Introduction
p. 63-64
Texte intégral
1Dans leur ouvrage de référence sur les biens publics mondiaux, Inge Kaul, Isabelle Grunberg et Marc Stern (2002) pointaient trois déficits empêchant, selon eux, l’atteinte des objectifs relatifs à ces biens : i) un déficit de juridiction, portant sur le décalage entre les frontières des biens publics mondiaux et les frontières d’élaboration des politiques, ces dernières étant bien plus étroites lorsqu’elles s’arrêtent aux États Nations ; cet aspect concerne en particulier la question des droits de propriété intellectuelle appliquée aux médicaments ; ii) un déficit de participation tenant à l’absence d’instances réellement représentatives des bénéficiaires finaux du bien public ; iii) un déficit d’incitations ayant trait à l’insuffisance des mécanismes incitant les acteurs à rendre effectives les intentions annoncées.
2Dans le prolongement de l’analyse de ces auteurs, nous considérons que la notion de santé comme BPM, malgré son caractère en apparence consensuel, demeure largement déconnectée des enjeux de l’accès à la santé dans les pays pauvres, que ce soit à une échelle transnationale ou à un échelon local. Ainsi, bien qu’étant un principe de plus en plus reconnu dans les discours et les annonces à l’échelle internationale, le droit universel à la santé se heurte à un déficit de structures et d’institutions susceptibles de le traduire en amélioration significative et équitable de l’état de santé.
3Cependant notre approche se distingue de celle de Kaul, Grunberg et Stern qui demeuraient largement en phase avec les discours technocratiques dominants. En effet la place accordée aux questions de participation et d’incitation tend à proposer une vision où les rapports de force s’estompent au profit d’une conception où les arrangements contractuels, passant par ces procédures qualifiées de participatives et incitatives, devraient permettre de copier avec succès l’idéal-type quasi marchand (cf. supra chapitre 2, 2.3).
4Tout en reprenant (chapitre 3) le premier déficit énoncé par Kaul, Grunberg et Stern, celui de la juridiction (que nous qualifions plutôt de réglementation juridique), essentiel pour aborder les enjeux de la contrainte publique, nous proposons également (chapitre 4) une analyse de la légitimité (ou de l’illégitimité) des normes et programmes préconisés par les acteurs de l’aide, analyse qui ne limite pas les blocages à des questions incitatives ou participatives. Si la question des incitations et des approches coopératives n’est pas absente d’une telle analyse, elle ne doit pas occulter un enjeu qui nous paraît beaucoup plus crucial : comme l’illustre le cas de la santé, les institutions qui dominent l’aide ont largement intégré l’approche quasi marchande de la santé dont une caractéristique majeure est de considérer les besoins des institutions locales et des usagers comme des données naturelles et parfaitement compatibles avec des logiques utilitaristes. Si l’on considère, au contraire, que les besoins des bénéficiaires de l’aide sont également des « construits sociaux », alors il apparaît, non seulement, que les besoins de santé sont encore singulièrement méconnus par les bailleurs de fonds, mais également que les bénéficiaires de l’aide demeurent largement dominés par un modèle « donor driven » de l’aide, rendant ce dernier finalement illégitime.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Dérives et perspectives de la gestion
Échanges autour des travaux de Julienne Brabet
Anne Dietrich, Frédérique Pigeyre et Corinne Vercher-Chaptal (dir.)
2015
La santé, bien public mondial ou bien marchand ?
Réflexions à partir des expériences africaines
Bruno Boidin
2014
Travail, luttes sociales et régulation du capitalisme dans la Chine contemporaine
Clément Sehier et Richard Sobel (dir.)
2015
Communication et organisation
perspectives critiques
Thomas Heller, Romain Huët et Bénédicte Vidaillet (dir.)
2013
La finance autrement ?
Réflexions critiques sur la finance moderne
Bernard Paranque et Roland Pérez (dir.)
2015
La fabrique de la finance
Pour une approche interdisciplinaire
Isabelle Chambost, Marc Lenglet et Yamina Tadjeddine (dir.)
2016
La Responsabilité Sociale de l'Entreprise
Nouvelle régulation du capitalisme ?
Frédéric Chavy, Nicolas Postel, Richard Sobel et al. (dir.)
2011
Agro-ressources et écosystèmes
Enjeux sociétaux et pratiques managériales
Bernard Christophe et Roland Pérez (dir.)
2012
Dictionnaire des conventions
Autour des travaux d’Olivier Favereau
Philippe Batifoulier, Franck Bessis, Ariane Ghirardello et al. (dir.)
2016
Repenser l'entreprise
Une théorie de l'entreprise fondée sur le Projet
Alain Desreumaux et Jean-Pierre Bréchet
2018