Ce dont Aristote parle et ce dont Aristote ne parle pas dans la Poétique, d’après Diego Lanza
p. 85-108
Texte intégral
1Le titre que j’ai donné à ma contribution se réfère directement à deux paragraphes de l’introduction de Diego Lanza à sa traduction de la Poétique d’Aristote. Ce texte, intitulé « Comment lire aujourd’hui la Poétique ? », a été publié il y a plus de vingt ans1. Je l’ai choisi pour deux raisons, à la fois personnelles et intellectuelles.
2La première est que ce texte est à l’origine de l’amitié qui me lie à Lanza. Je ne suis pas l’un des anciens élèves de Lanza. Je l’ai rencontré pour la première fois au début de mes recherches de doctorat sur Aristote, il y a désormais treize ans. Parti de la Physique, j’étais passé au corpus biologique et commençais à m’intéresser à la Poétique. J’étais frappé par les références de ce traité aux écrits biologiques et j’avais pris connaissance des travaux de Lanza sur Aristote, notamment ses traductions de quelques traités biologiques2 et de la Poétique. C’est justement après avoir lu son Introduction à cette dernière que j’ai voulu le rencontrer.
3La deuxième raison de mon choix c’est que ce texte a fortement influencé ma lecture de la Poétique, dont je me suis ensuite souvent occupé. C’est un texte intelligent, qui problématise, dépourvu de barrières disciplinaires, de révérence et d’affectation, comme, d’ailleurs, les autres travaux de Lanza. En le relisant récemment, j’ai pu m’apercevoir qu’au fond mes travaux sur la Poétique, du premier au dernier, partent toujours de ses réflexions, même si j’arrive à des thèses auxquelles Lanza ne souscrirait sans doute pas. Son Introduction3 est l’un des rares commentaires qui voient un problème dans le manque de définition de la mimèsis, « imitation », et dans l’emploi de cette notion dans la Poétique. Dans mon tout premier article4, j’essaye de donner des contours précis à cette notion et de montrer ses implications onto-gnoséo-logiques, ce que j’ai par la suite approfondi dans ma thèse de doctorat5. Lanza6 refuse aussi de voir dans la katharsis la notion-clé de la Poétique. Dans mon dernier article7, j’essaye de montrer les raisons pour lesquelles on doit considérer comme une interpolation la clause finale de la définition de la tragédie. Au nombre de mes dettes à l’égard de ce travail de Lanza8, je pourrais citer encore mon scepticisme envers toutes les tentatives de comprendre la Poétique par des textes d’Aristote que nous ne possédons pas, tels que le supposé second livre, le dialogueSur les poètes ou la suite de Pol. VIII. À ce propos, il faut rappeler la ferme opposition de Lanza à la prétention de Richard Janko de reconstruire le second livre de la Poétique à partir du Tractatus Coislinianus9, ce qui a fait aussi l’objet d’un de ses articles les plus connus, La symétrie impossible10.
4Je voudrais profiter de cet hommage pour discuter de certains points de cette Introduction avec son auteur.
5Des trois stratégies que Lanza11 envisage pour affronter les problèmes que la Poétique soulève, celle qu’il exploite le plus dans son Introduction consiste dans l’identification des exclusions et des omissions qu’Aristote y opère12. Celles-ci font justement l’objet du paragraphe « Ce dont Aristote ne parle pas ». Les exclusions concernent les trois éléments de la tragédie que la Poétique laisse de côté de manière explicite : (1) la pensée ; (2) la musique (avec la métrique) ; (3) le spectacle13. C’est sur ces deux dernières exclusions que Lanza insiste, puisqu’elles sont utiles à son examen des omissions, qui est plus important. Les omissions, elles, sont au nombre de quatre : (1) les dieux dans la tragédie ; (2) les pratiques rituelles sur scène ; (3) le contexte de la fête collective dans laquelle se déroulaient les représentations dramatiques ; (4) la figure du poète.
6Le point central de l’interprétation de Lanza est l’idée selon laquelle dans la Poétique Aristote opère un véritable refoulement de tout ce qui tient à ce qu’on peut appeler la « religion »14. Cette idée avait déjà fait l’objet d’un très bel article de Lanza, La mort exclue15, où il mettait en évidence le désintérêt d’Aristote pour le thème de la mort et, par conséquent, pour tout discours consolatoire. C’est essentiellement cette vision laïque de la poésie qui est à la base de l’écart considérable qui, à son avis, sépare de son objet la théorisation aristotélicienne, écart qui serait, à son tour, à l’origine d’une série d’équivoques dans la lecture de la Poétique par les modernes, inconsciemment encore trop aristotéliciens pour avoir le recul nécessaire et se rendre compte de la place historique de cet ouvrage16. Selon Lanza17, Aristote remplace la fête collective, moment exceptionnel d’agrégation sociale, par le jeu individuel, si bien qu’il présente la poésie grecque, désormais devenue littérature, d’une façon qui nous est familière à nous, modernes, pour qui la poésie constitue un « passe-temps utile », auquel on se consacre pendant le temps libre, moment de dissociation de l’individu de la vie sociale.
7Or, aujourd’hui je pense qu’il faut atténuer cette idée d’un refoulement du religieux dans la Poétique et, surtout, qu’il faut donner à ce refoulement un sens très différent de celui que lui donne Lanza. Pour ce faire, je vais examiner les quatre omissions susmentionnées.
81. Quant à la première, d’autres commentateurs ont déjà montré que la présence des dieux dans la tragédie ne dérangeait pas trop Aristote. Pour s’en persuader, il suffit de voir la mention de Poseidon dans l’histoire de l’Odyssée en Poét. 17, 1455b 15-23. Il est vrai que les dieux sont plutôt absents des analyses de la Poétique, ce qui est peut-être plus conforme à la conception aristotélicienne de l’action humaine qu’à la réalité des tragédies18. Mais il n’est pas vrai, contrairement à ce que soutient Lanza19, que le seul dieu qu’Aristote admette est le dieu ex machina qui informe sur des événements extérieurs à l’action, événements antérieurs qu’un homme ne peut pas connaître, ou événements postérieurs qui demandent une prédiction, dans la mesure où « nous concédons aux dieux la capacité de voir toutes les choses » (Poét. 15, 1454b 2-6). En Poét. 15, Aristote condamne non pas le recours aux dieux dans la solution de l’action dramatique20, mais la solution, divine ou non, qui ne découle pas de la construction des faits, selon la nécessité et la vraisemblance (1454a 37 ss.)21. Bien entendu, cette vraisemblance, ou mieux cette plausibilité est interne à l’action imitée et ne concerne pas la relation entre imitant et imité.
9La présence d’un personnage divin dans la tragédie ne pose à Aristote pas plus de problèmes que la présence des dieux dans les arts figuratifs : on y reconnaît un agent. À propos des dieux, comme à propos des autres choses, l’auteur peut s’en tenir à ce qu’on dit d’eux, sans se soucier de savoir si c’est bien ou si c’est vrai (Poét. 25, 1460 b 36 –1461a1)22. Donc, même pour la nécessité et la plausibilité, l’auteur peut s’en tenir à l’inférence courante23. C’est pourquoi il faut préférer les choses impossibles plausibles aux choses possibles incroyables (Poét. 24, 1460a 26-27)24. En ce sens, est éloquent l’exemple de la statue de Mytis qui tomba sur l’homme coupable de la mort de celui-ci, évènement qui paraît ne pas se produire par hasard (Poét. 9, 1452a 7-10).
10Si cela est aujourd’hui bien établi par une partie de l’exégèse aristotélicienne, on ne se rend pourtant pas compte de toutes ses conséquences25. La plus importante est que la tragédie peut être une imitation non seulement d’un évènement qui est capable de susciter la frayeur et la pitié (Poét. 9 ; 11 ; 13-14), mais également d’un évènement qui ne l’est que selon l’opinion d’autrui, je veux dire, qui ne l’est pas réellement. D’ailleurs, on ne peut pas prétendre qu’Aristote suppose que les valeurs morales des auteurs de tragédie coïncident avec les siennes, bien qu’on ne trouve pas chez lui un jugement explicite comme celui de l’Athénien des Lois de Platon, pour qui toute la « lignée des poètes » n’est pas capable de bien discerner les choses bonnes et celles qui ne le sont pas26. Bien sûr, l’auteur n’est pas tenu, lui non plus, d’adhérer aux opinions, ni aux raisonnements sur lesquels il s’appuie. Cette constatation devrait faire réfléchir ceux qui croient que pour Aristote la fonction principale de la tragédie est l’éducation ou l’instruction morale. Certes, les produits imitatifs peuvent avoir un rôle dans l’éducation ou l’instruction (Pol. VIII 5), mais ce rôle peut être aussi négatif (VII 17).
11On remarquera également que l’imitation ne pose aucun problème ontologique à Aristote. Si, pour Aristote, les choses sont bien les mêmes pour tout le monde (De int. 1, 16a 6-8), le partage d’une « conception ontologique » précise entre auteur et public n’est pas une condition nécessaire pour l’appréciation de l’imitation en tant que telle, contrairement à une conviction actuellement assez répandue parmi ceux qui s’occupent de la fiction27. Dans le cas d’Aristote, cette appréciation consiste dans la reconnaissance de ce dont l’imitation est une imitation, dans les termes de Poét. 4. Quoique la reconnaissance ne soit pas le seul usage possible, elle est l’usage approprié qu’on doit faire de ces produits imitatifs ; tout produit technique en a au moins un28. Il est impossible de définir l’imitation sans avoir recours à la notion de reconnaissance.
12Il y aurait beaucoup de choses à dire sur ce qu’il faut entendre par « imitation » et par « reconnaissance », mais je n’ai pas le temps. Je me limite à quelques remarques. J’adopte, ici, la traduction traditionnelle par « imitation », mais, pour le sujet qui m’intéresse dans le texte présent, il serait plus approprié de parler de simulation29. Pour une série de raisons, la traduction traditionnelle est pourtant préférable à celle prétendument plus correcte, à savoir « représentation ». Pour ce qui est de la reconnaissance, il faut signaler deux lectures courantes qui donnent l’impression erronée que Poét. 4 fait nécessairement allusion à un portrait stricto sensu30 : (1) dans la formule de reconnaissance « celui-ci est celui-là », οὗτος ἐκεῖνος (1448b 18), il n’est pas nécessaire qu’à la place de « celui-là » on doive mettre un nom propre ; on peut y mettre aussi un nom commun comme, par exemple, « médecin » : « celui-ci est un médecin », οὗτος ἰατρός ; (2) le participe προεωρακώς (1448b 17) ne doit pas être traduit par « ayant vu auparavant », mais par quelque chose comme « ayant deviné »31. Enfin, qu’une autre chose soit claire : cet usage approprié dans lequel consiste la reconnaissance n’a rien à voir avec une katharsis. Comme je l’ai dit, la clause finale de la définition de la tragédie dans Poét. 6 est une glose marginale glissée dans le texte, qu’il faut donc éliminer32.
13Pour revenir à notre sujet, pour que cette reconnaissance se réalise il suffit de connaître les opinions fausses d’autrui à propos de l’objet imité. Et cela s’applique également aux jugements éthico-politiques.
14Cela dit, jamais Aristote ne nie que nous puissions préférer l’imitation de choses qui sont comme celles que nous jugeons effectivement capables de susciter la frayeur et la pitié, ce qui s’applique à lui-même et à sa Poétique, notamment aux chapitres 13-14, qui sont consacrés à la construction des faits de la meilleure tragédie. Le fait que, selon Aristote, les hommes aiment par nature les imitations (Poét. 4) n’implique pas qu’ils doivent avaler n’importe quelle imitation, ni qu’ils doivent accepter le goût de la majorité du public, contrairement à un certain conformisme qu’on trouve aujourd’hui dans les défenses de la fiction, où, par exemple, on prétend expliquer (et en quelque sorte justifier) le succès mondial du cinéma hollywoodien par notre besoin naturel de fiction33. Cela équivaut à expliquer la diffusion mondiale d’une grande chaîne de fast-food, d’une grande marque de boissons gazeuses ou d’une industrie biotechnologique par notre besoin naturel de manger et de boire.
15Si le chap. 25 élargit considérablement le champ des choses imitables (1460b 7-11) et revendique une correction propre à la technique de composition et aux techniques imitatives en général qui ne se confonde pas avec la correction politique ni avec celle d’une autre technique (1460b 14 ss.), Aristote recommande aussi que, « si c’est possible, il n’y ait absolument aucune erreur » (1460b 28-29). Et l’erreur dont il est question peut sans doute relever de la sphère éthico-politique34. En effet, à la fin du chapitre, Aristote juge correcte la critique de l’emploi de l’irrationnel et de la méchanceté non nécessaires (1461b 19-21). L’usage des produits imitatifs qui consiste dans la reconnaissance de ce dont ils sont des imitations n’est donc pas non plus « amoral », et cela s’explique facilement. L’activité de ce qui se trouve dans le meilleur état, en relation avec le meilleur objet est l’activité la plus excellente, la plus parfaite et la plus agréable (EN X 4, 1174b 17-20). Ainsi, même s’il est possible de reconnaître, par le moyen des produits imitatifs, des choses mauvaises, il est préférable d’avoir des produits imitatifs qui procurent la reconnaissance des choses excellentes.
16On doit donc réévaluer les exemples d’erreurs accidentelles des techniques imitatives de Poét. 25, à savoir celui du dessin du cheval avec les deux pattes droites en avant ou de la biche avec les cornes (1460b 15 ss.). Certes, Aristote trouve moins grave de ne pas savoir que la biche n’a pas de cornes que de peindre de manière non imitative (1460b 29-32) – ou, plus vraisemblablement, peu imitative – en sous-entendant que la majorité du public partage cette même opinion fausse. Toutefois, un spectateur qui connaît la zoologie, comme Aristote lui-même35, ne s’empêchera pas de reconnaître un cerf mâle dans la biche peinte avec des cornes. Ce n’est que par une dérogation qu’il reconnaîtra une biche, ce qui, aux yeux d’Aristote, n’est pas l’idéal. En ce sens, un bouc-cerf peint n’imite pas un bouc-cerf, sinon pour ceux qui croient qu’il existe un tel animal. Aristote serait bien d’accord pour dire, avec Nelson Goodman36 (malgré toutes leurs différences), que « bouc-cerf » est le nom d’une configuration37, par laquelle, à la rigueur, on imite et on reconnaît une partie de bouc et une partie de cerf. De manière semblable, pour quelqu’un qui ne croit pas aux divinités olympiques, une statue de Zeus n’imite pas vraiment Zeus : pour lui « Zeus » sera le nom d’une statue, dans laquelle il peut pourtant reconnaître éventuellement un homme. De toute façon, dans les produits imitatifs tout n’est pas forcément imitatif.
172. Pour ce qui est de la deuxième omission, celle des pratiques rituelles sur scène (Lanza pense surtout aux rites funéraires), on peut lui accorder qu’Aristote n’en parle pratiquement pas38, mais je me demande : pourquoi doit-on qualifier ce silence d’omission, si par « omission » on sous-entend quelque chose qu’Aristote aurait dû traiter ? Cela me rappelle ce genre de critiques récurrent pendant les soutenances de thèse qui consiste à reprocher au candidat de ne pas avoir traité un certain sujet, alors que simplement ce n’était pas son sujet. Une remarque générale sur la Poétique s’impose, remarque qui explique également l’exclusion de la musique (avec la métrique) et du spectacle, malgré leur possible caractère imitatif. La Poétique ne se propose pas d’être un Περὶ τραγωδίας39, et encore moins un traité sur le théâtre. Je veux dire par là que la Poétique n’est pas censée traiter la tragédie dans son ensemble, ni même la composition verbale tragique dans son ensemble.
18Aristote le dit dès ses premières lignes, son ouvrage porte sur la technique de composition (ainsi je traduis ποιητική), et cela surtout en tant qu’elle est une technique de production d’imitations qui a pour moyen le langage, lequel peut comporter un « assaisonnement » métrique ou musical (ce qui inclut la danse)40. Plus précisément, la Poétique porte sur la construction d’histoires, μῦθοι (Poét. 9, 1451b 27-28). Encore plus précisément, sur la construction d’un type d’histoire bien déterminé, l’histoire du passage de la prospérité à l’infortune ou vice-versa (Poét. 10) ; en effet, la Poétique enferme plusieurs restrictions de domaine implicites qui souvent échappent aux commentateurs et donnent origine à de grands malentendus. En même temps, la Poétique se concentre sur ses formes supérieures, selon l’objet imité et selon la manière d’imiter, où par « manière d’imiter » il faut entendre la manière d’imiter un récit. Ainsi, la Poétique se concentre sur la forme sérieuse (ou élevée) et sur la forme dite dramatique, laquelle s’obtient par l’élimination de l’introduction des énonciations rapportées et ne se confond pas avec ce qu’on appelle (peut-être improprement41) la « mise en scène », tout en étant destinée à être « mise en scène ». C’est pourquoi, parmi les pratiques concrètes, la Poétique privilégie la tragédie, où il arrive que le langage s’accompagne de plusieurs « assaisonnements », mais elle laisse de côté non seulement le spectacle et la musique, mais également la partie chorale de la composition verbale42. J’y reviendrai.
19Pour ce qui concerne le chœur, aujourd’hui on a tendance à crier au scandale en rappelant que pour les Athéniens la tragédie était conçue, au contraire, comme une performance chorale43. Aristote n’est peut-être pourtant pas le seul qui ne pensait pas ainsi. Un passage d’Aristophane pourrait suggérer que les spectateurs s’ennuyaient pendant les chants choraux tragiques (Av. 785-786)44. Le « choro-centrisme » des Athéniens45 pourrait donc ne correspondre qu’à l’idéologie de la cité ou à la propagande de son système chorégique, sur lequel se fondait l’organisation des concours « musicaux », scéniques ou thyméliques46. Au demeurant, on ne peut pas exclure que les gens aient apprécié surtout la beauté des choreutes et la splendeur de leurs vêtements, plutôt que leur chant. De toute manière, la performance d’un chœur athénien n’est pas qu’une performance de chant choral, ni qu’une performance musicale47, tout comme un défilé des escolas de samba pour le carnaval à Rio de Janeiro n’est pas qu’une audition de samba.
20Pour revenir à Aristote, il faut, ainsi, bien distinguer (au moins) ces trois choses : (1) la tragédie, qui est une imitation « multimédia », combinaison de plusieurs moyens ; (2) la composition tragique, qui est une imitation par le langage « assaisonné » ; (3) la composition de l’histoire tragique, qui est une imitation par le langage d’un récit fait dans le mode dramatique, indépendamment de tout éventuel « assaisonnement ». La Poétique s’occupe essentiellement de l’histoire tragique, qui est la finalité de la tragédie, « comme son âme » (Poét. 6, 1450a 22-23 ; 38), c’est-à-dire ce qui structure le reste, ce qui permet le mieux d’identifier une tragédie (18, 1456a 7-8)48. Mais cela n’implique aucunement une réduction de la tragédie, ni de la composition tragique, à son histoire. Certes, puisque l’histoire est considérée comme l’imitation d’une action, tout comme la tragédie elle-même (1450a 4 ; cf. 1449b 24), l’histoire peut paraître usurper la définition de la tragédie, comme le remarque Lanza49. Toutefois, l’action dont l’histoire est une imitation n’est pas, me semble-t-il, exactement la même que le spectacle (ou le chant) peut imiter. La première est un récit, alors que la seconde est le déroulement des faits lui-même.
21À propos de la définition de la tragédie, contre le prétendu « essentialisme » aristotélicien, aujourd’hui on a tendance à préférer une définition institutionnelle : est une tragédie toute pièce qui a été conçue pour un concours tragique se déroulant pendant les fêtes dionysiaques dans l’Attique de l’âge classique, ou qui y a été admise50. Il y a bien quelque chose de vrai dans ce genre de définition, mais de cette manière on élide une question qui s’impose : selon quels critères pouvait-on admettre une pièce à un concours tragique en lui conférant ainsi le statut de tragédie ? Autrement dit, qu’est-ce qu’une pièce devait avoir pour y être admise, ou simplement qu’est-ce qu’on s’attendait qu’elle eût ? Ou encore : n’est-ce pas plutôt parce qu’une pièce était une tragédie qu’elle pouvait être admise au concours tragique ? Or, franchement, il me paraît impossible qu’on ait admis une pièce à un concours tragique uniquement sur la base d’éléments matériels, tels que la composition et la disposition du chœur, le nombre d’acteurs ou les parties de la pièce (celles que Poét. 12 décrit), sans aucune considération de son « sujet »51. Ce qu’Aristote entend par objet d’imitation (Poét. 1) est grosso modo le « sujet » d’une tragédie, l’imitation étant la relation que ce produit « musical » (multiple) qu’est la tragédie, entretient avec quelque chose d’autre dans le monde52. Et il me paraît indéniable que les compositeurs aussi bien que les organisateurs et les spectateurs établissaient cette relation et que cela constituait un élément essentiel pour l’admission d’une pièce à un concours tragique. De toute manière, celui qui n’a aucune notion de l’usage auquel ce produit est destiné ne pourrait aucunement être réputé un technicien en la matière, car le producteur technique doit connaître la finalité de son produit (Mét. Ζ 7, 1032b 21 ss.)53.
22Certes, tout comme les éléments matériels, ce qui constituait un « sujet admissible » pouvait changer au fil des ans ; cela devait être même plutôt un éventail, et différent pour chaque individu. Une tragédie pouvait traiter d’un évènement du passé récent (« historique ») ou du passé lointain (« mythique »), ou bien ni de l’un ni de l’autre, comme nous renseigne Aristote lui-même, qui mentionne l’Anthée d’Agathon, tragédie autrement inconnue, dont le titre même est incertain (Poét. 9, 1451b 19-23). Le sujet pouvait varier encore sous bien d’autres aspects. Mais peut-on trouver un dénominateur commun, ne fût-ce que minimal ? Aristote pense que oui. Dans sa définition de la tragédie – qui, se fondant sur l’imitation, est relationnelle – il qualifie l’action imitée de σπουδαία, « élevée (ou sérieuse) », ce qui me paraît suffisamment large pour couvrir tout ce qu’on connaît sous le nom de tragédie dans l’Attique de l’âge classique, surtout si on tient compte du fait que l’action dont il est question peut n’être élevée (ou sérieuse) que selon l’opinion courante ou d’autrui, comme le laisse entendre Poét. 25.
23L’établissement de la nature relationnelle de la tragédie et la détermination minimale de l’autre terme de la relation contribuent aussi à assurer la supériorité de la définition d’Aristote sur une autre définition célèbre de la tragédie, celle d’U. von Wilamowitz-Moellendorff54, si (1) on fait abstraction du fait que, à la différence de ce dernier, Aristote ne définit pas la tragédie attique – le « quand » ni le « où » (ni même le « qui ») n’étant pas parmi les éléments qui définissent les différentes techniques imitatives dans Poét. 1, ce qui constitue un avantage ultérieur, car rien n’empêche qu’ailleurs et à une autre époque on produise quelque chose qui se trouve dans cette même relation d’imitation avec une action qu’on juge élevée – ; et surtout si (2) on laisse de côté la clause finale de la définition aristotélicienne qui mentionne la fameuse katharsis, clause que, je le répète encore une fois, il faut éliminer en tant que glose marginale insérée dans le texte.
243. Quant à la troisième omission, celle du contexte de la fête à la fois civique et religieuse dans laquelle se déroulaient les représentations, la réticence de la Poétique est indéniable et demande effectivement une explication.
25Notons, d’emblée, que, si la Poétique néglige le contexte festif des performances, elle ne néglige pas pour autant leur cadre agonal, qui en réalité y est présent plus qu’on ne l’imagine55 et joue un rôle dans le développement des techniques de composition56. Néanmoins, la Poétique est presque muette sur les relations de son objet avec la politique57 (mises à part quelques allusions58), ce qui, d’ailleurs, crée de l’embarras chez ceux qui défendent une lecture éthique. Certes, Aristote y mentionne la chorégie, pour lui attribuer la tâche des « effets scéniques » (Poét. 14, 1453b 8)59. Mais il ne traite pas vraiment de la relation entre le compositeur-instructeur du chœur, le chorège (le « conducteur du chœur »), et l’archonte60. Et pourtant, d’après Aristote, toutes les techniques sont subordonnées à la science politique (EN I 1, 1094a 25 ss.)61, science politique qui semble constituer tantôt une maxi-technique, dont le but serait la production du « bon gouvernement », εὐνομία (EE I 5, 1216b 16 ss. ; Pol. II 8, 1268b 34 ss.), tantôt le discernement, φρόνησις, lui-même (entendu comme l’excellence du raisonnement pratique) étendu au domaine publique (EN VI 8, 1141b 21 ss.). Dans le cas des compositions dramatique et dithyrambique, qui étaient destinées à des performances pour lesquelles il y avait des concours organisés par la cité, la subordination du compositeur au politique est évidente. On en parle ailleurs dans le corpus aristotélicien. La Constitution d’Athènes est l’une des sources pour notre connaissance de l’organisation des concours tragiques aux Grandes Dionysies ; même s’il s’agit d’un élève travaillant sur sa direction62, l’ouvrage garde sa valeur de témoignage des connaissances d’Aristote en la matière, mise à part toute insertion postérieure à sa supervision.
26Choisis parmi les citoyens les plus riches, les chorèges sont nommés par l’archonte (Ath. resp. 56, 3). L’archontat est l’une des « magistratures », ἀρχαί, celles-ci constituant, à leur tour, l’une des trois grandes « parties » de la cité, avec la partie qui délibère sur les affaires communes et la partie qui rend la justice (Pol. IV 14, 1297b 41 ss.). Puisque les chorèges sont choisis, et choisis parmi les plus riches, leur mode de désignation n’est pas démocratique, si la démocratie est une constitution où les magistratures sont attribuées par tirage au sort, les magistratures électives étant une caractéristique aristocratique (Pol. II 12, 1273b 40-41 ; Rhét. I 8, 1365b 31 ss.). Comme le héraut, le chorège serait un intendant, ἐπιστάτης, plutôt qu’un magistrat (Pol. IV 15, 1299a 15 ss.)63. La relation entre les trois figures serait donc la suivante : dans la figure de l’archonte, la cité ordonne la production de spectacles choraux ; en payant et éventuellement en s’investissant personnellement dans la production du spectacle, le chorège leur fournit le chœur et le support matériel nécessaire64 ; et le compositeur-instructeur du chœur préside à leur production, mais en produisant lui-même la partie la plus importante (aux yeux d’Aristote), l’histoire. Ainsi, c’est bien la cité qui prédétermine non seulement quand et où on imite, mais également, en quelque sorte, les moyens, l’objet et la manière de l’imitation commanditée.
27En réalité, la relation entre ces trois figures est beaucoup plus complexe que cela, surtout pour ce qui est de la chorégie. C’est pourquoi, dans un chapitre des Politiques consacré à la sauvegarde des constitutions, Aristote recommande aux démocraties d’empêcher les riches, même ceux qui le souhaitent, de prendre en charge des liturgies, c’est-à-dire des dépenses publiques, dit-il, « inutiles », telles que les chorégies et les courses aux flambeaux (Pol. V 8, 1309a 14 ss.) ; remarquez ce rapprochement65. Cette recommandation a au moins deux raisons d’être. La première se trouve en Pol. VI 5 et consiste dans le fait que, en libérant les gens aisés des liturgies « vaines », une cité démocratique peut exiger d’eux d’autres dépenses publiques plus utiles, comme, par exemple, des contributions au paiement de l’indemnité versée aux gens modestes pour les réunions nécessaires (1320a 32-b-4). La deuxième raison se trouve dans ce même chap. 8 de Pol. V : Aristote vient de dire que toute cité doit s’efforcer de faire en sorte qu’aucun individu ne l’emporte sur beaucoup d’autres en puissance par ses relations et par ses richesses ou que de tels hommes aillent résider à l’étranger (1308b 16-19), effort qui, peut-on le supposer, s’impose surtout à une démocratie. Cette deuxième raison est sans doute la plus importante, étant donné que l’interdiction vise même ceux qui souhaiteraient assumer ces dépenses inutiles. On le sait, les concours étaient pour les riches une occasion de se lancer dans une compétition honorifique et dans la vie politique d’Athènes66.
28Faite par l’auteur de la Poétique, la recommandation de Pol. V 8 peut pourtant paraître bizarre. Toutefois, la chorégie concerne la performance, notamment chorale, non pas la composition elle-même. Ce passage des Politiques peut même mettre sous un autre jour le peu d’importance qu’Aristote confère au spectacle et au chœur dans la Poétique67. Loin d’être un signe d’indifférence pour leur dimension sociale, cela peut indiquer un souci d’économie et de cohésion sociale, pour laquelle un excès de dépenses de ce genre constitue une menace politique.
29On peut supposer que les chorégies deviennent utiles dans une oligarchie, étant donné qu’Aristote conseille d’y attacher des liturgies aux magistratures, en suggérant les dépenses qui caractérisent la magnificence68 : banquets, offrandes votives, édifices (Pol. VI 7, 1321a 31-b 3 ; cf. V 3, 1305a 4-7)69. Sur ce passage on a même construit le mythe selon lequel Démétrios de Phalère aurait suivi le conseil de son maître en remplaçant la chorégie par l’agonothésie70. Cependant, il s’agit simplement d’un conseil « à la Machiavel », qu’Aristote donne à l’oligarchie pour la sauvegarde de celle-ci, conseil qui ne reflète pas les idées du philosophe en la matière. Pour Aristote ces liturgies, dans une oligarchie, ne sont que de la poudre aux yeux du peuple. Car il faut attacher des liturgies aux magistratures les plus importantes (qui doivent revenir à ceux qui sont les maîtres dans cette constitution), afin que le peuple volontairement n’y participe pas et ait de l’indulgence envers les magistrats, du fait qu’ils donnent une récompense importante pour leur magistrature (Pol. VI 7, 1321a 31-35). Et les dépenses publiques qu’il recommande aux notables ont pour but d’impressionner le peuple ― qui, en ayant sa part aux banquets et en voyant la cité ornée de cette manière, sera content de voir cette constitution perdurer ― et de laisser un souvenir de ces mêmes dépenses (1321a 35-40). Mais Aristote ajoute aussitôt qu’en fait les partisans de l’oligarchie ne le font pas parce qu’ils ne recherchent pas les profits moins que l’honneur ; c’est pourquoi il est correct de dire que les oligarchies sont de petites démocraties (1321a 40-b 1)71. En ce sens, ces liturgies pourraient devenir « utiles » uniquement dans une optique oligarchique, et uniquement si on tenait à l’honneur plus qu’au profit.
30En revanche, pour Aristote, les chorégies seraient des liturgies inutiles dans l’absolu, non seulement par rapport aux démocraties. Ici, c’est la Poétique qui éclaire les Politiques : le peu d’importance qu’Aristote y confère au spectacle et au chœur ― ces deux éléments étant justement le domaine où la chorégie se déploie ― est le signe du peu d’importance qu’il attribue à cette liturgie pour la réussite d’une tragédie. Autrement dit, on n’a pas besoin de beaucoup de production théâtrale pour réaliser une tragédie ; ou encore, on n’a même pas besoin de mettre en scène une tragédie pour apprécier la composition de son histoire. En effet, le pouvoir de la composition de l’histoire tragique ne dépend pas de la performance, ni des acteurs (Poét. 6, 1450b 19-20 ; cf. 7, 1451a 6-9) ; la tragédie réalise sa finalité même à la seule lecture (26, 1462a 10-11)72. Bien entendu, cela n’implique aucun « texto-centrisme »73, car c’est l’histoire qui intéresse Aristote, non pas le fait que celle-ci soit écrite.
31Mais il y a plus. J’ai le sentiment qu’Aristote est hostile non seulement à la chorégie et à l’excès de production théâtrale, mais aussi au concours lui-même, du moins pour les citoyens de la meilleure cité. En effet, dans Pol. VII-VIII, non seulement il n’y a pas de trace d’un système chorégique pour l’éducation musicale (essentiellement chorale, voir VIII 6) des enfants de la meilleure cité, éducation qui est justement publique (VIII 1, 1337a 21-32 ; EN X 10), mais il n’y a pas non plus de mention d’un entraînement en vue de concours. Au contraire, il y a une interdiction explicite pour les adultes en ce sens, interdiction qui, à mon avis, s’étend aux enfants, même si elle n’exclut pas toute exhibition publique (Pol. VIII 6, 1340b 37-38 ; 1341a 9 ss. ; 1341b 8 ss.). Un passage (Pol. VIII 7, 1342a 16-28) semble concéder des concours pour les non-citoyens de la meilleure cité et, de manière implicite, à ses citoyens, mais on peut l’interpréter différemment74. De toute façon, du moins pour ce qui concerne les citoyens, on peut exclure l’existence de concours musicaux, même avec des compétiteurs non-citoyens, parce qu’Aristote a déjà laissé entendre que le cadre compétitif altère la qualité de la production musicale, au vu de la nécessité de suivre le goût du public (6, 1341b 15-16).
32Eh bien, contrairement aux Politiques et à la Constitution d’Athènes, la Poétique se garde bien d’expliciter les liens de la technique de composition avec la politique ; et les rares occasions où ils émergent concernent la comédie75. Au lieu d’expliciter ces liens, la Poétique semble se réfugier dans une sorte de naturalisme, que Lanza examine dans le chapitre « Ce dont Aristote parle ». Et ce naturalisme semble obscurcir la dimension politique de plusieurs matières qui y sont traitées, même si chez Aristote la politique affiche, elle-même, un fondement biologique (Pol. I). En même temps, la Poétique nourrit de fausses parentés avec le corpus éthico-politique, dans la mesure où l’action humaine est, ici, l’objet d’imitation privilégié et où il y a une homonymie systématique entre imitant et imité. C’est ainsi qu’on a pu penser que la réflexion sur la technique de composition appartenait à la philosophie éthico-politique parce que la composition était l’imitation d’une action et que l’action était analysée dans la Poétique à l’aide des mêmes concepts que dans les Éthiques76. Si cela était vrai, on serait obligé d’admettre que l’étude de la peinture animalière fait partie de la zoologie parce que la peinture animalière imite les mêmes animaux que la zoologie étudie, ce qui est évidemment absurde. Cela dit, les liens de la Poétique avec le corpus éthico-politique sont incontestables. Mais comment expliquer le fait que la Poétique remplace, pour ainsi dire, la politique par la biologie ?
33À vrai dire, cette substitution est plus apparente que réelle. En premier lieu, on a beaucoup exagéré le biologisme des quatre premiers chapitres de la Poétique relatifs aux dits « genres littéraires » et à leur développement77 ; pour le montrer, je devrais procéder à un examen minutieux, ce que je ne peux faire, ici78. En deuxième lieu, en réévaluant la place du spectacle et du chœur, la Poétique contient une critique politique implicite du système chorégique qui régissait l’organisation des concours « musicaux » athéniens. En troisième lieu, si c’est effectivement la cité qui, en organisant des concours, détermine quand et où on imite, ainsi que les moyens, l’objet et la manière des imitations, ce n’est pas la cité qui institue le plaisir humain pour les imitations. Nous l’avons vu aussi, le plaisir que prennent les êtres humains aux imitations est naturel (de même que leur capacité d’imiter), même si, il faut le souligner, il ne s’agit pas d’un désir naturel spécifique, étant donné qu’il rentre dans notre désir plus général de compréhension (Poét. 4, 1448b 12-19). La cité se borne à dicter les modalités de satisfaction de ce désir. En ce sens, ce qui distingue les cités n’est pas la présence de ce désir, mais les modalités de satisfaction ; de même pour les individus. Et tout indique que pour Aristote ce désir ne peut être satisfait d’une manière adéquate que dans le cadre d’une cité, que ce soit de manière collective ou individuelle.
34La naturalisation de la question du surgissement de la technique de composition qu’on trouve en Poét. 4 n’est pas inouïe pour un théoricien contemporain. Contrairement au biologisme des « genres littéraires » qu’on suppose présent dans la Poétique, ce type de biologisme non seulement ne gêne pas nos contemporains, mais peut même recevoir l’approbation de quelques-uns : plus d’un soutient en quelque sorte l’existence d’un besoin naturel de fiction, en pouvant même revendiquer une paternité aristotélicienne pour cette thèse79. Mais, si Aristote peut apparaître très en ligne avec un certain courant de l’esthétique contemporaine, il s’en écarte sur un point important, à savoir sur son aspect ludique ; j’y reviendrai dans un instant.
35Venons en d’abord au côté plus proprement religieux du contexte festif des performances. En fait, Aristote n’a aucun problème avec les affaires religieuses. Il en parle ouvertement dans les Politiques. Lorsqu’il énumère les parties sine qua non d’une cité, il mentionne sans réticence le soin concernant le divin, « ce qu’on appelle le culte, ἱερατεία », activité de première importance, à son avis (Pol. VII 8, 1328b 11-13 ; cf. VI 8, 1322b 29-31), exercée par des prêtres dont l’office fait partie des fonctions publiques sans être une magistrature politique (Po. IV 15, 1299a 17-19), bien que l’approche du religieux puisse varier selon la constitution80.
36Le problème est plutôt que, pour Aristote, tout ce qui tient à la religion traditionnelle relève du repos, et peut-être de la mort, qui, comme le montre Lanza, ne l’intéresse pas. Le moment du culte aux dieux est l’occasion d’une agréable détente, ἀνάπαυσις (EN VIII 11, 1160a 24-25), ce qui est aussi le but du jeu, ainsi que de l’ivresse (Pol. VIII 3-5). Et dans la meilleure constitution les fonctions sacerdotales devraient revenir aux citoyens âgés, qui sont retirés des autres occupations (Pol. VII 9, 1329a 27-34)81. Le silence d’Aristote à l’égard du contexte religieux des concours et des performances est sans doute dû à son intention d’effacer leur caractère ludique (collectif ou individuel, peu importe), caractère ludique qu’ils doivent justement à leur dimension et à leur origine religieuses. C’est pourquoi, d’ailleurs, Aristote ne s’intéresse pas de la même façon à deux autres types d’activités qui pourtant étaient, dans le monde grec, étroitement liées aux activités « musicales », à savoir les activités gymniques et hippiques, auxquelles on reconnaissait pourtant un caractère imitatif. En cela Aristote se distingue de Platon : par exemple, Lois VIII, qui s’occupe de la vie des citoyens adultes, traite, successivement, de ces trois types de concours82.
37À ma connaissance, à aucun moment Aristote ne suggère que l’imitation est intrinsèquement un jeu pour l’imitateur, encore moins pour le spectateur, ce qui n’empêche pas qu’un jeu puisse être l’imitation de quelque chose d’autre (Pol. VII 17, 1336a 32-34)83, ni qu’une imitation ne puisse être utilisée comme un jeu (Pol. VIII 5, 1339a 14-26). Simplement, dans ce cas, on ne fera pas des imitations un usage approprié. La mention de l’enfance en Poét. 4 n’est pas forcément une allusion au jeu comme tel. En cela, comme je l’ai annoncé, Aristote s’écarte d’une bonne partie de l’esthétique contemporaine84, qui, ici, se trouve plutôt dans le sillage de Kant85 et de Schiller86. Et, à mon avis, dans l’erreur. En Pol. VIII 5, Aristote explique même l’origine de cette erreur : puisque la finalité ultime de la vie humaine est agréable et que le jeu est, lui aussi, agréable, on prend le jeu pour une finalité ultime, mais le plaisir du jeu est justement le plaisir d’une détente, laquelle est consécutive à un effort passé et conditionnellement nécessaire pour la poursuite de l’effort (1339b 31 ss.).
38Bien sûr, la Poétique parle d’un plaisir pris aux imitations, et le fait même à plusieurs reprises. Ce plaisir ne constitue pas la « finalité immanente » des œuvres imitatives. La finalité de la tragédie est une certaine imitation, en ce sens qu’une imitation est la finalité de ce produit qu’est la tragédie. Mais le produit imitatif est destiné à un usage approprié, lequel consiste, nous l’avons vu, dans la reconnaissance, par le spectateur, de ce dont ce produit est une imitation. C’est cette reconnaissance qui lui procure, enfin, un plaisir. Ce plaisir cognitif n’est pourtant jamais décrit comme le plaisir d’une détente, lequel, pour Aristote, n’est même pas un plaisir à proprement parler (EN VII 13, 1152b 33 ss. ; 15, 1154a 28 ss.).
39Dans la dispute infinie entre jeu87 et éducation88, Aristote poursuit une « troisième voie », qui n’est aucunement une conciliation de ces deux choses. D’ailleurs, le jeu et l’éducation sont les revers de la même infantilisation de l’homme adulte qui hante l’esthétique depuis ses origines platoniciennes89. Bien entendu, il peut y avoir aussi bien une éducation qu’un jeu pour l’homme adulte, mais ni l’un ni l’autre ne sauraient être la chose la plus importante pour lui.
40Pour comprendre cette troisième voie, il faut encore une fois regarder les Politiques, notamment les livres VII et VIII, où Aristote esquisse la meilleure constitution. Ici, il distingue soigneusement90 entre, d’une part, le jeu, παιδία, et la détente, ἀνάπαυσις, et, de l’autre, le passe-temps (intellectuel), διαγωγὴ καὶ φρόνησις, et le loisir, σχολή, distinction dont Lanza ne tient pas compte91. La fonction principale de la tragédie et des autres produits imitatifs de ce genre consiste non pas dans le couple jeu-détente, mais dans le couple passe-temps (intellectuel)-loisir, du moins pour le citoyen adulte éduqué. Sur la base de Pol. VIII 7, 1342a 16 ss., Lanza92 soutient encore qu’Aristote s’imagine des destinataires différents pour les représentations dramatiques, mais cela ne me paraît pas exact. D’abord, ce passage ne décrit pas la situation d’Athènes, mais est prescriptif et s’insère dans le discours sur la meilleure cité. Ensuite, Aristote conçoit plutôt des motivations différentes : la détente est la motivation principale du public le plus vulgaire, celui des non-citoyens, qui n’est pas le public qu’Aristote vise dans la Poétique, comme le montrent les chapitres 13 et 26.
41Dans Pol. VII 14, chapitre qui fournit une base scientifique « psychologique » à la meilleure législation en matière d’éducation, Aristote conçoit la vie de l’homme adulte libre et citoyen selon deux grands moments, le non-loisir, ἀσχολία, et le loisir, σχολή. Le non-loisir doit pourtant être entrecoupé par des jeux, dans la mesure où il comporte de la fatigue et de la tension (Pol. VIII 3, 1337b 36-40). Mais on a du loisir plutôt dans des « passe-temps », c’est-à-dire dans des choses qui sont en vue d’elles-mêmes (1338a 10), comme, par exemple, l’écoute du chant de l’aède pendant les banquets (1338a 24-30).
42Un éclaircissement est nécessaire. Parfois, même dans Pol. VII-VIII, le loisir apparaît comme la disponibilité de temps ou la maîtrise de son propre temps (ou peut-être même le fait de ne pas devoir se procurer les biens matériels) qui caractérisent l’homme libre (par rapport à l’esclave)93, ou bien le citoyen (par rapport au producteur et au commerçant), citoyen qui peut ainsi se consacrer à l’action vertueuse et politique94. En ce sens, le loisir est une condition nécessaire de la vie heureuse, sans se confondre avec celle-ci95. Cependant, d’autres fois le loisir est une partie de la vie humaine (du moins de la vie de l’homme libre adulte), vie humaine qui se divise justement en non-loisir (occupation) et loisir (Pol. VII 14, 1333a 30-31)96, le loisir étant la finalité de toute occupation, comme la paix l’est de la guerre (35-36 ; 1334a 14-16 ; VIII 3, 1337b 34). L’éducation des enfants dans la meilleure constitution doit tenir compte de ces buts (1333b 3-5 ; 1334a 9-10).
43Dans ce deuxième sens, le loisir est non seulement une partie, mais la meilleure partie de la vie heureuse. Plus précisément, le loisir constitue une partie de la vie intellective de l’homme (Pol. VIII 2, 1337b 14-15 ; cf. EN X 7). Le loisir s’identifie à l’exercice même de la pensée théorétique, alors que l’occupation coïncide avec l’exercice de la pensée pratique, qui, ici, englobe celle productive (Pol. VII 14, 1333a 25 ss. ; cf. VII 3). Le loisir est donc cette partie de notre vie intellective dans laquelle notre pensée n’est pas occupée à raisonner sur une action à accomplir, ni sur une production à entreprendre, alors que le non-loisir recouvre la partie dans laquelle notre pensée est aux prises avec l’action et la production, la production étant encore moins « loisible » que l’action. Comme le pire est toujours en vue du meilleur (VII 14, 1333a 21-22), la pensée pratique est en vue de la pensée théorétique (1333a 25 ss. ; VIII 3, 1338a 1 ss. ; EN VI 13, 1143b 33-35 ; 1145a 6-11), laquelle se caractérise par l’absence de choix, προαίρεσις, ce qui n’empêche pourtant pas que le choix, le principe de l’action humaine, soit en vue de la pensée théorétique. Autrement dit, la pensée pratique ne commande pas la pensée théorétique, mais commande en vue de celle-ci. Ainsi, la pensée pratique non seulement peut et doit reconnaître la supériorité de la pensée théorétique, mais elle-même n’est pas concevable sans la pensée théorétique. Contrairement à la lecture habituelle de Pol. VII 1497, Aristote ne soutient donc pas que certains citoyens sont incapables d’accéder à la pensée théorétique (en sous-entendant par là qu’il est possible d’avoir la pensée pratique sans avoir la pensée théorétique), – mais je ne peux pas exposer ici mes raisons.
44En définitive, le mode de vie « le plus digne d’être choisi pour tous les hommes, pour ainsi dire », qui doit guider la meilleure constitution et son éducation, est, certes, un mode de vie politique, mais il n’est pas un mode de vie qui prévoit uniquement des « actions externes » (Pol. VII 3, 1325b 14-32). Au contraire, il est orienté par le passe-temps intellectuel et par le loisir, où justement s’insère l’usage approprié qu’on doit faire de certaines imitations. En ce sens, à la religion traditionnelle du repos et de la mort Aristote ajoute le « culte » de ce dieu vivant, toujours en activité, qu’est l’intellect contemplatif, νοῦς θεωρητικός (Mét. Λ 7 ; DA III 4-5). « Culte » qui n’est rien d’autre sinon l’exercice même de l’intellectif contemplatif qui est en nous.
45Bien entendu, ce mode de vie est pour tous « pour ainsi dire » vraiment, car de celui-ci sont exclus non seulement, en amont, ceux qui adoptent le mode de vie contemplatif d’EN X 7, mais surtout, en aval, ceux qui adoptent ce mode de vie mauvais98 qu’est le mode de vie de jouissance, ἀπολαυστικός, mode de vie qui privilégie les plaisirs d’ordre perceptif, notamment tactile99, qui est typique des producteurs et des commerçants100 et qui est comparable à celui d’un esclave101 – pour ne rien dire des femmes et des esclaves proprement dits. Chez Aristote, la cité qui pose le passe-temps intellectuel et le loisir comme les choses les plus élevées est donc fondée sur l’exclusion – bien entendu, de la citoyenneté, non pas de la cité – d’une très large portion de la population, mais cela, me semble-t-il, n’est pas une conséquence nécessaire qui découle du fait de poser ces choses-là comme les choses les plus élevées. Ceux qui, contrairement à Aristote, souhaitent une société qui n’exclut personne auraient tort de disqualifier la question du passe-temps intellectuel et du loisir.
46Pour conclure, la négligence du contexte festif des performances tragiques dans la Poétique n’est pas le fruit de l’inconscient, ni du hasard, ni, encore moins, d’un manque de renseignement ou de compréhension dû au fait qu’à Athènes Aristote est un étranger102. Non, c’est un choix délibéré, lequel tient à l’usage détourné que le philosophe promeut pour les compositions tragiques.
474. Venons, enfin, à la quatrième et dernière omission, celle de la figure du compositeur, à laquelle j’ai déjà commencé à répondre de manière implicite. Là aussi il me paraît inadéquat de parler d’omission.
48Contrairement à ce qu’affirme Lanza103, la Poétique ne néglige pas la figure du compositeur. Celui-ci devient beaucoup plus important que le chorège, qui pourtant était le vrai protagoniste des concours scéniques à Athènes104 ; c’est pourquoi, d’ailleurs, la Poétique parle le plus souvent de compositeur, non pas d’instructeur du chœur105. On est peut-être loin de la conception du compositeur comme « inspiré par le dieu » (ἔνθεος), être de nature exceptionnelle proche du devin106, conception qui, quoique bien présente chez Platon, avait déjà subi un renversement chez ce dernier107 et dont il ne reste qu’une trace chez Aristote108. Mais la figure du compositeur dans la Poétique est sans ambiguïté. Que ce soit par nature, par expérience ou par technique (entendez ces trois possibilités comme en gradation), le compositeur est un producteur, qui satisfait le désir, tout naturel, que les hommes ont d’imitations, comme le suggère Poét. 4109. Le compositeur fournit aux hommes des produits imitatifs, tout comme l’agriculteur leur fournit de la nourriture, le constructeur, des maisons, et le cordonnier, des chaussures110. Ce désir ne se situe pas pour autant au même niveau que notre besoin de manger. Au contraire, chez Aristote ce désir se situe à un niveau assez élevé, du même ordre que le désir que nous pouvons éprouver pour le savoir. Du reste, si ce n’était pas ainsi, l’intérêt intellectuel d’Aristote pour les produits destinés à le satisfaire resterait incompréhensible. En fait, les produits des techniques imitatives sont très différents des autres, dans la mesure où, dans le cas de ces imitations, on se sert uniquement de leurs qualités-quantités perceptibles (notamment visibles et audibles), et cela pour la reconnaissance des contenus intellectifs que celles-ci renferment. Il n’est pourtant pas moins vrai qu’il s’agit d’un désir naturel. Par conséquent, les produits des techniques imitatives n’ont aucune « autonomie », pace Lanza111, car, pour Aristote, tout artefact dépend ontologiquement de ses producteurs et surtout de ses usagers112.
49Cependant, le statut social du compositeur, notamment lorsqu’il est un technicien, reste ambigu chez Aristote, en quoi Lanza a raison. Je m’explique. On aime répéter que, contre Platon, Aristote réadmet les compositeurs dans la cité idéale. Que les compositeurs et leurs produits puissent (et doivent même) circuler dans la meilleure cité, cela ne fait pas de doute. Mais que le compositeur technicien soit un citoyen de la meilleure constitution, cela est beaucoup moins sûr. Dans la meilleure constitution, les producteurs et les commerçants sont non pas des citoyens, mais des étrangers résidents113. Avec une tournure presque grotesque, Aristote affirme que nécessairement ils appartiennent à la cité, mais qu’ils ne sont pas des parties de la cité (Pol. VII 9, 1329a 35-38). Est-ce le cas du compositeur technicien ?
50Certes, Aristote hiérarchise les travaux selon la place qu’y tient le travail manuel (Pol. III 4, 1277a 37 ss. ; 16, 1287a 35 ss.), et c’est peut-être pour cette raison qu’il consacre une étude à la technique de composition, mais non à d’autres techniques imitatives. Celle-ci est, en effet, la moins manuelle de toutes les techniques imitatives et elle est aussi, pour ce qui concerne l’usager, la moins dépendante de la perception et celle qui présente ainsi le moins de risque d’une réaction non désirée aux éléments perceptibles (Poét. 4), notamment les « effets collatéraux » d’ordre émotionnel. Néanmoins, on doit vraisemblablement étendre à toute technique imitative la recommandation qu’Aristote fait, dans le cadre du projet d’une éducation « citoyenne » de Pol. VII-VIII, de ne pas faire poursuivre aux enfants les études musicales pratiques après un certain âge (Pol. VIII 6, 1340b 35-39) et d’éviter tout « professionnalisme » dans leur instruction musicale, c’est-à-dire toute préparation en vue d’une participation aux concours114, dans la mesure où le « professionnel » ne joue pas en vue de son propre perfectionnement, mais pour le plaisir de ses auditeurs (1341a 9 ss.). Il n’est même pas question de rémunération115. Tout producteur qui ne produit pas pour lui-même est comme un esclave de la communauté politique116. Cela laisse entendre que des compositeurs « professionnels » ne seraient pas des citoyens.
51Cependant, on peut rétorquer que le compositeur compose pour lui-même et pour ses « amis » citoyens (ce qui n’est pas indigne, selon Aristote), et que dans la meilleure constitution justement il n’y a pas de concours. Le compositeur pourrait être considéré comme une sorte d’intendant d’un magistrat, bien que tout à fait détaché de la fonction religieuse traditionnelle. Toutefois, on peut invoquer deux éléments dans la Poétique qui semblent aller dans le sens opposé : 1) la caractérisation socio-éthique des compositeurs de la forme basse en Poét. 4-5 ; 2) le fait que la technique de composition puisse être propre à quelqu’un d’exalté, μανικός (Poét. 17, 1455a 30-35), ce qui est sans doute une dégénération d’un caractère « bien doué », εὐφυής117. Pour ce qui concerne le premier élément, il ne me paraît pas envisageable de recourir à une solution de type platonicien (Lois VII 816d 2 ss.), qui consisterait à déléguer la forme basse à des esclaves et à des étrangers résidents salariés, en réservant la forme haute à des citoyens, puisqu’on ne comprend pas la raison pour laquelle on devrait laisser l’imitation des choses basses aux personnes basses qui auront sans doute des jugement faux à l’égard du risible, sauf à supposer que la cité idéale supprime ce genre d’imitation, ce qui n’est jamais explicitement affirmé – même si Pol. VIII 7 1342a 16 ss. est parfois interprété de cette manière. En revanche, on peut répliquer que cette remarque ne s’applique qu’à la composition telle qu’elle était pratiquée à ses débuts et dans une société comme celle où Aristote vivait, mais non dans l’absolu, du moins dans le contexte d’une société et d’une pratique de composition réformées que la Poétique en quelque sorte présuppose. Mais il se peut aussi que le problème n’ait pas vraiment de solution dans le cadre de la « meilleure constitution » d’Aristote.
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Notes de bas de page
1 Lanza 1987a.
2 Lanza & Vegetti 1972.
3 Lanza 1987a, p. 56 ss.
4 Veloso 2000.
5 Veloso 2004.
6 Lanza 1987a, p. 61.
7 Veloso 2007a.
8 Lanza 1987a, p. 19 ss. ; 85.
9 Janko 2002 (1981).
10 Lanza 1987b.
11 Lanza 1987a, p. 44.
12 Les deux autres stratégies sont (1) l’usage de la langue par Aristote et (2) la cohabitation de la description et de la prescription.
13 Lanza 1987a, p. 32-35 ; cf. p. 68 ; 77.
14 Lanza 1987a, p. 35-44 ; 65 ; 80-82 ; 87-89.
15 Lanza 1980.
16 Lanza 1987a, p. 73 ss. ; 96.
17 Lanza 1987a, p. 89-91.
18 Une telle exclusion était pourtant déjà dominante dans la tragédie, selon Roberts 1992, p. 140.
19 Lanza 1987a, p. 37.
20 Ainsi également Halliwell 1986, p. 231-233 ; 1989, p. 172.
21 Voir Heath 1996 (1991), p. 396 ; Roberts 1992, p. 138-141.
22 Voir Rhét. II 22, 1396a 23 ss., sedEN I 12, 1101b 18 ss.
23 Voir Donini 2004, p. 118.
24 Mais, bien qu’admissible dans l’épopée (Poét. 24, 1460a 13), l’illogique doit se trouver, sinon en dehors de la construction des faits, du moins en dehors de la tragédie, voir Poét. 15, 1454b 6-8 ; 24, 1460a 29.
25 C’est le cas par exemple de Donini 2008.
26 Platon, Lois II 801b 10-11.
27 Voir par exemple Menoud 2005, p. 32-36.
28 Pol. I 9, 1257a 6 ss. Mais il peut en avoir plus d’un, voir aussi I 2, 1252a 34-b 5 ; IV 15, 1299b 9-10 ; PA IV 6, 683a 24-25.
29 Comme je l’explique dans plusieurs travaux, dont les plus récents sont Veloso 2004b, 2006, 2011 et Veloso & Rey Puente 2005.
30 J’entends une peinture (ou un dessin, ou encore une sculpture) qui non seulement imite un être humain, spécialement un visage, et qui permet ainsi la reconnaissance d’un être humain, mais une peinture qui est aussi capable de rappeler visuellement l’être humain particulier, vivant ou mort, dont les traits ont en quelque sorte déterminé cette peinture telle qu’elle est, à quiconque en a un souvenir visuel personnel, ce qui n’empêche pas que cette même peinture puisse rappeler visuellement un autre individu particulier, vivant ou mort, qui partage les mêmes traits que cette peinture reproduit, à quiconque a un souvenir visuel personnel de cet autre individu, ce qui peut amener à attribuer de façon erronée le sujet du portrait à cette autre personne. Cf. Schier 1986, p. 89 ss. ; Dubus 2006.
31 Voir, par exemple, Thucydide VII 44, 22.
32 À propos de Veloso 2007a, Donini 2008, p. CXVII, écrit que « probabilmente, cancellare da un testo le parole che fanno problema non è mai stato e non è, neanche oggi, il metodo esegetico più raccomandato ». Donini, p. CXXI, va jusqu’à dire que la suppression de la clause finale « va contro elementari regole del metodo esegetico e filologico ». D’abord, il ne s’agit pas d’une méthode exégétique, mais d’une proposition de solution à un problème exégétique, proposition qui naît du constat du caractère inacceptable de toutes les tentatives exégétiques à ma connaissance, voire de l’impossibilité de donner une exégèse acceptable. Ensuite, si Donini ne s’oppose pas par principe à toute suppression de texte (ce qui serait une aberration), il devrait dire quelles sont les conditions pour une suppression et quelles sont les conditions auxquelles je ne satisfais pas ; j’aimerais bien connaître au moins une des règles élémentaires que je ne respecterais pas. En tout cas, les textes à supprimer ne peuvent être que les textes qui en quelque sorte font difficulté, car on n’a pas de raison de supprimer ceux qui ne le font pas. D’ailleurs, Donini ne signale même pas la non-concordance des deux manuscrits principaux dans ce passage. Enfin, ma proposition lui paraît insoutenable, mais Donini 1998, p. 26-27, trouve que « c’è quasi da meravigliarsi che nessuno abbia pensato a un’interpolazione ».
33 Ainsi, me semble-t-il, par exemple Schaeffer 1999, p. 236.
34 Voir Halliwell 1989, p. 341-342.
35 Sur l’absence de cornes chez la biche, voir PA III 1, 662a 1-2 ; 2, 664a 3-6.
36 Goodman 1968, chap. I 5 ; II, 4.
37 Voir Veloso 2007b.
38 Voir toutefois Poét. 11, 1452b 9-13.
39 Comme le remarque J. I. Porter, dans un texte inédit auquel j’ai pu avoir accès ; j’en remercie l’auteur. Mais on attribue à Aristote un Περὶ τραγῳδιῶν en un livre, voir Diogène Laërce V 26.
40 Cela dit, les éléments exclus ou négligés peuvent réapparaître, notamment dans le chapitre final (Poét. 26, 1462a 15-16), où effectivement il s’agit de l’imitation tragique dans son ensemble.
41 Comme le remarque Dupont 2007, p. 134 ss.
42 Voir Halliwell 1986, p. 238-252.
43 Voir par exemple Wilson 2000, p. 5-6.
44 Si on a bien τραγῳδῶν, non pas τρυγῳδῶν, à la ligne 785. Cf. Grenouilles 1261 ss. ; Nuées 1353 ss.
45 Voir Wilson 2000, p. 67. À ce « choro-centrisme » Platon adhère entièrement, voir l’identification entre la première éducation et l’éducation chorale en Lois II 654a-b.
46 Sur cette institution athénienne (mais non seulement), voir Wilson 2000, même si je ne partage pas toujours sa lecture des passages d’Aristote, comme je le ferai remarquer.
47 Voir Platon, Lois II 654b 3-4.
48 Curieusement, d’ailleurs, on appelle le samba-enredo, c’est-à-dire « samba-histoire » (ou « samba-muthos »), le genre de samba qui est destiné aux défilés de carnaval et qui justement les structure.
49 Lanza 1987a, p. 67.
50 Je me réfère à une intervention orale que D. Lanza a faite lors des débats, pendant nos journées d’étude.
51 Voir Osborne 1993, p. 33.
52 Pace Neschke 1997, p. 335 ss.
53 Sur ce point, je suis bien d’accord avec Neschke 1997, p. 332.
54 Voici, dans la traduction d’A. Hasnaoui, la définition soi-disant « historique » de Wilamowitz, censée s’opposer à la définition « théorique » d’Aristote, tout en s’inspirant de celle-ci : « une tragédie attique est un épisode de la légende héroïque, ayant son unité propre, traité de façon poétique dans un style noble et destiné à être représenté par un chœur de citoyens attique et deux, voire trois acteurs, dans le sanctuaire de Dionysos comme partie intégrante de la célébration publique du culte du dieu » (Wilamowitz-Moellendorff 2001 (1889), p. 117).
55 Par exemple, la liste (non exhaustive) de Poét. 1, 1447a 13-16 (ἐποποιία, τραγῳδία, κωμῳδία, αὐλητική, κιθαριστική) n’est peut-être pas due au hasard, mais correspond aux modalités de compétitions aux deux concours musicaux les plus importants, à savoir les Grandes Dionysies et les Panathénées, comme le montre Rotstein 2004, sur la base d’IG II2 2311, l’épopée correspondant à la compétition rhapsodique.
56 Voir Poét. 7, 1451a 6-9 ; 9, 1451b 35-39 ; 13, 1453a 26-30 ; 18, 1456a 15-19.
57 Voir Freeland 1992, p. 128-129, et Wilson 2000, p. 6, mais ils « oublient » le reste du corpus.
58 Voir par exemple les renvois à la politique et à la rhétorique en Poét. 6, 1450b 6 (cf. 19, 1456a 35) et la référence à la politique en 25, 1460b 14, avec la note ad loc. de Donini dans Donini & Valgimigli 1997.
59 Pour l’extension du rôle du χορηγός de « chef du chœur » à « pourvoyeur », chargé non seulement des choses relatives au chœur, mais de l’ensemble de la production des choses nécessaires à la performance, voir Antiphon, Chor. (VI), 11-13 et Aristophane, Paix 1020-1022, avec Wilson 2000, p. 71 ; 87. Voir aussi l’usage métaphorique qu’Aristote fait du mot χορηγία pour l’ensemble des biens nécessaires à la vie heureuse en EN X 8, 1178a 24 ss.
60 Sur cette relation, voir Wilson 2000, p. 67.
61 Voir Donini 2004, p. 68.
62 Voir Rhodes 1985, p. 61-63.
63 Pace Wilson 2000, p. 169-170.
64 Mais Aristote narre d’un chorège à Lacédémone qui mena lui-même le chœur au son des auloi et suggère peut-être qu’un chorège comique à Athènes était aussi aulète (Pol. VIII 6, 1341a 33-34), avec Wilson 2000, p. 131 ss.
65 La distinction entre liturgies inutiles et utiles (notamment les militaires) se retrouve chez d’autres auteurs du IVe s., voir Démosthène, Lept. (20), 26 et Lycurgue, Léocr. 139-140. Pour la question de l’obligation-non obligation de ces liturgies, voir Lysias, Arist. (19), 56-57 ; Pour un citoyen accusé de menées (25), 13 ; Péroraison sur la confiscation des biens du frère de Nicias (18), 7 ; Aréop. (7), 11 ; Pseudo-Aristote, Rhét à Alex. 2, 15, 1424a 19-24. Sur ces questions, voir aussi Wilson 2000, p. 186-187 : 268-270 ; et encore p. 35, sur les courses aux flambeaux.
66 Pour l’idée selon laquelle les liturgies peuvent constituer une menace pour la démocratie, voir Lysias, Au sujet de l’examen d’Évandros (26), 4 et Isocrate, Paix 128.
67 Poét. 6, 1450b 15-20 ; 7, 1451a 6-7 ; 14, 1453b 1-7 ; 26, 1462a 5 ss.
68 Sur cette curieuse vertu que serait la magnificence, μεγαλοπρέπεια, voir EN IV 4-6, en particulier 5, 1122b 19 ss.
69 Ainsi Wilson 2000, p. 270.
70 Ainsi par exemple Wilson 2000, p. 187. Récemment, dans une communication orale préparée avec la collaboration de Peter Wilson, Eric Csapo a remis en cause la date et le responsable de l’abolition de la chorégie (« De la chorégie à l’agonothésie à Athènes au IVe s. av. J.-C. », Colloque International : L’argent dans les concours du monde grec, Université de Paris 8-ENS Ulm, Paris, 5-6 décembre 2008). La chorégie aurait été abolie non pas par Démétrios, mais, après sa fuite, par la démocratie restaurée de 307 av. J.-C. En outre, entre le chorège et l’agonothète il y aurait eu une figure de transition : l’ἐπιμελητὴς τῶν Διονυσίων. C’est cela que Démétrios aurait introduit. Csapo ne renonce pourtant pas à l’idée d’une inspiration aristotélicienne, puisqu’il croit voir une trace de cette figure en Pol. VI 8. Toutefois, sans préjuger de la validité de sa thèse principale, ce passage des Politiques ne permet pas sa lecture. En effet, Aristote ne se réfère pas à la cité de ses souhaits, mais se limite à énumérer les différentes fonctions possibles pour les magistratures en général, fonctions dont quelques-unes n’existent effectivement que dans certaines cités. Le terme ἐπιμέλεια dans l’expression περὶ ἀγῶνας ἐπιμέλεια γυμνικοὺς καὶ Διονυσιακούς, « surveillance des compétitions gymniques et dionysiaques » (Pol. VI 8, 1323a 1-2), est donc générique (cf. 1322b 39) et peut très bien décrire le travail de l’archonte à Athènes dans la période classique.
71 Comme le remarque Wilson 2000, p. 285, le discours d’Aristote semble impliquer que l’institution de la chorégie pouvait exister dans des régimes démocratiques aussi bien que dans des régimes oligarchiques.
72 Voir aussi 14, 1453b 1-7. Il est vraisemblable que ces passages (notamment ce dernier) se réfèrent à la lecture à haute voix, mais l’inexistence de la « lecture silencieuse » dans l’Antiquité peut être un mythe. Athénée (X 450e-451b) rapporte une devinette « multiple » extraite de la Sapho d’Antiphane, dont la solution, qui tourne autour de la lettre, suggère qu’« une autre personne qui par hasard se trouve à côté de celui qui la lit, n’entend rien ».
73 Pace Dupont 2007, p. 38-39 ; 2001, p. 17.
74 Les termes ἀγών et ἀγωνίζομαι qui y apparaissent ne se réfèrent pas forcément à une compétition, mais peuvent se référer aussi à la simple performance, voir Poét. 7, 1451a 6-9. En outre, la présence de θεατρικήν à la ligne 1342a 18 est douteuse.
75 Dans le chap. 3, à propos du nom et de l’origine du drame, la revendication par les Mégariens d’être la terre d’origine de la comédie suggère une relation entre celle-ci et la constitution « démocratique » (Poét. 3, 1448a 31-32). Dans le chap. 5, Aristote mentionne explicitement l’attribution du chœur comique par l’archonte, ce qui serait arrivé pour la première fois bien après l’attribution du chœur tragique (Poét. 5, 1449a 36 ss.). Or, dans la partie consacrée à la tragédie dans le chap. 4, il l’avait omis, alors que, d’après le chap. 5, on connaît bien mieux l’histoire de la tragédie.
76 Ainsi Donini 2004, p. 68.
77 Un exemple récent est Depew 2007.
78 Je le fais dans mon livre Pourquoi la Poétique d’Aristote ?, à paraître.
79 Voir Schaeffer 1999, p. 15 ; 236 ; 145-178 ; Menoud 2005, p. 31. Malgré sa définition institutionnelle de l’art, Dickie 1992 (1973), p. 19, parle aussi d’un « besoin d’art ressenti par les hommes ».
80 Par exemple, Aristote recommande que la démocratie regroupe les cultes privés en un petit nombre de cultes publics (Pol. VI 4, 1319b 24-25).
81 Les dépenses pour le culte aux dieux sont supportées par toute la cité dans la meilleure constitution (Pol. VII 10, 1330a 8-9).
82 Voir aussi Rép. III 412b.
83 Les jeux seraient tous des imitations de la vie humaine, selon Chauvier 2007, p. 52 ; 85 ; 113. Par « jeu » il entend, p. 14, une certaine structure actionnelle, c’est-à-dire une certaine série de mouvements corporels orientée vers un but, non l’amusement, c’est-à-dire un état d’esprit. En fait, on utilise ce mot pour désigner une série de mouvements corporels donnée justement lorsqu’on croit qu’elle est déterminée par un certain état d’esprit, ou bien pour désigner un état d’esprit donné justement lorsqu’on croit qu’il détermine une certaine série de mouvements corporels.
84 Voir par exemple Walton 1990, p. 4 ; Schaeffer 1999, p. 11 ss. ; 41 ; 1989, p. 84-85 ; 326.
85 Critique du jugement § 5 ; 9 ; 20 ; 22 ; 29 ; 35 ; 44 ; 45 ; 48 ; 51 ; 52.
86 Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, lettres XIV-XV et XXVI-XXVII.
87 Voir le discours de Périclès dans Thucydide II 38, 1, et 41, 4.
88 Voir Aristophane, Grenouilles 1008 ss.
89 On prétend parfois (Ferrari 1989, p. 113-114 ; Burnyeat 1999, p. 261 n. 11) que Platon ne traite pas les adultes comme s’ils étaient des enfants, mais qu’il songe à l’élément enfantin qui habite l’âme adulte. La différence n’est pas mince, mais il y a, dans cette attitude, une certaine idéalisation de l’âge adulte, comme si seul l’homme qui se comporte correctement pouvait être considéré comme un adulte. De toute manière, un (bon) projet de société ne peut pas ne pas tenir compte de la vie adulte, ni ne pas considérer les êtres humains adultes comme autre chose que des adultes.
90 À la différence de Platon, Lois VII.
91 Lanza 1987a, p. 64 ; 89.
92 Lanza 1987a, p. 74 ; 90.
93 Voir par exemple Pol. II 9, 1269a 35 ; VII 5, 1326b 31.
94 Voir Pol. VII 9, 1328b 39-1329a 2.
95 Voir Natali 1991, p. 95-96, qui rappelle la distinction aristotélicienne entre « ce sans quoi quelque chose n’est pas » et une partie de cette chose, entendez, une partie de son essence (EE I 2, 1214b 14-17 ; cf. Pol. VII 8, 1328a 21-26 ; 9, 1329a 34-39).
96 Voir aussi Pol. VII 15, 1334a 18-19. Les deux sens semblent se confondre en 1334a 31-40.
97 Lorsqu’Aristote écrit qu’« il faut que les [actions de la partie de l’âme qui est] par nature meilleure soient plus dignes de choix pour ceux qui sont capables (τοῖς δυναμένοις) d’atteindre toutes [les actions] oules deux (ἢ πασῶν ἢ τοῖν δυοῖν) » (1333a 27-29). À la fin de la phrase, il faut sous-entendre un mot féminin ; l’autre candidat possible dans ce passage est ἀρετή, excellence ou vertu, voir 1333a 18-19.
98 Et plus « facile » pour la nature humaine, voir EE II 5, 1222a 36-38.
99 Voir EE I 5, 1215b 30 ss.
100 Voir Pol. III 5, 1278a 20-21 ; VI 4, 1319a 26-28 ; VII 9, 1328b 38-1329a 1 ; EE I 4, 1215a 25.
101 Voir EN I 3, 1095b 14-22 ; X 6, 1177a 6-11.
102 Ainsi Frazier 1998, p. 124, reprise par Dupont 2007, p. 32-34.
103 Lanza 1987a, p. 39.
104 Pour cette dernière idée, voir Wilson 2000, p. 120.
105 Différemment, Aristophane peut utiliser ποιητής et διδάσκαλος, apparemment sans distinction, à quelques vers de distance, voir Achar. 625-635.
106 Hésiode, Théog. 31-32.
107 Voir Ap. 22a-c et naturellement tout l’Ion.
108 Voir Rhét. III 7, 1408b 17-20.
109 Nietzsche accuse Kant et les autres philosophes de ne penser qu’au spectateur en matière d’esthétique (Zur Genealogie der Moral, § 6). Or, pour Aristote, le producteur ne devrait penser, lui-même, qu’au spectateur.
110 Voir Rorty 1992b, p. 2.
111 Pace Lanza 1987a, p. 93.
112 Pol. I 4, 1254a 1-9 ; Mét. Θ 8, 1050a 26 ss. ; Z 7, 1032a 32 ss. ; PA I 1, 639b 21 ss.
113 Voir Pol. VII 6, 1327a 11-39 ; 9, 1328b 23-1329a 2 ; 1329a 19 ss.
114 Voir aussi Pseudo-Aristote, Probl. XIX 15.
115 De toute manière, quelques passages suggèrent l’existence (quoique « symbolique ») d’une rémunération des « instructeurs du chœur » à Athènes, voir Aristophane, Grenouilles 367-8 ; Platon, Lach. 183b ; Rép. VIII 568a-d, avec Wilson 2000, p. 129.
116 Voir Pol. III 4, 1277b 5-7 ; VIII 2, 1337b 18-21 ; VIII 5, 1339b 7-8 ; Rhét. I 9, 1367a 31-32, avec Lévy 1979, p. 42.
117 Comme le soutient Lanza 1987a, p. 43.
Auteur
LIS, E.A. 4395, Université de Paris Est-Créteil
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