Chapitre 1. L’ambiguïté terminologique
p. 19-34
Texte intégral
1Ce chapitre examine la double ambiguïté, à la fois externe et interne, de la santé comme BPM. Sur le plan externe (1), l’ambiguïté tient à la coexistence et à l’usage souvent indifférencié de trois expressions (droits humains ; biens communs ; biens publics – mondiaux par extension) pour désigner la santé comme priorité internationale. Sur le plan interne (2), elle porte sur des contenus variés voire contradictoires à l’intérieur même de ces trois conceptions. Ainsi tandis que les agences onusiennes s’attachent à la promotion des droits humains fondamentaux (éducation, santé, liberté d’expression etc.),1 l’Organisation Mondiale du Commerce a développé un argumentaire autour des droits d’accès au commerce et au marché, recourant alors au vocabulaire en termes de droits tout en remettant en cause la prédominance des droits humains fondamentaux par rapport à l’approche marchande. Dans le même ordre d’idée, la notion de biens communs est autant utilisée par les défenseurs de la gratuité des soins dans les pays à faible revenu (dans une logique d’équité) que par les tenants de la marchandisation et de la mise en concurrence des services de santé sur le mode du quasi-marché d’inspiration néo-institutionnaliste.2 Il existe pourtant des différences irréductibles entre ces différentes approches.
1. L’ambiguïté externe : droits humains, biens communs, biens publics mondiaux
2L’usage généralisé de la notion de BPM n’enlève rien aux profondes ambiguïtés que recèle cette notion. Si celle-ci repose pour partie sur des considérations éthiques (1.1), elle trouve également ses fondements dans l’approche néoclassique en économie (1.2). Dans le contexte international, les bases théoriques de ce type de biens ont été posées progressivement dans un cadre d’élargissement de l’approche standard (caractéristiques de non-rivalité et de non-exclusion, qui sont précisées infra : 1.2.1) au champ des relations internationales.
1.1 L’approche à dominante éthique : biens communs et droits humains
3L’approche en termes de « biens communs » met l’accent sur le caractère mondial des problèmes relatifs à l’état de santé des populations. Dans cette conception, on n’insiste pas (ou peu) sur les caractéristiques technico-économiques de la production des biens de santé, mais plutôt sur la nécessité d’une gestion commune, à l’échelle mondiale, de la santé (la santé est un « bien commun » à partager). Il existe à cet égard une proximité (sans toutefois que ces termes ne soient synonymes) avec l’expression « santé mondiale », traduction de « global health ». Si Dominique Kerouedan (2013, p. 118) considère que « la généalogie et l’émergence de la notion de santé mondiale sont indépendantes et distinctes de celle de BPM, dont l’expression fut très utilisée dans le cadre des politiques de développement au début des années 2000 », nous estimons au contraire que ces deux notions sont très proches et se recoupent en partie. Ainsi selon Jeffrey Koplan et alii (2009, p. 1993), « Global health is an area for study, research and practice that places a priority on improving health and achieving equity in health for all people worldwide. Global health emphasises transnational health issues, determinants and solutions; involves many disciplines within and beyond the health sciences and promotes interdisciplinary collaboration; and is a synthesis of population-based prevention with individual-level clinical care ». La notion de « global health » fait donc écho à l’approche éthique des BPM.
4Dans son analyse plus générale des biens publics mondiaux, Philippe Hugon (Hugon, 2003, p. 67) qualifierait cette conception éthique de « maximaliste » dans la mesure où elle repose sur les patrimoines communs plutôt que sur le marché comme référent conceptuel. Il en découle qu’une analyse politique des rapports de pouvoirs est nécessaire pour comprendre les leviers d’une santé comme objectif commun.
5Une ambiguïté inhérente à la notion de bien commun tient cependant au fait que cette expression a également été utilisée pour désigner la « tragédie des communs » (commons) à partir des travaux de Garett Hardin (1968). Les biens auxquels Garett Hardin fait référence sont les ressources naturelles épuisables d’accès libre. L’impossibilité d’exclusion des usagers qui surexploitent la ressource entraîne un gaspillage et un risque d’épuisement. En réalité, Garett Hardin assimile biens communs et biens libres. Il reprend en outre les caractéristiques de l’économie néoclassique (les biens communs comme biens rivaux et non exclusifs, cf. infra 1.2.1). Dans notre ouvrage, les biens communs désignent plus largement les patrimoines communs de l’humanité considérés comme inaliénables et nécessitant une transmission intergénérationnelle. Ils ont trait à l’intérêt général, notion qui englobe mais dépasse la seule gestion des ressources3.
6Cette acception, adoptée par des acteurs très divers, est particulièrement présente chez certaines organisations non gouvernementales (ONG) actives dans le domaine de la solidarité internationale4. On la rencontre également au sein des organisations internationales, avec souvent une focalisation sur le caractère nécessairement transnational voire supranational de la gestion des biens publics.5 Ce sont des principes d’ordre éthique qui prédominent ici. Si le recours au concept de santé comme BPM n’est pas rare dans cette approche, il y est en réalité souvent assimilé à celui de droit humain fondamental. Il est utilisé pour mobiliser les institutions et les juridictions internationales face aux situations considérées comme violant les droits humains élémentaires. Dans un autre domaine, celui de l’eau, les travaux et engagements de Ricardo Petrella constituent un exemple très significatif de cette approche. Petrella appelle en effet à un partenariat mondial de l’eau déconnecté des intérêts économiques des grandes firmes du secteur (Petrella, 1998).
7Si l’on fait abstraction des fondements philosophiques et religieux plus anciens, les combats pour les droits humains sont fondés par la « Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen » de 1789. La percée de l’approche en termes de droits est visible dans les déclarations et les accords des années 1990 et 2000. Après la signature, en 1966, de deux pactes séparés pour les droits civiques et politiques d’un côté, les droits économiques et sociaux de l’autre, de nombreux accords et sommets témoignent d’une nouvelle avancée dans les engagements au cours des années 1990 et 2000 : Sommets de Rio et de Johannesburg sur le développement durable en 1992, 2002 et 2012, Sommet social de Copenhague en 1995 et de Genève en 2000. Un nombre croissant de pays signent les conventions de l’ONU. Cette montée en puissance ne reste cependant pas cantonnée au domaine juridique. Elle est beaucoup plus large et d’autres disciplines y contribuent, parmi lesquelles l’analyse économique, en particulier dans le domaine du développement. Plusieurs approches coexistent (cf. encadré n° 1).
Encadré n° 1. Les six approches des droits liés au développement
David Kolacinski (2003, p. 263-265), s’inspirant de la classification de Stephen Marks (2000), distingue six approches des droits liés au développement. L’approche holiste considère que les politiques de développement doivent reposer sur l’indivisibilité des droits (ainsi les programmes d’accès à la santé doivent s’accompagner d’interventions dans des domaines connexes des droits humains : accès à l’éducation sanitaire, à l’eau potable…). Cette approche est adoptée par le PNUD. L’approche par les capacités (capabilities) d’Amartya Sen (1985) insiste sur l’égalité des chances. L’approche par le droit au développement instaure comme nécessités la mise en œuvre et le respect de ce droit. Ce droit a été instauré par la « Déclaration sur le droit au développement » adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU en 1986. L’approche par la responsabilité insiste sur les responsabilités de chaque personne et de chaque acteur, en particulier le respect du droit international relatif aux droits de l’homme. On se rapproche ici du « principe de responsabilité » de Hans Jonas6. L’approche de l’éducation par les droits de l’homme considère comme central le rôle de l’éducation au sens large dans le développement. Enfin l’approche basée sur les droits (rights-based approach) part des droits de l’homme pour définir les moyens et les fins du développement. Elle se distingue de l’approche par le droit au développement en ce qu’elle émerge d’un consensus plus large sur la notion de droits de l’homme. |
8Une différence essentielle existe entre l’approche éthique (par les droits et l’intérêt général ou commun) et l’approche à dominante économique (cf. infra 1.2). La première tend à placer les droits humains fondamentaux (santé, éducation, libertés civiques…) comme des pré-requis d’autres droits tels que les droits commerciaux ou les droits de propriété intellectuelle. Cela signifie qu’un choix éthique est opéré en amont de considérations économiques portant, par exemple, sur le caractère efficient d’un programme de développement.
9L’approche par les droits, si elle ne règle en aucun cas (ou pas à elle seule) la question des moyens du développement, établit des priorités quant à la mise en œuvre de ce dernier. Si l’on admet que la santé s’inscrit dans la catégorie des droits humains essentiels (ou fondamentaux), alors cette approche signifie que l’accès de tous à la santé constitue un droit imprescriptible et prioritaire. La question des droits de propriété intellectuelle, abordée plus loin (chapitre 3), illustre bien ce débat dans la mesure où elle semble opposer deux droits importants, celui de la propriété des idées (aujourd’hui représenté par les accords sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle touchant au Commerce – les ADPIC) et celui des individus à la santé, en particulier dans les pays pauvres. Pour définir des priorités entre les droits, on peut prendre comme critère le caractère potentiellement irréversible de la dégradation de la santé. En conséquence il est possible d’introduire la contrainte d’un seuil minimal en deçà duquel le développement humain ne peut être assuré, même par une compensation avec les autres actifs (éducation, revenu, environnement familial…).
10La santé comme droit humain implique donc de considérer comme prioritaire l’atteinte par tous d’un seuil minimum de santé. Si l’on admet le droit imprescriptible à la santé, l’utilisation des critères économiques de choix (en particulier l’efficience) est utile mais ne peut constituer une méta-règle de décision.
1.2 L’approche à dominante économique : des biens publics aux biens publics mondiaux
11Expliquer la conception de la santé comme BPM nécessite un détour par les biens publics. La notion de bien public, recouvrant au départ un vaste éventail de domaines liés aux ressources naturelles et aux infrastructures collectives, est ensuite introduite dans le champ de la gestion des besoins essentiels en remettant en cause le modèle des services publics.
1.2.1 La santé, du service public au bien public
12Dans de nombreux pays pauvres, les systèmes de santé ont longtemps répondu à une approche de la santé vue comme un service public, sur le modèle de l’État-Providence (à laquelle certains auteurs préfèrent l’expression d’État social, cf. encadré n° 2) des pays riches. La notion de service de santé comme service public tend à s’opposer en théorie à celle d’un bien public. En effet l’opposition théorique entre bien public et service public provient du débat entre l’échange volontaire et la contrainte. L’échange volontaire (Wicksell, 1896 ; Lindhal, 1919) considère non pas un service public mais un bien public, dont l’offre, assurée par l’État, serait confrontée à la demande émanant des particuliers. Le payeur du bien public est alors son utilisateur effectif. La contrainte publique (Barrère, 1968), au contraire, dépasse la rencontre offre-demande pour placer l’État au-dessus des décisions du marché et est avant tout une théorie du service public plutôt que du bien public. L’organisation du système sanitaire fait alors reposer le financement des prestations sur les contribuables. Les services de santé sont en principe intégralement financés par la subvention publique, et l’État a pour finalité annoncée d’assurer l’accès de tous aux soins.
Encadré n° 2. La santé au cœur de l’État social
Si la notion d’État-Providence est la plus couramment utilisée, celle d’État social est préférée par certains auteurs dans la lignée de Robert Castel. En effet ce dernier estimait que « cette fonction de l’État consiste moins à distribuer des bienfaits et des subsides, comme une providence généreuse et quelque peu irresponsable, qu’à imposer des protections et des droits pour lutter contre les principaux risques sociaux. » (Castel, 2005, p. 28). Dans cet esprit, la protection sociale et l’érection de systèmes de santé fortement protecteurs ne sont pas tant un volet de la générosité des Pouvoirs Publics qu’un outil visant à réduire les risques de santé et les inégalités de santé.
13Les années 1980-1990 marquent une rupture : le passage d’une conception des services de santé comme services publics à une conception comme biens publics. Cette évolution touche autant les pays riches que les nations pauvres. Les programmes d’ajustement structurel (PAS), instaurés par le FMI et la Banque Mondiale, ne résument pas à eux seuls une telle évolution, mais ils en ont constitué un support essentiel dans le cadre de l’hégémonie de l’approche néoclassique en économie, privilégiant la rationalité instrumentale (guidée par l’objectif d’optimisation) et le marché. Les effets dévastateurs des PAS sur les indicateurs sociaux n’ont pas empêché l’hégémonie du modèle standard qui les sous-tend. Les principes fondateurs des PAS (souvent qualifiés de « consensus de Washington », cf. Williamson, 1990) se sont en effet traduits par la « rationalisation » de l’offre de santé publique. Le secteur public de la santé a connu des restructurations importantes, en particulier l’introduction d’un cadre marchand avec la réduction des budgets publics, la « déflation » des personnels médicaux, l’incitation au développement du secteur privé. Le cadre théorique de cette évolution est le passage à une analyse en termes de biens publics plutôt qu’en termes de services publics. On insiste alors, en prolongement de la définition des biens publics donnée par Paul Samuelson (1954), sur les externalités fournies par le bien public et requérant l’intervention de l’État dans le seul cas où le marché est déficient (cf. encadré n° 3). L’offre de santé publique est, dans ce cadre, justifiée non plus comme une prérogative naturelle de l’État, mais plutôt en fonction de ses effets externes (effets indirects sur la satisfaction des besoins de toute la population et sur sa productivité globale).
Encadré n° 3. Les biens publics selon la théorie standard
Paul Samuelson (1954) énonce, dans son article intitulé « The pure theory of public expenditure », ce qu’il considère comme les principales caractéristiques des biens publics. Ces dernières sont à l’opposé de celles des biens privés. Les biens publics sont d’abord non-rivaux dans la consommation au sens où leur usage par certains consommateurs ne réduit pas les quantités disponibles pour les autres consommateurs. Ensuite ils sont non-exclusifs : il serait particulièrement onéreux de réserver leur usage à certains consommateurs compte tenu des coûts que cela engendrerait. À titre d’exemple, un phare à l’entrée du port ou un feu de signalisation, non seulement, peuvent être utilisés par tous sans réduire l’usage de chacun, mais également, peuvent difficilement n’être réservés qu’à quelques usagers sans occasionner d’importants coûts de limitation d’accès (infrastructures, contrôleurs, etc.). En conséquence les biens publics purs présentent des caractéristiques qui en facilitent un usage partagé, ce dernier permettant d’en augmenter les avantages pour chacun (le respect du feu rouge est une règle permettant d’améliorer la régulation du trafic routier).
La notion de bien public est généralement associée à celle d’externalité que les caractéristiques de non-rivalité et non-exclusion génèrent. Il y a externalité quand un agent économique, par son action, produit un effet externe pour autrui, positif ou négatif, sans devoir prendre à sa charge le coût (en cas d’externalité négative) ou les avantages (en cas d’externalité positive). Les biens publics occasionnent des externalités qui peuvent être positives (l’éclairage public bénéficie indirectement à l’ensemble de la population en réduisant les risques d’accidents de la route) ou négatives (la pollution réduit la qualité de l’air pour l’ensemble des riverains ou une population plus large). Dans ce deuxième cas on devrait parler de mal public plutôt que de bien public.
Mais de nombreux biens ne sont ni purement privés, ni parfaitement publics. On parlera de biens mixtes. Certains biens mixtes sont non-rivaux dans leur consommation mais exclusifs : ils sont qualifiés de biens de club (Cornes, Sandler, 1996). D’autres sont non-exclusifs mais rivaux : il s’agit des ressources naturelles en général.
14En réalité, l’offre publique de santé ne vérifie qu’imparfaitement les critères de non-rivalité et d’absence d’exclusion. Cela est lié aux phénomènes d’encombrements auxquels les services de santé sont soumis, accrus par les difficultés économiques et les ajustements macroéconomiques (ou plans d’ajustement structurel) des années 1980-1990. Les plans d’ajustement structurel, visant à traiter le problème du surendettement des pays pauvres, ont en effet consisté à leur imposer, sous la tutelle de la Banque Mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), un double ajustement néolibéral, à la fois interne (compression des dépenses publiques et privatisation des actifs) et externe (ouverture aux échanges extérieurs). L’appréhension de la santé publique comme un bien collectif mixte (entre le bien privé et le bien public) apparaît alors dans l’approche de la Banque Mondiale, qui préconise la spécialisation des Pouvoirs Publics dans les prestations à rapport coût-efficacité élevé (Banque Mondiale, 1993). La Banque Mondiale, tout en maintenant le cap des ajustements structurels, reconnaît ainsi l’existence d’externalités positives fortes comme caractéristiques de biens publics, mais admet également l’imperfection des externalités et l’exclusion de certains usagers. L’État voit ainsi son rôle réduit à une « gestion optimale des biens publics » sous ajustement.
1.2.2 Du bien public au bien public mondial
15Dans leur ouvrage de référence sur la notion de BPM, Inge Kaul, Isabelle Grunberg et Marc A. Stern (2002, p. 36-38) retiennent trois critères permettant de définir ce concept. Premièrement, les biens publics mondiaux ne concernent pas seulement un groupe de pays (leurs effets dépassent par exemple les blocs commerciaux ou les pays de même niveau de richesse) ; deuxièmement, leurs effets atteignent non seulement un large spectre de pays, mais également un large spectre de la population mondiale ; enfin leurs effets concernent aussi les générations futures.
16La notion de BPM s’est étendue au sein des acteurs et des analystes du développement et des relations internationales. Cependant ce terme est ambigu car, issu de l’économie néoclassique (Samuelson, 1954), il a été de plus en plus utilisé par les acteurs de la coopération internationale pour désigner les droits humains fondamentaux et/ou les biens communs devant faire l’objet d’une coopération voire d’une régulation transnationale.
17Les analyses récentes de la notion de biens publics mondiaux donnent généralement une place centrale à la santé, en insistant sur les externalités observées dans ce domaine. La santé est alors considérée comme un BPM sous deux formes (Kaul, Grunberg et Stern, 2002, p. 40 et p. 200). D’une part, elle est un BPM final, l’état de santé des uns jouant, positivement ou négativement, sur celui des autres ; l’externalité se traduit alors par des effets en chaîne, vertueux (campagnes de vaccination, prévention…) ou vicieux (épidémies…). D’autre part, la santé peut également être conçue comme un BPM intermédiaire, par exemple à travers les réglementations relatives à l’accès aux médicaments, ou à travers les médicaments eux-mêmes. À ce titre, la connaissance scientifique, déjà considérée comme un bien public (Stiglitz, 1999), produit des médicaments, eux-mêmes biens publics intermédiaires d’un bien public final, le niveau de santé de la population. On connaît les externalités importantes observées dans le domaine des découvertes scientifiques, lorsque la non-rivalité des idées permet leur diffusion à un coût limité.
18Cette approche de la santé comme BPM est souvent utilisée pour justifier le statut spécifique de la santé parmi les différentes activités économiques. Mais elle ne s’éloigne pas fondamentalement de la notion de bien public, et continue en particulier de considérer que la gestion « hors marché » est une solution complémentaire, de second rang, permettant de compenser les défaillances du marché. Dans son approche plus générale des biens publics mondiaux, Philippe Hugon (2003, p. 65) la qualifierait de « minimaliste » dans la mesure où le référent demeure le marché et où l’économie définit le champ du politique, en fonction des intérêts que les agents retirent de leurs actes. Cette conception se trouve par exemple dans le rapport 2004 de la Banque Mondiale sur le développement, consacré à l’accès aux services essentiels dans les pays pauvres. La Banque Mondiale y propose une approche standard étendue (cf. encadré n° 4) des services essentiels, mise en œuvre par des dispositifs de quasi-marché tels que la contractualisation, la mise en concurrence et le prépaiement (inscription des patients dans des réseaux de soins mis en concurrence).7
Encadré n° 4. La théorie standard étendue
La notion de théorie standard étendue a été théorisée par Olivier Favereau (1989). La théorie standard (ou modèle néoclassique) repose sur deux piliers : le premier est celui de la rationalité des comportements individuels, réduite à l’optimisation ; le second est celui de la coordination des comportements individuels, réduite au marché. Selon Favereau, la pauvreté analytique de cette théorie a conduit certains économistes à introduire une théorie standard étendue qui, tout en ne remettant pas en cause le premier pilier, cherche à mieux appréhender les problèmes de coordination en introduisant les organisations dans l’analyse. Ainsi la coordination organisationnelle s’ajoute à la coordination strictement marchande. L’organisation est appréhendée à travers les règles et les institutions qui constituent des « mécanismes cognitifs collectifs » (p. 324). Les arrangements contractuels entre agents offriraient une procédure rationnelle de substitution au marché. Ce glissement ne constitue cependant qu’une évolution sans être une rupture avec la théorie standard. Une telle rupture est au contraire proposée par la théorie non-standard ou hétérodoxe en économie, dont les idées centrales sont l’absence de capacité d’optimisation par les individus et l’incapacité des mécanismes de contractualisation à assurer un quelconque équilibre. Tandis que la théorie standard et la théorie standard étendue retiennent une conception substantielle de la rationalité (qui ne s’interroge pas sur la procédure qui a conduit à la décision mais sur la rationalité de la décision elle-même), la théorie non-standard s’attache au contraire à une conception procédurale de cette décision (le jugement sur la rationalité d’une décision est inséparable de l’examen de la procédure qui y a conduit).
19La position de la Banque Mondiale dans son rapport sur le développement publié en 2004 est fortement imprégnée de la théorie standard étendue. En effet l’accès des plus pauvres aux services essentiels y est vu comme un enjeu relevant principalement d’une amélioration de la coordination entre des agents rationnels en fonction des résultats (outputs de santé) obtenus. L’essentiel des préconisations faites dans ce rapport repose sur des mécanismes d’incitations (récompenses, sanctions) qui produiraient des comportements efficients parmi les prestataires de santé, qu’ils soient publics ou privés. Les meilleurs « arrangements contractuels » sont obtenus par un dosage entre responsabilité des acteurs et concurrence, sous la surveillance de l’État. On ne s’éloigne guère de l’approche par les biens publics, technico-économique et fondée sur la substitution mécanique entre les acteurs publics et privés selon leur efficience respective pour apporter des gains et réduire les externalités.
2. L’ambiguïté interne : droit à la santé ou droit au marché ?
20Lever l’ambiguïté autour de la notion de BPM pourrait passer par le fait d’assumer clairement, selon ses préférences théoriques et/ou sa vision d’acteur, telle ou telle autre conception des biens publics. Pourtant une telle piste demeure insuffisante car il existe une ambiguïté propre à chaque conception des biens publics mondiaux.
2.1 Quels droits favoriser ?8
21La conception en termes de droit (cf. supra 1.1) semble bien installée dans le paysage institutionnel de l’aide au développement et de la coopération internationale. Pourtant si l’objectif d’accès aux biens et services essentiels se diffuse largement dans les discours des acteurs du développement, il renvoie à des domaines et des objectifs très variés voire discordants selon les institutions qui le promeuvent.
22Ainsi en 2000, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et le Fonds des Nations-Unies pour l’enfance (UNICEF), constatant que le sixième de la population mondiale n’avait toujours pas accès à une eau potable et que deux cinquièmes de cette population demeuraient sans accès aux services d’assainissement, soutiennent une stratégie internationale qui donnerait la priorité aux services essentiels.
23À la même période, en 2001, l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) entamait à Doha un cycle de négociation annoncé comme étant dédié au développement. L’OMC entendait alors « poursuivre le processus de réforme et de libéralisation des politiques commerciales, faisant ainsi en sorte que le système joue pleinement son rôle pour ce qui est de favoriser la reprise, la croissance et le développement »9. Dans le texte, si le mot « accès » apparaît dix fois, il n’est évoqué qu’une seule fois en référence à l’accès aux médicaments et neuf fois pour l’accès aux marchés. Ces deux domaines relèvent pourtant d’enjeux et de registres de mobilisation extrêmement différents. Ainsi une réelle confusion terminologique s’instaure entre, d’un côté, la vision onusienne fondée sur la défense et la promotion des droits humains fondamentaux, de l’autre côté, l’approche économique de l’OMC qui considère sur un même plan les droits marchands (investissement, commerce) et les droits fondamentaux.
24Un an plus tard (en 2002), se tient la Conférence internationale sur le financement du développement à Monterrey au Mexique. Les Nations Unies, le FMI et la Banque Mondiale édictent à cette occasion des principes de « sagesse économique et financière »10 (dixit) censés contribuer à l’objectif global de réduire la pauvreté de 50 % entre 2000 et 2015, conformément au calendrier des Objectif du Millénaire pour le Développement (OMD). Le document résultant des délibérations – le Consensus de Monterrey – fait référence à l’accès au financement des petites et moyennes entreprises locales grâce à la micro-finance, au crédit et à l’accès des pays pauvres aux marchés d’exportation et des capitaux. On se situe donc dans un registre principalement économique, à l’inverse des discours des agences onusiennes qui promeuvent l’accès aux services essentiels au nom du développement humain et social.
25Toujours en 2002, se tient le Sommet mondial sur le développement durable à Johannesburg qui réunit des États, des organisations multilatérales et régionales, des ONG, des entreprises multinationales et des représentants de la « société civile »11 et du monde académique. Le rapport publié à l’issue de cette rencontre (ONU, 2002) – où est réaffirmé l’engagement à atteindre les OMD -, regorge d’expressions qui utilisent la notion d’accès tout en l’associant à divers adjectifs.
26Cette rhétorique de l’accès est reprise par des techniciens et spécialistes du développement (ingénieurs, agronomes, médecins, urbanistes, économistes, sociologues…) qui travaillent au sein d’ONG, d’agences de coopération technique et internationale, de centres de recherche spécialisés dans le développement et de fondations. Cette large diffusion contribue à enlever tout contenu précis à la notion d’accès et à ses leviers, renforçant au passage la porosité de la rhétorique autour de la santé comme BPM aux différents courants d’influence des relations internationales.
2.2 Les biens communs, non marchands ou quasi marchands ?
27Si la notion de bien commun fait a priori référence à une conception non strictement économique des biens publics mondiaux, faisant la part belle aux acteurs non marchands, en réalité le modèle économique sur lequel elle devrait s’adosser n’est pas clairement identifié. En effet devant l’impossibilité pour des États structurellement affaiblis de garantir l’offre de certains biens et services essentiels, la nécessité d’approvisionner les populations exclues par le biais de mécanismes innovants s’est de plus en plus imposée. Face à une demande non solvable12, l’idée de solvabiliser les exclus en composant avec le marché est présente dans les discours et imprègne les pratiques dès la fin des années 1990 avec les politiques de lutte contre la pauvreté lancées par les Institutions de Bretton Woods (IBW – ici la Banque Mondiale et le FMI) et auxquelles de nombreuses autres organisations participent.
28Ainsi en 2006, la Conférence des Nations-Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) tenait une « réunion d’experts sur l’accès aux services essentiels » consacrée à la définition de nouvelles modalités de partenariat public privé (PPP) pour permettre aux gouvernements des pays pauvres d’obtenir du secteur privé la fourniture de ces services « à un prix raisonnable ».
29Deux termes clés, aujourd’hui largement diffusés dans le monde des affaires et dans celui de la coopération internationale, viennent appuyer cette vision des partenariats multi-acteurs considérés comme des outils de promotion du bien commun : la notion de responsabilité sociale d’entreprise et celle de gouvernance (cf. infra chapitre 2 pour un examen de ces notions).
30L’argumentaire « gagnant-gagnant » qui se trouve au cœur de ces approches partenariales est entré dans les discours des organisations internationales dominantes, à travers l’idée d’une amélioration de la « gouvernance » fondée sur la participation de différents acteurs (World Bank, 1994 ; Buse et Waxman, 2001, United Nations Fundation and World Economic Forum, 2004, p. 5). Même si l’intégration d’acteurs aux intérêts parfois conflictuels dans une logique coopérative fait l’objet de débats intenses et de réserves, le nouvel agenda international du développement encourage l’essor des partenariats entre les firmes et les acteurs non marchands. Pour les entreprises, ces logiques de compromis encore émergentes relèvent a priori de plusieurs motivations, parmi lesquelles le nécessaire passage à un modèle économique plus coopératif face à des pressions de plus en plus fortes de la société civile.
31L’une des pistes récemment explorées dans ce contexte est la logique BOP – Base of the Pyramid – qui soutient la possibilité pour les entreprises de concilier les objectifs de rentabilité économique et l’inclusion des personnes pauvres dans leur modèle sans discrimination en termes de qualité des produits. La demande des « pauvres » pourrait, selon cette approche, constituer un débouché substantiel dès lors que les entreprises adapteraient leurs prix et leurs produits (tant en termes de réponse de l’offre aux besoins spécifiques que de processus de distribution) à une demande avide de satisfaire ses besoins de base.13 Cette conception rejoint la mouvance du « social business » lancée par Muhammad Yunus (souvent présenté comme le fondateur du micro-crédit)14 et relayée par les forums d’entreprises à la recherche d’une dimension éthique. Sans entrer plus avant dans cette conception, il est remarquable de constater que le marché ou son ersatz, le quasi-marché, devient, au sein d’une telle rhétorique, le levier majeur de la lutte contre la pauvreté. Dès lors que sont évacués de l’analyse les biens communs portés par les acteurs publics, la coopération gagnant-gagnant entre des acteurs ouverts aux logiques concurrentielles deviendrait la voie de salut des sociétés capitalistes en crise.
32Le champ de la santé n’a pas échappé à cette tendance générale. Le quasi-marché comme ersatz du marché pur est devenu le support de coordination privilégié dans la littérature institutionnelle de l’aide à la santé comme dans d’autres domaines. La « bonne gouvernance » et la « responsabilité sociale d’entreprise » constituent, dans ce contexte, des conditions de compatibilité supposée entre la santé comme bien économique (donc rationalisable) et la santé comme droit humain.
2.3 La faible prise en compte des conflits
33L’approche économique standard occupe une place importante dans la conceptualisation de la notion de BPM (cf. 1.2 supra). Les bases théoriques des biens publics mondiaux ont ainsi été progressivement posées dans un cadre d’élargissement de l’approche standard au champ des relations internationales. Ainsi Charles Kindleberger (1986) appréhende les biens publics mondiaux comme « l’ensemble des biens accessibles à tous les États qui n’ont pas forcément un intérêt individuel à les produire ». L’approche de Kindleberger, bien qu’étant novatrice, ne constitue qu’un premier pas vers le dépassement d’une conception standard qui appréhende les biens publics selon des considérations techniques et des enjeux d’intérêts stratégiques individuels (les individus étant ici remplacés par des pays).
34La conception standard des biens publics mondiaux traite très peu les problèmes liés au caractère hétérogène des intérêts présents dans la production et l’allocation des biens publics internationaux. Selon l’approche néoclassique, le bien public pur est un idéal type qui justifie le recours à l’intervention publique. Mais le courant néoclassique ne dit pas comment assurer la régulation conjointe de différents biens publics intermédiaires (réglementation internationale par exemple) ayant une influence sur un bien public final (air, santé…). En particulier, les rapports de force et les divergences d’intérêts ou de visions entre les acteurs qui interviennent dans la fourniture de ces différents biens ne sont pas ou peu abordés. L’approche par les biens publics « naturalise » des biens communs sans considérer que ceux-ci sont des constructions socio-historiques. À titre d’exemple, si les caractéristiques des biens « de club » (réservés à des clubs d’usagers car non rivaux mais soumis à exclusion) sont a priori adaptées pour désigner les problèmes d’accès aux médicaments, elles ne disent pourtant rien sur le processus historique, économique et social ayant conduit à réserver ces biens à des groupes d’usagers fermés. Les conflits entre acteurs de la coopération et entre États-nations sont lissés au profit d’une approche qui remplace ces derniers par de simples pays considérés comme agents représentatifs sans épaisseur historique. Rien ne garantit alors qu’une « gouvernance mondiale » – expression désignant des logiques principalement tournées vers la seule coordination plutôt que sur le procès de production de ces biens – puisse voir le jour pour assurer l’accès aux biens publics mondiaux.15
35Cette difficulté a pour corollaire une insuffisante prise en compte des conflits possibles entre l’efficience économique et les considérations éthiques.16 Par exemple, pour une maladie grave qui touche une part importante des populations à l’échelle mondiale (tuberculose, VIH), faut-il privilégier l’équité dans le traitement ou plutôt l’efficience entendue au sens de l’économie publique ? Si l’on privilégie l’équité, tout malade sera soigné mais avec un coût total élevé et des résultats faibles ou nuls pour les malades ayant atteint un stade avancé de la maladie ou étant en fin de vie. Si l’on recourt au principe d’efficience économique, alors on soignera d’abord les malades pour lesquels l’efficacité du traitement est la plus élevée par rapport à son coût, ce qui revient dans de nombreux cas à sacrifier les malades dont la pathologie engendre des coûts supplémentaires importants pour un résultat moindre. L’efficience économique fut ainsi préconisée par la Banque Mondiale dans les années 1990 face à l’épidémie du VIH. Le coût élevé des traitements disponibles à l’époque, comparé à leur efficacité médicale encore limitée, conduisit à privilégier la prévention au détriment des soins aux malades. Ce conflit entre l’approche d’économie publique et l’approche par les droits pose des problèmes éthiques redoutables. On peut alors s’interroger sur les limites du calcul économique standard dans le cas de la satisfaction des besoins de base.
36Une autre illustration des conflits entre éthique et économie se trouve dans la question de l’accès aux médicaments face aux barrières érigées à travers les brevets. Le régime actuel de la propriété intellectuelle à l’échelle internationale résulte directement de l’Accord sur les aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce (ADPIC) signé en 1994 dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Ce texte renforce l’obligation pour tout pays de respecter la propriété intellectuelle. Il suscite, depuis sa mise en œuvre, de nombreuses inquiétudes concernant l’accès des pays pauvres aux médicaments, et pose conjointement la question de la marge de manœuvre dont disposent les pays émergents producteurs de médicaments. Cet exemple sera examiné plus en détail dans le chapitre 3. Il est cependant utile de souligner dès à présent que l’exemple des ADPIC illustre l’incapacité du cadre économique standard à introduire de façon satisfaisante des considérations éthiques qui ne relèvent pas de la stricte efficience. Le recours aux travaux des juristes, souvent cités chez les spécialistes de l’économie des brevets, semble plus à même de comprendre les enjeux et les leviers multiples de l’économie du médicament.
Conclusion
37L’érection de la santé comme BPM semble relever d’une prise de conscience louable que traduit l’utilisation de cette expression dans de nombreux textes, engagements et rapports publiés sous l’égide des organisations de coopération. Néanmoins ce succès terminologique s’accompagne d’un profond décalage entre l’utilisation courante de la notion de BPM et son épaisseur conceptuelle. Dès lors la faille que constitue l’ambiguïté conceptuelle de la santé comme BPM est remplie par des discours et des contenus théoriques divergents voire contradictoires. L’économie hétérodoxe s’est peu emparée de l’expression de BPM, laissant le champ libre à l’extension de l’approche standard et à sa cohabitation, souvent largement formelle, avec les conceptions en termes de droits humains et de biens communs. Le « mariage de la carpe et du lapin » débouche sur une ambiguïté conceptuelle qui est lourde de conséquences sur le caractère profondément équivoque et souvent incohérent de l’agenda international de la santé comme BPM.
Notes de bas de page
1 Les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) constituent un exemple emblématique de cette tendance dans la mesure où ils orientent les efforts vers la satisfaction des besoins humains fondamentaux en termes d’éducation et de santé.
2 L’approche en termes de gratuité est réaffirmée par l’OMS dans le rapport sur la santé dans le monde publié en 2008 sous le titre « Les soins de santé primaire : maintenant plus que jamais » (OMS, 2008), tandis que la mise en concurrence et le quasi-marché ont été érigés comme modèles dans le rapport annuel sur le développement de la Banque mondiale publié en 2004 sous le titre « Des services pour les pauvres », rapport qui, nonobstant son intitulé, promeut un rôle accru des logiques incitatives (Banque Mondiale, 2004).
3 Il existe des critiques de la notion de biens communs telle que nous l’entendons. Pierre Dardot et Christian Laval (2014) réfutent sa pertinence car elle revient selon eux à naturaliser et réifier ce qui serait en réalité non pas un objet mais un « principe politique à partir duquel nous devons construire des communs et nous rapporter à eux pour les préserver, les étendre et les faire vivre » (p. 49). Les auteurs remplacent donc les biens communs par le commun, principe qui « impose de faire de la participation à une même activité le fondement de l’obligation politique » (p. 579). Le commun serait donc l’activité même de mise en commun par des pratiques collectives qui se construisent et s’instituent. Même si cette proposition alternative ne nous semble pas suffire à évincer la notion de bien commun, il faut reconnaître aux auteurs une critique radicale et percutante de la place dominante prise par les droits de propriété dans le capitalisme contemporain, alors que selon eux ce sont les droits d’usage qui pourraient fonder la satisfaction des besoins sociaux. Cette critique s’applique tout particulièrement aux droits de propriété intellectuelle que nous abordons dans le chapitre 3.
4 Médecins sans frontières, OXFAM, etc.
5 Eric Gauvrit (2002, p. 84) indique bien comment ce concept est approprié par les institutions internationales dans le sens donné par Bertrand Badie et Marie-Claude Smouts (1999, p. 206) : ces biens publics mondiaux « appartiennent à l’ensemble de l’humanité et doivent être considérés comme des éléments dont chacun est responsable pour la survie de tous ».
6 Hans Jonas (1980) s’inspire de la loi morale universelle de Kant (« Agis toujours d’après une maxime que tu puisses vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle », Fondements de la métaphysique des mœurs, 1795). Jonas en tire le « principe responsabilité » : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine ; ou, pour l’exprimer négativement : agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une telle vie ; ou simplement : ne compromets pas les conditions pour la survie indéfinie de l’humanité sur terre… ». Ce principe fondera la définition du « développement durable » dans le « rapport Brundtland » (CMED, 1987).
7 La notion de quasi-marché sera examinée plus en détail dans le chapitre 2 (section 2.3). Elle renvoie au choix des États occidentaux, à la fin des années 1980, de rompre avec certaines dimensions de l’État-Providence, comme ce fut le cas de l’Angleterre sous le mandat de Margaret Thatcher. Les décideurs politiques ont alors choisi de ne plus assurer la fourniture de certains services sociaux mais de financer des fournisseurs indépendants mis en concurrence sur des marchés internes ou quasi-marchés. Ainsi de fournisseur, l’État est devenu acheteur de ces services (cf. Glennerster, Le Grand, 1995).
8 Certains passages des sections 2.1 et 2.2 sont inspirés et adaptés de Marame Ndour et Bruno Boidin (2012).
9 OMC, 2001, « Déclaration ministérielle WT/MIN (01)/DEC/1 », Conférence ministérielle de l’OMC, 4e session, Doha.
10 Jan Kristiansen, « De Monterrey au G8 : Interview exclusive avec Michel Camdessus », MFI Hebdo – Économie et développement, avril 2002. Source : http://www.rfi.fr/fichiers/MFI/EconomieDeveloppement/538.asp consulté en octobre 2010.
11 Notion controversée, les organisations de la société civile sont définies comme suit par Christian Brodagh et alii (2004, p. 159) : « Ensemble des associations autour desquelles la société s’organise volontairement et qui représentent un large éventail d’intérêts et de liens, de l’origine ethnique et religieuse à la protection de l’environnement ou des droits de l’homme, en passant par des intérêts communs sur le plan de la profession, du développement ou des loisirs ».
12 Cette demande non solvable représente les « besoins fondamentaux » des populations (santé, éducation, eau potable, assainissement, etc.). De nombreuses polémiques entourent les notions de besoins de base, fondamentaux, essentiels ou premiers. Sans entrer dans ces débats, nous retenons ici la notion de besoins essentiels de François Perroux (1952, p. 145), associée à celle des coûts de l’homme qui comprennent : ceux qui empêchent les êtres humains de mourir ; ceux qui permettent une vie physique et mentale maximale ; ceux qui permettent une vie spécifiquement humaine, caractérisée par un minimum de loisirs.
13 Le « marché des pauvres » représente, selon Hammond et alii (2007), une demande potentielle de 4 milliards de personnes et 5 000 milliards de chiffre d’affaires.
14 Voir le site internet de Muhammad Yunus dédié à ce sujet : http://www.yunussb.com/social-business.
15 Tandis que la conception standard des biens publics mondiaux demeure largement focalisée sur les conditions optimales de coordination des agents qui organisent la diffusion de ces biens, l’approche hétérodoxe s’intéresse à la façon dont les rapports sociaux de production fondent le processus économique de fabrication de ces biens. Comme le rappelle fort justement Nicolas Postel (2011, p. 10), le fondement polanyien de l’économie (Polanyi, 1957) assume l’étude du procès institutionnalisé d’interaction entre l’homme et son environnement.
16 Ces conflits sont présentés dans les travaux de John Broome (cf. notamment Broome, 1999) dont le point de départ est le constat selon lequel de nombreux problèmes économiques constituent également des enjeux éthiques. L’auteur aborde en particulier la question du choix délicat entre les dépenses qui améliorent la qualité de vie et celles qui allongent la durée de vie.
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