) > outant comme ilz devourent la splete ou l’orge ainsi que les chevaulx (ll. 955-956) ; Saepe tibi uel uinum uel panis deerit (p. 49, l. 8) > Souvent tu auras faulte ou de pain ou de vin (l. 1046) ; Cibaria supra caput tuum et humeros afferuntur (p. 50, l. 7) > Les viandes sont apportees par dessus tes espaules et par dessus ta teste (ll. 1080-1082) ; afflictis et inopibus succurendo (p. 51, l. 22) > en secourant aux pouvres et aux affligiéz (1141) ; in uento, in niuibus (p. 58, ll. 8-9) > par neyges et par vens (1376-1377) ; ex angustiis afflictioneque plebis solatia suscipiunt (p. 59, ll. 2-3) > ilz prennent leurs soulaz des afflictions et angoisse du peuple (ll. 1403-1404).
21Plus coupable au regard de la fidélité au contenu du texte source se révèle l’inaptitude répétée du traducteur à transposer clairement le comparatif ou le superlatif latin : Omnis anima potestatibus sublimioribus subdiata est (p. 22, ll. 5-6) > Trestoute ame est sujette aux puissances hautaines (l. 48) ; altera longior et plena latronibus (p. 27, l. 6) > et que l’autre feust longue et plaine de larrons (ll. 233-234) ; ideoque sum breuior (p. 57, ll. 11-12) > pour ce suis je brief (ll. 1341-1342) ; blandissimam in curiis esse confidunt (p. 41, ll. 5-6) > se confient que es cours elle soit blande et souefve (ll. 753-754) ; frigidior Geticis petitur decocta pruinis (p. 44, ll. 25-27) > on demande tantost l’eaue trés froide, cuite des pruynes de Getulie (ll. 882-884).
22Dans le même ordre d’idées, il tend à négliger la transposition de la phrase interrogative latine et la transforme en un énoncé positif : Quando ego figam aliquid, quo sit, mihi tuta senectus a tegete et baculo ? (p. 33, ll. 26-27) > Car je ficheray quelque chose pour asseurer ma vieillesse de maison et de baton (ll. 483-484) ; Quid quod neque testandi facultatem habebis ? (p. 35, l. 24) > encore, qui pis est, n’auras pas faculté d’en faire testament (ll. 546-547) ; Quantum equorum est cura, quanta armorum ? Quot urgent angustiae ? (p. 58, ll. 5-6) > Comme grant sollicitude fault avoir des chevaulz ! Combien grandes armeures ! Quantes angoisses contraignent (ll. 1372-1374).
23Il arrive à plusieurs reprises que le traducteur fasse preuve de négligence dans la transposition du propos de Piccolomini ou délaisse l’expression de certains détails : in aures tandem insusurrans (p. 23, ll. 13-14) > lui murmura cachemment es oreilles (l. 95) ; et nunc ecclesiasticos, nunc saeculares secutus sum principes (p. 25, ll. 7-8) > et maintenant ay suys les princes de l’Eglise, et autreffois ay suys les princes seculiers (ll. 158-159) ; secundum opera eorum nolite facere (p. 26, ll. 13-14) > mais ne faites pas selon les œuvres d’eulz (ll. 204-205) ; Hinc rixae, contentiones, odiosa uerba (p. 41, l. 16) > De la viennent noises, contencions et haines (765-766) ; qui apud cloacas urbium nutriuntur (p. 46, l. 11) > qui sont nourris es retrais des hommes (ll. 938-939) ; ac ultro suis uiciis arridebis (p. 54, l. 29) > et voluntairement a ses vices aplaudiras (ll. 1251-1252) ; Adde loquacitatem rusticorum (p. 57, l. 4-5) > Ajoustes y la loquacité des curiaulx (l. 1333) ; et sequi pone festinantur omnes iubebit (p. 58, ll. 15-16) > et commendera que tout hastivement le suivent (l. 1385) ; aut equi tui uel famuli minus dispositi fuerint (p. 58, ll. 18-19) > ou quand tes serviteurs ou tes chevaulx seront indisposéz (ll. 1387-1388) ; nosque in aliam uitam redigamus (p. 68, ll. 22-23) <et nous radreçons en aultre meilleur voie (ll. 1763-1764) ; nec bonarum artium exercitatio (p. 68, l. 26) > ne l’exercitacion des bonnes sciences (l. 1768)13.
24Mais il arrive aussi que, parce qu’il n’a pas clairement compris le texte source, il n’en rende pas correctement la signification : Praetereo histriones atque ioculatores et totius vulgi laudes (p. 30, ll. 10-11) > Je passe et ne veuil je dire les louenges des gesticuleurs, bateleurs et jengleurs et de tout le vulgaire (ll. 347-349) ; Nam si stomachus domini, ut Iuuenalis inquit, feruet uinoque ciboque, frigidior Geticis petitur decocta pruinis (p. 44, ll. 25-27) > car, comme dit Juvenal, si l’estomach du seigneur est eschauffé par vin ou par viande, on demande tantost l’eaue trés froide, cuite des pruynes de Getulie (ll. 882-884) ; Clitus frater collactaneus (p. 55, l. 11) > Critho son frere et compaignon (l. 1265) ; qui suum genium fraudantes nunquam stipem recipiunt (p. 61, ll. 24-25) > lesquelz gemissent de leur salaire payé et jamais leurs gaiges ne reçoyvent (ll. 1505-1507), etc.14
25Ce type d’erreur peut mener au contresens, c’est-à-dire à l’expression d’une idée qui représente d’un point de vue sémantique une valeur très différente, voire contraire, de celle que l’on entend exprimer : Temporibus diris igitur iussuque Neronis Longinum et magnos Senecae praediuitis hortos clausit et egregias Lateranorum obsidet aedes tota cohors (p. 36, ll. 2-5) > Es temps de Neron remplis de cruaulté et par son commandement, toute la cohorte et effrenee compaignie extermina Longis et ferma les grans possessions de Seneque très riche et environna les nobles maisons de ceulz de Latran (ll. 559-563) ; At haec de diuitiis libasse sufficiat, ex quibus, ni fallor, monstratum est stulticiae operam dare qui ob opes principibus famulantur (p. 37, ll. 2-4) > Si nous souffise avoir gousté ces choses des richesses, desquelles choses, se je ne suis deceuz, a esté demonstré que ceulz labeurent follement et applicquent leur œuvre a folie qui servent aux princes pour acquerir richesses (ll. 592-596) ; uocatus ab illo per doctrinae speciem (p. 52, l. 28) > appelé de lui par esperance de doctrine (l. 1185) ; Absentem cantat amicam, ut Flaccus ait, multa prolutus uappa nauta atque uiator (p. 57, ll. 6-7) > Le prodigue et dissipeur de biens, ainsi que dit Flacus, nautonnier et viateur, maintes choses parlant, chante la sienne amie qui est de lui absente (ll. 1334-1336)
26Dans certains cas, il dénature volontairement l’idée exprimée dans la version source. On a observé que, par souci (probablement inspiré par des préoccupations religieuses) d’éviter toute allusion à la mythologie antique, il supprime le terme qui renvoie aux personnages du paganisme et le remplace par une évocation plus commune, moins liée aux légendes antiques : Musis uiuere decreuerunt (p. 24, ll. 13-14) > en contemplacion d’estude delibererent vivre (l. 132) ; Agamus igitur pingui Minerua (p. 34, ll. 9-10) > Traictions donc par une autre doctrine qui soit exuberant (ll. 496-497) ; totumque se Musis praebet (p. 64, ll. 17-18) > ou aux sciences il s’abandonne tout (ll. 1616-1617).
27Enfin, dans quelques occurrences, la position d’un adjectif, d’une relative ou d’un déterminatif dans l’énoncé en m. fr. dénature assez gravement la signification de la phrase écrite par l’auteur humaniste : idcirco me mores curiae coram aliis detestari (p. 25, ll. 11-12) < a ceste occasion devant les autres ay je delaissé mes meurs qui sont en court (ll. 163-165) ; cum enim, inquit ille, augentur dona, rationes etiam crescunt donorum (p. 34, ll. 20-21) > car ainsi, comme il dit, quant les dons sont acreuz, les raisons aussi bien les choses donnees croissent (ll. 509-510) ; Pisces tui uel salsi lucii, uel carpones, uel allecia (p. 46, ll. 7-8) > Les tiens poissons saléz ce sont luz et carpeaulx et harens (ll. 933-935) ; hoc confessus telo ruinam minatur (p. 60, ll. 14-15) > et cestui cy est trespercé d’un dart qui est prest a tunber (1453-1454).
La réduplication synonymique
28Héritée de la rhétorique antique où elle est dénommée interpretatio et où elle se rattache au phénomène plus général de l’amplificatio15, la création de couples de synonymes, fréquente dans la littérature générale16, a été – comme l’a excellemment montré M. Claude Buridant dans ses travaux sur la question17 – un procédé constamment mis en œuvre par les traducteurs d’ouvrages latins en français. D’une manière assez habituelle, la prose française de la fin du Moyen Âge a tendance à utiliser des couples binominaux, voire trinominaux18, et le style curial, c’est-à-dire la manière expressive recueillie des usages de chancellerie19, exploite d’abondance ce filon stylistique. Confrontés à la difficulté de transposer de la manière la plus précise, ou la plus complète, les vocables latins, les traducteurs tirent légitimement profit de la fonction explicative du binôme synonymique. Le translateur de la De curialium miseriis epistola n’a pas dérogé à cet usage.
29Selon la définition proposée par M. Buridant, le binôme synonymique20 est une « séquence de deux synonymes appartenant en principe à la même catégorie grammaticale et placés sur un même plan de hiérarchie syntaxique »21. Aussi, ne relèvent pas strictement du phénomène de l’accouplement de synonymes, des énoncés où les éléments constituant la réduplication ne présentent pas la même nature grammaticale : suapte (p. 21, l. 16 > voluntairement et de son propre mouvement (l. 30) ; cum maiore periculo (p. 27, l. 18) > plus strenueusement et en plus grant dangier (ll. 254-255) ; detrimento sit (p. 27, l. 10) > ce qui est leur detriment et a eulz dommageables (ll. 237-238) ; quia tuta est in mortuos repraehensio (p. 32, l. 15) > pource que reprehension faite contre les mors est seure et sans dangier (ll. 427-429) ; Perrari sunt (p. 32, l. 20) > Trés clerseméz sont ceulz et en moult petit nombre (ll. 434-435) ; quae semper inquieta est (p. 66, ll. 6-7) > laquelle est inquiete et tousjours sans repoz (ll. 1675-1676), etc. Dans les exemples suivants, les deux composants du binôme alignent des valeurs syntaxiques différenciées : fœlices (…) nullo pacto possunt efficere (p. 23, ll. 24-25) > par quelconque maniere ne beatifieront ou seront bien eureux (ll. 107-108) ; uirtutibus obstat (p. 34, l. 12) > qui est (…) obstacle aux vertus ou donne empeschement (ll. 500-501) ; non ad complacentiam (p. 39, ll. 26-27) > non pas a complacence ou pour complaire a homme (ll. 705-706) ; qui principi gratior existimatur (p. 33, l. 1) > cellui lequel est extimé plus gracieux au prince et lequel il repputtent estre mieulx en sa grace (ll. 450-451) ; Si tacitus (p. 63, l. 28) > S’il est taciturne et a pou de langaige (ll. 1592-1593), etc.
30Participant d’une rhétorique de la redondance, la réduplication peut revêtir deux fonctions : une fonction documentaire, quand une unité lexicale reçoit, par l’apport d’un synonyme, une explicitation conceptuelle ; une fonction simplement ornementaire, quand le synonyme entre dans la composition d’une formule figée et ne soutient qu’un office de réitération tautologique.
31D’ordinaire, la réduplication se fonde sur un couple de termes pour composer un binôme. Mais l’association de trois termes, qui constituent alors un trinôme synonymique, s’observe également dans notre traduction (où la construction trinômique compose environ 8 % de l’ensemble des cas de répétition sémantique). Les trinômes synonymiques concernent à peu près en nombre égal les noms et les verbes : quae tuum conturbent animum (p. 39, ll. 4-5) > qui troublent ton courage, ton ame et ta pensee (ll. 676-677) ; ad supplicium rapi (p. 67, l. 25) > estre raviz et menéz a supplice, a tourment et a mort (ll. 1720-1721) ; dicis non esse uirum (p. 64, l. 2) > tu diz qu’il n’est point homme ne n’a virilité ne virile puissance (ll. 1597-1598) ; meae sententiae posse detrahere (p. 25, ll. 1-2) > on puisse distraire et diminuer ou adnichiler ma sentence (ll. 151-152) ; ne me quempiam principem carpere censeant (p. 27, l. 24) > qu’ilz ne me jugent que quelcun des princes veuille reprehender, prendre ou diminuer (ll. 262-263) ; non tamen id omnibus ascripserim (p. 27, l. 28) > touttefois je ne pretens pas ne ne vueil que ce soit a tous referé, ascript ou tribué (ll. 267-269) ; Quilibet sibi studet (p. 32, l. 26) > Chascun y est pour soy et chascun tire a lui et estudie a son prouffit singulier (ll. 443-444). Les adverbes et les adjectifs simples sont plus rarement agencés en une formule trinômique : quam uelles truncatam uidere (p. 39, ll. 6-7) > que tu vouldroies veoir de son corps tronquee, tranchee et separee (ll. 679-680) ; Nonnunquam (p. 47, l. 27) > Et casuellement et par fortune aucunes fois (ll. 997-998). En revanche, le traducteur associe souvent trois adjectifs quand il est appelé à transposer un comparatif ou un superlatif, en agissant comme si l’adjonction d’un élément adjectival renforçait le caractère intensif de l’adjectif source22 : Spurcissima undique uerba personant (p. 40, l. 28) > En toutes pars y sonnent parolles deshonnestes, immondes et trés ordes (ll. 741-742) ; in fœtidissimis ganeis (p. 57, l. 17) > en chambres trés puantes, punaises et infectes (ll. 1351-1352) ; Si liberalior est (p. 63, l. 22) > Et s’il est sumptueulz et large et bien magnifique (ll. 1582-1583) ; a consceleratissimis filiis (p. 66, l. 22) > de leurs filz malfaicteurs, trés iniques et mauvais (l. 1695).
32La fonction documentaire du binôme synonymique se révèle d’une importance marquante dans les traductions. En effet, dans sa mission d’information sémantique, le binôme synonymique relie un élément de base, qui forme une sorte de noyau notionnel général ou vague, à une unité lexicale plus spécifique, porteuse d’un sème particulier en rapport plus étroit avec le terme de la langue source. Le second membre du binôme permet ainsi une compréhension plus grande du premier, tout en limitant son extension23.
33À côté de ce type de binôme, qui associe un vocable de valeur sémantique large à un terme de signification plus étroite, existe un genre tout différent de binôme documentaire, de caractère quasi inverse, où le premier terme est un mot rare, savant, emprunté au latin, et le second un mot appartenant à la langue courante qui, selon l’expression imagée de M. Buridant, « appuie, chaperonne, donne droit de cité au premier »24. Dans ce cas, c’est le membre initial du couple qui possède une spécificité notionnelle dans l’itération synonymique, et le suivant qui vient servir d’appui au premier, en lui conférant une certaine autorité lexicale25.
34Les binômes de caractère documentaire abondent dans la traduction de la De curialium miseriis epistola, alors que les constructions de type ornementaire se révèlent plus rares (elles ne représentent que 11 % du total des couples synonymiques). Au sein du groupe des binômes documentaires, ceux qui comportent un emprunt direct au latin présentent un indice de fréquence plus bas (10 % environ du nombre total) que les autres constructions.
35Si l’on considère à part le cas unique d’une réduplication synonymique portant sur un déterminant26, la répartition des cas d’itération suivant la nature grammaticale des termes montre une égalité de traitement entre les noms (36 %) et les verbes (37 %) face aux adjectifs (22 %) et aux adverbes (5 %).
36Dans l’ordre des binômes documentaires de type I (qui ne mettent pas en œuvre un mot emprunté au latin ou reconstruit sur un étymon latin), la structure habituelle obéit à la formule A > B + C, dans laquelle A représente le mot latin originel, B un vocable de valeur générale et C un terme comportant un sème restrictif. Fonctionnent sur ce modèle les cas ci-après :
- noms27 : apud fastigium regale (p. 42, l. 28) > envers l’estat et haultesse royalle (l. 819) ; ad cruciatum tuum (p. 47, l. 26) > a ton desplaisir et ennui (l. 995) ; ioculatores (p. 57, 1) > entrejecteurs, bateleurs (l. 1328), etc.
- adjectifs : squalida pulueribus (p. 38, l. 30) > toute enordie et couverte de pouldre (ll. 671-672) ; ad similitudinem parietum suorum extrinsecus culti (p. 51, ll. 5-6) > a la similitude de leurs murailles, qui sont aornéz et peintz par dehors seulement (ll. 1117-1118)
- adverbes : cum facinorosis audacter (p. 52, ll. 21-22) > avec les maufaicteurs arroganment et fierement (ll. 1177-1178)
- verbes : homines (…) arcere (p. 21, 6) > coarter ou retirer les hommes (ll. 17-18) ; inueniri (p. 21, l. 20) > estre quise et trouvee (l. 31) ; Caue (p. 21, l. 20) > Considere et soies bien adverti (l. 35) ; an regi seruire conduceret (p. 22, 26-27) > s’il les adreceroit et conseilleroit d’aller servir au roy (l. 75) ; sciscitaturus ab eis (p. 23, l. 4) > pour instiguer et enquerir d’eulz (ll. 83-84) ; curiae uoluptatibus fruar (p. 25, ll. 10-11) > user et joÿr des voluptéz de court (l. 163) ; qui regum uel principum latera stipant (p. 27, ll. 13-14) > qui a monceaulx seingnent et environnent les costéz des princes (ll. 248-249) ; te oblectat (p. 30, l. 6) > s’il te vient a plaisir et en luy te dilittes (l. 341) ; cum reliquos praecesserint (p. 30, ll. 15-16) > a anteceder et preceder tous les autres (l. 355) ; Sed accipe molestias alias (p. 49, l. 15) > Mais prens et considere les autres molestes (ll. 1055-1056) ; ut te coaptes (p. 61, l. 13) > quant tu te applicques et rens conforme (l. 1489), etc.
37Dans certaines occurrences du binôme documentaire de type I, comme l’avait déjà noté M. Yves Lefèvre28, le premier terme (ou terme à valeur générale) procède par une évolution phonétique tout à fait normale du mot latin employé dans la version source. Nous représentons ce descendant français direct par le symbole A. Dans ce cas, on rend compte de la séquence par la formule A > A + B, dont on observe la mise en œuvre dans les exemples suivants :
- noms : moribus quibus (p. 24, l. 1) > esquelles meurs ou manieres de verité (ll. 117-118) ; et sint inimicis gaudio (p. 33, l. 16) > et soient aussi a joie et a tous leurs ennemis et a leurs malveillans (ll. 469-471) ; tota cohors (p. 36, l. 5) > toute la cohorte et effrenee compaignie (ll. 560-561) ; pupillorum causae (p. 53, l. 21) > les causes des pupilles et orphelins (l. 1210) ; Marescallus orandus est (p. 57, l. 13) > Il te fault suplier le mareschal ou le fourrier (l. 1346) ; inter domesticos fidei (p. 60, ll. 26-27) > contre les domestiques et amis de la foi (ll. 1469-1470) ; infinitae molestiae (p. 68, l. 7-8) > molestes et tristesses infinies (l. 1747) ; et aulici tumultus (p. 68, l. 25) > et les tumultes et noises de court (l. 1767), etc.
- adjectifs : iuuenes admodum nobiles (p. 22, ll. 25-26) > jouvenceaulx moult nobles et gentilz (ll. 73-74) ; illustris (…) fama (p. 29, ll. 19-21) > illeustre et trés clere fame (ll. 323-324) ; quasi captiuus (p. 38, ll. 25-26) > ainsi comme captif ou comme prisonnier (l. 665) ; philosophi diserti (p. 39, l. 23) > philozophes disers et plains de facunde (ll. 701-702) ; uir bone (p. 54, l. 8) > bon homme et vertueulz (l. 1227) ; Linteamina immunda (p. 56, l. 8) > linseulz qui seront inmondes, ors (ll. 1299-1300), etc.
- verbes : qui bellum suadet (p. 29, l. 29) > qui lui persuade et conseille la guerre (ll. 334-335) ; qui onera nobis importabilia cumulat (p. 30, l. 1) > qui nous accumule et amasse les charges importables (ll. 336-337) ; ne (…) se astringat (p. 39, ll. 13-14) > ne se astraingne ou envelope (l. 689) ; aliquid cogeris elargiri (p. 40, l. 21) > tu seras contraint leur eslargir et donner quelque chose (ll. 733-734) ; qui hominem totum uult sibi (p. 41, l. 25) > qui a soy veult et requiert trestout l’omme (ll. 777-778) ; qui locum defuncti magnis praecibus sibi committi postulat (p. 62, ll. 16-17) > qui par grandes prieres postule ou requiert que le lieu du deffunct soit a lui commis (ll. 1536-1538) ; Discurre (p. 67, l. 24) > Or discour et procede (ll. 1730-1731), etc.
38Dans une telle construction, la position des termes est réversible29. Aussi l’on observe, principalement dans les binômes associant des adjectifs ou des verbes, la combinaison A > B + A :
- noms : resistere tot oppugnationibus possit (p. 41, ll. 28-29) > resister porra a tant d’assaulz et oppugnacions (ll. 783-784)
- adjectifs : nullius incertior (p. 31, ll. 18-19) > nul plus (…) caduque et incertain (ll. 395-396) ; molestus erit (p. 56, l. 15) > sera molestant et contrestant (ll. 1307-1308) ; exempla mala (p. 65, l. 20) > perverz et maulz exemples (l. 1656) ; ex bono in malum mutatae (p. 67, l. 28) > de bien en mal subverties et muees (ll. 1735-1736)
- verbes : ac hostem ferire (p. 38, l. 11) > puis invader et ferir son ennemy (l. 647) ; nec (…) gustare permitteris (p. 50, ll. 18-19) > ne seras tu permis a taster ou gouster (ll. 1094-1095) ; cognosces (p. 63, ll. 27-28) > scez et congnois (l. 1591)
39Parfois, l’un des éléments associés en français ne résulte pas directement du vocable latin, mais appartient à la famille du mot source. Nous représentons cette situation par la formule A > a + B. On l’a observée dans les extraits suivants :
- noms : uoluptates (p. 27, l. 15) > voluptuosités et plaisances du corps (l. 251) ; iam curiarium taediis renuntiassem (p. 46, ll. 5-6) > j’eusse ja renoncié aux attediacions et ennuiz de la court (ll. 932-933) ; scelera (p. 55, l. 2) > ses faitz scelereux et iniques (ll. 1253-1254)
- adjectifs : domi clausus (p. 38, l. 25) > es chambres seras recluz et enfermé (ll. 664-665)
- verbes30 : ualuerunt (p. 31, l. 27) > eurent si grant valeur et si grande puissance (l. 407) ; animaduertit (p. 52, l. 15) > adverti et considere (l. 1169) ; tu euauisse putes (p. 66, ll. 10-11) > tu cuidez avoir evadé et eschevé (l. 1680)
40La séquence de formule A > B + a, avec réversion des termes, a aussi été relevée :
- noms : in Tibridis ripa (p. 32, l. 3) > sur le bort ou rivage du Tybre (ll. 412-413) ; Quae scelera (p. 65, l. 12) > Lesquelz malefices ou œuvres scelereuses (l. 1646)
- adjectifs : amœnas ualles (p. 38, ll. 6-7) > les valees joyeuses et amables (ll. 639-640)
- verbes : commemorauerit (p. 53, l. 10) > allegue et reduise a memoire (l. 1195)
41Le binôme documentaire de type II associe un emprunt avec un autre élément lexical. Dans la réalité des faits, on relève deux situations possibles. Soit le moyen français adopte un terme latin en le francisant quelque peu (on représente cet emprunt par le symbole A’) et en conservant sa signification de départ, le second terme du binôme traduisant alors le premier31 (dans ce cas, la réversibilité des éléments ne se produit pas). Soit le moyen français procède à l’élaboration d’un calque sémantique32 (dénommé A’’) : dans ce cas, ce n’est pas la forme que l’on emprunte à l’étymon latin, mais seulement sa signification, en appliquant cette valeur sémique à une unité lexicale française qui, par son allure, rappelle l’image graphique du vocable latin de départ.33
42L’emprunt est évident dans les binômes de séquence A > A’+ B énumérés ci-dessous (A’est toujours un hapax ou un latinisme de sens) :
- noms : tot uiciorum inquinamenta (p. 52, l. 13) > tant de inquinamens et occasions de vices (l. 1167) ; quot trusiones (p. 59, l. 11) > quantes trusions et impulsions (l. 1413)
- adjectifs : blandissimam in curiis esse (p. 41, ll. 5-6) > que es cours elle soit blande et souefve (ll. 753-754) ; Veniet alter te pulchrior aut acceptior (p. 41, ll. 18-19) > Puis ung autre viendra plus bel, plus accepté, plus plaisant que tu n’es (ll. 768-770)
- verbes : quam uel infrigidatus amor excutiet (p. 33, ll. 5-6) > laquelle cire son amour reffroidié excutera et fera choir par grains (ll. 456-457) ; nisi forsitan aliqua est quae famam paruifaciat (p. 41, ll. 13-14) > si non par aventure que quelqune y soit parvifie et vilipende sa renommee (ll. 762-764) ; ac plurimi diem claudunt (p. 61, ll. 7-8) > et plusieurs y cloent ou ferment leur derrenier jour (ll. 1482-1483)
43Les cinq exemples qui suivent (on les répertoriera comme des séquences de type A > A” + B) témoignent de la superposition d’une signification nouvelle, induite par le sens latin du terme source, à une forme bien connue en moyen français (chasteaulx, familles, chieri, sain, nebuleux), mais généralement porteuse d’une valeur sémantique nettement différente :
- noms : castra sequentem (p. 55, l. 8) > suivant les chasteaux et tentes (l. 1261) ; Litigant inuicem famuli (p. 59, l. 14) > Les familles et serviteurs noisent ensemble (l. 1417)
- adjectifs : ab insano proposito reuocati (p. 24, ll. 12-13) > de leur conseil non sain et furieux revoquéz (ll. 131-132) ; principi cariorem (p. 47, l. 27) > plus chieri et amé du prince (l. 997) ; Si humiles, ebrii sunt et nebulones (p. 67, l. 7) > et s’ilz sont humbles, ilz sont yvres et nebuleux, remplis de vanité (ll. 1711-1712)
44Les binômes de caractère documentaire de type I peuvent présenter des structures plus élaborées, dans la mesure où la coordination des termes dans l’énoncé latin entraîne, par le fait même, une coordination première et une coordination seconde dans la langue cible. On recense les structures suivantes :
- A + B > C + (D + E) : non uerebar te stultum atque insanum affirmare (p. 30, ll. 6-7) > je ne doubteray riens t’affermer ung fol ou ung furieulz et homme forcené (ll. 341-343) ; turpibus ac praeuis (p. 54, l. 22) > les choses qui sont laides, depravees et mauvaises (l. 1245) ; formosas cultasque mulieres (p. 37, l. 29) > les femmes de formosité plaines, bien cointes et bien parees (ll. 630-631)
- A + B > (A + C) + D : uitam quietam laudatamque (p. 22, ll. 24-25) > vie quiete, pacifique et louable (ll. 72-73) ; fercula redolentia sapidaque (p. 42, l. 13) > les viandes redolentes et bien odorentes et savoureuses (ll. 801-802)
- A + B > A + (B + C) : hic non est uerus honor nec stabilis (p. 29, l. 18) > Cestui n’est pas vray honneur n’estable ne ferme (l. 322)
- A + B > (C + D) + (E + F) : multa offendicula, multae insidiae daemonorum (p. 54, ll. 10-11) > mains obstacles et empeschemens, eschauguectes et espiemens de diables (ll. 1229-1230) ; ut alios de gradu praecipitent et se erigant (p. 32, ll. 22-23) > que les uns precipiter les autres du degré ou ilz sont et les jetter en bas et de soy eslever et drecer au plus hault (ll. 438-439) ; cœna mulctaberis aut iurgiis afficieris acerbis (p. 50, ll. 14-15) > tu seras puny et frustré de ta cene ou par aigres parolles tensé seras et repris (ll. 1089-1090)
45En fonction ornementaire, les binômes synonymiques constituent des séquences formulaires stéréotypées. Malgré leur aspect souvent figé, ces itérations sont plus largement susceptibles de réversibilité que les binômes de type documentaire. Une telle particularité tient au fait que les termes fondant le binôme présentent un caractère de répétition tautologique (ou une moins grande disparité sémantique) qui les rend aisément interchangeables34.
46Dans les couples de synonymes répétés de manière quelque peu mécanique, on a relevé des exemples du type A > B + C : bellum indicere (p. 31, l. 9) > commander les guerres et les batailles (ll. 385-386) ; more Persico (p. 55, l. 13) > en la façon et maniere de Perse (ll. 1267-1268) ; animae lucrum (p. 55, l. 22) > le gaing et prouffit de leur ame (l. 1278) ; castra (p. 59, l. 22) > les tentes ou pavillons (l. 1426)35.
47Quand l’un des termes du binôme procède directement de l’évolution phonétique d’un mot latin, la possibilité d’interversion entre les éléments est plus nettement visible. Les quatre premiers cas obéissent à la structure A > A + B : dicendum est nobis (p. 27, ll. 19-20) > Il nous reste (…) a dire et a traicter (ll. 255-256)36 ; illustris (…) fama (p. 29, ll. 19-21) > illeustre et trés clere fame (ll. 323-324) ; cum solis feruore mundus ardebit (p. 38, l. 29) > quant le monde ardra de la ferveur et chaleur du soleil (ll. 669-670)37 ; omni cruciatus genere (p. 53, l. 3) > de tout genre et maniere de tourment (ll. 1189-1190). Les quatre exemples qui suivent sont construits sur le schéma inverse A > B + A : dicat (p. 21, l. 23) > nous amonneste et dit (ll. 38-39) ; honestum (p. 23, l. 2) > bon et honneste (ll. 80-81) ; fœlix (p. 23, l. 18) > fortuné ou plain de felicité (l. 101) ; quos uiros bonos (p. 53, l. 6) > quelz hommes vertueulz et bons (ll. 1193-1194).
48M. Claude Buridant a établi avec justesse que l’écriture formulaire concerne certains champs lexicaux privilégiés, en particulier l’expression des émotions, où l’amplification et l’emphase se déploient plus largement38. Cette constatation se vérifie dans la traduction de la De curialium miseriis epistola, où ce sont en ordre principal les répertoires de l’alternance plaisir/répulsion qui sont exploités par les binaires tautologiques : Quis est qui rebus in istis uoluptatem esse curialibus credat (p. 48, ll. 22-23) > Qui est cellui qui croie qu’en ces choses icy les curiaulx aient delectacion ou quelconque plaisir (ll. 1026-1027) ; quia fœterem dominis iugerunt (p. 50, ll. 18-19) > car elles engendrent aux seigneurs punesie et mauvaise senteur (ll. 1095-1096) ; in quibus etsi uoluptas esset aliqua (p. 50, l. 21) > esquelles si volupté ou delectacion y avoit (ll. 1098-1099) ; nam uoluptatis rarior usus commendat (p. 50, ll. 22-23) > car l’usaige tardif rend les voluptés et plaisirs commendables (ll. 1101-1102) ; qua uoluptate (p. 55, ll. 8-9) > par quelle entencion ou plaisir (l. 1262).
49En résumé, le traducteur de la lettre anticuriale de Piccolomini sacrifie volontiers à l’usage de la réduplication synonymique, sans réticence comme sans recherche approfondie en matière de style. Confronté à la difficulté de rendre compte de la signification de vocables latins assez rares, il utilise avec ampleur la fonction documentaire des couples binominaux, en particulier quand il procède à un emprunt direct au latin et qu’il se sent contraint d’indiquer, fût-ce de manière incomplète, la signification originelle du terme formellement reproduit ou sémantiquement calqué.
Les innovations lexicales
50De manière générale, l’auteur de la translation ne recule pas devant les nécessités de l’invention en matière de vocabulaire et use de toutes les ressources que lui offre l’initiative lexicologique pour rendre le plus précisément possible la signification des termes de la version originale.
51Placé devant un mot qui ne possède pas de correspondant en moyen français, il procède volontiers à des emprunts savants39, en reprenant le terme latin légèrement francisé. Ces prélèvements opérés dans un système linguistique extérieur concernent évidemment des réalités spécifiques à la géographie : 1075 strigonencian (= « d’Esztergom ») < Strigoniensem (p. 50, l. 1), ou alors des unités lexicales qui, dans la version latine elle-même, ont subi une influence régionale (en l’occurrence italienne) : 848 stomacative (= « qui provoque des nausées » < stomachosissima (p. 43, l. 23) et 957 casiates (= « gâteaux au fromage ») < caseatas (p. 46, l. 25). Plus fréquemment, il procède à une création formelle alors que le m. fr. possède une forme proche, bien attestée : face à escourre, il crée 457 excutera (= « fera tomber en secouant ») < excutiet (p. 33, ll. 5-6) ; en concurrence avec chaste (utilisé par ailleurs dans le texte40), il écrit 782 trés caste < castissima (p. 41, l. 28) ; à la forme reconnue spelte, il préfère 956 splete (= « épeautre ») < spleta (p. 46, ll. 24-25) ; alors que coarcter existe, il respecte la forme du verbe de la version latine avec 1232 coarter (= « restreindre ») < coartare (p. 54, l. 13) ; en parallèle avec suppediter, il emploie 1400 suppetent41 (= « sont à disposition de ») < suppetunt (p. 58, l. 29). Parfois, il adopte des termes latins, alors que le moyen français possède de nombreux équivalents sémantiques : 763 parvifie (= « diminue ») < paruifaciat (p. 41, l. 14), 1040 furtif (= « qui agit à la dérobée ») < fur (p. 49, l. 2) et 1413 trusions (= « bousculades ») < trusiones (p. 59, l. 11). Il lui arrive même d’inventer des latinismes : alors que le texte de Piccolomini comporte le mot amicicia (p. 67, l. 1), la traduction en rend compte par 1705 amicabilité (= « amabilité, gentillesse ») qui est un emprunt au latin médiéval (soit le mot amicabilitas), mais non à la version source.
52De manière tout à fait normale, et parfaitement légitime, le traducteur met en œuvre le calque traduction ou décalque. Ce procédé consiste à reconstruire dans la langue d’arrivée, avec les moyens lexicaux qu’elle est susceptible d’offrir, la signification d’un groupe de mots ou d’une locution existant dans la langue de départ. On a observé le phénomène dans les exemples suivants : 47 le docteur des Gens < doctor Gentium (p. 22, l. 5) ; 87-88 vacuité de douleurs < uacuitatem doloris (p. 23, l. 7) ; 197-198, 253, 1152 son ame gagner < animam lucrari (p. 26, l. 7 ; p. 27, ll. 16-17 ; p. 52, l. 2) ; 383-384 le tuteur du roy < tutorem regis (p. 31, l. 8) ; 937-938 cousine de la coulevre < colubrae cognatam42 (p. 46, l. 10) ; 1228-1229, 1252, 1470-1471 perdre son ame < animam perdere (p. 54, ll. 8-9 ; p. 55, l. 1 ; p. 60, ll. 27-28) ; 1470 domestiques de la foy < domesticos fidei (p. 60, l. 27) ; 1482-1483 cloent ou ferment leur derrenier jour < diem claudunt (p. 61, ll. 7-8). Parfois, le décalque traduit plus subtilement non pas la signification du mot dans la langue source, mais dans un autre état de langue : un terme du latin médiéval dans 484 maison (= « grabat, couverture ») < tegete (p. 33, l. 27)43 ; un terme italien latinisé dans 909-910 pou machees (= « un peu décomposées ») < paululum trita (p. 45, l 14)44 et dans 1020 aveugle (= « qui n’est pas encore entamé par les vers ») < caecus (p. 48, l. 16)45.
53Le calque sémantique recèle plus de dangers pour le lexique. Grâce à une identité de forme entre le terme de la langue source et celui de la langue cible, ce type de calque favorise un emprunt de signification qui peut se révéler préjudiciable à une bonne compréhension du texte. Dans plusieurs des occurrences énumérées ci-après, il est même difficile de déterminer en toute certitude si le cas concerne bien le procédé du calque sémantique (avec transfert de la valeur du mot latin sur le terme français utilisé) ou si le traducteur a commis une banale faute de compréhension en confondant deux vocables de significations très différentes, mais semblables par l’image graphique : 92 penetra vers ceulz qui sont en bas (= « s’avança ») < et ad inferos penetrauit (p. 23, l. 11) ; 461 la clemence de destruire (= « la modération ») < fati clœmentia (p. 33, l. 8) ; 469-471 et soient aussi a joie et a tous leurs ennemis et a leurs malveillans (= « sont un motif de ») < et sint inimicis gaudio (p. 33, l. 16) ; 483 ficheray (= « percerai au moyen d’une arme ») < figam (p. 33, l. 26) ; 754 blande (= « engageante, charmante ») < blandissimam (p. 41, l. 5) ; 769 plus accepté (= « agréable ») < acceptior (p. 41, l. 19) ; 843 pent (= « coule ») < pendulum (p. 43, l. 20) ; 941 a doubles dens (= « avec les molaires ») < geminis dentibus (p. 46, ll. 13-14) ; 1305 vestemens (= « couvertures ») < uestimenta (p. 56, l. 13) ; 1511, 1514 neccessaires (= « parents ») < necessariis (p. 61, l. 28).
54Le dynamisme lexical du traducteur s’exerce surtout dans le domaine des néologismes. Son inventivité concerne tantôt les formes, tantôt les significations. À partir d’une unité lexicale bien attestée, il en construit une nouvelle par adjonction ou modification de suffixe46 : 32 derelinquer (= « abandonner ») < derelinquir ; 62 prohemialement (= « en guise de préliminaire ») < proemial ; 138 frivolitéz (= « bagatelles ») < frivoles ; 348 gesticuleurs (= « ceux qui font des gestes comiques ») < gesticulateurs ; 1167 inquinamens47 (= « saletés, ordures ») < inquination ; 1413 talonnees (= « coups de talon ») < talonnade ou talonnement ; 1425 eschacié (= « foulé aux pieds ») < eschachier ; 1510 corrodeurs (= « rongeurs ») < corrodant.
55Dans l’ordre des néologismes de sens, on a observé les créations sémantiques suivantes, parfois favorisées par un terme plus ou moins formellement proche dans le texte latin de base : 139 creancé (= « estimé, cru ») traduisant inuenio (p. 24, l. 19) ; 431 concubinages (= « débauches ») traduisant stupris (p. 32, l. 17) ; 513 substitué (= « appelé à poursuivre ») traduisant submittitur (p. 34, l. 23) ; 568 reçoivent (= « reprennent ») censé traduire rapiunt (p. 36, l. 9) ; 606 entrouvez (= « trouvez ») traduisant inueneritis (p. 37, l. 11) ; 629 exercer (= « s’accomplir ») traduisant geri (p. 37, l. 28) ; 879 vinagiers (= « qui contiennent du vin ») traduisant uinaria (p. 44, l. 22) ; 931 polide (= « élégante ») traduisant lautam (p. 46, l. 4) ; 1134-1135, 1138 consulter a (= « se laisser guider par ») < consulturi (p. 51, l. 19) ; 1366 friandel (= « jeune homme habillé avec élégance ») traduisant scurram (p. 57, l. 30) ; 1686 aggravé (= « endurci du cœur ») < grauis (p. 66, l. 14) ; 1773-1774 Soies en valeur (= « porte-toi bien ») < Vale (p. 69, l. 2).
56Dans l’ensemble, les créations lexicales réalisées par notre traducteur demeurent relativement limitées en nombre. Si l’on excepte le cas des mises en œuvre du calque sémantique qui, dans plusieurs occurrences (voir surtout penetrer, maison, aveugle, vestemens et neccessaires) rendent la compréhension du texte difficile, ces innovations enrichissent avec bonheur le vocabulaire. On constatera toutefois que seul un nombre infime de ces témoins (frivolitéz, furtif, perdre son ame) de la néologie se sont perpétués jusqu’à l’époque moderne. Si, à la suite de la théorie préconisée par M. Charles Brucker48, on dénombre les occurrences totales de néologismes (soit 21 dans le cas présent) par rapport à ceux qui ne présentent pas d’équivalent immédiat en latin (14), on obtient, à la suite de notre analyse, un quotient de 66,66 %. Le même calcul opéré sur les néologismes créés par Denis Foulechat ou par Nicole Oresme donne un résultat respectif de 42,8 % et de 66,4 %. On devrait donc en conclure que notre traducteur rencontre moins de difficultés à comprendre le latin par rapport à Oresme et, surtout, par rapport à Foulechat.
57Sa méthode de travail n’est toutefois pas exempte de défauts. Confronté à un passage difficile, il a tendance à donner une translation verbum verbo49 au lieu de privilégier la transposition sens pour sens50. S’il sait jouer de la néologie ou de la réduplication synonymique, il se montre quelquefois embarrassé devant la structure complexe de la phrase latine. Dans un cas au moins, il traduit en quelque sorte mécaniquement la construction originale en latin et ne donne pas le sentiment d’avoir lu jusqu’au bout l’énoncé du texte latin avant de le traduire51, comme le montre la position en finale de la référence au texte de Cicéron : Quamobrem si quem forte inueneritis qui aspernetur oculis pulchritudinem rerum, non odore ullo, non tactu, non sapore capiatur, excludatque auribus omnem suauitatem, huic homini ego fortasse et pauci deos propitios, plaerique autem iratos putabunt, in oratione pro Marco Caelio Ciceronem dicentem inuenimus ; quibus in uerbis omnes quinque sensus tetigit quibus uoluptates hauriuntur (p. 37, ll. 10-17) > Pour laquelle chose, si d’avanture vous entrouvez quelcun qui reffuse en ses yeulx la grant beaulté des choses, et qui par nulle odeur ne aucun touchement ou saveur ne soit pris, et qui de ses oreilles seceue et rejette toute suavité, les hommes cuideront, et par aventure le plus petit nombre, qu’il ait les dieux propices, et pluseurs jugeront qu’ilz soient yréz a lui en l’oroison faicte pour Marc Marcel, nous trouvons Cyceron qui dit en ses parolles touchans tous les cinq cens par lesquelz peuent estre voluptéz receues (ll. 606-613). Il lui arrive aussi d’antéposer un complément en reproduisant la structure de son modèle52, dans l’exemple suivant : ab insano proposito reuocati (p. 24, ll. 12-13) > de leur conseil non sain et furieux revoquéz (ll. 131-132) ; un peu plus fréquemment, il suit pas à pas la disposition des propositions du latin et laisse l’empreinte syntaxique de la langue source dans l’ordre des mots53 – voir inuenitur causa, submittitur accusator, conuinceris reus etiam non commissi criminis (p. 34, ll. 23-24) > quelque chose est trouvee, et est substitué aucun accusateur, et comme moult coulpable tu seras convaincu, voire diz je, du crime que tu n’as pas commis (ll. 512-514) et Pira et poma marcida, quae nisi tu comederis, porcorum esca fuissent. (p. 45, ll. 26-27) > Les poires et pommes ou seiches ou aigres, lesquelles si ne les mengeoies, seroient la viande aux pourceaulx (ll. 922-924) – ou transpose par une proposition participiale54 l’ablatif absolu employé par Piccolomini : Sunt enim admodum multi qui uiuente coniuge matrimonium damnant (p. 25, ll. 18-20) > car ilz sont très beaucoup lesquelz, vivant leur femme, comdannent mariage (ll. 173-174) ; hinc uos mutatis discedite partibus (p. 26, l. 1) > departez vous de la, dis je, les parties muees (ll. 189-190) ; imperatore apud Capreas cum grege Caldaeo sedente (p. 31, ll. 12-13) > l’empereur seant contre Capree avecques le peuple caldeÿque (ll. 388-389) ; At regina, conuerso in alium amore, percussores ad illum noctu transmisit (p. 32, ll. 18-19) > Mais la royne, par amour convertie a ung autre, lui envoia de nuit murtriers qui l’occirent (ll. 432-433) ; Refere maximas Deo grates, qui mihi iam uiro sequendi principis animum tradidit (p. 65, ll. 21-22) > Je rends donc graces au souverain Dieu qui m’a le courage donné d’ensuir le prince, moy estant desja homme (ll. 1658-1660).
58Au total, nous nous montrerons moins sévère que par le passé55, en reconnaissant au translateur de la lettre curiale du futur Pie II un certain nombre de qualités, parmi lesquelles le souci constant de donner à comprendre un texte difficile, en pratiquant des additions souvent heureuses et en n’abusant pas de l’usage des emprunts ou des cognates56 susceptibles de favoriser de redoutables calques sémantiques. En homme de son temps et de son milieu, habitué au latin scolastique et au respect absolu des traditions chrétiennes, il rencontre (un peu comme Denis Foulechat avant lui57) des difficultés à appréhender les realia propres à la culture antique païenne ou italienne de son modèle et à pénétrer jusque dans ses recoins les plus obscurs ou les plus énigmatiques une langue latine classique que les humanistes entendaient remettre à l’honneur.
Notes de bas de page
1 Cf. Ch. Brucker, « La valeur du témoignage linguistique des traductions médiévales : les constructions infinitives en moyen français », dans Linguistique et philologie (application aux textes médiévaux). Actes du colloque d’Amiens des 29 et 30 avril 1977, éd. Danielle Buschinger, Paris, Champion, 1977, p. 325.
2 Cf. J. Lemaire, « Aspects linguistiques et stylistiques de la traduction française du De curialium miseriis d’Æneas Piccolomini », dans Bien dire et bien aprandre, 13, 1995, pp. 71-86.
3 Cette version est confrontée avec celle contenue dans le ms. Vatican, Chigi J VIII 287. Cf. Der Briefwechsel des Eneas Silvius Piccolomini. I. Abteilung : Briefe aus Laienzeit (1431-1445). I. Band : Privatbriefe, éd. R. Wolkan, Wien, 1909, (« Fontes rerum Austriacarum », LXI. Band), no 166, p. 453.
4 Cf. Æneae Siluii de curialium miseriis epistola, éd. W.P. Mustard, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1928, pp. 7-8.
5 Les références renvoient à l’édition Mustard de la De curialium miseriis epistola.
6 Dans le ms. Bruxelles, B. R., 10856-57 (f. 55v), cet adjectif fait également défaut.
7 Voir aussi les notes relatives aux ll. 708-709 et 1120.
8 Dans certains cas, la faute de transcription est évidente. Voir les notes se rapportant aux ll. 87-88, 149, 199, 320, 346, 360, 489, 511, 1112, 1402.
9 Voir aussi les notes relatives aux ll. 421-422, 529 et 1555.
10 Cf. Ch. Brucker, « Pour une typologie des traductions en France au XIVe siècle », dans Traduction et adaptation en France. Actes du colloque organisé par l’Université de Nancy II, p. 74. Selon Madame M. Willems-Delbouille (« Créativité lexicale et traduction. L’exemple de la Vie de saint Guillaume de Maleval (ms. BnF 2109) », dans Convergences médiévales. Épopée, lyrique, roman. Mélanges offerts à Madeleine Tyssens, p. 627), la glose de définition tend généralement à assurer la compréhension d’un néologisme. C’est ici le cas pour les ll. 581-582, 847-849 et 1431.
11 Piccolomini lui-même sacrifie quelquefois à d’inutiles répétitions : Genitor meus Siluius, qui mortuo patre posthumus natus est (p. 22, ll. 19-20) > Mon pere Silvius, qui fut né postume, son pere trespassé (ll. 67-68) ; nec ad eum ubi sit poteris ire (p. 59, ll. 18-19) > ne ne porras vers lui aler au lieu ou il est (l. 1423).
12 Comme l’indique cet exemple, il n’est pas toujours aisé de faire le départ entre la redondance et la réduplication synonymique.
13 Voir aussi les cas d’inadvertance exposés dans les notes se rapportant aux ll. 92-93, 139-140, 776, 1022-1026, 1053, 1064-1065, 1312-1314 et 1614-1615.
14 Voir les explications dans les notes relatives aux ll. 531-534, 828-830, 964-966, 1027-1030, 1043-1044, 1107-1108, 1123-1125 et 1711-1712.
15 Cf. Ernst-R. Curtius, La littérature européenne et le Moyen Âge latin, Paris, P. U. F., 1956, p. 336.
16 Cf. Berit Iakobsen, « Tautologies pures et tautologies rhétorisées dans un texte d’ancien français », dans Neuphilologische Mitteilungen, 83, 1982, pp. 99-111.
17 Cf. Cl. Buridant, « Les binômes synonymiques. Esquisse d’une histoire des couples de synonymes du Moyen Âge au XVIIe siècle », dans Bulletin du Centre d’analyse du discours, 4, 1980, pp. 5-79 ; « Problèmes méthodologiques dans l’étude des traductions du latin au français au XIIIe siècle : le domaine lexical. Les couples de synonymes dans l’Histoire de France en français de Charlemagne à Philippe-Auguste », dans Linguistique et philologie (application aux textes médiévaux). Actes du colloque d’Amiens des 29 et 30 avril 1977, éd. Danielle Buschinger, Paris, Champion, 1977, pp. 293-324 ; « Translatio medievalis. Théorie et pratique de la traduction médiévale », dans Travaux de linguistique et de littérature, 22, 1983, pp. 81-136 ; La traduction du Pseudo-Turpin du manuscrit Vatican Regina 624, pp. 28-33.
18 Cf. J. Rasmussen, La prose narrative française du XVe siècle. Étude esthétique et stylistique, p. 46, qui précise que les ternaires, jugés plus élégants, abondent dans les textes de style élevé.
19 Cf. op. cit., pp. 32-38.
20 Il convient d’éviter l’expression doublets synonymiques, employée à plusieurs reprises par M. Charles Brucker (voir notamment « Pour une typologie des traductions en France au XIVe siècle », dans Traduction et adaptation en France, p. 77), puisque le terme doublet porte une signification précise en linguistique, différente de la notion évoquée ici (voir Jacques Ch. Lemaire, Les mécanismes linguistiques de l’évolution sémantique en français, Liège, Éditions de l’Université, 2004, pp. 39-40).
21 Cf. Cl. Buridant, « Les binômes synonymiques. Esquisse d’une histoire des couples de synonymes du Moyen Âge au XVIIe siècle », p. 5. Cet auteur définit aussi le binôme synonymique comme une « sorte de glose en réduction ». Notre texte contient quelques gloses, plus rares que la réduplication. Voir par exemple 62-63 la voix paternelle, c’est a dire le conseil de son pere ; 499-500 la chose estroicte, c’est a dire de petite valeur ; 581-582 ou temps de ulcion, c’est a dire de vengence ; 1431 et des gresillons, c’est des cicades, etc.
22 Cf. Cl. Buridant, « Problèmes méthodologiques dans l’étude des traductions du latin au français au XIIIe siècle : le domaine lexical. Les couples de synonymes dans L’Histoire de France en français de Charlemagne à Philippe-Auguste », p. 310.
23 Cf. Cl. Buridant, « Les binômes synonymiques. Esquisse d’une histoire des couples de synonymes du Moyen Âge au XVIIe siècle », p. 10.
24 Cf. op. cit., p. 14. Voir aussi M. Willems-Delbouille, « Créativité lexicale et traduction. L’exemple de la Vie de saint Guillaume de Maleval (ms. BnF 2109) », dans Convergences médiévales. Épopée, lyrique, roman. Mélanges offerts à Madeleine Tyssens, p. 628.
25 Cf. op. cit., p. 31 et Cl. Buridant, « Le rôle des traductions médiévales dans l’évolution de la langue française et la constitution de sa grammaire », dans Médiévales, 45, 2003, p. 76.
26 Voir per multos annos (p. 61, l. 8) > par mains et pluseurs ans (ll. 1483-1484).
27 Il peut arriver que le second terme soit détaché du premier par un élément quelconque : et sume uoluptatem, si potes (p. 45, l. 12) > et y prent volupté, si tu peuz, et delectacion (ll. 906-907) ; disparitatem notari (p. 46, l. 17) > y ait disparité notee et difference (l. 946) ; Quanta morositas (…) est (p. 61, ll. 17-18)> Com grant dilacion y a et tardité de paiement (l. 1498).
28 Cf. Y. Lefèvre, « La traduction du latin par un clerc français du XIIIe siècle », dans Atti dell’VIII Congresso internazionale di Studi Romanzi (Firenze, 3-8 aprile 1956), Florence, 1959, p. 224.
29 La distinction établie par M. Claude Buridant (dans « Problèmes méthodologiques dans l’étude des traductions du latin au français au XIIIe siècle : le domaine lexical. Les couples de synonymes dans l’Histoire de France en français de Charlemagne à Philippe-Auguste », pp. 307-308) entre « couples réversibles » et « couples irréversibles » manque de clarté et ne porte pas directement sur l’interchangeabilité des éléments constitutifs du binôme. Dans sa contribution essentielle postérieure, M. Buridant indique avec raison que « la réversibilité joue essentiellement pour des couples dont les deux termes ont une compréhension plus ou moins floue qui les rend parfaitement interchangeables. Cette fixation formulaire entraîne un effacement de la fonction explicative du binôme » (voir « Les binômes synonymiques. Esquisse d’une histoire des couples de synonymes du Moyen Âge au XVIIe siècle », p. 16).
30 Dans l’exemple ci-après, il y a inversion et détachement : in qua possint honeste uersari (p. 24, ll. 3-4) > ou vivre honnestement puissent et converser (l. 121).
31 Le « doublage » d’un mot emprunté au latin par une unité lexicale plus courante appartenait aux procédés rhétoriques enseignés dans les écoles au Moyen Âge (voir Walther von Wartburg, Évolution et structure de la langue française, Leipzig, Teubner, 1934, p. 124).
32 Voir J. Ch. Lemaire, Les mécanismes linguistiques de l’évolution sémantique en français, p. 46 ; Christian Nicolas, Utraque lingua. Le calque sémantique : domaine gréco-latin, Paris-Louvain, Peeters, 1996, pp. 7 et 69 et « Le procédé du calque sémantique », dans Cahiers de lexicologie, 65, II, 1994, pp. 75-101.
33 Dans l’exemple suivant, l’emprunt de stomacative n’est pas « doublé » par une autre adjectif, mais expliqué par une subordonnée consécutive : in curiis tamen et amarissima et stomachosissima est (p. 43, l. 23) > elle est es cours touteffois trés amere et stomacative qu’en l’estomach cause et fait passion (ll. 847-849).
34 Cf. Cl. Buridant, « Les binômes synonymiques. Esquisse d’une histoire des couples de synonymes du Moyen Âge au XVIIe siècle », p. 16.
35 Ce couple de synonymes est cité dans la liste établie par P. Schon, Studien zum Stil der frühen französischen Prosa, p. 217.
36 Voir op. cit., p. 228.
37 On peut relever une assonance en -eur dans cet exemple. Par ailleurs, les jeux stylistiques supplémentaires entre les deux membres du couple synonymique (comme l’usage de l’allitération, de l’oxymoron ou de la paronomase) sont singulièrement absents.
38 Cf. Cl. Buridant, La Traduction du Pseudo-Turpin du manuscrit Vatican Regina 624, p. 31.
39 Qu’il soit savant ou plus familier, l’emprunt obéit à un mécanisme qui se révèle un outil indispensable à la vie d’une langue (cf. Cl. Buridant, « Problématique de l’emprunt lexical en latin médiéval », dans Cahiers de l’Institut de linguistique de Louvain, 6, 1980, p. 59).
40 Voir les ll. 780, 1213, 1649 et 1710.
41 Nous avons pris le parti de considérer cette forme verbale comme une création du traducteur, et non comme une faute de transcription du copiste pour suppeditent.
42 En latin, cognatam signifie plutôt « parente » que « cousine ».
43 Ce décalque n’est rendu possible que parce que teges, qui signifie « grabat, natte, couverture » en latin classique (en particulier dans la Satire IX de Juvénal), a pris la signification de « petite maison » en latin médiéval.
44 Dans ce cas, trita n’est pas le supin du verbe terěre, qui signifie « broyer, fouler », mais la forme latinisée du participe passé italien trita (= « qui commence à se décomposer »).
45 Le mot latin caecus constitue lui-même le calque sémantique de l’adj. italien ciéco, qui signifie « qui ne comporte pas de trous ».
46 Contrairement à la création de dérivés par un Nicole Oresme par exemple, où les mots savants l’emportent souvent en nombre (voir Robert Taylor, « Les néologismes chez Nicole Oresme traducteur du XIVe siècle », dans Actes du Xe congrès international de linguistique et de philologie romanes, Paris, Klincksieck, 1965, t. 2, p. 731), les néologismes formels inaugurés par le traducteur de Piccolomini appartiennent principalement aux réalités communes.
47 Il se pourrait aussi qu’inquinamens soit un emprunt direct au latin inquinamenta employé par Piccolomini (p. 52, l. 13).
48 Cf. Ch. Brucker, « Les néologismes de Denis Foulechat, traducteur de Charles V, d’après les trois premiers livres du Policratique », dans Revue de linguistique romane, 33, 1969, p. 324.
49 Cf. C. J. Wittlin, « Les traducteurs au Moyen Âge : observations sur leurs techniques et difficultés », dans Actes du XIIIe congrès international de linguistique et de philologie romanes, Québec, Presses de l’Université Laval, 1976, t. 2, p. 601.
50 Cf. Cl. Buridant, « Translatio medievalis. Théorie et pratique de la traduction médiévale », dans Travaux de linguistique et de littérature, 22, 1983, p. 104.
51 Cf. Wittlin, « Les traducteurs au Moyen Âge : observations sur leurs techniques et difficultés », p. 603.
52 Cf. Charles Brucker, « Quelques aspects du style de Denis Foulechat, traducteur de Charles VI », dans Zeitschrift für französische Sprache und Literatur, 80, 1970, p. 105.
53 Cf. La traduction de l’Historia orientalis de Jacques de Vitry, éd. Claude Buridant, Paris, Klincksieck, 1986, (« Bibliothèque française et romane. Série B : éditions critiques et textes », 19), p. 26.
54 Cf. Cl. Buridant, La traduction du Pseudo-Turpin du manuscrit Vatican Regina 624, p. 35.
55 Cf. J. Lemaire, « Aspects linguistiques et stylistiques de la traduction française du De curialium miseriis d’Æneas Piccolomini », dans Bien dire et bien aprandre, 13, 1995, pp. 71-86.
56 Cf. Wittlin, « Les traducteurs au Moyen Âge : observations sur leurs techniques et difficultés », p. 606.
57 Cf. Brucker, « Quelques aspects du style de Denis Foulechat, traducteur de Charles VI », p. 97.
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