Chapitre 3. Le déficit de réglementation juridique
p. 65-78
Texte intégral
1Ce chapitre est principalement axé sur les enjeux spécifiques à l’économie du médicament dans la mesure où ce domaine constitue une illustration emblématique des défaillances juridiques. Le régime actuel de la propriété intellectuelle à l’échelle internationale résulte directement de l’Accord sur les aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce (ADPIC) signé en 1994 dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Ce texte renforce l’obligation pour tout pays de respecter la propriété intellectuelle et a fait l’objet de clauses spécifiques pour les pays pauvres (1). Il s’inscrit dans une évolution des enjeux économiques et sociétaux pour les firmes pharmaceutiques des pays riches (2). Les entreprises pharmaceutiques font alors évoluer leur modèle économique vers des stratégies présentées comme plus responsables et plus adaptées aux enjeux de coopération pour la santé (3). Pourtant il convient de s’interroger sur les limites d’une telle évolution. D’une part, ce qui est qualifié de « nouveau modèle économique » est-il à la hauteur des problèmes d’accès aux médicaments (4) ? D’autre part, la marge de manœuvre dont disposent les pays émergents producteurs de médicaments demeure très étroite et sous haute surveillance des firmes pharmaceutiques et des États du Nord (5).
1. Le renforcement des droits de propriété intellectuelle dans l’économie du médicament
2Les ADPIC inscrivent dans les règles juridiques internationales le principe du renforcement de la propriété intellectuelle, en réponse principalement aux revendications des firmes pharmaceutiques des pays riches, qui stigmatisaient la concurrence en provenance des pays intermédiaires producteurs de copies et de médicaments génériques.1 Le droit de la propriété intellectuelle s’adosse en outre aux arguments théoriques formalisés par Kenneth Arrow (1962) et selon lesquels la connaissance ne peut être prise en charge de façon optimale par le marché. En effet si le coût initial et l’incertitude entourant la production d’une nouvelle connaissance sont élevés, sa reproduction est au contraire quasiment gratuite, favorisant des comportements de « passager clandestin » consistant pour une firme à ne pas s’engager la première dans les dépenses de recherche développement (RD). Le brevet permettrait alors d’inciter les firmes à investir dans la RD.
3Les pays intermédiaires et les pays pauvres, relayés par les organisations de solidarité internationale, ont émis des craintes importantes concernant les risques d’abus de position dominante conduisant à restreindre l’accès des pays pauvres aux médicaments. Ces craintes ne sont pas sans fondement dans la mesure où, comme le montre une revue de littérature d’Emmanuel Combe et Etienne Pfister (2004), l’effet incitatif des brevets sur la RD est très incertain tandis que les conséquences sur la hausse des prix sont variables selon les situations et les comportements des firmes. De surcroît, le principe même selon lequel ce qui est a priori bon pour les pays riches devrait l’être pour les pays pauvres est contestable. Benjamin Coriat et Fabienne Orsi (2003, p. 162) estimaient ainsi qu’« en construisant les nouveaux accords sur l’hypothèse implicite que ce qui a prévalu pour les pays les plus avancés, vaut aussi pour les pays les moins avancés, les promoteurs des ADPIC se sont dispensés de toute réflexion, non seulement sur les dimensions éthiques de la propriété intellectuelle, mais aussi sur les ressorts réels qui relient efficacité et équité, relation au fondement traditionnel de la réflexion sur le bien-être ». Les mobilisations à l’encontre des ADPIC ont alors contribué à assouplir, pour les nations pauvres touchées par de graves problèmes de santé publique, et sous certaines conditions, l’obligation de respecter le droit de propriété sur les brevets pharmaceutiques. Ainsi la conférence de l’OMC en 2001 aboutit à la Déclaration de Doha, suivie de la décision du 30 août 2003, et de l’allongement pour deux ans, en décembre 2007, du délai de ratification de l’amendement aux ADPIC au niveau des États membres. Ces différentes étapes instaurent les assouplissements suivants : d’une part, en cas d’urgence sanitaire il est possible de lancer une procédure d’octroi de licence obligatoire vis-à-vis du détenteur du brevet ; cette procédure permet d’utiliser légalement le médicament malgré l’existence du brevet. D’autre part, les « pays les moins avancés » et ceux qui font la démonstration de leur incapacité à produire les médicaments nécessaires peuvent recourir à des « importations parallèles » c’est-à-dire à l’importation de médicaments visés par la licence obligatoire.
4De telles flexibilités ne sont cependant applicables que dans un cadre fortement contraint et n’ont pas abouti à un effet « boule de neige » dans la demande de licences obligatoires.2 Plusieurs raisons expliquent ces difficultés d’application. D’abord les procédures permettant d’aboutir à une autorisation sont lourdes, réalisées molécule par molécule et pays par pays, rendant peu opérationnel le mécanisme pour des pays aux faibles moyens humains et organisationnels. Ensuite les « ADPIC+ », qui consistent à négocier de façon bilatérale des accords de libre-échange intégrant un volet de renforcement de la propriété intellectuelle, se sont développés sous l’impulsion des États-Unis et ont contribué à remettre en cause les flexibilités sur les ADPIC (encadré n° 12).
Encadré n° 12. Les ADPIC+
Les États-Unis ont notamment passé de tels accords avec le Chili (http://www.ustr.gov/trade-agreements/free-trade-agreements/chile-fta), le Maroc (http://www.ustr.gov/trade-agreements/free-trade-agreements/morocco-fta), l’Amérique centrale (http://www.ustr.gov/trade-agreements/free-trade-agreements/cafta-dr-dominican-republic-central-america-fta). Comme le soulignent Guennif et Chaisse (2007, p. 17), « une volonté s’affirme [à travers ces accords, n.d.r.] pour élargir l’étendue des brevets, de telle sorte que les nouvelles formes et nouvelles indications thérapeutiques puissent être brevetées. De même, œuvrant sur une disposition large de l’accord ADPIC qui prévoit simplement une protection des données cliniques contre “tout usage commercial déloyal” […], les accords de libre-échange commandent une protection de ces données pour 5, voire 10 ans. Cette protection retardera d’autant le moment où les fabricants de médicaments génériques pourront utiliser ces données, fournies par les entreprises multinationales du Nord lors de la première demande d’autorisation de mise sur le marché, pour soumettre leur propre dossier de commercialisation d’une copie. Enfin, les dispositions gouvernant l’utilisation des licences obligatoires et importations parallèles s’avèrent beaucoup plus restrictives que celles contenues dans l’accord ADPIC ».
2. L’évolution des enjeux économiques et sociétaux pour les firmes pharmaceutiques du Nord
5Le renforcement légal des droits de propriété intellectuelle et les débats qui s’ensuivent coïncident historiquement avec une évolution de l’environnement de l’industrie pharmaceutique tant sur le plan sociétal qu’économique. D’un point de vue sociétal, les résistances aux ADPIC évoquées supra montrent, comme le soulignent Maurice Cassier et Marilena Correa (2010, p. 125), que « la nouvelle phase de globalisation des brevets de médicaments […] s’accompagne de remises en cause des fondements même du brevet dans le champ spécifique de la santé, au nom de l’intérêt public et de la protection des patients et des populations ». Or cette remise en cause stigmatise également l’industrie pharmaceutique dans les cas où celle-ci cherche à maintenir son monopole en recourant aux instruments juridiques.3 Les entreprises occidentales du médicament doivent alors composer avec des pressions extérieures les enjoignant d’accorder une place plus importante à l’impact sociétal de leur activité.
6D’un point de vue économique, l’évolution des enjeux est tout aussi importante : elle tient à la remise en cause du modèle traditionnel de RD qui n’est pas sans conséquences sur les stratégies que l’industrie pharmaceutique a commencé à mettre en œuvre dans les pays en développement. Le point de départ de cette remise en cause est la baisse de productivité de la RD dans ce secteur. Malgré un marché mondial du médicament en forte croissance, grâce à l’augmentation et au vieillissement de la population, y compris dans les pays en développement, l’industrie pharmaceutique risque de ne pas pouvoir répondre à ces nouveaux besoins faute d’un ratio [nouveaux médicaments/dépenses de RD] suffisamment élevé. Ainsi selon une étude datant de 2007 (Price Waterhouse Coopers, 2007, p. 6), « l’industrie dépense actuellement [en 2006 n.d.r.] deux fois plus en recherche développement qu’elle ne le faisait il y a dix ans, et malgré cela ne produit que 2/5e des médicaments nouveaux qu’elle produisait alors ».4
7Cette baisse de productivité est en réalité intimement liée à l’essoufflement du modèle des « blockbusters ». Ce modèle consistait à privilégier un nombre limité de médicaments à forte demande (traitant des maladies courantes dans les zones à demande solvable : diabète, hypertension, cholestérol…) soutenus par des dépenses de marketing très importantes. Cette stratégie a conduit les plus grands groupes pharmaceutiques mondiaux à consacrer entre 20 et 40 % de leur chiffre d’affaires aux budgets de marketing, contre 8 à 20 % pour les dépenses de RD.5 Ces chiffres sont très significatifs de ce modèle de RD tiré par la promotion de produits.
8Le modèle « blockbuster » est ainsi remis en cause par les firmes pharmaceutiques pour plusieurs raisons liées entre elles : en premier lieu, dans les pays riches, la marge d’augmentation des prix se réduit face à la pression des autorités pour diminuer les dépenses d’assurance-maladie ; ensuite les pratiques de cadeaux aux praticiens de la santé, très répandues dans la politique commerciale des firmes pharmaceutiques pour accroître les chances de placer les produits, sont de plus en plus réglementées voire interdites ; enfin les autorisations de mise sur le marché sont soumises à des normes de sécurité et de qualité plus exigeantes.
9Les laboratoires ont commencé à adapter leur organisation dans le champ de la RD afin d’améliorer l’efficacité dans la sélection des molécules les moins performantes. Il s’agit de pouvoir éliminer à n’importe quel stade de la recherche des molécules peu efficaces, en s’appuyant sur une coopération entre les disciplines de la santé (épidémiologie, études cliniques, psychologie, anthropologie, etc.) plutôt que les démarches qui jusqu’alors privilégiaient une analyse par étapes trop cloisonnées.
10Parallèlement à ces facteurs réglementaires et économiques, plusieurs travaux soulignent le changement de profil épidémiologique à l’échelle mondiale et la place qu’y jouent les pays en développement. Dès les travaux de l’équipe de Christopher Murray et Alan Lopez (Murray, Lopez, 1996), il a été projeté que les maladies non contagieuses (cancer, maladies cardiovasculaires, dépressions etc.) augmenteraient à un rythme élevé, occasionnant un nombre croissant de décès (de 28 millions en 1990 à plus de 49 millions en 2020). L’étude de Price Waterhouse Coopers (2007, p. 18), destinée aux entreprises pharmaceutiques, estime alors que, la demande pour les maladies chroniques se renforçant à mesure que le revenu moyen des pays s’élève, les firmes pharmaceutiques ont intérêt à proposer des produits adaptés aux profils culturels et socioéconomiques des pays en développement (rôle important des femmes dans l’éducation des enfants et le suivi des traitements, réticences dans la prise de médicaments pour les populations rurales, etc.). Si de nouveaux marchés sont promis aux industries pharmaceutiques, ces dernières ne peuvent pas les aborder de façon indifférenciée et le processus de RD s’en trouve complexifié.
3. Les stratégies à double facette des firmes pharmaceutiques du Nord
11L’évolution des enjeux économiques et sociétaux que nous avons abordés plus haut conduit les firmes à faire évoluer leurs stratégies à des rythmes et selon des schémas divers. Malgré cette diversité, on peut mettre en relief quelques tendances relativement communes aux entreprises occidentales. Ces différents axes d’évolution stratégique présentent la caractéristique de combiner des réponses strictement économiques et des adaptations aux pressions sociétales.
12Sur le plan économique, dans un contexte où la RD ne fournit pas les résultats escomptés, la stratégie la plus « naturelle » a consisté dans un premier temps à développer une politique de fusions-acquisitions (Philippe Abecassis, Nathalie Coutinet, 2008). En effet les firmes peuvent alors profiter des brevets en possession des firmes avec lesquelles elles fusionnent. Les principales firmes actuelles sont toutes le résultat des rapprochements opérés depuis le milieu des années 1990 (tableau n° 2)
Tableau n° 2. Quelques fusions-acquisitions dans l’industrie pharmaceutique depuis 1995.
Année | Entreprise 1 | Entreprise 2 |
1995 | Glaxo | Burroughs Wellcome |
1998 | Sanofi SI | Synthelabo |
2000 | Pfizer | Warner Lambert |
2000 | Glaxo Wellcome PLC | SmithKline Beecham |
2002 | Pharmacia (US) | Pfizer |
2004 | Aventis | Sanofi Synthelabo |
2005 | Novartis | Chiron |
2006 | Bayer | Schering |
2007 | Novartis | Alcon |
2008 | Novartis | Speedel |
2008 | Sanofi Pasteur | Acambis |
2009 | Wyeth | Pfizer |
2009 | Sanofi Aventis | Kendrick |
13Les grandes entreprises pharmaceutiques (notamment Glaxo, Sanofi, Pfizer, Aventis, Novartis) sont ainsi impliquées dans la majorité des fusions qui sont souvent des acquisitions de plus petits groupes. Chaque firme accumule ainsi les opérations de fusion-acquisition comme le montre le tableau n° 2 : depuis 1995, Sanofi est concernée par quatre opérations successives, Pfizer et Novartis réalisent trois fusions, Glaxo et Aventis en effectuent deux. Dès lors cette stratégie présente des limites tenant à la fois à son caractère ad hoc (elle ne règle pas le problème de fond relatif à la baisse de productivité de la RD) et au nombre décroissant des firmes pouvant, à terme, intéresser les groupes pharmaceutiques. Sur le plan de la santé publique et de l’accès aux médicaments, une telle tendance renforce également les déséquilibres de pouvoirs entre les fournisseurs de médicaments et les populations en manque de traitements.
14Une autre stratégie consiste à modifier structurellement le modèle de RD (Weinmann, 2008). En particulier, les firmes sont invitées à mettre en œuvre plusieurs actions : réduire les coûts de RD en faisant des ponts entre les disciplines de la santé pour détecter les traitements les plus efficaces ; mieux équilibrer l’effort financier entre les différents traitements en cours d’étude (rupture avec le modèle des « blockbusters ») ; augmenter les coopérations avec les autres acteurs de la santé : gouvernements, professions de santé etc.
15Ces différents éléments de stratégie, qui semblent recueillir l’assentiment d’un certain nombre de responsables de l’industrie pharmaceutique (parce qu’ils admettent la fin du modèle précédent), trouvent un écho particulier face aux problèmes d’accès rencontrés dans les pays à revenu faible et intermédiaire. En effet ils semblent se traduire de façon concrète par des initiatives concernant directement ces pays. Une première forme d’initiative relève de la création de centres de recherche dans des pays émergents, la Chine en tête, par certaines firmes du Nord (Roche, Wyeth, Novartis, Eli Lilly, GlaxoSmithKline). Le montant des investissements demeure, certes, très faible par rapport à l’ensemble des dépenses de RD dans les pays occidentaux ; il se limite le plus souvent à une stratégie de délocalisation pour diminution des coûts de production, mettant à mal l’image responsable que les firmes cherchent désormais à promouvoir. Une seconde forme d’initiative a trait à l’apparition de partenariats entre entreprises pharmaceutiques occidentales, acteurs de la santé des pays émergents ou pauvres et acteurs internationaux (organisations non gouvernementales de solidarité internationale, organisations internationales), de façon très timide vers la fin des années 1990, puis plus structurée (voir infra chapitre 5).
16Ainsi ces deux types d’initiatives combinent de façon ambiguë des enjeux strictement économiques (assurer le développement des laboratoires, le plus souvent en réduisant les coûts par la délocalisation ou la rationalisation économique) et des enjeux sociétaux (répondre aux mobilisations pour l’accès des pays pauvres aux médicaments en entrant dans une logique affichée comme étant plus coopérative). Au-delà de leur dimension instrumentale et des logiques de marketing qui leur sont liées (les firmes pharmaceutiques les adoptent dans le but de renouveler leur modèle économique), ces « nouvelles » stratégies sont souvent présentées comme étant en phase avec certains besoins des pays pauvres et émergents : maladies à forte croissance compte tenu de l’augmentation des flux de personnes ; développement d’actions multipartenariales et horizontales ; décloisonnement des disciplines de la santé que certains experts et certaines institutions internationales appellent de leurs vœux.
17Le lancement de nouveaux traitements contre les maladies tropicales fournit une bonne illustration des stratégies à double facette adoptées par les grandes entreprises pharmaceutiques du Nord. À titre d’exemple, Sanofi Aventis a fait de la lutte contre la dengue à la fois un enjeu économique stratégique et un objet de promotion de l’image de la firme en tant qu’acteur de la lutte contre la deuxième maladie tropicale après le paludisme (encadré n° 13).
Encadré n° 13. Le lancement du vaccin contre la dengue par Sanofi Aventis : entre enjeu économique stratégique et promotion de l’image de l’entreprise
[…] La filiale vaccin de Sanofi Aventis, a lancé […] la production du premier vaccin mondial contre la dengue, qui devrait être commercialisé à partir de fin 2015 à travers le monde. « Nous serons alors prêts à fournir 100 millions de doses par an », déclare Guillaume Leroy, qui dirige le projet présenté comme économiquement « stratégique » par la direction du groupe, le marché potentiel étant estimé à un milliard de dollars. Selon l’Organisation mondial de la santé (OMS), cette affection, dite aussi grippe tropicale, touche 100 millions de personnes supplémentaires chaque année dans une centaine de pays, essentiellement en Asie et en Amérique latine. On recense également 500 000 cas par an de dengue hémorragique, forme la plus grave la maladie. […] Pour être le premier à lancer ce vaccin sur le marché, Sanofi Pasteur, qui travaille sur le projet depuis 20 ans, n’a pas hésité à forcer la marche habituelle des choses. L’entreprise s’est lancée dans la production avant d’avoir obtenu les autorisations de mise sur le marché qui suivent les tests cliniques. Quelque 45 000 personnes, en Asie et en Amérique latine, participent actuellement à ces essais dont les résultats ne seront connus que fin 2013 et fin 2014.
Sanofi Pasteur a accéléré la dernière étape afin d’avancer de deux ou trois ans la mise du vaccin sur le marché. « Le temps de production est assez long, il faut deux ans pour produire ce vaccin », souligne Antoine Quin, directeur du site de vaccins de Neuville-sur-Saône. « On a décidé, dès 2009, de gagner du temps pour le mettre le plus vite possible sur le marché. » Sanofi a investi 300 millions d’euros dans quatre nouveaux bâtiments construits à Neuville-sur-Saône pour tenir la cadence. La production sur ce site de pointe placé en atmosphère stérile est automatisée à l’extrême.
[…] Le site de Neuville-sur-Saône vient de faire l’objet d’une reconversion industrielle, passant d’une activité de chimie jugée insuffisamment rentable à la production de vaccins. Sur 725 salariés travaillant sur le site avant la reconversion, 180 ont été conservés et formés à cette nouvelle activité. Les autres ont été reclassés dans les différentes activités du groupe ou envoyés en pré-retraite.
Source : Catherine Lagrande, Challenges, 12/7/2013
http://tempsreel.nouvelobs.com/economie/20130712.REU8224/sanofi-lance-la-production-du-premier-vaccin-contre-la-dengue.html (consulté le 17/7/13)
18La stratégie de Sanofi Aventis présente ainsi toutes les caractéristiques d’une course économique visant à obtenir une position de leader sur un marché à très forte demande, dans un contexte de transmission rapide de la maladie. L’entreprise communique au passage sur les dangers d’une diffusion mondiale au regard des flux accrus de personnes. La lutte contre la dengue est implicitement considérée comme un BPM selon des considérations sécuritaires. L’argument principalement mis en avant est celui de l’urgence sanitaire. Or plusieurs aspects de santé publique sont ici singulièrement négligés ou passés sous silence. D’une part, compte tenu des montants financiers investis, comment rentabiliser le traitement tout en assurant un accès aux patients pauvres, ceux-là même qui sont les plus touchés par cette maladie ? D’autre part, la course à la mise sur le marché présente-t-elle toutes les garanties de sécurité sanitaire du traitement ? Autant de questions qui montrent la distance abyssale restant à parcourir entre la stratégie économique d’une firme et les objectifs de santé publique et de réduction des inégalités de santé.
4. Une réponse aux enjeux de l’accès aux médicaments ?
19Deux besoins majeurs ont été évoqués précédemment au regard de la situation sanitaire des pays pauvres : d’une part, la nécessité d’approches plus horizontales et partenariales ; d’autre part, le décloisonnement des disciplines de la santé. Les nouvelles stratégies des firmes, à défaut de sortir radicalement du modèle de course aux marchés émergents et à la protection des brevets, sont-elles à la hauteur de ces enjeux ?
20Le premier enjeu (le développement d’approches horizontales) fait référence aux potentialités offertes par les démarches multi-acteurs dans les programmes de santé. La montée en puissance des ONG depuis les années 1980, mais également l’appui de plusieurs acteurs publics internationaux (Banque Mondiale, OMS…) et nationaux (les collectivités territoriales du Nord et du Sud, appelées à compléter le rôle de l’État dans leur territoire) ont contribué à ce mouvement. Dans ce contexte, les stratégies de déplacement de la RD vers les pays émergents, en particulier l’Asie, participent aussi au développement de démarches horizontales… et à ses limites. Ainsi l’industrie pharmaceutique, en éparpillant ses ressources en RD, cherche à se rapprocher des marchés porteurs et des zones à coût moindre, mais perd également en capacité de contrôle direct de la chaîne d’approvisionnement. Il peut être intéressant dans ce cadre de tisser des relations avec les acteurs locaux ayant « pignon sur rue » (autorités sanitaires, ONG officiellement accréditées…) pour s’assurer des relais locaux d’information et de négociations. Finalement, on peut estimer que le déplacement géographique des efforts des industries pharmaceutiques (en termes économiques, la délocalisation) participe au développement d’approches horizontales mais rend également nécessaire un contrôle de ce dernier (en particulier sur la question de la qualité des médicaments).
21Plus fondamentalement, la question centrale posée par le développement d’approches horizontales a trait à la responsabilisation des entreprises du médicament. Peut-on considérer que l’intégration de l’impact sociétal dans l’activité et la stratégie des entreprises pharmaceutiques constitue un levier potentiel d’accès aux médicaments pour les populations pauvres ? De sérieux doutes demeurent à cet égard. L’intégration d’objectifs extra-économiques pour ne pas dire sociétaux engendre des incertitudes sur les résultats de cette stratégie et occasionne des coûts. Dans le secteur du médicament, certaines entreprises affirmaient dès la fin des années 2000 que le modèle traditionnel des blockbusters (cf. supra section 2) était dépassé. Ainsi le président de Sanofi Aventis annonçait le 12 décembre 2007 : « Le modèle Pfizer [qu’a suivi] toute l’industrie pharmaceutique est mort depuis deux ans » (cité dans Le Monde du 3 janvier 2008). Pourtant la même entreprise, tout en étant impliquée dans des partenariats multi-partites de diffusion des médicaments génériques pour les pays pauvres (cf. infra l’expérience ASAQ étudiée dans le chapitre 5), poursuit des pratiques de lutte contre l’extension de certains médicaments génériques en concurrence directe avec ses produits phares (cf. infra encadré n° 14). D’autres firmes continuent de défendre avec acharnement le modèle des brevets sans exceptions. Ainsi l’Inde, grand producteur de génériques, fait régulièrement l’objet de recours juridiques de la part des grands groupes pharmaceutiques (Bayer, Novartis), qui s’estiment lésés par la mise sur le marché de médicaments génériques essentiels pour l’accès des patients aux traitements.
Encadré n° 14. Sanofi condamné pour dénigrement d’un médicament générique concurrent
L’Autorité de la concurrence a jugé, mardi, que le géant pharmaceutique avait tenté d’empêcher médecins et pharmaciens de prescrire et vendre les génériques de son médicament star, Plavix.
La condamnation de Sanofi vise son médicament phare : Plavix. Cet « antiagrégant plaquettaire » empêche la formation de caillots dans les artères grâce à son principe actif, le clopidogrel. Prescrit aux patients qui risquent ou ont été victimes d’une crise cardiaque, un accident vasculaire cérébral ou un infarctus du myocarde, il est le deuxième médicament le plus vendu au monde en 2011. « Plus de 92 millions de patients dans 115 pays » et un million en France en ont bénéficié, note l’Autorité de la Concurrence. Le Plavix a rapporté 540 millions d’euros de chiffre d’affaires à Sanofi-Aventis rien qu’en France en 2009, selon la Sécurité sociale dans son rapport de septembre 2011. Pourquoi l’Autorité de la concurrence s’attaque-t-elle à ce médicament ? Un retour en arrière s’impose. En 2010, les génériqueurs contournent l’exclusivité de Sanofi-Aventis sur le principe actif du Plavix. En quelques années, la plupart des génériques obtiennent une autorisation de mise sur le marché pour du clopidogrel. Ils utilisent une molécule proche mais équivalente. Et se distinguent surtout par leur prix : une vingtaine d’euros, contre jusqu’à 37,11 euros la boîte de Plavix. Sanofi-Aventis riposte en sortant son « autogénérique », Clopidogrel Winthrop. Mais le labo met en place d’autres stratégies pour éviter de perdre des parts de marché. Dans cette bataille, les principaux soldats sont les visiteurs et les délégués médicaux. Des documents destinés à leur formation préconisent notamment de suggérer aux médecins « de rajouter sur l’ordonnance la mention “non substituable” ou “NS” à la suite de Plavix », pour empêcher les pharmaciens de vendre le générique. Un conseil qui fait mouche.
L’assurance-maladie note, dans un rapport publié en 2012, que « sur 12 000 ordonnances délivrées sur la quasi-totalité du territoire, le taux de mention non substituable s’élève à 4,2 % seulement sur les ordonnances analysées » mais à « 12,6 % pour le clopidogrel ».
Des médecins et pharmaciens assurent aussi que les visiteurs médicaux de Sanofi-Aventis tenaient « des propos dénigrants au sujet des génériques concurrents », à la suite desquels « des pharmaciens auraient refusé de s¹approvisionner en clopidogrel » générique. L’un des visiteurs aurait « indiqué que les autres génériques utilisaient un [principe actif] différent et que [les pharmaciens] engageaient leur “responsabilité en cas de problème, ce qui n¹est pas le cas avec l’autogénérique” ». Mais ce que les groupes pharmaceutiques évitent de crier sur tous les toits, c’est que le clopidogrel peut souvent être remplacé par de l’aspirine, qui est elle aussi un antiagrégant plaquettaire. Elle est recommandée « à faible dose » en prévention de certaines maladies, soit seule, soit en complément du clopidogrel. « Mais son efficacité est moins bien documentée » que ce dernier, explique l’assurance-maladie. Elle exige en 2012 de développer son usage, afin que « 85 % des patients traités par antiagrégants plaquettaires le soient par aspirine ». Et pour cause, le gain financier est énorme : « En 2012, le coût mensuel d¹un traitement par aspirine est en moyenne moins de 3 euros versus plus de 26 euros sous clopidogrel générique. »
Pourtant, d’après l’assurance-maladie, « la France est l’un des pays européens où l’on utilise le moins d’antiagrégants plaquettaires par habitant et où l’on consomme le plus de clopidogrel ». Et « 65 % des dépenses liées à la prescription d¹un médicament [de la classe des antiagrégants plaquettaires] sont générées par les 25 % de patients qui ne sont pas traités par aspirine », détaille un autre document de l’assurance-maladie.
Les génériques peinent à s’imposer. Plavix est un cas d’école. C’était en 2008 le médicament le plus coûteux pour la Sécurité sociale, avec plus de 450 millions d’euros de remboursements. Avec l’arrivée des versions génériques, le gouvernement prévoyait 200 millions d’euros d’économies. D’autant que pour pousser les pharmaciens à substituer le générique et coûter moins cher à l’assurance-maladie, le Code de la Sécurité sociale (article L.138-9) autorise les fabricants à accorder aux pharmaciens une remise pouvant atteindre 17 %, contre 2,5 % pour le médicament original. L’économie n’était finalement que de 163 millions d’euros en 2010. La faute au taux de pénétration des génériques de Plavix, « inférieur de 10 points à l’objectif », note un rapport de la Sécurité sociale. Des ventes faibles, qui s¹expliqueraient donc en partie par ces stratégies « anticoncurrentielles ».
Source : Nora Bouazzouni, E-Med, www.essentialdrugs.org/emed/ (consulté le 14 mai 2013)
22Le second enjeu majeur est celui du nécessaire décloisonnement des disciplines de la santé pour appréhender efficacement les problèmes des pays pauvres. En suivant le cadre général proposé par Amartya Sen sur la multidimensionnalité de la pauvreté et de ses déterminants,6 on peut considérer que les programmes de santé ont pâti d’une approche insuffisamment transversale de la santé, privilégiant plutôt, à l’instar de l’OMS dans les années 1950 à 1970, une approche verticale, maladie par maladie et traitement par traitement. Or les causes des maladies sont dans une large mesure complémentaires. En prenant l’exemple du VIH, Stillwaggon (2006) souligne à juste titre que l’infection est influencée, comme de nombreuses autres maladies infectieuses, par les conditions de vie, l’environnement, l’accès aux services de santé adéquats, etc. Privilégier une approche essentiellement centrée sur la gestion verticale des risques (déclinaison des conceptions sécuritaires de la santé, cf. chapitre 2, section 2.1.1) revient ainsi à négliger les facteurs environnementaux et ceux touchant à la situation de pauvreté des populations confrontées à l’épidémie. Reconnaître le rôle central de l’environnement et de la pauvreté des conditions de vie devrait conduire à privilégier des approches plus transversales de l’aide à la santé. On peut supposer que les partenariats, ouvrant la voie à des échanges réguliers entre plusieurs acteurs, participent au mouvement de décloisonnement et pourraient être en même temps une réponse possible aux problèmes d’efficacité des recherches qui minent la productivité des entreprises pharmaceutiques. Le chapitre 5 reviendra sur cette question.
5. L’étroite marge de manœuvre des pays émergents
23On peut légitimement s’interroger sur la façon dont les pays émergents peuvent appréhender le nouveau cadre réglementaire instauré par les ADPIC. En effet les économies à forte croissance et à revenu intermédiaire constituent un acteur important de la fabrication de médicaments potentiellement accessibles pour les pays pauvres. Leur capacité à produire de tels traitements se trouvait au centre du débat antérieur à l’ADPIC, dans la mesure où les firmes occidentales leurs reprochaient le caractère déloyal voire frauduleux de leur activité, tandis que les pays pauvres souhaitaient bénéficier des traitements à bas prix qu’elles offraient.
24Plusieurs études (notamment celles de Maurice Cassier et Marilena Correa, 2010, Samira Guennif et Julien Chaisse, 2007, Benjamin Coriat et Fabienne Orsi, 2003) montrent que certains pays émergents, en particulier le Brésil et l’Inde, ont conduit des politiques ambitieuses d’accès aux médicaments grâce à une utilisation habile des ADPIC et de leurs assouplissements. Ces politiques ne sont certes pas exemptes de difficultés et ont été à l’origine d’épreuves de force avec l’industrie pharmaceutique, mais témoignent de la possibilité de concilier une logique volontariste de santé publique et l’adaptation des législations internationales. Benjamin Cassier et Marilena Correa (2010, p. 126) considèrent que les stratégies du Brésil et de l’Inde (relayées par les activistes défenseurs des droits humains) ont contribué à fabriquer le droit des brevets et à organiser l’économie du médicament. En particulier, tandis que les ADPIC s’entendaient initialement comme un renforcement des brevets, les mobilisations ont réintroduit une place pour les copies et la limitation des monopoles. Ces analyses rejoignent la conclusion de Clothilde Jourdain-Fortier (2006, p. 620) qui considère que la santé et le commerce international ne se trouvent pas systématiquement en opposition, en particulier lorsque les règles du droit du commerce évoluent pour faciliter l’accès des populations aux produits de santé. Pour l’auteur, en cas d’opposition d’intérêts entre acteurs, le droit du commerce international montre dans certains cas sa capacité à faire primer les intérêts non marchands (y compris la santé) face aux intérêts marchands.
25Cependant deux éléments conduisent à tempérer fortement l’optimisme des travaux qui considèrent les pays émergents comme des leviers de l’accès aux médicaments essentiels face à la guerre des brevets. En premier lieu, l’Inde, considérée comme une réussite en termes de promotion d’une industrie locale du médicament à bas prix, demeure une exception. En effet comme le montre Samira Guennif (2012), l’Inde a établi un système de brevet plus contraignant (en phase avec les exigences des ADPIC) après avoir assuré le développement de son industrie pharmaceutique et en appliquant les principes du protectionnisme éducateur de Friedrich List. À l’inverse, le Brésil et la Thaïlande demeurent en retrait de la production de médicaments à bas prix car ils n’ont pas pu construire une industrie pharmaceutique performante. Les succès du Brésil concernant la lutte contre le VIH sont donc principalement dus à la menace que ce pays brandit de recourir aux génériques indiens plutôt qu’à sa capacité à produire localement. Au total le modèle global de gestion de brevets ne garantit nullement un accès facilité des pays pauvres aux médicaments essentiels car ces derniers ne disposent ni de la force productive de l’Inde, ni du pouvoir de négociation du Brésil (en tant que demandeur), ni de la capacité à résister aux pressions internationales de la Thaïlande.
26En second lieu, les États des pays riches ont développé une stratégie de riposte face aux assouplissements des ADPIC, derrière des discours faisant la promotion d’un accès facilité des pays pauvres aux médicaments. Le cœur de cette stratégie est généralement désigné sous l’expression « ADPIC+ ». Les « ADPIC+ » recouvrent des dispositions qui vont au-delà des ADPIC en conférant des garanties et des avantages supplémentaires aux détenteurs de brevets. Ils prennent ainsi le contrepied des assouplissements aux ADPIC, ces derniers visant au contraire une réponse adaptée aux besoins des pays pauvres. L’exemple de l’Union Européenne est édifiant. Depuis le milieu des années 2000, plusieurs cargaisons de médicaments génériques, provenant notamment de l’Inde et du Brésil et transitant par les ports européens, ont été saisies pour violation de la propriété intellectuelle sur le territoire européen alors que les médicaments concernés ne transgressaient aucune règle de propriété intellectuelle dans leur pays d’origine et de destination. La lutte contre la contrefaçon a été brandie pour justifier le blocage de médicaments n’étant en réalité nullement destinés au marché européen. Ces saisies s’appuient sur le règlement européen CE n° 1383/2003 visant à lutter contre la contrefaçon mais ne prenant pas en compte des marchandises parfaitement légales dans d’autres pays. Le règlement a été ainsi détourné de sa finalité. En juin 2013, ce texte a été abrogé et remplacé par le règlement CE n° 608/2013 qui continue à autoriser les saisies de marchandises sur la base d’un soupçon de violation de propriété intellectuelle, sans considérer la situation spécifique des marchandises non destinées au marché européen. Pourtant en décembre 2011, la Cour de Justice des Communautés Européennes avait clairement indiqué que toute marchandise en provenance d’un pays extérieur à l’Union européenne et violant un droit de marque ou d’auteur protégé dans l’Union Européenne ne pouvait être considérée comme contrefaçon par le seul fait de transiter par le territoire européen.7
27Finalement, il existe de sérieuses réserves à l’idée que les rapports de force se seraient équilibrés par le poids croissant des pays émergents producteurs de médicaments génériques. Ces réserves tiennent à deux éléments. D’une part, les pays émergents cherchant à mettre en œuvre les assouplissements aux ADPIC se heurtent à de fortes tensions avec les pays hôtes des firmes pharmaceutiques du Nord et ne peuvent éluder la question du coût politique de leurs initiatives en la matière. D’autre part, les stratégies des pays riches demeurent singulièrement axées sur la défense des intérêts nationaux stratégiques. Sur ces deux plans, la gouvernance mondiale des brevets n’a nullement équilibré les rapports de force.
Conclusion
28Force est de constater l’insuffisance structurelle des dispositifs réglementaires qui devaient conduire les acteurs dominants de la santé à fournir à moindre coût, dans une perspective de solidarité intra-générationnelle, des services et des ressources de santé aux pays pauvres. Dans un contexte où les brevets ne sont plus présentés comme l’alpha et l’omega de la recherche pharmaceutique, trois tendances se dégagent alors : i) les incitations sans remise en cause des deux socles de l’économie du médicament, à savoir la concurrence et les brevets ; ii) les partenariats multi-acteurs, reposant sur l’idée que les coopérations entre acteurs marchands et non marchands seraient possibles et souhaitables ; iii) la mise « hors marché » des médicaments sur la base d’une initiative internationale de prise en charge par des fonds collectifs. Face aux limites criantes de la première modalité et aux résistances des industriels face à la troisième tendance, la deuxième approche se développe depuis les années 2000 et est souvent présentée par les acteurs transnationaux comme une voie prometteuse. Une étude plus approfondie de ces dispositifs dits coopératifs demeure cependant nécessaire (elle sera conduite dans le chapitre 5). En effet, tandis que la coopération entre acteurs marchands et non marchands pour la santé est devenue le leitmotiv des organisations internationales, porté par l’injonction aux partenariats et à la participation des bénéficiaires de l’aide (cf. supra chapitre 2, section 1.2), cette norme internationale occulte presque totalement la réalité des rapports de force qui devrait pourtant être examinée préalablement à tout partenariat. Ainsi la coopération sans rétablissement des équilibres entre bailleurs de fonds et entreprises pharmaceutiques transnationales, d’un côté, et bénéficiaires de l’aide, d’un autre côté, demeure un vain mot.
Notes de bas de page
1 Un moratoire a cependant été accordé aux « pays les moins avancés » pour une période de 20 ans et aux pays en développement et en transition pour une durée de 10 ans, à compter du 1er janvier 1996. En 2013, les « pays les moins avancés » ont demandé une extension du moratoire sans limitation de durée, tant qu’ils ne sortiraient pas de la catégorie des pays pauvres. Ils ont obtenu une extension du moratoire de 8 ans.
2 La première licence obligatoire dans ce cadre a été accordée au Canada en vue de la fabrication d’un médicament antirétroviral pour son exportation au Rwanda, qui avait déposé une demande en ce sens en juillet 2007. Plusieurs pays ont ensuite procédé à des demandes de licence obligatoire mais leur nombre demeure limité.
3 Le « procès de Pretoria », bien qu’il soit le plus souvent cité, ne constitue que l’une des batailles juridiques autour des brevets. En effet, les 39 compagnies pharmaceutiques qui avaient porté en justice le gouvernement sud-africain, en réaction à la décision que celui-ci avait prise de passer outre les ADPIC afin d’assurer un accès aux traitements antisida, ont finalement retiré leur plainte en avril 2001 face à la mobilisation internationale sans précédent sur ce sujet.
4 Ces chiffres concernent uniquement les sociétés du groupement américain « Pharmaceutical Research and Manufacturers of America », soit un ensemble de sociétés ayant dépensé en 2006 environ 43 milliards d’USD, alors que les sociétés n’appartenant pas à ce groupement en ont dépensé 12,2 milliards. Les données sont donc partielles mais relativement significatives des tendances observables dans les grands groupes pharmaceutiques mondiaux.
5 Source des données : Nelly Weinmann (2005), p. 27.
6 Le paradoxe suivant est mis en évidence par Amartya Sen (1993). L’espérance de vie des Afro-américains est inférieure à celle de certains peuples les plus pauvres au monde en termes monétaires (Chine, Indiens du Kerala). Sen explique que ce contraste est dû au contexte social différent (discrimination des Afro-américains), à des différences de couverture médicale, de soins de santé publique offerts à ces populations, de niveau d’enseignement secondaire atteint, d’environnement violent, etc. La pauvreté est donc multidimensionnelle et non pas seulement monétaire.
7 Voir http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:62009CJ0446:FR:HTML (consulté le 5 août 2013).
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