Commenter Aristote à la fin du XVIe siècle : L’exemple du De naturalibus rebus de Giacomo Zabarella
p. 61-75
Texte intégral
1Le terme « commentaire » est, nous le savons, devenu peu à peu ambigu, non seulement parce qu’il recouvre des formes et des modalités très diverses d’examen d’un texte (explanatio, paraphrasis, adnotationes, observationes…)1, mais aussi parce qu’il pose un problème de définition : l’on s’aperçoit que ce que nous nommerions aujourd’hui plutôt « traité », ou même parfois « manuel », peut tout à fait se parer, au XVIe siècle, du titre de « commentaire ». C’est particulièrement net dans le domaine de la philosophie naturelle, où l’on trouve rangées sous l’appellation de commentarii in libros Aristotelis des œuvres qui, certes, traitent de philosophie naturelle, mais qui ne s’appuient pas toujours sur les textes du Stagirite, ni même quelquefois véritablement sur ses théories. Ainsi Johannes Velcurio, professeur de philosophie naturelle à l’Université de Wittenberg, n’a-t-il pas craint de publier, dans les années 1530, des Commentarii in universam physicam Aristotelis2, qui cachent sous ce titre majestueux une synthèse de théories de philosophie naturelle extrêmement diverses, où voisinent des réminiscences de Pline et de Sénèque, des vers d’Ovide, un brin de Lucrèce revisité, et l’exégèse hexamérale des Pères de l’Église. Cet ensemble disparate n’a pas vocation à être confronté au texte d’Aristote, qui n’est pas véritablement analysé, mais fonde une cosmologie syncrétique autonome. Significativement, ces Commentarii ont été également publiés sous le titre, moins ambitieux mais plus conforme à la réalité, de Epitomæ physicæ libri quatuor3. Ni le terme de commentaire, ni le nom d’Aristote ne figurent dans cet autre titre. À l’autre bout du siècle et à l’opposé de la méthode suivie par Velcurio, les Jésuites de Coimbra commentent (au sens que nous donnons aujourd’hui à ce terme) le corpus aristotélicien, en citant le texte du philosophe en grec et en latin, section par section, chacune accompagnée d’abord de son explanatio, puis de la liste des quæstiones soulevées par les difficultés du passage, examinées selon la méthode canonique, avec les objections, et les solutions aux unes et aux autres4. Les Jésuites, cependant, ne changent pas de titre quand ils changent de pratique, et intitulent également « commentaire » l’ouvrage qu’ils consacrent aux Parva Naturalia5, alors même que le texte d’Aristote n’y est plus cité et que, pour faire vite, il n’y reste des traités sources guère plus que leurs titres : le commentaire au De somno, que j’ai eu l’occasion d’examiner ailleurs6, devient sous leur plume un traité médical, tout à fait similaire aux chapitres sur le sommeil que l’on peut trouver, à la même époque, dans les Régimes de santé7.
2Ce point n’est, bien sûr, pas nouveau, puisque, parmi les innombrables griefs des humanistes contre la scolastique, figure justement le fait que cette dernière « avait pris les textes antiques comme des prétextes pour un parcours didactique ou théorique autonome »8. Avec un ouvrage comme celui de Velcurio, ce problème prend cependant un caractère particulièrement aigu, et l’on peut se demander si c’est parce que l’emprise des théories aristotéliciennes est encore si forte qu’il va de soi que penser la philosophie de la nature ne peut se faire sans référence au cadre aristotélicien, même implicitement (et même si c’est pour l’amender fortement), ou si c’est parce que, plus généralement, le terme de « commentaire » a perdu, dans certains cas, toute spécificité générique9. Il serait trop facile, en tout cas, de voir dans cet usage du mot « commentaire » un abus de langage, ou une sorte de ruse éditoriale ou publicitaire, et il faut manifestement accepter que le terme commentarius recouvre des formes extrêmement polymorphes, parfois sans lien avec la pratique exégétique, mais sélectionnées et travaillées en fonction de la destination et du lectorat que le commentateur imagine pour son propre texte10. On peut alors se demander ce que devient, dans ce contexte, le geste de l’exégète, de celui qui entend effectivement élucider le texte, au moment même où, par ailleurs, les revendications humanistes affectent également la manière dont il convient de lire Aristote. C’est la question que nous souhaitons nous poser ici, à travers l’examen de quelques points des De naturalibus rebus libri trenta de Giacomo Zabarella11, qui furent publiés en 1590, un an après la mort de leur auteur.
3Ce choix peut paraître doublement paradoxal, dans la mesure où, d’une part, cet ouvrage est un ensemble composé de trente traités de philosophie naturelle, qui ne porte pas le titre de « commentaire »12, et où, de l’autre, Zabarella est présenté par tout un courant des études renaissantes comme caractéristique de ce qui serait la « modernité scientifique » padouane13, parce qu’il a affirmé clairement que c’est la vérité des choses qui constitue le critère ultime de la philosophie de la nature, et non Aristote14. Zabarella, cependant, proclame aussi, et sans ambiguïté aucune, la perfection du modèle constitué par le corpus aristotélicien de philosophie naturelle15, qu’il essaie précisément de faire coïncider avec cette vérité des choses, tout en manifestant un souci remarquable de la lettre du texte. Il opère, dans le De naturalibus rebus, un retour aux textes aristotéliciens et y déploie des méthodes d’analyse linguistique qui méritent l’attention et qui conduisent à s’interroger sur l’interaction entre la manière dont peut être conçu le geste du commentateur et l’évolution du genre du commentaire et ses variantes.
4Il serait certainement plus qu’hasardeux de vouloir voir dans le titre De naturalibus rebus une forme de réaction à l’étonnante plasticité du mot « commentaire » tel qu’il est utilisé en philosophie naturelle, mais nous voudrions malgré tout souligner quelques points en lien avec ce titre. Le premier est la question de l’allégeance générique et herméneutique impliquée par le titre complet de l’ouvrage : De naturalibus rebus libri trenta, quibus Quæstiones, quæ ab Aristotelis Interpretibus hodie tractari solent, accurate discutiuntur. Il s’agit clairement non de commenter l’ensemble d’un texte ou d’un corpus – d’où peut-être l’absence du terme de « commentaire » lui-même – mais d’analyser les « questions » faisant encore difficulté. Cependant, il ne s’agit pas pour autant de traiter de la philosophie naturelle de manière absolument libre, puisque la somme de Zabarella continue de reposer sur le genre et la méthode des quæstiones destinées à résoudre les difficultés philosophiques posées par le texte, et dont on peut considérer qu’il constitue un sous-genre du commentaire16. De ce point de vue, on peut penser que le De naturalibus rebus s’inscrit sans ambiguïté dans la tradition du commentaire universitaire, ou du moins de certains de ses procédés17. Un parcours rapide du texte laisse ainsi percevoir des éléments manifestes de continuité avec la pratique médiévale, qui sont les caractéristiques les plus immédiatement visibles de l’ouvrage : l’organisation du texte lui-même d’abord, avec la quæstio, les différentes opiniones, les objectiones, les confutationes et comprobationes puis les solutiones ; le choix des sources ensuite, dans lesquelles on trouve les grands commentateurs arabes et médiévaux de la tradition : Avicenne et Averroès, Thomas, Albert et Dun Scot ; la liste même des questions, enfin, qui s’interrogent sur des points comme l’intension et la rémission des qualités dans l’élément, la survivance de la forme substantielle dans le corps mixte, ou la cause de la chaleur de la zone médiane de l’air. Cet ensemble est enrichi cependant des commentateurs grecs plus récemment découverts (Alexandre d’Aphrodise, Philopon…), de certains philosophes des XVe et XVIe siècles régulièrement cités (Zimara, Boccadiferro, Pomponazzi…) et de quelques médecins, comme Galien18. Une première forme de transformation de la tradition du commentaire, sur laquelle s’appuie Zabarella, est ainsi perceptible dans la place qu’il réserve aux commentateurs grecs : Frans de Haas a montré que, dans l’examen des problèmes soulevés par le De generatione, Zabarella a, consciemment ou inconsciemment, altéré la pensée des commentateurs grecs pour mieux leur faire confirmer sa propre interprétation, qui est en fait parfaitement originale. Haas conclut : « Il ne faut pas faire entièrement confiance à la présentation de ses sources par Zabarella. Même si l’on suppose qu’il a accès aux sources originales, son désir de produire à l’appui de ses propres positions des autorités antiques peut avoir influencé son jugement. »19 Un autre aspect du chapitre ici examiné (le De mistione) permet d’éclairer ce rôle joué par les commentateurs grecs et d’observer la démarche de Zabarella. Celui-ci prend comme point de départ du traité le fait qu’il « a toujours été extrêmement difficile de comprendre ce qu’est la mixtio selon Aristote »20. Il examine d’abord l’opinion d’Avicenne et celle contraire d’Averroès, puis celle de Scot21 ; ensuite l’opinio des « autres latins » et la disputatio de ces mêmes latins contre Averroès22. Il ne donne qu’alors sa propre position, qui se joue dans un rapport complexe à l’autorité. Elle prend en effet la forme d’une « defensio opinionis Averrois et declaratio veritatis », que Zabarella prend soin de confirmer par un chapitre intitulé Quod ea, quæ hactenus declarata est, sententia, Averrois fuerit23, dans la mesure où il propose une lecture d’Averroès dont il reconnaît qu’elle lui est parfaitement personnelle. Ce dernier point le ramène enfin à l’examen des propos d’Aristote (Confirmatio prædicatæ sententiæ ex dictorum Aristotelis consideratione), interprétation elle-même confirmée en dernier recours par « l’autorité » des Grecs (Confirmatio eiusdem sententiæ authoritate Græcorum interpretum24). Les différentes autorités ne sont donc pas utilisées indifféremment, les Grecs paraissant jouir d’un statut particulier, sans doute lié à l’idée humaniste que les sources chronologiquement les plus proches du texte en sont les meilleurs témoins. Ils sont en outre utilisés ici non dans le cours de la discussion, mais comme éléments de preuve à l’appui de la lecture zabarellienne d’Aristote et d’Averroès.
5On peut donc faire l’hypothèse que le titre choisi par Zabarella renvoie, de manière plus ou moins explicite, à une double forme d’actualisation du savoir aristotélicien : le choix même du genre des quæstiones implique théoriquement de référer à l’état présent des discussions philosophiques25, sens clairement souligné par la présence du « hodie » dans le titre, en même temps que le fait de n’avoir mis ces quæstiones qu’en sous-titre d’un ouvrage intitulé d’abord De rebus naturalibus réfère peut-être au postulat, défendu par Zabarella, du primat de la vérité des choses sur le texte, point que nous n’examinerons pas ici et pour lequel nous renvoyons à l’article tout récent de Paolo Palmieri sur la science et l’autorité chez Zabarella26. Autrement dit, si l’ouvrage de Zabarella implique bien un examen du texte aristotélicien et des hypothèses de lecture de ses différents exégètes, il suppose, dans les deux domaines, un choix méthodologique clairement lié à l’évolution de la matière et de la manière philosophiques. Il ne s’agit ainsi ni de commenter l’ensemble d’un texte, ni de se plier tout à fait à la variante du « commentaire par questions », mais d’établir en même temps, la vérité de la nature et la vérité de la parole d’Aristote, quelle qu’elle soit.
6Le second point que nous voudrions souligner à propos du titre est en rapport avec la structure d’ensemble de l’œuvre : il y a également derrière le choix d’écrire un De naturalibus rebus un autre enjeu majeur, plus nettement lié à une évolution des principes du commentaire sous l’influence de l’humanisme : l’idée que pour comprendre un auteur il convient de dominer l’ensemble de son œuvre. Luca Bianchi a bien montré que cette évolution est la conséquence de la doctrine humaniste qui considère que chaque auteur est le meilleur interprète de lui-même27. Or Zabarella insiste, dans les toutes premières pages de son ouvrage, sur l’unité de la philosophie naturelle, qui justifie le choix méthodologique qu’il a fait sien : réunir en un même volume les questions soulevées par des textes différents du Stagirite, au lieu de les examiner de manière dispersée :
Non parvuum operæ precium facturum me esse existimavi, si Galenum imitatus, qui de artis medicæ constitutione libellum conscripsit, ego quoque universæ ab Aristotele scriptæ naturalis philosophiæ structuram et artificium declaravero, et ea, quæ alii singulos Aristotelis libros interpretaturi, sparsim, et separatim præfati consueverunt, in unum ipse congessero, eiusque disciplinæ unitatem, naturamque et partes, et harum artificiosam dispositionem quanta potero brevitate, et claritate ob oculos omnium posuero […].28
J’ai considéré que je n’aurai pas fait quelque chose de peu de valeur, si à l’imitation de Galien, qui rédigea un livre sur la disposition de l’art médical, moi aussi je fais voir clairement la structure et le bel édifice de toute la philosophie naturelle écrite par Aristote, et si je rassemble en un seul volume ces choses que d’autres, se proposant de commenter les livres d’Aristote un par un, ont pris l’habitude de traiter dans les préfaces çà et là, et séparément, et si j’expose aux yeux de tous, aussi brièvement et clairement que possible, l’unité, la nature et les parties de cette discipline, et la disposition admirable de ces dernières.
7L’ensemble de la lecture d’Aristote que propose le De naturalibus rebus est ainsi dominé par le livre liminaire de l’ouvrage, qui est de très loin le plus volumineux29. Intitulé De naturalis scientiæ constitutione, il définit précisément la notion de « science naturelle » et constitue également, et surtout, un véritable guide de lecture du corpus des livres naturels d’Aristote. Leur ordre est capital car il définit un espace « parfait » pour l’exercice de la philosophie naturelle, y compris si l’on y fait entrer des connaissances qui manquaient au Stagirite30. Il ne s’agit cependant pas uniquement de trancher le vieux débat sur le sens à donner à l’ordre du corpus aristotélicien31, mais bien de constituer un cadre pour les quæstiones à venir. Zabarella y analyse donc la liste des problèmes, le sujet exact de chaque livre, l’ordre selon lequel il convient de les lire, l’enchaînement des démonstrations, les questions et réfutations, et passe en revue, dans l’ordre, la Physique, le Traité du ciel, le Traité de la génération (De generatione et interitu)32, les Météorologiques, puis les livres consacrés au vivant33. Il en propose ainsi un premier commentaire, mais en tant qu’ils forment un tout.
8Or il ne s’agit pas d’une position théorique, mais bien d’un postulat qui influe directement ensuite sur la pratique du commentateur. À l’occasion de l’examen de la question fondamentale des qualités premières, à laquelle il consacre deux livres34, Zabarella examine un point universellement débattu35 qu’annonce le titre du chapitre : An in quolibet elemento ambæ qualitates sint summæ, an possit altera esse remissa. Le problème soulevé est l’interprétation d’un passage du De generatione dans lequel Aristote affirme que chacun des corps élémentaires ne relève en fait que d’une seule qualité36. De là, l’idée s’est communément répandue que les deux qualités étaient bien présentes dans l’élément, mais l’une portée à son intensité maximale et l’autre affaiblie. Le débat, dont fait état Zabarella, a vu fleurir toutes les combinaisons possibles avec leurs explications philosophiques37, mais la réponse qu’il lui apporte est d’un tout autre type. Dans ce passage du De generatione en effet, selon Zabarella, Aristote n’étudie pas les qualités telles qu’elles se manifestent dans les éléments, mais d’abord en elles-mêmes, dans la mesure où elles sont les formes constitutives des éléments38. Pour Zabarella, ce sont donc en fait les qualités qu’Aristote désigne sous le nom d’éléments, comme le prouve par ailleurs un usage similaire dans un autre passage du texte, qu’il signale ici39. De ce fait, conclut-il, traiter une telle controverse à cet endroit serait inutile (quemadmodum igitur vanum esset in ea parte quaërere an sumat calidum summum, an calidum remissum) puisqu’il s’agit des qualités en elles-mêmes, et non des corps élémentaires40. Il conclut :
[Haec disputatio] locum potius habet in libris Meteorologicis, ubi considerantur qualitates, quæ elementis extra animam actu existensibus insunt, quæ variæ sunt, qui multas ab externis causis varietates recipiunt41.
Cette dispute aurait plutôt sa place dans le livre des Météorologiques, où sont examinées les qualités, qui se trouvent dans des éléments existant en acte extra animam, qui sont variées, qui reçoivent leurs nombreuses variétés de causes extérieures.
9Replacer le commentaire d’un fragment de texte dans l’analyse de l’ensemble du corpus permet à la fois de mieux établir les pratiques lexicales de l’auteur, en rapprochant différents passages, et de tenir compte de la progression logique de sa pensée, en considérant la place qu’occupe chaque fragment par rapport aux autres.
10Le modèle particulier de commentaire que constitue le De naturalibus rebus n’est dons pas simplement un guide actualisé permettant de lire la philosophie aristotélicienne en tenant compte des évolutions de la matière philosophique, ou de la prise en compte de certaines réalités expérimentales, c’est aussi une approche du texte qui, via la considération du corpus, conditionne ensuite l’exercice plus précis du commentaire proprement dit. Or, de ce point de vue-là, le texte de Zabarella présente un autre intérêt : c’est son attention portée aux questions de langue et la manière dont il fait interagir interprétation philosophique et questions de traductions ou d’interprétations linguistiques.
11Revenons au titre : les commentateurs d’Aristote y sont désignés du nom d’interpretes, de même que dans le corps de son ouvrage, Zabarella parle continuellement d’« interpréter » le texte42. Luca Bianchi a montré que cet usage nouveau des termes interpretes / interpretare était propre à la fin du XVe et au XVIe siècle43. Le sens nouveau du mot, cependant, n’est pas complètement dégagé de l’ancienne idée de « traduction », et nous voudrions essayer de montrer maintenant en quoi le fait de se penser comme un « interprète » d’Aristote ne signifie peut-être pas exactement la même chose, pour Zabarella, que de se désigner comme « commentateur ».
12Zabarella est d’abord un philosophe, et sa lecture d’Aristote le socle d’un traité de philosophie naturelle. C’est à ce titre la pensée (sententia) d’Aristote qui l’intéresse au premier chef. On note cependant que, de manière peut-être stratégique, il n’insiste pas tant sur la construction de son propre système philosophique que sur l’idée qu’il va « rendre plus claire » la pensée d’Aristote (nisus fuero veritatem, et Aristotelis […] sententiam (si possim) reddere clariorem44). Je ne m’arrêterai donc pas ici sur les interprétations philosophiques auxquelles il aboutit, en traçant son chemin entre l’héritage des commentateurs et sa propre appréhension du texte comme de l’expérience, mais sur quelques exemples illustrant les différentes formes que prend chez lui le souci de la lettre et la manière dont il l’utilise pour mieux trancher certains points que la tradition avait érigés, à tort si on suit sa démonstration, en quæstiones.
13Bien que le De naturalibus rebus ne soit pas officiellement un commentaire, on y note d’abord un usage régulier de la citation, celle-ci étant parfaitement identifiée par une double démarcation typographique (changement de casse et insertion entre crochets) et la mention de la référence. Les quæstiones qu’il s’agit de résoudre sont donc régulièrement examinées, non à partir d’une glose ou d’une reformulation, mais à partir de la lettre du texte : Zabarella n’a pas recours au ut dixit Aristoteles mais plutôt à des formules du type his verbis utitur, suivis de la citation45. Zabarella postule ainsi clairement que certaines des quæstiones discutées par la tradition ne sont liées qu’à une mauvaise interprétation du texte, au sens littéral du terme interpretatio, voire à sa déformation volontaire au nom de divers a priori intellectuels. Ainsi à propos de la définition de la génération :
Secunda quoque difficultas facile tollitur, si bene verba illa Aristotelis intelligamur, neque ea pervertamus, ut aliqui faciunt, qui dicunt esse legendum [ut subjecto eiusdem] propterea, quod Græca verba utramque convertionem patiuntur; ducti autem sunt hoc argumento, quod si legamus [in subjecto eodem] nugatio est in verbis Aristotelis46.
La seconde difficulté est également facilement levée, si nous comprenons correctement ces mots d’Aristote, et si nous ne les traduisons pas de travers, comme le font quelques-uns, qui disent qu’il faut lire « ut subjecto eiusdem », parce que les mots grecs peuvent être traduits de l’une et de l’autre façon ; ils sont guidés par cet argument que si nous lisons [in subjecto eodem] il y a une nugatio dans les mots d’Aristote.
14On note ainsi que Zabarella, s’il travaille majoritairement sur le texte latin, est capable de recourir au grec quand il le juge nécessaire, afin de souligner les limites imposées à la pensée d’Aristote par la traduction latine :
Considerandum præterea est, tum in eo loco, tum in contex. 84 libri i. de ortu et interitu Græcum nomen, dunamis, quo ibi Aristoteles utitur, ubi Latinus codex habet, virtutes, seu vires; nam dunamis, significat etiam propriam rei naturam, significat etiam potestatem, quæ respicit actum, quare optime usurpatur ad significandas formas elementorum fractas, et potestatem habentes ac totam suam perfectionem47.
Il faut en outre examiner attentivement, aussi bien à cet endroit que dans le passage 84 du livre I du traité de la génération et de la corruption, le mot grec dunamis, dont se sert Aristote, là où le codex latin porte « virtutes », c’est-à-dire « vires » : en effet, dunamis signifie aussi bien « nature propre d’une chose » que « la puissance », qui est au regard de l’acte, raison pour laquelle il est parfaitement utilisé pour signifier les formes séparées des éléments, et le fait qu’ils aient leur puissance, et leur entière perfection.
15Ailleurs, c’est sur la signification de certaines structures grammaticales qu’il met l’accent, en liant la cohérence de la pensée d’Aristote, signalée par l’ordre du corpus, et la manière dont il faut interpréter certains termes :
Hæc fuit absque dubio Aristotelis mens, qui in I. libro postquam definitionem generationis et interitus declarasset, et mox de earum causis acturus esset, scopum et consilium suum in contextu 43. proponit his verbis: [quoniam autem opportet primum de materia & de vocatis elementis dicere] etenim dictio [&] non est conjunctiva, sed declarativa, quia postea nullam aliam materiam declaraturus erat, nisi materiam secundam, quæ sunt quatuor elementa; de his ergo agendum proponit non tanquam de subjecto generationis, sed tanquem de materia generationis, ipsa quoque elementorum tractatio, quæe in secundo libro hebetur, est eius modi: nam in initio secundi libri quatuor primas qualitates vaocat Aristoteles principia elementorum, quum tamen accidentia potius elementorum sint, et alibi ab ipsomet Aristoteles accidentia et qualitates vocentur48.
Ceci fut sans aucun doute la pensée d’Aristote, qui dans le Livre I, après avoir déclaré la définition de la génération et de la corruption, et sur le point d’examiner leurs causes, propose son but et son plan en ces termes : [Il faut d’abord traiter de la matière et de ce qu’on nomme les éléments]49, et de fait, ce mot « et » n’est pas conjonctif, mais déclaratif parce qu’ensuite il n’était plus destiné à annoncer aucune autre matière, si ce n’est la matière suivante, qui sont les quatre éléments.
16Et de fait, Jean Tricot, par exemple, traduit ainsi : « Il faut d’abord traiter de la matière c’est-à-dire de ce qu’on nomme les éléments. »50
17Mais le trait saillant du commentaire tel que le pratique Zabarella est la forme que prend parfois chez lui l’intérêt pour le mot. Il fait entrer de plein droit dans le travail du commentateur philosophique des considérations propres à l’univers du discours et de la rhétorique (parfois liées à une réflexion générale sur le langage) bien différentes de celles portant sur ses enjeux philosophiques. Nous signalerons encore deux exemples qui nous semblent remarquables.
18Zabarella affirme clairement que la compréhension de la nature est rendue plus difficile par les ambiguïtés du lexique qui la désigne. Celles-ci peuvent être de deux ordres : une différenciation insuffisante des termes dans le corpus aristotélicien et un décalage entre l’acception philosophique du terme et son acception commune. En effet, le mot « élément » peut être utilisé par Aristote comme synonyme de « qualité distinctive » (et eas ipsas elementa appellat), parce que la qualité s’apparente à l’élément absolument pur :
Non est autem ignorandum, primas has qualitates ab Arist. in libr. 2 de ortu et interitu et formas, et principia elementorum, et materiam elementorum vocari et quandoque etiam appellari elementa, et materiam mistorum51.
On ne doit pas ignorer que, ces qualités premières sont appelées par Aristote, dans le Livre II de la génération et de la corruption, formes, et principes des éléments, et matière des éléments, et parfois même sont appelées éléments, et matière des mixtes.
Et hac eadem ratione ipsae qualitates ab Arist. etiam elementa vocantur ; nam sæpe in appellatione confundere solet formam cum composito ab ea constituto: ideo quum hæ qualitates elementa constituant, ipsæ quoque hac ratione elementa vocantur, veluti, si quis animam humanam hominem appellaret: haec legere possumus apud Arist. in cont. 7 et 16 eius 2 lib. ubi has qualitates vocat indistincte et elementa, et formas elementorum : et principia constitutiva elementorum: easdem vocat etiam materiam mistorum in c. 1. libr. 2 de partibus animali quia dum constituunt elementa, materiam mistorum constituunt52.
Et pour la même raison, ces qualités elles-mêmes sont appelées « éléments » par Aristote : en effet, il arrive souvent que l’on confonde dans la dénomination la forme et le composé constitué par cette forme : c’est pourquoi, puisque ces qualités constituent l’élément, pour cette raison il les appelle aussi « éléments », exactement comme si quelqu’un appelait « homme » l’âme humaine.
19À l’exact opposé, le terme « élément », qui désigne normalement un corps simple, est employé dans le langage courant pour désigner ce que nous croyons être un élément mais qui est en réalité un mixte, issu majoritairement d’un seul élément (comme la mer par rapport à l’eau). Or il arrive parfois qu’Aristote fasse de même, ce qui pose un singulier problème puisque le terme « élément » peut ainsi désigner tour à tour la qualité première, le corps élémentaire et le corps tangible. De ce fait, il est logique que, le nom de la qualité et le nom de l’élément se confondant, la qualité en vienne parfois à désigner l’élément tangible.
20Or la prise en compte, par Zabarella, de ces variations sémantiques permet, encore une fois, de trancher certaines des quæstiones de la tradition. C’est le cas lors de l’étude de l’action et de la passion des contraires au sein d’un même élément53. Le problème soulevé ici est induit par le fait que chaque élément possède une qualité passive et une qualité active (en effet, le chaud et le froid sont considérés comme actifs, l’humide et le sec, comme passifs) : l’élément devrait donc logiquement agir sur lui-même, le feu par exemple « en tant que chaud, devrait agir sur lui-même en tant que sec, et ainsi de tous les autres éléments »54. La réponse apportée par Zabarella consiste à prouver que les qualités actives ne peuvent s’exercer qu’à la condition que les qualités passives soient réunies, c’est-à-dire dans les mixtes, ainsi que le confirme l’expérience55. Aristote lui-même semble cependant dire exactement le contraire au début du livre IV des Météorologiques : « le sec et l’humide sont déterminés par les autres causes et subissent les différents traitements dont on vient de parler, soit en eux-mêmes, soit dans les corps qui sont formés conjointement par les deux »56. La solution de Zabarella est alors purement lexicale :
Credo Aristot. dicentem humidum secundum se, et siccum secundum se, non intelligere elementa vere simplicia, et pura, qualia an dentur, ambigitur, sed in hoc equi communem loquendi consuetudinem, etenim nomine elementi appellare solemus id, in quo magnus illius elementi sit excessus, qui reliaqua in eo commista non animadvertimus57.
Je crois qu’Aristote, parlant de l’humide en soi et du sec en soi, n’entend pas les éléments vraiment simples, et purs, – il y a controverse pour savoir si des qualités leur sont données – mais qu’il suit ici la manière commune de parler ; en effet nous avons l’habitude d’appeler par le nom de l’élément, ce dans quoi il y a grande abondance de cet élément, là où nous ne remarquons pas les autres mélangés en lui.
21Le Stagirite désigne donc ici du nom de la qualité non pas l’élément pur, mais le corps mixte que nous-mêmes avons l’habitude d’appeler abusivement « élément », ce qui constitue un double déplacement. Le même phénomène s’observe également lorsqu’Aristote affirme que seul le feu est un élément incorruptible : une telle affirmation va à l’encontre de toute sa physique élémentaire, car comment l’élément pourrait-il être corruptible puisque c’est un corps simple58 ? Si bien qu’encore une fois, Aristote utilise le terme « élément » selon l’acception commune et désigne ainsi le corps mixte principalement issu du véritable élément :
Vocat igitur ibi quoque Aristote. elementa iuxta communem hominum appellationem, quia propter magnum illius elementi excessum nominibus elementorum appellari consueverunt59.
Aristote appelle donc ici aussi les éléments selon l’appellation commune des hommes, parce qu’on a l’habitude qu’ils soient appelés par les noms des éléments à cause de celui des éléments qui est proportion dominante.
22On sait, depuis les travaux pionniers de Charles Schmitt60, à quel point l’aristotélisme de la Renaissance est divers, complexe et polymorphe. Nous ne nous aventurerons donc pas à essayer de tirer quelque leçon que ce soit de ce que l’on peut observer dans l’œuvre de Zabarella : il conviendrait, pour en mesurer la portée, de le comparer à la fois avec l’ensemble de la tradition de ses prédécesseurs et avec l’usage de ses contemporains. On peut cependant avancer l’hypothèse que l’originalité méthodologique et formelle du De naturalibus rebus est le résultat de la conjonction de trois lignes de force. La première est la vitalité des structures formelles de la philosophie universitaire médiévale, marquée, entre autres, par un usage particulièrement structuré de la quæstio afin de parvenir à une vera opinio. La seconde est l’empreinte nette de l’humanisme, présente d’abord dans l’idée que le commentateur se doit d’être aussi un traducteur et que ces deux formes d’interpretatio se nourrissent l’une l’autre, ensuite, dans l’attention portée à la question philologique de la lettre du texte original et enfin, dans le primat donné aux commentaires grecs, ces trois paramètres constituant la singularité de la lecture humaniste de l’idée selon laquelle un auteur est le meilleur interprète de lui-même. La troisième est l’intérêt pédagogique pour la notion d’ordre, qui n’est pas nouvelle mais prend, chez Zabarella, un caractère particulièrement important, exposé dans le premier des trente livres du De naturalibus rebus61. C’est l’établissement d’un ordre correct dans l’examen des questions, en rapport avec l’ordre correct dans l’établissement du corpus, qui permettra ainsi de livrer à la fois la vérité du texte et la vérité de la pensée. Ces trois lignes de force structurent le rapport qu’entretient Zabarella avec le texte aristotélicien et constituent les principes de sa pratique propre du commentaire, même s’il n’est pas ainsi nommé.
Notes de bas de page
1 Voir J. Céard, « Les transformations du genre du commentaire », dans J. Lafond et A. Stegmann (dir.), L’automne de la Renaissance, 1580-1630, Paris, 1981, p. 101-115 (ici, p. 102).
2 Commentarii in universam physicam Aristotelis, Lugduni, S. Gryphius, 1537.
3 Epitomæ physicæ libri quatuor, autore Ioanne Veltkirchio, clarissimo quondam apud Vittenbergenses philosophiæ professore, nunc primum in Lucem æditi, Erfurdiæ, 1538.
4 Voir par exemple leur édition du De generatione et corruptione: Commentarii collegii conimbricensis societatis Iesu, in duos libros de generatione et corruptione, Aristotelis Stagiritæ, Conimbricæ, ex officina Antonii a Mariz, 1597.
5 Commentarii collegii conimbricensis societatis Jesu in libros aristotelis, qui parva naturalia appellantur, Olisipone, ex officina Simonis Lopesii, 1593.
6 « Théoriser le sommeil à la fin de la Renaissance : le commentaire des Jésuites de Coimbra sur le De somno aristotélicien », dans V. Leroux, Ch. Pigné, N. Palmieri (éds), Le sommeil. Approches philosophiques et médicales de l’Antiquité à la Renaissance, Paris, Champion, à paraître.
7 Nous renvoyons à notre article « Parler en médecin, parler en philosophe ? L’organisation des discours savants sur le sommeil au XVIe siècle », Camenæ, 5 (2008) : http://www.paris-sorbonne.fr/fr/spip.php?article8615.
8 L. Bianchi, « Interpréter Aristote par Aristote », Methodos, 2 (2002), URL : http://methodos.revues.org/98, p. 4.
9 Nous parlons ici de cas où, comme chez Velcurio, l’œuvre intitulée « commentaire » ne repose sur aucun texte précis et s’appuie, au mieux, sur un florilège de citations ou de références à des auteurs multiples.
10 Je souscris ici pleinement à l’avis de Jean Céard, qui, parlant de la surprise de certains exégètes modernes face à la forme des œuvres intitulées « commentaires », observe avec raison : « Pour ma part, je prendrai le parti de considérer que leurs auteurs ne se sont pas trompés en les désignant comme des commentaires, qu’ils ont choisi ce nom en pleine connaissance de cause, et qu’il appartient à l’historien d’oublier ce qu’il croit savoir pour examiner ce que ces auteurs ont fait et voulu faire. On verra, du reste, que les indications ne manquent pas. Le risque est plutôt d’interpréter abusivement telle ou telle d’entre elles comme significative de la définition et de l’évolution du genre, et de considérer telle autre comme une variante individuelle, alors qu’une information plus ample conduirait à lui conférer une portée générale. » Voir J. Céard, art. cit., 1981, p. 101-102.
11 De rebus naturalibus libri XXX, quibus Quæstiones, quæ ab Aristotelis Interpretibus hodie tractari solent, accurate discutiuntur, P. Meietus, Venetiis, 1590 (éd. utilisée : Francofurti, sumptibus Lazari Zetzeneri, 1607).
12 Titre que Zabarella a par ailleurs utilisé dans d’autres de ses œuvres : In libros Aristotelis Physicorum commentarii, 1601, In tres libros Aristotelis libros de Anima commentarii, 1605, par exemple.
13 C’est une interprétation ouverte il y a déjà bien longtemps par les travaux de Randall. Celle-ci est l’objet d’une polémique qui n’est pas encore close : plusieurs spécialistes voient en Zabarella (et plus généralement dans l’école de Padoue) un précurseur de Galilée et des méthodes de la science moderne, tandis que d’autres, se basant essentiellement sur ses œuvres logiques, affirment que sa méthode est au contraire l’illustration du « conservatisme » de l’aristotélisme renaissant. Paolo Palmieri a récemment rouvert le débat : nous renvoyons à la bibliographie chronologique de la querelle qu’il établit en note, dans « Science and authority in Giacomo Zabarella », History of science, xlv, 4 (2007), p. 404-427. Comme le rappelle l’auteur : « Both views, regardless of their merits in stirring a healthy debate, have tended to emphasize the significance of Zabarella’s methodological works, and his role in the history of Renaissance philosophy », p. 404.
14 Sur ce sujet, voir P. Palmieri, art. cit., 2007, p. 406 : « To the truth of the matter Zabarella will conform his interpretation of Aristotle’s words as far as possible. It is Aristotle’s writing that have to be accommodated to the truth of the matter, not the other way round ».
15 Comme le rappelait Charles B. Schmitt, « Zabarella’s primary motive was to understand, explicate, and substantiate the philosophy of Aristotle » : voir « Experience and Experiment: A Comparison of Zabarella’s view Galileo’s in De motu », Studies in the Renaissance, xvi (1969), p. 80-138. Sur la notion de « perfection » de la philosophie naturelle, voir tout le Livre I des De rebus naturalibus libri xxx, et l’analyse de P. Palmieri : « all natural science can be derived from Aristotle’s natural books. In this sense natural science is perfect, at least, virtually, or potentially. If you learn how to philosophize ad mentem Aristotelis, Zabarella seems to say, you will be able to reconstruct the whole of natural science from Aristotle’s natural books. » Voir P. Palmieri, art. cit., 2007, p. 410.
16 Voir A. de Libera, La Philosophie médiévale, Paris, 1989 (3e édition, 1994, p. 28) : « Dans la seconde moitié du XIIIe siècle apparaît le commentaire questionné (expositio per modum quæstionis), qui à proprement parler n’est plus un commentaire, mais un recueil de questions librement développées à partir d’un texte et reflétant plus exactement l’état des discussions scolaires sur des corps de doctrine donnés. »
17 Comme le rappelle Joël Biard, « il le fait sans doute par obligation professionnelle, puisque tel est le cadre de l’enseignement, mais aussi par choix doctrinal, car tous ses collègues sont loin d’aboutir aux mêmes conclusions sur les points délicats de la doctrine ». Voir J. Biard, « Tradition et innovation dans les commentaires de la Physique : l’exemple de Jacques Zabarella », dans F. La Brasca et A. Perifano (dir.), La Transmission des savoirs au Moyen âge et à la Renaissance, volume II, Besançon, 2005, p. 291. Pour les déclarations faites par Zabarella dans ses leçons inaugurales, voir l’Oratio in exordio lectionis philosophiæ, dans M. dal Pra, « Una oratio’ programmatica di G. Zabarella », Rivista critica di storia della Filosofia, XXI (1966), p. 286-290.
18 Un exemple type de la structure d’ensemble de traitement d’une quæstio nous est fourni par le passage consacré à la définition de la mixtio : Mistionis definitio, et difficultates quæ ex ipsa oriuntur: difficillimum semper fuit intelligere, qui secundum Aristot. sit mistio, de qua nunc scribere constituimus; idque discordia interpretum, ac disceptatio declarat, quum multæ et contrariæ ab his sententiæ Aristot. attribuantur, et ad hanc usque diem hæc altercatio perduret: orta autem est hac in re difficultas ex iis, quæ ab Arist. in calce lib. de Ortu et interitu de mistione traduntur, et ex ipsa mistionis definitione, quam Arist. tandem colligit in postremis verbis illius libri, dum ait, mistio est miscibilium alteratorum unio – Avicennæ opinio et argumenta – Averrois opinio, et adversus Avicennam disputatio – Scoti opinio et argumenta – Aliorum latinorum opinio et argumenta – Defensio opinionis Averrois, et declaratio veritatis – Quod ea, quæ hactenus declarata est sententia, Averrois fuerit – Confirmatio praedictæ sententiæ ex dictorum Aristotelis consideratione – Confirmatio eiusdem sententiæe authoritate Græcorum interpretum – Solutio argumentorum pro Avicenna adductorum – Solutio argumentorum Scoti – Solutio argumentorum Thomæ et aliorum latinorum. Voir Zabarella, op. cit., Liber de mistione, I, col. 452.
19 Frans A. J. de Haas, « Mixture in Philoponus. An Encounter with a Third Kind of Potentiality », dans J. M. M. H. Thijssens et H. A. G. Braakhuis, The Commentary Tradition on Aristotle’s De generatione et corruptione, Ancient, Medieval and early Modern, Turnhout, 1999, p. 23.
20 Voir note 18 : Difficilum semper fuit intelligere, quid secundum Aristot. sit mistio, première phrase du premier chapitre du livre De mistione, Zabarella, op. cit., col. 451.
21 Respectivement, ibid., chapitres ii, iii, iv, col. 453-457.
22 Ibid., chap. v et vi, col. 457-460.
23 Ibid., chap. viii, col. 465. Le titre s’explique par le fait que Zabarella reconnaît que son interprétation d’Averroès, qui est la vera interpretatio, n’a été suivie par aucun averroïste, voir en particulier col. 465a.
24 Voir Zabarella, ibid., l’Index capitum ou les colonnes 460-470 pour le détail du texte.
25 Voir sur ce point C. B. Schmitt : « Certaines questions médiévales tombèrent en désuétude, d’autres furent reformulées à la lumière des nouvelles informations et des nouvelles sources, ainsi on élimina les matériaux périmés et superflus ». C. B. Schmitt, Aristote et la Renaissance (Aristotle and the Renaissance, Havard, 1983), trad. L. Giard, Paris, 1992, p. 27.
26 Art. cit., note 13.
27 Voir L. Bianchi, art. cit., 2002, p. 17 : « Une conséquence ultérieure de la règle d’interpréter chaque auteur par lui-même était que, pour le comprendre, il ne suffisait pas de connaître quelques-unes de ses œuvres, ou pis leurs compendiums et florilèges, mais il fallait dominer l’ensemble de sa production ».
28 Zabarella, op. cit, col. 2. C’est nous qui traduisons. Que soit chaleureusement remerciée ici Jacqueline Vons pour avoir pris le temps de relire et d’amender ces traductions.
29 Il court sur plus de cent trente colonnes, quand les autres en occupent en moyenne entre vingt et trente. Sur l’importance de ce livre, voir H. Mikkeli, « The foundation of an autonomous natural philosophy: Zabarella on the classification of arts and sciences », dans D. A. di Liscia, E. Kessler and C. Methuen (éds), Method ant Order in Renaissance Philosophy of Nature. The Aristotle Commentary Tradition, Aldershot, 1997, p. 211-228. Sur la question cruciale de l’ordre, abordée dans ce premier livre, voir également, dans le même ouvrage, N. Jardine, « Keeping order in the school of Padua: Jacopo Zabarella and Francesco Piccolomini on the offices of philosophy », p. 183-209.
30 C’est l’objet du dernier chapitre du livre, De perfectione scientiæ naturalis, ac de eius ordine. Le sens de cette idée de « perfection » a été analysé par P. Palmieri, art. cit., 2007 : voir supra p. n. 15.
31 Zabarella le récapitule, et conclut ainsi : In ratione partitionis tota controversa posita est, alii namque dicebant, priorem partem esse debuisse de principiis corporis naturalis, posteriorem vero de ipsismet corporibus naturalibus. Nos vero cum Averroe et Latinis dicamus priorem partem esse debuisse de ipso communi genere corpore naturali, posteriorem vero de ipsius speciebus, Zabarella, op. cit., col. 18-19. L’auteur reprend ici la répartition établie par Averroès dans son Épitomé du premier livre du Traité du ciel et au début du premier livre des Météorologiques.
32 Le traité d’Aristote aujourd’hui connu sous le nom De la génération et de la corruption apparaît durant toute la période renaissante soit sous le titre De generatione et corruptione, soit sous celui, humaniste, de De ortu et interitu, soit comme ici, mais c’est plus rare, sous un mélange des deux.
33 Zabarella, op. cit. : xxxii – Divisio et ordo omnium librorum de animalibus iuxta propriam opinionem; xxxiii – Qualis debeat esse tractatio de sanitate et morbo in scientia naturali ; xxxiv – Comparatio librorum de historia animalium cum reliquis libris de Animalibus. Suit l’analyse du De plantis.
34 Ibid., De qualitatibus elementaribus libri duo, col. 482-507 et 507-541.
35 […] de quibus omnes Philosophi controversari solent, ibid., col. 507. C’est effectivement un point qui a retenu l’attention de tous les commentateurs.
36 Voir Aristote, Traité de la génération, II, 3 : « Absolument parlant, les éléments, étant au nombre de quatre, ont chacun une seule qualité propre : pour la terre, c’est le sec plutôt que froid, pour l’eau, c’est le froid plutôt que l’humide, pour l’air, l’humide plutôt que le chaud et pour le feu, le chaud plutôt que le sec. »
37 Inprimis quærunt interpretes Arist. an in quolibet elemento ambæ qualitates sint summæ, an remissæ, an una summa, et altera remissa, et ac de re acerrime disputant, controverse qu’il expose ensuite plus en détail, Zabarella, op. cit, col. 507.
38 […] non enim ibi elementa sibi consideranda proponens qualia actu existunt, ipsorum qualitates inquirit, sed a qualitatum consideratione incipiens sumit inprimis quatuor ipsas primas qualitates esse elementa et materiam corporum mistorum, id est, esse formas constitutrices elementorum, deinde faciens quatuor illarum coniugationes, docet ab his quatuor elementa constitui, unum a calido et sicco, aliud […], ibid., col. 507-508.
39 Nam ipsas elementorum constitutrices differentias considerans, eas prius abstrahit a consideratione corporum, quibus insunt, et eas ipsas elementa appellat, ut notate possumus in contex. 16 libri 2, ibid., col. 508.
40 […] absque ullo discrimine intensæ et remissæ, et absque consideratione graduum singularum, et solum docuerat calidum et frigidum, et humidum et siccum esse primas qualitates, et ad corporum elementum constituenda idoneas: quemadmodum igitur vanum esset in ea parte quaërere an sumat calidum summum, an calidum remissum, ibid., col. 509. Voir la conclusion : Hoc significare ibi voluit Aristot. sed non alteram esse summam, alteram vero remissam, ut multi Latinorum perperam arbitrantur, non enim dicit Arist. ignem esse magis calidum, quam siccum, sed esse magis calidi, quam sicci, ut alii recte animadverterunt: quare colligi non potest, ignem non esse summe siccum, sed solum maiorem habere affinitatem cum ignis natura calorem, quam siccitatem, ibid., col. 510.
41 Ibid., col. 510.
42 Tot enim viri præclarissimi et Græci, et Latini, et Arabes in interpretandis naturalibus Aristotelis libres ætatem consumpserunt, ibid., col. 1.
43 Voir L. Bianchi, art. cit., 2002, p. 11-12. « Des signes de changements commencent cependant à se manifester à partir du milieu du Quattrocento. D’un côté, en fait, versio, conversio, translatio, et le néologisme traductio accompagnent toujours plus fréquemment interpretatio pour désigner l’activité de traduire, ou son produit. D’un autre côté, interpretatio – qui pourtant continua d’être utilisé dans sa signification médiévale comme l’indiquent les titres des essais consacrés à discuter les nouvelles versions humanistes d’Aristote – se trouve toujours plus fréquemment employé pour désigner tout procès intellectuel voué à la compréhension non purement linguistique, mais doctrinale, d’un texte ou d’un système théorique. […] Le dépassement progressif de la distinction terminologique traditionnelle entre expositores et interpretes est en réalité l’indice du déclin de son caractère réellement fonctionnel, conséquence de la fusion de rôles et de compétences restées longtemps nettement séparées. »
44 Zabarella dit ceci à propos du cas de la matière première : Ergo considerans, aliquod me operæ pretium facturum existimavi, si arduas, quae hac de re [i.e., materia prima] existunt, quæstiones, magnasque difficultates; quæ negotium facessere omnibus solent, pro viribus explicare tentavero; et ea, quæ ipse philosophando excogitare potui, in commune conferens, aliisque expedenda relinquens, nisus fuero veritatem, et Aristotelis de prima materia sententiam (si possim) reddere clariorem. (« J’ai pensé que j’aurai fait quelque chose qui en vaille la peine, si je tente d’expliquer, dans la mesure de mes forces, les questions ardues et les grandes difficultés qui existent à ce sujet, qui posent problème à tout le monde, et si, en rendant accessibles les choses que j’ai pu découvrir par l’exercice de la philosophie, et laissant à d’autres le soin de les juger, je m’efforce de rendre plus claires la vérité et la pensée d’Aristote au sujet de la matière première, si je le peux »). Voir Zabarella, op. cit., col. 133.
45 Voir par exemple, parmi de très nombreux exemples, ibid., col. 65a-b.
46 Ibid., col. 404, voir col. 404-8 pour l’ensemble de la discussion lexicale.
47 Ibid., col. 468.
48 Ibid., col. 59.
49 Il s’agit de la première phrase de De generatione I, 6, 322b.
50 Aristote, De la génération et de la corruption, trad. et notes J. Tricot, Paris, 1989.
51 Ibid., col. 482.
52 Ibid. Il faut se souvenir que la qualité est la forme de l’élément, comme l’âme par rapport au corps.
53 Ibid., Libri duo de qualitatibus elementatibus, vi : Cur passivae qualitates non patiantur ab activis, nisi coniunctae.
54 « Ignis enim ut calidus deberet agere in seipsum, ut siccum, et reliqua omnia elementa », ibid., col. 493.
55 « Sed soluitur, quia materia idonea ad patiendum a duabus activis non est solum siccum, nec solum humidum, sed ambo coniuncta; ideo duae activae non possunt in passivas agere, nisi in misto, quod constat ex sicco et humido: quisquis enim novit quid sit congelatio, novit etiam non posse aquam puram, si daretur, ab ullo frigido congelari, sed ideo congelari aquam, quod habet aliquid terrae commistum, et ita constat ex humido et sicco: quod idem de reliquis omnibus dicendum est », ibid., col. 493.
56 Aristote, Météorologiques, tome II, livre IV, p. 32.
57 Zabarella, op. cit., col. 493-494.
58 Ibid., col. 494.
59 Ibid., col. 494.
60 Ouvrage cité note 25.
61 Voir sur ce sujet l’article de N. Jardine (art. cit., 1997, p. 187) et son explication globale de la conception zabarellienne de la notion d’ordre : « A deep concern with ordo doctrinæ is not, of course, peculiar to Zabarella. Classical commentators, out to build Aristotle’s works into a curriculum, had shown much interest in the ordo of Aristotle’s books and of the disciplines with which they deal; and this attention of issues of ordo remains central in Arabic and Latin commentary. […] Moreover, an increased concern with teaching procedures was a part of the legacy of humanism that had achieved Europe-wide currency by the time Zabarella wrote. It is, however, my firm impression that sixteenth-century Paduan natural philosophers were exceptional in the extent to which they addressed and disputed question of ordo. […] The Paduan philosophers were united in their effort to get behind the mass of the Arab and Medieval Latin commentator’s accretions and distortions in order to recover a purified Aristotle. One means to this end was, as Zabarella notes, to attend minutely to the Greek text; another was to reconstruct the ordo of Aristotle’s writings, for thus, as Zabarella says, it is possible for the philosopher to uncover the mind of Aristotle in his works. »
Auteur
U. Bordeaux Montaigne (E.A. 4195 – Telem)
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