La naissance de la philosophie de l’esprit de la tradition1
p. 55-81
Texte intégral
1Lorsque l’on s’interroge sur la nature même de la pensée « présocratique », c’est-à-dire sur la légitimité historiographique d’une formule qui implique la reconnaissance de l’identité spécifique d’une phase déterminée de la philosophie grecque, étroitement liée à une définition d’ordre temporel, le problème du commencement se pose inévitablement.
2Mais un examen attentif nous montre que le terme « pré-socratique » n’indique explicitement que le terminus ad quem. Choisir ou non de l’adopter revient, de fait, à prendre position pour ou contre une image déterminée et populaire, dans une perspective évolutionniste de la philosophie grecque : celle qui fait de Socrate le promoteur d’un retournement « humaniste », marquant une fracture nette par rapport à une tradition d’étude concentrée sur la nature du monde physique. Cette périodisation se condense pour nous par les mots de Cicéron, pour lequel Socrate « le premier fit descendre la philosophie du ciel et la localisa dans les villes et l’introduisit même dans les demeures... » (Tusc., V, 10) ; et trouve appui dans ce mémorable condensé de biographie intellectuelle (si séduisant qu’on l’a appelé autobiographie) que Platon esquisse dans le Phédon (96a ss.), du maître déçu par la superficialité des enquêtes des naturalistes. Je ne veux pas m’arrêter trop longtemps sur ce point2, mais il me faut au moins souligner que, dès l’instant où nous affrontons de manière critique l’identification de Socrate comme l’après des Présocratiques, nous nous mouvons le long d’une ligne très bien définie. Le long de cette ligne, les termes de la problématique sont extrêmement clairs, et les questions que nous pouvons nous poser, au fond, assez simples. Par exemple : des éléments d’intérêt éthique ou anthropologique sont-ils repérables chez les penseurs antérieurs à Socrate ? Certains de ceux que nous appelons présocratiques ne sont-ils pas contemporains de ce dernier ? Où plaçons-nous les Sophistes ? De fait, en général, soit nous utilisons par commodité et avec une réserve plus ou moins explicite la locution courante, soit nous contournons la difficulté en parlant de penseurs « préplatoniciens » (laissant ainsi Socrate dans un splendide isolement). Dans l’ensemble, toutefois, on peut dire que le problème définitionnel préliminaire posé par l’après des Présocratiques a un impact relativement faible sur la compréhension des auteurs et des contextes spécifiques. Mais doit-on en dire autant de ce qui précède les Présocratiques ?
3Il est vrai qu’Aristote a placé Thalès dans une position aussi définie que celle de Socrate et qui lui est symétrique. Pour avoir déclaré l’eau principe de toutes les choses, il est même considéré comme l’« initiateur » de cette enquête sur la cause matérielle avec laquelle débute la recherche causale sur la nature et donc la philosophie elle-même (Métaphysique 983b20). Or, sur ce point également, le débat historiographique peut se révéler immédiatement fructueux en matière de clarté et de conscience méthodologique. Adoptant une position critique, J. Mansfeld a par exemple proposé de limiter le rôle fondateur de Thalès au domaine de la science, en vertu de l’argument selon lequel cette dernière ne serait plus aujourd’hui une partie de la philosophie : la philosophie, elle, entendue essentiellement comme spéculation ontologique et épistémologique, naît plus tard, avec Héraclite ou Parménide. Cette thèse, selon moi, est tributaire d’une conception restrictive de la philosophie, produite par une catégorisation de l’observateur qui ne rend pas justice au sens philosophique de l’étude de la physis : elle est pourtant exprimée en termes très nets, qui incitent à une argumentation aussi décisive en sa faveur que contre elle3.
4Les choses se compliquent cependant si nous tentons de remonter en amont de Thalès : si nous nous demandons de qui ce « père » de la philosophie est le « fils ». Nous entrons en effet sur le terrain mouvant du mythe : en particulier du mythe cosmogonique, qui d’une part étend ses ramifications bien au-delà du seuil marqué par la cosmologie des Ioniens, et d’autre part plonge ses racines fort loin en arrière, au point qu’il faut les rechercher ailleurs, en Egypte ou au Proche-Orient. La question du quand de la philosophie s’entrelace alors à celle de son où, et l’exploration du contenu intellectuel du mythe met en péril le paradigme de l’origine grecque de la raison philosophique.
5Dans la perspective de l’histoire des disciplines, mon sentiment est que nous sommes aujourd’hui au milieu d’un processus mis en marche dans les dernières décennies du XIXe siècle (et poursuivi au rythme de l’alternance entre certaines étapes décisives, d’une part, et des pauses et des résistances extérieures, d’autre part). Je pense en particulier à la leçon d’Usener, reprise dans le milieu de l’Altertumswissenschaft par un Rohde ou un Diels, et aussi, en dehors de ce milieu, par Warburg et par Cassirer4. C’est plus ou moins à partir de ce moment que le développement de l’histoire des religions et l’attention aux modalités de l’expression symbolique ont infligé de durs coups à la barrière entre mythe et philosophie, qui depuis, s’est progressivement réduite. A vrai dire, Cassirer lui-même n’est pas allé jusqu’à appliquer ses idées sur la pensée mythique au cadre général de l’histoire de la philosophie, qui, chez lui, reste en substance hégélien. C’est plutôt avec le lien croissant entre Altertumswissenschaft et anthropologie que le mythe pénètre dans le domaine de la philosophie (en même temps qu’un certain primitivisme, qu’il soit tributaire ou non de Nietzsche, va favoriser la prise en considération autonome des « Présocratiques »)5. Or, je voudrais m’arrêter sur le fait qu’avec la réduction progressive de la polarité entre mythos et logos, en conjonction avec celle entre Orient et Occident, sont aussi venus à manquer des indicateurs précieux qui auparavant orientaient les chercheurs soucieux de cette problématique. Je chercherai à illustrer cette situation en prenant en considération un moment intermédiaire, mais décisif, de cette ligne de développement.
6Il pourra être instructif de s’arrêter sur la réflexion que Francis Macdonald Cornford a dédiée précisément au « commencement de la sagesse »6. Cornford continue en effet à nous apparaître comme cet « imaginative man who has a rare power to challenge the mind of his reader », comme l’a une fois défini Vlastos7. Cinquante ans après la publication de son Principium Sapientiae (une soixantaine d’années après la mort de son auteur), ce livre n’a rien perdu de son pouvoir persuasif, fruit d’une parfaite synthèse entre capacité intuitive, lucidité de l’argumentation et efficacité de l’écriture.
7En réalité ce problème, sur lequel Cornford s’est concentré durant les dernières années de sa vie, avait très rapidement éveillé son attention. Et cela dès 1907 dans son Thucydides mythistoricus, ouvrage qui met en évidence chez Thucydide une vision tragique de la nature humaine, aux traits eschyliens, conduisant à lire l’œuvre de ce dernier comme une véritable tragédie, la tragédie d’Athènes. C’est une thèse elle aussi toujours stimulante8, mais il importe pour nous de noter qu’elle s’accompagne d’une réflexion plus générale, bien résumée dans le passage qui suit :
« In every age the common interpretation of the world of things is controlled by sorae scheme of unchallenged and unsuspected presupposition ; and the mind of any individual, however little he may think himself to be in sympathy with his contemporaries, is not an insulated compartment, but more like a pool in one continuous medium – the circumambient atmosphere of his place and time. »9
8La pensée de chaque individu est conditionnée, inconsciemment, par des présupposés implicites qui traversent la mentalité du monde dans lequel il vit. Dante n’imaginait pas que sa peinture de la rédemption serait apparue improbable dans un cadre astronomique qui n’était plus géocentrique ; Cornford lui-même ne saurait dire jusqu’à quel point sa vision du monde et celle de ses contemporains est « colorée » par la biologie darwinienne ; ainsi, de la même manière, les historiens grecs ne peuvent être compris si l’on ne tient pas compte des poètes. Et pour tous, y compris pour les philosophes, il faut tenir compte de ce « mythological stage of thought, the fund of glowing chaos » dont a émergé, en une belle harmonie extérieure, l’intellect grec. Ce fond mythologique est pourtant normalement négligé dans les études sur le monde classique. En particulier :
« The history of philosophy is written as if Thales had suddenly dropped from the sky, and, as he bumped the earth, ejaculated, ‘Everything must be made of water !’ »10.
9Dans le travail publié quelques années après, From Religion to Philosophy, Cornford conjugue la notion de représentation collective (élaborée sur les traces de Durkheim et Mauss) avec l’exigence d’établir une continuité entre la tradition mythico-religieuse et les présocratiques, et retrace en une tendance ‘totémique’ à la classification, les racines du raisonnement fondé sur les couples de contraires et celles de la doctrine des éléments ; ici en outre il ramène (par une opération très discutée) la notion de physis à celle de mana du groupe tribal11.
10Le travail de la philosophie, dans ce cadre, est présenté comme une simple clarification de thèmes déjà focalisés dans la conscience collective d’une société de type tribal, qui ne trouve plus de satisfaction complète sur le plan du rituel. En réalité Cornford laisse ensuite en suspens cette direction d’enquête (qui nous apparaît d’autant plus fascinante qu’elle est chargée d’un haut degré de spéculation). De manière analogue, il laisse en suspens la référence à la théorie jungienne de l’inconscient collectif, qui pourtant intervient à un certain point, pour renforcer l’idée des « présupposés implicites »12. Il me semble qu’il doit s’être rapidement aperçu que les problèmes de la pensée réflexive, qui allaient principalement faire l’objet de son attention, ne se laissaient pas réduire à des coordonnées psychologiques13. C’est pourquoi, dorénavant, il va chercher à l’intérieur de son terrain problématique la meilleure confirmation de ses intuitions. En effet, au cours des années 30, nous assistons à une suite d’explorations très spécifiques de l’histoire de la science ancienne, dans le cadre desquelles se profile la catégorie apparemment plus générale, mais en réalité plus réaliste de « common sense ». Dans sa leçon inaugurale de 1931, par exemple, Cornford avance à nouveau l’opinion selon laquelle la discussion philosophique est orientée par des « assumptions that are seldom, or never, mentioned » (parce qu’elles sont partagées par tous les hommes d’une culture donnée et sont tenues pour acquises), et développe simultanément une argumentation selon laquelle l’approche de la science grecque concernant le problème du mouvement est orientée, précisément, par des maximes issues d’un savoir populaire très ancien (du type « le semblable est attiré par le semblable ») plus que par l’observation de la nature14. Un cadre interprétatif de grande ampleur se dessine ici : les schémas de pensée des philosophes anciens, projetés sur le fond d’un savoir préphilosophique, y apparaissent sous le signe d’un dogmatisme qui empêche la découverte des lois scientifiques du mouvement et du changement. Le rapport de la tradition grecque de pensée avec une tradition qui l’aurait précédée, pressenti plus de vingt ans auparavant, trouve ici sa première exemplification. Et le cadre qui s’ouvre avec la recherche qui confluera dans Principium Sapientiae est tout simplement illimité.
11C’est surtout la seconde partie de l’œuvre, consacrée à la « Philosophical cosmogony and its origins in myth and ritual », qui nous intéresse ici. Après un chapitre dédié à Anaximandre, Cornford affronte le problème du « modèle « de la cosmogonie ionienne avec l’intention déclarée de distinguer (qu’une telle distinction soit faite mériterait en fait d’être discuté) les éléments dérivés d’observations et ceux hérités de la tradition15. Ici réapparaît, reformulé de manière efficace, un thème familier.
« If we give up the idea that philosophy or science is a motherless Athena, an entirely new discipline breaking in from nowhere upon a culture hitherto dominated by poetical and mystical theologians, we shall see that the process of rationalization had been at work for some considerable time before Thales was born. »
12Dans les pages suivantes, en effet, la tradition du naturalisme ionien est revue à la lumière d’une constellation d’images et de problèmes déjà élaborés (mytho-poétiquement) par la tradition religieuse. Avec une extraordinaire acuité, Cornford relève un réseau de points de contact, en soi indéniables, entre Anaximandre et la narration cosmogonique de la Théogonie d’Hésiode (116s.), mais aussi entre l’epos babylonien de la création, connu sous le nom d’Enuma Elish, le récit de la Genèse, la mythologie égyptienne, l’histoire Maori de la naissance du cosmos. Un important trait commun réunit en effet l’apeiron d’Anaximandre, Ouranos et Gaia d’Hésiode, le mélange des eaux sur lequel se meut le dieu hébraïque avant de créer la lumière (le même mélange étant représenté par l’union entre Apsu et Tiamat dans le texte mésopotamien), la Terre-Keb et le Ciel-Nut des anciens Egyptiens, séparés du dieu de la lumière Shu, et enfin Rangi et Papa des Maori. Dans chaque cas, la création est représentée comme un acte de séparation par rapport à un état d’indifférenciation originaire. Les variations sont déterminées plus que tout par la qualité de l’imaginaire mythique, élagué au fur et à mesure au cours d’un processus de rationalisation qui trouve en Anaximandre son point extrême. Mais il s’agit d’un rationalisme fortement endetté envers la tradition, et non d’une « free construction of the intellect reasoning from direct observation of the existing world »16.
13D’autres pages fondamentales sont consacrées, dans les derniers chapitres, à une comparaison serrée entre la Théogonie d’Hésiode, relue comme un hymne à Zeus, qui s’est institué souverain des autres dieux, et l’épopée babylonienne de l’Enuma Elish, hymne à la victoire de Marduk sur Tiamat, puissance cosmique du désordre, et à son œuvre de restabilisation d’un ordre qui est naturel et en même temps politique. Avec un crescendo qui aspire à être conclusif, Cornford tient à rappeler que le texte de l’Enuma Elish était lié à une cérémonie bien déterminée. Il était en effet normalement récité (probablement, à la fin du second millénaire avant J.-C.) pendant la fête du Nouvel An babylonien, dans le contexte, donc, d’un rituel de célébration de la régularité des saisons, et en même temps de souveraineté – dans un cadre d’osmoses entre ordre naturel et politique17. Le mythe de création doit donc être lu, ainsi que chaque mythe, comme la version narrative d’un rituel (Cornford maintient ici l’axiome central des Ritualistes de Cambridge, qui d’ailleurs, comme on le sait, a été très discuté aussi bien dans ce cas spécifique que dans d’autres)18. Alors même que le lien avec le rite se perd, du fait du déplacement du mythe en un terrain culturel différent, la signification originaire du mythe continue à être perçue « obscurément », et survit, bien qu’au prix d’une rationalisation : celle-ci se réduit cependant à une purification des images mythiques qui ne sont plus compréhensibles, et elle est prise pour une construction de l’intellect raisonnant sur la nature19. Ainsi le mythe de Marduk se retrouve transposé dans les aventures de Zeus narrées par Hésiode, dans un langage désormais prosaïque, qui n’est déjà plus authentiquement mythique : c’est seulement une partition très subtile qui sépare cette rationalisation « de ces anciens systèmes grecs que les historiens traitent encore naïvement comme des constructions purement rationnelles »20. En dernière analyse, le noyau du récit de la création, ne dépend donc pas d’observations des phénomènes naturels (seul « un lunatique sous l’influence du haschish » pourrait en arriver, à partir de la simple vue du ciel étoilé et de la terre sous ses pieds, à l’étrange histoire qu’ils dérivent de la lacération en deux d’une monstrueuse divinité !...)21. Ce contenu est, en réalité, l’expression d’un rituel antique.
« The primary factor is the thing done. It is also the proper starting-point for inquiry. Instead of picturing a hypothetical horde of savages, at no particular time or place, sitting round a camp-fire and speculating on the origin of the World, we can take as our point of departure a set of rites which we know to have been performed in the cities of Mesopotomia at the date of the earliest records we possess. As we have remarked, the rites are already extremely elaborate ; behind them must lie a very long prehistoric period of development through simpler phases of society, leading back into the palaeolithic age and terminating, no one knows when or where, in something that might be called primitive’. But, as professor Hooke observes, the term « primitive » is a purely relative one... »22
14La perspective de la comparaison anthropologique entreprise par Cornford marque une ouverture significative de l’horizon dans une direction anticlassiciste : on ne peut pas nier que la culture grecque, justement dans le domaine de l’enquête rationnelle, qui est l’une de ses conquêtes les plus reconnues, se révèle fortement débitrice à l’égard de la pensée mythique et des cultures orientales. Il est pourtant tout aussi indéniable que les caractères distinctifs entre mythe et philosophie tendent à s’oblitérer dans ce cadre, dans lequel l’intérêt d’un système philosophique comme celui d’Anaximandre est réduit à l’un de ses noyaux thématiques centraux (le pattern de l’indifférenciation / séparation), ce noyau étant à son tour rapporté à une origine non spéculative et très ancienne, qui se perd dans la nuit des temps. Cornford apparaît comme obsédé (en un vrai et propre horror vacui – ou horror saltus) par l’exigence de pousser le plus en arrière possible les incunables de la philosophie. Mais cela le conduit, à la fin des fins, à faire « disparaître » la philosophie à l’intérieur du mythe. De fait, dans son exposition, la portée réellement innovante de la pensée ionienne, qui part de la suppression des dieux personnels, reste dans l’ombre : dans le conflit entre les forces opposées du chaud et du froid, du sec et de l’humide qui est au centre de la réflexion des Ioniens, le chercheur préfère souligner l’héritage des figures mythiques de Gaia et d’Okeanos23 plutôt que le début de l’élaboration d’une notion de nature qui fait levier sur l’idée d’une régularité interne, indépendante de l’intervention de forces supranaturelles.
15En d’autres termes, Cornford s’interdit l’appréciation du travail sur l’idée d’ordre naturel, commencé dans le contexte des cosmologies ioniennes. Peu de temps après, l’importance de cette idée sera comprise par des chercheurs attentifs à rapporter la tradition religieuse, comme un facteur parmi d’autres, au contexte politico-social spécifique de la cité grecque24. Toutefois, aujourd’hui encore certaines parmi les meilleures études comparatives sur le problème mythe/philosophie tendent à se mouvoir sur les rails de l’œuvre de Cornford. Il sera intéressant de noter que chez elles, comme déjà chez Cornford, la juste reconnaissance des dettes que la culture grecque a contractées dans les rapports avec d’autres cultures s’accompagne d’une évaluation pas tout à fait claire de sa contribution spécifique à la naissance de la philosophie.
16Nous savons que, dans les dernières décennies, le corpus de la documentation orientale s’est énormément accru, permettant de découvrir des analogies ultérieures multiples avec les cosmologies présocratiques25. Pourtant les critères d’évaluation de ce matériau, en termes d’interprétation d’ensemble de la culture philosophique grecque, ne sont peut-être pas encore bien définis. Burkert, le chercheur qui, ces dernières années, a le plus énergiquement insisté sur la présence d’images, mythes et rituels étrangers en sol grec (il a en effet soutenu que dans la période comprise entre 750 et 650 avant J.-C. la religion et la littérature grecques ont été conditionnées par des modèles orientaux, qui ont influencé de manière significative les développements successifs), manifeste une conscience aiguë de ce problème. Voilà ce qu’il écrit, dans l’introduction d’un livre récent basé sur cette thèse :
« The studies presented in this book may still run up against a final and perhaps insuperable line of defense, the tendency of modem cultural theories to approach culture as a System evolving through its own processes of internal economic and social dynamics, which reduces all outward influences to negligible parameters. There is no denying the intellectual acumen and achievement of such theories. But they may still represent just one side of the coin. It is equally valid to see culture as a complex of communication with continuing opportunities for learning afresh, with conventional yet penetrable frontiers, in a world open to change and expansion. The impact of written as opposed to oral culture is perhaps the most dramatic example of transformation brought from the outside, through borrowing. It may still be true that the mere fact of borrowing should only provide a starting point for doser interpretation, that the form of selection and adaptation, of reworking and refitting to a new System is revealing and interesting in each case. But the « Creative transformation « by the Greeks, however important, should not obscure the sheer fact of borrowing ; this would amount to yet another strategy of immunization designed to cloud what is foreign and disquieting »26.
17J’ai cité ce passage en entier, pour mettre en évidence la prudence avec laquelle procède le chercheur, attentif à construire un modèle théorique qui d’un côté sauve l’autonomie interne de la culture, et de l’autre pourtant la projette dans un monde traversé par des « frontières pénétrables » : si bien que le travail de « transformation créative » accompli par les Grecs27 n’est pas sous-estimé, mais leurs dettes envers les autres civilisations ne sont pas non plus occultées. Tout va bien en principe de fait, de toute façon, l’accent de Burkert porte sur la dette plus que sur l’originalité. Ainsi, dans les dernières pages du même volume, il souligne comment dans certains secteurs de la civilisation grecque (l’Orphisme, Empédocle) se maintient un lien entre mythe cosmo-anthropogonique et rituel qui est caractéristique d’une série importante de textes de la culture mésopotamienne (Cornford est mentionné en note, comme on pouvait s’y attendre)28. Burkert ne s’arrête pas sur le fait que, bien plus souvent, la spéculation cosmogonique en Grèce se présente comme complètement affranchie du cadre rituel : et pourtant cette particularité devrait être considérée comme au moins aussi significative, et être mentionnée à des fins d’évaluation circonstanciée de cette pluralité de styles de pensée qui est une autre caractéristique de la culture philosophique grecque.
18Sans doute Burkert ressent une certaine gêne quant à la possibilité de définir les traits caractéristiques de la plus ancienne pensée grecque. Ailleurs, après avoir souligné le rôle pionnier de Principium Sapientiae, il avait « antidaté » les origines de la philosophie grecque ‘d’Hésiode à Parménide’« aux Sumériens, Babyloniens et Hittites, pour ne pas mentionner les Egyptiens »29. Plus récemment, en conclusion d’une leçon (1996) sur les Cosmogonies grecques et orientales, qui une fois encore s’ouvre par une appréciation de Cornford, Burkert a éclairci sa propre position, en identifiant le signe distinctif de la philosophie grecque dans l’argumentation rationnelle, qui a commencé avec Parménide, laissant donc à la science ionienne le privilège du rapport étroit avec le mythe30. Il a de même rappelé que les plus anciennes cosmogonies présocratiques et hittites, babyloniennes ou égyptiennes retombent dans le même genre de la « just so story » : c’est la forme narrative qui fait de tous ces textes, des mythes31.
19Burkert individue donc, et formule avec une grande clarté, un critère de définition du récit mythique qui insiste essentiellement sur sa forme, imaginative et narrative. C’est un critère doté d’une fonctionnalité indubitable. En effet, personne ne doute plus, n’en déplaise à Cornford, que le mythe ait un contenu spéculatif propre, une valeur d’organisation et de représentation de l’expérience, qui rejoint dans certains cas des niveaux d’abstraction élevés : comme le dit efficacement Burkert, « there is logos in cosmogonie myth from the start »32. Il faut alors introduire une notion de forme, imaginative – celle assumée par le logos mythique–, argumentative – celle du logos philosophique–, qui marque une ligne de partage entre l’un et l’autre. Cette opération implique, entre autres, la prise de distance par rapport aux chercheurs qui (comme Burkert lui-même en son temps)33 ont situé dans la sphère même du mythe le commencement de la philosophie : il a par exemple été soutenu que déjà les Egyptiens « ont mis le processus de la philosophie en mouvement », en partant du constat que certains textes de la littérature égyptienne (comme le Livre sur les choses de l’Hadès) témoignent du fait que déjà à cette époque – avant les Grecs – l’on s’interrogeait sur l’Etre, la mort, le cosmos34.
20Toutefois le critère choisi par Burkert est tel qu’il confine les cosmogonies ioniennes à un no man’s land, avec l’importante conséquence que c’est la pensée éléatique, à ce point, qui s’érige comme une « motherless Athena ». En réalité, si nous voulons délimiter un cadre de commencement de la philosophie grecque tenant compte d’une part de toute la complexité des composantes qui la caractérise sur la longue durée, et sauvant d’autre part sa continuité avec l’arrière-pays mythique, il me paraît nécessaire de récupérer les cosmogonies ioniennes. A cette fin, comme j’espère l’avoir montré, il ne suffit pas de bouleverser les cartes du couple classique mythos / logos et de le reformuler dans l’opposition entre un logos mythique et un logos philosophique distincts seulement par des degrés différenciés d’imagination et/ou d’abstraction. Il faudra accompagner cette opération d’une recherche d’autres critères distinctifs. Mais pour commencer, il vaudra la peine de méditer à nouveau sur certains passages du premier livre de la Métaphysique aristotélicienne, dans lequel l’opposition mythes / logos a pris sa forme la plus célèbre et la plus systématique dans l’Antiquité.
21La question du rapport entre savoir poétique et philosophique se posait déjà dans la culture ancienne, et la réponse n’était pas univoque. Aristote lui-même, peu après avoir attribué à Thalès la fondation de l’étude philosophique de la nature, mentionne que « certains » attribuent aussi une spéculation sur la nature aux « très anciens » qui les premiers ont discouru sur les dieux, en posant comme « pères de la génération » Océan et Thétis, ou en affirmant que les dieux jurent par le Styx (à savoir sur l’eau, dont la sacralité serait précisément symbolisée par l’image du serment : Métaphysique 983b28).
22Il existait donc à l’époque d’Aristote une option interprétative attentive aux éléments spéculatifs pouvant être extraits de la poésie théogonique (d’Homère ou d’Hésiode) grâce à une méthode de lecture allégorique. Une série d’études a fait remonter à Hippias – et de manière plus générale au milieu sophistique – cette position à laquelle Aristote se réfère anonymement35. Abstraction faite de la question de la paternité de ce principe interprétatif, il est intéressant d’observer qu’il s’agit d’un principe de caractère formel, dans la mesure où il insiste sur le repérage de doxai philosophiques dans les textes poétiques par le biais d’un décodage de leur structure expressive. Ce processus a pourtant une double implication : d’un côté, comme l’atteste Aristote, il consent à attribuer aux poètes-théologiens, dûment rationalisés, une réflexion de type philosophique ; mais de l’autre, il permet, le cas échéant, de présenter la réflexion même des philosophes comme une fabulation. On pense au passage du Sophiste, dans lequel Platon esquisse le tableau de ceux qui, avant lui, ont enquêté sur l’être. C’est comme si chacun d’entre eux « racontait un mythe, comme à des enfants ». Il y a celui qui a dit que les êtres sont trois, parfois en conflit entre eux, parfois amis au point de s’unir et d’engendrer (il est possible qu’il y ait là une allusion à la théogonie de Phérécyde, centrée sur Chthonie, Zas et Chronos) ; il y a d’autre part celui qui a dit que les êtres sont au nombre de deux (chaud et froid, ou sec et humide) et les a unis ; la lignée éléatique a affirmé l’unicité de l’être, « façonnant de cette manière son mythe à soi », alors que d’autres encore ont dit que l’être est un et plusieurs en même temps (les Muses ioniennes, plus sévères – Héraclite–, les Muses siciliennes, plus molles – Empédocle). Aucun d’entre eux, cependant, ne s’est vraiment préoccupé de se faire entendre par le commun des mortels dans son discours : personne, en effet, ne s’est arrêté à éclaircir ce qu’il entendait par « être » (Sophiste 242b-243c).
23Comme nous l’a enseigné L. Brisson, est « mythe » pour Platon tout discours qui pousse à la persuasion, et fait à cette fin usage d’images plus ou moins efficaces ainsi que d’arguments rationnels, à évaluer en relation à la réalisation de vérités théoriques. Cela n’empêche nullement, par ailleurs, que Platon se réapproprie l’efficace du discours mythique, quand le problème réclame d’insister sur la persuasion plus que sur la conquête de certitudes rationnelles36. En réalité, le mythos fonctionne pour Platon comme une catégorie fluide, qui peut s’adapter à chaque discours qui ne satisfait pas, en termes argumentatifs, le contexte spécifique d’une discussion. C’est pourquoi, dans le jugement prononcé dans le Sophiste, l’étiquette de « mythe » peut inclure la doctrine éléatique de l’être, puisque cette doctrine est considérée par Platon comme insuffisamment fondée ; ou encore, dans le Théétète, Protagoras est appelé le « père » de ce « mythe » du relativisme dont a jailli celui du devenir universel (Théétète 156d, 164d, 164e). La stratégie interprétative adoptée dans ces passages se comprend mieux à la lumière de la thèse (récemment soutenue par G. Lloyd) selon laquelle la distinction entre mythos et logos s’est exprimée en Grèce dans le contexte de l’opposition entre styles d’enquêtes, de sorte que les termes de son application varient selon les termes de la polémique37. Platon, précisément, utilise ici la catégorie du mythe pour y reléguer ceux qui l’ont précédé, et mieux affirmer sa propre domination sur le territoire de l’enquête métaphysique.
24Pour des raisons pas très différentes, la position d’Aristote sur le mythe, si l’on regarde bien, se présente de manière tout aussi élastique. Aristote lui-même admet que qui aime le mythe « est d’une certaine manière philosophe », dans la mesure où il se montre mû par un certain intérêt cognitif (Métaphysique 982b18). Il ne dédaigne pas de se réclamer d’Hésiode, s’il lui est utile en tant que témoin influent de l’identification de la terre comme élément originaire, opinion partagée par la majeure partie des hommes mais dédaignée par les philosophes, alors qu’elle mérite attention ne serait-ce que par son ancienneté et sa diffusion (Métaphysique 989al0)38. En outre, dans le livre Nu de la Métaphysique il fait une place à Phérécyde et aux Mages comme à des « théologiens mixtes », dans la mesure où ils n’ont pas tout dit « mythiquement », et qu’il est possible de leur attribuer, au-delà du travestissement mythique, une identification du principe de la génération avec le Bien : d’une manière analogue, plus tard, des savants comme Empédocle et Anaxagore ont posé comme principes l’Amour et l’Intellect (1091b8)39.
25De fait, l’évaluation aristotélicienne du contenu cognitif du mythe est dans l’ensemble oscillante. Aristote formule d’un côté l’hypothèse qu’il puisse être le « résidu » d’une sagesse continuellement perdue (au cours de catastrophes périodiques) et retrouvée, à quoi se sont adjointes avec le temps des amplifications formelles parfois instrumentalisées à des fins de contrôle politique (c’est le cas, par exemple, de l’identification populaire des astres et des dieux)40. De l’autre côté, la connotation négative du mythe vient au premier plan là où Aristote a besoin de marquer, par opposition à son opacité expressive, le commencement de l’enquête rationnelle, caractérisée par la clarté et la conscience. Ainsi, contre une interprétation qui tend à traiter Homère et Hésiode comme des philosophes, il déclare « peu claire » la question de savoir si la représentation d’Océan et de Thétis et du serment sur le Styx « s’est trouvée être par hasard (εί...τετύχηκεν οὖσα) une opinion vénérable et ancienne sur la nature : on dit en revanche que Thalès s’est exprimé sur la cause première dans les termes précis que j’ai rapportés » (Métaphysique 984al)41.
26Aristote recourt donc ici à la catégorie de la clarté comme à un critère fort qui permet de marquer le commencement de la philosophie, et de l’identifier comme tel chez Thalès. Mais attention. La clarté sur laquelle insiste Aristote n’est pas uniquement mesurée par le recours à des arguments rationnels plutôt qu’à la fiction du mythe. Il est vrai qu’un peu plus haut il avait fait l’hypothèse que Thalès dérivait sa thèse d’une observation de l’importance de l’humide dans les phénomènes vitaux, mais il ajoute ici un « peut-être » qui signale la rareté des informations dont il dispose effectivement sur Thalès et sa méthode. Arrêtons-nous plutôt sur les mots τετύχηκεν οὖσα, qui introduisent un élément généralement négligé, mais précieux de ce passage. Ils signalent qu’aux yeux d’Aristote, les représentations mythiques pourront au maximum aboutir « par hasard » à des doctrines à proprement parler. Au contraire, la proposition de Thalès assume un rôle fondateur non seulement par une identification non métaphorique du principe naturel, mais aussi – et en même temps – parce qu’elle résulte d’une réflexion délibérée.
27Ni Platon, ni Aristote ne sont donc prisonniers d’une polarité rigide mythos / logos. Tous deux admettent qu’il peut y avoir du logos dans le mythos, et en tirent diverses conséquences. Platon, selon son habitude, fait de la fabulation un usage mobile, parfois en l’utilisant en propre, parfois en la repoussant dans le champ de l’irrationnel. Aristote, occupé dans le premier livre de la Métaphysique à dessiner une tradition dont il se sent partie intégrante (voire culminante), se rend compte du fait que ce n’est pas seulement l’abandon du métaphorique qui marque le caractère rationnel d’une doctrine (plus loin dans le même livre, il s’attachera à déchiffrer diverses intuitions de la causalité dans la Philotès et le Neikos d’Empédocle, ou dans le Nous anaxagoréen). Avec acuité, il combine le critère de la clarté avec celui de la conscience qui soutient une conception philosophique, en tant que telle. C’est une indication qu’il vaut la peine de recueillir.
28Les discussions sur les origines de la philosophie par rapport au mythe omettent de relever, du moins habituellement, un fait macroscopique42. Dans la sphère du mythe germent même des récits fort différents entre eux, dépendants de plusieurs modèles possibles de génération du cosmos et de l’homme, lesquels, en outre coexistent sur un très long laps de temps. L’Enuma Elish ne possède en effet pas l’exclusivité de la représentation cosmogonique en terre mésopotamienne : un autre texte insistera, plus que sur une césure originaire entre ciel et terre, sur un modèle de gemmation dans lequel le ciel produit la terre, la terre les fleuves, les fleuves la boue, etc. (ainsi le Ver du mal de dents) ; un autre sur l’image du ciel qui féconde la terre à travers la pluie (évidente analogie avec la génération humaine : le prologue de la dispute Arbre contre roseau), et ainsi de suite. Dans le monde des « imaginations calculées » (heureuse expression de J. Bottéro) il importe en effet de trouver une raison suffisante, pas nécessairement unique, qui satisfait par sa vraisemblance43. Dans le monde grec, évidemment, la tradition poétique reste amicale à l’égard de la multiplicité mythique des modèles : ainsi, Eschyle nous offre l’image de la pluie fécondatrice (c’est le fr. 44 Radt, des Danaïdes), tandis qu’Euripide recourt à celle de la séparation du ciel et de la terre (Mélanippe fr. 5 Auffret). Il en va différemment dans la tradition philosophique, où, au moins à partir d’Anaximandre, le modèle de la séquence indistinction-séparation est pris précisément comme objet privilégié parmi une gamme de possibilités. Ce qui importe le plus c’est le choix de pointer sur cette hypothèse plutôt que sur une autre, qu’elle soit ou non un emprunt à l’Orient – choix doté d’une évidente valeur épistémologique, même si celle-ci est embryonnaire44.
29En outre, tout élément singulier pouvant résulter d’un emprunt prend une signification complètement différente à l’intérieur d’une structure théoriquement complexe45. Par exemple la séquence caractéristique terre-étoiles-lune-soleil qui est attestée chez Anaximandre pourra, bien entendu, s’expliquer comme issue de la Perse, où cette conception était répandue46, mais nous n’avons aucun texte qui nous autorise à lui attribuer, dans le nouveau cadre cosmologique, la signification mystique qu’elle avait originairement.
30Il faut ajouter que par opposition à la très grande durée de vie des mythes dans les cultures orientales (et dans certains secteurs de la culture grecque elle-même), on a affaire avec la philosophie grecque, à partir de celui qui en est le point de commencement pour Aristote, c’est-à-dire avec Thalès, à toute une série de théories qui se succèdent à une vitesse inouïe, chacune ambitionnant de se substituer à la précédente en proposant des hypothèses toujours différentes sur la naissance et le devenir du cosmos, lesquelles du reste apparaissent toujours accompagnées de falsifications des hypothèses précédentes47. Même les choix expressifs très personnels de chacun (la prose avec laquelle Anaximandre et Anaximène se détachent de la tradition littéraire, le style aphoristique d’Héraclite, le solennel retour de Parménide à l’hexamètre épique, et ainsi de suite) ont pour fonction de souligner d’une fois à l’autre la nouveauté voulue du contenu48. En termes plus généraux, on peut dire que nous assistons, en connexion avec la naissance d’un style caractéristique de rationalité qui combine impulsion à l’innovation et « égotisme »49, à une authentique mutation dans la dimension temporelle de la réflexion.
31Cette mutation se relie certainement au rôle central qu’assume dans la philosophie grecque l’intérêt – pour le dire avec Lloyd – pour des questions de « second ordre », c’est-à-dire visant à rendre compte des choix théoriques propres, dans un cadre de forte compétition relativement aux autres catégories de détenteurs du savoir50. Du reste, au terme d’une analyse tout à fait symétrique, la culture mésopotamienne révèle un degré comparativement peu élevé de conscience individuelle, une résistance à l’innovation et, en même temps, une tolérance des perspectives contradictoires qu’on peut aisément relier à une absence de compétition entre groupes intellectuels51. En outre, il faut rappeler que les premiers naturalistes ne se rapportent pas seulement – et polémiquement – aux poètes, aux devins ou aux shamans. G. Lloyd le souligne fortement dans le présent volume : à côté des physiologoi, on trouve des historiens, des médecins, ou des mathématiciens, qui vont tous développer des styles différents de pensée critique. Toutefois, la différenciation des rôles intellectuels ne fait rien moins qu’en favoriser la définition : au contraire, comme l’a très bien indiqué A. Laks, les deux processus ne peuvent se concevoir l’un sans l’autre. C’est-à-dire que l’hétérogénéité de l’« entreprise philosophique » qu’on peut constater sur l’axe synchronique52 ne fait que stimuler une autodéfinition des divers champs de savoir, qui passe par le repérage d’objets, langages et méthodes spécifiques à chacun. C’est ici que se greffe la considération critique du traitement d’un même problème dans un même champ, qui se propage graduellement le long d’un processus diachronique53.
32L’examen critique des prédécesseurs peut s’accompagner, à des degrés divers, d’un effet d’accumulation des résultats parfois atteints. Les naturalistes, par exemple, apparaissent, dans l’ensemble, plus enclins à falsifier de manière allusive les théories auxquelles ils s’opposent en présentant les leurs comme complètement nouvelles ; les médecins, eux, préfèrent souvent un style plus explicite, qui porte sur l’évocation ou l’exposition des modèles étiologiques qu’ils vont être amenés à récuser (qu’il s’agisse, comme dans le premier chapitre du De morho sacro, d’une explication de la maladie par intervention divine, ou bien, comme dans De prisca medicina, chapitres 1 et 20, d’une définition de la nature de l’homme censée être dogmatique). Certes, l’attitude critique stimule une conscience de l’innovation : bien plus, on pourrait dire que cette attitude a donné un input durable à la formation de la tradition intellectuelle qui sera nommée philosophique, à partir de cette étape initiale qui est le détachement du savoir mythique.
33Pour ce qui est de l’aspect diachronique sur lequel j’ai donc choisi d’insister, je peux laisser au second plan le problème au demeurant débattu de savoir si les structures politiques et sociales particulières de la polis ont été ou non déterminantes pour le caractère agonistique de la pensée grecque, ainsi que pour l’élaboration de quelques-unes de ses catégories centrales comme celle d’ordre naturel. Je me contente de rappeler que sur le terrain de l’histoire politique on a pu soutenir, par le biais d’une série d’observations très subtiles, que la démocratie grecque devrait elle-même être expliquée par un nouveau type d’intelligence sociale54. Il faudra alors, en tout cas, considérer l’interaction de facteurs multiples qui ont favorisé la comparaison critique entre diverses traditions culturelles, à l’intérieur de la Grèce (la pluralité même des constitutions, l’absence d’une autorité centrale possédant des ambitions régulatrices, le caractère non dogmatique de la religion) ou au-dehors (le commerce, la colonisation)55. Pour notre exposé, il sera plus intéressant peut être de s’arrêter sur le rôle qu’a dû exercer l’écriture.
34On s’accorde désormais sur le fait que l’introduction de l’écriture en Grèce, entre le VIIIe et le VIe siècle, ne peut être considérée comme une condition suffisante pour expliquer dans toute sa portée le caractère innovant de sa culture. En tout cas, ce n’est pas l’existence d’un système d’écriture en soi qui a dû être décisive, mais celle d’un système déterminé, basé sur un alphabet consonantico-vocal, dérivé des Phéniciens, qui se prêtait à une utilisation plus large que les systèmes d’écriture orientaux, qui étaient complexes et dont l’usage était réservé à d’étroits groupes scribaux ou sacerdotaux56. C’est pourquoi, en Mésopotamie par exemple, la figure de l’enchanteur s’identifie à celle de l’auteur des cosmogonies : car ce sont les sacerdotes qui contrôlent les textes littéraires57. En revanche, la disparition de ces conditions en Grèce peut contribuer à expliquer le détachement du discours cosmologique du rituel.
35Une précision supplémentaire s’impose. C’est l’écriture spécifiquement en prose qui signale une mise à distance par rapport au savoir mythique, et ce dans la mesure où le recours à la prose vise à établir un rapport nouveau avec le public (qu’il s’agisse des auditeurs, ou d’éventuels lecteurs), grâce à une transparence recherchée, à la mise en œuvre d’un sens qui se veut univoque. On pourrait peut-être se demander si ce premier pas crucial a été accompli par Anaximandre ou par Phérécyde58. En tout cas, le rôle d’Anaximandre ne peut être sous-estimé, surtout si l’on ajoute qu’il a été l’auteur de la première carte géographique : le style axiomatique et solennel de son écrit cosmologique, ou encore l’acte d’« inscrire la terre habitée sur une tablette » (selon l’expression heureuse de C. Jacob), s’adressent à un public capable d’abstraction et de réflexion critique59. Parménide et Empédocle reviendront bien entendu au mètre épique, mais il faut voir dans ce ‘retour’ le désir – diversement réalisé – d’en réarticuler du dedans la forme traditionnelle.
36Il ne faut cependant pas non plus exagérer les effets « démocratiques » de l’écriture. Au contraire, Anaximandre devait ambitionner de se ménager un public plus restreint que celui qui écoutait les rhapsodes60. Même l’histoire d’Héraclite déposant son propre livre dans le temple d’Artémis à Ephèse semble refléter un désir de conservation plutôt que de diffusion, indissociable d’une volonté (qu’Héraclite alimentait sûrement par son obscurité notoire) de présenter l’auteur comme une figure d’exception61. L’intention de conservation ne concerne pourtant pas seulement, on doit y prendre garde, la matérialité du texte : elle reflète aussi l’exigence de construire une tradition d’enquête, qui en tant que telle invite non à la rigidité mais à la discussion. L’enregistrement écrit facilite en effet la reconnaissance de la pensée réflexive comme telle, la dépose dans une chaîne cumulative de résultats, et l’exhibe, en même temps, à la critique : il la constitue en somme comme base d’innovations futures62.
37En raison du rôle spécial qu’elle a joué dans la culture grecque, l’écriture occupe à juste titre une position centrale dans l’analyse de la mémoire culturelle, selon le modèle proposé par J. Assmann. Rappelons qu’un lieu commun des textes autocélébratifs de la culture grecque du Ve et IVe siècle, consiste à exprimer une conscience orgueilleuse du niveau de civilisation atteint à travers une série de progrès, et qui a élevé les Grecs par rapport à un état primitif de barbarie, tandis que les barbares sont restés barbares (voir en particulier Hérodote I, 58, Thucydide I, 6, 6). On a observé à ce propos que « la grécité s’élève sur fond de ‘barbarie’ comme si deux temporalités, deux rapports au temps différents, s’étaient à un moment enclenchés, venant ainsi illustrer le paradigme lévi-straussien des ‘sociétés chaudes’ et des ‘sociétés froides’ »63. En réalité comme l’a subtilement observé J. Assmann, plutôt que d’opposer des peuples avec ou sans histoire, nous devrions opposer deux stratégies possibles de la mémoire culturelle. Nous pouvons donc parler d’une option « froide » pour les anciennes sociétés orientales, sociétés qui bien sûr sont civilisées, alphabétisées et dotées d’un haut niveau d’organisation étatique, mais choisissent de faire un usage « froid » de leur propre tradition, mettant en acte des systèmes variés de congélation du passé (donc ce n’est pas qu’elles vivent dans l’oubli : elles se souviennent simplement d’une manière différente). Une option « chaude » caractérise en revanche la culture grecque, portée depuis ses débuts à penser le passé en fonction de l’innovation64. Or l’écriture (ou mieux, comme nous l’avons vu, une forme d’écriture déterminée) est un instrument essentiel qui permet de poser la tradition comme quelque chose d’extérieur à son détenteur, lequel se sent stimulé pour procéder à la lecture critique et à la variation. Par opposition, dans le monde de la tradition orale, du rite et du mythe, la mémoire culturelle s’appuie – en dépit de ce que l’on pourrait attendre – sur la répétition, car l’innovation, en l’absence de formes de conservation du savoir différentes du monde du chantre, signifie l’oubli.
38En somme, en Grèce, l’écriture se fait instrument de développement conceptuel. La mythologie est la première ‘Victime’ de ce développement : d’Hécatée à Platon et au-delà, la possibilité de donner une forme écrite à la variété des mythes engendre la conscience de leur multiplicité contradictoire, en favorisant la formation d’une attitude critique nouvelle65. C’est à un processus de textualisation’ que se rattache aussi le travail accompli par les philosophes sur le langage courant, à la recherche d’une adhésion intime, non équivoque et définitive du nom à sa notion : on pense, par exemple, à la polémique d’Empédocle contre l’usage conventionnel du terme ϕύσις pour désigner le processus de mélange et séparation, où il n’y a en réalité aucune vraie naissance ou mort (B 8)66.
39En dernier lieu, jetons un coup d’œil sur la situation dont témoigne, dans l’Egypte du Règne Moyen, un texte où l’auteur pleure, dans le monde surgissant de la transmission écrite, la difficulté de trouver des mots nouveaux et un langage qui permette de se distinguer de la tradition.
« Oh, si j’avais des mots inconnus,
des phrases qui soient étranges,
dans une langue nouvelle jamais apparue, privée de répétitions,
non des phrases faites d’idiome passé, dites par les aïeux !
Moi je presse mon corps à cause de ce qui y est,
en le libérant de tout ce que je dis... »67
40A ces expressions tourmentées, nous pourrions opposer efficacement dans le monde grec, en restant dans le milieu poétique, l’insistance des lyriques sur leur originalité. Mais on pense surtout à l’emploi si fréquent de la première personne tant chez les philosophes que chez les médecins hippocratiques68. Ou à l’assurance avec laquelle Héraclite proclame avoir recherché lui-même, tirant d’une méditation isolée et très personnelle les contenus du logos (B 101). Ou, enfin, à la finesse avec laquelle Epicharme dénonce les conséquences extrêmes d’une attitude de critique systématique, qui peut se retourner contre l’auteur même du raisonnement : « il vient d’être dit maintenant, et... cela n’est pas correct » (B 14)69. L’élément de créativité individuelle qui est dissimulé par le processus collectif de transmission d’une tradition orale, vient au contraire au premier plan dans une stratégie de l’écrit70. Parfois nous voyons aussi émerger dans les incipit (d’Hécatée à Alcméon, d’ion de Chios à Diogène d’Apollonie) des signatures personnelles, qui ont pour but de marquer la propriété des idées qu’on a décidé de fixer – ce dont on prend la responsabilité – dans un texte rendu disponible à une réflexion ultérieure.
41A ce point, il n’importe pas tant de savoir si Thalès a ou non écrit un traité (Socrate n’a rien écrit non plus, et on ne doute pas qu’il soit important pour la philosophie). Il est plus essentiel – pour confirmer son rôle fondateur – que sa doctrine soit restée liée à la tradition accompagnée de la mémoire de son nom, inaugurant une succession de systèmes personnels, à propos desquels le degré de réflexion individuelle ne peut être mis en doute.
42Il en va probablement du commencement de la philosophie comme de la lettre volée d’Edgar Allan Poe : il doit être recherché dans son lieu le plus naturel, l’archive de la tradition de la philosophie.
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Notes de bas de page
1 Parmi ceux qui ont pris part à la discussion de mon exposé au colloque, je tiens surtout à remercier Sally Humphreys, pour la franchise avec laquelle elle a exprimé sa perplexité à l’égard de la perspective historiciste que j’ai adoptée : j’ai cherché à en tenir compte, bien que probablement pas assez, à ses yeux... Je remercie aussi Glenn Most pour ses critiques pénétrantes sur plusieurs points du premier état de mon texte. Enfin, je suis reconnaissante à Vanessa Kucinska pour avoir procédé à une traduction soigneuse et limpide. Je prends évidemment sur moi la responsabilité du résultat final.
2 Sur cette question complexe des interprétations de la rupture socratique chez les auteurs anciens (Aristote compris) voir Laks dans le présent volume, en particulier 17-20.
3 Cf. Mansfeld 1985b. Je partage entièrement les critiques avancées par Leszl 1985 et Vegetti 1985.
4 Voir : Bodei 1982 et Sassi 1982. Du point de vue que je vais développer, je trouve intéressant le jugement de Schlesier 1994, 198. D’après celle-ci, l’héritage d’Usener se prolonge aujourd’hui chez Vernant et Burkert, tous deux en mesure de combiner doctrine et talent théorique.
5 Cf. Most 1995.
6 Cornford 1952. Le volume a été publié à titre posthume (Cornford était mort en 1943, laissant un texte pratiquement achevé) par les soins de Guthrie. Ce dernier a ajouté une préface et, en appendice, un sommaire des notes non utilisées par l’auteur ; une brève, mais importante note de Dodds, 249, relève que la publication du texte hittite de Kumarbi (1943, 1946 en traduction allemande) n’a fait que confirmer l’hypothèse d’une connexion entre la Théogonie d’Hésiode et le mythe babylonien.
7 Vlastos 1955, 43. Dans ce compte rendu de Principium Sapientiae qui constitue un véritable essai, toujours digne d’être relu, Vlastos prend principalement position sur une thèse de Cornford, unilatérale et stimulante : celle sur la base de laquelle prévaudrait dans la physiologie présocratique un comportement dogmatique (héritage d’une conception shamanique du savoir) en soi opposé à l’exercice de l’observation empirique, qui serait en revanche caractéristique de la médecine de la même époque.
8 Elle est reprise par Vidal-Naquet 2000, qui écrit (p. 27) : « Cette thèse a été soutenue, il y a longtemps, par F.M. Cornford dans un livre célèbre et peut-être un peu excessif. J’incline à penser qu’il y avait du vrai, beaucoup de vrai, dans cette idée ». Chambers 1991 souligne que Cornford applique ici pour la première fois la méthode des Ritualistes de Cambridge, dans le but d’éloigner de la ‘modernité’ son Thucydide, si conditionné par la pensée mythique : « Cornford’s work is especially valuable to the historian of scholarship because it shows a Ritualist applying his methods to a single large classical text » (p. 63). S’agissant du problème du rapport entre Cornford et les autres ritualistes, je me contente de remarquer qu’à l’intérieur de ce groupe qui a toujours été hétérogène, quoique profondément marqué par la personnalité de Jane Harrison, l’autonomie de chacun est devenue de plus en plus évidente dès les années dix du vingtième siècle (après la première guerre mondiale, de fait, chacun ira son chemin). Bien sûr, Cornford s’est signalé dès le début par ses intérêts philosophiques : c’est probablement pour cela qu’il n’a fait l’objet que d’une attention très sporadique dans la littérature, toute excellente qu’elle soit, sur les ritualistes : voir Bonanate 1974, Ackerman 1991, Calder III 1991 (ici, la seule étude spécifiquement dédiée à Cornford est justement celle de Chambers), Schlesier 1994.
9 Cornford 1907, VIII.
10 Cornford 1907, X.
11 Cf. Cornford 1912 (utilement republié, 1991, avec une préface de R. Ackerman), en particulier 45-72, 73-123. La réaction significative de Bréhier 1913, par son mélange d’attention sérieuse et de non moins sérieuse perplexité, doit être rappelée. Cornford sera encore cité, en compagnie cette fois de Cassirer, dans l’introduction de Bréhier 1938, 4s.
12 Cornford 1921. Cette référence est aussi opératoire dans Cornford 1922.
13 Pour la compréhension de celui-ci et d’autres moments importants de l’œuvre de Cornford, je dois beaucoup au Memoir introductif de Guthrie à Cornford 1950, VII-XIX, un essai extraordinaire de biographie intellectuelle.
14 Cornford 1931 (la citation est tirée de la page 12). Le même principe oriente Cornford 1934 et 1936.
15 Cornford 1952. 187 (la citation qui suit immédiatement dans le texte est tirée de la page 188). La notion d’inconscient collectif n’est pas rappelée ici, mais aurait pu l’être à juste titre : on peut penser qu'elle sert tacitement de support à celle, plus générique mais prégnante, d'héritage.
16 Cornford 1952, 201.
17 Une description détaillée de cette fête est donnée par Lambert 1968, 106s.
18 Je me limite à rappeler que selon Lambert 1968 (suivi par Bottéro in : Bottéro-Krâmer 1989, 81) le langage de la mythologie babylonienne est en réalité très différent de celui des rites, et le lien entre l’une et l’autre a été établi seulement à un certain moment par les prêtres (si bien que l’on pourrait dire qu’il y avait déjà en Mésopotamie une ancienne « Myth and Ritual School »...). Eliade 1956, au contraire, insiste sur une connexion intime et originaire, de valeur thérapeutique (en Mésopotamie comme ailleurs), entre les récits de la création et les incantations magiques. Pour une évaluation équilibrée des thèses de Cornford sur les origines de la comédie, dictées par l’application rigide du principe ritualiste, voir Henderson 1993.
19 Cornford 1952, 225-38 (en particulier p. 238). Cf. aussi Cornford 1941.
20 Cornford 1941, 100.
21 Cornford 1941, 111.
22 Cornford 1952, 230.
23 Cette position est répétée dans les notes non introduites par Cornford dans le texte de Prineipium Sapientiae et organisées par Guthrie dans le sommaire (cit. supra, n. 6), 259.
24 Parmi les nombreux travaux si précieux de Vlastos, je me limite à renvoyer à son compte-rendu déjà cité (n. 7) de Principium Sapientiae, où sont présents tous les motifs fondamentaux qui ont alimenté l’attention du chercheur sur ce thème. De Vernant, je rappellerai seulement Vernant 1957, puisqu’il y prend position précisément en relation à Cornford. Nous devons une soigneuse reconsidération critique du paradigme de Vernant à la lumière de la comparaison à un anthropologue trop vite disparu : Valeri 1995.
25 Cf. entre autres Hölscher 1953, Schwabl 1962, West 1971.
26 Burkert 1992, 7. Je cite à partir de l’édition américaine dans la mesure où elle est revue et augmentée sur certains points par rapport à l’édition originale allemande, 1984.
27 Cette notion est le produit, comme on le sait, d’une auto-représentation grecque. Burkert 1992, 157 n. 31 renvoie au célèbre passage de [Plat.] Epin. 987d.
28 Burkert 1992, 124-7 ; Eliade 1956 est cité à la p. 215 n. 5, Cornford 1941 à la p. 216 n. 10.
29 Burkert 1987, 21 et 23.
30 Burkert 1999a, 35-57. Il est à remarquer à quel point les parallèles orientaux repérés par Burkert 1963 et 1994/5 sont ici mis en valeur.
31 Burkert 1999b.
32 Burkert 1999, 104.
33 Cf. supra, n. 29.
34 Hornung 1987, 125. Cf. aussi les observations de Leszl 1985 sur certains textes babyloniens. Cerri 1998 procède à une opération semblable lorsqu’il insiste sur le contenu rationnel des poèmes d’Homère et Hésiode, en démontrant qu’on peut y retracer l’anticipation de la doctrine empédocléenne des quatre éléments.
35 Le texte aristotélicien renvoie à des passages homériques comme II. II 775, XIV 201, 246, 271, XV 37, mais cf. aussi Hes. Theog. 397ss., 782ss. La reconstruction de cette intéressante constellation historiographique a été entreprise par Snell 1944. Cf. ensuite Classen 1965 ; Mansfeld 1985a ; Mansfeld 1986 ; Patzer 1986.
36 Cf. Brisson 1982. Cf. récemment Murray 1999 et Morgan 2000, en particulier 242-89.
37 Cf. Lloyd 1990, 1-38. Johansen 1999 a tiré profit de cette thèse à propos d’Aristote.
38 Cf. aussi Métaphysique 984b23, où Hésiode et Parménide sont rapprochés pour avoir tous deux assigné à l’Amour une causalité motrice en même temps que finale.
39 Voir Schibli 1990, 89-103, pour l’interprétation de ce passage difficile et ses conséquences sur la reconstruction de la pensée de Phérécyde.
40 Je présuppose ici l'analyse d’une série de passages aristotéliciens. : Eudemus, fr. 6 Ross ; De caelo, 270b 19, 284a ; Gen. anim. 736a17 ; Mot. anim. 699a27, 699b35 ; Metaph. 1000a9, 1071b25, 1074b1 ; Meteor. 339b20 ; Pol. 1269b27 ; 134 1b2. Pour un jugement d’ensemble sur la conception aristotélicienne du mythe, cf. Verdenius 1960 ; Verbeke 1961 ; Bollack 1997, 137-80 ; Johansen 1999.
41 Je partage les critiques que Mansfeld 1985a, 115-7 a formulées à l’égard de la traduction standard de ce passage, même si j’en propose une interprétation partiellement différente.
42 Que je sache, Lloyd 1970, Ils., fait exception.
43 Cf. Bottéro – Krämer 1989, 79-94. Dans l’Egypte ancienne Hornung 1987 (en particulier 115 et 121-5) doit admettre l’existence d’une « pluralité déconcertante » de conceptions cosmologiques, qui ne peuvent simplement être rapportées à la variété des lieux de culte.
44 Cf. Stannard 1965, en particulier 201-6.
45 Ce principe ainsi que d’autres principes de prudence dans l’évaluation d’ensemble des cosmologies scientifiques sont invoqués par Lloyd 1982. On peut voir aussi Lloyd 1996.
46 Cf. Burkert 1963 (suivi par West 1971, 87-96), qui reconnaissait ici la « transposition » d’un schéma religieux étranger dans un nouveau langage, en ajoutant toutefois que la philosophie grecque à ses débuts était essentiellement « Naturreligion » (130s., 134). Burkert 1994/95 apprécie en revanche pleinement, dans la conclusion, la contribution spécifique d’Anaximandre et d’Anaximène à l’élaboration d’une conception nouvelle d’une nature achevée en soi et autonome (physis).
47 C’est la leçon que l’on peut tirer avec certitude de la discussion lancée par Popper : cf. Popper 1958/59 ; Kirk 1960 ; Kirk 1961 ; Lloyd 1968.
48 Cf. Cherniss 1970.
49 Cf. Lloyd 1987. 50-108.
50 Comme on le sait c’est un des noyaux centraux de la recherche de Lloyd, développé à partir de Lloyd 1979 ; voir aussi Humphreys 1986, et Curd dans le présent volume. Je trouve significatif que Matson 1954/55, stimulé par les thèses exprimées par Cornford in Principium Sapientiae, invitait déjà à considérer l’attitude critique comme un facteur déterminant dans la naissance (dans le monde ionien) de la spéculation métaphysique. J’incline moi aussi à croire que dans la cosmologie ionienne, en tant que construction de modèles consciemment alternatifs par rapport à la tradition mythique, on peut déjà découvrir les signes d’une pensée « de second ordre » : tout en sachant qu’il est possible de donner à cette notion un sens beaucoup plus restreint (voir, par exemple, Elkana 1986).
51 Cf. Machinist 1986.
52 Cette hétérogénéité ressort aussi très bien de l’enquête que Laura Gemelli conduit dans le présent volume.
53 Cf. Laks dans le présent volume.
54 Cf. Meier 1986.
55 Cf. von Staden 1992.
56 Cf. Goody – Watt 1962/63 ; en outre Goody 1977 ; Goody 1987, 1-109. Pour une évaluation plus spécifique de l’incidence de la technologie de l’écriture sur les mécanismes du travail philosophique je renvoie aux études (de Havelock et d’autres) rassemblées in Robb 1983.
57 Burkert 1992, 125 ; 1999b, 104s.
58 Sur le rôle de l’écriture, et en particulier de la prose, dans les débuts du savoir philosophique voir récemment Laks 2001, qui, en effet, admet que Phérécyde aurait précédé Anaximandre. Voir aussi Humphreys 1975 ; Nieddu 1984 ; Nieddu 1993 ; Humphreys 1996.
59 Cf. Jacob 1988 ; Garda Quintela 1996, en particulier 51-5.
60 Cf. Humphreys 1975, 100 ; Brisson 1996, en particulier 16-8. Je trouve aussi utiles certaines indications de Thesleff 1990. Mais je n’en arriverai pas, comme il le fait, à caractériser la philosophie présocratique dans sa totalité comme ésotérique : l’existence d’une tradition ouvertement ésotérique comme la tradition pythagoricienne (et hostilement perçue comme telle) confirme a contrario que l’objectif des premiers philosophes est plus souvent celui d’une communication professionnelle.
61 Ainsi Nieddu 1984, 222s. ; Cambiano 1988, 70s. ; Cambiano 1996, 837. Voir aussi l’analyse pénétrante de l’écriture héraclitéenne que donne Kahn 1983. De manière plus générale, sur l’importance d’une autoreprésentation en termes d’exceptionnalité du statut du philosophe ancien, cf. Cambiano 1983, 47-96.
62 Les médecins seront très explicites sur cette fonction de l’écriture : cf. Di Benedetto 1986, 299-302 ; Nieddu 1993, 156-8 ; Cambiano 1992, 544-8.
63 Hartog 1996, 89. Bien sûr on pourrait citer plusieurs passages, surtout chez des auteurs conservateurs sur le plan politique comme Platon, au travers desquels émerge plutôt une attitude réprobatrice à l’égard du changement social en tant que tel : cela n’empêche cependant pas que le même auteur puisse se présenter comme porteur d’un projet tout à fait novateur (c’est le cas, justement, du Platon des Lois).
64 Assmann 1992, en particulier 68-70. Dans le dernier chapitre, 259-92, Assmann applique son modèle interprétatif à l’analyse de la tradition philosophique grecque, en se concentrant entre autres sur le moment où naissent les institutions (l’Académie et le Lycée) qui favorisent le dialogue intertextuel. Comme on le voit, je retiens que ses indications peuvent également se révéler fructueuses pour la période précédente.
65 Cf. Havelock 1996, 50s. ; Morgan 2000, 15-45.
66 Voir Havelock 1983, en particulier 15-28.
67 Texte cité aussi par Lloyd 1987, 55 n. 21, que par Assmann 1992, 97.
68 Humphreys 1975 ; Lloyd 1987, 58-70 (qui pour la lyrique valorise les études de Snell). Lloyd, 1987, 77s. ajoute qu’on peut attribuer aussi aux mathématiciens un certain degré « d’égotisme », dans la mesure où beaucoup de contributions individuelles sur des problèmes spéciaux sont documentées, avec la mémoire de quelques noms spécifiques (Hippocrate de Chios, Antiphon, etc.), même si rien de cette littérature n’est conservé directement.
69 L’interprétation d’Aristote qui accompagne la citation (Metaph. M 9.1086al6 : « il est difficile, en partant de prémisses incorrectes, de faire un discours correct ») ne me semble pas coïncider parfaitement avec les mots attribuables à Epicharme.
70 Cf. Goody 1977, 27 ; Brisson 1996, 17.
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