Platon apprend à écrire. Le philosophe et l’écriture d’Aristophane dans l’anthropologie de Diego Lanza
p. 163-174
Texte intégral
Le chemin de la désobéissance
1Avec sa Carte postale1, Jacques Derrida a rendu célèbre l’image, due au miniaturiste anglais Matthew Paris, qu’on voit au frontispice d’un ouvrage curieux et ingénieux – un fortune-telling book, un liber fortunae ou liber fati, qui porte le titre Prenostica Socratis basilei (XIIIe siècle) – conservé dans un manuscrit composite de sujet astrologique et divinatoire, à la Bibliothèque bodléienne d’Oxford (MS. Ashmole 304, fol. 31 V°)2. Dans la miniature de Paris, Socrate, le calame dans la main droite et le petit couteau pour effacer dans la main gauche, est en train d’écrire, alors que Platon, derrière lui, avec des signes étudiés des mains, lui donne des instructions sur ce qu’il doit écrire et sur la façon dont il doit l’écrire, mais aussi, évidemment, sur ce qu’il doit effacer et sur la manière dont il doit le faire. Il s’agit d’une image parfaite – il faut le reconnaître à Derrida et à son livre magistral – du statut de Platon en tant qu’auteur. La philosophie, le dialogue philosophique, comme discours adressé à soi-même, mais jamais livré, car détourné pour toujours par les chemins de l’écriture, de ses jeux de personnages – Socrate d’abord –, de milieux, de cadres narratifs, d’anamorphoses de la mémoire…
2Socrate apprend à écrire de Platon : c’est comme dire, Platon apprend à écrire de soi-même, Platon est l’auteur, le seul et unique auteur. Au-delà, rien. Voilà la signification du petit couteau pour effacer : « Platon était malade », dit le Phédon3. Ici, à l’endroit exact où Platon veut que tout le monde s’arrête, Derrida s’arrête. Ici, sur le seuil du refoulement comme principe interne à l’écriture, de nombreux lecteurs se sont arrêtés : assez souvent, sinon presque toujours, par respect du dictat disciplinaire (la philosophie), beaucoup plus rarement, comme dans le cas de Derrida, par le plaisir d’une immersion abyssale dans le sortilège (et dans le venin – la pharmacie) de l’écriture en soi et pour soi, en tant qu’organe auto-dirigé. Cela pourrait sembler tout à fait légitime et compréhensible : au-delà de l’auteur, il n’y a plus rien, il y a seulement le sujet irrécupérable. Certes, si nous obéissons à l’injonction de l’auteur, il n’y a d’autre choix que la capitulation. Pourrait-on lui désobéir ? Bien sûr. Par désobéissance, nous pourrions répondre qu’au delà de l’écriture d’un auteur, il y a toujours au moins une autre écriture. Commence alors un jeu qui peut prendre plusieurs directions : il y a le chemin qu’avec Foucault nous pourrions appeler de l’inter-discursivité entre pratiques, rhétoriques, savoirs, politiques et pouvoirs ; et il y a le chemin herméneutique, qui lit à contre-jour les jeux et les mouvements par lesquels le sens se constitue dans les textes, dans un dialogue tendu avec la tradition4.
3Mais un troisième chemin est possible, celui de la désobéissance absolue à la prescription de l’auteur. Il consiste à se demander quelle est l’autre écriture : non pas, bien entendu, une autre ou d’autres écritures, mais bien l’autre écriture qui se trouve à l’intérieur de celle qui, à son tour, nous commande de ne pas chercher au-delà d’elle-même. Ce n’est pas l’engrenage de l’archive (Foucault), avec son transcendantalisme discursif, ni l’école herméneutique, avec sa critique de la tradition. Car nous ne sommes pas ici sur le plan du discours (Foucault), ni non plus sur le plan du texte (herméneutique), mais sur celui de l’écriture quand le discours et le texte ne sont pas encore visibles. Il s’agit de l’écriture quand elle explore son terrain, voire quand elle explore sa « prise de possession d’un terrain » et, donc, quand l’auteur ne se présente pas encore comme fonction discursive (archive) ou comme auteur consacré par l’institution (herméneutique), mais comme « agoniste » ou, si l’on préfère, comme « performer »5.
4Il est clair que, pour consommer cette « rébellion », nous-mêmes, les lecteurs, devons transgresser les interdictions disciplinaires et institutionnelles pour nous donner une position qui ne s’identifie avec aucune idéologie épistémique (l’anthropologie, la philosophie, la philologie), ni non plus avec le rôle de l’interprète6. Nous sommes intéressés plutôt par le lecteur « co-agoniste » de l’auteur, un lecteur qui expérimente et vérifie l’écriture. C’est le genre de lecteur qu’incarne Roland Barthes7, le lecteur qui fait du texte son propre objet de plaisir et, surtout, ne vénère pas l’auteur. « Le diable les emporte tous (…) les laudateurs, les admirateurs et les fidèles » – disait Nietzsche, l’abatteur de toutes les idoles8 – car il n’existe aucun plaisir là où il y a vénération et interdictions. A-t-on jamais parcouru ce troisième chemin ?
Une écriture dans l’autre
5Au centre du livre de Diego Lanza, Lo stolto. Di Socrate, Eulenspiegel, Pinocchio e altri trasgressori del senso comune (Einaudi, Turin, 1997) se trouvent deux écritures anciennes, Platon et Aristophane9. Le souffle du livre est sans aucun doute très large. Si on devait en donner une définition, on dirait qu’il s’agit d’une enquête anthropologique sur l’une des figures les plus inquiétantes de l’altérité dans la tradition culturelle ancienne et européenne : l’image du bouffon/fou/idiot qui habite le monde de la fable comme du roman de science-fiction, les écritures sacrées comme le Doktor Faustus de Mann, l’Odyssée comme la comédie d’Aristophane, le Pinocchio de Collodi ou le dialogue platonicien. Ici, nous sommes intéressés par un segment de ce vaste souffle, un fragment, qui, d’après nous, est aussi son fondement méthodologique : le rapport entre l’écriture de Platon et celle d’Aristophane. Il faut rappeler, à ce propos, qu’à sa publication le livre de Lanza suscita beaucoup d’irritation, non pas, à vrai dire, dans la communauté des antiquisants, mais, ce qui est plus significatif, dans le gotha des journalistes-écrivains italiens : en très peu de temps, la Stampa et La Repubblica firent paraître deux articles (signés, respectivement, par Bartezzaghi et par Malerba, alors que Guido Davico Bonino refusa son accord pour un compte-rendu dans l’Index des livres), d’où ressortait clairement la raison du malaise. Quelqu’un avait rapproché le Socrate platonicien du bouffon d’Aristophane et de Pinocchio, quelqu’un montrait le filigrane de l’idiotie et évoquait le ricanement du fou derrière les épaules prestigieuses de la philosophie. En effet, le point central du livre est exactement celui-ci, et il court nécessairement sur le fil du rapport entre Aristophane et Platon. Mais n’était-il pas évident en soi, depuis longtemps déjà, depuis l’Antiquité elle-même, qu’entre le dialogue philosophique de Platon et le théâtre courait une affinité élective très étroite ? Aristophane et Agathon, le poète comique et le poète tragique, n’étaient-ils pas des personnages du Banquet ? Le caractère magistral et poétique de l’écriture platonicienne n’a-t-il pas été toujours reconnu, à travers les siècles ? Où se trouve, dès lors, le scandale ?
Sur sa (d’Aristophane) scène alternent et se mêlent des personnages emblématiques, aux noms parlants (Dicéopolis, Agoracritos, Strepsiade, Philocléon, Bdélycléon, Trygée, Pisthétairos, Evelpidès, Lysistrata, Praxagora), héros ou dieux (Hermès, Dionysos, Héraclès, Iris, Prométhée, Ploutos), personnages de la réalité historique du temps (Cléon, Lamachos, Socrate, Euripide, Agathon), personnages allégoriques (Peuple, Guerre, Abondance, Fête, Souveraineté, Misère), et personnages, pour la plupart anonymes, tirés de la vie de tous les jours (artisans, petits commerçants, sycophantes, fonctionnaires de l’administration citoyenne). Le miroir et tout à la fois l’ordonnateur suprême de ce fouillis, c’est le langage. Un langage qui change tout le temps de registre (…), un langage, surtout, qui superpose sans arrêt propriétés dénotatives et valeurs connotatives et/ou métaphoriques (…). Le va-et-vient des signifiés, qui se multiplient, et les synergies produites par leurs croisements et par leurs reflets constituent le niveau complexe de la communication comique d’Aristophane10.
On peut dire que dans ce théâtre (de Platon) revit toute entière, ou presque, l’Athènes intellectuelle de la deuxième moitié du Ve siècle : les poètes, les hommes de science, les hommes politiques, les notables cultivés, et surtout les sophistes. Mais tous ces gens parlent, inévitablement, la langue du IVe siècle, semblent occupés par des problèmes en partie propres au Platon de la maturité, qui revient avec un regard critique sur ses années d’adolescence (…) : des réflexions sur l’identité civique s’entrecroisent avec des formes du savoir initiatique, les usages du banquet se plient à des spéculations cosmogoniques, le langage du quotidien se prête à l’élaboration, comme cachée, mais pas moins efficace pour autant, d’un vocabulaire théorique rigoureux. (…) Au milieu de ce théâtre se trouve Socrate. Protagoniste du dialogue, parfois même son narrateur, il interprète toujours son propre rôle avec l’autorité du premier acteur : il limite le périmètre de la scène, force à parler les interlocuteurs les plus récalcitrants, les pousse à se taire quand ils ne sont plus utiles, et, avec tous, établit un rapport direct (…). Sa présence, de ce point de vue, n’est pas très différente de celle du protagonistès dans la comédie du Ve siècle : l’action naît de son intolérance vis-à-vis d’une situation de la vie quotidienne, et de son intolérance vis-à-vis d’une coutume, d’un discours, de l’usage d’une seule parole, on va, comme par magie, dévidant un dialogue qui peu à peu atteint des horizons spéculatifs et mythopoïétiques qui seraient, dans tout autre contexte, invraisemblables11.
6De ces deux extraits cruciaux, on déduit clairement la méthode : Aristophane et Platon sont deux intellectuels qui réfléchissent un monde (Aristophane directement, Platon de façon romanesque, au passé), le déversent dans un langage et l’écrivent, le racontent, dans les faits et dans la mémoire, dans ses tensions culturelles et politiques, dans ses ambitions, dans ses hallucinations et dans ses aberrations. Il s’agit d’un geste simple, si l’on veut, mais capable de grands effets : d’un coup, on dépasse les codes et les disciplines, la comédie et la philosophie, non parce qu’ils n’auraient pas de rôle à jouer, mais parce qu’ils sont réintégrés dans un ensemble ultérieur et beaucoup plus vaste, que l’on ne peut appeler qu’écriture. Des habitudes de lecture bien enracinées s’écroulent toutes seules, des constellations épistémiques se décomposent. Avec ce livre, Lanza a ouvert une brèche considérable dans les certitudes plus ou moins conscientes de la tradition culturelle et de la critique contemporaine. Même l’anthropologie, dont l’auteur fait large usage dans son analyse, ne constitue pas le but ultime du livre : elle en est seulement un outil, un instrument de travail choisi et utilisé jusqu’à un certain point, jusqu’où c’est utile12.
7L’inquiétante intimité entre les écritures de Platon et d’Aristophane, cette contagion imaginaire et intellectuelle qui s’instaure dans le jeu des textes, a donc semblé scandaleuse. Il est vrai que Platon parsème ses dialogues d’indices voyants ou, pour ainsi dire, de dépouilles aristophaniennes : le Socrate du Phédon qui fait allusion à la parodie de son personnage mise en scène dans les Nuées ; le Socrate du Banquet affirmant que le véritable dramaturge doit savoir écrire à la fois des tragédies et des comédies ; la débordante présence du féminin et du travestissement (Socrate-Diotime ; Socrate-sage-femme) ; les métaphores animales (la taxinomie du Politique, par exemple, avec la très célèbre image de l’âme ailée et du faux-bourdon qui pervertit le tyran) ; la langue des mystères ; les projets d’une cité alternative… Même le thème de la génération intellectuelle – qui constitue le pivot du chemin érotique vers la connaissance et un des intérêts principaux de Lanza – ne fait que renchérir sur une métaphore utilisée avec insistance par Aristophane : nous nous souvenons sans doute tous du passage des Nuées où le poète comique se présente comme une fille-mère qui avait engendré en dehors du mariage, pour faire allusion à ses propres créations avant ses débuts officiels13. Mais cette dissémination est et reste une brillance qui n’éclaire pas, un bégaiement éteint destiné à retomber inévitablement dans le commentaire, dans le littéraire, dans l’objectivisme anthropologique, si l’on n’affronte pas le problème sur le plan de la contagion et du duel entre écritures. L’interdiction platonicienne, nous pouvons bien le dire aujourd’hui, a fonctionné par-delà les siècles et nous a atteints. Avec Lo stolto, Lanza la brise profondément, en s’ouvrant, à travers les pages des dialogues platoniciens, un chemin de désobéissance absolue.
L’autre écriture : le revenant
8Le chemin que Lanza a inauguré avec son livre n’a pas été très suivi par la suite, bien qu’il restât encore beaucoup à explorer, plusieurs questions à formuler. Certes, il s’agit d’un passage de témoin difficile, car les questions laissées ouvertes ne sont pas facilement accessibles et se heurtent à plus d’une tradition savante et à plus d’une conviction figée par le temps. Je crois qu’il est intéressant – comme s’il s’agissait aussi d’un dialogue à distance avec l’auteur de Lo stolto – de poser ici quelques questions. De l’analyse de Lanza on déduit que dans l’écriture platonicienne – nous le disions au début – il y a une autre écriture pleinement active, qui n’est pas une parmi les nombreuses écritures possibles, mais celle prédominante, l’autre écriture (d’Aristophane). Nous ne parlons pas, donc, de simples mémoires partagées, qu’elles soient littéraires ou anthropologiques, mais de véritables stratégies. L’écriture d’Aristophane serait, on peut le dire par métaphore, un corps étranger qui agit à l’intérieur de l’écriture platonicienne. Si cela paraît hétérodoxe, qu’on pense alors, par analogie, au rapport entre Aristophane et Euripide. Dans l’écriture d’Aristophane, l’écriture d’Euripide bouge, parle et accomplit – littéralement – des actions : la critique a souvent défini cette présence comme « para-tragédie », la normalisant et la cantonnant au niveau d’un code du comique. Il est vrai que la parodie de la tragédie est depuis toujours une habitude de la pratique comique, mais il est aussi vrai qu’une habitude codifiée peut être employée différemment par un auteur. Et il n’y a aucun doute que, chez Aristophane, l’écriture d’Euripide fonctionne comme quelque chose de plus qu’un schéma ou une technique du ridicule : elle est une configuration intellectuelle, un centre prospectif.
9Rossella Saetta Cottone a soutenu que l’Euripide d’Aristophane est la projection du poète comique au travail14 : l’écriture d’Euripide est le double de celle d’Aristophane, car elle l’envahit avec ses problèmes, avec ses thèmes, avec son point de vue sur la cité et sur l’univers auquel elle appartient et que, de tragédie en tragédie, elle représente. Ce même mécanisme fonctionne entre Platon et Aristophane. Exactement comme un artiste apprend par un autre, c’est par Aristophane que Platon apprend à représenter un monde et, avant tout, il apprend le jeu structurel de l’écart entre le réel et l’imaginaire, entre le quotidien et l’impossible, entre l’Athènes vraisemblable et une Athènes de mirage. Deuxièmement, puisque la comédie d’Aristophane est un grand dispositif régulateur du discours, le philosophe apprend d’elle l’ordre de l’affabulation : l’in and out de l’auteur sur la scène, le jeu des cadres narratifs, le ventriloquisme à l’intérieur des personnages, le kaléidoscope des images les plus usées régénérées par leur resémantisation, le clic explosif du langage. Un seul objet platonicien est étranger à la fabrique d’Aristophane : l’icône solennelle et terrifiante du tyran/roi qui, en effet, vient de l’horizon tragique et que le philosophe a à son tour transformée sinon absolutisée, en en faisant, sciemment, le point aveugle de son discours politique. Mais cela nous amènerait sur d’autres territoires.
10L’analyse que nous avons menée jusqu’ici revendique qu’on reconnaisse au théâtre d’Aristophane quelque chose que peu, voire très peu de chercheurs sont disposés à lui concéder. La tradition des études entend la comédie d’Aristophane (et la comédie en général) de trois façons principales : 1) comme littérature ; 2) comme code théâtral (actorialité-actantialité-temporalité-langue-musique-chant) ; 3) comme conglomérat anthropologique. Différentes approches du théâtre d’Aristophane combinent et mélangent différemment ces trois plans. Plus rarement, les interprètes focalisent leur attention sur le niveau dramaturgique : tout le monde sait que la dramaturgie est l’écriture-du-théâtre (pour-le-théâtre), mais nombreux sont ceux qui la superposent au code15 : la dramaturgie est plutôt le comment du code, le comment du théâtre, et elle constitue, par conséquent, le discours de l’auteur, c’est-à-dire son écriture. L’écriture court sur la trame de la réplique, du temps, du personnage, de l’action scénique, de la vocalité, sans s’identifier avec eux, car elle n’est pas (seulement) une technique, mais une stratégie intellectuelle. Il n’est pas fréquent de lire un essai ou un livre sur Aristophane, et en général sur le théâtre ancien, qui essaye de restituer – quelles que soient la manière et la perspective choisies – le discours de l’auteur. C’est un problème d’idéologie de la lecture. Peu d’antiquisants sont disposés à lire Aristophane ou Euripide comme Shakespeare ou Beckett : dans de nombreux domaines de recherches théâtrales, le message de Jan Kott et de son grand livre, Shakespeare notre contemporain, n’a pas encore été reçu. Mais Platon lisait sûrement Aristophane, certainement pas en faisant abstraction du code et de la donnée théâtrale en soi, car il en tirait profit, mais au-delà du code et au-delà de la donnée théâtrale en soi. Il le lisait comme un écrivain. Nous pouvons alors nous poser une autre question. Y a-t-il des traces, chez Aristophane, d’un jeu au second degré avec l’écriture considérée en tant que telle ?
11Une scène des Thesmophories est, de ce point de vue, fondamentale (vv. 134-145) :
Et toi, petit jeune homme, j’ai envie de te demander,
comme Eschyle dans sa Lycurgie, quelle sorte de femme tu es.
D’où vient ce féminhomme ? Quelle est sa patrie ? Ce costume ?
Qu’est-ce que c’est, cette confusion de mœurs ? qu’est-ce que le luth
a à voir avec la tunique safran, et la lyre avec la résille,
la fiole à huile avec le soutien-gorge ? Ca n’est pas cohérent !
C’est quoi au juste, l’affinité entre le miroir et l’épée ?
Et toi, mon gars, est-ce que tu es un homme ?
Mais où est ta queue ? et ton manteau ? et tes sandales à la spartiate ?
Tu es une femme, alors ? Mais où sont tes seins ?
Tu dis ? Tu ne dis rien ? Alors c’est dans ton chant
que je dois chercher qui tu es, puisque tu ne veux pas t’expliquer ?16
12C’est le parent d’Euripide qui parle. Ses questions sont la réaction excessive et bouffonne, mais pas moins déconcertée pour autant, à l’image d’Agathon, le poète tragique. Quel est ce « corps » seulement fait d’apparence, où tout est dépareillé, embrouillé, dans un bouleversement absurde et inquiétant ? Dans sa longue réflexion sur l’écriture platonicienne et théâtrale et, en particulier, autour de la figure d’Agathon chez Platon et chez Aristophane, Maria Tasinato a écrit : « le fantôme d’Agathon, dans le laps de temps où il apparaît, pour disparaître aussitôt de la scène, attire l’attention sur le laboratoire de l’auteur, c’est-à-dire sur le lieu où celui-ci est déjà en train de concevoir et d’écrire son œuvre, en s’imaginant comme un autre dans l’acte même d’imaginer un personnage »17. Comme la Madame Pace des Six personnages en quête d’auteur, Agathon, en effet, apparaît sur la scène comme un deus ex machina, et en ce sens la référence à l’enkúklema du vers 96 est fondamentale18. L’Agathon qui parle, à la différence de tous les autres personnages des Thesmophories, comme un livre écrit19 n’est pas, en effet, un corps, ni non plus une nature avec un genre, mais une forme, un daimon, un simulacre. Le mélange troublant et stupéfiant de masculin et de féminin ne renvoie pas à une donnée réelle, mais à la simultanéité des plans du langage et à leur (re)mise-en-forme-d’auteur qu’est l’écriture. L’Agathon des Thesmophories nous oblige à transgresser l’injonction du code (tragédievs comédie) et de sa sur-codification (la parodie, la norme), pour puiser à une autre dimension où seuls existent l’ordre et le flux du discours de l’auteur, celui qui va produire le grand théâtre moderne et contemporain. Platon, lecteur et spectateur très attentif d’Aristophane, avait très bien compris le jeu qui sous-tend cette scène des Thesmophories : plus précisément, il avait compris l’Aristophane qui pense à sa propre écriture comme à un fantôme de quelque chose (Agathon, par métaphore) à l’intérieur de son propre discours. Et voici le Socrate-Silène : quand, par la bouche d’Alcibiade, Platon attribue non seulement au personnage Socrate, mais aussi à sa parole l’artifice du Silène qui s’ouvre et montre une altérité insoupçonnable (Banquet, 221d ss.), il est en train de prêcher quelque chose autour de sa propre écriture (car, on le sait, l’oralité, chez Platon, n’est rien d’autre qu’un déplacement, un trope, de l’écrit).
Retour à l’histoire
13Mais comment comprendre, dès lors, qu’une écriture se pense et se révèle comme le fantôme de l’autre ? Sommes-nous en train, tout simplement, de jouer avec les mots de notre philosophie contemporaine ? Ici, c’est vrai, l’histoire et l’anthropologie peuvent nous secourir. Que l’on pense à la petite, très petite communauté d’intellectuels-écrivains qui habite Athènes. Je dis « Athènes », née à Athènes, car, dans ce cas, comme le dirait Nicole Loraux, l’idéologie de l’autochtonie compte beaucoup20, avec un sens de l’appartenance jalousement défendu. Car Athènes, avec Périclès, et encore plus avec la guerre, a consolidé de façon définitive sa vocation impérialiste ; c’est une cité internationale et un regard dominateur sur une grécité internationale, aussi bien sur le plan du pouvoir économique que sur celui du savoir. Que l’on pense maintenant à trois intellectuels-écrivains athéniens : Euripide, Aristophane, Platon. Que l’on pense à une date, par exemple l’année 407/6 : Euripide vient de mourir presque octogénaire, Aristophane a 38 ans, Platon 21 ans. Il s’agit pratiquement de trois générations qui à la fois se suivent et se côtoient. Alors qu’Euripide a servi d’intermédiaire avec le passé péricléen de l’avant-guerre, tous trois partagent un même monde, celui du conflit panhellénique : il est peut-être éclairant de penser, à l’opposé, qu’Eschyle et Sophocle, malgré la très longue vie de ce dernier, font décidément partie d’un autre univers générationnel, comme semblent l’attester les Grenouilles, qui écartent Sophocle et affublent Eschyle du rôle du vieux gardien de la tradition, là où le véritable duel poétique dans l’au-delà se joue (encore une fois) entre Aristophane et Euripide. De ces trois représentants de différentes générations intellectuelles21 Aristophane est celui qui, observant le théâtre d’Euripide, comprend la limite ultime du langage tragique, la prison de sa lexis et la cage terriblement contraignante du mythe : comme le montre sa dramaturgie, Euripide a lutté au maximum avec les moyens de son métier et de sa langue, pour se créer une écriture, en contaminant le tragique par le comique et par la langue quotidienne – comme l’a remarqué Anna Beltrametti22–, en dépliant jusqu’à leur point de rupture les récits traditionnels, en forçant la capacité d’extension du matériel créatif à sa disposition, et, clé poétique très puissante, en confiant souvent le théâtre aux femmes. Aristophane – un Aristophane très jeune, qui débute à l’âge de 17 ans – reçoit le rapport difficile d’Euripide avec l’écriture et le transforme en un héritage explosif à travers les moyens dont il dispose, la comédie, art et métier infiniment plus libres que la tragédie, sans hypothèques mythiques, sans diktats stylistiques : Aristophane est conscient d’avoir un espace plus grand et plus favorable au développement de l’écriture, au-delà du théâtre lui-même. Et Platon, au carrefour de ces deux expériences, les séquestre toutes les deux ; mais surtout celle d’Aristophane, qui contient aussi la précédente et la cache en son intérieur comme un secret de Silène, sans la tuer, la laissant vivante, mais la dissimulant dans des lieux fermés ou déserts : la caverne, la boîte du Silène, la prison de Socrate, la campagne solitaire du Phèdre. Il y a donc une différence fondamentale entre Platon et Aristophane : là où Aristophane montre tout, fait tout voir et transforme sa lutte avec l’écriture en un show off, laissant entendre clairement que son Euripide représente les dépouilles abandonnées de l’auteur comique sur la scène, Platon, au contraire, efface la plupart de ses traces, il tend à couvrir, à dissimuler. Là où Aristophane dit continuellement « Aristophane était là », non seulement dans les parabases de ses comédies, mais aussi, par exemple, à travers le fantôme d’Agathon et le personnage d’Euripide dans ses Grenouilles, Platon s’efface, disant ne pas avoir été là « car il était malade ». Derrière ces deux attitudes différentes il y a sans doute une façon différente d’être en relation avec le monde vécu, avec la même cité aimée-détestée. Mais cela nous amènerait à aborder des problèmes d’une autre nature. Parfois, Platon se sert de Socrate pour affirmer ce qu’il nie par ailleurs sur son rapport avec le maître de son écriture. Que l’on songe à la fin du Banquet : quand désormais tout le monde dort, seuls Socrate, Agathon et Aristophane restent réveillés, et le philosophe oblige – c’est ce que dit le texte, littéralement – ses interlocuteurs à admettre « que la même personne doit être capable de composer des comédies et des tragédies, et que l’auteur tragique, quand il est vraiment artiste, est aussi auteur comique » (223d). Il a été facile de dire, à ce propos, que Platon s’empare du théâtre tragique et comique pour le plier à son dialogue. Certes, cela est indubitable. Mais la « vérité vraie », est plus complexe : Agathon remplace ici l’Agathon personnage des Thesmophories et le rapport d’Aristophane avec la tragédie d’Euripide. Socrate et sa contrainte fonctionnent alors comme un scotonome pour confectionner un aveu censuré de la relation entre trois intellectuels et trois générations intellectuelles qui, enseignant les unes aux autres l’écriture, lui ont d’une certaine manière permis d’exister.
14Il y a un autre élément qu’il est peut-être utile de souligner avant de terminer ces brèves remarques. La génération d’Euripide-Aristophane-Platon a aussi inventé le livre/l’écriture comme objet du désir. Sur la scène du Phèdre – la dernière dans l’ordre chronologique – du célèbre rouleau de Lysias et la contre-réponse, d’abord fausse puis vraie, de Socrate23, il est sans doute inutile de revenir. Mais on signalera ici deux précédents. Dans les Grenouilles, l’élément qui allume à l’improviste (exaiphnes) le désir (pothos) de Dionysos pour Euripide est la lecture de l’Andromède (v. 53). Et l’esprit court, alors, des Grenouilles à l’Hippolyte, là où la nourrice évoque la bibliothèque – « la bibliothèque de l’entremetteuse », comme l’appelle de façon efficace Davide Susanetti – où sont gardés les écrits qui relatent les anciennes amours des dieux (v. 451 : graphas ton palaioteron) ; mais la mémoire court aussi, en même temps, à la célèbre « lettre de cachet » où est contenu le piège érotique destructeur de la fin24. Le livre qui rend l’esprit amoureux est l’icône tragique-comique-philosophique, le mirage sans doute le plus inquiétant qu’aient fabriqué ces trois intellectuels, engagés dans une réflexion sur leur propre travail – à la fois commun et antagoniste – d’écrivains/penseurs dans l’Athènes de la fin du Ve siècle. Nous ne pouvons pas ne pas voir, aussi, dans cette figure du livre amoureux –génialement mise en scène pour le public contemporain par Roland Barthes dans ses Fragments d’un discours amoureux – l’aveu d’un plaisir intellectuel inquiétant, peut-être obsédant, peut-être dévié, peut-être fou et par là ridicule, et, justement, stolto.
Bibliographie
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Stella M. (2006), L’Illusion philosophique. La mort de Socrate sur la scène des dialogues platoniciens, Grenoble.
Stella M. (2008), « Il falso Lisia: la scrittura della contraffazione nel Fedro platonico », Quaderni di Storia 67, p. 159-172.
Svenbro J. (1988), Le Lecteur et l’éromène. Paradigme pédérastique de l’écriture. Anthropologie de l’écriture en Grèce ancienne, Paris.
Tasinato M. (1985), Il velo, il morto, la scrittura. Interpretazione dell’Ippolito euripideo, Padoue.
Tasinato M. (2006), Al di là dell’imitazione. 26 telefonate sulla mimesis, Rome.
Tasinato M. (2007), Passeggiando con la mimesis. L’illusione teatrale tra antico e moderno, Verone.
Tasinato M. (2008), L’invidia del filosofo. Un complotto di Platone, Rome.
Tasinato M. (2010), La mimesis di Agatone, dans M. De Poli (éd.), Maschile e femminile. Genere ed eros nel mondo greco, Padoue.
Notes de bas de page
1 Derrida 1980.
2 Le livre contient une série de questions et de réponses : « Le demandeur tire un nombre de un à neuf en tournant une roue où est figuré le philosophe-roi, Socrate. Il consulte ensuite une première table de seize questions désignées chacune par une lettre de l’alphabet, une série de douze sphères comportant 144 noms d’oiseaux, de bêtes, de poissons, d’herbes, d’arbres, de fleurs, de fruits, d’épices, de pierres, de montagnes, de fleuves et de cités, puis une liste de seize rois, au-dessous desquels sont placées à chaque fois neuf réponses, où il peut trouver celle qu’il cherche ». Cf. Boudet 2006, p. 96.
3 Cf. Phédon, 59b. Pour la discussion autour de ce passage très célèbre, je renvoie à Stella 2006.
4 Pour Foucault, la référence est naturellement à l’Archéologie du savoir (1969). Quant à l’herméneutique, nous voulons ici nous limiter au monde ancien. La figure clé de la médiation (via Szondi – la critique – Celan – la poésie et la poétique – la philosophie) entre herméneutique et philologie classique est Jean Bollack. On renverra, en particulier, à son recueil La Grèce de personne. Les mots sous le mythe (1997) et aux essais qui y figurent sur Szondi, sur Celan-Heidegger et sur le Cratyle platonicien. Sur l’herméneutique de Jean Bollack, voir La Philologie au présent. Pour Jean Bollack (2010) et, en particulier, l’essai de Marc de Launay, « Pouvoir des textes », p. 83-92.
5 Pour éviter tout malentendu terminologique, précisons ici que dans la suite du texte nous n’entendrons pas l’auteur comme « autorité », c’est-à-dire comme jeu d’interdictions, comme configuration fermée ou orientée de manière univoque, mais, au contraire, comme jeu de possibilités.
6 Le lecteur-interprète, construction de l’herméneutique, est obligé de se confronter avec une autorité textuelle et, donc, avec une tradition (ce n’est pas un hasard si, aux origines de l’herméneutique contemporaine se trouve le spectre du Grand Livre, les textes sacrés).
7 Barthes 1973.
8 Nietzsche 1881. Sur le sens de l’interdiction nietzschéenne, voir Tasinato 2007.
9 Il est peut-être intéressant de savoir, pour le lecteur, qu’à Pavie, auprès du Département de Sciences de l’Antiquité, entre la fin des années 80 et le début des années 90, était en cours de construction un « laboratoire platonicien », dont la spécificité, au delà de la diversité des positions et des orientations, était la confrontation systématique avec le théâtre. On renverra, à ce propos, à Beltrametti 1991. L’expérience des philologues classiques de Pavie s’est par la suite partiellement superposée et rencontrée avec le séminaire sur la République de Platon réuni en 1994 par Mario Vegetti, au Département de Philosophie, et conclu en 2007 avec la publication chez l’éditeur Bibliopolis du Xe livre.
10 Lanza 1997, p. 201-202.
11 Lanza 1997, p. 216.
12 Dans l’introduction de son livre, Lanza déclare qu’il a surtout voulu lire des textes (cf. Lanza 1997, p. XV), sur la base de deux critères précis : 1) il ne faut pas céder, d’un côté, à leur « puissance de persuasion » (ibid.), en les transformant, pour ainsi dire, en des univers absolus, au contraire, il importe de les considérer comme con-textes d’une plus large con-textualité culturelle ; 2) d’autre part, la contextualité culturelle n’est pas un ensemble d’objets réfractaires aux stratégies de la pensée et de l’écriture des auteurs, sinon on risquerait de retomber dans l’objectivisme anthropologique. C’est pour cela que, par exemple, Lanza souligne qu’il a exclu de son horizon la figure du trickster et, en même temps, qu’il a évoqué « en passant » (ibid.) le chaman comme médiateur entre visible et invisible (c’est-à-dire comme voyant), car c’est une figure compatible avec les textes qu’il analyse. De façon plus générale, et au delà du Stolto, Lanza n’a jamais embrassé le ritualisme anglais de Murray, Cornford et Jane Ellen Harrison (qui sont pourtant présents dans Lo stolto, mais comme des horizons lointains, cf. p. 196-197 et note 107, p. 211), et il s’est montré critique aussi vis-à-vis de l’anthropologie de Vernant et de sa réception italienne. Les points fondamentaux de la critique de Vernant par Lanza portent sur : 1) le substrat indo-européen tel qu’il a été théorisé par Dumézil ; 2) un certain marxisme naïf, évident, par exemple, dans le célèbre essai sur le concept de « travail » dans la Grèce antique ; 3) un certain structuralisme résiduel appliqué à l’analyse du mythe (évident, par exemple, dans l’essai sur le mythe hésiodique des races et de Prométhée) ; 4) un certain idéologisme, qui sous-tend, par exemple, l’idée que la « société des dieux » serait le reflet direct de la « société des hommes » ; 5) l’humanisme psychologisant hérité de Meyerson. Les observations critiques sur le travail de Vernant ponctuent tout le travail de Lanza, depuis Le Tyran et son public. Pour une mise au point récente et pour la réception italienne de Vernant, voir, plus particulièrement, Lanza 2009, dans le numéro monographique de la revue Europe consacré à la figure de l’anthropologue français. Enfin, dans Lo stolto, Lanza s’éloigne clairement du modèle de la mètis tel qu’il a été construit par Vernant et par Detienne dans leur livre célèbre sur « les ruses de l’intelligence » : à plusieurs reprises, Lanza observe que Vernant et Detienne normalisent et, de fait, dégradent plusieurs phénomènes d’inquiétante « altérité », en recourant à la catégorie rhétorique de la « machination intellectuelle ».
13 Cf. Nuées, vv. 531 ss. De même, dans les Grenouilles, vv. 96 ss., le poète est défini gonimon, « fécond ».
14 Saetta Cottone 2013.
15 Cela arrive souvent, même dans un livre comme celui Russo (19842), malgré ses mérites justifiés.
16 Traduction de Myrto Gondicas et de Rossella Saetta Cottone.
17 Tasinato 2006, p. 81-86 (traduction française à paraître prochainement aux éditions Verdier) ; 2007, p. 57-61 ; 2010.
18 Au v. 96 Agathon est défini outos hounkukloumenos, « le véhiculé par la machine du théâtre ». Plutôt que de considérer la référence à la machine théâtrale comme un simple jeu de langage (Prato 2001, comm. ad loc.), sans traduction concrète par la mise en scène, nous préférons penser qu’Agathon était effectivement transporté sur l’enkyklema, la plate-forme roulante qui, dans les tragédies de l’époque, montrait l’intérieur de l’édifice situé sur le fond de la scène, avec son contenu de cadavres. De cette manière, par cette utilisation inédite et parodique de l’outil tragique, Aristophane soulignerait sa capacité à démasquer les astuces et les trucs du poète tragique au travail. Sur ce point, cf. Bonanno 2006, avec une mise au point de la bibliographie.
19 Je crois que c’est à cause de cette chute dramaturgique que plusieurs chercheurs ont essayé de lire dans les paroles d’Agathon une mise en comédie des théories sophistiques de la mimésis. Cf., par exemple, Mureddu, Nieddu 2000. Le point est qu’Aristophane n’est pas intéressé par la parodie des rhétoriques de l’écriture en soi, mais plutôt par l’évocation de quelque chose qui puisse « faire l’effet » de l’écriture.
20 Toute l’œuvre de Nicole Loraux est parcourue par ce fil. On renvoie ici, en particulier, à Loraux 1990.
21 Avec Euripide, il y a, à coup sûr, L’Éloge d’Hélène de Gorgias, comme cela a été justement mis en évidence par Tasinato 2008.
22 Voir, par exemple, Beltrametti 2004.
23 À ce propos, je renvoie à Stella 2008, ainsi qu’au chapitre sur le Phèdre dans Stella 2006. Sur le rouleau/phallus/objet du désir cf. Svenbro 1988, p. 207-228.
24 Cf. vv. 858 ss. Pour l’analyse de cet aspect, la lecture de Tasinato 1985 demeure fondamentale.
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