1 Le colloque « Les figures de l’intellectuel », qui clôturait le programme de formation-recherche, a été réalisé avec le soutien du Centre Interdisciplinaire d’Études et de Recherches sur l’Allemagne (CIERA) et du Centre d’Histoire des Systèmes de Pensée Moderne (CHSPM) de l’Université Paris-I Panthéon-Sorbonne. Le programme de formation-recherche était co-organisé par l’université Humboldt de Berlin et l’université de Paris-IV Sorbonne entre 2009 et 2011. Il s’agissait d’analyser à travers divers types de manifestations scientifiques en quel sens la présence française (personnalités résidant ou voyageant en Prusse-Brandebourg, publications diffusées, contacts épistolaires) a pu contribuer à la constitution d’une sphère intellectuelle en Prusse entre Aufklärung et Vormärz.
2 Netzwerke des Wissens. Das intellektuelle Berlin um 1800, dir. par Anne Baillot, Berlin, 2011. Le volume 2 de la collection se penche plus spécifiquement sur la question des transferts culturels franco-allemands : Französisch-deutsche Kulturräume um 1800. Bildungsnetzwerke – Vermittlerpersönlichkeiten – Wissenstransfer, dir. par Anna Busch, Nana Hengelhaupt, Alix Winter, Berlin, 2012.
3 Nous regrettons en particulier de n’avoir pu inclure dans ce volume de contribution
4 portant sur les représentants de la Popularphilosophie tardive.
Dans son article « Die Genese des Intellektuellen im Prozess der Kommunikation. Friedrich Melchior Grimms ‘Correspondance littéraire’, Voltaire und die Affäre Calas » (in : Geschichte und Gesellschaft, 33/2, Göttingen, 2007), Kirill Abrosimov renvoie (p. 164, note 3) à trois ouvrages pour lui symptomatiques d’une historiographie crispée sur l’Affaire Dreyfus comme acte de naissance de l’intellectuel : Jean-François Sirinelli et Pascal Ory, Les Intellectuels en France de l’Affaire Dreyfus à nos jours, Paris, 1986 ; Christophe Charle, La naissance des intellectuels (1880-1900), Paris, 1990 ; Jacques Julliard et Michel Winock, Dictionnaire des intellectuels français. Les personnes. Les lieux. Les moments, Paris, 1996. Kirill Abrosimov oppose à ces analyses celles de Pierre Bourdieu et de M. Rainer Lepsius (ibid., notes 4 et 6). Notons que Christophe Charle a ensuite élargi ses recherches à l’Europe et à l’ensemble du XIXe siècle.
5 Cf. Christophe Charle, Les intellectuels en Europe au XIXe siècle, Paris, 1996, p. 16.
6 Cf. Hans H. Gerth, Bürgerliche Intelligenz um 1800, Göttingen, 1976.
7 Cf. Helmut Berding (dir.), Nationales Bewußtsein und kollektive Identität (Francfort-sur-le Main, 1994), qui propose la définition suivante : « Zu Intellektuellen werden Angehörige der Intelligenzberufe, wenn sie ihre Stimme im Namen der Allgemeinheit erheben, also den engen Rahmen ihrer individuellen Kompetenzen überschreiten » (p. 347, note 5) ; voir aussi Bernhard Giesen (dir.), Nation und kulturelle Identität. Studien zur Entwicklung des kollektiven Bewußtseins in der Neuzeit (Francfort-sur-le Main, 1991), ainsi que, du même, Die Intellektuellen und die Nation (Francfort-sur-le Main, 1993).
8 Voire même plus tôt si l’on en croit Luise Schorn-Schütte dans Intellektuelle in der Frühen Neuzeit, Berlin, 2010.
9 C’est le point de départ même de l’analyse de Kirill Abrosimov (cf. note 4).
10 Sur la notion de « philosophe » entre France et Allemagne à cette période, cf. Die Formen der Philosophie in Deutschland und Frankreich/Les formes de la philosophie en Allemagne et en France (1750-1830), dir. par Anne Baillot et Charlotte Coulombeau [Morel], Hanovre-Laatzen, 2007. Sur le terme de Gelehrte, voir la contribution de Charlotte Morel dans ce volume.
11 La politique francophile de Frédéric II, qui marque la seconde moitié du XVIIIe siècle en Prusse, s’inscrit de surcroît dans le prolongement d’une politique d’accueil de réfugiés français qui remonte au siècle précédent. Sur l’aspect proprement linguistique de l’évolution de la présence française en Marche-Brandebourg, on consultera avec profit l’ouvrage de Manuela Böhm : Sprachenwechsel. Akkulturation und Mehrsprachigkeit der Brandenburger Hugenotten vom 17. Bis 19. Jahrhundert, Berlin, 2010.
12 Sur l’européanisation de l’espace public aux XVIIIe et XIXe siècles en général, cf. Jörg Requate, Martin Schulze (dir.), Europäische Öffentlichkeit. Transnationale Kommunikation seit dem 18. Jahrhundert, Francfort-sur-le-Main, 2002. Voir aussi, plus spécifiquement sur la période napoléonienne, l’article d’Iwan d’Aprile, « Europäische Pressenetzwerke im napoleonischen Zeitalter », in : Netzwerke des Wissens (cf. note 2).
13 Cf. Pierre Macherey, À quoi pense la littérature ?, Paris, 1990, chapitre 2 : « Un imaginaire cosmopolite : la pensée littéraire de Mme de Staël ».
14 Au sens où Pierre-Yves Beaurepaire parle d’un « mythe de l’Europe française au XVIIIe siècle » dans l’ouvrage du même nom (Paris, 2007).
15 Dinah Ribard, Raconter, vivre, penser. Histoires de philosophes 1650-1766, Paris, 2003, p. 23.
16 Cf. Voltaire, Dictionnaire philosophique, Paris, 1994, article « Lettres, gens de lettres ou lettrés », p. 349 : « Les gens de lettres qui ont rendu le plus de services au petit nombre d’être pensants répandus dans le monde sont les lettrés isolés, les vrais savants renfermés dans leur cabinet, qui n’ont ni argumenté sur les bancs de l’université, ni dit les choses à moitié dans les académies ; et ceux-là ont presque tous été persécutés ». Il s’agit évidemment d’un plaidoyer pro domo. Sur la conception de l’homme de lettres, « enclume » ou « marteau », développée par Voltaire, cf. Vanessa de Senarclens, « Zwischen Amboss und Hammer ? Der Diskurs über die Position des Schriftstellers in der Gesellschaftdes 18. Jahrhunderts anhand der Mémoires pour servir à la vie de M. de Voltaire, écrits par lui-même », in : Netzwerke des Wissens (cf. note 2).
17 Sur la démarche comparative en philosophie, cf. Bertrand Binoche, La raison sans l’histoire, Paris, 2007, p. 392 : « Pourquoi donc comparer ? Pour caractériser précisément cela, qui interdit aux philosophes d’être même en désaccord, à eux qui, au propre comme au figuré, ne parlent pas la même langue. Pourquoi comparer ? Pour repérer l’hétérogénéité des philosophies comme pratiques ».
18 Cf. Immanuel Kant, « Le conflit des facultés » in : Œuvres, vol. III, Paris, 1986, p. 813. L’université se distingue d’ailleurs des Académies qui représentent comme un « état de nature du savoir », c’est-à-dire une structure lâche où des individus « s’occupent en amateurs, chacun pour lui-même, sans instruction ni normes publiques, à l’élargissement ou à la diffusion du savoir » (ibid., p. 814).
19 Texte cité dans : Johann Gottlieb Fichte, Lettres et témoignages sur la Révolution française, textes traduits et édités par Ives Radrizzani, Paris, 2002, p. 120.
20 On consultera sur ce point l’ouvrage de Christopher Kelly : Rousseau as author. Consecrating one’s life to the truth, Chicago/Londres, 2003.
21 Les historiens ont ainsi renoncé à une idée longtemps présente dans l’historiographie allemande, selon laquelle la Révolution française et les réformes prussiennes consécutives à la défaite de 1806 constitueraient deux modèles alternatifs sans rapport direct entre eux. Cf. Helmut Berding, Étienne François, Hans-Peter Ullmann (dir.), La Révolution, la France et l’Allemagne, deux modèles opposés de changement social ?, Paris, 1989.
22 À cet égard, l’espace autrichien aurait pu également être évoqué à travers les figures de F. Gentz und F. Schlegel, devenus conseillers de Metternich.
23 Cf. Catriona Seth, « L’Institut et les prix littéraires », in : L’Empire des muses. Napoléon, les arts et les lettres, Paris, 2004, dir. par Jean-Claude Bonnet, p. 121.
24 Cf. Florence Lotterie : « Madame de Staël et ‘l’esprit de Coppet’ : une littérature d’opposition ? » in : L’Empire des muses (cf. note 23), p. 133.
25 L’historien Reinhart Koselleck parle d’époque « selle de cheval » (Sattelzeit), une expression désormais communément utilisée pour désigner la période. Cf. ses analyses dans Zeitschichten (Francfort-sur-le-Main, 2003) et Begriffsgeschichten (Francfort-sur-le-Main, 2006).
26 Cf. Dominique Reynié, Le triomphe de l’opinion publique. L’espace public français du XVIe au XXe siècle, Paris, 1998, p. 225. L’auteur montre les différences de finalité existant entre la censure de l’Ancien Régime, qui veut limiter « la manifestation d’une opinion collective » et celle du XIXe siècle, qui s’en prend à « la manifestation collective d’une opinion », c’est-à-dire à la force représentée par les masses assemblées. Cependant, D. Reynié montre l’inefficacité de ces stratégies, qui aboutissent aux lois sur la liberté de la presse de 1881. À travers celles-ci, l’autorité politique comprend que la promotion de l’espace public et des libertés qui y sont attachées peut assurer durablement le maintien de l’ordre public. En ce sens, il est tout de même possible d’étudier la période allant de Malesherbes aux lois de 1881 comme un tout.
27 Ainsi que le montre D. Reynié (cf. note 26), le fait d’opiner devient synonyme de participation politique, aux yeux du pouvoir politique et de certains membres de l’élite intellectuelle, et se comprend par opposition à l’action collective et physique des masses. Cf. ibid., p. 164 : « En valorisant l’espace de l’imprimé comme espace public légitime, les clercs œuvreront donc en même temps pour leur propre compte et pour celui de l’autorité. Ils le feront notamment en usant de leur liberté d’imprimer pour participer à la disqualification de l’espace social comme espace public légitime ». Mais les conflits politiques et sociaux qui traversent le XIXe siècle rendent plus difficile cette façon d’imposer l’espace public.
28 Sur les salons berlinois, cf. l’ouvrage standard de Petra Wilhelmy-Dollinger, Der Berliner Salon im 19. Jahrhundert, Berlin, 1989. Sur les exigences morales comme ciment des sociétés savantes autour de 1800, cf. Uta Motschmann, Schule des Geistes, des Geschmacks und der Geselligkeit. Die Gesellschaftder Freunde der Humanität (1797-1861), Hanovre-Laatzen, 2010.
29 Cf. L’Empire des muses (cf. note 23), introduction de J.-C. Bonnet, p. 16 : « Sous prétexte de faire taire les factions et d’éteindre les passions politiques, Napoléon croyait pouvoir mener aisément le jeu entre les groupes rivaux, mais les écrivains de la stature de Chateaubriand (ou de Madame de Staël) qui étaient de vrais leaders d’opinion avec leur réseau d’influence, n’étaient pas prêts à faire allégeance : leur magistrature ne pouvait se confondre, selon la haute idée qu’ils continuaient à s’en faire, avec un vague service public vassalisé ; elle impliquait tout au contraire une participation active à la vie politique ».
30 Lotterie (cf. note 24), p. 146.
31 Cf. Paul Bénichou, Le sacre de l’écrivain 1750-1830. Essai sur l’avènement d’un pouvoir spirituel laïque dans la France moderne, Paris, 1996 [1973].
32 Cf. Roger Chartier, Les origines culturelles de la Révolution française, Paris, 1990 et 2000 pour les préface et postface, p. 128 : « C’est à partir de l’événement [révolutionnaire] qu’a été constitué un corpus d’œuvres et d’auteurs tenus pour l’avoir préparé et annoncé ».
33 Cf. Jacques Domenech, article « anti-lumières », in : Michel Delon (dir.), Dictionnaire européen des Lumières, Paris, 2007, p. 96-102.
34 Cf. Benjamin Constant, « De l’esprit de conquête et d’usurpation » in : Écrits politiques, Paris, 1997, p. 259, où Constant raille les savants et théoriciens politiques qui se croient hommes d’État.
35 Cf. Lucien Jaume, L’individu effacé ou le paradoxe du libéralisme français, Paris, 1997, p. 427.
36 Cf. Germaine de Staël, De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales, Paris, 1991 [1800], p. 293 : « Toutes les récompenses de la monarchie, toutes les distinctions qu’elle peut offrir, ne donneront jamais une impulsion égale à celle que fait naître l’espoir d’être utile. La philosophie elle-même n’est qu’une occupation frivole dans un pays où les lumières ne peuvent pénétrer dans les institutions ». Et elle ajoute un peu plus loin, p. 293-294 : « Vers le XVIIIe siècle, quelques écrivains français ont conçu pour la première fois l’espérance de propager utilement leurs idées spéculatives ; leur style en a pris un accent plus mâle, leur éloquence une chaleur plus vraie ».
37 Cf. Jean-Claude Berchet, « Le Mercure de France et la renaissance des lettres », in : L’Empire des Muses (cf. note 23), p. 23. Il évoque l’opposition entre écrivains libéraux d’une part, défenseurs d’une République héritière des Lumières, dont la Décade est la revue de référence et les écrivains conservateurs de l’autre, réunis autour de Fontanes et du Mercure de France, qui renaît en juin 1800.
38 Cf. Germaine de Staël, De l’Allemagne, Paris, 1968 [1813], t. II, particulièrement les chapitres intitulés « De la philosophie française » et « De la morale fondée sur l’intérêt personnel », où les Idéologues et un certain nombre d’auteurs des Lumières sont critiqués. Sur le rapport de Mme de Staël et Benjamin Constant à la figure du philosophe du XVIIIe siècle, cf Ayşe Yuva, « G. de Staël, B. Constant et les ‘philosophes du XVIIIe siècle’ : un héritage contrarié », in : Philonsorbonne no 4, Paris, 2010, p. 85-108.
39 Cf. Domenico Losurdo, Autocensure et compromis dans la pensée politique de Kant, Lille, 1993, p. 188.
40 Cf. André Tosel, Kant révolutionnaire. Droit et politique, Paris, 1988, p. 86 sq.
41 C’est le sujet de l’exposé donné par Philippe Büttgen dans le cadre du colloque « Les figures de l’intellectuel » de novembre 2011, dont le texte ne figure cependant pas ici.
42 Cf. Leo Strauss, « La persécution et l’art d’écrire », version de 1941, in : Laurent Jaffro (dir.), Leo Strauss. Art d’écrire, politique, philosophie, Paris, 2001, p. 37.
43 Pour donner un exemple parmi d’autres, c’est le cas Johann Benjamin Erhard, Über das Recht des Volks zu einer Revolution, Francfort-sur-le-Main, 1976, p. 8
44 Alexis Philonenko et Alain Renaut ont ainsi vigoureusement remis en cause la position « continuiste » de Xavier Léon et de Martial Guérout, sans que la question puisse, nous semble-t-il, être définitivement tranchée pour autant. Il s’agit ici d’envisager le problème en d’autres termes, selon la logique même des textes fichtéens, ainsi que le fait Charlotte Morel.
45 Le rôle éminemment polarisateur de Fichte dans le contexte allemand de la période dont il est question dans ce volume apparaît nettement. Toutes les contributions sur l’Allemagne reviennent ainsi, d’une manière ou d’une autre, sur cette figure singulière.