La question de la mortalité de l’âme dans les commentaires humanistes de Lucrèce de G.B. Pio et D. Lambin
p. 29-46
Texte intégral
1L’étude des deux commentaires humanistes du De rerum natura de Lucrèce engage à réfléchir sur trois questions majeures de la Renaissance, au premier chef celle du commentaire comme lieu à la fois de dialogue avec les auctores et d’élaboration philosophique. C’est une question indissociable de celle de la transition, du glissement progressif du commentaire, qui se pose initialement dans un commentaire philologique, vers une théorèse philosophique à part entière. Un deuxième enjeu est celui de l’essor de l’humanisme, de l’université italienne de la fin du Quattrocento, d’où est issu le premier commentateur de Lucrèce, Giovan Battista Pio, au collège Royal parisien des dernières décennies du XVIe siècle, où enseigne le second commentateur, Denis Lambin. Enfin, un troisième aspect de cette enquête évoque la réception de Lucrèce à la Renaissance. Cette dernière est somme toute marquée par un accueil peu frileux et sans préjugés, quant aux contenus dits subversifs de la pensée épicurienne et lucrétienne. Il s’agit bien souvent, et pour cause, de lectures sélectives, triant le bon du mauvais, exaltant le message irénique, vénusien, pacifiste, ou bien l’austérité morale de l’éthique du Jardin. Même à propos de la physique, de la composition de l’univers, de l’appréhension d’un cosmos infini et de l’existence du vide, Lucrèce et son maître Épicure sont récupérables et susceptibles d’être intégrés dans les systèmes dominants. Cette idée est désormais largement acquise et les travaux qui se sont multipliés ces dernières années autour de la fortune de Lucrèce s’accordent tous sur ce point1.
2Le seul véritable obstacle à cette intégration prudente du lucrétianisme fut le livre III du De rerum natura contenant la célèbre et implacable démonstration de la corporéité de l’âme humaine et de son inéluctable mortalité. Les deux commentateurs renaissants, que nous analyserons, confrontés à cette thèse irrémédiablement matérialiste, se trouvent à naviguer entre deux écueils : une lecture correcte, restituant la rigueur et la cohérence de la pensée de Lucrèce, et la nécessité apologétique.
Giovan Battista Pio et son commentaire de 1511
3La date de ce commentaire est à souligner, puisque sa publication précède de deux ans le Ve concile de Latran de 1513, lorsque l’Église condamna officiellement la thèse de l’intellect unique ; le travail de Pio se situe donc en amont de l’effet « boule de neige » de l’affaire Pomponazzi, qui éclata en 1516 : Pio aborde la thèse épicurienne de la mortalité de l’âme, sans l’argumentaire que mettront en place les apologètes adversaires du philosophe mantouan ; il est donc majoritairement tributaire des arguments de la tradition patristique. E. Raimondi, qui lui a consacré de très belles pages, avait voulu voir en lui un précurseur du même Pomponazzi2 : sans pour autant adhérer entièrement à cette hypothèse, nous croyons que Pio, bien plus modestement, est un éminent représentant de l’éclectisme universitaire bolonais3. L’entreprise du commentaire sur Lucrèce intervient à un moment critique de la carrière de l’humaniste : en effet, après la rupture avec son mentor, Filippo Beroaldo l’Ancien, Pio avait quitté Bologne et s’était rendu à Rome en quête de reconnaissance intellectuelle. Ces données biographiques expliquent l’envergure et l’investissement de Pio dans cette œuvre monumentale, qui sera ensuite reprise à Paris en 1514 par Nicolas Bérault (chez J. Petit). Par le choix de commenter Lucrèce , outre la continuité et la cohérence avec ses recherches sur des auteurs rares, précieux et archaïsants, comme Fulgence et Plaute, Pio entendait certainement prouver ses compétences philosophiques en vue de l’obtention d’un poste académique, et s’affranchir ainsi de l’étiquette de grammairien maniéré, pédant et ridicule qui lui était attachée.
4Le commentaire de Pio comporte une structure digressive, en accord avec l’usage de l’académie bolonaise et le style très personnel introduit par Beroaldo, où le texte commenté est certes le lieu de l’exercice philologique, mais qui se laisse tenter par une ouverture tous azimuts, pour se transformer en une sorte de somptueuse lectio antiquorum. Sa grande liberté formelle correspond à ce que J.L. Vivès appelle le commentarius diffusus, dont le but ultime est moins la glose au texte que le dialogue avec l’auctor. Et Jean Céard d’expliquer au mieux le sens de cette démarche : « À la Renaissance le commentaire est fondamentalement digressif ; il n’est pas seulement un examen du texte qui tolère quelques excursus, il est en soi un excursus, c’est-à-dire une excursion autour du texte ; un texte est une invitation au voyage. Et qui voyage sinon le commentateur ? […] Lire un texte, chercher à l’interpréter, à le comprendre, c’est chercher en même temps à débrouiller et à former sa propre pensée4. » Un simple exemple, afin d’illustrer cette démarche, est donné par les gloses aux vers lucrétiens DRN III, 554-555 (sic animus per se non quit sine corpore et ipso/ esse homine, illius quasi quod vas esse videtur) : en pleine démonstration de la mortalité de l’âme, Pio saisit l’occasion d’un excursus sur la perfectio hominis qu’il mène en s’affranchissant des sources traditionnelles et en s’appuyant en revanche sur un corpus de naturalistes assez original. Il y évoque des questions comme, par exemple, l’absence de queue chez les hommes, allant jusqu’à une audacieuse correction portée à Aristote au sujet de la doctrine de Protagoras de l’homme-mesure5.
5En effet, en règle générale, tout au long du commentaire, Pio accorde ses préférences à la tradition naturaliste (Aristote, Pline l’Ancien, Albert le Grand). Il en va de même pour le troisième livre. Toutefois, lorsqu’il endosse le rôle d’apologète, Pio va procéder sur un double, voire un triple plan. Dans l’introduction au livre III, il esquisse rapidement les théories immortalistes de l’Antiquité, des pythagoriciens aux néoplatoniciens, dans un effort rhétorique parfois démesuré, puis il englobe dans la structure même du commentaire une véritable quaestio académique (sur laquelle nous allons revenir), conduite sur les auteurs scolastiques, mais il poursuivra tout au long du livre son dialogue avec Lucrèce, en jalonnant son discours anti-mortaliste d’arguments des Pères de l’Église, notamment de Lactance6. Loin d’éluder la difficulté de la question de l’âme, Pio risque la mise en jeu de sa crédibilité d’interprète et choisit de s’écarter de la piste néoplatonicienne : il n’est nulle part fait mention de la doctrine de l’âme de Ficin, et ce silence est vraisemblablement intentionnel. Quant aux citations régulières des dialogues de Platon, dans l’introduction au commentaire du livre III, comme dans le commentaire lui-même, elles ne renvoient pas à un véritable support argumentatif. Les raisons de ce choix sont bien évidemment à rechercher de prime abord dans sa formation universitaire ; nous pouvons toutefois risquer une autre explication fort peu académique et moins louable. Pio entend probablement faire ombre à un texte paru chez le même imprimeur bolonais7 en 1504, la Paraphrasis in Lucretium, suivie de l’Appendix de animi immortalitate du médecin florentin Raphael Francus8. Cet ouvrage, encore aujourd’hui peu étudié9, était placé à la suite d’une paraphrase des trois premiers livres du De rerum natura, et avait le mérite d’avoir abordé de face, le premier, la question de la mortalité de l’âme de Lucrèce et d’avoir isolé, avec méthode, la structure du livre III et un certain nombre de preuves mortalistes. À celles-ci, que Francus nomme les cavilla lucretiana, il faisait correspondre autant d’objections dérivées de Ficin, au point que ce texte se présente comme un plat résumé de la Théologie platonicienne. Pio, dont on connaît le tempérament compétitif et enclin aux rivalités académiques, avait certainement voulu poser la question de l’immortalité de l’âme dans un cadre intellectuel et argumentatif qui lui semblait plus solide et expérimenté, celui de la Scolastique, tout en lui apportant des nuances non négligeables.
6L’introduction de Pio au livre III du De rerum natura fait état de ces éléments que nous avons évoqués :
Epicurum extollit, miroque laudum praeconio prosequitur, qui primus ausus est veritatem ostendere in tenebrosis latibulis delitescentem, quod et libro primo sic breviter attigit. Primum Graius homo immortales tollere contra est oculos ausus, primusque absistere contra. Quem neque fama deum nec fulmina nec minitanti murmure compressit coelu, sed eo magis acrem irritat virtutem animi, confringere ut arcta Naturae primus portarum claustra cupiret [De rer. Nat., I 67-71] . Profitetur quae se eius insistere vestigiis, nec id tentat ut cum Epicuro, velit aemulationem, quam omnino desperat, sed quasi delibare mavult Epicuri fontes, unde dulce philosophiae nectar hauriens id spargat in populos. […]
Lactantius, libro Divinarum tertio gravate tulit laudantem Epicuri doctrinam Lucretium sic scribens: Hic est ille qui genus humanum ingenio superavit et omnes extinxit stellas, exortus ut aetherius Sol, quos equidem versus nunquam sine risu legere possum. Non enim de Socrate aut saltem Platone dicebat, qui velut reges Philosophorum habentur, sed de homine, quo sano et vigenti nullus aeger ineptius deliravit. Itaque poeta inanissimus Leonis laudibus murem non ornavit, sed obruit et obtrivit [De div. Instit. III, 17]; Mens ac propositum Lucretii est super anima disserere, haec ardua summopere materia est cum propter animam nati simus et propter animam simus id quod sumus. In qua perpensione an Lucretius erraverit eventilabimus, an ipsa petat inferos, an aetherna [sic à corriger en aetheria], an intercidat cum lapsu corporis, an palingenesian, an metempsychosin patiatur ut Pythagoras asseruit; quos Xenocrates, Speusippus, Numenius, Ploinusque secuti sunt, qui et irrationales animas ponunt immortales; quibus reluctantur Porphyrius et Proclus caeterique Platonici. Quare ardua sit expositio de anima docuit Aristoteles. Nam cum pleraque omnia eius scripta tali habeantur ut demirari praestantiam hominis eius facile suppetat, nulla profecto commentatio est, in qua ille perinde ingenii sui vim atque sublimitatem ostenderit, atque in ea quae rationem animae continet. Plotinus tertiae Enneadis libro de animae dubiis admonuit nullam rem esse, de qua diligentius et diutius investigare tractareque quam de anima debeamus, cum ob alia multa tum etiam quia ad utraque cognoscenda conducit, scilicet tam ad ea quorum est ipsa principium, quam ad illa ex quibus efficitur. Sic ergo parebimus deo praecipienti cognosce teipsum. Cum caetera omnia perscrutari invenireque studeamus, merito quidnam sit hic in nobis investigator in primis investigabimus. Idem, quod scitu dignum est, autumat corpus esse in anima, non animam in corpore, quippe cum anima nusquam facta sit, sed corpus effectum participavit eam, ideoque anima non est in corpore. […] Animam esse immortalem contra Epicurum sentit Plato […] Sed iam ad institutum negotium revertamur10.
Il loue Épicure, poursuit par une extraordinaire proclamation de louanges, disant qu’il a le premier osé montrer la vérité cachée dans les antres ténébreux, ce qu’il dit également au livre I [citation de DRN I, 66-71]. Il reconnaît vouloir suivre les traces d’Épicure, mais il ne tente pas de faire cela dans un esprit d’émulation, ce qui serait totalement impossible, il préfère plutôt goûter pour ainsi dire aux sources d’Épicure, de façon à répandre parmi les gens le doux nectar de la philosophie où il puise. […]
Lactance, dans le livre III des Institutions divines, [III, 17] rapporte de mauvais gré les éloges de Lucrèce de la doctrine d’Épicure, ainsi : ‘Voici celui qui dépassa de son intelligence l’humanité et éteignit les étoiles, tel un Soleil ; je ne puis lire ses vers sans rire. En effet, il ne parlait pas de Socrate ou de Platon, qui sont considérés comme les rois des philosophes, mais d’un homme qui tout en étant en pleine santé a déliré avec des idées plus folles que n’importe quel malade. Ainsi ce poète vraiment stupide n’a pas paré une souris des éloges d’un lion, mais il l’a écrasée et ensevelie.’ Le but de Lucrèce est de discuter de l’âme, sujet ardu, puisque, à cause de l’âme, nous sommes nés et sommes qui nous sommes. Par un examen attentif nous prouverons que Lucrèce s’est trompé, que la destinée de l’âme est l’enfer ou l’éther, ou bien nous verrons si elle est détruite avec la déchéance du corps, si elle subit la palingenèse ou la métempsychose, comme l'affirma Pythagore, et après lui Xénocrate, Speusippe, Numénius, Plotin, qui considèrent immortelles également les âmes irrationnelles, affirmation réfutée par Porphyre, Proclus et d’autres Platoniciens. Aristote nous a appris à quel point la discussion de l’âme est difficile ; en fait, presque tous ses écrits sont tenus en telle estime que l’admiration pour la supériorité de l’homme est suffisante, il n’y a pas besoin d’examen pour prouver jusqu’où s’étendent la puissance et la supériorité de son génie, également dans les œuvres qui traitent de l’âme. Dans la troisième Ennéade, Plotin rappelait qu’il n’y a pas de doutes à propos de l’âme et que nous devons étudier et traiter ce sujet avec la plus grande diligence et abondance ; car de tous les sujets du savoir celui de l’âme est le principe de tout, puisque tout s’est formé à partir d’elle. Nous obéirons donc à l’enseignement du dieu, qui nous invite à connaître nous-mêmes [traduction de M. Ficin de l’incipit de l’Ennéade IV de Plotin]. Quant au reste, nous nous engageons à tout étudier et trouver, et justement, d’abord nous observerons l’observateur qui est en nous. Il faut donc savoir que ce même enquêteur affirme que le corps est contenu dans l’âme, non pas l’inverse, puisque l’âme ne fut jamais créée, c’est le corps formé qui participe de l’âme… L’âme est immortelle, contrairement à ce qu’affirmait Épicure, écrit Platon. […] Mais revenons à la tâche que nous nous sommes fixée.
7Après ce premier balayage des thèses et des sources dont il se servira, Pio choisit d’anticiper le cœur du traitement de Lucrèce par une véritable quaestio, qui occupe plusieurs pages, dépassant les dimensions d’un simple commentaire. Cette quaestio est conduite selon la méthode universitaire traditionnelle, s’appuyant sur le corpus scolastique. Ce sont donc les vers DRN III, 94 sq. (Primum animum dico, mentem quam saepe vocamus/ in quo consilium vitae regimenque locatum est/ esse hominis partem nihilo minus ac manus et pes) qui ouvrent le traitement :
Auspicaturus, inquit Lucretius, tractatum de anima dico esse illam partem hominis non secus ac pes, oculi, huiusmodique reliqua corporis membra… Caeterum cum animadvertam me pretium operae facturum, Lucretianaeque opinioni tum discutiendae (quoniam est impia) tum excutiendae, quod munus est interpretis… In primis theologum Aquinatem, virum sane caelestis ingenii, doctrinaeque minus praestigiosae, sumamus in manus11.
Lucrèce se propose de considérer l’âme comme une partie de l’homme, tout comme les pieds, les yeux et les autres semblables membres du corps… Je m’aperçois que je ferai œuvre bien utile si nous examinons et démontons l’opinion lucrétienne (puisqu’elle est impie), ce qui est du devoir de l’interprète… D’abord nous prenons en main le théologien d’Aquin, homme à la sublime intelligence…
8En premier lieu, Pio procède en suivant fidèlement le Livre II de la Somme contre les Gentils ; il assume au départ l’énoncé de la substance intellectuelle de l’âme (SCG chap. 49) et poursuit jusqu’à la conclusion bien connue du chap. 68, où l’âme est définie comme substance intellectuelle unie au corps en tant que sa forme. Entre ces deux limites de l’argumentation de Thomas, Pio ne néglige aucune des étapes de la question, c’est-à-dire la définition de l’intellect passif, le refus d’identifier l’intellect agent avec dieu, et surtout la réfutation des thèses adverses. Une large place est consacrée, et pour cause, à la présentation des arguments antiaverroïstes de saint Thomas. Pio prête une attention particulière aux thèses ouvertement matérialistes, qui lui semblaient sans doute associables à celle de Lucrèce, à commencer par celle d’Alexandre d’Aphrodise au sujet de l’origine physique de l’intellect possible. Reproduisant le chap. 62 de la Somme contre les Gentils, Pio prête à Alexandre la thèse selon laquelle l’intellect possible serait une commixtio elementorum, ce que Pio associe à la physiologie médicale de l’âme et à la théorie galénique des tempéraments, (selon laquelle anima correspond à commixtio). Celle-ci est suivie de la réfutation de la thèse de l’âme–harmonie, attribuée par Pio à Empédocle : une fois de plus, Pio s’appuie sur Thomas pour réfuter les thèses impies, sans véritablement s’interroger sur le fond du texte lucrétien. La preuve en est que la critique chez Lucrèce de l’âme-harmonie (DRN III, 130 sq.) renvoyait ad organicos alto delatum Helicone, derrière quoi on croit voir les musiciens comme Aristoxène. Cette organisation conceptuelle de la quaestio de Pio prouve son allégeance à Thomas12.
9C’est cependant par une très longue insertion de Jean Duns Scot que Pio fournit à Lucrèce une sorte de passeport de crédibilité pour ses lecteurs :
Johannes Scotus, qui plurimum Lucretio congruit, libro Sententiarum quarto sentit rationibus demonstrativis nec probabilibus haberi animam esse immortalem, sed teneri per fidem auctore Augustino libro XIII trinitatis et per Evangelium dicente Christo13.
Jean Scot, qui s’accorde sur plusieurs points avec Lucrèce, dans le livre IV des Sentences, pense qu’on ne peut pas soutenir l’immortalité de l’âme par des raisonnements probables ou démonstratifs, mais qu’il faut la prendre comme une vérité de foi, selon ce que dit Augustin et surtout l’Évangile du Christ.
10Duns Scot est plus qu’un écran idéologique pour Lucrèce14. D’une part la thèse scotiste admettant une certaine corruptibilité de l’âme, dans la mesure où, selon le doctor subtilis, une partie de l’âme inhère au corps (inhaeret), était effectivement un point commun possible avec Lucrèce, mais surtout elle constitue la preuve, selon Pio, de l’échec de la démonstration philosophique et rationnelle de l’immortalité de l’âme, et les critiques de Duns Scot à la démonstration rationnelle thomiste en sont le témoignage. C’est par cette ample place accordée à Duns Scot que le commentateur fait face à une controverse montante et admet que cette question ne saura se résoudre que sur le plan de la foi ; aucun philosophe, Lucrèce moins qu’un autre, n’a su y répondre de manière satisfaisante. Le recours à la thèse fidéiste de Duns Scot, dont Pio tire plusieurs arguments, fait dialoguer le rationalisme insuffisant de divers bords avec le rustre mais percutant argumentaire scotiste, serti de citations testamentaires15 : la quaestio dépasse ainsi le cadre de la réfutation de Lucrèce et des thèses mortalistes.
11Quant au reste, le rapprochement entre Lucrèce et Scot était un thème humaniste : il avait déjà été avancé dans une célèbre lettre de Jean Pic de la Mirandole à Ermolao Barbaro sur les philosophes barbares16 et la supériorité de la sagesse sur l’éloquence. En fier humaniste, Pio voudra ainsi se démarquer de Scot, mais sur un autre plan :
Haec sunt quae Johannes Scotus acute magis quam diserte disputat, quae ut erant rudia et inculta posui ne perperam essem in alieno libro ingeniosus. Ornari res ipsa negat, sed contenta doceri17.
Voilà l’opinion de Scot, qui a parlé davantage avec un esprit pénétrant qu’avec éloquence. J’ai rajouté ces arguments tels qu’ils étaient, rustres et grossiers, afin de ne pas me montrer abusivement intelligent dans le texte d’un autre auteur. Le sujet ne demande pas à être orné, mais simplement à être enseigné.
12En outre, des remarques personnelles de Pio, intervenant justement au cours de la longue citation de Duns Scot, alertent le lecteur sur son malaise face aux oscillations de l’opinion d’Aristote. En témoigne une allusion assez explicite aux inquiétudes qui animent le milieu universitaire bolonais. Pio ne manque pas de le reconnaître, d’abord par une manchette (Dubium quod de anima sentiat Aristoteles), puis par une phrase introduisant l’examen de divers passages dans l’œuvre du Stagirite traitant la question de l’âme :
Dubium est quod philosophus circa hoc sensit. Varie enim loquitur in diversis locis et habuit diversa principia, ex quorum nonnullis videtur sequi unum oppositum, ex aliis aliud18.
L’opinion d’Aristote à propos [de l’âme] n’est pas claire. En effet, il s’est exprimé de façon différente dans différents passages et a présenté des principes variés, qui ont donné lieu, semble-t-il, à des thèses totalement opposées.
[…] Quidam vero posuerunt intellectum omnium hominum esse unum vel agentem tantum vel agentem et passibilem simul… unde et a quibusdam nostri temporis christianae fidei professoribus ponentibus intellectum agentem separatum, dictum est expresse quod intellectus agens sit deus. Haec autem opinio de nostri intellectus unitate improbata est19.
Certains ont établi que l’intellect est unique pour tous les hommes, soit seul l’intellect agent, soit l’intellect agent et possible en même temps… Le résultat en est que certains professeurs universitaires de notre temps chrétien ont prétendu que l’intellect agent était séparé, et ont affirmé expressément qu’il correspondait à Dieu. Cette opinion sur l’unité de notre intellect est réprouvée.
13Seule allusion explicite au débat contemporain qui anime l’école péripatéticienne, cette phrase cache très probablement la méfiance de Pio à l’égard de celui qui fut son maître et collègue Alessandro Achillini, l’un des premiers tenants de l’interprétation averroïste du De anima, mais surtout il fait preuve d’une remarquable clairvoyance sur les risques d’un débat qui commençait à se faire entendre et à effrayer. Ce n’est donc pas étonnant si Pio consacre la partie finale au résumé des Conclusiones du Cajetan, Tommaso De Vio, le champion du thomisme contemporain.
14Une fois évacué le problème du dogme de l’immortalité, Pio est libre d’expliquer et commenter le texte de Lucrèce et d’en faire, au demeurant, ce grand chantier de culture antique dont il rêve : se laisser aller au plaisir de flâner chez des auteurs méconnus pour justifier un choix lexical dans la correction du texte, souvent exact, et pour sillonner dans tous les sens la latinité20.
15Quant à l’exégèse lucrétienne, quoique Pio soit peu intéressé à dégager la progression de l’argumentaire de Lucrèce et sa logique, il ne recule pas devant certaines difficultés du texte, comme celle, majeure, qui a donné du fil à retordre même aux interprètes modernes, à savoir la définition du quatrième élément sans nom de l’âme (DRN III, v. 231 sq.) : l’âme, selon Lucrèce, serait composée de trois éléments qu’il nomme, c’est-à-dire aer, vapor, aura (air, vapeur/chaleur, souffle) et d’une quatrième nature (Quarta quoque his igitur quaedam natura necessest / adtribuatur, east omnino nominis expers, v. 241-42). Or, les adversaires de l’épicurisme avaient violemment critiqué ce quatrième élément anonyme, mais Lucrèce fait preuve ici de cohérence avec la doctrine de son maître, puisque, la gnoséologie épicurienne se fondant sur la connaissance sensible, Lucrèce ne nomme que ce qui est visible : ce quatrième élément, sans nom car invisible, serait donc le mouvement pur, participant des trois autres, et facteur constitutif du sens, l’activité propre à l’âme (Lucrèce parle à ce propos de sensiferos motus21).
16Face à cette difficulté majeure du texte lucrétien, loin d’endosser le rôle polémique des adversaires de l’épicurisme, Pio se livre à une explication à la fois technique et philologique. Sa démarche interprétative sur ce point demeure encore incertaine, comparée à celle de Lambin portant sur la même question et sur laquelle il faudra revenir :
Quartum quiddam adhuc anonymon, hoc est nominis expers admitti unum constat. Hac anonyma, hoc est nomenclaturae ex parte nihil est uspiam velocius, unde motus sensuum originant. […] Quatuor res istae aer, vapor, aura et id quartum innominabile concurrunt simul et eandem naturam participant22.
Il faut ajouter un quatrième élément, encore anonyme, c’est-à-dire sans nom. Cet élément anonyme, dont seul le nom n’existe pas, est le plus rapide de tous et est à l’origine des mouvements des sens. […] Ces quatre éléments, l’air, le souffle, la vapeur chaude et ce quatrième que l’on ne peut pas nommer, sont unis et participent de la même nature.
17Surtout – et c’est un autre aspect qui le différencie de Lambin –, il ne saisit pas la portée de l’anti-platonisme sur lequel se construit l’argumentation du livre III de Lucrèce. Il ne peut toutefois y échapper, comme le prouve par exemple, dans les gloses correspondant aux vers 670-78, la critique de la réminiscence platonicienne, par laquelle Lucrèce devient l’allié d’Aristote :
Hoc argumentum Platonem impugnat, qui dixit animam divinitus impressum moli corporeae oblivisci omnium scientiarum, quas prius tenebat: unde corpus σωμα dici tanquam σημα hoc est sepulcrum, quo innumbrata ac infuscata obliviscitur omnium, si quid demum labore et exercitio capit non discit, sed reminiscitur, in quem invehitur libro Posteriorum primo philosophus, qui nostrum ingenium album quoddam asserit non pictum… Ab ea dictione σωμα Plato in Phaedone philosomaton vocat malum philosophiae imitatorem, qua dictione corporis amator non sapientiae significatur23.
Par cet argument il réfute Platon, selon lequel l’âme oublie la trace reçue auparavant par impression divine de toutes les sciences avec le poids du corps. C’est pourquoi il appelle le corps σωμα, comme σημα, c’est-à-dire sépulcre ; ainsi toute noircie et obscurcie, elle oublie tout, et lorsqu’elle recouvre les choses avec travail et pratique, ce n’est pas qu’elle apprend, mais qu’elle se souvient. Aristote rejette cette thèse dans le premier livre des Seconds Analytiques, parce que, selon lui, notre intelligence est comme un objet blanc non peint… Suite à cette expression, Platon, dans le Phédon, appelle philosomaton le mauvais imitateur de la philosophie, puisque cela veut dire amant du corps et non pas de la sagesse.
18La référence au jeu de mot entre σωμα et σημα, qui donne corps/prison ou tombeau dans les traductions modernes, est issue de Phaed. 82E. Quant à philosomaton, [Phaed. 68B], Pio a utilisé la traduction de Ficin, qui avait gardé le terme et l’avait complété par corporis amatorem.
19Un autre point du commentaire du bolonais fait débat et peut se traduire par la question suivante : Pio s’emploie-t-il à donner de Lucrèce une lecture pieuse, « baptisée », comme avait écrit Simone Fraisse, dans son ouvrage sur la fortune de Lucrèce au XVIe siècle, affirmation qui avait soulevé le tollé des historiens italiens24 ? Ou bien est-il prêt à dégager jusqu’au bout la thèse matérialiste ? Certes, la tentation de dédouaner Lucrèce en l’accouplant à une pensée admise est constante : cela se voit à propos de la critique lucrétienne de la métempsychose pythagoricienne. Pio commente les vers cinglants de Lucrèce sur les âmes qui se pressent devant les accouplements et les accouchements pour se réincarner dans un corps (DRN III, 776-783), en faisant remarquer sa consonance avec la doctrine chrétienne :
Ceterum pia religio in hoc a Lucretio non discrepat, asserens corpori ferarum animas fundi mortales. Soli vero homini immortales ad nutum dei insinuari non per traducem atque vim seminativam… hoc a deo curari tanquam in rerum natura pulcherrimum munus. Hallucinari pythagoricae sectae dogmatistas quis non videt? qui brutorum perpetuas tradiderunt animas25.
Quant au reste, Lucrèce n’est pas en désaccord avec la religion chrétienne, affirmant que les âmes mortelles se répandent dans les corps des bêtes. Les âmes immortelles s’introduisent seulement dans l’homme, par ordre de Dieu et non par un intermédiaire ou une force séminale. […] C’est dieu qui s’en charge, tel un don magnifique à la nature. Qui ne voit pas que les idées de la secte pythagoricienne sont délirantes ? Eux qui croient que les âmes des brutes sont éternelles.
20L’examen de cette partie du commentaire du bolonais et, malgré tout, son courage pour aborder de front le matérialisme de la psychologie lucrétienne, permet de tirer quelques conclusions sur cette première phase de sa réception. Aux yeux d’un humaniste comme Pio il est acceptable qu’un auctor comme Lucrèce soit matérialiste ; le censurer et/ou le combattre n’est pas enjeu vital. Lucrèce n’est pas un ennemi, comme il l’était pour Lactance ou pour Plutarque, il est simplement un poète antique, disciple d’un philosophe qui de surcroît n’a pas laissé d’école durable. En revanche, la censure se révèle nécessaire lorsque les thèses mortalistes et matérialistes sont émises par des contemporains. Ce qui, selon S. Fraisse, était la lecture pieuse et baptisée serait donc plutôt, selon cette perspective, tout banalement et simplement, la démarche humaniste qui fait se rencontrer et dialoguer les thèses antiques, crée un débat, cerne des proximités et des affinités. L’antiquité anticipe et annonce la vérité chrétienne, même en pièces détachées. Pourquoi pas Lucrèce ?
Le commentaire de Denis Lambin
21L’humaniste français Denis Lambin26, publie, à l’apogée de sa carrière, une nouvelle édition du texte du De rerum natura, fondée sur la découverte par son collègue et ami Adrien Turnèbe d’un manuscrit, le célèbre Quadratus, à l’abbaye de Saint Bertin, antérieur à la famille dite italienne du texte, ce qui lui permet d’introduire un certain nombre de corrections qui resteront définitives dans l’histoire de la critique textuelle du De rerum natura27. Son commentaire accorde donc une large place aux notes philologiques et est considéré comme un exemple abouti de la méthode philologique française28. Entre la première édition de son commentaire (1563) et la seconde (1570)29, Lambin fut confronté à la publication par Hubert van Giffen d’une autre version du texte, qu’il dénoncera toujours comme un plagiat ; certaines notes de l’édition de 1570 s’en ressentent.
22La critique moderne a souvent souligné comment Lambin choisit de sauver, de justifier Lucrèce en mettant la « faute », l’erreur sur le compte d’Épicure, ce qui lui permet notamment de préserver la valeur esthétique du poème30, celle d’une langue poétique qui véhicule un savoir, tout en faisant abstraction du contenu même de cette science. Lucrèce, piètre philosophe, serait un grand poète. Ce qu’a toujours semblé justifier l’épître dédicatoire à Charles IX :
At Lucretius animorum immortalitatem oppugnat, deorum providentiam negat, religiones omneis tollit, summum bonum in voluptate ponit. Sed haec Epicuri, quem sequitur Lucretius, non Lucreti culpa est31.
Lucrèce refuse l’immortalité de l’âme, nie la providence divine, exclut toute religion, place le souverain bien dans le plaisir. Mais tout cela est la faute d’Épicure dont Lucrèce est partisan, pas de Lucrèce.
23La question délicate du positionnement idéologique du commentateur revient ensuite dans la préface au livre III, adressée à Germain Vaillant de Guellis. Lambin choisit de livrer une déclaration d’intention fidéiste qui confine ici à la fonction apologétique. Ainsi, après une rapide liste des théories mortalistes, le cœur de l’épître se conclut par cette affirmation :
non immerito nos et illorum insipientem insipientiam aspernari et nobis ipsi gratulari debemus, qui ab IESU CHRISTO, unico Dei optimi maximi filio, servatore et liberatore nostro eruditi atque instituti, nullis rationibus humanis nullisque argumentis, quantumvis licet apte conclusis, ne Platonicis quidem, adducti atque coacti, animos nostros immortaleis esse persuasum habemus…32
Nous devons donc avec un certain mérite rejeter leur sotte sottise et nous féliciter nous-mêmes, nous qui avons été instruits et éduqués par JESUS CHRIST, fils unique de Dieu tout puissant, notre protecteur et libérateur, sans avoir été contraints et entraînés par des arguments et des thèses humains, même correctement posés, pas même les arguments platoniciens ; nous sommes persuadés que nos âmes sont immortelles.
24Un avertissement est toutefois donné, au cours du commentaire, lorsque Lucrèce entame sa démonstration de la matérialité de l’âme, au v. 94, très controversé. Ici Lambin se voit dans l’obligation de réitérer ses réserves :
Liber hic tertius, quo animi immortalitas a Lucretio oppugnatur, a Christiano homine caute est legendus, neque eius argumenta quantumvis probabilia, cum sint infirma, falsa, fallacia et captiosa ullo modo vel audienda, vel in pectoris sedem recipienda, sed animo preparato, instructo atque armato, ne quasi venenata tela in eum penetrent, in eoque inhaereant, ad huius libri lectionem veniendum. Omnino nulla tutior armatura adhiberi potest quam pietas et religio nostra33.
Ce livre III, dans lequel Lucrèce combat l’immortalité de l’âme, est à lire avec prudence par le chrétien, et ses arguments, quoique probables, sont invalides, faux, fallacieux et captieux, il ne faut en aucune manière les écouter et les accueillir dans nos cœurs. Il faut en revanche entreprendre la lecture de ce livre avec l’esprit prêt, instruit et bien armé, afin que ses dards empoisonnés n’y pénètrent pas et ne s’y accrochent pas. L’armure la plus sûre que l’on puisse porter est toujours notre piété et notre religion.
25Cette démarche pour désolidariser Lucrèce d’Épicure refait surface, au cours du commentaire, à des endroits qui demandent un effort exégétique, comme au sujet du vers 175 (ergo corpoream naturam animi esse necessest), pour l’explication duquel Lambin a recours (justement) à un passage de Diogène Laërce, mais il ne manque pas de gloser que vain serait plutôt Épicure (Sed Epicurus ipse inanis est, meliusque et verius, qui animum incorporeum esse putarunt, ut Plato34), ou bien encore lorsque Lucrèce entame sa démonstration de la mortalité de l’âme (v. 417 sq.). Lambin commente simplement en disant que même les arguments mortalistes les plus pugnaces ne pourront jamais convaincre des hommes à la foi chrétienne solide et que la pietas interdit d’écouter Épicure sur un grand nombre de sujets et surtout sur celui-ci35.
26En revanche, la lecture de Lambin devient précieuse et innovante par sa façon de cerner les questions spécifiquement philosophiques, son usage des sources antiques en dialogue plus qu’en controverse, qui font de Lambin un excellent historien des idées.
27Un exemple révélateur en est l’interprétation du célèbre quatrième élément, dont se composerait l’âme selon Lucrèce. Remarquant que le texte lucrétien insiste sur le fait que cet élément produit un mouvement engendrant la sensibilité (sensiferos motus), Lambin dépasse le cadre de la simple paraphrase, par la citation d’un passage très controversé des Tusculanes I, 2236, où il se penche sur une supposée erreur de Cicéron au sujet du terme aristotélicien entelecheia/ endelecheia :
Quo loco reprehendetur M. Tullius a doctis, qui putarit ἐντελέχιαν esse motionem cum et ἐντελέχια significet perfectionem quandam, sive functionem, sive actum et Aristoteles perspicue dicat, animum movere quidem sed non moveri37.
À cet endroit Cicéron aurait été critiqué par les savants, car il a retenu que entelechia était le mouvement, alors que ce terme signifie une certaine perfection ou fonction ou bien acte, et qu’Aristote affirme très clairement que l’âme est origine du mouvement mais qu’elle ne se meut pas.
28Il faudra attendre les années 1930 et les recherches d’Ettore Bignone sur la formation philosophique d’Épicure pour que lumière soit faite sur ce passage. Cicéron, on rappelle ici les conclusions auxquelles arrive E. Bignone, n’aurait pas mal compris Aristote, mais aurait correctement cité un autre terme, remontant à la première théorie noétique du Stagirite, l’Aristote perdu, où effectivement l’accent était mis sur le mouvement38. Du reste, dans l’œuvre connue d’Aristote, le terme endelecheia revient comme synonyme de sunecheia, continuité.
29Toutefois le plus grand mérite de Lambin est de rendre la question de l’immortalité de l’âme à ses termes originaires. Lambin reconstitue le cadre intellectuel dans lequel se construit et prend forme l’argumentaire lucrétien. Il est désormais acquis que Lucrèce présente sa thèse en se posant en anti Platon39. C’est contre le Phédon au premier chef que se construit sa polémique. De plus, le lecteur notera que les piliers qui avaient soutenu l’apparat critique de Pio, c’est-à-dire les Pères de l’Église et la Scolastique sont quasiment absents du commentaire de Lambin.
30C’est donc par cette lecture empathique du texte de Lucrèce que Lambin remonte aux sources de la pensée de son auteur. Un exemple : au sujet de la critique de la thèse de l’âme-harmonie (DRN III, v. 94 passim), Lambin cite le discours de Simmias (Phaed. 86B), puis le complète par sa source préférée, les Tusculanes, qui lui suggèrent la référence (correcte) à Aristoxène.
31Un autre exemple est donné par la démarche qui consiste à rapprocher Lucrèce du Cébès platonicien, l’incrédule du Phédon qui se plie aux arguments de Socrate, un procédé évident dans le commentaire aux vers 124-26 (noscere ut hinc possis neque ex aequo fulcire salutem/, sed magis haec, venti quae sunt calidique vaporis/ semina curare in membris ut vita moretur40), que Lambin glose ainsi :
ad hunc locum pertinent illa quae dicuntur a Cebete apud Platonem, in Phedone.
32Puis il cite Phaed. 70A, c’est-à-dire, l’objection avancée par Cébès au début du Phédon concernant la hantise de l’homme au sujet de la dispersion de l’âme après la mort sous forme de vent ou de fumée.
33Mais c’est principalement dans la description lucrétienne de la mort qui gagne progressivement les membres du moribond41 que Lambin saisit puissamment le contre-jour platonicien du De rerum natura. La page a souvent été interprétée comme un retournement critique, voire ironique, du récit de la mort de Socrate dans le Phédon, mais Lambin est sans doute le premier à en avoir l’intuition :
Sic apud Platonem in Phaedone extremo Socrati, hausto iam pharmaco, cum aliquantisper ambulasset, et mox supinus recubuisset, pedes et crura primum frigore correpta sunt, deinde tibiae, postremo sensim vis pharmaci pestiferi ad cor pervenit, et ita ille anima efflavit42.
De la même manière à la fin du Phédon de Platon, Socrate, après avoir bu le poison et avoir marché quelques instants, s’allongea subitement, d’abord les pieds et les bas des jambes furent saisis par le froid, ensuite les tibias, enfin, la substance vénéneuse parvint au cœur, et ainsi il exhala son âme.
34Au cours du commentaire, Lambin isole une dizaine de preuves de la mortalité de l’âme. Après les preuves issues de la structure matérielle et atomique de l’âme, à partir du v. 445, Lucrèce expose les preuves dites de l’analogie entre corps et âme (Praetera gigni pariter cum corpore et una/ crescere sentimus, pariterque senescere mentem). Pour l’explication du troisième argument, selon lequel l’âme partage les mêmes souffrances que le corps, dont la mort, (v. 459-61), la démarche de Lambin est remarquable : Arnobe est ici utilisé pour la lectio correcte du texte (pour la partie philologique), mais la réponse argumentative est confiée aux Tusculanes (I, 32) où Cicéron reprochait à Panétius ce même argument43.
35Toujours utilisées pour situer et neutraliser la théorie mortaliste de Lucrèce, les Tusculanes sont citées au niveau du dixième argument lucrétien v. 624-30, selon lequel, si l’âme était immortelle elle sentirait en dehors du corps, Lucrèce ironise sur ce double inutile que deviendrait l’âme séparée du corps mais dotée de narines, de langue et d’autres attributs corporels44. À une première lecture la citation de Cicéron est déroutante : l’Arpinate, au chapitre 16 des Tusculanes, explique à l’auditeur l’origine des superstitions autour des trépassés que les poètes alimentaient. Incapables d’imaginer autrement l’existence après la mort, les anciens poètes (Cicéron cite des vers d’Ennius) pensaient que les morts, tels des êtres inquiets, erraient autour du Lac d’Averne. Ils étaient en fait incapables d’imaginer ces agissements des âmes en absence d’une figure corporelle. Ce ne sont que les grands esprits qui sont en mesure de concevoir une activité spirituelle et intellectuelle pure. Or, le rapprochement avec le passage cicéronien complet jette la lumière sur le sens ultime de la démarche de Lambin, que certaines ambiguïtés semblaient cacher : Lambin oppose à Lucrèce la même objection que celle que Cicéron opposait aux poètes, l’erreur de Lucrèce serait plutôt de l’ordre de la naïveté des Anciens que celle d’un dangereux philosophe moderne.
36Pour tirer un premier bilan du commentaire de Lambin, on constate qu’il préfère sa casquette de philologue correcteur à celle de philosophe. Sa retenue, sa timidité en matière philosophique et apologétique incitent à conclure qu’il a certes voulu remettre Lucrèce devant ses adversaires historiques, Platon avant tout, Cicéron dans un second temps, mais qu’il n’a pas jugé politiquement et philologiquement correct de monter autour du livre III la structure « dispute » sur le sujet du corps de l’âme. Ce n’était pas Lucrèce qui était trop dangereux, mais le sujet en lui-même et ses phantasmes padouans.
37Lucrèce pour Lambin est avant tout un trésor de la langue et de la poésie latines à préserver et à étudier. Il s’anime, il se passionne, il se déchaîne et se met en jeu personnellement sans s’épargner, il en appelle à son lector erudite, lorsqu’il s’agit d’argumenter pour ou contre une variante ou bien lorsqu’il affiche son orgueil dans des affirmations comme
scripturam antiquam restitui, corruptam ab iis, quorum nomine parco [allusion à son ennemi van Giffen] propter ingenii gloriam, quam etiam mortui et vivunt et vivent… quae in bonis scriptoribus non intelligebant suo arbitratu mutabant et depravabant…45
J’ai rendu le texte original, corrompu pour la gloire de l’intelligence par ceux, dont j’épargne le nom, qui vivent et vivront comme des morts. Ces gens, sans comprendre ce qui était écrit chez les bons écrivains, corrigeaient, changeaient, modifiaient et forçaient le sens selon leur goût arbitraire.
38Il ne faut pas sous-estimer l’effort de Lambin pour rendre à Lucrèce sa cohérence théorique, pour le resituer dans le contexte philosophique qui lui est propre. Son projet de commentaire ne saura se réduire à la séparation sommaire entre forme poétique sublime et contenu théorique répréhensible. Toutefois, ce retrait particulièrement sensible dans les pages consacrées à la question de la mortalité de l’âme, un retrait derrière la toge du philologue, du chasseur de coniecturae et de lectiones correctes, nous conforte dans l’idée que Lambin n’ose pas aller jusqu’au bout de la polémique, las qu’il était des stériles querelles universitaires, qui avaient si lourdement envenimé le sujet.
Notes de bas de page
1 Après l’étude de S. Fraisse, Une conquête du rationalisme. L’influence de Lucrèce en France au XVIe siècle, Paris, 1962, et une célèbre contribution d’E. Garin, « Ricerche sull’epicureismo nel Quattrocento », dans La cultura filosofica del Rinascimento italiano. Ricerche e documenti, Milan, 1994 (1961), p. 72-92, on donne ici quelques indications bibliographiques plus récentes sur la réception de Lucrèce à la Renaissance : M. Beretta et F. Citti (éds), Lucrezio, la natura e la scienza, Florence, 2008 ; G. Mormino et V. Morfino (éds), Lucrezio e la modernità, i secoli XV-XVII, Actes du colloque international de Milan, décembre 2007, Naples, 2010 ; F. Lestringant et E. Naya (éds), Renaissance de Lucrèce, Cahiers du Centre V. L. Saulnier 27, Paris, 2010 ; V. Prosperi, Di soavi licor gli orli del vaso: la fortuna di Lucrezio dall’Umanesimo alla Controriforma, Turin, 2004 ; ead., « Lucretius in the Italian Renaissance », dans S. Gillespie and Ph. R. Hardie (éds), The Cambridge Companion to Lucretius, Cambridge, 2004, p. 214-225 ; Ph. Ford, « Lucretius in early modern France », ibid., p. 227-241 ; A. Brown, The return of Lucretius to Renaissance Florence, Harvard, 2010. Je me permets également de signaler mes travaux sur Lucrèce : Savoir de la nature et poésie des choses. Lucrèce et Épicure à la Renaissance italienne, Paris, 2004 ; « La météorologie au XVIe siècle entre Aristote et Lucrèce », dans F. La Brasca et A. Perifano (éds), La transmission des savoirs du XIIe au XVIe siècles, Actes du colloque international organisé par l’Équipe Poétique des Genres et Spiritualité (Université de Franche Comté) et CESR (Université F. Rabelais, Tours), Besançon Tours, 24-29 mars 2003, paru en 2005, vol. 2, p. 275-288 ; « Corriger Aristote par Lucrèce : la physique épicurienne à travers l’aristotélisme renaissant », Cahiers philosophiques, 83 (juin 2000), p. 33-50, et « Débauche ou plaisir chrétien, se réclamer d’Épicure à la Renaissance : entre Lorenzo Valla et le Tasse », dans L. Boulègue et C. Lévy (éds), Hédonismes, penser et dire le plaisir dans l’Antiquité et à la Renaissance, Lille, 2007, p. 189-199.
2 E. Raimondi, « Il primo commento umanistico a Lucrezio », dans Politica e commedia. Dal Beroaldo al Machiavelli, Bologne, 1972, p. 131.
3 Né vers 1475, Pio est lector en rhétorique en 1494 à l’université de Bologne, formé à l’école de Beroaldo l’Ancien, on lui doit plusieurs éditions, dont Plaute et Sidoine Apollinaire, et un commentaire de Fulgence (Milan, 1498). Après un court séjour à Rome, il meurt après 1534. Sur la biographie de cet humaniste, voir V. del Nero, « Note sulla vita di Giovan Battista Pio (con alcune lettere inedite) », Rinascimento, 21 (1981), p. 247-263 et « G. B. Pio fra grammatica e filosofia: dai primi scritti al commento lucreziano del 1511 », dans L. Avellini (éd.), Sapere e/è potere. Il caso bolognese a confronto, Actes du colloque de Bologne, avril 1989, vol. 1 : Forme e oggetti della dispute delle arti, Bologne, 1990, p. 243-257. Voir aussi E. Raimondi, op. cit. Pour les études sur le commentaire lucrétien, voire encore V. del Nero, « L’anima di Lucrezio nel commento di Pio », Annali dell’Istituto di Filosofia, 5 (1983), p. 29-60, « Filosofia e teologia nel commento di Giovan Battista Pio a Lucrezio »,Interpres, 6 (1985), p. 156-199 et « La sessualità nel commento di G. P. Pio a Lucrezio », Rinascimento, 26 (1986), p. 277-295.
4 Cité de J. Céard, « Les transformations du genre du commentaire », dans J. Lafond et A. Stegmann (éds), L’Automne de la Renaissance 1580-1630, Paris, 1981, p. 101-115, p. 107. C’est à J. Céard que nous avons emprunté les définitions de commentaire de J. L. Vivès, tirés du De ratione dicendi III.
5 In Carum Lucretium poetam Commentarii, a Ioanne Baptista Pio editi, cum N. Beraldi commentariis, apud Ascensium, Parisiis, 1514, fol. 89v : Protagoras vero mensuram omnium hominem esse dixit; perinde atque si scientem aut sentientem dixisset et hoc propterea quod alter sensum alter scientiam habet. Quae quidem subiectorum mensuras dicimus esse, unde colligimus libro sequenti [Arist, Métaphysica, lib XI] Pytagora apud Aristotelem scriptum esse pro Protagora.
6 Pour l’utilisation des sources voir V. Del Nero, Teologia e filosofia, art. cit.
7 Pour des raisons de commodité, nous citons le commentaire dans l’édition parisienne. L’editio princeps parut à Bologne, chez Antonio De Benedetti, en 1511.
8 Raphaelis Franci FlorentiniIn Lucretium paraphrasis, cum appendice de animi immortalitate, impressum Bononiae, per Ioannem Antonium Platonidem Benedictorum, 1504.
9 U. Pizzani, « La Paraphrasis in Lucretium di Raphael Francus », dans G. Tarugi (éd.), Validità perenne dell’umanesimo, atti del XXV e XVI convegno internazionale del centro di studi umanistici di Montepulciano, 1983 -1984, Florence, 1986, p. 313-330.
10 In Carum Lucretium poetam Commentarii, a Ioanne Baptista Pio editi, cum N. Beraldi commentariis, apud Ascensium, Parisiis, 1514, fol. 72v.
11 Ibid., fol. 75v.
12 Ibid., fol. 75v : Alexander demum Aphrodiseus tradit intellectum possibilem esse aliquam virtutem in nobis… quia vero intelligere non poterat aliquam substantiam intellectualem esse corporis formam, posuit praedictam virtutem non esse fundatam in aliqua intellectuali substantia, sed consequenter commistionem [sic] elementorum in corpore humano… Hanc quoque opinionem ut Aristotelico catholicoque dogmati contrariam explodunt orthodoxi. Praedictae opinioni Alexandri de intellectu possibili, propinqua est Galeni medici de anima. Dicit enim esse complexionem sive constitutionem, hoc ut diceret ista moverentur, quae videmus ex diversis complexionibus generari in nobis diversas passiones quae attribuuntur animae. Aliquam complexionem habentes ut cholericam de facili irascuntur, Melancholici vero de facili tristantur, haec opinio est reproba.
13 Ibid., fol. 76v.
14 V. Del Nero, « L’anima di Lucrezio nel commento di Pio », art. cit., p. 49.
15 Le commentaire reprend, sur deux feuillets (f. 76v et f. 77r), de longs passages de Duns Scot du livre IV des Sententiae, Dist. 43, q. 2. Le rapprochement avec ce texte, (consulté dans l’édition de Lyon, 1639, vol. X, p. 29, facsimile, Hildesheim, 1968) ne fait pas de doute.
16 L’écho entre ce passage du commentaire à Lucrèce de Pio et la lettre de Barbaro avait déjà été remarqué par E. Garin « Commenti lucreziani », Rivista critica di storia della filosofia, 28 (1973), p. 81-84. La lettre est publiée dans E. Garin (éd.), Prosatori latini del Quattrocento, La letteratura italiana: storia e testi, vol. 13, Milan-Naples, 1952, p. 820 : Scribat Lucretius de natura, de Deo, de providentia, scribat de eisdem et nostris quispiam, scribat Johannes Scotus et quidem carmine ut sit ineptior. Dicet Lucretius rerum principia atomos et vacuum, Deum corporeum, rerum nostrarum inscium, temere omnia fortuito occursu corpusculorum ferri… Dicet Johannes quae natura constant sua materie specieque constitui, esse Deum separatam mentem, cognoscentem omnia, omnibus consulentem. Nec propterea quod universa etiam infima videat ac moderetur, e sua pace minimum dimoveri… Quaeso, quis in dubium revocet, uter poeta melior, uter philosophus? Extra omnem est controversiam tam rectius Scotum philosophari quam ille loquitur ornatius. Sed vide quid differant, huic os insipidum, illi mens desipiens… Hic infantissimus dicendo, sentit ea quae laudari dicendo satis non possunt; ille fando eloquentissimus eloquitur nefanda.
17 Pio, Commentari, op. cit., fol. 77r.
18 Ibid., fol. 76v.
19 Ibid., fol. 77v.
20 C’est surtout cet aspect du commentaire qui a été mis en valeur par les lectures critiques, voir notamment E. Raimondi, op. cit., p. 131 passim et U. Pizzani, « La psicologia lucreziana nell’interpretazione di G. B. Pio », Res publica litterarum, Studies in the classical tradition, 6 (1983), p. 291-312.
21 On renvoie à P. F. Moreau, Lucrèce. L’âme, Paris, 2002, p. 32-33 pour l’analyse de ce point, mais cette étude a été une référence essentielle pour l’ensemble des questions liées à la psychologie de Lucrèce. Quant à la question de l’élément « sans nom », on rappelle l’étude classique d’E. Bignone, L’Aristotele perduto e la formazione filosofica di Epicuro, Milan, 2007 (1936), p. 224 sq.
22 G. B. Pio, Commentarii, fol. 82r-83r.
23 Ibid., fol. 92v.
24 E. Raimondi, op. cit., p. 126 ; E. Garin, « Commenti lucreziani », art. cit., p. 82.
25 G. B. Pio, Commentarii, cit., fol. 95r.
26 Denis Lambin (1519-1572), élève de Jean Dorat, protégé du cardinal de Tournon, professeur d’éloquence au Collège Royal et lecteur royal de Grec en 1562, n’a pas encore fait l’objet d’une étude monographique, on renvoie donc à S. Fraisse, op. cit., qui lui consacre un chapitre (p. 53-74) ; des indications bio-bibliographiques utiles sont données par L. C. Stevens, « Denis Lambin: Humanist, Courtier, Philologist and Lecteur Royal », Studies in the Renaissance, 9 (1962), p. 234-241, J. Chomarat, « Denis Lambin », dans Prosateurs latins en France au XVIe siècle, Paris, 1987, p. 445-449, J. Jehasse, La Renaissance de la critique. L’essor de l’humanisme français de 1564 à 1614, Paris, 2002 (1976), p. 71-141. Voir aussi les récentes contributions de J. O’Brien, « Le Lucrèce de Lambin : entre revendication et prudence », p. 35-46 et E. Argaud, « L’autre moitié du projet : enjeux philosophiques de l’édition du De rerum Natura, Lambin et la dissensio sur le corps de l’âme », p. 47-82, les deux publiées dans La renaissance de Lucrèce, op. cit.
27 Karl Lachmann, qui se servira de l’édition de 1570, dira de lui « homo ingenii felicis idemque philosophiae studiosus et linguae Latinae in primis peritus », voir C. Lachmanni In T. Lucretii Cari De rerum natura Libros commentarius, Berolini, 1850, p. 13.
28 Voir A. Grafton, Joseph Scaliger, A study in the history of Classical Scholarship, vol I : Textual Criticism and Exegesis, Oxford, 1983, p. 82 passim.
29 Titi Lucretii Cari De rerum natura libri VI, a Dyonisio Lambino emendati et commentariis illustrati, Parisiis et Lugduni, in G. Rouillii et P. G. Rouilii ædibus, 1563 ; De rerum natura libri sex, a D. Lambino emendati et commentariis illustrati, vita Lucretii eodem Lambino auctore, Lutetiæ, apud J. Benenatum, 1570.
30 E. Arnaud, art. cit., a toutefois démontré comment la lecture et la polémique anti-mortaliste de Lambin dans le III livre s’articule autour d’un discours philosophique fondé sur la dissensio sceptique.
31 De rerum Natura, éd. D. Lambin, 1570, cit., f. a3.
32 Ibid., p. 106.
33 Ibid., p. 216.
34 Ibid., p. 220 : qui animum incorporeum esse dicunt, inanes sunt, nihil enim neque facere neque pati posset, si talis esset.
35 Ibid., p. 239 : quod si essent firmissima [argumenta], nihil apud nos valerent tamen, religione Christiana imbutos. Vetat enim pietas cum in plerisque aliis tum in hoc maxime audire Epicurum.
36 Cicéron, Tusculanae disputationes, I, 10 : Aristoteles… cum quattuor nota illa genera principiorum esset complexus [animus], e quibus omnia orerentur, quintam quandam naturam censet esse, e qua sit mens… quintum genus adhibet vacans nomine et sic impsum animum endelecheian appellat novo nomine quasi quandam continuatam motionem et perennem. À noter que dans l’édition des Belles Lettres des Tusculanes l’éditeur épouse la thèse d’une « erreur » de Cicéron, qui confondrait le mot correct entelecheia.
37 D. Lambin, op. cit., p. 226.
38 E. Bignone, L’Aristotele perduto e la formazione filosofica di Epicuro, op. cit., p. 224 sq.
39 Voir à cet égard, Ph. H. De Lacy, « Lucretius and Plato », dans Syzêtêsis, Studi sull’epicureismo greco e romano in onore di Marcello Gigante, Napoli, 1983, p. 291-307, et P. F. Moreau, op. cit., p. 56 sv.
40 DRN III, 124-126 : « À quoi tu peux reconnaître que tous les éléments n’ont pas un rôle égal,… mais ce sont plutôt les principes du vent et de la chaleur qui ont le soin de maintenir la vie dans nos membres. »
41 DRN III, 526-30 : Denique saepe hominem paulatim cernimus ire/ et membratim vitalem deperdere sensum; / in pedibus primum digitos livescere et unguis, inde pedes et crura mori, post inde per artus/ ire alios tractim gelidi vestigia leti.
42 D. Lambin, op. cit., p. 247.
43 Ibid., p. 241 : [HUC ACCEDIT, UTI VID. CORP. UT IPS.] Sic habent libri manuscripti, non ut vulgati id ipsum sic autem Arnob. lib. 2 Adv. gentes. Quicquid enim causa ingruente nonnulla ita mutatur ut integritatem suam retinere non possit, id necesse est iudicari esse passivum. Quod autem est promtum atque expositum passioni, corruptibile esse, ipsa passibilitate interveniente, denuntiatur. Hoc argumentum refellit etiam M. Tull. Lib. I Tuscul. Quaest. his verbis, « Alteram affert rationem Panaetius (adversus animorum immortalitatem scilicet) nihil esse quod doleat quin id agrum esse quoque possit, quod autem in morbum cadat, id etiam interiturum, dolere autem animos, ergo etiam interire. Haec refelli possunt, sunt enim ignorantis cum de aeternitate animorum dicantur de mente dici, quae omni turbido motu semper vacet… »
44 Ibid., p. 252 : Hoc argumentum refelli potest ex iis quae sunt apud M. Tull lib. I Tuscul. ‘Animos per se viventeis non poterant mente complecti, formam aliquam, figuramque quaerebant. Sequitur paucis interpositis: « Has tamen imagines loqui volebant, quod fieri nec sine lingua nec sine palato nec sine faucium laterum, pulmonum vi et figura potest. Nihil enim animo videre poterant, ad oculos omnia referebant. Magni autem ingenii est revocare mentem a sensibus et cogitationem a consuetudine abducere ». Le passage auquel Lambin renvoie est Tusc. I, 16.
45 Ibid., p. 236.
Auteur
U. Lyon 3, (E.A. 4081 « Rome et ses Renaissances »)
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