Chapitre 12. 14 octobre - 11 novembre
Aumônier au GBD1, détaché au 201e RI - Le dénouement. Granville - Lille - Vers Metz - Armistice
p. 105-110
Texte intégral
1Parti de Belfort dans la soirée du 13 octobre, j’arrivais à Granville le 15 de grand matin, après avoir passé une journée à Paris et deux nuits en chemin de fer. J’y trouvais heureusement mes nièces à peu près remises de la grippe, et toute la famille prête à regagner Paris le plus tôt possible. Déjà nous faisions le projet d’y repartir tous ensemble à la fin de ma permission, quand un événement particulièrement émouvant pour nous, se produisit dans les opérations militaires. Les 14, 15 et 16 octobre, les armées alliées du nord enlevaient Thourout, Roulers, Menin, et atteignaient Courtrai, obligeant l’ennemi débordé à lâcher devant les Anglais, Lille et Douai, le 17, Roubaix et Tourcoing, le 18. Après quatre ans de séparation, le mur dressé par l’envahisseur entre nous et notre petite patrie lilloise, venait de s’effondrer1. C’était la délivrance et j’étais en famille pour la fêter ! Nous n’eûmes plus qu’une pensée : aller voir là-bas s’il restait quelque chose de nos maisons et de leur mobilier. Pendant toute la guerre, la maison de ma mère et celle de ma soeur, fermées par suite de leur séjour à Wimereux, avaient été laissées sans gardiens. Celle de ma tante, décédée à Paris en 19162, n’était gardée que par une servante. Nous nous étions habitués à la pensée que nous retrouverions peut-être les immeubles, mais que sans doute, tout ce qu’ils contenaient aurait disparu. En tous cas, maintenant que c’était possible, nous ne voulions pas les laisser plus longtemps à l’abandon. J’étais en permission, j’étais libre, je devais tenter l’entreprise.
2Le soir du 20 octobre, je partis donc de Granville pour Paris, muni de la liste des objets que les miens souhaitaient le plus retrouver et que, le cas échéant, je devais mettre en sûreté. Pendant 2 jours, je courus de bureau en bureau pour tâcher d’obtenir un laissez-passer pour Lille. Partout je fus éconduit, et M. Plichon3, député du Nord, alors colonel au bureau de la circulation aux Armées, me déclara tout net que c’était impossible, les Anglais interdisant absolument l’entrée de la ville. Par bonheur, je rencontrais au cours de mes pérégrinations, l’abbé Thellier de Poncheville4, aumônier militaire lui aussi, qui faisait les mêmes démarches avec le même insuccès. Nous décidâmes de faire régulariser nos permissions pour Hazebrouck qui était la ville la plus proche officiellement accessible, et de nous débrouiller en vertu de ce principe indiscutable que deux aumôniers décidés devaient réussir à passer tous les « barrages ».
3Le 23 à 9 heures 30 du matin, nous prenions ensemble un train pour Calais. Là seulement commençait la difficulté. Il s’agissait d’aller le plus loin possible sur la ligne Calais, Saint-Omer, Hazebrouck, Armentières, Lille, et surtout, de ne pas nous laisser arrêter en gare d’Hazebrouck en vertu même de notre titre de permission. Le moyen se présenta en la personne d’un adjudant de gendarmerie, Picque, rencontré en gare de Calais. Il nous apprit qu’il se rendait à Lille à la tête d’un détachement. Nous lui confiâmes que nous désirions aussi y aller et que nous ne savions comment faire. Justement, un wagon amenant son cheval devait passer la nuit suivante à Saint-Omer, il nous offrit de prendre place dans le wagon du cheval, qui ne risquait pas d’être arrêté à Hazebrouck. L’occasion était amusante et elle était trop belle pour que nous la laissions échapper. Le soir même nous prenions un train pour Saint-Omer, et nous attendions patiemment le passage du fameux wagon. Le train dont il faisait partie arriva à 3 h 30 du matin. Le cheval nous fit aussi bon accueil que son maître, et vers 9 h, à notre grande joie, nous descendions en gare d’Armentières5. La ville ne présentait que des ruines. Tout près de la gare, l’église Saint-Roch n’élevait plus vers le ciel que des pans de mur délabrés. Mais nous avions mieux à faire qu’à les contempler. Nous désirions célébrer la messe à Lille, et nous avions hâte d’y arriver.
4D’un pas allègre nous prîmes la route, avec le secret espoir de nous faire transporter par quelque camion militaire. Il était convenu avec l’adjudant Picque, que si l’accès de la ville nous était interdit, nous l’attendions à la porte de Canteleu et qu’il nous ferait entrer. Des camions anglais passèrent, mais aucun ne voulut nous prendre, car la consigne était formelle, ils ne devaient laisser monter personne. Entre La Chapelle d’Armentières et Wez-Macquart, nous traversâmes l’ancienne ligne du front avec ses tranchées, et du côté allemand ses blockhaus bétonnés. Comme nous arrivions trop lentement à notre gré, au Mont Prémesque, deux gros camions anglais nous rejoignirent. La montée ralentit quelque peu leur allure, alors sans demander la permission, nous nous introduisîmes par derrière dans l’un d’eux. À Lomme, ils s’arrêtèrent et nous descendîmes. Une auto sanitaire nous recueillit et nous déposa au bord du canal au pont de Canteleu. Le pont, coupé en deux, plongeait par le milieu, dans le lit boueux du canal à moitié desséché, mais quelques planches permettaient le passage des piétons6. La porte de la ville n’était plus loin, qu’allait dire la garde anglaise à ceux qui venaient ainsi sans souci des règlements, demander à entrer dans Lille ? O surprise ! Personne ne gardait la porte. Chacun pouvait entrer ou sortir comme il lui plaisait.
5Je me rendis tout droit rue d’Esquermes, chez mon oncle G. Hennion7, dont la fille Eugénie venait de mourir quelques jours avant la délivrance de la ville. Ce fut lui qui vint m’ouvrir et qui m’accueillit en pleurant. Puis après quelques minutes d’entretien, je me rendis à l’église Saint-Martin, pour célébrer une messe d’action de grâce : il était onze heures du matin. C’était le jeudi 24, il y avait sept jours que les Allemands étaient partis, la bataille continuait plus loin sur l’Escaut.
6Mon oncle qui avait perdu au début de la guerre, sa femme, et à la fin, sa fille, était demeuré seul. Il m’accueillit chez lui comme son enfant. Je lui apportais heureusement de bonnes nouvelles de ses deux fils soldats, et de sa fille aînée réfugiée à Paris8.
7L’après-midi, nous fîmes ensemble une promenade en ville. Tout était pavoisé. Sur les visages amaigris, la joie éclatait. Mais les passants regardaient avec surprise, ce prêtre coiffé d’un calot, et dont la soutane s’ornait d’une fourragère et de décorations ainsi que de sa croix d’aumônier. Les aumôniers allemands et anglais portaient l’uniforme militaire. On n’avait pas encore vu d’aumôniers français. Sauf le quartier de la gare complètement brûlé, la ville paraissait peu défigurée. Et ma joie fut grande de retrouver intactes nos maisons. Chez ma sœur où j’allais ce soir-là, tout l’essentiel était resté, et je retrouvais facilement les fourrures et les quelques objets qu’elle m’avait chargé de lui rapporter.
8Les jours suivants, j’eus la même heureuse surprise chez ma mère dont la maison avait été gardée avec beaucoup de dévouement par une voisine mademoiselle Debrune, bien qu’un casino d’officiers allemands s’y fut installé. La maison de ma tante, gardée fidèlement par sa cuisinière, était occupée par une dame réfugiée là, à la suite de la destruction de sa maison. Il n’y avait vraiment qu’à remercier Dieu de nous avoir si bien protégés.
9Je profitais de mon séjour pour aller saluer les prêtres amis, à l’évêché, au séminaire et ailleurs. Je pus rendre visite aussi dans la famille, chez les Derode, les Dupuis, les Delesalle9. Je me rendis même à la banque pour retirer nos titres, et, si je ne retrouvais pas ceux qui avaient été mis en dépôt et que les Allemands avaient provisoirement emportés à Bruxelles, je pus du moins reprendre ceux qui étaient en coffre-fort.
10Ceux qui ont contesté à Lille et aux autres villes du nord le nom de villes-martyres, sous prétexte que les destructions matérielles y ont été moindres qu’à Reims, à Arras, à Verdun ou ailleurs, ont été bien superficiels dans leur jugement. Ils n’ont pas compris le martyr de toute une population soumise au bon plaisir et aux exactions de l’envahisseur, qui a vu la déportation de ses femmes et de ses jeunes filles10, l’embrigadement de ses jeunes gens dans des camps de travail forcé, l’envoi de ses notables comme otages en Lituanie11, qui a souffert de la faim et du froid à cause du manque et de la cherté des vivres et du charbon12, et qui par-dessus tout, a été tenue sans nouvelles de ses fils partis à la guerre, pendant quatre ans13. J’en eus pendant ces jours la vive impression, mais surtout quand, au moment de mon départ, tandis que mon oncle sortait pour m’accompagner à la gare, son fils Paul, soldat d’infanterie, arriva à l’improviste. Ils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre en pleurant d’émotion, sans pouvoir parler pendant plusieurs minutes. Et je les quittais ainsi, profondément remué moi-même par ce spectacle d’une longue et terrible attente, en train de s’apaiser enfin dans la joie douloureuse d’un revoir mêlé de deuil.
11Un train de ravitaillement avait pu arriver jusqu’à la gare de Saint-André sur une voie hâtivement réparée. Il repartait à vide vers Calais, et m’offrait une occasion favorable. Je m’y rendais chargé d’une musette à provisions et de deux énormes ballots, dont l’un contenait les fourrures de la famille et l’autre, une bonne partie de notre fortune en titres. La route était longue, la charge était lourde, mais qu’importait, j’étais si heureux de pouvoir rapporter à ma mère et à ma sœur des preuves que tout n’était pas perdu.
12Parti de Saint-André vers 6 heures et demie du soir, le 26 octobre, dans un wagon de marchandises, j’échouais le 27 à une heure du matin au dépôt de la gare de Calais où le matériel roulant était garé. Nous étions près des Fontinettes, à une heure de distance de la ville. Dans la nuit, je repris mon chargement, et en suivant la voie de chemin de fer, je gagnais péniblement Calais, où j’attendis le lever du jour allongé sur une couchette dans un baraquement de permissionnaires, sur la place de la gare centrale.
13Ma messe dite à l’église Notre-Dame où m’accueillit très aimablement monseigneur Debout14, je revins prendre à 9 heures, un train pour Paris, où j’arrivais vers 4 heures. Toute la famille, revenue de Granville, m’attendait à l’appartement de la rue Decamps, même Maurice venu de Cesson pour passer la soirée. Les bonnes nouvelles que je rapportais et les précieux paquets dont j’étais chargé, furent accueillis avec autant de surprise que de joie. Nous ne pouvions que remercier Dieu de nous avoir si visiblement protégés.
14Le lendemain 28, averti par une lettre du régiment que celui-ci était en déplacement entre Jussey et Epinal, je repartis heureux, pour achever la guerre dont le dénouement se précipitait. Maintenant, toute la côte belge était délivrée, les Anglais étaient aux portes de Valenciennes, du Quesnoy, de Landrecies. La Fère, Laon, Vouziers étaient dans nos mains et les troupes américaines avançaient en Argonne sur la rive gauche de la Meuse. En Orient, les Turcs, après les Bulgares, demandaient l’armistice15, et l’Autriche allait avoir seule, à faire face aux armées italiennes, serbes et françaises16.
15Après une nuit de voyage, j’arrivai à Jussey à 10 h 15 avec un retard de quatre heures. Le régiment est à Darney (Vosges) et il n’y a pas de train avant 14 heures. Je vais dire ma messe à l’église où l’abbé Renahy était vicaire, et où sa mort à la guerre a causé une grande tristesse. C’est aussi la paroisse de la famille de mon médecin-chef, le docteur Bonjean. M. le Curé me conduit faire visite à madame Bonjean, mère du docteur. Finalement le train ne part qu’à 6 heures du soir, j’arrive à la gare de Darney à 20 heures, encore deux kilomètres à faire à pied, et je me retrouve au 201e RI, où je suis comme toujours très bien accueilli. Jamais depuis le début de la guerre je ne m’étais permis une aussi longue absence. Cette fois, j’avais ajouté aux dix jours réglementaires, les suppléments auxquels me donnaient droit mes deux dernières citations. J’avais pu, grâce à cela, me rendre à Lille, et je n’avais pas à le regretter, puisque dans l’intervalle, le 201e avait quitté l’Alsace sans incident, et avait gagné par étapes Darney où je le rejoignais.
16Notre séjour s’y prolongea jusqu’au 7 novembre. Dès mon retour, je préparais la célébration de la fête de la Toussaint, et des Morts. J’eus la joie, le 1er novembre, de voir un grand nombre de soldats se confesser et communier. À la messe militaire de 9 h, l’église fut absolument comble. Nos deux généraux étaient au premier rang de l’assistance. Le jour des Morts, lui aussi fut pieusement célébré. Les communions, la messe militaire et la messe paroissiale, tout fut parfaitement réussi, et me rappela les plus beaux jours de ferveur du début de la guerre. Les circonstances y étaient bien pour quelque chose. D’une part, les hommes étaient libres, et de l’autre, les nouvelles de la guerre étaient vraiment merveilleuses. Dans les derniers jours d’octobre, l’armée italienne à son tour, avait pris l’offensive, et chassé devant elle, les Autrichiens, tandis que les Serbes rentraient devant Belgrade et achevaient de libérer tout leur territoire17. Si bien que le 4 novembre, l’Autriche déposait les armes. L’Allemagne désormais était seule, et son armée bousculée sans répit depuis trois mois et demi, reculait toujours. L’armée belge était aux portes de Gand. L’armée anglaise tenait maintenant Valenciennes, Le Quesnoy et Landrecies. Nous reprenions le 5 et 6 novembre Vervins et Rethel. Les Américains débouchaient au nord de l’Argonne et marchaient sur Mézières. Tout annonçait la fin heureuse et prochaine de cette gigantesque bataille de France.
17Le matin du 8 novembre, le régiment se remit en marche vers le Nord. Il faisait désormais partie d’une armée en formation sous le commandement du général Mangin, destinée à une offensive nouvelle sur la rive droite de la Moselle, en direction de Saint-Avold, pour déborder Metz par le sud et par l’est. Serions-nous appelés à donner le coup de grâce à l’adversaire ? Dès le premier jour, nous en doutâmes. Tandis que nous approchions de Vittel, but de notre étape, des camions chargés de soldats américains nous dépassèrent. Au passage, les Américains criant et gesticulant nous annoncèrent que l’armistice était signé. Nous n’y pouvions pas croire. Cependant à notre arrivée à Vittel, l’hôtel de ville était pavoisé, le bruit de l’armistice circulait partout. Bientôt l’énigme fut éclaircie. L’Allemagne avait bien demandé l’armistice, mais il n’était pas signé18. Le feu n’avait été momentanément arrêté que dans la zone où devaient passer les plénipotentiaires allemands envoyés au maréchal Foch, pour connaître ses conditions. Les pourparlers du moins étaient engagés.
18Le 9 nous allions de Vittel à Domjulien (Vosges), et le 10 de Domjulien à Diarville (Meurthe-et-Moselle). C’est dimanche. La réponse allemande à nos propositions doit être remise avant lundi onze heures. Le combat continue sur tout le front et le recul allemand s’accentue. Les Belges ont repris Gand. L’Escaut franchi, les Anglais ont repris Ath, Mons, Maubeuge. Nous avons atteint Hirson, Mézières et Sedan. Les Américains ont franchi la Meuse et pris Stenay et Beaumont. Dans la soirée, une grande nouvelle nous parvint : le Kaiser a abdiqué et le Konprinz a renoncé à ses droits19. L’empire s’effondre et la révolution20 gronde dans les rangs de l’armée vaincue et dans le peuple dont les espérances s’écroulent.
19Une nouvelle étape est prévue pour le 11 novembre. Nous devons quitter Diarville à 9 heures, à moins que... Partout nos radios sont à l’écoute. Un peu avant 9 heures, ils captent la Tour Eiffel21. Elle annonce que les Allemands ont signé l’armistice et envoie sur toutes les ondes le texte de la convention souscrite. Notre départ est remis, car la nouvelle est officielle. Encore faut-il qu’elle parvienne à toutes les troupes engagées et qu’on leur fixe l’heure où partout sonnera le « cessez-le-feu » général. Le GQG envoie ses ordres : les hostilités seront arrêtées ce matin à 11 heures.
20Une dernière émotion nous attend, bien saisissante en pareil moment. À 10 heures, en l’église de Diarville, une messe est célébrée pour un enfant de la paroisse, dont la famille vient d’apprendre la mort au champ d’honneur. J’y assiste, mes soldats chantent, et nous songeons à ces dernières victimes de la guerre, à ces braves qui en ce moment encore où nous tenons la victoire, combattent et tombent. Nous avons hâte que le dernier coup de canon soit tiré et que sonne enfin l’heure de la paix.
21À 11 heures, la joie éclate. Les cloches des églises sonnent à toute volée. C’est fini. Notre bonheur est si grand que nous avons peine à y croire, et que nous sommes obligés de réfléchir pour en prendre pleinement conscience. Nous n’entendrons plus le canon, nous ne connaîtrons plus la vie pénible des tranchées. La mort qui depuis plus de quatre ans a sans cesse plané sur nous, ne frappera plus dans nos rangs ses coups meurtriers. La vie nous reste, et l’avenir. Par dessus tout, nos sacrifices, nos souffrances, nos angoisses ont obtenu un résultat qui dépasse nos espérances. Nous sortons victorieux du plus gigantesque conflit que le monde ait encore connu. Nous avons la fierté légitime d’en avoir été les modestes acteurs, d’avoir supporté sans laisser fléchir notre courage, les épreuves les plus rudes pour le moral du soldat : l’invasion initiale, l’impuissance prolongée, la sanglante résistance de Verdun, la désillusion des offensives avortées dans la Somme, au Chemin des Dames, et dans les Flandres, et enfin, ces heures tragiques du printemps dernier, où sous la ruée allemande, notre front craquait de tous côtés au point que la victoire finale, dont nous ne voulions point désespérer, nous semblait plus lointaine que jamais ! L’année n’était pas finie que nous remportions cette victoire absolue, incontestable : l’Alsace et la Lorraine22 allaient nous être rendues et nous allions porter jusque sur le Rhin, nos drapeaux vainqueurs.
22À Diarville, comme Housseville et Bouzanville23 où j’allais aussitôt visiter les deux bataillons détachés, l’allégresse était générale. J’aimais à la partager avec tous mes chers soldats, dont j’avais si souvent ressenti les peines et admiré l’héroïque courage. Comme ils avaient le droit de prendre pour eux le magnifique éloge que le maréchal Foch adressait ce jour mémorable à toutes les armées alliées : « Officiers, sous-officiers, soldats des armées, après avoir résolument arrêté l’ennemi, vous l’avez pendant des mois, avec une foi et une énergie inlassable, attaqué sans répit. Vous avez gagné la plus grande bataille de l’Histoire et sauvé la cause la plus sacrée : la liberté du monde.
23« Soyez fiers !
24« D’une gloire immortelle vous avez paré vos drapeaux.
25« La postérité vous garde sa reconnaissance ».
26Le Maréchal de France
27Commandant en chef des armées alliées F.F. Foch L’après-midi, sur la petite place de Diarville, la musique du 201e, dans un concert de circonstances, joua tour à tour les hymnes nationaux de tous les peuples alliés. Vers eux, s’en allait la gratitude de la France qu’ils avaient si fraternellement et si puissamment aidée. Unis dans la guerre, nous entendions rester désormais unis dans la paix. Si d’autres l’ont oublié depuis24, les anciens combattants eux, n’oublient pas !
Notes de bas de page
1 Après 1465 jours d’une « occupation mortelle » (Alain Gérard), Lille était libérée le 17 octobre 1918. Les troupes anglaises du général Birdwood pénétrèrent dans la ville par la porte de Béthune. Elles furent accueillies par une foule en liesse qui chantait La Marseillaise.
2 Marie Delesalle.
3 Jean Plichon (1863-1936), député du Nord depuis 1889 fils de Charles Plichon (1814-188) qui avait été député à partir de 1857 et ministre des Travaux publics dans les derniers mois du Second Empire.
4 Abbé Charles Thellier de Poncheville (1875-1956) missionnaire des œuvres, aumônier de la 28e DI. De février à avril 1917 il s’était rendu au Canada à la demande d’Aristide Briand. Il est l’auteur de Dix mois à Verdun, (Paris, de Gigord, 1919) réédité sous le titre Dix mois à verdun. Un aumônier militaire en première ligne, 26 février 1916-10 janvier 1917 (éditions italiques, coll. Les Immortelles, 2007).
5 Pendant la guerre Armentières était une ville anglaise, dans le saillant du front britannique. La ville fut détruite par les bombardements de 1918.
6 Avant de quitter la ville les Allemands détruisirent les ponts sur la Deule.
7 Gustave Hennion époux de Berthe Liénart.
8 Paul, Emile et Marthe Hennion.
9 La grand-mère paternelle d’Achille Liénart était née Marie Derode, sa mère Louise Delesalle.
10 À partir d’avril 1916, sous prétexte de difficultés accrues de ravitaillement, les autorités militaires allemandes décidèrent de déporter « à la campagne » de jeunes, surtout des jeunes filles. Les victimes étaient en général désignées au hasard, la nuit, dans un quartier entièrement gardé par la troupe. Les nombreuses protestations dont celles de l’évêque Mgr Charost amenèrent les Allemands à mettre fin à ces déportations dont furent victimes quelques 10 000 personnes, envoyées dans les Ardennes dans des conditions particulièrement inconfortables.
11 À titre de représailles pour des actes politiques effectués par la France des notables ou leurs épouses, des industriels, des fonctionnaires furent envoyés dans des camps, à Holzminden dans le Brunswick et à Milejgany en Lituanie. Certains n’en revinrent pas, d’autres en gardèrent d’importantes séquelles physiques ou psychiques.
12 Au difficultés de ravitaillement liées à la guerre s’ajoutaient les réquisitions : obligation de loger et nourrir les militaires, réquisitions de marchandises chez les commerçants, de toutes sortes de matières premières, de laine, etc. Les Allemands se livraient à un véritable pillage industriel. Les Lillois seraient morts de faim sans les secours distribués sous la surveillance d’organisations charitables installées par les nations neutres qui distribuaient du riz et des matières grasses. La sous-alimentation fragilisait les organismes et minait leur capacité de résistance. La mortalité du fait d’épidémie ou de la tuberculose était importante.
13 La ville fut isolée pendant toute la durée de l’occupation. Les véhicules furent requis, l’élevage des pigeons interdit par crainte des pigeons voyageurs. On ne pouvait sortir de l’agglomération de Lille-Roubaix-Tourcoing sans laissez-passer payant. Il était difficile d’avoir des nouvelles des soldats au front ou des prisonniers et l’une des formes de la résistance consistait à diffuser auprès de la population des informations venant de France.
14 Mgr Henri Debout, né en 1857, curé-archiprêtre de Calais.
15 Isolés après la défection bulgare les Turcs signèrent à Moudros, le 30 octobre, un armistice avec les Anglais. Le gouvernement français non consulté dut s’y résigner.
16 L’Autriche-Hongrie était en pleine désagrégation. Un armistice fut signé le 3 novembre à Villa Giusti. L’empereur Charles s’enfuit en Hongrie puis abdiqua.
17 La Serbie, prétexte de la guerre de 1914, fut libérée par la seule armée serbe. Considérablement agrandie elle devint en 1918 le Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes, rebaptisé en 1929 royaume de Yougoslavie.
18 Dès le 6 octobre Wilson avait reçu une note allemande demandant l’armistice sur la base des 14 points. Les Français et les Anglais se méfiaient quelque peu des intentions de Wilson. Mais contrairement à ce qu’espéraient les Allemands celui-ci insista sur la nécessité d’évacuer les territoires occupés et exigea de négocier avec un gouvernement démocratique. Ludendorf de son côté espérait obtenir un armistice qui permettrait à ses troupes de souler avant de reprendre le combat. Finalement les négociations menées par le colonel anglais House amenèrent les Allemands à accepter le 5 novembre d’envoyer une délégation d’armistice auprès du maréchal Foch.
19 Le 9 novembre, Guillaume II abdiquait et son fils renonçait au trône. Le leader socialiste Ebert devenu chancelier d’Allemagne demanda l’armistice.
20 L’extrême gauche allemande préconisait la révolution. Le mouvement spartakiste animé par Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg aurait voulu instaurer un gouvernement de type bolchevik.
21 Un émetteur radio fut installé sur la Tour Eiffel en 1918. Un relais y était déjà depuis 1903.
22 Les « provinces perdues » d’Alsace-Lorraine furent « restituées » à la France dès la signature de l’armistice.
23 Housséville et Bouzanville, villes de Meurtheet-Moselle, en Lorraine, restées françaises.
24 Si cette mention ne permet pas de dater le manuscrit elle rappelle qu’il s’agit d’une relecture postérieure de quelques mois ou années à partir du journal quotidien écrit pendant la guerre par Achille Liénart.
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