1 C’est le titre du premier chapitre, et l’objet de tout l’ouvrage. Cf. Johann Gottlieb Fichte, « Beiträge zur Berichtigung der Urteile des Publikums über die Französische Revolution » in : Johann Gottlieb Fichte. Werke, éd. par Reinhard Lauth et Hans Jacob, I, 1, Stuttgart-Bad-Cannstatt, 1964 ; en français : Considérations destinées à rectifier les jugements du public sur la Révolution française, trad. fr. de Jules Barni, Paris, 1974.
2 Johann Benjamin Erhard, Du droit du peuple à faire la révolution et autres écrits de philosophie politique, trad. fr. d’Alain Perrinjaquet, Lausanne, 1993, chap. IV ; je donne ici la traduction de Gérard Raulet (in : Aufklärung. Les Lumières allemandes, Paris, 1995, p. 376) : « Par révolution d’un peuple, on ne saurait entendre rien d’autre sinon qu’un peuple tente par la violence de se donner la jouissance de ses droits à être majeur, et à abolir les rapports juridiques existants entre lui et les privilégiés. La seule définition que nous ayons donné plus haut de ce qu’est une révolution est qu’il s’agit d’un bouleversement de la constitution fondamentale <Grundverfassung> d’un État ». Je parle d’hésitations terminologiques puisque Erhard réservait, dans le chapitre deux, le nom de révolution à la modification des lois fondamentales (Grundgesetze), et non de la constitution (Verfassung), disant alors que cette dernière pouvait être réformée à partir de lois fondamentales inchangées.
3 Partition reprise par exemple par Kant dans la Doctrine du droit, II, 1re section, remarque générale (après le § 49) « A » : « un changement de la constitution (vicieuse) de l’État peut bien être parfois nécessaire – mais il ne peut être accompli que par le souverain (Souverän) lui-même par une réforme, et non par le peuple, c’est-à-dire par une révolution » (cf. Kant’s gesammelte Schriften, Berlin, vol. VI : Die Religion innerhalb der Grenzen der bloßen Vernunft. Die Metaphysik der Sitten, Berlin, 1907/14, p. 321-322, par la suite cité Ak, suivi du volume en chiffres romains et du numéro de page en chiffres arabes).
4 Non seulement dans le chapitre deux de La philosophie pratique de Kant (Paris, 1926), mais aussi dans l’article antérieur de 1912, « Kant et Rousseau », paru dans la Revue de Métaphysique et de Morale, 1912, T. 20, no 3, p. 429-439.
5 Avec Harald Höffding, cf. Georges Gurvitch, « Kant et Fichte interprètes de Rousseau », publié dans les Kant-Studien (XXVII) en 1922, et traduit par Christian Papilloud et Cécile Rol in : Écrits allemands, I, Fichte, Paris, 2005, p. 24.
6 Cf. Karl Vorländer, « Kant und Rousseau », in : Neue Zeit, 1919, no 2.
7 Cf. Gurvitch (cf. note 5).
8 Cf. Dieter Henrich, Selbstverhältnisse, Stuttgart, 1982, p. 17. Kant devrait à Rousseau d’inscrire la capacité de reconnaissance du bien en tout un chacun : le formalisme du jugement moral rejoindrait ici le sentiment du bien en cela que l’homme le plus ordinaire peut savoir ce qu’il doit faire.
9 Dans les remarques sur Vom Schönen und Erhabenen, Ak VII, trad. fr. de Roger Kempf, Observations sur le beau et le sublime, Paris, 1980, p. 66.
10 Cf. Éric Weil, « Jean-Jacques Rousseau et sa politique », in : Critique, 1952, no 56, réédité, notamment dans La pensée de Jean-Jacques Rousseau, Paris, 2004.
11 Ernst Cassirer, Le problème Jean-Jacques Rousseau (1932), trad. fr. de Marc de Launay, Paris, 1987.
12 Sur ce point, cf. Luc Vincenti, Jean-Jacques Rousseau, l’individu et la République, Paris, 2001, chapitre VI.
13 Cf. Luc Vincenti, E. Kant : philosophie pratique, Paris, 2007, p. 117-130.
14 Cf. I. Kant, Zum Ewigen Frieden, Ak VIII 353, trad. fr. de Jean Gibelin, Projet de paix perpétuelle, Paris, 1975, p. 20. Cf. aussi Vincenti (cf. note 13), p. 124.
15 Cf. André Tosel, Kant révolutionnaire, Paris, 1988 ; Domenico Losurdo, Autocensura e compromesso nel pensiero politico di Kant, Naples, 1985 ; Autocensure et compromis dans la pensée politique de Kant, trad. fr. de Jean-Michel Buée, Lille, 1993.
16 Article publié en 1795 dans le Philosophisches Journal de Friedrich Immanuel Niethammer, trad. fr. de Philibert Secrétan dans : Benjamin Erhard, Apologie du diable, Caen, 1989.
17 Je ne veux pas dire qu’elles sont fausses, je rends hommage à ce lourd travail ; il se trouve qu’elles ne font pas apparaître le thème, voire le terme, de l’institution, qui est précisément ce par quoi ce texte se rapporte à Rousseau.
18 Cf. I. Kant, Kritik der Urteilskraft, Ak V 375, § 65 : « So hat man sich […] des Worts Organisation häufig für Einrichtung der Magistraturen […] bedient ».
19 Cf. I. Kant, Zum ewigen Frieden. Ein philosophischer Entwurf, 1795, Ak VIII, ainsi que dans les Kleinere Schriften zur Geschichtsphilosophie, Ethik und Politik, Hambourg, 1973 ; trad. fr. de Jean Gibelin, Projet de paix perpétuelle, Paris, 1975, ou trad. revue par Heinz Wismann in : I. Kant, Œuvres Philosophiques, t. III, Paris, 1986, ou encore trad. fr. de Jean-François Poirier et Françoise Proust, Paris, 1991, p. 105 : « Organiser un foule d’être raisonnables […] et agencer leur constitution d’une manière telle que… ». Le texte se trouve dans le premier supplément (Zusatz), avant les Appendices (Anhang).
20 I. Kant, Projet de paix perpétuelle, trad. de J. F. Poirier et F. Proust (cf. notes 14 et 19), p. 105 : « comment on peut faire tourner au profit des hommes le mécanisme de la nature pour diriger au sein d’un peuple l’antagonisme de leurs dispositions hostiles, d’une manière telle qu’ils… ».
21 Ce qui n’est pas unique, cf. Jean-Jacques Rousseau, Émile, Paris, 1969, I, p. 249 : « Les bonnes institutions sociales sont celles qui savent le mieux dénaturer l’homme ».
22 Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, II, 7 « Du législateur », Paris, 1966, p. 381.
23 Ibid., I, 6, p. 361.
24 Ibid., II, 7, p. 382.
25 Cela ne veut pas dire qu’elles ne pourront pas y retourner une fois assurées de jouir de leur propriété, si elles ne troublent pas le nouvel ordre institué.
26 La force publique vient donc à deux reprises détourner les forces individuelles de leurs fins égoïstes, lors de sa constitution par l’engagement de chacun à constituer un pouvoir commun, puis, une fois la force publique constituée, elle vient avec sa puissance infiniment supérieure contraindre « quiconque refusera d’obéir à la volonté générale » (Rousseau, Contrat social (cf. note 22), I, 7). La première fois, ce sont les individus qui s’engagent eux-mêmes dans le processus ambigu de la protection commune, et c’est pour cette première fois qu’il faut trouver une ruse (du riche ? ou du législateur faisant appel à la religion ?), ruse qui détournera de leurs fins les forces en présence.
27 Rousseau, Contrat social (cf. note 22), II, 7, p. 382 : « que la force acquise par le tout soit égale ou supérieure à la somme des forces naturelles de tous les individus » ; on peut aussi penser à Émile (cf. note 21), II, p. 311, où il s’agit d’armer « les volontés générales d’une force réelle supérieure à l’action de toute volonté particulière ». Le livre I, chapitre 9, du Contrat allait jusqu’à parler des forces « incomparablement plus grandes » de la cité, mais dans un autre contexte (ce qui n’exclut pas la contrainte physique d’ailleurs).
28 Rousseau, Contrat social (cf. note 22), I, 7, p. 364. Rappelons le sens de cette expression : « par tout le corps », et non « par tout son corps ». L’expression ne signifie pas contrainte physique, mais que l’individu sera contraint par tout le corps politique, i. e. par la force commune constituée lors du pacte.
29 Dans le livre II, chapitre 7 du Contrat (cf. note 22), p. 382.
30 Kant, Zum Ewigen Frieden, Ak VIII 366, trad. fr. de J. F. Poirier et F. Proust (cf. note 19), p. 105.
31 Kant, Zum Ewigen Frieden, Ak VIII 376, trad. fr. de J. F. Poirier et F. Proust (cf. note 19), p. 117.
32 La proximité est grande ici avec ce que Kant appelle l’« opposition réelle » dans l’opuscule précritique sur les Grandeurs négatives. Il s’agit précisément, dans cet opuscule, de comprendre que ce qui est apparemment stable n’est qu’un équilibre de force, et de lier la compréhension de cet équilibre à sa transformation possible.
33 Je dois ici répondre à une objection me reprochant d’utiliser, à propos de la transformation d’un État déjà existant, l’exemple du législateur instituant un « peuple naissant » (Rousseau, Contrat social (cf. note 22), II, 7, p. 383). Cette objection se fonde sur la distinction faite par Bertrand Binoche entre trois temporalités (genèse, histoire et civilisation), que Rousseau utilise différemment dans le Contrat social (cf. Bertrand Binoche, « Genèse, histoire et civilisation dans le Contrat social de J. J. Rousseau », in : La raison sans l’histoire, Paris, 2007). Cette distinction a marqué le commentaire rousseauiste ; elle permet indiscutablement de préciser la lecture du Contrat et son réseau de références. Toutefois, il ne me semble pas nécessaire d’aller jusqu’à rendre ces trois temporalités parfaitement étanches, ce que ne fait d’ailleurs pas B. Binoche lui-même (ibid., p. 46), lorsqu’il situe le législateur au croisement de la genèse et de la civilisation. En recoupant ici les registres distingués par B. Binoche, je souhaite rapporter le second Discours au Contrat, dans un esprit qui n’est pas trop éloigné de l’auteur distinguant trois temporalités (ibid., p. 35). En faveur de cette tentative, je peux rappeler que la deuxième partie du second Discours passe littérairement trois fois par le même point, la fondation du politique à partir de l’état de guerre, et construit ainsi une temporalité que le second Discours déclare circulaire (p. 191 in : Rousseau, Œuvres Complètes, vol. 3, Paris, 1964) et dans laquelle prennent place tout à la fois le politique légitime et sa dégénérescence (genèse), ainsi que la « civilisation », si ce n’est l’histoire, dans la possibilité d’instituer un État nouveau, lorsque Rousseau parle de « révolutions » qui « dissolvent tout à fait le gouvernement, ou le rapprochent de l’institution légitime » (ibid., p. 187). On m’accordera peut-être aussi qu’il n’est pas contradictoire de s’adresser à un « peuple naissant » pour substituer une autorité légitime à une constitution dépravée allant jusqu’au despotisme. En effet, on peut tout d’abord comprendre « peuple » au sens politique d’une communauté constituée par contrat, mais dissoute par les abus du politique redevenu despotisme : c’est ce que décrit le second Discours (ibid., p. 191) et que reprend le Contrat social (cf. note 22 ; II, 1). En ce sens, le peuple naissant peut être institué sur les ruines de l’État antérieur. Et si l’on veut donner un sens plus large au terme de peuple, il n’est pas non plus contraire aux usages de Rousseau de considérer que le législateur intervient auprès d’un État corrompu (cf. Rousseau, Fragments politiques, in : Œuvres Complètes, t. III, Paris, 1964, p. 541, à propos de Lycurgue : « C’est dans ces circonstances où le corps politique était prêt à se dissoudre que parut le Législateur »). Ainsi l’État « renaît », Contrat social (cf. note 22), II, 8, p. 385.
34 Sur cette force des lois, à comprendre alors comme lois fondamentales ou constitution, cf. Contrat social (cf. note 22), IV, 7, p. 459, où Rousseau souligne que la législation fait naître les mœurs. La législation désigne ici l’œuvre du législateur, et non l’exécutif ou les lois pénales, à propos desquelles on doit dire que « la loi ne règle pas les mœurs ». Les mœurs, avec les coutumes et l’opinion, naissent lentement, cf. ibid., II, 12. Je profite de cette note pour lever une deuxième objection, qui pourrait paraître évidente au lecteur du Contrat social, II, 7 : le législateur ne peut employer la force. Ainsi, il ne peut employer la force pour convaincre le « peuple naissant » de « goûter les saines maximes de la politique et suivre les règles fondamentales de la raison d’État ». Précisément, comme le souligne tout ce qui précède, ce passage enlevant la force au législateur, si le législateur ne peut employer la force et ne dispose que d’une autorité qui n’est rien, c’est parce qu’il n’est pas magistrat, parce que « celui qui commande aux lois ne doit pas […] commander aux hommes ». En distinguant bien le législateur du magistrat, cela ne peut donc pas vouloir dire que les lois n’ont pas de force et que le magistrat ne dispose pas de la force (des lois), ni donc, en revenant vers le législateur, que celui-ci ne peut, pour la tâche qui est la sienne, rédiger et instituer des lois qui disposent de la force. Mais il reste vrai qu’il ne peut employer la force pour convaincre le peuple du bien-fondé de cette tâche-là.
35 L’opposition des moyens demeure. Je n’irai pas jusqu’à m’accorder ici avec Reinhardt Brandt, « Revolution und Fortschritt im Spätwerk Kants », in : Hans Erich Bödeker et Ulrich Herrmann (dir.), Aufklärung als Politisierung – Politisierung der Aufklärung, Hambourg, 1983, qui cite p. 163 l’expression kantienne « Revolution oder Reform der Verfassung », extraite de la Doctrine du droit (cf. note 3), Ak VII 88, pour marquer l’équivalence des termes. Kant oppose, dans la page précédente (Ak VII 87), avec Erhard, réforme et révolution. Il s’agit au plus de faire de la réforme de la constitution une réforme particulière, forme de révolution non violente. Alors, dans le fil du rapprochement que Kant esquisse avec Erhard, la réforme devient évolution, mais non révolution.
36 Cf. Losurdo (cf. note 15) ; trad. fr. de J. M. Buée, p. 97.
37 Cf. par exemple Kant, Doctrine du droit (cf. note 3), suite au § 49, remarque générale, A.
38 Cf. Losurdo (cf. note 15) ; trad. fr. de J. M. Buée, p. 36.
39 Cf. I. Kant, Zum Ewigen Frieden, Ak VIII 372/3, trad. fr. de J. F. Poirier et F. Proust (cf. note 19), p. 113, ou Doctrine du droit (cf. note 3), suite au § 49, remarque générale, A.
40 Proposition que l’on peut ne pas interpréter, comme G. Vlachos (La pensée politique de Kant, Paris, 1962, p. 249) comme définitivement attachée au politique. On peut contenir, comme en pédagogie, la discipline dans une propédeutique, et rejoindre ainsi le Rousseau de la fin du livre II, chapitre 8 du Contrat social : ce n’est pas parce que Pierre le Grand aurait dû aguerrir les Russes au lieu de les civiliser qu’il faut condamner tous les peuples à la discipline.
41 Cf. I. Kant, Doctrine du droit (cf. note 3), § 49.
42 Cf. Jean-Jacques Rousseau, Lettres philosophiques, Paris, 1974.
43 Cf. Judith Shklar, « Rousseau’s images of authority », in : The American political science review, vol. 58, no 4, 1964.
44 Cf. Rousseau, Contrat social (cf. note 22), II, 7 p. 382.
45 Sur l’opposition de Rousseau aux physiocrates en général et à Le Mercier de la Rivière en particulier, cf. les recherches de Reinhard Bach sur Le Mercier de la Rivière, et notamment l’article « Rousseau et les physiocrates : une cohabitation contradictoire » in : Rousseau : économie politique, Études Jean-Jacques Rousseau no 11, Montmorency, 2000, récemment réédité par Reinhard Bach : Rousseau et le discours de la Révolution, Uzès, 2011.
46 Un despote bien humain cette fois, que l’on peut toujours renverser s’il devient tyran. Certes, le Contrat social conserve la figure du pouvoir personnel dans son institution de la dictature, mais circonscrite par la constitution. Il faut noter le lien entre l’œuvre du législateur et la fonction du dictateur, lien souligné au début du chapitre six du livre quatre du Contrat. Sur cette fonction de la dictature, temporaire et inscrite comme telle dans les institutions, et son rapport à la fondation du corps politique, cf. Claude Mazauric, « La théorie du gouvernement révolutionnaire. Robespierre, Rousseau, Babeuf », in : Luc Vincenti (dir.), Rousseau et le marxisme, Paris, 2011.
47 Ce que Georges Snyders appelait« L’intervention active du maître par la médiation de structures », in : Où vont les pédagogies non-directives ?, Paris, 1974, p. 226. Je reprends cette thématique dans l’article « Philosophie et pédagogie dans Émile » (troisième partie), in : Les Cahiers philosophiques, 1990, no 44.
48 Rousseau, Contrat social (cf. note 22), I, 6 p. 361 ; I, 7, p. 364 ; II, 12, p. 394. Sur les différents sens de liberté chez Rousseau, cf. Luc Vincenti, Du contrat social (Rousseau), Paris, 2000, p. 58.
49 I. Kant, Zum Ewigen Frieden, Ak VIII 365, trad. fr. de J. Gibelin (cf. note 14), p. 43.
50 Rousseau, Émile (cf. note 21), II, p. 311.
51 Kant, Doctrine du droit (cf. note 3), § 62, AK VI 355. La formule peut provenir d’Émile, II, p. 311, mais elle est assez pratiquée pendant la Révolution française, cf. Patrice Rolland : « La garantie des droits », in : La Constitution de l’An III ou l’ordre républicain, textes réunis par Jean Bart, Jean-Jacques Clère, Claude Courvoisier et Michel Verpeaux, Dijon, 1998, p. 29-84.
52 Fichte, Considérations destinées à rectifier les jugements du public sur la Révolution française (cf. note 1), préface.
53 Kant, Was ist Aufklärung ?, Ak VIII 36.
54 Par exemple dans Lucien Calvié, « Le Renard et les raisins, Variation de/sur l’idée révolutionnaire en Allemagne de Schiller au jeune Marx », in : Continuités et ruptures, Grenoble, 1986, ou du même, « Remarques sur la genèse du marxisme », in : Révolutions françaises et pensée allemande 1789/1871, Grenoble, 1989.