Le visage des citations dans le cercle du dialogue 1
p. 91-102
Texte intégral
1Entre les références explicites et implicites, littérales ou allusives, individuelles ou génériques, il est possible de recenser 103 citations dans ce dialogue de Plutarque, dont 39 proviennent de poètes, Homère principalement, ce qui, de prime abord, peut étonner pour un texte traitant d’astronomie et entreprenant de résoudre un problème de nature plutôt scientifique.
2D’où les questions : s’agit-il d’un ornement littéraire et, sinon, quelle fonction devons-nous accorder à ces éléments rapportés d’origine assez hétéroclite ?
3De fait, non seulement tous les genres poétiques ou presque sont représentés, mais nous rencontrons aussi, à côté des mathématiciens et astronomes attendus et qui, eux, restent paradoxalement peu mentionnés (6 mentions seulement, dont trois pour Aristarque de Samos et une pour Hipparque), des historiographes (Phérécyde et Mégasthénès), des philosophes, presque aussi nombreux que les poètes (34 références) et renvoyant à la quasi-totalité des grands courants de pensée du monde hellénique (écoles d’Ionie, d’Abdère, de Crète, de Sicile, d’Italie, Académie, Lycée, Portique, Jardin), et même, outre les Grecs eux-mêmes et les Athéniens, des peuples habitant aux quatre points cardinaux de la terre habitée (Barbares septentrionaux du Couchant, Carthaginois, Égyptiens, Mèdes et Assyriens) et dont le savoir ou la sagesse méritent d’être signalés.
4En voici la distribution par ordre d’intervention des interlocuteurs concernés.
SYLLA
Poètes
1) Chap. 26, 941 A : Homère2 (Odyssée 7, 244)
Une île, Ogygie, est sise au loin dans l’étendue salée.
2) Chap. 27, 942 F : Homère (Od. 4, 563
Mais vers la plaine de l’Élysée et les limites de la Terre
3) Chap. 28, 943 B : <Orphiques>3 (Hymnes orphiques 29, 2)
Déméter qualifiée d’Unigénitrice (monogenês).
4) Chap. 29, 944 C : <Homère>4 (Od. 4, 563)
Plaine élyséenne
5) Chap. 30, 944 F : <Homère> (Od. 11, 222)
Mais l’âme, à la manière d’un songe, s’est envolée à tire-d’aile.
6) Chap. 30, 944 F : Homère (Od. 11, 601-602)
Après lui, j’ai reconnu le robuste Héraclès,
Un fantôme ! Lui il est personnellement avec les dieux immortels.
Savoirs et croyances des peuples
1) Chap. 26, 941 A : Mythologie des Barbares5 (population mythique des îles mythiques de la Haute mer de Cronos) : récit de l’emprisonnement de Cronos par Zeus dans l’une de ces îles, Ogygie.
2) Chap. 26, 942 B : étranger de passage à Carthage et en provenance de l’île de Cronos (voyageur anonyme) : contenu du mythe rapporté par Sylla.
3) Chap. 26, 942 C : l’Étranger
Il découvre à Carthage des parchemins sacrés très anciens qui confortent la teneur du mythe sur Cronos.
4) Chap. 28, 943 B : Athéniens d’autrefois
Ils appelaient les décédés dêmêtrioi.
Philosophes
1) Chap. 27, 942 D : <Platon> (Premier Alcibiade 133 a)
Regarder quelqu’un dans la pupille de ses yeux donne la possibilité de se voir soi-même comme dans un miroir.
2) Chap. 28, 943 E : Héraclite (fr. 98 D-K )
Les âmes dans l’Hadès ont de l’odorat.
3) Chap. 29, 943 E – 944 A : Xénocrate (fr. 56 Heinze)
la lune est un mélange de terre et d’éther ;
le monde est un mélange de lourd et de léger ;
table des corps, du point de vue de la densité du feu contenu dans leur mélange (les étoiles et le Soleil ont la densité la plus forte ; puis, vient la Lune, dans la composition de laquelle entre aussi l’air ; enfin, la Terre occupe le troisième rang, car s’y mélange également de l’eau) ;
l’âme ne peut supporter les extrêmes en termes de rareté ou de densité.
4) Chap. 29, 943 F : Platon (Timée 31b-32c ; 40a)
Chaque étoile est composée de terre et de feu grâce à la médiation de l’air et de l’eau, sinon aucune ne serait visible.
Mathématiciens
Chap. 29, 944 A : géomètres (la mesure de la Lune)
La Lune mesure un petit nombre de fois l’ombre de la Terre.
LAMPRIAS
Philosophes
1) Chap. 2, 920 C : Empédocle (fr. B 40 D-K)
Le Soleil aux traits aigus et la Lune apaisante
2) Chap. 2, 920 F : Cléarque (fr. 97 Wehrli)
L’irrégularité des taches de la Lune bat en brèche la théorie de Cléarque.
3) Chap. 2, 920 F : Aristote et les Péripatéticiens
Cléarque est un péripatéticien hétérodoxe en matière de cosmologie.
4) Chap. 3, 920 F – 921 B : Cléarque
Le visage qu’on voit dans le disque de la Lune résulte du reflet de la grande mer dans le miroir qu’est la Lune.
5) Chap. 4, 921 E : Épicure
La physique épicurienne avec ses atomes qui s’entrechoquent et rebondissent les uns contre les autres, ne peut rendre compte de la continuité du rayon visuel.
6) Chap. 4, 921 E : Cléarque
La Lune est un astre composé d’éther et lumineux, qui n’a rien d’un corps pesant et solide.
7) Chap. 5, 922 B : Cornutus, chap. 18 (p. 33, 18-22, Lang)
Héphaïstos doit sa réputation de boiteux au fait que sans bois le feu n’avance pas, tout comme les boiteux sans bâton.
8) Chap. 5, 922 C : Empédocle (A 60 D-K)
La Lune est un bloc de glace fait d’air congelé qu’enveloppe la sphère du feu.
9) Chap. 9, 925 B : Empédocle (B 46 D-K)
Elle déroule comme une trace de char,
Elle qui fait le tour de la Terre en la frôlant
10) Chap. 12, 926 E : Empédocle
Discorde (Neikos) produit la dissolution du monde.
11) Chap. 12, 926 E : Empédocle (B 27 D-K)
Là ni l’aspect brillant du Soleil ne se discerne,
Non assurément, pas même le sien, ni non plus la race laineuse de la terre,
ni la mer.
12) Chap. 12, 926 F : Platon (Timée 53b)
Sans mélange, les principes se comportaient comme se comporte tout ce dont est absent dieu, c’est-à-dire comme les corps où font défaut l’intellect et l’âme.
13) Chap. 12, 926 F – 927 A : Empédocle (B 17, 20-21 D-K)
Affection (Philotès) introduit le désirable dans la nature et crée l’harmonie universelle.
14) Chap. 12, 927 A : Parménide (B 13 D-K)
Aphrodite introduit le désirable dans la nature et crée l’harmonie universelle.
15) Chap. 13, 927 B : <Platon> (Timée 28 a et c)
Zeus est appelé créateur et père démiurge.
16) Chap. 14, 927 F : Empédocle (B 76 D-K)
Des buccins et des tortues à la peau de pierre
Tu verras, là, une terre située au-dessus de la peau.
17) Chap. 15, 928 B : Métrodore de Chios (atomisme)
La Terre et le Soleil occupent leur place respectivement à cause du poids de l’une et de la légèreté de l’autre, de même que les astres le font en fonction de leur pesée comme dans une balance.
18) Chap. 15, 928 B : <Platon> (cf. Timée 45b)
à la manière d’yeux porteurs de lumière (phôsphora)
19) Chap. 15, 928 C-D : <Stoïciens> (fr. 668, SVF II)
La partie brillante et subtile de l’air est devenue le ciel, la partie épaissie les astres, et la Lune, parmi ces derniers, est formée du plus lourd et du plus trouble de l’éther.
20) Chap. 21, 934 D : Empédocle (fr. B 42 D-K)
Il qualifie la Lune de : à l’œil étincelant (glaukôpis).
21) Chap. 21, 934 F : Socrate (Phédon 110 b sq.)
Son mythe de la Terre.
22) Chap. 21, 935 B : Stoïciens (cf. 928 D et 933 D)
La Lune contient un feu tourbeux (tholeron) et chargé de lie (trugôdes).
23) Chap. 25, 938 D : Cratès (stoïcien de Mallos, qui cite Il. 14, 246)
Océan, qui précisément est l’origine de tous les êtres,
Hommes et dieux, se répand sur la plus grande partie de la Terre.
24) Chap. 25, 938 E : Platon (Timée 40b-c)
se tient au milieu une gardienne et démiurge de la nuit et du jour
25) Chap. 25, 940 C : Mégasthénès (cf. 938 C)
Il existe des hommes à la bouche rétrécie qui se nourrissent d’odeurs.
26) Chap. 25, 940 C : Épiménide (fr. A 5 D-K)
La nature ne demande qu’un peu de combustible pour réchauffer l’être vivant, puisque, dès lors qu’il prend juste la taille d’une olive, il n’a plus besoin d’aucune nourriture.
Poètes
1) Chap. 2, 920 D-E : Agésianax (= Hégésianax, fr. 1, Collectanea Alexandrina, p. 8, Powell)
Elle brille d’un éclat de feu tout autour d’elle, mais en son milieu
Plus étincelant que du lapis se font voir comme un œil de vierge
Et un front humide ; à la voir on dirait un visage.
2) Chap. 3, 921 B : Agésianax (= Hégésianax, fr. 2, Collectanea Alexandrina, p. 9, Powell)
Là où la grande vague de l’Océan qui se soulève à l’opposé
Apparaît en une reproduction dans un miroir embrasé
3) Chap. 5, 922 A : les poètes (cf. Od. 23, 330 ; Théog. 515 ; Pindare, Ném. 10, 71)
Les foudres sont qualifiés de fuligineuses (psoloentas)
4) Chap. 7, 923 F : Sophocle (fr. 770 Nauck2)
Purgent la bile amère avec d’amers remèdes
5) Chap. 12, 927 A : Hésiode (Théogonie 120)
Naissance d’Éros qui introduit le désirable dans la nature et crée l’harmonie universelle.
6) Chap. 13, 927 B : <Pindare> (fr. 48 Bowra = 57 Bergk)
Zeus qualifié de maître-artisan (aristotekhnas)
7) Chap. 21, 934 B : Homère (Il. 9, 212-213)
Mais, quand la fleur du feu se fut éteinte et que la flamme fut tombée,
Il étala le charbon ardent…
8) Chap. 21, 934 D : les poètes (cf. Euripide, fr. 1009 Nauck2)
La Lune est qualifiée de à l’œil étincelant (glaukôpin).
9) Chap. 21, 934 F : Homère (Il. 11, 298)
Mer appelée étendue marine violette (ioidea).
10) Chap. 21, 934 F : Homère (Il. 1, 350)
Haute mer qualifiée de vineuse (oinopa).
11) Chap. 21, 934 F : Homère (Il. 1, 481-482)
Houle de la mer qualifiée de pourpre (porphyreon).
12) Chap. 21, 934 F : Homère (Il. 16, 34)
Mer qualifiée d’étincelante (glaukên).
13) Chap. 21, 934 F : Homère (Od. 10, 94)
Bonace qualifiée de blanche (leukên).
14) Chap. 22, 935 F : <Sophocle> (fr. 708 Nauck2 = fr. 776 Lloyd-Jones)
L’Athos recouvrira les flancs de la vache lemnienne.
15) Chap. 25, 940 A : Alcman (fr. 43 Diehl = 48 Bergk4 = 93 Calame)
Telles les plantes que nourrit Ersa (Rosée), la fille de Zeus et de la divine Séléné
16) Chap. 25, 940 C : Hésiode (Trav. & Jours 41)
Ni quel grand profit réside dans la mauve et l’asphodèle
17) Chap. 25, 940 F : Homère (Il. 20, 65)
Des réalités effroyables, moisies et qui précisément font horreur aux dieux
18) Chap. 25, 940 F : Homère (Il. 8, 16)
Aussi loin dans l’Hadès que l’est le Ciel de la Terre
Mathématiciens
1) Chap. 4, 921 D : Hipparque
physique de la vision
2) Chap. 10, 925 C : Aristarque (Grandeurs et Distances, proposition 7)
Par rapport à nous la distance du Soleil est plus que dix-huit fois et moins que vingt fois celle de la Lune.
Savoirs et croyances des peuples
1) Chap. 21, 935 B : Mèdes et Assyriens
Vénération superstitieuse du feu.
2) Chap. 21, 935 B : Grecs
Vénération pieuse de la Terre.
LEUKIOS
Philosophes
1) Chap. 6, 923 A : Cléanthe (SVF I, p. 112, fr. 500)
Il accuse Aristarque d’impiété parce qu’il met en cause le géocentrisme.
2) Chap. 16, 929 A : Parménide ( fr. B 14 D-K)
une lumière étrangère
3) Chap. 16, 929 A-B : Parménide (fr. B 15)
Toujours cherchant des yeux les rayons du Soleil
4) Chap. 16, 929 B : Anaxagore (fr. B 18)
le Soleil prête son éclat à la Lune
5) Chap. 16, 929 B-C : <Poseidonios> (densité de la Lune)
La densité de la Lune empêche le lumière du Soleil de la traverser, sinon ce serait la pleine lune tout le temps.
6) Chap. 16, 929 C : Démocrite (fr. A 89 a)
se tenant dans l’alignement de la source lumineuse elle recueille et reçoit le Soleil
7) Chap. 16, 929 C-D : Empédocle (fr. B 16)
… et elle en a coupé les rayons
Venant d’en haut sur la Terre, et a obscurci une partie de la Terre
Aussi grande que la largeur de la Lune à l’œil étincelant.
8) Chap. 16, 929 D : Poseidonios (épaisseur de la Lune)
La profondeur de la Lune fait d’elle un écran par rapport au Soleil.
9) Chap. 16, 929 E : Empédocle (lumière lunaire)
La lumière lunaire est due à la réflexion de la lumière solaire.
10) Chap. 16, 929 E : Empédocle (fr. B 43)
De même un rayon qui a frappé le large disque de la Lune
11) Chap. 17, 930 C : Platon (Timée 46b-c)
Phénomène de la réflexion multiple dans un miroir concave.
12) Chap. 19, 932 B : Anaxagore (fr. A 42)
La Lune a la taille du Péloponnèse.
13) Chap. 19, 932 B-C : Aristote (fr. 210 Rose)
Les éclipses de lune sont plus fréquentes que celles du Soleil, parce que celui-ci est éclipsé par l’interposition de la Lune, tandis que pour la Lune, c’est la Terre qui s’interpose, or celle-ci est bien plus grande.
14) Chap. 19, 932 C : Poseidonios (définition de l’éclipse de soleil)
L’éclipse de Soleil est l’événement suivant : une conjonction de l’ombre de la Lune avec les parties <de la Terre qu’elle plonge dans l’ombre>. Car il n’y a d’éclipse que pour ceux dont le rayon visuel est intercepté par l’ombre de la Lune qui occulte le Soleil.
15) Chap. 20, 933 D : <Stoïciens> (caractère stellaire de la Lune)
Présence dans la Lune d’un feu très faible.
Mathématiciens
1) Chap. 6, 922 F : Mathématiciens (taille de la Lune)
Ils calculent que la Terre est plus grande que la Lune, en mesurant le temps que celle-ci met pour traverser le cône d’ombre de la Terre pendant les éclipses de Lune.
2) Chap. 6, 923 A : Aristarque de Samos (double rotation de la Terre)
La Terre n’est pas immobile au centre du monde ; elle tourne sur son axe tout en décrivant un cercle oblique.
3) Chap. 19, 932 B : Aristarque (taille de la Lune)
Le rapport des diamètres respectifs de la Terre et de la Lune est inférieur au rapport de 60 à 19 (= 3, 15), mais supérieur au rapport de 108 à 43 (= 2, 51).
Poètes
1) Chap. 6, 923 B : Homère (Il. 10, 994)
La nuit est qualifiée de filante (thoos)
2) Chap. 6, 923 B-C : Eschyle (Prométhée enchaîné 351-352)
Se tient debout, colonne du ciel et de la Terre,
Supportant sur ses épaules un fardeau qui n’est pas facile à tenir dans les bras
3) Chap. 6, 923 C : Pindare (fr. 88 Bergk)
La Terre est entourée de colonnes à la base adamantine (adamantopediloi kiones).
4) Chap. 16, 929 A : Ion (fr. 57 Nauck2 et Snell )
La grappe de raisin noir n’est pas mûrie
5) Chap. 19, 931 E : Mimnerme
Il déplore la nuit provoquée par l’éclipse du Soleil.
6) Chap. 19, 931 E : Cydias
Il déplore la nuit entraînée par l’éclipse du Soleil.
7) Chap. 19, 931 E : Archiloque (fr. 74 Edmonds)
Il déplore la nuit entraînée par l’éclipse du Soleil.
8) Chap. 19, 931 E : Pindare ( Péan, 9, 2-3)
Il déplore que l’astre le plus brillant soit dérobé
9) Chap. 19, 931 E : Stésichore ? (fr. 73 Edmonds)
Il dit que lors d’une éclipse au milieu du jour la nuit tombe
10) Chap. 19, 931 E-F : Pindare (Péan, 9, 5)
Lors d’une éclipse le Soleil s’élance dans un sentier de ténèbres
11) Chap. 19, 931 F : Homère (Od. 20, 351-352)
Les visages des gens sont enveloppés de la nuit et des ténèbres
12) Chap. 19, 931 F : Homère (Od. 20, 356-357)
Le Soleil a disparu du Ciel
13) Chap. 19, 931 F : Homère (Od. 19, 307)
Quand finit un mois et que l’autre commence
Savoirs et croyances des peuples
1) Chap. 19, 932 A : Égyptiens (taille de la Lune)
La Lune fait le 72e de la Terre.
PHARNAKÈS
Philosophes
1) Chap. 6, 922 F : Académie
Manœuvre pivotante pratiquée par les membres de l’Académie contre leurs adversaires.
2) Chap. 6, 923 E : <Stoïciens>
Théorie aristotélicienne des lieux naturels adoptée par les Stoïciens et qui fait occuper à la Terre le milieu de l’univers.
THÉON
Philosophes
1) Chap. 24, 937 E : Platon (Timée, 40 b-c)
… afin de nous nourrir, en assurant strictement la garde et la mise en œuvre du jour et de la nuit
Mathématiciens
1) Chap. 24, 937 F :
Or de ces mouvements l’un reçoit des mathématiciens le nom de « révolution », l’autre celui de « spirale » et le troisième – je ne sais pourquoi – celui d’« anomalie »,
Poètes
1) Chap. 24, 937 F : <Eschyle> (# Les Suppliantes, 937)
D’hommes en train de tomber et de vies rejetées à coup de ruades
2) Chap. 24, 938 B : <Homère> (Iliade, 19, 340-356)
Athéna a instillé en Achille du nectar et de l’ambroisie, quand il refusait de se nourrir.
Historiographes
1) Chap. 24, 938 B-C : Phérécyde (fr. B 13a D.-K.)
Les dieux se nourrissent d’ambroisie.
2) Chap. 24, 938 C : Mégasthénès (fr. 34 Müller)
Des Indiens à la bouche rétrécie se nourrissent en respirant la fumée de racines qu’ils font brûler.
∙
5Il apparaît que des 7 interlocuteurs actifs du dialogue (sur les 9 personnages réunis, 2 demeurent muets) 5 procèdent à des citations : Sylla, un Carthaginois versé dans les mathématiques et rapporteur du mythe ; Lamprias, le Chéronéen narrateur du dialogue et défenseur en l’occurrence des positions de l’Académie ; Leukios, un Italien d’obédience pythagoricienne ; Pharnakès, un personnage fictif au nom à consonance perse et rattaché au stoïcisme ; et Théon, un grammairien d’origine égyptienne et passionné d’astronomie.
6Mis à part Pharnakès, qui ne se réfère qu’à la philosophie (stoïcisme et platonisme), tous les autres s’appuient chacun sur 4 catégories de références : poètes, savoirs ou croyances des peuples, philosophes et mathématiciens pour Sylla ; philosophes, poètes, mathématiciens et savoirs ou croyances des peuples pour Lamprias ; philosophes, mathématiciens, poètes et savoirs ou croyances des peuples pour Leukios ; philosophes, mathématiciens, poètes et historiographes pour Théon.
7Que dire d’un tel panachage ? Si la caractérisation des intervenants se manifeste parfois quelque peu à travers le choix des citations, c’est loin d’être toujours le cas. Ainsi, par exemple, la personnalité du lettré présentée par Théon transparaît-elle notamment dans son recours à des historiographes ; inversement, le goût de Sylla pour les mathématiques (cf. 944 A) n’est guère indiqué par les auteurs qu’il cite en dehors du mythe. En revanche, l’éclectisme semble constituer leur point commun. Ils partagent tous une même culture générale, la même paideia, dans laquelle ils puisent le plus largement possible afin de nourrir et de structurer leur réflexion. En particulier il est significatif que tous, excepté Pharnakès, renvoient à Homère. Il est également significatif qu’aucune citation ne soit superflue : aucune ne saurait s’enlever sans que le texte perde de sa substance. Cette consubstantialité atteint son point culminant avec le mythe, lequel n’est autre qu’une longue citation des propos prêtés à un étranger anonyme.
8En effet, il devient, là, vraiment difficile de dissocier corps du texte et citation : celle-ci se confond totalement avec celui-là, si bien même qu’on ne sait plus si les micro-citations contenues dans la macro-citation du mythe sont le fait de l’Étranger qui raconte son expérience ou de Sylla qui relate son récit. Le flou savamment entretenu par Plutarque, qui place tout le mythe conclusif de son dialogue dans la bouche d’un poète (945 D) barbare6 (942 D) périodeute (942 B), vise à homogénéiser un discours où se mêlent étroitement mythologie des Barbares, philosophie, mathématiques et poésie helléniques ainsi que la sagesse athénienne, afin d’offrir un concentré de tous les savoirs du monde. Et la perplexité disparaît quand on apprend que ce voyageur très savant tient ses connaissances en astronomie et sur les secrets de la nature d’un long séjour dans l’île de Cronos, de son initiation à tous les mystères (942 C), de la sagesse carthaginoise découverte dans des parchemins sacrés (942 C) et de la sagesse de l’antique Athènes (943 B). Il accumule en lui tous les savoirs, spécialement ceux qui font le plus autorité, car d’origine divine. Il en réalise la crase, pour reprendre l’image finale du mixage appliquée au mixte très fondu que constituent aussi bien l’âme que la Lune (945 D).
9Telle semblerait être, en définitive, la fonction des citations dans le dialogue. Leur rôle consiste à effectuer la somme des savoirs disponibles dans l’oikoumène en une synthèse harmonieuse et exhaustive.
Notes de bas de page
1 Pour des analyses semblables de l’usage des citations par Plutarque dans d’autres traités, cf. pour l’E de Delphes, Boulogne (2006), et pour le traité Comment lire les poètes, Brouillette-Giavatto (2010), en part. p. 1-25 : « Les dialogues platoniciens chez Plutarque. Une introduction : 1. La valeur philosophique des citations de Platon dans les Moralia. 2. Les citations de Platon dans les Moralia. Observations formelles et fonctionnelles ». Voir aussi Van der Stockt (1999).
2 Un nom de source souligné signifie qu’il s’agit d’une citation explicite et littérale.
3 Un nom de source placé entre crochets obliques et non souligné signifie qu’il s’agit d’une citation implicite et allusive.
4 Un nom de source placé entre crochets obliques et souligné signifie qu’il s’agit d’une citation implicite et littérale.
5 Un nom de source non souligné signifie qu’il s’agit d’une citation explicite et allusive.
6 La révélation du vrai se fait, comme souvent chez Platon, par le détour de l’étranger et du monde barbare, en d’autres termes par la médiation de l’altérité.
Auteur
HALMA-IPEL. 8164 (CNRS, Lille, 3)
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