Francesco Cattani Da Diacceto commentateur du Banquet. Note néoplatonicienne
p. 163-170
Texte intégral
[Les dieux] n’ont pas agi de même avec Achille, le fils de Thétis, qu’ils ont honoré et qu’ils ont envoyé aux Îles des bienheureux pour la raison suivante : prévenu par sa mère qu’il trouverait la mort s’il tuait Hector, tandis que, s’il ne le tuait pas, il reviendrait au pays et finirait ses jours âgé, il eut l’audace de choisir de faire quelque chose pour Patrocle son amant et de le venger, non seulement en mourant pour lui, mais aussi en le suivant par sa mort dans le trépas. Voilà pourquoi les dieux, pleins d’admiration, lui ont accordé des honneurs exceptionnels, pour avoir ainsi mis si haut son amant. Eschyle raconte des bêtises, quand il prétend qu’Achille était l’amant de Patrocle. Achille surpassait en beauté non seulement Patrocle, mais aussi tous les autres héros pris ensemble. Il n’avait pas encore de barbe au menton ; et par conséquent il était plus jeune, comme le dit Homère. En fait, s’il est vrai que les dieux honorent au plus haut point la valeur qu’Éros inspire, ils admirent, estiment et récompensent encore plus le sentiment de l’aimé pour l’amant, que celui de l’amant pour l’aimé, car l’amant est chose plus divine que l’aimé, puisqu’un dieu l’inspire. Voilà bien pourquoi les dieux ont accordé plus d’honneur à Achille qu’à Alceste, en l’envoyant aux Îles des bienheureux1.
1Ce passage du discours de Phèdre dans le Banquet [179e sq.], n’a pas retenu outre mesure l’attention de Marsile Ficin, qui n’y fait qu’une courte allusion dans son célèbre De amore :
Mais Phèdre expose amplement ce phénomène et propose trois exemples d’amour. L’un est d’une femme pour un homme, quand il parle d’Alceste, femme d’Admète, qui voulut mourir pour son mari. Le deuxième est d’un homme pour une femme, tel celui d’Orphée pour Eurydice. Le troisième, d’un homme pour un homme, comme celui de Patrocle pour Achille. Par où il nous montre que rien ne peut rendre les hommes plus courageux que l’Amour. Mais je n’ai pas l’intention pour le moment d’approfondir l’allégorie d’Alceste ou d’Orphée. Car ces exemples font ressortir avec plus de force la puissance et l’empire d’Amour si on les relate comme histoires réelles que si on les regarde comme allégories2.
2Parmi tous les griefs qu’il adresse au De amore de Ficin3, on sait que Jean Pic de la Mirandole s’en est pris particulièrement dans son propre Commento à cette forme d’esquive sur l’emprise d’Amour :
[…] ce que Platon ne pouvait exprimer plus subtilement ni plus poétiquement dans sa parabole où Orphée désirant retrouver Eurydice sans vouloir mourir, car amolli et efféminé par sa musique, chercha un moyen de la rejoindre vivant, ce qui l’empêcha, à ses dires, de rencontrer la véritable Eurydice, car il ne put voir que son ombre et son fantôme. Un sort identique attend celui qui croit pouvoir parvenir à la vraie connaissance des Idées intelligibles sans se détourner des opérations de la faculté imaginative, ni de la part rationnelle, car il ne voit pas leur être intrinsèque et authentique, mais un fantôme et une imitation reflétée dans l’intellect passif ou dans l’imagination. Quoique subtile et élevée, cette signification me semble si conforme à l’ordre des choses que je m’étonne de voir Marsile et tant d’autres à sa suite ne pas l’avoir comprise dans le texte de Platon ; car je puis dire en toute conscience qu’à ma première lecture du Banquet, j’avais à peine fini le récit de Platon, en cet endroit, que la vérité m’apparut clairement telle que je l’exposerai dans mon commentaire au Banquet et dans ma Théologie poétique4.
3Avec son intelligence un peu hautaine, Jean Pic reproche aux ficiniens de manquer tout ensemble de subtilité et d’élévation. Le parti-pris exégétique – pour une fois réaliste et non allégorique – que Marsile énonce clairement lui-même n’y est sans doute pas étranger. Écrivant en médecin et presque en psychologue, Ficin souhaite d’abord conserver à ses exemples platoniciens leur toute-puissance érotique ; d’autant que les cas d’Alceste, d’Orphée et de Patrocle, mis dans la bouche de Giovanni Cavalcanti au début du De amore, plaident suffisamment en faveur de l’utilité, de la dignité et de la sublimité d’Éros, objets de ces premiers chapitres5. La force anoblissante de l’amour, qu’affaiblirait une lecture allégorique, semble renforcée, en revanche, par l’histoire humaine. Un lecteur moderne, plus malicieux que Jean Pic, pourrait imaginer que Marsile n’a par ailleurs nul intérêt à laisser gloser l’amour homosexuel d’Achille et de Patrocle par Cavalcanti que beaucoup, particulièrement dans le secteur des gay studies, considèrent comme son ami de cœur, sinon plus. Mais là n’est pas la question. Dans la hiérarchie des commentaires platoniciens, Jean Pic tient à occuper la première et plus haute place, tout en négligeant de considérer l’expédient ficinien comme une figure obligée du discours d’initiation érotique grâce auquel, tout au long du De amore, Ficin va graduant son herméneutique. Du plus humain au plus divin, de la Vénus terrestre à la Vénus céleste, du sens obvie au sens caché, de la signification historique à l’allégorique puis à l’anagogique, l’auteur du De amore ménage à son lecteur une progression initiatique dans les mystères d’Éros. Ainsi, depuis le double culte rendu aux deux Vénus, Ficin ouvre-t-il sciemment une bifurcation vers l’un et l’autre public, celui des hommes humains6 et celui des hommes démoniques ou divins. Et si l’on peut mettre sur le compte d’une approche humaine des mystères d’amour, le vif succès de leur diffusion mondaine, dont l’histoire n’est plus à faire au XVIe siècle de Léon l’Hébreu à Bembo, on doit observer que depuis la critique métaphysique de Jean Pic, une autre approche existait chez certains commentateurs moins populaires7. Pourtant cette exégèse faisant écho, par-delà le Quattrocento, aux insatisfactions de Jean Pic, n’a jamais été vraiment valorisée. On la doit à un profond admirateur du Mirandolain, qui se trouve être aussi, selon Varchi, le dauphin désigné par Ficin pour lui succéder à la tête de l’Académie platonicienne : Francesco Cattani da Diacceto8. C’est au cours de son In Symposium Platonis enarratio, commentaire rédigé entre la fin du Quattrocento et les premières années du Cinquecento, que Diacceto livre cette fine analyse de l’amour d’Achille :
Horum sane Achillis Patroclique fabula nos admonet. Achilles, inquit, mortuo Patroclo amante mori voluit; dii vero admirati facinus, non solum in vitam revocarunt, verumetiam beatorum insulas destinarunt illi habitandas. Patroclum puto animam ipsam ascendentem ad vera intelligibilia adminiculo sensibilium. Achillem vero sensibilium notiones in anima. Mortuus est Patroclus amans, id est, eo usque processit anima, ut non amplius sensilium notionibus indigeat, quibus innitatur. Quo fit ut sensilium notiones usui desinant esse animae ad intelligentiam comparandam. Hinc est quod mori Achilles dicitur. Dii vero hunc volunt reviviscere, quoniam animae pro notionibus sensibilium fiunt obviam ipsa intelligibilia; unde sapientia comparatur. Ex sapientia vero felicitas evenit et bonum, quod est beatorum insulas Achilli habitandas destinari. Sed quomodo dicitur amans amato praestantius esse? An si comparetur vis intelligendi ad id quod intelligitur, longe melius est id quod intelligitur. Intelligibile enim movet non motum, ut Aristoteles inquit in undecimo Rerum divinarum […] Plato enim quando dicit amatum esse deterius amante, non de ipso intelligibili intelligit (quod re vera amatum est; id enim longe praestat) verum de notionibus sensibilium in anima, quae et ipsae propterea amatum dicuntur, quoniam usui sunt animae ad verum intelligibile consequendum. Hae sane intelligente anima longe sunt deteriores. […] Atque id est quod inquit Plato: ‘amans propterea amato praestantius esse, quod divino furore agitur’. Verum quid sibi vult Plato dicens, longe magis diis cordi esse, ubi amatum in gratiam amantis moritur, quam ubi amans in gratiam amati? An mori amans in gratiam amati, nihil est aliud, quam animam incumbentem in veritatem, abjicere vitam sensibilem, ne sensilium notiones, quae sunt usui ad veritatem comparandam, irritae sint? Amatum enim sensilium notiones significat. Quod ex eo afferitur, quod dictum est, amatum amante esse deterius. Fiunt autem irritae, si sit impedimento sensibilis vita. Amatum vero mori in gratiam amantis, significat notiones sensibiles usui non esse amplius, quod intelligens anima in ipsam veritatem intueatur; quod re vera amatum est. Si igitur multo plus est omnino negligere notiones sensilium, intuente anima veritatem, quam deponere vitam sensibilem, ut notiones sensilium ad veritatem usui sint; multo plus utique erit, amatum pro amante, hoc est, Achillem in gratiam Patrocli, quam amans pro amato, hoc est Alcestidem in gratiam Admeti mori. Quapropter quid mirum, si Achilles ad maiorem honorem evectus est? Anima enim ex vero intelligibili non solum sapientia, verum etiam ipsam felicitatem reportat. Quod quidem est, Achilli in vitam a diis restituto beatorum insulas habitandas destinari; cum Alcestidi in vitam revocari satis fuerit9.
Leur histoire – celle d’Achille et de Patrocle – nous instruit judicieusement. [Platon] raconte qu’Achille voulut mourir à la mort de son amant Patrocle ; et les dieux émerveillés par ce geste d’éclat, non seulement le rappelèrent à la vie, mais de plus lui destinèrent à demeure les îles des bienheureux. Je pense que Patrocle est l’âme qui accède aux vérités intelligibles à partir des notions sensibles. Et Achille en revanche représente les notions sensibles dans l’âme. Patrocle l’amant est mort signifie : le point d’arrivée où l’âme n’a plus besoin ultérieurement des notions sensibles sur lesquelles elle s’appuie. De là vient que les concepts des choses sensibles cessent d’être utiles à l’âme pour acquérir la sagesse. D’où Achille est déclaré mort. Mais les dieux veulent le ressusciter, puisque les concepts intelligibles même s’offrent à l’âme en vertu des notions sensibles, d’où elle obtient la sagesse. Et de la sagesse découlent la félicité et le bien, c’est-à-dire que les îles des bienheureux sont données comme demeure à Achille. Mais comment peut-on dire que l’amant est supérieur à l’aimé ? Si l’on compare la faculté d’intellection à son objet d’intellection, l’objet d’intellection est bien meilleur. En effet, l’intelligible met l’immobile en mouvement, comme le dit Aristote au onzième livre de la Métaphysique10 […] Donc quand Platon dit que l’aimé est inférieur à l’amant, il n’entend pas l’intelligible même (qui est aimé en vérité et domine tout en effet), mais les concepts des choses sensibles dans l’âme, qui sont pour ce motif eux-mêmes dits ‘chose aimée’, parce qu’ils servent à l’âme pour atteindre la vérité intelligible […] Et c’est ce que dit Platon : ‘l’amant est pour ce motif supérieur à l’aimé, parce qu’il agit sous l’emprise d’une fureur divine’ [Le Banquet, 180 b]. Au contraire, que veut signifier Platon lorsqu’il dit que ‘les dieux sont plus touchés quand l’aimé meurt par amour pour l’amant, que quand l’amant meurt par amour de l’aimé’ [Le Banquet, 180 a] ? Et que l’amant meurt pour l’aimé, n’est-ce rien d’autre que l’âme se penchant sur la vérité, qui rejette la vie sensible afin que les notions sensibles nécessaires à acquérir la vérité ne soient pas vaines ? L’aimé en effet signifie les notions sensibles. De là la déclaration qui est faite que l’aimé est inférieur à l’amant. Car ces notions deviennent inutiles, si la vie sensible est un obstacle. Que l’aimé meurt par amour de l’amant, signifie que les notions sensibles ne sont plus d’aucun usage, car l’âme intelligente se reflète dans la vérité même, qui est en vérité l’objet aimé. Si donc il est beaucoup mieux d’abandonner les notions des choses sensibles, une fois que l’âme voit la vérité, que de quitter la vie sensible afin que les notions des choses sensibles servent à l’acquisition de la vérité ; de même il sera beaucoup mieux que l’aimé meure par amour de l’amant, comme Achille meurt pour Patrocle, que l’amant ne meure par amour de l’aimé, comme Alceste meurt pour Admète. Aussi quoi d’étonnant si Achille est élevé au plus grand honneur ? En effet, l’âme détient de la vérité intelligible non seulement la sagesse mais aussi la félicité même. Et il arrive qu’à Achille ressuscité les dieux donnent à habiter les îles des bienheureux, alors qu’il est suffisant de rappeler Alceste à la vie. (Notre traduction).
4Diacceto dévoile certaines difficultés platoniciennes. De fait, Platon semble soutenir une contradiction : l’amour de l’inférieur pour le supérieur plaît davantage aux dieux que l’amour du supérieur pour l’inférieur. N’ont-ils pas concédé à l’aimé Achille, inférieur en tout à Patrocle, l’amant « divinement inspiré », la vie et la félicité éternelles qui sont les plus beaux des dons ? Pour justifier cet apparent paradoxe, Diacceto a donné dans une herméneutique profondément cognitive où l’argument érotique, cher à Platon et à Ficin, reste suspendu à la métaphysique d’Aristote. Cette manière est bien dans son style de conciliateur des deux systèmes, à l’image de Jean Pic et de sa concorde d’Aristote et de Platon. Or Platon n’avait ici d’autre intention que de célébrer la puissance du meilleur amour, qui reconnaît toujours la suréminence d’un amant divin. En revanche, les concepts des choses sensibles nécessaires à la connaissance intelligible, source de sagesse, sont au cœur de la longue et laborieuse exégèse de Diacceto. On peut la résumer en quelques propositions : Patrocle est l’amant (l’erastès platonicien), Achille est l’aimé (l’eròmenos platonicien). L’amant Patrocle signifie l’âme accédant aux vérités intelligibles à partir des notions du sensible. L’aimé Achille vaut pour les notions du sensible nécessaires à l’intelligibilité et à la conquête de la sagesse. La mort de Patrocle symbolise l’âme séparée parvenue au terme de sa quête, n’ayant plus besoin des notions du sensible. La mort d’Achille représente dès lors l’inutilité de ces notions. Les dieux pourtant rendent Achille à la vie, car les réalités intelligibles se donnent à l’âme par l’entremise des notions sensibles, de ce fait utiles à la sagesse. Et de la sagesse découle la félicité, symbolisée par les îles des bienheureux où Achille demeure.
5Depuis sa correspondance avec Ficin, en septembre 1492, Diacceto était réputé à Florence et hors de Florence pour son habilité naturelle à démêler les obscurités métaphysiques de Platon, de Plotin et de Proclus. En témoignent ses lettres à Cristoforo Marcello11. Cette fois, son analyse des amours d’Achille et de Patrocle devait sans doute quelque chose à une source précise, d’ailleurs susceptible de l’orienter au-delà d’Aristote. On sait que l’exégèse philosophique du passage d’Homère sur la mort et le bûcher de Patrocle remonte au moins à Porphyre12 ; et c’est justement à un fragment de Porphyre Sur le Styx, conservé par Stobée, que se réfère encore sur ce point, au XVIIe siècle, l’humaniste français Le Loyer dans ses Discours des spectres13. En revanche c’est dans le Commentaire de Proclus sur la République, particulièrement dans la VIe dissertation, que le cas particulier d’Achille est traité par deux fois et de manière fort suggestive. Dans le premier cas Proclus répond aux objections des Épicuriens contre l’obscénité des mythes homériques et remarque :
Voilà pourquoi, quand Achille a vu dans quel état Patrocle s’entretient avec lui près du tombeau de son corps, il a cru sans doute qu’il y a encore dans l’Hadès de l’âme, une image fantomatique, mais sans qu’il y ait en elle un intellect ni une pensée qui serve l’âme. En effet les agissements de la partie irrationnelle amenaient à poser âme et fantôme, mais ne pouvaient garantir, d’après ce qui était vu dans le rêve, que l’ombre eût reçu l’âme intellective14.
6Quoique négatif, le rapport établi entre l’image de Patrocle et l’âme intellective, pouvait suggérer à Diacceto d’explorer plus avant l’allégorie de Patrocle comme « amant-âme intellective », d’autant que celle d’Achille comme « aimé-âme sensible », la précédait de peu :
[…] et lorsque [les âmes passionnées pour le corps] sont parvenues dans l’Hadès, elles aspirent nostalgiquement à l’union avec ce corps, comme l’âme d’Achille, parce qu’elles préfèrent la vie d’ici-bas à la vie séparée […]15.
7Puis en un second cas où il décrypte les mystères homériques, Proclus reconnaît dans le bûcher de Patrocle un rite théurgique célébré par Achille :
[…] il faut dire que tous les agissements d’Achille, touchant ce bûcher, dès lors qu’ils élèvent l’âme de Patrocle à la vie séparée, imitent les procédés dont usent les théurges pour donner l’immortalité à l’âme […] C’est tout juste si le poète ne nous proclame pas ainsi que l’opération d’Achille concernait l’âme de son ami, et non pas seulement son corps visible, et que tous les rites qu’il avait employés avaient un sens symbolique, que le cratère d’or symbolisait la source des âmes […] le bûcher, la pureté sans tache qui peut, tirant l’âme du corps, la conduire vers l’invisible […] parce qu’Achille savait ce qui commande en l’âme et qu’il a rendu hommage à cette partie16.
8Cet hommage rendu à l’âme intellective et immortelle de Patrocle, suggérait de faire d’Achille le médiateur d’une abstraction suprême qui, en suivant Porphyre17, détachait Patrocle des notions sensibles tout en l’adressant à la contemplation des vérités séparées. Dans un tel contexte, Diacceto voyait que l’amour d’Achille s’accordait pleinement avec la reconnaissance platonicienne de l’amant divin, avec la fonction psychique des notions sensibles et avec le principe aristotélicien d’une hiérarchie complémentaire des facultés. Mais pouvait-il connaître la VIe dissertation ?
9Dès 1492 Marsile Ficin eut accès à un manuscrit du Commentaire de Proclus sur la République, rapporté à Florence par Lascaris, l’actuel Laurentianus, LXXX, 918. Cette date tardive explique pourquoi le De amore ignore l’Achille de Proclus et pourquoi Diacceto a pu implicitement le citer. Cependant Ficin a tiré du Laurentianus quelques traductions pour son ami Martin Uranius. Bien qu’Achille n’y figure pas, la VIe dissertation y est bien présente, notamment avec un passage, à propos des Tres habitus statusque animarum separatarum, qui suit immédiatement l’évocation de l’âme de Patrocle dans l’Hadès :
Proinde quemadmodum animarum in coelum ascendentium instrumenta harmonicam vocem emittunt, motumque concinum praeferunt, sic sub terras descendentium iamque minus rationalium sonus similis est lamento, ferens videlicet affectuosae phantasticaeque vitae duntaxat imaginem19.
10Ce qui correspond à cette citation du Commentaire :
Car de même que l’organe des âmes qui montent au ciel émet un son harmonieux et dans le ton, et qu’il apparaît doué d’un mouvement bien rythmé, de même le bruit des âmes qui vont sous terre et sont plus dénuées de raison ressemble à un cri aigu, car il ne porte la forme que de la vie appétitive et imaginaire20.
11On peut difficilement en douter, Diacceto porta un jour les yeux sur une page dont son maître avait déjà tiré quelques extraits proclusiens sur les trois habitus des âmes séparées.
Notes de bas de page
1 Platon, Le Banquet, présentation et traduction de L. Brisson, Paris (1998) 2007, p. 99-100.
2 M. Ficin, Commentaire sur le Banquet de Platon, De l’amour […], éd. P. Laurens, Paris 2002, p. 18-19 ; voir aussi M. Ficin, Commentaire sur le Banquet de Platon, éd. R. Marcel, Paris 1978, p. 144.
3 Voir dernièrement : M. J.-B. Allen, Eurydices in Hades, Florentine Platonism and an Orphic Mystery, dans S. Caroti-V. Perrone-Compagni (dir.), Nuovi maestri e antichi testi. Umanesimo e Rinascimento alle origini del pensiero moderno. Atti del convegno internazionale di studi in onore di Cesare Vasoli (Mantova, 1-3 dicembre 2010), Firenze, 2012, p. 36-37.
4 J. Pic de la Mirandole, Commento, trad. S. Toussaint, Lausanne 1986, p. 160 ; voir aussi J. Pic de la Mirandole, Commentaire sur une chanson de Jérôme Benivieni, trad. P. Mari-Fabre, Paris, 1991, p. 127.
5 Voir M.-Ch. Leitgeb, Concordia mundi. Platons Symposion und Marsilio Ficinos Philosophie der Liebe, Holzhausen 2010, p. 21-23.
6 Ce point a bien été vu par L. Boulègue, « L’amor humanus chez Marsile Ficin : entre idéal platonicien et morale stoïcienne », Dictynna, 4 (2007), article en ligne : http://dictynna.revues.org/144. Pour les innombrables études sur ce thème et celui de l’Éros ficinien en général, nous renvoyons à notre « Bibliographie Ficinienne », publiée avec T. Katinis, puis Th. Gilbhard, dans les numéros d’ Accademia, II (2000), p. 101.136 ; III (2001), p. 9-21 ; IV (2002), p. 7-18 ; V (2003), p. 9-16 ; VIII (2006), p. 7-21 ; XI (2009), p. 7-12. Voir aussi l’étude récente de S. Schneider, Kosmos, Seele, Text. Formen der Partizipation und ihre literarische Vermittlung: Marsilio Ficino, Pierre de Ronsard, Giordano Bruno, Heidelberg, 2012, p. 99-146.
7 Sur le « platonisme populaire » ficinien, dont Jean Pic entendait se distinguer, on lira les remarques de P. R. Blum, Philosophy of Religion in the Renaissance, Burlington, 2010, chap. 8, p. 127 sq.
8 Sur Francesco Cattani da Diacceto (1466-1522), voir maintenant notre Introduction à la réimpression des Opera omnia, Bâle 1563, Enghien-les-Bains 2009, p. I-XV, avec une bibliographie mise à jour, à laquelle il convient d’ajouter : T. Mozzatti, Giovanfrancesco Rustici.Le compagnie del Paiuolo e della Cazzuola, Firenze, 2008, p. 97 sq. ; M. J. E. van den Doel, Ficino, Diacceto and Michelangelo’s Presentation Drawings, dans R. Bodet alii (dir.), The Making of the Humanities, vol. 1: Early Modern Europe, Amsterdam, 2010, p. 107-132.
9 F. Cattani da Diacceto, Opera omnia, fac similé de l’édition de Bâle 1563, avec une introduction de S. Toussaint, Enghien, 2009, p. 154-155.
10 Il est fait mention d’un intelligible moteur ou d’une première substance intelligible motrice au livre XII (Métaphysique 1073a).
11 Pour plus de détails, voir S. Toussaint, « Édition et traduction annotée de Cristoforo Marcello, ‘De anima’, livre VI, chapitre 46 », Accademia, V (2003), p. 81-98.
12 Sur Porphyre et Homère : R. Lamberton, Homer the Theologian: Neoplatonic Allegorical Readings and the Growth of the Epic Tradition, Berkeley-Los Angeles-London, 1989, passim ; J. A. MacPhail Jr., Porphyry’s Homeric Questions on the Iliad, Text, translation, commentary, Berlin-New York, 2011, p. 1-6 ; sur la question de l’âme séparée dans l’Hadès : A. Smith, Porphyry’s place in the Neoplatonic Tradition,. A study in Post-Plotinian Neoplatonism, The Hague, 1974, part p. 22 ; A. P. Johnson, Religion and Identity in Porphyry of Tyre. The limits of Hellenism in Greek Antiquity, Cambridge-New York, 2013, passim et part. p. 32-37, 139 sq.
13 P. Le Loyer, Discours des spectres ou apparitions des esprits, tome second. A Paris chez Nicolas Buon, 1608, p. 513-514. On lit à présent la citation de Porphyre dans : Porfirio, Sullo Stige, éd. C. Castelletti, Milano, 2006.
14 Proclus, Commentaire sur la République, trad. et notes A.-J. Festugière, tome I, Dissertations I-VI (République I-III), Paris, 2005 (1966), p. 140.
15 Proclus, Commentaire sur la République, éd. cit., p. 138.
16 Ibid., p. 172.
17 L’ interprétation porphyrienne sera reprise par Le Loyer, op. cit., p. 514 : « Qu’est-ce à dire cela que Patrocle après qu’il sera bruslé ne se présentera plus à Achile ? C’est qu’estant reduit & consommé en cendre & clos en l’urne sepulcrale, ce dit encore Porphyre, il deposera avec la mémoire les signes corporels, qui sont les imaginations. Ce que dit Porphyre est de la doctrine d’Aristote. Car comme il est certain que par la memoire l’imagination subsiste ; si la memoire se pert il faut consequemment que ce que nous imaginons s’oublie, et oublié & esvanouï qu’il sera, que nous oublions toutes les perturbations de l’esprit, à fin que l’ame soit d’autant plus heureuse ayant atteint le comble de ce qu’elle desiroit le plus, qui est un pur intellect separé de toutes imaginations corporelles. »
18 Marsilio Ficino e il ritorno di Platone, manoscritti stampe documenti, 17 maggio-16 giugno 1984, a cura di S. Gentile, S. Niccoli, P. Viti, Firenze 1984, Scheda 117, p. 151-152.
19 Excerpta ex Proculo in rem publicam Platonis a Marsilio Ficino, in Epistole Marsilii Ficini florentini, fac-simile de l’édition de Venise, 1495, avec une Introduction de S. Toussaint, Lucca, 2011, livre XI, p. 382.
20 Proclus, Commentaire sur la République, éd. cit., p. 140.
Auteur
CNRS (LEM Villejuif)
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